Vies des hommes illustres/Marcus Caton

Traduction par Alexis Pierron.
Charpentier (Volume 2p. 229-267).


MARCUS CATON.


(De l’an 234 à l’an 149 avant J.-C.)

Marcus Caton était originaire de Tusculum. On dit qu’avant de servir dans les armées et de s’occuper de l’administration des affaires, il vivait sur des terres du pays des Sabins, qu’il avait héritées de son père. Ses ancêtres passaient à Rome pour gens parfaitement obscurs ; mais Caton loue lui-même son père Marcus, comme un homme de cœur et un bon militaire ; il rapporte que Caton, son aïeul, avait obtenu plusieurs fois des prix de bravoure, et, qu’ayant perdu dans des combats cinq chevaux de bataille, on lui en paya la valeur aux frais du public, en récompense de son courage. C’était la coutume des Romains d’appeler hommes nouveaux ceux qui ne tiraient pas leur illustration de leur race, et qui commençaient par eux-mêmes à se faire connaître. Ils donnèrent donc à Caton le nom d’homme nouveau ; pour lui, il disait que, s’il était nouveau à l’égard des honneurs et de la réputation, il était très-ancien par les exploits et les vertus de ses ancêtres. Son troisième nom, dans les premiers temps, n’était pas Caton, mais Priscus ; ce n’est que postérieurement que son esprit délié lui valut le surnom de Caton[1] ; car les Romains appellent Caton l’homme qui s’entend aux affaires. Il était roux de visage et avait les yeux pers, comme le montre cette épigramme qu’un de ses ennemis fit contre lui :

Ce roux, qui mordait tout le monde, cet homme aux yeux pers, tout mort qu’il est
Ce Porcius, Proserpine ne le veut pas recevoir dans l’enfer.


Un travail assidu, une vie frugale, et le service militaire, dans lequel il avait été nourri dès sa première jeunesse, lui avaient formé une complexion aussi saine que robuste.

Il regardait la parole comme un second corps, comme un instrument non-seulement honnête, mais nécessaire à tout homme qui ne veut pas vivre dans l’obscurité et dans l’inaction. Aussi la cultivait-il par un exercice continuel, en allant de tous côtés, dans les bourgades et dans les petites villes voisines plaider pour ceux qui réclamaient son ministère. Il se fit d’abord la réputation d’un avocat plein de zèle, et ensuite d’un habile orateur. Ceux qui avaient affaire à lui eurent bien vite reconnu, dans son caractère, une gravité, une élévation, faites pour les grandes choses et pour le maniement des intérêts souverains de l’État. Car ce n’était point assez pour lui de montrer un parfait désintéressement, en ne prenant rien pour les causes qu’il plaidait : on ne voit même pas qu’il trouvât la gloire qu’il en retirait digne de le satisfaire. Il préférait de beaucoup se faire un nom dans le métier des armes, en combattant contre les ennemis ; et, tout jeune encore, il avait déjà le corps tout cicatrisé de blessures reçues dans les batailles. Il dit lui-même qu’il fit, à l’âge de dix-sept ans, sa première campagne, dans le temps qu’Annibal victorieux mettait l’Italie à feu et à sang. Au combat, il avait la main prompte, le pied ferme et inébranlable, le visage farouche ; il menaçait les ennemis d’un ton de voix rude et effrayant : persuadé avec raison, et l’enseignant, que ces accessoires font souvent plus d’effet sur les ennemis que l’épée qu’on leur présente. Dans les marches, il allait toujours à pied, portant lui-même ses armes, et suivi d’un seul esclave chargé de ses provisions. Jamais, dit-on, il ne s’irrita contre lui, ni ne lui montra de l’humeur, quelque chose qu’il lui présentât pour ses repas ; souvent même, après son service militaire, il l’aidait à faire son ouvrage. À l’armée il ne buvait que de l’eau ; seulement, lorsqu’il éprouvait une soif ardente, il demandait du vinaigre ; ou, s’il sentait ses forces trop affaiblies, il prenait quelque peu de piquette.

Sa campagne était voisine de la métairie qu’avait possédée Manius Curius, celui qui obtint trois fois le triomphe[2]. Caton y allait souvent ; et, lorsqu’il considérait le peu d’étendue de cette terre et la simplicité de l’habitation, il se représentait cet homme, devenu le premier des Romains, vainqueur des nations les plus belliqueuses, et qui avait chassé Pyrrhus de l’Italie, cultivant lui-même ce petit coin de terre, et, après ses trois triomphes, habitant toujours une maison si pauvre. Ce fut là que les ambassadeurs des Samnites trouvèrent Curius, assis près de son foyer, faisant cuire des raves, et qu’ils lui offrirent une quantité d’or considérable. Mais il refusa : « On n’a pas besoin d’or, dit-il, quand on sait se contenter d’un tel repas ; je trouve plus beau de vaincre ceux qui ont de l’or, que d’en posséder moi-même. » Caton s’en retournait, occupé de ces pensées, puis il faisait de nouveau la revue de sa maison, de ses champs, de ses esclaves et de toute sa dépense, il redoublait de travail et retranchait tout superflu.

Lorsque Fabius Maximus prit Tarente, Caton, fort jeune encore[3], servait sous lui ; il y fut logé chez un certain Néarque, pythagoricien, et désira de l’entendre exposer ses doctrines. Néarque développa ces principes, qui sont aussi ceux de Platon : Que la volupté est la plus grande amorce pour le mal ; que le corps est le premier fléau de l’âme, qui ne peut s’en délivrer et se conserver pure que par les réflexions qui la séparent et l’éloignent, le plus qu’il est possible, des affections corporelles. Ces discours fortifièrent davantage encore dans Caton l’amour de la tempérance et de la frugalité. Du reste, ce n’est que fort tard, dit-on, qu’il s’appliqua à l’étude des lettres grecques, et il était d’un âge très-avancé lorsqu’il se mit à lire les auteurs grecs ; il profita un peu de la lecture de Thucydide, et beaucoup plus de celle de Démosthène, pour se former à l’éloquence. Du moins ses écrits sont enrichis çà et là de maximes et de traits d’histoire tirés des livres des Grecs ; et il y a, dans ses apophtegmes et ses sentences morales, plus d’un passage qui en est traduit mot à mot.

Il y avait alors à Rome un citoyen distingué entre tous par sa noblesse et son crédit, le plus capable de discerner une vertu naissante, le plus propre, par sa douceur, à la développer et à la pousser vers la gloire : c’était Valérius Flaccus. Ses terres confinaient à celles de Caton, et il avait appris de ses serviteurs comment Caton travaillait de ses mains, et sa façon de vivre. Il s’en va de grand matin, disaient-ils à Valérius étonné, dans les villes voisines plaider pour ceux qui l’en prient ; il revient dans son champ, et là, vêtu d’une simple tunique pendant l’hiver, nu si c’est l’été[4], il laboure avec ses domestiques, et, après le travail, s’assied à la même table qu’eux, mangeant le même pain et buvant le même vin. Ils racontaient mille traits de la modération et de la bonté de Caton ; ils citaient quelques-uns de ses mots pleins de sens. Valérius finit par l’inviter à souper. À partir de ce jour, il le traita comme un de ses amis ; il reconnut en lui un caractère doux et honnête qui, comme une bonne plante, ne demandait qu’à être cultivé et transplanté dans un meilleur sol ; il lui persuada d’aller à Rome s’entremettre des affaires publiques. Caton y vint, et il s’y fit en peu de temps, par ses plaidoyers, des admirateurs et des amis : Valérius, de son côté, l’aida de tout son crédit et l’avança aux honneurs. Il obtint d’abord le tribunat militaire, puis ensuite la questure, et conquit, dans l’exercice de ces charges, une grande et illustre renommée. Aussi courut-il, à côté de Valérius même, à la poursuite des premiers emplois de la république : il fut son collègue dans le consulat et dans la censure. Entre les vieux citoyens, il s’attacha particulièrement à Fabius Maximus, le plus célèbre de tous et le plus en crédit ; il se proposa surtout ses mœurs et sa manière de vivre, comme les plus beaux modèles qu’il pût imiter. Voilà pourquoi il n’hésita pas à se brouiller avec le grand Scipion, jeune alors, et qui s’opposait à la puissance de Fabius, qu’il croyait jaloux de sa gloire. Caton, envoyé questeur sous lui à la guerre d’Afrique, voyant que le général vivait avec sa magnificence ordinaire, et prodiguait sans ménagement l’argent à ses troupes, l’en reprit franchement et sans détour : « Le plus grand mal, dit-il, ce n’est pas cette dépense excessive, c’est l’altération de la simplicité antique, c’est l’emploi que font les soldats, en luxe et en plaisirs, du superflu de leur paie. » Scipion répondit qu’il n’avait pas besoin d’un questeur si exact, que dans la guerre il voguait à pleines voiles, car il devait à la république compte de ses actions, et non des sommes qu’il aurait dépensées. Caton, sur cette réponse, le quitta dès la Sicile, et revint à Rome. Là, il ne cessa de crier dans le Sénat, avec Fabius, que Scipion répandait l’argent sans mesure ; qu’il passait, en vrai jeune homme, ses journées aux théâtres et dans les gymnases, comme s’il se fût agi, non de faire la guerre, mais de célébrer des jeux. Ses plaintes déterminèrent le Sénat à envoyer vers Scipion des tribuns chargés de le ramener à Rome, s’ils trouvaient les accusations fondées. Scipion démontra que la victoire dépendait des préparatifs qu’on faisait pour la guerre ; on vit assez d’ailleurs que les amusements qu’il prenait avec ses amis, dans ses moments de loisir, et les dépenses qu’il faisait, ne l’empêchaient pas de suivre avec activité les affaires importantes. Les tribuns le laissèrent s’embarquer pour la guerre.

