Vie et mémoires de Marie Wollstonecraft Godwin/Texte

(non attribué en page de titre)
Vie et mémoires de Marie Wollstonecraft Godwin, auteur de la « Défense des droits de la femme », d’une « Réponse à Edmond Burck », des « Pensées sur l’éducation des filles »
Traduction par anonyme (Citoyen D*****n).
Testu, Fuchs, Desenne, Le Prieur, Petit (p. 1-156).
VIE
ET MÉMOIRES
DE MARIE
WOLLSTONECRAFT GODWIN.

Un esprit ardent, une imagination vive, une noble ambition et un mépris prononcé pour les opinions reçues, qualités qui caractérisent les productions de l’auteur de la Défense des droits de la Femme, se réunissent pour leur donner le plus haut dégré d’intérêt que relèvent encore quelques événemens d’un genre extraordinaire, liés avec les circonstances de la vie de cette femme célèbre. La considération qui accompagne toujours une grande réputation littéraire, donne quelquefois à ceux qui savent la mériter, une prérogative qui leur devient dangereuse. L’attention se ranime, la curiosité se réveille, leurs opinions sont assujetties à un scrutin que viennent former les passions les plus nobles comme les plus viles ; tandis que d’un côté, par des motifs d’affection particulière ou par l’enthousiasme aveugle d’une fausse admiration, leurs qualités fournissent la matière d’un panégyrique exagéré ; de l’autre, les erreurs ou les faiblesses auxquelles ils sont sujets comme les autres hommes, ou les excès, qui sont plus particulièrement l’effet d’un caractère impétueux, sont détaillés, tour-à-tour, répandus avec malignité, amplifiés par l’envie, dénaturés par le préjugé, et accueillis avec admiration, par le vulgaire de tous les rangs, les gens intéressés, les ignorans et les méchans.

Les personnes douées d’un génie supérieur, le sont probablement aussi d’un grand degré de sensibilité, et par conséquent des passions les plus vives, qui les entraînent trop souvent dans des écarts. Difficilement les âmes fortes savent céder au frein de l’autorité ; l’esprit d’entreprise, la fureur des expériences, une honorable curiosité, les forcent à sortir de la route commune, à rechercher des sentiers inconnus, à franchir les limites de la prescription, et à acquérir la sagesse par une expérience individuelle.

Les réflexions que l’on vient de faire n’ont rien d’étranger au sujet qui va être traité, et dans lequel on pourra remarquer toutes les nuances qui distinguent une âme forte. Si par la vivacité de ses sensations, la promptitude de ses jugemens et de ses décisions, elle tira quelquefois de fausses conséquences, elle a expié ses erreurs par des souffrances capables, non-seulement, de désarmer la sévérité la plus inflexible, mais encore de la forcer au plus vif attendrissement. Il ne faut pas se dissimuler que si les excès de certaines vertus empiètent sur les limites du vice, au moins ce genre de vice a-t-il une source louable. Ceux qui, doués d’un tempérament plus calme, suivent toujours un même sentier, sans dévier ni à droite ni à gauche, sont déjà dédommagés par la certitude de réussir dans leur course ordinaire ; mais c’est aux génies entreprenans à qui l’impétuosité des passions et une force irrésistible font franchir toutes les bornes, sans égard pour les usages consacrés, que les grands changements et les améliorations survenus dans l’ordre social, doivent leur origine. Si, enivrés d’admiration pour les grands projets qu’enfante leur imagination, ils tombent un moment dans l’extravagance, et perdent de vue la nature de l’homme, leurs raisonnemens peuvent se rectifier par l’expérience et la reconnaissance de la postérité, les dédommager des déclamations intéressées de leurs contemporains.

Chercher à étendre les limites de l’entendement humain est une louable ambition. Les efforts de la femme extraordinaire, dont nous allons parcourir la vie, tendaient à l’émancipation de son sexe, qu’elle considérait comme tombé dans un état de dégradation, se glorifiant de sa faiblesse, abandonnant, sans murmurer, le droit de pouvoir rien faire de raisonnable, et incapable de discuter, (pour me servir de l’expression énergique de cette femme célèbre) tout autre sujet que celui de la passion par laquelle il se laisse abrutir.

Marie, fille d’Edward-Jean, et d’Elizabeth Wollstonecraft, naquit en 1739, le 27 avril ; sa mère était de la famille des Dixons, de Ballyshannon, en Irlande ; son grand-père, du côté paternel, était manufacturier à Spitalfields ; on suppose que son père en hérita d’une fortune considérable. Trois garçons et trois filles, dont Marie était la seconde, composaient la famille de M. Wollstonecraft. Il ne paraît pas que M. Wollstonecraft, qui, à l’époque de la naissance de sa fille, tenait une ferme, située dans la forêt d’Epping, ait occupé aucun emploi. On ignore aussi si Marie reçut le jour à Londres ou dans la forêt où elle passa les cinq premières années de sa vie.

Marie Wollstonecraft annonça de bonne heure une imagination féconde, et ces nobles élans de l’âme, qui produisirent dans la suite les évènemens extraordinaires dont abonde sa vie. Il est possible que la contrainte et la sévérité qu’on dit qu’elle eut à éprouver de la part d’un père capricieux et d’humeur violente, aient pu contribuer à éveiller en elle cet esprit de résistance et cette indignation extrême pour l’injustice et l’oppression qu’elle manifestait déjà d’une manière bien prononcée dans sa plus tendre jeunesse. L’expérience nous démontre que dans le monde moral, comme dans le monde physique, le mal est souvent lié avec le bien. La souffrance et la contrariété, lorsqu’elles ne passent pas certaines limites, ont un pouvoir aiguillonnant ; cependant ce sont des maux, et ce serait trop hasarder que de conclure que l’on n’eût pas obtenu les mêmes fins par l’adoption de moyens moins violents. Celui qui a étudié à fond le cœur humain, doit savoir faire mouvoir les ressorts les plus délicats. La terreur et la force sont de bien faibles freins à opposer à l’émulation ainsi qu’à l’amour.

À mesure que Marie Wollstonecraft avançait en âge, son esprit se mûrissait ; il la mettait au-dessus des petites vexations attachées à son enfance, et lui procurait, par son ascendant, une prépondérance extrême dans sa famille. Tandis que son influence et son interposition servaient à affranchir sa mère des effets du caractère emporté de son père, elle semblait leur commander un sentiment d’affection et de respect : se croyant obligée d’allier une forte constitution physique à la fermeté d’esprit qu’elle possédait déjà dans son enfance, elle partageait tous les amusements et les exercices de ses frères, en sorte qu’elle acquit un tempérament très robuste.

En 1768 M. Wollstonecraft quitta la forêt pour venir occuper une ferme, située prés de Beverly en Yorkshire, où il passa six ans avec sa famille. Durant cet intervalle, sa fille fréquenta une école du voisinage. Nous ignorons quels avantages elle tira de l’instruction qu’elle y reçut. De Beverly, M. Wollstonecraft se retira dans une maison, située à Hoxton, près de Londres, dans le dessein de se livrer au commerce ; Marie venait alors d’atteindre sa seizième année. À cette époque elle fit la connaissance d’un nommé M. Glare, son proche voisin, ecclésiastique doué d’un jugement sain et délicat, mais d’un caractère bizarre ; elle passait souvent avec lui des journées entières, et quelquefois même des semaines ; il avait des manières aimables, de la complaisance, malgré sa singularité, et il prit soin de cultiver l’esprit de notre jeune héroïne.

Sous les auspices de M. Clare, Marie fut présentée à une jeune personne de son sexe, mistriss Françoise Blood, qui résidait au village de Newington, et pour laquelle, dès leur première entrevue, (où Françoise, entourée des plus jeunes personnes de sa famille, lui parut extraordinairement intéressante) elle conçut un sentiment d’amitié qui décélait bien l’ardeur de son caractère. Françoise Blood, plus âgée de deux ans que Marie, réunissait toutes les qualités qui subjuguent le cœur et qui intéressent l’esprit ; elles eurent l’une pour l’autre une tendre affection, et entretinrent une correspondance soutenue, dans laquelle l’émulation de la plus jeune de ces deux amies, avide de connaissances, trouva un puissant aiguillon. Françoise, qui avait beaucoup plus d’acquit et d’expérience, lui offrit le secours de ses conseils, et Marie l’accepta avec un plaisir mêlé d’une modeste reconnaissance.

M. Wollstonecraft, doué d’un naturel inconstant, ayant voulu se retirer à une ferme, située dans la province de Galles, au printemps de 1776, sa fille, à qui Françoise avait inspiré la plus étroite et la plus tendre affection, ne se résigna qu’avec douleur à la quitter.

