Hachette et Cie (p. 156-166).
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ligué avec les Spartiates ; Pharnabaze eut le titre de général des troupes opposées à Agésilas, mais en effet Conon les commanda, et tout se fit d’après sa volonté. Il embarrassa beaucoup cet excellent capitaine, et souvent fit obstacle à ses plans ; et il est clair que, s’il n’eût pas été dans l’armée, Agésilas aurait enlevé au roi l’Asie jusqu’au mont Taurus. Après que les Spartiates eurent rappelé leur général, parce que les Béotiens et les Athéniens avaient déclaré la guerre à Lacédémone, Conon n’en resta pas moins auprès des généraux du roi, et leur fut à tous très utile.

III. Tissapherne avait abandonné Artaxerxès ; mais ce prince croyait moins que tout autre à sa défection. Par ses grands et nombreux services il avait encore du crédit auprès du roi, alors même qu’il ne restait plus dans le devoir. Il n’est pas étonnant qu’Artaxerxès ne se portât pas facilement à le croire coupable, en se rappelant que c’était par son moyen qu’il avait vaincu son frère Cyrus. Conon, envoyé vers lui par Pharnabaze pour l’accuser, s’adressa d’abord, suivant l’usage des Perses, au chiliarque[1] nommé Tithraustès, officier qui occupait la seconde place de l’empire, et lui exposa qu’il désirait conférer avec le roi : car on n’a point d’audience sans le chiliarque. « Rien ne s’y oppose, lui dit celui-ci ; mais examine si tu aimes mieux lui exposer de vive voix ce que tu as dans l’esprit, ou avoir recours à une lettre. Si tu parais en présence du roi, il est nécessaire que tu te prosternes devant lui. S’il t’en coûte de te soumettre à cet usage, confie-moi ta mission, tu n’en atteindras pas moins sûrement ton but. — Il ne me répugne point, lui répondit Conon, de rendre au roi tous les hommages qui lui sont dus ; mais je crains d’avilir ma patrie, qui est accoutumée à commander aux autres peuples, si je suis plutôt les usages des étrangers que les siens. » Il lui remit donc par écrit ce qu’il voulait.

IV. Le roi, en ayant pris connaissance, fut si ému de son témoignage, qu’il déclara Tissapherne ennemi de l’État, ordonna de poursuivre par les armes les Lacédémoniens, et permit à Conon de choisir qui il voudrait pour trésorier de l’armée. Conon lui dit que ce n’était pas à lui, mais au roi même, qui devait très bien connaître les siens, à faire ce choix ; toutefois il lui conseillait de donner ce soin à Pharnabaze. Après avoir reçu de grands présents, il fut envoyé sur les côtes, pour imposer aux Cypriens, aux Phéniciens et aux autres États maritimes, une réquisition de galères, et pour équiper une flotte avec laquelle il pût garder la mer l’été suivant ; Pharnabaze lui avait été donné pour collègue, comme il l’avait lui-même voulu. Les Lacédémoniens, apprenant cette nouvelle, se disposèrent avec inquiétude à la lutte, parce qu’ils se ,jugeaient menacés d’une plus grande guerre que s’ils n’avaient eu à combattre qu’un barbare. Ils voyaient qu’un général courageux et prudent serait à la tête des forces du roi et savaient qu’ils ne pouvaient avoir sur lui l’avantage de l’habileté ni celui du nombre. Ils rassemblent donc une grande flotte, et partent sous la conduite de Pisandre[2]. Conon, les attaquant près de Cnide, les met en fuite après un rude combat, leur prend plusieurs vaisseaux, et en coule à fond un plus grand nombre. Par cette victoire, non seulement Athènes, mais encore toute la Grèce, qui avait été sous la domination maritime des Spartiates, fut délivrée. Conon revient dans sa patrie avec une partie des vaisseaux, fait rétablir en même temps les murs du Pirée et ceux d’Athènes, ruinés par Lysandre, et donne à ses concitoyens cinquante talents qu’il avait reçus de Pharnabaze.

V. Il arriva à Conon ce qui arrive à tous les hommes, d’être plus inconsidéré dans le bonheur que dans l’adversité. Croyant avoir vengé les injures de sa patrie, après avoir défait la flotte du Péloponnèse, il forma plus de voeux qu’il n’en put réaliser. Cependant ces voeux n’étaient ni impies ni blâmables, puisqu’il aimait mieux augmenter la puissance de sa patrie que celle du roi de Perse. Comme il s’était acquis une grande autorité par cette bataille navale qu’il avait livrée près de Cnide, non seulement parmi les barbares, mais encore parmi tous les peuples de la Grèce, il travailla sourdement à rendre aux Athéniens l’Ionie et l’Éolie. Mais ce dessein ne put être caché avec assez de soin, et Téribaze, qui commandait à Sardes, l’appela auprès de lui, feignant de vouloir lui confier une importante mission auprès du roi. Conon obéit à ce message ; mais en arrivant, il fut jeté dans une prison, où il resta quelque temps. Quelques-uns ont écrit qu’il fut conduit à la cour et qu’il y périt. Mais l’historien Dinon[3] auquel j’ajoute beaucoup de foi sur les affaires des Perses, dit au contraire qu’il s’enfuit. II doute seulement si ce fut au su de Téribaze ou à son insu.

  1. On appelait chiliarque, chez les Grecs, un officier qui commandait un corps de mille hommes. L'officier Persan dont Cornélius Népos parle ici était sans doute un chef de la garde du palais.
  2. Pisandre était le beau-frère du roi Agésilas.
  3. Dinon vivait du temps du roi Artaxerxès-Ochus. Il avait écrit une histoire de Perse. Cet ouvrage a été perdu.