L’éloquence de Caton augmentait chaque jour son crédit : on l’appelait le Démosthène romain ; mais ce qu’on renommait surtout en lui, l’objet de toutes les louanges, c’était son genre de vie. En effet, le talent de la parole était, de ce temps-là, le but où aspiraient les jeunes Romains, où ils dirigeaient à l’envi tous leurs efforts. Mais un homme fidèle à l’ancien usage de cultiver la terre de ses propres mains ; qui se contentât d’un dîner préparé sans feu, et d’un souper frugal ; qui ne portât qu’un vêtement fort simple ; qui eût assez d’une habitation toute vulgaire, et aimât mieux n’avoir pas besoin du superflu que de se le donner, c’était chose rare alors : la vaste étendue de la république avait déjà corrompu l’antique pureté des mœurs ; la multitude immense des affaires et le grand nombre des peuples vaincus, avaient introduit à Rome une grande variété de mœurs, toutes les façons de vivre les plus opposées. Caton était donc avec justice l’objet de l’admiration universelle ; car, tandis qu’on voyait les autres citoyens, amollis par les voluptés, succomber aux moindres travaux, il se montrait seul invincible et à la peine et au plaisir, et cela, non pas seulement dans sa jeunesse et lorsqu’il briguait les honneurs, mais dans sa vieillesse même et sous les cheveux blancs, après son consulat et son triomphe : on eût dit un athlète continuant, même après la victoire, ses exercices habituels, et y persévérant jusqu’à sa mort. Jamais, écrit-il lui-même, il ne porta de robe qui coûtât plus de cent drachmes[5] ; jamais il ne but, quand il commandait les armées, et même pendant son consulat, d’autre vin que celui de ses travailleurs ; pour son dîner, on n’achetait pas au marché pour plus de trente as de provisions. Et tout cela il ne le faisait que dans l’intérêt de son pays : il voulait se former un tempérament robuste, et propre à soutenir les fatigues de la guerre. Il dit encore qu’ayant acquis, par héritage, une tapisserie de Babylone, il la vendit sur-le-champ ; que pas une de ses maisons de campagne n’était crépie ; que jamais il n’avait acheté d’esclave au-dessus de quinze cents drachmes[6], parce qu’il voulait, non des gens bien faits et délicats, mais des hommes robustes, capables de travail, qui pussent panser les chevaux et mener les bœufs ; et même, lorsqu’ils devenaient vieux, il croyait qu’il les fallait vendre, pour ne pas nourrir des bouches inutiles. En général, suivant lui, rien de superflu n’est à bon marché : une chose dont on peut se passer, ne coûtât-elle qu’un as, est toujours chère ; et il faut préférer les terres à blé et les pâturages, aux jardins, qui demandent d’être arrosés et ratissés.

Les uns taxaient cette conduite de sordide avarice ; d’autres disaient qu’en se resserrant dans ces bornes étroites, il avait en vue de corriger ses concitoyens et de les porter à la frugalité. À mes yeux, toutefois, abuser de ses esclaves comme de bêtes de somme, les chasser ou les vendre quand ils sont devenus vieux, c’est témoigner une excessive dureté de cœur, c’est avoir l’air de croire que le besoin seul lie les hommes entre eux. Or, il est manifeste que la bonté s’étend beaucoup plus loin que la justice. C’est envers les hommes seulement que nous sommes tenus par la loi et la justice ; mais la bienveillance et la libéralité rejaillissent quelquefois jusque sur les animaux mêmes. L’humanité est en nous comme une source abondante qui s’épanche en bienfaits. Ainsi, nourrir ses chevaux épuisés par le travail, soigner ses chiens jusque dans leur vieillesse, c’est le propre d’un homme naturellement bon.

Le peuple d’Athènes, après avoir bâti l’Hécatompédon[7], lâcha toutes les mules qui avaient le mieux secondé par leur travail la construction de cet édifice, et les laissa paître en liberté. Une d’elles vint, dit-on, un jour se présenter d’elle-même à la besogne ; elle se mit à la tête des bêtes de somme qui traînaient des chariots à la citadelle ; elle marchait devant elles, les exhortant, pour ainsi dire, et les animant à l’ouvrage. Les Athéniens ordonnèrent, par un décret, que cet animal serait nourri jusqu’à sa mort aux dépens du public. Il y a, près du tombeau de Cimon, la sépulture des cavales avec lesquelles il avait remporté trois fois le prix aux jeux olympiques. Plusieurs Athéniens ont fait enterrer des chiens élevés dans leurs maisons et qui avaient vécu avec eux. Lorsque le peuple quitta la ville pour se retirer à Salamine, le chien de Xanthippe l’ancien suivit à la nage la trirème de son maître, et expira en arrivant : Xanthippe le fit enterrer sur le promontoire qu’on appelle encore aujourd’hui le Tombeau du Chien[8]. En effet, il ne faut pas se servir des êtres animés comme on se sert de ses chaussures ou d’un ustensile, qu’on jette lorsqu’ils sont rompus ou usés par le service. On doit s’accoutumer à être doux et humain envers les animaux, ne fût-ce que pour faire l’apprentissage de l’humanité à l’égard des hommes. Pour moi, je ne voudrais pas vendre même mon bœuf laboureur, parce qu’il aurait vieilli ; à plus forte raison n’aurais-je pas le cœur d’exiler un vieux serviteur de la maison où il a vécu longtemps, et qui est comme sa patrie ; de l’arracher à son genre de vie accoutumé pour quelque monnaie que me vaudrait la vente d’un homme aussi peu utile à celui qui l’aurait acheté qu’à moi qui l’aurais vendu. Mais Caton semblait en faire gloire ; et il dit lui-même qu’il laissa en Espagne le cheval qu’il montait à la guerre pendant son consulat, afin de ne pas porter en compte à la république le prix de son transport par mer. Faut-il attribuer une telle façon d’agir à magnanimité ou à mesquinerie ? J’en laisse la décision au jugement du lecteur[9].

Caton, dans tout le reste, était d’une tempérance extraordinaire. Tant qu’il fut à la tête des armées, il ne prit jamais sur le public, pour lui et pour sa suite, plus de trois médimnes de froment par mois, avec un peu moins de trois demi-médimnes d’orge par jour pour les bêtes de charge. Nommé gouverneur de la Sardaigne, il n’imita pas l’exemple des préteurs qui l’avaient précédé : tous ils avaient foulé la province, en se faisant fournir, par les habitants, des tentes, des lits, des vêtements ; en traînant à leur suite une foule d’amis et de domestiques ; en exigeant des sommes considérables pour des festins, pour des somptuosités de toute nature. Lui, au contraire, il se distingua par une simplicité qu’on a de la peine à croire. Il ne prenait rien sur le public pour sa dépense ; il visitait les villes, marchant à pied, sans voiture, sans autre suite qu’un appariteur qui lui portait une robe et un vase à libations pour s’en servir dans les sacrifices. Simple et facile sous ce rapport pour tous ceux qui dépendaient de lui, il se montrait, dans tout le reste, grave et sévère, inexorable dans l’administration de la justice, d’une exactitude et d’une rigueur inflexibles pour l’exécution des ordres qu’il donnait. Aussi, jamais la puissance romaine n’avait-elle paru à ces peuples ni si terrible ni si aimable.

L’éloquence de Caton présente à peu près le même caractère : elle était à la fois agréable et forte, douce et véhémente, plaisante et austère, sentencieuse et propre à la lutte. C’est ainsi que Socrate, suivant Platon, paraissait, extérieurement, grossier, satirique et outrageux dans la conversation, tandis qu’au dedans il était rempli de raison et de gravité, de discours capables d’arracher les larmes à ses auditeurs, et de bouleverser leurs âmes[10] Aussi ne sais-je pas sur quel fondement on a dit que le style de Caton ressemblait à celui de Lysias[11]. Du reste, j’en laisse le jugement à ceux qui s’entendent mieux que moi à distinguer les différents styles des orateurs romains. Pour moi, qui prétends que les paroles des hommes font mieux connaître leur caractère que ne fait le visage, où quelques-uns s’imaginent de le chercher, je vais rapporter quelques-uns de ses mots les plus dignes de mention.