Dans cette nouvelle retraite, la famille Wollstonecraft forma une liaison intime avec celle de M. Allen, dont les deux filles furent mariées depuis aux deux fils aînés du célèbre Josial Wedgewood. Après avoir à peine demeuré un an dans cette province, M. Wollstonecraft revint encore près de Londres, et à la pressante sollicitation de sa fille, qui brûlait du désir d’être réunie à son amie, il fixa son séjour à Walworth. L’amour de l’indépendance caractérisait essentiellement Marie Wollstonecraft ; elle méditait en secret le projet d’abandonner le toit paternel et de se suffire à elle-même ; mais les larmes et les prières de sa mère la forcèrent à l’oublier pour quelque temps. Un dessein si conforme à l’intrépidité de son caractère, ne pouvait pourtant pas s’évanouir entièrement : l’exécution n’en fut que différée. Dans le courant de 1778, on lui proposa de demeurer en qualité de dame de compagnie auprès d’une certaine veuve, (mistriss Dawson) demeurant à Bath ; elle s’empressa d’accepter cette place, malgré les informations qu’elle avait reçues sur l’humeur singulière de cette dame. Dans cette nouvelle situation, elle ne tarda pas à captiver l’amitié de sa protectrice, et à lui commander un degré de confiance et de considération que l’on acquiert difficilement dans le genre de charge auquel elle s’était résignée.

Après avoir passé deux années avec mistriss Dawson, elle fut rappelée au sein de sa famille, qui vivait alors à Enfield, par le dépérissement de la santé de sa mère à qui elle prodigua les soins les plus tendres et les plus assidus pendant une maladie de langueur à laquelle elle succomba. Marie, fort affligée de ce funeste événement, quitta décidément sa famille, sentant sa santé s’altérer par la fatigue et les chagrins, et elle fixa sa résidence, auprès de son amie, à Walthamgreen, près le village de Fulham. Ce rapprochement rendit leur mutuel attachement plus vif et plus indissoluble. Nous ignorons quels étaient alors ses moyens d’existence ; mais il est à présumer qu’elle sut, par son génie, se garantir d’être à charge à son amie. Deux ans après la perte d’une mère chérie, elle eut encore la douleur de voir une de ses sœurs mariée, tomber, par suite d’une couche très-laborieuse, dans un état de mélancolie qui dégénéra bientôt en une maladie de langueur.

Pendant les moments qu’elle consacra à soigner sa sœur, Marie Wollstonecraft, qui venait alors d’entrer dans sa vingt-quatrième année, eut le tems de faire de sérieuses réflexions ; outre son plan favori d’assurer son indépendance personnelle, sa bienveillance lui suggéra de méditer des projets plus vastes et plus difficiles. Les affaires de son père se dérangeant insensiblement tous les jours, étaient enfin devenues sans ressource, et la dot de ses filles s’était trouvée entraînée dans sa ruine. D’accord avec son amie et ses sœurs, elle forma en conséquence le plan d’ouvrir une école dans le village d’Ilsington, et le mit bientôt à exécution. Dans l’espace de quelques mois elles jugèrent à propos de transférer cet établissement à Neuwington-Green.

Chaque changement de scène produisait sur son esprit des conséquences importantes ; quelques liaisons précieuses qu’elle eut occasion de former dans sa nouvelle résidence, contribuèrent beaucoup à fixer ses vues futures et son caractère. Parmi les gens les plus distingués d’entre ceux qu’elle fréquentait, était le docteur Richard Price, (également célèbre par ses vertus et ses talents) pour qui elle conçut le plus haut dégré de respect et d’amitié, et aux enseignemens publics duquel elle assistait de tems en tems. Les principes de religion de Marie étaient conformes à l’élévation de son caractère ; elle croyait à l’existence d’un Être infiniment supérieur à toutes les choses créées ; elle l’adorait dans le temple de l’univers, au milieu des beautés de la nature, dont elle le reconnaissait le sublime auteur ; son imagination le lui présentant comme un être doué d’une pureté sans tache et d’une bonté sans borne ; elle s’humiliait devant lui avec un cœur tranquille.

À cette époque, elle captiva aussi l’amitié de mistriss Burgh, veuve de l’auteur des Recherches Politiques, et elle se lia avec le révérend John Hewlett, ecclésiastique anglais. Étant aussi parvenue à être présentée au docteur Jonhson, elle reçut de lui l’accueil le plus affable et le plus distingué ; mais une cruelle maladie qui vint l’enlever lui laissa bientôt à regretter de n’avoir pu cultiver plus longtemps, comme elle se l’était proposé, la connaissance de cet homme extraordinaire.

La santé de son amie Françoise Blood commençait à s’altérer ; c’était l’effet d’une trop grande facilité à se livrer au chagrin, et déjà quelques symptômes de consomption s’annonçaient ; les médecins lui conseillèrent de prendre l’air des pays méridionaux, dans l’espoir qu’elle s’en trouverait bien. Au commencement de 1785, elle se rendit à Lisbonne où elle consentit à accepter la main de M. Hugues Skeys de Dublin, (alors résidant en Portugal) qui déjà, depuis quelque temps, lui rendait ses hommages.

Mistriss Skeys, dont la santé avait peu gagné à ce voyage, étant devenu enceinte peu de tems après son mariage, la tendre sollicitude de Marie Wollstonecraft la porta à quitter, pour quelque tems, son école, et à se soumettre à une infinité de désagrémens pour aller en Portugal porter à son amie des consolations et lui prodiguer ses soins. Mistriss Burgh la mit à même d’exécuter ce pieux dessein en lui fournissant les moyens pécuniaires dont elle était dépourvue. Quelque temps après son arrivée à Lisbonne, mistriss Skeys accoucha avant terme, et le résultat de ce funeste accident fut la mort plus funeste encore de la mère et de l’enfant.

Durant le séjour de Marie en Portugal, le cercle de ses observations s’étant aggrandi, son esprit actif trouva bien des sujets de réflexions que lui fournirent particulièrement l’influence du despotisme qui règne sur ce pays, et les pernicieux effets de la superstition la plus aveugle.

À son passage en Angleterre, vers la fin de décembre, une nouvelle occasion d’exercer son humanité s’offrit à elle ; un vaisseau français, en danger de couler à fond et dépourvu de provision, implora le secours du capitaine du bâtiment sur lequel elle était embarquée ; il fallut ses représentations pleines de générosité pour décider celui-ci à accorder à ces malheureux l’assistance qu’ils sollicitaient.

Étant arrivée dans son pays natal, elle ne tarda pas à voir échouer le succès qu’elle s’était promis de son école ; on dit pourtant qu’elle réunissait toutes les qualités propres à l’éducation ; elle savait captiver l’amitié de ses élèves, les maintenir dans une discipline sévère, féconder les bonnes dispositions qu’ils décelaient, et avait grand soin d’encourager leurs succès par des récompenses. Contrariée jusques-là dans ses vues, et brûlant du désir de satisfaire la bienveillance de son cœur en procurant des secours pécuniaires à quelques parens de sa défunte amie, elle fut tentée de suivre le conseil que lui donna un gentilhomme (M. Hewlett), qui lui portait la plus haute estime, et qui, pénétré de l’opinion la plus avantageuse sur les talens dont elle était douée, lui suggéra l’idée de s’occuper de quelqu’ouvrage de littérature en lui insinuant qu’elle y trouverait beaucoup de bénéfice. Conformément à cet avis, elle composa un ouvrage, intitulé : « Pensées sur l’éducation des filles ». M. Jonhson, libraire, lui en paya le manuscrit dix guinées qu’elle employa aussitôt à l’usage qu’elle s’était proposé.

Dégoûtée des désagrémens qu’elle avait éprouvés dans son établissement d’instruction publique, elle se détermina à abandonner son école et à accepter pour le présent la proposition qui lui fut faite de venir demeurer dans la famille du lord vicomte de Kingsborough, prince d’Irlande, en qualité de gouvernante de ses filles ; elle n’avait pas abandonné pour cela son plan chéri d’indépendance ; mais en acceptant ce nouvel emploi, son but était de se ménager une somme d’argent pour pouvoir parer à tous les événemens, si elle venait à être trompée dans sa plus chère attente ; elle dut cette place à l’entremise du révérend M. Prior, un des professeurs d’Eton, chez lequel elle demeura quelque tems après qu’elle eut quitté son école ; elle passa un peu plus d’une année dans la maison du lord Kingsborough ; elle y sut, par la bonté de son jugement et ses manières affables, se concilier l’estime et l’affection des parens et des enfans. Elle rendit bientôt inutiles, par son extrême ascendant, certaines réserves qu’on avait imposées à ces jeunes personnes avant qu’elle eut entrepris le soin de leur éducation ; elle savait leur inspirer une douce confiance, et trouvait dans leur docilité et dans leur affection le prix de ses soins ; une étroite liaison se forma particulièrement entre la fille aînée du lord Singsborough (qui devint depuis comtesse de Mont-Cashel), et sa gouvernante, et une correspondance active la cimenta par la suite ; l’élévation de ses talens et le charme de sa conversation, lui procurèrent, pendant son séjour en Irlande, beaucoup de connaissances distinguées.