Un jour le peuple romain réclamait instamment et hors de propos une distribution de blé ; Caton, qui voulait l’en détourner, commença ainsi son discours : « Citoyens, il est difficile de parler à un ventre qui n’a point d’oreilles. » Une autre fois, dénonçant la dépense prodigieuse que les Romains faisaient pour leur table : « Il est malaisé, dit-il, de sauver une ville où un poisson se vend plus cher qu’un bœuf. » Il comparait les Romains aux moutons : « Les moutons, disait-il, chacun en particulier, n’obéissent pas au berger ; mais ils suivent tous ensemble leurs conducteurs. De même les hommes que chacun de vous ne voudrait pas prendre en particulier pour conseil, quand vous êtes ensemble, vous vous laissez conduire par eux. » Dans un discours contre l’autorité excessive des femmes : « Tous les hommes, dit-il, commandent aux femmes, nous à tous les hommes, et nos femmes à nous. » Ce mot, du reste, n’était que la traduction de celui de Thémistocle[12]. Le fils de Thémistocle faisait de son père ce qu’il voulait, par le moyen de sa mère. « Ma femme, disait-il, les Athéniens commandent aux Grecs, moi aux Athéniens, toi à moi, et ton fils à toi : qu’il use donc sobrement d’une puissance qui l’élève, tout fou qu’il est, au-dessus de tous les Grecs. » Caton disait que le peuple romain mettait le prix non-seulement à la pourpre, mais encore aux divers genres d’étude. « Comme les teinturiers, disait-il, donnent plutôt aux étoffes la couleur pourpre, parce qu’elle est la plus recherchée, de même les jeunes gens apprennent et recherchent avec plus d’ardeur ce qui est l’objet de vos louanges. »

« Si c’est par la vertu et la sagesse, disait-il aux Romains, que vous êtes devenus grands, je vous exhorte à ne pas changer pour être pires ; si c’est par l’intempérance et le vice, changez pour devenir meilleurs ; car c’est bien assez avoir grandi par de telles voies. » Il comparait ceux qui briguaient souvent les charges à des hommes qui, ne sachant pas leur chemin, veulent, de peur de s’égarer, ne s’avancer jamais qu’escortés de licteurs. Il blâmait les citoyens de choisir plusieurs fois les mêmes magistrats. « Il faut, disait-il, ou que vous regardiez les fonctions publiques comme bien peu importantes, ou que vous trouviez bien peu de gens capables de les remplir. » Voyant un de ses ennemis mener une vie honteuse et infâme : « C’est une imprécation, et non une prière, que croit faire sa mère, quand elle souhaite de laisser son fils sur la terre après elle. » Il montrait un jour un homme qui avait vendu son patrimoine, situé sur le bord de la mer ; et il disait, feignant de l’admirer : « Cet homme est plus fort que la mer même : ce que la mer ne mine qu’à grand’peine, il l’a englouti en un instant. » Le roi Eumène était venu visiter Rome : le Sénat lui rendit des honneurs extraordinaires ; et les premiers de la ville s’empressaient autour de lui, à l’envi les uns des autres. Caton seul laissait voir ouvertement ses soupçons contre le roi, et évitait sa rencontre : « Pourtant, lui dit quelqu’un, c’est un homme de bien, et fort ami des Romains. — Soit, répondit-il ; mais un roi est par nature un animal vorace ; et aucun des rois les plus vantés n’est digne d’être comparé à Épaminondas, à Périclès, à Thémistocle, à Manius Curius, à Amilcar, surnommé Barca. » — « Mes ennemis, disait-il, me portent envie, parce que je me lève toutes les nuits, et que je néglige mes propres affaires, pour m’occuper de celles de la république. » — « J’aime mieux, disait-il encore, perdre la récompense du bien que j’ai fait, que n’être pas puni si je fais le mal. » — « Je pardonne, disait-il enfin, à toutes les fautes hormis aux miennes. »

Les Romains avaient choisi pour aller en Bithynie trois ambassadeurs ; l’un était goutteux, l’autre avait un vide dans le crâne, par une suite du trépan, et le troisième était tenu pour fou. Caton dit, en plaisantant, que les Romains envoyaient une ambassade qui n’avait ni pieds, ni tête, ni cœur. Scipion, par intérêt pour Polybe, avait intercédé auprès de lui en faveur des bannis d’Achaïe. L’affaire était fort agitée dans le Sénat ; les uns voulaient les renvoyer dans leur patrie, les autres s’y opposaient. Caton se lève et prend la parole : « Il semble, dit-il, que nous n’ayons rien à faire, à rester là une journée entière disputant pour savoir si quelques Grecs décrépits seront enterrés par nos fossoyeurs ou par ceux de l’Achaïe. » Le Sénat décréta le renvoi des Achéens. Polybe, peu de jours après, demanda derechef la permission d’entrer dans le Sénat pour y solliciter le rétablissement des bannis dans les dignités dont ils jouissaient en Achaïe avant leur exil ; et d’abord il voulut sonder les dispositions de Caton. « Tu veux donc, Polybe, dit Caton en riant, rentrer, comme Ulysse, dans l’antre du Cyclope, pour y reprendre ton chapeau et ta ceinture que tu y as oubliés[13]. » Il disait que les sages tirent plus d’instruction des fous, que ceux-ci des sages ; parce que les sages évitent les fautes dans lesquelles tombent les fous, et que les fous n’imitent pas les bons exemples des sages. Il aimait mieux voir rougir que pâlir les jeunes gens ; il ne voulait pas qu’un soldat, en marchant, remuât les mains, ni les pieds en combattant, ni qu’il ronflât plus fort dans son lit qu’il ne criait sur le champ de bataille. Il se moquait d’un homme d’un excessif embonpoint : « À quoi, dit-il, peut servir à la patrie un corps où, du gosier aux aines, tout l’espace est occupé par le ventre ? » Un homme voluptueux voulait se lier avec lui ; Caton s’y refusa : « Je ne saurais, lui dit-il, vivre avec un homme qui a le palais plus sensible que le cœur. »

Il disait que l’âme d’un homme amoureux vivait dans un corps étranger, et que, dans toute sa vie, il ne s’était repenti que de trois choses : la première, d’avoir confié un secret à une femme ; la seconde, d’être allé par eau où il eût pu aller par terre ; la troisième, d’avoir passé un jour entier sans rien faire. « Mon ami, dit-il un jour à un vieillard de mauvaises mœurs, la vieillesse a assez d’autres difformités sans y ajouter celle du vice. » Un tribun du peuple, soupçonné du crime d’empoisonnement, proposait une mauvaise loi, et s’efforçait de la faire passer. « Jeune homme, lui dit Caton, je ne sais lequel est pire, ou de boire ce que tu mixtionnes, ou de ratifier ce que tu écris. » Injurié par un homme qui menait une vie licencieuse et criminelle : « Le combat, lui dit-il, est inégal entre toi et moi ; tu écoutes volontiers les sottises, et tu en dis avec plaisir ; moi, je n’aime pas à en dire, et je n’ai pas l’habitude d’en entendre. »

Tel est le caractère des reparties de Caton.

Nommé consul avec Valérius Flaccus, son ami, il lui échut, par le sort, le gouvernement de l’Espagne que les Romains appellent citérieure[14]. Là, il commençait à soumettre une partie de ces nations par les armes, et il attirait les autres par la persuasion, lorsqu’il fut tout à coup assailli par une nombreuse armée de Barbares, et se vit en danger d’essuyer une défaite honteuse. Il envoya solliciter l’alliance des Celtibériens du voisinage ; et les Celtibériens exigèrent deux cents talents[15] pour salaire du secours qu’il demandait. Tous les autres regardaient comme indigne des Romains d’acheter, à prix d’argent, l’alliance des Barbares. « Il n’y a là, dit Caton, rien de déshonorant : vainqueurs, nous paierons avec l’argent des ennemis, et non avec le nôtre ; si nous sommes défaits, ni ceux dont on exige la somme ne seront plus, ni ceux qui l’exigent. » Il remporta une victoire complète, et tout le reste lui succéda à souhait. Il fit raser, en un seul jour, suivant Polybe, les murailles de toutes les villes qui sont en deçà du fleuve Bétis : elles étaient en grand nombre, et peuplées d’hommes belliqueux. Caton dit lui-même qu’il avait pris en Espagne plus de villes qu’il n’y avait passé de jours ; et ce n’est pas une forfanterie, puisqu’il en avait réellement pris quatre cents. Outre le butin considérable que ses soldats avaient fait dans ces expéditions, il leur distribua par tête une livre pesant d’argent : « Il vaut mieux, dit-il, que beaucoup de Romains s’en retournent avec de l’argent, qu’un petit nombre avec de l’or. » Pour lui, il assure qu’il ne lui était revenu, de tout le butin, que ce qu’il avait bu ou mangé. « Ce n’est pas, disait-il, que je blâme ceux qui profitent de ces occasions pour s’enrichir ; mais j’aime mieux rivaliser de vertu avec les plus gens de bien, que de richesse avec les plus opulents, et d’avidité avec les plus avares. » Il se conserva pur de toute concussion, non-seulement lui-même, mais tous ceux qui dépendaient de lui. Il avait mené avec lui, à l’armée, cinq de ses serviteurs. Un d’eux, nommé Paccus, avait acheté trois jeunes enfants d’entre les prisonniers. Il sut que Caton en était instruit, et se pendit plutôt que de reparaître à sa vue. Caton vendit les enfants, et en rapporta le prix dans le trésor public.

Pendant qu’il était encore en Espagne, le grand Scipion, qui était son ennemi, voulant arrêter ses succès et prendre en main la conduite de cette guerre, vint à bout de se faire nommer son successeur dans le gouvernement de l’Espagne. Il partit avec une diligence extrême, et ôta à Caton le commandement de l’armée. Caton prit pour escorte cinq compagnies de fantassins et cinq cents cavaliers. Il subjugua, chemin faisant, la nation des Lacétaniens[16] et reprit six cents déserteurs, qu’il punit tous de mort. Scipion en ayant fait ses plaintes, Caton lui répondit, d’un ton d’ironie : « Le vrai moyen d’augmenter la grandeur de Rome, c’est que les nobles et les grands ne cèdent point aux citoyens obscurs le prix de la vertu, et que les plébéiens comme je suis, le disputent de vertu avec les citoyens les plus éminents en noblesse et en gloire. » Quoi qu’il en soit, le Sénat décida que rien ne serait changé ni touché de ce qu’avait fait Caton ; de sorte que Scipion, dans ce gouvernement, diminua plutôt sa gloire que celle de Caton ; car il passa tout son temps dans l’inaction et dans un inutile loisir.

Caton, après son triomphe, ne fit pas comme tant d’autres, qui combattent bien moins pour la vertu que pour la gloire, et ne sont pas plutôt parvenus aux honneurs suprêmes, n’ont pas plutôt obtenu des consulats et des triomphes, qu’ils renoncent aux affaires et passent le reste de leurs jours dans les délices et l’oisiveté. Lui, au contraire, il ne relâcha rien de son activité, et persévéra dans l’exercice de la vertu. On eût dit un de ceux qui mettent, pour la première fois, la main aux affaires politiques, et qui sont altérés d’honneurs et de gloire : comme s’il eût commencé une nouvelle carrière, il se montra, plus que jamais, dévoué au service de ses amis et des autres citoyens, et ne refusa ni de les défendre en jugement, ni de les accompagner dans leurs expéditions. Ainsi il suivit, en qualité de lieutenant, le consul Tibérius Sempronius, qui allait faire la guerre en Thrace et sur l’Ister ; il accompagna en Grèce, comme tribun des soldats, le consul Manius Acilius, qui marchait contre Antiochus le Grand, l’ennemi le plus redoutable des Romains, après Annibal.

Antiochus avait conquis d’abord, peu s’en faut, toutes les possessions de Séleucus Nicanor en Asie, et réduit sous son obéissance une foule de nations barbares et belliqueuses. Il avait fini, dans l’ivresse de ses succès, par déclarer la guerre aux Romains, comme aux seuls adversaires dignes désormais de se mesurer avec lui. Il donnait à cette guerre le prétexte spécieux d’affranchir les Grecs, lesquels, délivrés tout récemment, par le bienfait des Romains, du joug de Philippe et des Macédoniens, vivaient libres, se gouvernant par leurs propres lois, et n’avaient nul besoin de son aide. Il passa la mer avec une armée. La Grèce s’agita bientôt avec un mouvement tumultueux, et conçut d’orgueilleux desseins, corrompue par les espérances qu’entretenaient les démagogues au nom d’Antiochus. Manius envoya donc des lieutenants dans les villes de la Grèce pour les contenir ; et Titus Flamininus, comme je l’ai dit dans sa Vie[17], calma et ramena sans trouble à leur devoir la plupart des peuples qui penchaient vers la nouveauté. Caton, de son côté, retint les Corinthiens, ceux de Patras et d’Éges, et fit un long séjour à Athènes. On lui attribue un discours qu’il aurait fait en grec au peuple athénien : il y témoignait son admiration pour la vertu de leurs ancêtres ; il vantait la grandeur et la beauté de leur ville, qu’il avait pris plaisir à parcourir. Mais il n’est pas vrai qu’il l’ait prononcé : il ne s’adressa aux Athéniens que par un interprète ; non qu’il ne pût parler très-bien leur langue, mais il était attaché aux coutumes de ses pères, et se moquait de ceux qui s’extasiaient devant les merveilles de la Grèce. Postumius Albinus avait écrit en grec une histoire, dans laquelle il demandait pardon à ses lecteurs pour les fautes de langage qui pouvaient lui échapper. « Il faut, en effet, les lui pardonner, disait Caton en plaisantant, si c’est un décret des Amphictyons qui l’a forcé de se soumettre à cette besogne. » On dit que les Athéniens admirèrent la précision et la vivacité du style de Caton ; car il avait dit en peu de mots ce que l’interprète rendit par un long circuit de paroles ; et qu’enfin, après l’avoir entendu, ils restèrent persuadés que les paroles sortaient aux Grecs du bout des lèvres, et aux Romains du fond du cœur.

Antiochus s’était emparé du défilé des Thermopyles et avait ajouté aux fortifications naturelles du lieu des retranchements et des murailles. Aussi se tenait-il en repos, persuadé qu’il avait, de ce côté-là, fermé tout accès aux Romains ; et les Romains désespéraient absolument de forcer de front le passage. Mais Caton, s’étant souvenu du détour qu’avaient pris autrefois les Perses pour entrer par là dans la Grèce[18], partit de nuit avec une portion de l’armée. Quand on arriva au sommet de la montagne, le prisonnier qui servait de guide se trompa de chemin, et s’égara dans des lieux inaccessibles et remplis de précipices. Les soldats étaient dans la frayeur et le désespoir. Caton, qui voyait toute la grandeur du péril, commande aux troupes de s’arrêter et de l’attendre. Il prend avec lui un certain Lucius Mallius, homme très-leste à gravir les montagnes, et monte, avec autant de danger que de peine, par une nuit sans lune, et par une obscurité profonde, à travers des oliviers sauvages et de vastes rochers, qui arrêtaient la vue et empêchaient de rien distinguer. Ils arrivent enfin à un sentier étroit qui leur paraît conduire au bas de la montagne du côté du camp des ennemis. Ils placent des signaux sur des pointes de rochers visibles de loin, et qui dominaient le mont Callidromus ; puis ils retournent en arrière, et vont rejoindre le gros de l’armée. Tous ensemble ils s’avancent, guidés par les signaux, et gagnent le petit sentier, où ils s’engagent en bon ordre.

Ils avaient fait quelques pas à peine, lorsque, le sentier leur manquant, ils ne virent plus devant eux qu’un vaste gouffre. La frayeur les saisit de nouveau, et les jeta dans une cruelle incertitude : ils ignoraient, ils ne se doutaient même pas qu’ils fussent près des ennemis. Le jour commençait à poindre, lorsqu’un d’entre eux crut entendre du bruit, et, un instant après, voir le camp des Grecs et leurs gardes avancées, au-dessous du précipice. Caton arrête l’armée à cet endroit, et envoie dire aux Firmianiens[19] de venir seuls le trouver ; car il avait toujours trouvé en eux une fidélité parfaite et une grande ardeur. Ils accourent aussitôt, et se rangent autour de lui : « Je voudrais, leur dit-il, prendre un des ennemis en vie, pour savoir de lui quelles sont ces gardes avancées, quel est leur nombre, la disposition et l’ordre de toute l’armée, et les préparatifs avec lesquels ils nous attendent. Il faut, pour exécuter cet enlèvement, de la célérité, l’audace de lions se jetant sans armes sur des animaux timides. » Sur l’ordre de Caton, les Firmianiens s’élancent, tels qu’ils sont, du haut des montagnes, fondent à l’improviste sur les premières gardes, les chargent, les dispersent, et enlèvent un soldat tout armé qu’ils mènent à Caton. Il apprend de cet homme que le gros de l’armée est campé, avec le roi, dans les défilés et que les hauteurs sont gardées par six cents Étoliens d’élite.

Caton, méprisant leur petit nombre et leur sécurité, ordonne aux trompettes de sonner, et s’élance en avant, l’épée à la main, et poussant le cri de guerre. Dès qu’ils voient les Romains descendre des montagnes, ils prennent la fuite, gagnent le camp du roi, et jettent partout le trouble et l’épouvante. Cependant Manius, du pied des montagnes, donne l’assaut, avec toutes ses troupes, aux retranchements d’Antiochus, et force le passage. Antiochus, blessé à la bouche d’un coup de pierre qui lui brise les dents, cède à la douleur et tourne bride. Aucune partie de son armée n’ose plus tenir tête aux Romains ; et, malgré la difficulté de la fuite dans des lieux escarpés, presque impraticables, environnés de marais profonds et de rochers à pic, ils se jettent dans ces détroits, se poussant les uns les autres, et, pour éviter les blessures et le fer des ennemis, courant à une mort inévitable.

Caton, comme il me paraît, n’était pas homme à jamais se refuser des louanges à lui-même ; il regardait la jactance personnelle comme une suite naturelle des grandes actions : aussi relève-t-il les exploits de cette journée avec une extrême emphase. Il dit que ceux qui l’avaient vu alors poursuivre et frapper les ennemis avaient avoué que Caton devait moins au peuple romain que le peuple romain à Caton ; que le consul Manius, encore tout bouillant de sa victoire, l’ayant embrassé, échauffé qu’il était lui-même du combat, le tint longtemps serré entre ses bras, et s’écria, dans un transport de joie : « Ni moi, ni le peuple romain nous ne pourrons jamais égaler nos récompenses aux services de Caton ! »

Aussitôt après le combat, il fut envoyé lui-même à Rome pour y porter la nouvelle du succès. Sa traversée fut heureuse jusqu’à Brundusium ; de là il se rendit en un jour à Tarente, d’où, après quatre jours de marche, il arriva à Rome, le cinquième jour depuis son débarquement. La nouvelle de cette victoire n’y était point encore parvenue. Il remplit la ville de joie et de sacrifices ; il fit concevoir au peuple une haute opinion de lui-même, et Rome se crut assez forte pour conquérir l’empire de la terre et de la mer.

Telles sont, à peu près, entre les actions militaires de Caton, celles qui ont le plus illustré sa mémoire. Quant au gouvernement civil, on remarque qu’il n’y avait rien à ses yeux qui méritât plus d’exercer son zèle que la dénonciation et la poursuite des méchants. Il se porta plusieurs fois accusateur ; il seconda d’autres accusateurs dans leurs poursuites, et en suscita même quelques-uns, entre autres Pétilius contre Scipion. Mais Scipion, confiant dans la noblesse de sa maison et dans sa propre grandeur, foulait aux pieds les accusations ; et Caton ne put venir à bout de le faire condamner à mort. Il se désista de cette poursuite ; mais il se joignit aux accusateurs de Lucius, frère de Scipion, qu’il fit condamner à une forte amende envers le public. Lucius, hors d’état de la payer, se vit en danger d’être jeté en prison, et ne se sauva qu’à grand’peine, par un appel aux tribuns.