Dans l’été de 1787, elle se rendit avec le lord Kingsborough et ses demoiselles, à Bristol, avec l’intention de visiter le continent ; mais ce projet échoua ; alors Marie, qui devait être de cette partie, rompit ses engagemens avec le père de ses élèves, pour mettre à exécution un plan qu’elle méditait depuis longtems[1] : elle composa à Bristol son petit volume intitulé : « Marie, etc. », roman qui présente le tableau intéressant des sentimens et du caractère de l’auteur, et renferme particulièrement des détails sur sa liaison avec Françoise Blood. Une imagination vive, une sensibilité extrême et des pensées hardies et originales caractérisent essentiellement cette production.

Ayant quitté Bristol, et de retour dans la métropole, elle alla chez son libraire ; d’après l’accueil encourageant qu’elle reçut de lui, elle lui fit part de ses projets, et le pria de l’aider à les mettre à exécution : profitant de l’invitation amicale qu’il lui fit, elle passa chez lui plusieurs semaines et s’en alla à l’époque de la Saint-Michel en 1787, demeurer à George Street, sur le côté de Black Friasbridge où M. Jonhson avait eu l’attention de lui faire disposer un appartement. Alors, elle entreprit avec ardeur sa carrière littéraire ; elle relut son roman qui n’avait pas encore été imprimé, et composa presqu’entièrement un conte oriental intitulé : « la Profondeur de l’imagination », qu’elle ne termina pas ; à cette époque, elle mit aussi au jour un petit ouvrage intitulé : « Histoire originale de la vie réelle », à l’usage des enfans. D’après les conseils de son libraire, elle s’adonna à l’étude des langues Française, Italienne et Allemande, dans le dessein de prendre le titre de traductrice ; lorsqu’elle crut les posséder suffisamment, elle traduisit en partie « le nouveau Robinson », du français, mais elle fut prévenue avant de l’avoir achevé. Elle fit aussi un abrégé « du jeune Grandisson », traduit du hollandais, et à l’imitation de Dr. Enfields Speaker, « le Lecteur Femelle ». Il ne paraît pas que ce genre d’occupation lui ait procuré la consolation qu’elle en avait attendue. Son imagination était bien en action, mais elle était privée du charme d’une étroite amitié dont son cœur alors languissant sentait le besoin impérieux ; elle regrettait les liaisons de sa jeunesse, l’amie sincère dont elle avait fermé la paupière. Ses affections détournées de leurs objets primitifs restaient anéanties : avec un esprit cultivé, une imagination richement ornée, un goût passionné pour les productions de la nature et une soif ardente des douceurs de la société, elle se résignait à la plus triste solitude.

Marie Wollstonecraft fut engagée à travailler à la Revue Analytique imaginée par M. Jonhson, vers le milieu de 1788 ; elle s’occupa aussi de traduire du français un ouvrage de M. Necker, sur l’Importance des Opinions Religieuses, et en outre un abrégé de la même langue de la Phisiologie de Lavater[2], et mit au jour les Élémens de morale de Salzmaim, ouvrage traduit de l’allemand en trois volumes in-12 ; il en résulta, entre elle et l’auteur, une correspondance intéressante, et cet auteur, en considération des soins qu’elle avait pris de traduire son ouvrage, traduisit en allemand « la Défense des droits de la femme ». Ces différentes occupations remplirent un espace de trois années environ, depuis l’automne de 1787, jusqu’à celui de 1790.

Le dégoût et l’ennui qu’on dit qu’elle éprouva pendant l’intervalle de cette étude solitaire doivent être attribués au genre purement mécanique de ses occupations qui étaient peu propres à intéresser un esprit ardent. Elle employait rigoureusement à des œuvres de bienfaisance, une partie considérable du produit de ses ouvrages ; elle cherchait à distraire ses peines en s’occupant de faire le bien des autres ; ses frères, ses sœurs, chacun de ses parens se ressentait de ses générosités. Elle entreprit la direction des affaires de son père qu’elle fut bientôt obligée d’abandonner après avoir fait de vains efforts pour les rétablir, et pendant plusieurs années, cet homme infortuné dut sa principale existence, aux productions de sa fille ; elle s’était de plus chargée de l’entretien d’un enfant d’une de ses amies qu’elle avait perdue. On ne peut se défendre de s’arrêter ici pour payer à cette admirable femme le tribut de respect dû au courage et aux vertus qu’elle manifesta, dans des circonstances trop critiques, pour qu’on croie à propos de les mettre sous les yeux du lecteur ; car il faut aux femmes un grand dégré d’énergie et de persévérance, pour vaincre les obstacles qu’elles peuvent rencontrer, lorsqu’elles sont réduites à se procurer leur existence ; le genre d’éducation qu’elles reçoivent n’est guère propre à leur donner cette force d’âme. Dans ses instants de loisir, Marie goûtait un délassement agréable dans la société de gens de lettres qui se réunissaient chez son généreux ami M. Jonhson ; du nombre des gens estimables qu’elle y voyait, et qu’on peut citer comme des personnes dont elle appréciait infiniment l’amitié, se trouvaient feu M. Georges Anderson, M. Bonnycastle, le mathématicien, M. Fuséli, peintre, et le docteur George Fordyce.

Quoique les travaux littéraires de Marie Wollstonecraft, lui valussent quelque argent, ils n’avaient point encore un degré d’intérêt digne de l’attention du public ; ses talens jusques-là restés ignorés étaient au moment de se développer, et le feu de son génie prêt à s’élancer. La rigide abnégation d’elle-même ; l’économie et l’état de solitude auxquels elle s’était résignée, avaient donné à son caractère naturellement ardent, une teinture d’enthousiasme ; ses vives sensations fomentées dans la retraite étaient devenues des passions ; la société savante qu’elle voyait de tems en tems, était propre à éveiller son émulation, à former son jugement et à donner ce qui s’appelle un ton mâle à ses idées.

La révolution française, dans son principe l’objet de l’admiration et de l’étonnement de l’Europe, devenait une époque mémorable dans le monde politique.

Les sentimens de morale naturelle de Marie Wollstonecraft la portèrent à embrasser la cause de la liberté avec l’enthousiasme qui appartenait à son caractère : la publication des réflexions de M. Burke, sur la révolution française en novembre 1790, échauffèrent l’ardeur politique que les nouveaux évènemens venaient d’allumer en elle, et elle combattit par un torrent de raisonnemens impétueux et d’indignation énergique, les argumens de ce célèbre défenseur des gouvernemens despotiques. Accoutumée à une composition rapide, son ouvrage fut la première de toutes les réponses auxquelles donna lieu cette monstrueuse production ; il mérita à son auteur les plus grands applaudissemens.

Concevant une juste confiance en ses talens qu’augmentait sans doute le succès qui venait de les couronner, elle s’essaya sur un sujet qui la touchait encore de plus près, sujet qu’elle avait vivement senti, sur lequel elle avait profondément médité, que son sexe, sa situation, toutes les circonstances de sa vie, l’avaient irrésistiblement conduite à traiter, une Défense des Droits de la Femme. Il est peu de situations dans lesquelles une femme, dont l’esprit a été cultivé, n’ait pas lieu d’observer et de déplorer l’esclavage systématique, les désavantages particuliers, civils et sociaux, auxquels son sexe est assujetti, même dans la classe de la société la plus civilisée ; et pourquoi ? par la nature seule de son sexe. Il eût été difficile de persuader à une femme, pénétrée comme Marie, de sa supériorité sur la majeure partie des hommes avec lesquels elle vivait, que la nature a placé entre eux, sous le rapport des connaissances intellectuelles, une barrière inséparable : elle serait tentée de rappeler à de tels dissertateurs la réponse faite à ce philosophe qui contestait l’existence du mouvement, lorsque son adversaire se leva avec gravité et marcha devant lui.

Il n’eût guères été étonnant que l’avocat intrépide de la liberté, et l’antagoniste de Burke, fût en pareille circonstance, entraîné dans l’arêne, et eût proposé le défi à ses arrogans oppresseurs, et que transporté d’un noble enthousiasme, il eût réfuté l’existence d’un caractère sexuel.