Un jeune homme avait fait noter d’infamie un ennemi de son père mort depuis peu, et traversait, après le jugement, la place publique. Caton vint à sa rencontre, et lui dit en l’embrassant : « Voilà les offrandes funèbres dignes des mânes d’un père : ce n’est pas le sang des agneaux et des chevreaux qu’il faut faire couler, mais les larmes de ses ennemis condamnés. »

Au reste, il ne fut pas lui-même, durant sa carrière politique, à l’abri des accusations : dès qu’il donnait la moindre prise à ses ennemis, il était traduit en justice, et réduit à se défendre. Il fut, dit-on, accusé près de cinquante fois ; et, à la dernière, il avait quatre-vingt-six ans[20]. Ce fut dans cette occasion qu’il prononça ce mot devenu fameux : « Il est pénible devoir à rendre compte de sa vie à des hommes d’un autre siècle que celui où l’on a vécu. » Et ce ne fut pas même là le terme de ses luttes : quatre ans après, il accusa Sergius Galba, étant âgé de quatre-vingt-dix ans[21]. Ainsi il vécut, comme Nestor, presque trois âges d’homme, et dans une continuelle activité. Il avait été, ainsi qu’il a été dit, souvent en dispute avec le grand Scipion sur les affaires du gouvernement ; et il vivait encore au temps du jeune Scipion, petit-fils adoptif du premier, et fils de ce Paul Émile qui vainquit Persée et les Macédoniens.

Dix ans après son consulat, Caton brigua la censure. Cette magistrature est comme le faîte de tous les honneurs, et la perfection, en quelque sorte, de toutes les dignités de la république : entre autres pouvoirs considérables dont elle dispose, se trouve surtout le droit de rechercher la vie et les mœurs des citoyens ; car les Romains ne croyaient pas qu’on dût laisser à chaque particulier la liberté de se marier, d’avoir des enfants, de choisir un genre de vie, de faire des festins, suivant son désir et sa fantaisie, et sans être soumis à aucun jugement ni à aucun contrôle. Persuadés que c’est dans les actions privées, bien plus que dans la conduite publique et politique, que se manifestent les inclinations d’un homme, ils choisissaient deux magistrats chargés de veiller sur les mœurs, de les réformer et de les corriger, et d’empêcher que personne ne se laissât entraîner à la volupté, et n’abandonnât les institutions nationales et les usages antiques, ils prenaient l’un dans le corps des patriciens, l’autre parmi le peuple, et leur donnaient le nom de censeurs. Ces magistrats avaient le droit d’enlever à un citoyen son cheval ; de chasser du Sénat tout sénateur qui menait une vie honteuse et déréglée ; ils faisaient aussi l’estimation des biens des citoyens, et distinguaient, d’après le cens, leurs rangs dans l’État et leurs fonctions diverses. Cette charge a encore d’autres prérogatives considérables.

Aussi la candidature de Caton rencontra-t-elle généralement dans les premiers et les plus distingués d’entre les sénateurs d’ardents adversaires. Les patriciens s’opposaient à son élection par un sentiment d’envie : c’était, à leurs yeux, un affront pour la noblesse que des gens d’une naissance obscure parvinssent au plus haut degré d’honneur et de puissance. Certains d’entre eux, qui avaient à se reprocher des mœurs corrompues et la transgression des lois anciennes, redoutaient l’austérité d’un homme qui ne pouvait manquer de se montrer dur et inexorable dans l’exercice de son autorité. Ils réunirent donc leurs forces et leurs intrigues, et opposèrent à Caton sept compétiteurs ; et ceux-ci flattaient le peuple de belles espérances, comptant qu’il ne demandait qu’à être gouverné avec mollesse et suivant son bon plaisir. Caton, au contraire, loin de s’abaisser à aucune complaisance, menaçait ouvertement tous les méchants du haut de la tribune. « L’État, criait-il, a besoin d’une grande épuration. Choisissez, citoyens, si vous êtes sages, non le plus doux, mais le plus sévère des médecins. Ce médecin, c’est moi ; et, parmi les patriciens, un seul homme, Valérius Flaccus. À nous deux nous emploierons le fer et le feu pour détruire, comme une nouvelle hydre, le luxe et la mollesse ; et nous ferons le bien de la république. Tous les autres ne s’efforcent de parvenir à la censure qu’avec le projet de s’y mal conduire, que parce qu’ils craignent ceux qui l’exerceraient avec justice. » Le peuple romain, dans cette occasion, se montra véritablement grand et digne d’avoir de grands magistrats pour le gouverner ; car, loin de redouter la roideur et l’inflexibilité de Caton, il rejeta ces compétiteurs si doux, et qui paraissaient si disposés à complaire à tous ses désirs. Il élut Flaccus avec Caton, déférant, eût-on dit, non point à la sollicitation d’un candidat, mais au commandement d’un homme en possession déjà de la puissance et du droit d’ordonner.

Caton nomma sénateur Lucius Valérius Flaccus, son collègue et son ami ; il chassa du corps plusieurs sénateurs, entre autres Lucius Quintius, qui avait été consul sept ans auparavant ; et, titre de gloire plus grand encore que le consulat, Lucius était frère de Titus Flamininus, vainqueur de Philippe, roi de Macédoine. Voici quelle fut la cause de cette flétrissure. Lucius avait chez lui un jeune homme d’une grande beauté, qui ne le quittait jamais. Ce que Lucius, à l’armée, prodiguait d’honneurs et d’autorité à ses plus intimes amis et à ses proches même, n’était rien au prix de l’ascendant de ce favori. Or, Lucius gouvernait une province consulaire ; le jeune homme, dans un banquet, était placé à table auprès de lui, selon sa coutume, et lui tenait de ces discours flatteurs qui avaient toujours un grand pouvoir sur l’esprit du personnage, surtout lorsqu’il était dans le vin. « Je t’aime à ce point, dit-il ensuite, que j’ai laissé, pour courir à toi, un spectacle de gladiateurs, quoique je n’en eusse jamais vu encore, et malgré mon désir de voir égorger un homme. — N’aie point de regret à ce plaisir, lui dit Lucius, pour répondre à la flatterie ; je t’en dédommagerai. » Il commande qu’on amène dans la salle du banquet un des criminels condamnés à mort, et qu’on fasse venir le licteur avec sa hache. Eux entrés, il demande à son favori s’il veut voir donner le coup. « Oui, dit le jeune homme ; » et Lucius ordonne au licteur de trancher la tête au condamné. Tel est le récit de la plupart des historiens ; et Cicéron, dans le dialogue sur la Vieillesse, le fait raconter ainsi par Caton lui-même[22]. Tite-Live dit que la victime fut un transfuge gaulois, et que ce ne fut pas le licteur qui le tua, mais Lucius de sa propre main ; que tel était le récit consigné par Caton dans son discours.

Lucius donc ayant été chassé du Sénat, son frère Titus Flamininus, vivement affecté de cet affront, eut recours au peuple, et demanda que Caton déclarât publiquement le motif de l’expulsion. Caton s’expliqua : il raconta ce qui s’était passé dans le festin ; et, Lucius ayant nié le fait, Caton lui déféra le serment. Lucius refusa, et demeura convaincu publiquement d’avoir mérité sa punition. Mais, un jour qu’il y avait des jeux au théâtre, Lucius traversa les places réservées aux consulaires, et alla s’asseoir beaucoup plus loin. Le peuple, touché de son humiliation, se mit à crier qu’il revint, et le força de reprendre son ancienne place, guérissant, autant qu’il se pouvait faire, et adoucissant l’affront qu’il avait reçu.

Caton chassa aussi du Sénat Manilius, que l’opinion publique désignait pour être consul l’année suivante ; le motif, c’est qu’il avait donné, en plein jour, un baiser à sa femme devant sa fille. « Ma femme, dit-il alors, ne m’a jamais embrassé que lorsqu’il faisait un grand tonnerre. » Et il ajouta en plaisantant : « Je ne suis heureux que lorsque Jupiter tonne. » Mais on soupçonna Caton d’obéir à l’envie quand il ôta le cheval au frère du grand Scipion, à Lucius, un homme qui avait obtenu les honneurs du triomphe : on crut qu’il ne l’avait fait que pour insulter à la mémoire de Scipion l’Africain.

Mais c’est surtout par la réforme du luxe que Caton offensa généralement les citoyens. Il y avait impossibilité à le détruire en l’attaquant de front dans une si grande multitude qui en était infectée : il le prit de biais, et l’attaqua en détail. Il fit estimer les habillements, les voitures, les ornements des femmes avec tous leurs autres meubles ; chacun de ces objets qui valait plus de quinze cents drachmes[23], il le portait à une valeur décuple, et il en réglait la taxe d’après cette estimation. Sur mille as, il en faisait payer trois d’imposition, afin que les riches, se sentant grevés par cette taxe, et qui voyaient les citoyens simples et modestes payer, avec une fortune égale à la leur, beaucoup moins au trésor public, se réformassent d’eux-mêmes. Il encourut donc la haine, et de ceux qui se soumettaient à la taxe pour ne pas renoncer au luxe, et de ceux qui renonçaient au luxe pour s’affranchir de l’impôt. La plupart des hommes croient qu’on leur enlève leurs richesses quand on les empêche de les montrer ; car ils ne les étalent jamais que dans le superflu, et non dans les choses nécessaires. Le philosophe Ariston s’étonnait qu’on regardât comme heureux les hommes qui possèdent le superflu, plutôt que ceux qui ont abondamment le nécessaire et l’utile. Un ami de Scopas le Thessalien lui demandait quelque chose dont il faisait peu d’usage, en lui disant que ce n’était rien de nécessaire ni d’utile. « Mais, dit Scopas, c’est par ces choses inutiles et superflues que je suis heureux et riche. » Tant il est vrai que l’amour de la richesse ne tient point par un lien à aucune de nos affections naturelles, et qu’il s’introduit en nous par l’effet d’une opinion vulgaire, et qui se glisse du dehors !

Cependant Caton méprisait toutes les plaintes, et ne se montrait que plus rigide. Il supprima tous les conduits qui détournaient dans les maisons ou dans les jardins des particuliers l’eau des fontaines publiques. Il renversa et démolit tous les bâtiments qui faisaient saillie sur les rues, diminua le prix des travaux dont l’État faisait les frais, et afferma au taux le plus haut possible le revenu des impôts. Il s’attira, par ces mesures, la haine d’une foule de personnes. Aussi la faction de Titus Flamininus fit-elle casser par le Sénat, comme désavantageux, les baux et marchés qu’il avait faits pour la réparation des temples et des édifices publics ; et les plus audacieux des tribuns, excités par eux, le citèrent devant le peuple, et le firent condamner à une amende de deux talents[24]. On essaya aussi, par tous les moyens, d’empêcher la construction de la basilique qu’il élevait, aux dépens de l’État, dans le Forum, au-dessous du lieu où s’assemblait le Sénat ; mais il acheva son œuvre, et lui donna le nom de basilique Porcia.

Quant au peuple, il approuva magnifiquement, ce semble, la manière dont Caton avait exercé la censure : il lui érigea une statue dans le temple de la Santé, avec une inscription où n’étaient mentionnés ni ses exploits militaires ni son triomphe, et dont voici la traduction littérale : « À l’honneur de Caton, pour avoir relevé, dans sa censure, par de salutaires ordonnances, par des établissements et des institutions sages, la république romaine penchée vers sa ruine, et qui glissait dans la corruption. » Avant qu’on lui dressât cette statue, il se moquait de ceux qui désiraient ces sortes d’honneurs. « Ils ne voient pas, disait-il, que ce qui les rend si fiers n’est qu’un ouvrage de fondeurs et de peintres ; pour moi, mes concitoyens portent partout avec eux empreintes dans leur âme les plus belles images de moi-même. » Et, à quelques personnes qui s’étonnaient qu’on ne lui eût pas érigé de statue, tandis que tant de gens obscurs en avaient : « J’aime mieux, leur dit-il, qu’on demande pourquoi je n’ai pas de statue, que si on demandait pourquoi j’en ai une. » En un mot, il ne voulait pas même qu’un bon citoyen souffrît une louange qui ne témoignerait pas de services rendus au public.

C’était cependant l’homme qui se louait le plus lui-même ; au point que, lorsque les citoyens avaient fait des fautes dans leur conduite, et qu’on les en reprenait : « Il faut, disait-il, les excuser ; car ils ne sont pas des Catons. » Voyait-il des gens qui essayaient maladroitement d’imiter quelques-unes de ses actions : « Ce sont, disait-il, des Catons bien gauches. » Il se vantait que, dans les conjonctures critiques, le Sénat tenait les yeux attachés sur lui, comme dans la tempête les passagers sur le pilote ; que plus d’une fois, quand il était absent, on avait remis jusqu’à son retour la décision des affaires les plus importantes. Au reste, c’est un témoignage que d’autres lui rendent : il est certain qu’il s’était acquis dans Rome, par la sagesse de sa conduite, par son éloquence et sa vieillesse, une grande autorité.

Il fut bon père, bon mari, homme entendu à faire profiter son bien, et qui ne croyait pas que le soin de notre avoir fût chose petite ou basse et qu’on dût faire par manière d’acquit. Aussi, ne sera-t-il pas, je crois, hors de propos de dire ici, de sa vie privée, ce qui se rapporte à mon dessein.

Il avait épousé une femme plus noble que riche, persuadé que si la noblesse comme l’opulence inspirait également à une femme l’orgueil et la fierté, une femme d’une naissance illustre aurait du moins plus de honte de ce qui serait malhonnête, et serait plus soumise à son mari dans les choses honnêtes. Un homme qui battait sa femme ou ses enfants portait, selon lui, des mains impies sur ce qu’il y avait de plus saint et sacré au monde. Il estimait plus méritoire d’être bon mari que grand sénateur. Ce qu’il admirait uniquement dans l’antique Socrate, c’était sa douceur et l’inaltérable bonté dont il avait toujours fait preuve avec une femme acariâtre et des enfants emportés. Lorsqu’il eut un fils, jamais affaire, même la plus pressée, à moins qu’il ne s’agît d’un intérêt public, ne l’empêcha d’être auprès de sa femme quand elle lavait et emmaillottait son enfant. Car c’était elle qui le nourrissait de son lait ; souvent même elle donnait le sein aux enfants de ses esclaves, afin qu’ils conçussent, par l’effet de ces soins communs, une affection naturelle pour son fils.

Dès que l’enfant eut atteint l’âge de raison, Caton s’occupa lui-même de l’instruire dans les lettres, quoiqu’il eût un esclave nomme Chilon, qui était habile grammairien, et qui enseignait plusieurs enfants. Il ne voulait pas, comme il le dit lui-même, qu’un esclave réprimandât son fils ou lui tirât les oreilles, pour avoir été trop lent à apprendre, ni que son fils dût à un tel personnage un aussi grand bien que celui de l’éducation. Il fut donc lui-même le maître de grammaire de son fils, son maître de jurisprudence, et son maître d’exercices. Il lui enseigna non-seulement à lancer le javelot, à combattre tout armé, à monter à cheval, mais encore à s’exercer au pugilat, à supporter le froid et le chaud, à traverser à la nage un courant impétueux et rapide. Il lui avait transcrit, de sa propre main, dit-il, des traits d’histoire, et en gros caractère, afin qu’il se pénétrât, dès la maison même, de l’exemple des anciens Romains. Il dit encore qu’il s’abstenait, devant son fils, de toute parole déshonnête avec autant de soin qu’il l’eût fait devant les vierges sacrées qu’on appelle vestales. Il ne se baignait jamais avec lui : c’était alors un usage général à Rome ; et les beaux-pères mêmes se seraient bien gardés de se baigner avec leurs gendres ; ils auraient rougi de se déshabiller et de paraître nus à leurs yeux. Depuis, ils apprirent des Grecs à se baigner nus avec les hommes ; et ils enseignèrent, à leur tour, aux Grecs, à se baigner nus avec des femmes.

C’est ainsi que Caton accomplissait cette noble œuvre, formant et façonnant son fils à la vertu. Le jeune homme montrait, il est vrai, les meilleures dispositions, et répondait, par son application, aux soins de son père ; mais la faiblesse de son corps ne lui permettait pas de grands travaux, et Caton se vit forcé de relâcher un peu de la sévérité et de la rigueur de son éducation. Cependant, malgré cette complexion débile, le jeune Caton montra une grande valeur dans les combats, et se distingua à la bataille que Paul Émile gagna sur le roi Persée[25]. Il y fut blessé au poignet, et son épée sauta du coup, glissant dans sa main en sueur. Affligé de cet accident, il s’adresse à quelques-uns de ses camarades, qu’il prie de l’aider, et retourne avec eux se jeter au milieu des ennemis. Là, il combat si longtemps, il fait de si grands efforts, qu’il parvient à les écarter, et à éclaircir l’endroit où était son épée ; il la trouve enfin sous des monceaux d’armes et de morts, tant amis qu’ennemis. Le général Paul Émile admira fort l’action du jeune homme ; et l’on a encore une lettre de Caton à son fils[26], dans laquelle il loue singulièrement son ardeur et ses efforts pour retrouver son épée. Le jeune homme épousa, dans la suite, Tertia, fille de Paul Émile et sœur de Scipion ; il dut non moins à son propre mérite qu’à la vertu de son père l’honneur de s’allier avec une si noble famille. Tel fut l’heureux succès des soins que Caton avait donnés à l’éducation de son fils.

Il possédait un grand nombre d’esclaves : c’étaient des prisonniers qu’il achetait, choisissant les plus jeunes, et par là les plus faciles à élever et à dresser, comme sont de jeunes chiens ou des poulains. Nul de ses esclaves n’entrait dans une maison étrangère, qu’il n’y fut envoyé par Caton ou par sa femme ; et, toutes les fois qu’on demandait à l’esclave ce que faisait son maître, il ne répondait autre chose sinon : « Je n’en sais rien. » Caton voulait qu’un esclave fût toujours occupé dans la maison, ou qu’il dormît. Il aimait à les voir dormir, parce qu’il les croyait plus maniables après que le sommeil aurait réparé leurs forces, et aussi plus propres à remplir les tâches qu’on leur donnait, que s’ils s’étaient tenus éveillés. Persuadé que rien ne portait plus les esclaves à mal faire que l’amour des plaisirs sensuels, il avait établi que les siens pourraient voir, en certain temps, les servantes de la maison, pour une pièce d’argent qu’il avait fixée, avec défense d’approcher d’aucune autre femme. Dans les commencements, lorsqu’il était encore pauvre et simple soldat, il trouvait bon tout ce qu’on servait sur sa table, et regardait comme une petitesse indigne de quereller un serviteur pour une affaire d’estomac. Plus tard, quand sa fortune se fut augmentée, et qu’il donnait des festins à ses amis et à ses collègues, il fouettait, avec une courroie, aussitôt après le repas, ceux qui avaient servi négligemment, ou mal apprêté quelque mets. Il avait soin d’entretenir toujours parmi ses esclaves des querelles et des divisions ; il se méfiait de leur bonne intelligence, et en craignait les effets. Si l’un d’eux avait commis un crime digne de mort, il le jugeait en présence de tous les autres ; et, s’il était condamné, le faisait mourir devant eux.