Elle passe en revue l’état actuel de la moitié de la race humaine, démontrant et exposant avec un ton d’éloquence dégagée de passions, les moyens divers et les artifices par lesquels la femme a été réduite sous le joug. Comment, laissant usurper ses droits par la flatterie, elle s’est elle-même condamnée à un esclavage éternel. En parcourant et en commentant les opinions et les préceptes de ces écrivains, qui ayant scrupuleusement approfondi la nature du sexe féminin, avaient cru trouver les moyens de le perfectionner, elle s’efforce avec adresse de dévoiler leurs vues bornées, leurs préjugés voluptueux, leurs raisonnemens en contradiction, et leurs intentions intéressées quoiqu’impolitiques. Il est à propos d’ajouter que les principes de cet ouvrage célèbre sont contenus dans le traité de Catherine Macauley, sur l’éducation. On peut aussi observer ici qu’on doit les progrès de la civilisation et des connaissances aux soins que l’on a pris dans la suite de cultiver l’esprit des femmes et aux privilèges qu’on leur a accordés dans la société.

Une production si hardie et si animée excita l’attention et donna lieu aux discussions ; les préjugés en furent heurtés, la vanité blessée, l’intérêt effrayé, et l’indolence réveillée : cependant au milieu de la force de l’opposition, des clameurs de l’ignorance, des chicanes de la superstition, elle jeta un germe qui promettait une moisson riche et abondante, lorsque la fermentation serait appaisée. Le ton mâle dégénérant quelquefois en rudesse, qui caractérise cet ouvrage, s’adoucit en quelques endroits, et est orné d’une délicatesse extrême de sentimens qui touche le cœur et captive l’imagination. Comme composition il annonce beaucoup de force et d’énergie dans les idées, mais il faut avouer qu’il est défectueux sous le rapport de l’ordre et de la précision : son style, quoique souvent riche et plein de feu, est quelquefois enflé et généralement incorrect. Il est à regretter que l’intention qu’avait témoigné l’auteur de revoir son ouvrage et de remédier à ses défauts dans une nouvelle édition, ait d’abord été différée dans l’exécution, et qu’elle soit en définitif demeurée sans effet. On doit peut-être attribuer ces fautes à la rapidité qu’elle mit à le composer et à le livrer à l’impression, car nous savons pertinemment qu’elle n’employa, pour l’achever entièrement, qu’un intervalle de six semaines ; il serait inutile de s’étendre sur l’imprudence et l’impolitique d’une telle précipitation (quels que soient les talens de l’écrivain) ; on avait fait espérer au public la seconde partie de cette œuvre, mais on n’en a trouvé que de faibles matériaux parmi les papiers de l’auteur après sa mort.

En septembre 1791, Marie Wollstonecraft quitta l’appartement qu’elle occupait, pour aller habiter dans store-street, Bedfort-Square. Cette époque de sa vie paraît avoir été marquée par des chagrins causés par un amour malheureux qui arrêta pendant quelque tems les progrès de son génie, troubla le calme dont elle jouissait, et la força enfin à rompre la chaîne de ses idées par un changement total de situation et d’objets. C’est dans le calme de la retraite seulement et chez les âmes énergiques que les fortes passions prennent naissance ; les grandes contrariétés ne tendent qu’à les alimenter et à leur donner plus de force. L’illusion trompeuse à laquelle céda alors Marie Wollstonecraft, ne s’opère jamais que sur les âmes très susceptibles ; son attrait leur est toujours dangereux et souvent fatal.

Le tendre cœur de cette femme admirable brûlait de goûter ces douces affections pour lesquelles il semblait être formé ; l’état d’épouse et de mère aurait été capable de calmer ces sensations qui la consumaient, et changeaient en elle les inclinations naturelles et salutaires d’une âme neuve en une source amère de douleurs ; des sentimens de cette nature sont difficiles à rendre ; c’est en de pareilles occasions que le langage humain paraît petit et faible ; la description en devient inutile au petit nombre de ceux qui les conçoivent, et ce serait les profaner que d’entreprendre de les dépeindre à ceux qui ne les éprouvent pas. « Cette passion romanesque qui est la compagne inséparable du génie… qui peut donc se flatter de la rendre durable ? Peu proportionnée aux faibles jouissances de la vie, elle n’est vraie que pour le sentiment et s’entretient par lui. Les passions qui ont été célèbres par leur durée, ont toujours été infortunées ; elles ont acquis de la force par l’absence et une constitution mélancolique : c’est l’imagination qui a voltigé autour d’un modèle de beauté aperçu dans l’épaisseur de l’obscurité[3] ».

Dans le courant de 1792, Marie quitta l’Angleterre pour venir en France, dans le dessein, (ainsi qu’elle le témoignait à un de ses amis la veille de son départ) « de perdre au sein du bonheur public l’idée de ses malheurs privés ». Elle s’était simplement proposé un voyage de quelques semaines ; mais elle prolongea pendant plus de deux ans son séjour à Paris. Pendant sa résidence dans store-street, son ardeur littéraire avait paru s’être ralentie ; elle ne composa guères que quelques articles pour la Revue Analytique.

Il arrive rarement qu’un changement de séjour apporte quelque soulagement aux peines de l’âme : la bête fauve que le chasseur a percée emporte dans ses flancs la flêche brisée.

M. Filfietaz, dans la maison duquel Marie avait été invitée de descendre, et chez qui elle se rendit à son arrivée à Paris, était absent à cette époque. Seule dans un pays étranger, peu familiarisée avec ses coutumes et son langage, éloignée de ces objets intéressans qui se lient avec l’idée de la patrie, et sevrée précipitamment de ses plus chères habitudes et de ses affections les plus intimes, une langueur funeste s’empara de son esprit, et l’état de mélancolie de son âme s’identifia, pour ainsi dire, avec tous les objets qui s’offrirent à sa vue. Dans cette conjoncture, elle commença un recueil d’observations en lettres, sur le caractère de la nation française qu’elle n’acheva pas. Une de ces lettres a paru dans ses ouvrages posthumes.

Elle y renouvela connaissance à Paris, avec Thomas Paine, qu’elle avait vu autrefois à Londres, et elle trouva dans la liaison intime qu’elle forma avec Hélène-Marie Williams, alors résidante en France, une ressource consolante. Pourvue de lettres de recommandation pour plusieurs maisons des plus respectables, elle parvint à se lier avec plusieurs des chefs de la révolution française, et plus particulièrement avec le parti Brissotin auquel elle se montra particulièrement dévouée. Différentes circonstances qu’elle se rappelait toujours avec regret l’empêchèrent d’être présentée à madame Roland, l’héroïne des Girondins… Il n’y a pas à douter que si ces deux femmes extraordinaires se fussent rencontrées dans le monde, elles n’eussent éprouvé cette sympatie qui naît naturellement de la conformité des sentimens et des talens.

Ce fut dans la maison de M. Thomas Christie, auteur d’un volume sur la révolution française, quatre mois après son arrivée à Paris, en 1792, qu’elle fit la connaissance de M. Gilbert Imlay, natif de l’Amérique septentrionale. Cette liaison eut des suites importantes sur le reste de sa vie et sur son caractère ; elle ne put se défendre pour ce gentilhomme du sentiment le plus tendre et le plus vif. La raison et le devoir n’eurent que de bien faibles armes à opposer à cette passion, dont la douceur enivrait tellement son cœur qu’elle se transforma bientôt en une union qui, sans être revêtue des formes usitées, avait à ses yeux toute la force et la sainteté d’un lien conjugal. Quelle qu’ait été sa manière de penser au sujet du mariage tel qu’il se pratique dans les contrées Européennes, où la femme renonçant à son indépendance et à son existence civile, devient la propriété entière de son mari, elle semble par la conduite qu’elle tint à cette époque, avoir agi contradictoirement avec ses raisonnemens. M. Imlay n’était pas à beaucoup près favorisé de la fortune, et les sacrifices continuels que Marie avait faits pour venir au secours de sa famille, avaient épuisé presque toutes ses économies, en sorte que, par des considérations plus généreuses que sages, elle ne voulut pas faire partager à l’homme qu’elle avait jugé digne de son cœur, l’état de gêne où elle se trouvait ; les âmes fortes font des convenances et de la moralité deux questions séparables ; elle n’ignorait pas le blâme qu’elle encourait, ni les dangers infinis auxquels elle s’exposait ; elle avait le courage de mépriser l’un et trop d’inexpérience et trop peu de défiance, comme la suite l’a prouvé, pour se mettre suffisamment en garde contre les autres. Il n’existe aucun exemple d’une pareille conjoncture ; l’épreuve qu’avait à subir Marie Wollstonecraft était pénible ; il n’est guères probable qu’une autre femme, douée des mêmes ressources, de la même fermeté, eût pu résister à une crise pareille ; et pour l’honneur de l’humanité, quel que soit l’état de corruption de la société, nous aimons à penser que jamais on ne récompensa si mal une conduite dirigée d’après des motifs aussi généreux. Il est peu de règles qui soient tellement générales, qu’elles n’admettent quelques exceptions. L’esprit de Marie n’était pas organisé comme celui du commun de son sexe ; on convient qu’elle erra quelquefois dans ses jugemens, et c’est ce qui est à regretter ; mais il est bon aussi de ne pas perdre de vue la situation du pays qu’elle habitait alors. Nous la recommandons, à cet égard, à l’indulgence de nos lecteurs, dans cette partie de son histoire. Son cœur était formé pour les charmes de la vie domestique ; il se livrait à l’espoir d’en goûter les douceurs.

« Fatiguée durant ma jeunesse, (disait-elle, dans une lettre qu’elle adressait à son amant) par les efforts les plus pénibles, pour obtenir mon indépendance, autant que pour me rendre utile, non-seulement je ne pus goûter le plaisir pour lequel j’avais le goût le plus vif, (j’entends parler des plaisirs purs qui ont leur source dans l’affection et la tendresse) mais encore la perspective de l’existence la plus triste s’offrit seule à moi. Depuis que je vous connais, j’ai essayé de revenir à mon premier goût, et je me suis laissé emporter par le charme irrésistible d’une jouissance qui ne reçoit son influence que du cœur ».

Et dans une autre circonstance, elle lui écrivait ainsi : « Il vous serait difficile d’imaginer avec quel plaisir j’aspire au moment où nous commencerons à vivre ensemble, et si vous connaissiez les différens plans d’occupation que je dresse dans ma tête, aujourd’hui que j’ai la certitude que mon cœur a trouvé la paix dans votre sein, vous ne pourriez vous empêcher de rire. Chérissez-moi avec cette tendresse généreuse que j’ai trouvée en vous seul, et votre chère fille essayera de dompter cette vivacité d’esprit qui vous a quelquefois causé de la peine. Oui, je veux être bonne, afin de mériter d’être heureuse ; et tant que vous m’aimerez, je ne saurais retomber dans la situation déplorable qui me faisait trouver la vie un fardeau si pesant, qu’il me semblait presque insupportable ».

Dans une autre lettre elle lui dit :

« Le souvenir te livre entièrement mon cœur ; mais ce n’est pas à cause de ta figure séduisante, quoique je ne puisse me représenter sans plaisir ta contenance décente : je la vois s’adoucir par la tendresse, mes caprices l’offusquent un moment ; tes yeux où se peint une douce sympathie sont attachés sur les miens ; je repose ma joue sur la tienne, et j’oublie, dans cet instant de délices, tout l’univers… L’imagination a répandu sur mes joues le vif incarnat de l’amour, car je les sens en feu, tandis qu’une larme délicieuse tremble dans mon œil, qui serait toujours tourné vers toi seul, si un sentiment de gratitude le portant vers le père de la nature, qui m’a fait vivre ainsi pour le bonheur, ne lui donnait pas droit à mes premières affections.

» Je viens de faire partir une lettre ; cependant, comme le capitaine *** m’offre de se charger de mes dépêches, je ne veux pas le laisser partir sans lui remettre un mot ; vous écrire est un délassement si agréable ! s’il ne produit aucun effet sur mon esprit, il calme au moins ma douleur : vous-même, malgré tous les efforts que vous faites pour conserver un caractère impassible, peut-être ne pouvez vous défendre des mêmes mouvemens de sensibilité… Ne cherchez point à les combattre, car j’aime à les voir briller sur vos traits ; d’ailleurs, ce genre de sympathie est l’âme de l’affection, et pourquoi chercherions-nous à tarir ces sources de plaisir qui coulent pour répandre une douce fraîcheur sur des jours obscurcis par le chagrin » !

Une autre lettre était ainsi conçue :

« Je viens de recevoir votre lettre aimable et pleine de bon sens ; je voudrais bien pouvoir cacher ma figure où se peint la honte à l’idée de ma folie… Je voudrais la cacher dans votre sein, si vous vouliez me l’ouvrir encore, et rester étroitement serrée contre vous, jusqu’à ce que vous rendiez le calme à mon cœur agité, en me disant que vous me pardonnez. C’est dans la plus humble attitude, et les yeux baignés de larmes, que je vous en supplie. Ne vous éloignez pas de moi, car je vous aime avec sincérité, et j’ai bien gémi depuis la nuit où vous m’avez cruellement affligée en me laissant à penser que vous n’aviez aucune confiance en moi…

« Il est tems que je devienne raisonnable ; je me perdrais entièrement si je cédais davantage à ces caprices de sensibilité, car j’ai été très-incommodée ces jours derniers ; et rien que l’idée d’avoir estropié et peut-être causé la mort à l’être que je portais dans mon sein, m’a donné bien de la sollicitude, et a augmenté mon mal ; aujourd’hui que je le sens s’agiter, mes entrailles ont éprouvé une si terrible secousse, que mon estomac refuse tous les alimens que je lui présente.

» Croiriez-vous que le pauvre innocent dort tranquillement ? Je suis disposée à vous faire autant de questions que l’Homme aux quarante Écus de Voltaire. Ah ! cessez d’être fâché contre moi… Vous vous apercevez que le sourire est prêt à m’échapper à travers mes larmes. Vous avez soulagé mon cœur, et mes esprits glacés vont renaître à la joie.

» Je crains de vous avoir importuné, mon cher ami,… je connais la vivacité de votre caractère… Laissez-moi vous assurer, dans toute la sincérité de mon cœur, qu’il n’est rien que je ne consentisse à souffrir pour opérer votre bonheur. Le mien dépend absolument de vous, et lorsque ma raison n’est pas obscurcie, je regarde comme la plus douce félicité que je puisse goûter sur la terre le plaisir de vous connaître. Quel tableau vous avez esquissé de notre attitude auprès du feu ! oui, mon ami, mon imagination s’est aussitôt réveillée, et j’ai trouvé ma tête sur votre épaule tandis que mes yeux se fixaient sur les petites créatures que vous teniez sur vos genoux. Je ne saurais déterminer absolument s’ils étaient six.

» Par votre tendresse et votre mérite vous avez enchaîné mon cœur plus fortement que je ne l’eusse cru possible… Laissez-moi jouir de la douce pensée que j’ai étendu quelques cartilages pour m’attacher à l’ormeau dont je désire l’appui… Ce langage est nouveau pour moi ! mais comme je ne suis pas une plante parasite, je désire de votre part un retour à l’affection que je vous porte.

» Croyez-moi, ô mon sage ami, vous ne savez pas apprécier tout le pouvoir de l’imagination… Je pourrais vous prouver qu’elle est la mère du sentiment, l’apanage distinctif de notre nature… Les animaux ont une portion de raison et des sens aussi fins au moins que les nôtres ; mais on ne remarque dans leurs actions aucuns signes d’imagination… L’impulsion des sens, des passions, et les conclusions de la raison rapprochent les hommes ;… mais l’imagination est le véritable feu émané du ciel ; elle anime cette froide créature d’argile, et produit ces mouvemens sublimes qui inspirent l’enthousiasme, et qui rendent les hommes sociables par la communication et le développement de leurs pensées ».

Ceux qui auront été incapables de sentir la finesse du pinceau qui caractérise les extraits qu’on vient de mettre sous les yeux, perdraient leur temps à parcourir une narration qu’il ne leur est pas donné de comprendre. Ce n’est pas au tribunal de leur jugement qu’on peut en appeler sur des sentimens tels que ceux qu’on vient de peindre.

Marie W. fut forcée de renoncer au projet qu’elle avait formé de visiter la Suisse, par le changement survenu dans sa situation ; elle fixa sa résidence à Neuilly, prés de Paris, où elle occupa, dans la maison d’un jardinier, un appartement agréablement situé dans le milieu de son jardin. Pendant cette retraite, elle projeta et exécuta en partie un examen moral et historique de la révolution française, dont un seul volume a été publié. Par des motifs de délicatesse, son commerce avec M. Imlay, sur l’honneur et la tendresse duquel elle ne formait aucun doute, avait été jusque-là tenu secret ; mais au bout de quatre mois ils furent obligés de le divulguer, à cause du décret de la Convention nationale, touchant l’incarcération des Anglais ; elle semblait ne douter nullement de l’indissolubilité du lien qui l’unissait à M. Imlay, avec qui elle se proposait d’aller s’établir en Amérique. À raison du danger qui la menaçait alors comme anglaise, on jugea nécessaire de lui faire prendre le nom d’Imlay et de la faire passer pour la femme d’un américain ; elle obtint à cet effet un certificat de l’ambassadeur des États-Unis. Ayant ainsi rendu public l’aveu de leur attachement, ils jugèrent à propos de venir s’établir à Paris, et de demeurer sous le même toit.