Il finit par devenir un peu âpre au gain, et ne vit plus guère dans le labourage qu’un objet d’amusement plutôt qu’une source de revenus : il plaça son argent sur des fonds plus sûrs et moins sujets à varier ; il acheta des étangs, des sources d’eaux chaudes, des lieux appropriés au métier des foulons, des terres fertiles en pâturages et en bois, en un mot des possessions d’un grand rapport, et dont Jupiter, comme il disait lui-même, ne pût diminuer le revenu. Il exerça la plus décriée de toutes les usures, l’usure maritime ; et voici comment il la faisait. Il exigeait que ceux à qui il prêtait son argent se formassent, au nombre de cinquante, en société de commerce, et qu’ils équipassent un pareil nombre de vaisseaux, sur chacun desquels il avait une portion qu’il faisait valoir par Quintion, son affranchi. Quintion s’embarquait avec les autres associés, et prenait part à toutes leurs opérations. Par là, Caton ne risquait pas tout son argent, mais seulement une petite portion, et pour un énorme bénéfice. Il prêtait aussi de l’argent à ses esclaves pour en acheter de jeunes garçons ; et, après les avoir exercés et instruits aux frais de Caton, ceux-ci les revendaient au bout d’un an. Caton en retenait plusieurs, qu’il payait au prix de la plus haute enchère. Et, s’adressant à son fils pour lui recommander ces pratiques : « Il n’est pas d’un homme, dit-il, mais d’une femme veuve de diminuer son patrimoine. » Mais il y a un mot de Caton bien plus caractéristique encore, et qui va bien plus loin : l’homme admirable, l’homme divin et le plus digne de gloire, c’est, suivant lui, celui qui prouve, par ses comptes, qu’il a acquis plus de bien dans sa vie que ne lui en avaient laissé ses pères.

Caton était déjà vieux, lorsque Carnéade, philosophe académique, et Diogène, philosophe stoïcien, vinrent d’Athènes à Rome demander pour les Athéniens la décharge d’une amende de cinq cents talents[27], à laquelle les Sicyoniens les avaient condamnés par contumace sur la poursuite des habitants d’Oropus. Ils furent à peine arrivés, que tous les jeunes Romains qui avaient pour les lettres un goût un peu prononcé allèrent les voir et les entendre, et s’éprirent d’admiration pour eux. Surtout la grâce de Carnéade, la force de son éloquence, sa réputation, qui n’était pas au-dessous de son talent, et qui avait triomphé d’auditoires composés des Romains les plus distingués et les plus polis, remplirent, comme un souffle impétueux, toute la ville de leur bruit. On disait partout qu’il était venu un Grec d’un savoir merveilleux, qui charmait et attirait tous les esprits, qui inspirait aux jeunes gens un tel amour de la science, qu’ils renonçaient à tout autre plaisir, à toute autre occupation, entraînés par leur enthousiasme pour la philosophie. Tous les Romains en étaient enchantés ; tous voyaient avec plaisir leurs enfants s’appliquer aux lettres grecques, et rechercher la société de ces hommes admirables.

Mais Caton, dès le premier moment, s’affligea de cet amour des lettres qui s’introduisait dans la ville. Il craignait que la jeunesse romaine ne tournât vers cette étude toute son émulation, et ne préférât la gloire de bien dire à celle de bien faire et de se distinguer dans les armes. Mais, lorsque la réputation des philosophes se fut répandue dans toute la ville ; lorsqu’un personnage considérable, Caïus Acilius, leur partisan dévoué, eut obtenu d’interpréter, en présence du Sénat, leurs premiers discours, alors Caton pensa qu’il fallait, sous quelque prétexte spécieux, renvoyer de Rome les philosophes. Il se rendit au Sénat, et reprocha aux magistrats qu’ils retenaient bien longtemps l’ambassade sans donner de réponse. « Ce sont des hommes, dit-il, capables de persuader tout ce qu’ils veulent. Il faut donc connaître au plus tôt de leur affaire, et la décider, afin qu’ils retournent à leurs écoles enseigner les enfants des Grecs, et que les jeunes Romains obéissent, comme auparavant, aux magistrats et aux lois. » Et en cela il agissait, non point, comme quelques-uns l’ont cru, par ressentiment personnel contre Carnéade, mais par opposition décidée à la philosophie, par mépris pour la muse et la discipline grecques, et par amour pour la vertu. En effet, il n’est pas jusqu’à Socrate qu’il ne traite de bavard, d’homme violent, et qui avait entrepris, par les moyens dont il disposait, de se faire le tyran de sa patrie en renversant les coutumes reçues, en entraînant les citoyens dans des opinions contraires aux lois. Il se moquait de l’école d’éloquence qu’avait tenue Isocrate : ses disciples, disait-il, vieillissaient auprès de lui comme s’ils eussent dû exercer leur art et plaider dans les enfers.

Pour dégoûter son fils de l’étude des lettres grecques, il enfle sa voix : ce n’est plus un vieillard qui parle, il fait l’homme inspiré ; il annonce, d’un ton d’oracle, que les Romains perdront leur puissance lorsqu’ils se seront remplis de la science des Grecs : sinistre prédiction dont le temps a fait voir la fausseté ; car c’est lorsque les lettres grecques ont le plus fleuri à Rome que cette ville s’est élevée au plus haut degré de grandeur et de gloire. Mais Caton n’était pas seulement l’ennemi des philosophes grecs ; il tenait aussi pour suspects les Grecs qui exerçaient la médecine. Il avait entendu parler, à ce qu’il paraît, de la réponse d’Hippocrate au roi de Perse, qui lui offrait plusieurs talents s’il consentait à venir près de lui : « Jamais, avait dit le médecin, je ne donnerai mes soins à des Barbares ennemis des Grecs. » C’était là, suivant Caton, un serment commun à tous les médecins ; et il avertissait son fils de les éviter tous également. Il avait composé, dit-il lui-même, un recueil de recettes qui lui servait pour traiter les malades de sa maison, et leur prescrire un régime convenable. Il ne leur imposait jamais une diète sévère ; il les nourrissait d’herbes, de chair de canard, de palombe ou de lièvre : nourriture légère, pensait-il, facile à digérer pour les gens affaiblis, et qui n’avait d’autre inconvénient que de causer la nuit beaucoup de rêves. C’est avec ce traitement et ce régime qu’il assure s’être conservé en santé, lui et tous les siens.

Toutefois, sur ce dernier article, il ne fut pas sans éprouver de tristes désappointements ; car il perdit sa femme et son fils. Pour lui, comme il était d’une complexion bonne et robuste, il résista longtemps ; à ce point que, même vieux, il voyait souvent sa femme, et qu’il contracta, dans ses dernières années, un mariage très-disproportionné pour son âge : voici quelle en fut l’occasion. Après la mort de sa femme, il maria son fils à la fille de Paul Émile, sœur de Scipion ; pour lui, il vivait, pendant son veuvage, avec une jeune esclave qui venait le trouver secrètement. Dans cette petite maison, et avec une bru, on se fut bientôt aperçu du manége. Un jour, la concubine ayant passé d’un air insolent devant la chambre du fils pour aller dans celle du père, le jeune Caton, sans lui rien dire, la regarda d’un œil sévère, et détourna la tête de dégoût. Le vieillard en fut informé, et connut que ce commerce déplaisait à ses enfants. Il ne s’en plaignit point, et ne leur en fit aucun reproche. Mais comme il descendait au Forum, accompagné de ses amis, suivant sa coutume, il adressa la parole à un certain Saloninus, qui avait été un de ses greffiers, et qui marchait à sa suite : « As-tu marié ta fille ? » lui demanda-t-il à haute voix. Cet homme répondit qu’il n’aurait eu garde de la marier sans l’en prévenir. « Hé bien ! reprit Caton, je t’ai trouvé un gendre qui pourra, je crois, te convenir, à moins toutefois que son âge ne te déplaise ; il n’y a rien à reprendre en lui que sa grande vieillesse. » Saloninus dit qu’il s’en rapportait à lui ; qu’il donnerait sa fille à celui que préférait Caton, car elle était sa cliente, et avait besoin de son patronage. Caton, sans différer plus longtemps, lui déclare que c’est pour lui-même qu’il demande la jeune fille. Notre homme, comme on pense bien, fut tout stupéfait d’abord d’une telle proposition : Caton lui semblait hors d’âge de se marier ; et d’ailleurs il se trouvait, lui, fort au-dessous d’une pareille alliance avec une maison honorée du consulat et du triomphe. Mais, quand il vit que Caton parlait sérieusement, il accepta très-volontiers ; et, arrivés qu’ils furent au Forum, ils dressèrent le contrat. Comme on faisait les apprêts de la noce, le fils de Caton prit avec lui plusieurs de ses proches, et alla demander à son père quel sujet de plainte ou de déplaisir il pouvait avoir contre son fils, pour lui amener une marâtre. « À Dieu ne plaise ! mon fils, lui dit Caton d’une voix forte ; je n’ai qu’à me louer de ta conduite ; je ne te reproche rien ; mais je désire laisser après moi plusieurs enfants qui te ressemblent, et à la patrie plusieurs citoyens tels que toi. » On dit que cette réponse avait été faite, bien avant lui, par Pisistrate, le tyran d’Athènes, lorsqu’il donna pour belle-mère à ses fils déjà grands Timonassa d’Argos, dont il eut, dit-on, Iophon et Thessalus.