Sa vie, jusqu’à cette époque, n’avait été qu’un tissu d’embarras, de chagrins et de contrariétés que son extrême sensibilité lui avait rendu encore plus pénibles. Le dégré de malheur doit être apprécié plutôt d’après la susceptibilité de celui qui l’éprouve, que d’après l’importance apparente de l’événement qui le cause. Il existe des êtres, (pour me servir de l’expression de l’écrivain[4], dont les mémoires ont fourni les principaux matériaux de l’ouvrage présent) « doués de la sensibilité la plus rare et la plus délicieuse, dont les âmes semblent d’une contexture trop délicate pour combattre les vicissitudes de la vie humaine, pour qui le plaisir est un transport et la peine une agonie indescriptible ».

Tel paraît avoir été le caractère de cette femme singulière ; elle donna alors un libre cours à ses affections qu’elle avait été longtemps obligée de couvrir d’un voile mystérieux, et qui avaient acquis une nouvelle force par la contrainte. Son âme ingénue, étrangère à la défiance avait encore à acquérir une triste expérience de la corruption du genre-humain. Sa confiance, sa tendresse n’avaient pas de bornes.

Jouissant de la plus profonde tranquillité, elle voyait arriver, avec une joie prématurée, l’époque où, aux douces affections d’épouse, elle allait unir celles de mère ; son cœur tressaillait, ses chagrins passés s’effaçaient de sa mémoire, ou, si elle se les rappelait, c’était pour sentir plus vivement le prix de la nouvelle félicité qu’elle goûtait.

Cette illusion de bonheur s’évanouit bientôt par l’absence de M. Imlay, qui, s’étant livré à des spéculations, fut obligé de s’éloigner de Paris, dans le mois de septembre suivant, pour aller surveiller l’embarquement de ses marchandises au Hâvre-de-Grace. Elle fut livrée de nouveau à la solitude ; en proie à ses sensations naturelles, des inquiétudes de tout genre s’emparèrent de son âme, en voyant s’écouler rapidement les semaines et les mois sans lui amener celui dont la tendresse faisait tout le charme de ses jours.

Le caractère féroce et sanguinaire que prit à cette époque le gouvernement français servit à accroître ses peines, malgré tous les efforts qu’elle faisait pour n’y pas succomber. L’exécution de Brissot, de Vergniaud et de vingt autres députés lui inspira la plus violente indignation. En janvier 1794, n’ayant encore aucune certitude du retour de M. Imlay, elle résolut de quitter Paris, devenu, sous la domination de Robespierre, un théâtre de sang, et d’aller le rejoindre au Hâvre. Depuis le mois de janvier jusqu’en septembre, elle goûta un nouvel intervalle de bonheur domestique, pendant lequel elle mit au monde une fille, à qui elle donna le nom de Françoise, en mémoire de l’amie de sa jeunesse.

Au mois de septembre M. Imlay quitta le Hâvre pour aller à Londres. Suivant son désir, Marie retourna à Paris. La mort de Robespierre ayant mis fin aux proscriptions qui avaient souillé la révolution du sang des citoyens les plus estimables ; M. Imlay avait promis de venir la rejoindre dans l’espace de deux mois. Cette espérance qui adoucissait pour elle la peine de l’absence fut déçue ; elle redevint en proie aux inquiétudes ; les soupçons, les conjectures pénibles remplacèrent le calme dont elle jouissait ; son âme navrée flottait continuellement entre l’alternative de l’espoir et de la crainte, situation insupportable pour un caractère ardent. Son esprit s’affaiblissait, sa santé s’altérait, ses forces se consumaient jusqu’à ce qu’enfin le désespoir s’empara de son cœur. Elle s’efforça, pendant un temps, de s’imposer la loi de repousser les soupçons trop bien fondés qui se présentaient en foule à son esprit, pour s’éviter une rétractation pénible et offensante sur le jugement qu’elle avait porté d’un homme, dans la constance duquel elle avait fondé ses plus douces espérances pour l’avenir, rétractation qu’un cœur sensible n’admet point sans douleur. L’édifice de bonheur parfait que son imagination s’était plu à construire, chancelait sur ses fondemens et menaçait d’entraîner dans sa chute ses plans les plus chers. Les extraits suivants des lettres publiées dans ses ouvrages posthumes, offrent une idée bien touchante de l’état où se trouvait alors son âme.

« Pendant quelques jours, mon tendre ami, j’ai été bien agitée par la crainte… Je vous attendais à tout moment… Et j’appris que plusieurs vaisseaux avaient été jetés sur le rivage par la dernière bourrasque… Mais, Dieu merci, je reçois votre lettre… Et je vois que vos jours sont en sûreté, peu m’importe alors que vos entreprises aient été sans succès…

. . . . . . . . . . . . . . .

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« Dès qu’il vous sera possible, retournez auprès de moi quand vous aurez arrangé toutes les affaires qui vous tourmentent… J’ai besoin d’avoir la certitude que vous n’êtes point en danger, et que vous n’êtes séparé de moi que par une mer que l’on peut traverser en un moment ; car me trouvant plus heureuse que je ne l’eusse jamais osé espérer, vous ne devez pas vous étonner que je conserve cependant encore la crainte que le sort n’ait pas épuisé sur moi tous ses coups. Viens près de moi, cher ami, toi, mon époux, toi, le père de mon enfant ! ces doux noms sont gravés en ce moment en traits de feu dans mon cœur et s’offrent à mes yeux.

» Sans toi le monde me paraît un désert… En ce moment même je me livre aux tristes pensées qui ont voltigé autour de mon âme ces jours derniers, et qui se sont offertes encore à moi dans mes songes.

» Restez, mon ami, tant que cela sera absolument nécessaire… Je ne veux pas vous donner un nom plus doux, quoiqu’il puisse enivrer mon cœur, à moins que vous ne veniez dès que la situation de vos affaires actuelles le permettra… Je m’oppose à ce que vous entrepreniez un autre voyage, ou bien ma petite fille et moi nous vous suivrons partout. Mais comme je préférerais devoir tout ce que je désire de vous à votre affection, et que je puis ajouter, à votre raison, (car ce désir immodéré des richesses, qui fait que vous différez tant à revenir est contraire à vos principes) je ne vous importunerai plus à ce sujet… Je me borne à vous dire qu’il me tarde de vous voir… et cessant de vous gronder, je serais offensée plutôt qu’attristée, si vous différiez davantage votre retour sans un motif plausible. Ayant éprouvé tant de peines dans le cours de ma vie, ne soyez pas surpris que quelquefois, quand je suis livrée à moi-même, je devienne sombre, et que je suppose que tout le bonheur que j’ai goûté n’est qu’un songe peut-être prêt à s’évanouir. Je dis le bonheur, parce que le souvenir efface du tableau toutes les ombres épaisses.

» Je dois vous avouer, qu’éprouvant une tendresse extrême pour ma petite fille, je gémis très-souvent en jouant avec elle, que vous ne soyiez pas avec nous pour observer combien son intelligence se développe, et combien son petit cœur devient aimant !… Ce spectacle est pour moi le vrai plaisir, et vous vous y dérobez pour courir après des biens dont nous ne jouirons jamais… Je me rappelle votre propre maxime, « qu’il faut vivre pour le moment présent »… Si vous restez loin de moi, pour la mettre en pratique, restez, pour l’amour de Dieu ; mais dites-moi la vérité… S’il n’en est pas ainsi, faites-moi connaître quand je puis espérer avoir le plaisir de vous voir, et ne me laissez pas toujours attendre vainement, jusqu’à ce qu’enfin, mon cœur se désespère.

» Adieu ! je suis un peu fâchée ; je vais serrer contre mon sein mon cher enfant pour me consoler ».

Dans une autre lettre, elle lui dit :

« Je ne puis supporter cette existence semée d’inquiétudes continuelles ;… et, entre nous, je suis déterminée à essayer de gagner ici moi-même quelqu’argent, afin de pouvoir vous convaincre que si vous aimez à courir le monde pour amasser des richesses, c’est absolument pour vous seul ; car ma petite fille et moi, nous saurons exister sans votre assistance. On dira peut-être que j’ai de la fierté,… soit ;… mais je ne veux jamais abandonner certaines règles de conduite.

» Vous devez vous apercevoir que je suis d’humeur bien sombre. Vous connaissez l’opinion que j’ai des hommes en général ; vous savez que je les juge tyrans par systême, et que c’est la chose la plus rare du monde que de rencontrer un homme doué d’une délicatesse de sentiment suffisante pour maîtriser ce désir. Quand je suis ainsi livrée à la tristesse, je regrette que mon cher petit amour, que j’aime à la folie, soit une fille… Je suis fâchée que le lien, qui me retient sur cette terre, soit toujours pour moi une cause d’affliction.