Il naquit à Caton, de son second mariage, un fils qu’il surnomma Saloninus, du nom de sa mère. Son fils du premier lit mourut étant préteur : Caton en parle souvent dans ses ouvrages comme d’un homme de grand mérite. Il supporta, dit-on, ce malheur avec la modération d’un philosophe, et sans rien perdre de son application aux affaires publiques. Il ne se fit pas de la vieillesse, comme plus tard Lucius Lucullus et Métellus Pius, un prétexte pour renoncer au gouvernement, dont il regardait les fonctions comme un devoir sacré ; il ne suivit pas non plus l’exemple de Scipion l’Africain, qui, découragé par l’envie que lui avait attirée sa gloire, se détourna du peuple, quitta la vie active, et passa le reste de ses jours dans le repos. Quelqu’un avait persuadé à Denys qu’il n’y avait pas de plus belle sépulture que la tyrannie : Caton croyait, lui, qu’il n’y avait rien de plus beau que de vieillir dans les affaires publiques. Pour se distraire de ses travaux et se délasser dans les moments de loisir, il composait des ouvrages, ou cultivait ses champs. Il a écrit des traités sur toutes sortes de sujets, et aussi des livres d’histoire[28].

Dans sa jeunesse, il s’était appliqué à l’agriculture, en vue du profit qu’il en tirait. « Il n’y a, dit-il, que deux moyens d’augmenter son bien : la culture des terres et l’économie. » Devenu vieux, l’agriculture ne fut plus pour lui qu’un objet d’amusement ou de théorie. Il fit un traité des travaux rustiques, où il donne des recettes même pour la préparation des gâteaux et la conserve des fruits ; car il se piquait d’exceller en tout, et d’avoir sur toutes choses des idées à lui. À la campagne, il faisait meilleure chère qu’à Rome : il invitait souvent à souper ses amis du voisinage, et se livrait avec eux à la joie : convive gai et aimable, non-seulement avec les hommes de son âge, mais même avec les jeunes gens ; car, outre son expérience personnelle, il avait vu et entendu dire beaucoup de choses intéressantes, qu’on aimait à lui entendre raconter. La table était, suivant lui, un des meilleurs instruments qui servent à nous faire des amis : il amenait d’ordinaire, dans la conversation, l’éloge des hommes de bien et d’honneur ; jamais un mot sur les méchants et les gens inutiles : Caton ne permettait pas qu’on en parlât à table, ni en bien ni en mal.

Le dernier de ses actes politiques fut, à ce qu’on croit, la ruine de Carthage. À la vérité, le jeune Scipion consomma l’œuvre ; mais c’est par le conseil de Caton, et sur sa proposition, qu’on avait entrepris la guerre ; et voici à quelle occasion. Caton avait été envoyé auprès des Carthaginois et de Massinissa le Numide, qui se faisaient la guerre ; et il était chargé d’examiner les causes de leur différend. Massinissa était de tout temps l’ami du peuple romain ; et les Carthaginois, depuis leur défaite par Scipion, avaient obtenu la paix en se dépouillant de leur empire, et en se soumettant à un lourd tribut. Caton, au lieu de trouver Carthage dans l’état d’affaiblissement et d’humiliation où la croyaient les Romains, la vit peuplée d’une jeunesse florissante, regorgeant de richesses, pourvue de toutes sortes d’armes et de provisions de guerre, et, dans l’orgueil de son opulence, ne formant que d’ambitieux projets. Il jugea que ce n’était pas le temps pour les Romains de discuter et de terminer les querelles des Carthaginois avec Massinissa ; mais qu’il fallait se hâter d’exterminer une ville, éternelle ennemie de Rome, aigrie par un profond ressentiment, et qui avait pris en si peu de temps un accroissement incroyable, ou, sinon, retomber dans les mêmes périls qu’autrefois.

Il retourna donc promptement à Rome, et représenta au Sénat que les défaites et les malheurs des Carthaginois avaient moins épuisé leurs ressources que guéri leur imprudence, et n’avaient fait, peu s’en faut, que les aguerrir, au lieu de briser leur force. « Leurs entreprises contre les Numides sont le prélude de celles qu’ils méditent contre les Romains ; tous les traités de paix qu’on a faits ne sont à leurs yeux que de simples suspensions d’armes, pour attendre une occasion favorable. » On dit qu’en prononçant ces mots Caton laissa tomber des figues de Libye qu’il avait dans le pan de sa robe ; et, comme les sénateurs en admiraient la grosseur et la beauté : « La terre qui les porte, dit-il, n’est qu’à trois journées de navigation loin de Rome. » Une preuve plus forte encore de son acharnement, c’est que, sur quelque affaire qu’il opinât, il ne manquait jamais de conclure par ces mots : « Et je suis d’avis qu’on détruise Carthage. » Au contraire, Publius Scipion, surnommé Nasica, terminait ainsi tous ses discours : « Et je suis d’avis qu’on laisse subsister Carthage. » Il y a toute apparence que Scipion, qui voyait le peuple, livré à la licence, méconnaître, dans l’orgueil de ses succès, l’autorité du Sénat, et entraîner par sa puissance toute la ville dans les divers partis où le poussait son caprice, voulait que la crainte qu’inspirerait Carthage fût comme un frein qui gourmandât l’audace de la multitude ; persuadé que les Carthaginois étaient trop faibles pour assujettir les Romains, mais trop forts pour être méprisés. Pour Caton, il trouvait dangereux que le peuple, avec ses passions échauffées, avec cette excessive puissance qui l’entraînait dans tant d’écarts, eût comme suspendue sur sa tête une ville de tout temps très-puissante, et aujourd’hui devenue sage par les malheurs dont elle avait été châtiée : il fallait donc ôter à Rome, pensait-il, toute crainte extérieure, si l’on voulait efficacement travailler à guérir les maladies intestines. Ce fut ainsi, dit-on, que Caton suscita la troisième et dernière guerre punique. Elle commençait à peine lorsqu’il mourut, après avoir prédit quel serait celui qui la terminerait : ce n’était alors qu’un jeune homme, encore tribun des soldats, mais qui déjà avait montré dans les combats autant de prudence que de courage. Lorsque les nouvelles de ses premiers exploits arrivèrent à Rome, Caton, en les entendant raconter, s’écria :

Il n’y a que lui de sage ; les autres ne sont que des ombres qui passent[29].

Scipion confirma bientôt cette prédiction par des faits.

Caton laissa, de sa seconde femme, un fils surnommé Saloninus, comme je l’ai dit ; et un petit-fils, né du fils qu’il avait perdu. Saloninus mourut étant préteur ; Marcus son fils parvint au consulat, et fut l’aïeul de Caton le philosophe[30], le plus illustre par sa vertu et sa gloire entre les hommes de son temps.


  1. Ce mot vient de l’adjectif catus, sage, adroit, avisé.
  2. Manius Curius avait vaincu les Samnites et les Sabins, et le roi Pyrrhus, les premiers dans l’année 290 avant J.-C., l’autre quinze ans plus tard.
  3. Il avait alors vingt-trois ans.
  4. Nudus ara, sere nudus. (VIRG.)
  5. Environ quatre-vingt-dix francs de notre monnaie.
  6. Environ treize cent cinquante francs.
  7. Autrement Parthénon, temple de Minerve. Voyez la Vie de Périclès dans le premier volume.
  8. Voyez la Vie de Thémistocle dans le premier volume.
  9. Le traité de Caton, de Re rustica, contient toutes ces prescriptions économiques dont Plutarque a parlé plus haut. L’esprit de ce traité est tout entier dans ces paroles : Patrem familias vendacem, non emacem esse oportet.
  10. Voyez dans le Banquet de Platon le témoignage d’Alcibiade sur Socrate.
  11. C’est l’opinion de Cicéron, au moins dans le Brutus.
  12. Voyez la Vie de Thémistocle dans le premier volume.
  13. L’Ulysse d’Homère ne rentre pas dans la caverne. Il est probable, suivant la remarque de Clavier, que Caton fait allusion à quelque pièce bouffonne où Ulysse jouait un rôle un peu ridicule.
  14. C’est l’Espagne en deçà du Bétis, aujourd’hui Guadalquivir.
  15. Environ douze cent mille francs de notre monnaie.
  16. Au pied des Pyrénées, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Catalogne.
  17. Voyez plus loin dans ce volume.
  18. Au temps de l’invasion de Xerxès.
  19. Troupes levées dans Firmum, aujourd’hui Firmo, près d’Ancône.
  20. C’est une erreur. Caton n’a vécu que quatre-vingt-cinq ans. Il n’avait, de l’aveu de Plutarque même, que dix-sept ans à une époque qui concorde avec la bataille de Cannes, 538 de Rome, et il est mort en 605.
  21. Ce qui est vrai, c’est que ce fut la dernière année de sa vie.
  22. De Senect., 12 ; voyez Tite-Live, XXXIX, 42.
  23. Environ treize cent cinquante francs de notre monnaie.
  24. Environ douze mille francs de notre monnaie.
  25. Voyez la Vie de Paul Émile dans ce volume.
  26. Cet écrit est perdu aujourd’hui.
  27. Environ trois millions de notre monnaie.
  28. Il n’en reste presque rien, sauf le de Re rustica.
  29. Odyssée, X, 495.
  30. Caton le jeune ou d’Utique, dont Plutarque a écrit aussi la Vie.