» Vous m’avez laissée indisposée, quoique vous n’ayez pas daigné y faire la moindre attention, et le voyage extrêmement fatiguant que j’ai fait a contribué à accroître mon mal. Cependant ma santé se rétablissait ; mais un rhume que j’ai négligé, et les inquiétudes continuelles dont j’ai été assaillie depuis deux mois, m’ont réduite à un état de faiblesse que je n’avais encore jamais éprouvé. Ceux qui me voient dans cette situation, et qui ignorent que le ver rongeur est dans mon cœur, me conseillent de ne pas allaiter si longtems mon enfant… Dieu veille sur cette innocente créature, et lui donne des jours plus heureux qu’à sa mère !

» Mais je m’écarte de mon sujet : en vérité ma tête se trouble, quand je songe que toute la confiance que j’avais mise dans l’affection des autres est trompée… Je ne m’attendais pas à recevoir de vous un coup aussi cruel. J’ai fait mon devoir envers vous et mon enfant, et si je n’en trouve le doux prix dans une réciprocité d’affection de votre part, j’ai du moins la triste consolation de savoir que je méritai un sort moins rigoureux. Un poids énorme accable mon âme… Je sens mon cœur défaillir, et sans ce tendre enfant, que je presse contre mon sein, je cesserais de prendre soin d’une vie dépouillée maintenant de tous les charmes qui l’embellissaient.

» Lorsque je consentis à partager votre existence, je suivis la seule impulsion de mon cœur… J’eusse aimé à partager avec vous une honnête médiocrité ; mais j’entrevois avec effroi la mer orageuse sur laquelle vous vous êtes embarqué… J’ai des principes invariables : je sais ce qui convient à mon bonheur… Certainement, ce n’est pas l’argent… Avec vous je désirais uniquement les simples soutiens de la vie… et dans l’état où en sont les choses, je suis loin de les goûter… Je puis encore travailler pour procurer à mon enfant le nécessaire, et pour le moment c’est tout ce qu’il lui faut… J’ai deux ou trois plans dans ma tête pour pourvoir à notre subsistance ; car ne supposez pas que, délaissée par vous, j’aille vous demander aucun secours pécuniaire !… Non,… je me résignerais plutôt aux plus grossiers travaux… Je ne désirais d’autre soutien de vous que celui de votre tendresse… Si vous me le refusez, tout le reste m’est inutile ! je ne pensais pas, lorsque je blâmais si fortement la méprisable avidité de M.***, qu’il dût vous entraîner un jour dans ses spéculations ».

» Lorsque vous fîtes vos premières entreprises, vous bornâtes votre ambition à un millier de livres ; c’était suffisant, disiez-vous, pour acheter, en Amérique, une ferme qui vous eût donné une honnête aisance. Aujourd’hui vous avouez que vous ne vous reconnaissez plus, et qu’une certaine opulence vous est plus nécessaire dans ce monde que vous ne vous l’étiez imaginé… plus nécessaire qu’un cœur pur et sans reproches… Car pendant un an, deux ans, vous pouvez vous procurer ce que vous appelez le plaisir, c’est-à-dire, la table, le vin et les femmes ; mais lorsque sur le déclin de l’âge vous serez livré à vous même, seul, sans une compagne, mon souvenir viendra vous présenter des regrets… j’allais dire des remords, mais ma plume s’est arrêtée ».

« Comme je n’ai jamais fait un mystère de la nature de mon union avec vous, votre réputation n’aura rien à en souffrir. Je n’aurai jamais de confident. L’approbation de mon âme me suffit, et s’il existe un scrutateur des cœurs, le mien n’a rien à craindre de son jugement. En lisant ce que vous avez écrit sur l’abandon des femmes, j’ai été souvent étonnée que votre conduite différât autant de vos discours ; mais je me suis rappelé que les mouvemens de la passion et que les décisions de la raison sont deux choses très-distinctes.

« La société m’importune à l’excès… elle me fatigue tellement, que faisant sans cesse des reproches à tout le monde, j’ai à peine assez de raison pour m’apercevoir que c’est moi qui les mérite. Mon enfant est tout ce qui m’intéresse, et sans elle je ne me donnerais aucun soin pour rétablir ma santé ».

« Puisqu’il le faut, je vais la sevrer, et essayer si, par cette démarche, qui me cause la plus grande répugnance, (car je n’avais pas d’autre plaisir que de l’allaiter) je pourrai me débarrasser de mon rhume. Les médecins parlent beaucoup du danger que court une femme qui a nourri pendant quelques mois de s’affaiblir les poumons. Ils me font sentir aussi la nécessité d’avoir l’âme tranquille… Et, mon Dieu ! que d’afflictions la mienne a eu à supporter ! Mais tandis que les moindres caprices des autres femmes sont satisfaits, que le vent du ciel ne fait que les effleurer délicatement, je n’ai trouvé, ni dans le ciel, ni sur la terre, aucun ange protecteur qui ait détourné de mon sein les chagrins et les inquiétudes ».

Au commencement d’avril 1795, M. Imlay prétextant toujours des affaires pour prolonger son séjour, l’engagea de venir le rejoindre à Londres.

« Je vole vers vous, (lui écrivait-elle du Hâvre) et je vous écris simplement pour vous annoncer que vous pouvez m’attendre dans trois ou quatre jours ; car je ne veux point essayer de vous peindre les différentes émotions qui agitent mon cœur… Vous allez appeler fierté ce qui me semble être un degré de délicatesse, qui provient naturellement de la sensibilité… Mais je ne puis me livrer avec calme à la tendre affection dont mon cœur est enflammé, avant d’avoir pu juger dans vos yeux si vous la partagez ».

« Je me perds dans les réflexions en portant ma vue sur la mer… des larmes s’échappent de mes yeux quand je songe que je chéris une folle espérance… En effet, j’ai été si malheureuse cet hiver ; que je trouve aussi difficile de concevoir un nouvel espoir, que de recouvrer la tranquillité… Mais c’est assez m’entretenir d’un sujet pénible, calme-toi, cœur insensé ! Si ma petite fille ne me retenait, je souhaiterais presque qu’il cessât de battre pour ne plus être en proie aux angoisses ».

Du Hâvre elle partît pour Londres, le cœur agité de mille présages sinistres, et n’osant se bercer d’un espoir qui avait été si souvent abusé, elle ne revint, dans son pays natal, que pour voir les craintes les plus cruelles, se justifier par l’infidélité et l’abandon d’un homme à qui elle avait follement confié le soin de son bonheur.

« Je me suis efforcée (lui dit-elle, dans une lettre datée de Londres) de calmer mes esprits depuis que vous m’avez quittée ; mais je me suis convaincue que la tranquillité ne peut s’obtenir par des efforts ; c’est un sentiment si différent de la résignation du désespoir !… Cependant je ne suis plus fâchée contre vous, et vous ne recevrez plus de moi aucune plaintes… Il est des arguments qui commandent à la raison, tout en portant la mort dans le cœur ».

» Nous avons eu de trop cruelles explications ; non-seulement elles obscurcissent toute perspective future, mais elles assaisonnent d’amertumes les souvenirs qui donnent seuls la vie à l’affection… Que ce sujet soit pour jamais enseveli dans l’oubli !

« Il me semble que j’ai perdu, non-seulement l’espérance, mais même le pouvoir d’être heureuse… Ces tendres émotions qui faisaient le charme de mes jours, sont maintenant aiguisées par la douleur… Mon âme a été ébranlée et ma sensibilité a essuyé un rude coup. Je suis sortie pour chercher, non de l’amusement, mais de la distraction, et je trouve mes nerfs encore plus irrités.

« Mon ami, mon cher ami… Interrogez vous bien… Je m’éloigne de la question ; car hélas ! je ne suis rien pour vous… Confessez moi quelles sont vos intentions… Que puis-je faire pour vous de plus agréable ?… ou pour mieux m’expliquer… Que préférez-vous de vivre avec moi ou de me quitter pour jamais ? Lorsque vous serez bien déterminé sur un de ces deux partis, de grâce dites-le moi franchement !… Car, je l’avoue, je sens que j’ai troublé bien involontairement votre repos.

« Je ne veux pas vous affliger en vous entretenant de l’abattement de mes esprits et des efforts que je fais pour soutenir mon cœur prêt à m’abandonner… Il est maintenant trop accablé pour me permettre d’écrire avec calme… *****… Cher ami !… suis-je donc destinée à éprouver des agitations aussi cruelles !… Ne trouverai-je jamais un asyle où je puisse goûter la paix de l’âme ! Comment pouvez-vous aimer à voltiger continuellement ? Pourquoi n’êtes-vous pas sensible aux douces sensations que fait naître l’idée du bonheur domestique, cette idée qui, dans ce moment même, vient humecter mes yeux ? Ce sont-là les vraies affections… Tout le reste n’est qu’un plaisir censuel électrisé par la sympathie ».

« Pourquoi persévérer opiniâtrément dans une funeste passion ? Parce qu’il est de l’essence de l’affection de chercher à se perpétuer elle-même. Il n’aime pas véritablement celui qui peut renoncer au doux sentiment de l’amour, sans éprouver les souffrances les plus aigües »[5].

Elle demeura, pendant environ sept semaines, avec M. Imlay, sous un même toit, (dans une maison garnie qu’il avait fait disposer pour la recevoir) ; mais elle fit de vains efforts pour émouvoir sa sensibilité et réveiller sa tendresse. Autant elle avait témoigné de confiance, autant elle eut à éprouver de mortifications ; elle apprit, par une triste expérience, que le vice endurcit le cœur, anéantit ses plus belles affections et lui ôte même jusqu’aux remords en le rendant insensible à tout sentiment de justice et d’humanité. Cet homme, des principes duquel elle avait la plus haute opinion, que son imagination avait associé à toutes les vertus, oubliait, dans les bras d’une jeune actrice, qui faisait partie d’une troupe de comédiens ambulans, les devoirs sacrés de père, et le tendre engagement qui l’unissait à la plus vertueuse des femmes.

La force d’une passion consiste principalement dans l’imagination de la personne sur laquelle elle opère ; une femme, en esquissant un tableau grand et idéal, s’attache à des qualités imaginaires, liées très-souvent par de légères nuances aux qualités réelles de son amant : cependant des sentimens produits par une telle cause ne sont pas les moins vrais, les moins dans la nature : quoique faux dans leur principe, ils sont peut-être les plus doux et les plus sublimes qui honorent le caractère humain ; quiconque n’a point éprouvé leur empire, peut se glorifier de la fermeté de son cœur, prétendre à nos respects ; mais c’est sur l’être accessible à ces délicieuses sensations, que toutes les affections touchantes s’impriment volontairement. Cet enthousiasme, qui constitue les plus grandes passions, est fondé sur l’illusion. Que sont les objets pour lesquels l’ambition traverse des flots de sang, pour lesquels les martyrs, dans toutes les causes, dans toutes les opinions, bravant la mort, courent en foule à l’échafaud ou à la potence, si on les dépouille des vives couleurs que leur prête l’imagination.

Épuisée par des passions orageuses, rebutée par les désagrémens les plus amers, dégoûtée de la vie, cette femme infortunée désirait la mort ; mais ce désir était alors combattu par l’être incapable de remords, qui s’était joué de sa tendresse, de ses souffrances, et qui l’avait réduite à la douleur et au désespoir. La femme qui l’aimait, à qui il avait volontairement donné les titres les plus sacrés ; la mère de son enfant, l’amie qui cherchait à ennoblir son caractère, en s’efforçant de faire revivre dans son cœur le sentiment qui l’avait purifié, était sacrifiée à de honteux plaisirs.

Repoussant de son cœur le mouvement de désespoir auquel elle avait un moment donné accès, cette intéressante femme réveilla, avec une nouvelle force, toute l’énergie de son caractère en faveur de l’homme pour lequel elle eût affronté la mort. Une affaire commerciale dans laquelle M. Imlay était essentiellement intéressé en Norwége, demandait la présence d’un agent actif : en cette occasion Marie Wollstonecraft offrit généreusement de faire ce voyage, accompagnée d’une seule domestique et de la petite Françoise, dont elle ne pouvait se résoudre à se séparer. Cette entreprise à laquelle elle se résignait, pour l’intérêt d’un être qui dédaignait le zèle et le mérite qu’il était incapable d’apprécier, donna lieu à une nouvelle publication, portant pour titre : « Lettres de la Scandinavie ». Cet ouvrage parle au cœur et l’intéresse de la manière la plus touchante. « Je supporte tout le poids de vos embarras, (dit-elle dans une lettre particulière adressée à la même personne) et je ferai certainement tous mes efforts pour terminer, à votre satisfaction, les affaires que j’ai entreprises.

« Mon ami… Mon plus cher ami… Je sens ma destinée liée à la vôtre, par les liens les plus sacrés de mon âme et par les élancemens d’un… oui… je puis le dire… d’un cœur pur et sans détour ».

« Écrivez-moi par tous les courriers ; je suis inquiète de savoir comment vont vos affaires, et encore plus impatiente d’être convaincue que vous ne vous éloignez pas de nous ; car mon petit amour appelle papa, et y ajoute toujours cette invitation que lui souffle la nature… Viens, viens ! et vous ne voulez pas venir… Je ne recouvrerai toute mon énergie que lorsque j’aurai la certitude que mes travaux contribueront à nous unir ensemble de la manière la plus indissoluble ».

« Je gémis souvent, quand je songe à la confusion qui règne dans vos affaires et à la tranquillité d’esprit que vous affectez ; à présent même je crains presque de vous demander si le plaisir de jouir de votre liberté ne surpasse pas la peine que vous éprouvez d’être éloigné de moi. Quelquefois je m’abandonne au doux espoir de vous voir un jour me trouver nécessaire à votre bonheur… Sans cela qu’aurions-nous besoin de nous réunir ?… Mais un moment après le désespoir vient abattre mes esprits accablés par ces mouvemens de tendresse qui savent adoucir la peine de la vie… Que le ciel vous protège ! »

Les extraits suivans de ses lettres, (quoiqu’elles n’aient paru que depuis sa mort) ne pourront manquer d’intéresser le lecteur.

« La dernière fois que nous nous séparâmes, la séparation n’eut lieu effectivement que de votre part… Aujourd’hui que vous avez agi plus franchement, souffrez qu’un tendre commerce de sentiment remplisse le vide pénible de l’absence. Je tremble déjà que vos projets ne s’évanouissent… Cependant si quelque contre-tems fâcheux, survenu dans vos affaires, vous ramenait près de nous, convaincue qu’un véritable ami est un trésor, je ne voudrais plus avoir aucun commerce avec le monde.

Ne m’accusez pas d’orgueil… Mais quelquefois, lorsque la nature a ouvert mon cœur à son auteur, je me suis étonnée de ce que vous n’y régniez pas avant lui ».

« Que devenez-vous ? Comment vont vos affaires ? Il se passera bien du tems avant que vous me répondiez à ces questions. Mon cher ami, mon cœur m’abandonne !… Pourquoi suis-je donc ainsi continuellement forcée de combattre mes affections et les émotions de mon cœur ?… Ah ! pourquoi sont-elles la source d’une si grande infortune, quand elles semblent m’avoir été données pour vivifier mon âme et embellir mon existence ? Mais je ne veux pas m’appesantir sur ce sujet ; voudriez-vous ne pas me chérir avec toute l’affection dont vous êtes susceptible ? Que dis-je ! oubliez-moi plutôt, si vous pouvez, si vous avez quelqu’attrait plus cher que de vous occuper de moi… Que mes souvenirs sont douloureux ? Qu’est-ce que ce monde ? Ceux-là qui ne cessent de jouir des plaisirs sensuels et artificiels se croyent les seuls heureux… Adieu !

« Voilà le cinquième mortel jour que je suis retenue chez moi par le vent ; mais pourquoi m’en plaindre, la société ne pourrait éloigner mon cœur des souvenirs qui l’attristent.

« Combien le chagrin a fait sur moi de ravages ! lorsqu’allant à… il y a dix ans, l’imagination pouvait encore tremper son pinceau dans l’arc-en-ciel de l’illusion, et esquisser l’avenir sous des couleurs riantes ; maintenant je vais chercher les rayons du soleil ! et en quel endroit de la terre ce cœur désolé pourrait-il retrouver la vie ? Toute la nature semble s’attrister, ou plutôt partager mon deuil. Tout est glacé… glacé comme mes espérances !

« Mon ami… mon ami, je suis mal à mon aise… Mon cœur est écrasé par un poids énorme de chagrin. Je suis encore agitée sur les vagues orageuses de la vie, et obligée de lutter contre l’infortune, sans être soutenue par l’espoir qui seul la rend supportable. Combien je trouve fade, insipide et stérile cet éclat dont les mortels sont ici bas si jaloux ! Il me tarde chaque soir de me mettre au lit, de cacher ma triste figure contre mon oreiller ; mais le ver rongeur que je nourris dans mon sein ne dort pas un moment.

« Croyez-moi, (et mes yeux s’humectent des douces larmes de tendresse, quand je vous donne cette assurance) il n’est aucun genre de privation auquel je ne me résignasse plutôt que de troubler votre tranquillité. Si je suis destinée à être malheureuse, je veux m’efforcer d’ensevelir mes chagrins dans mon sein, et vous trouverez toujours en moi une amie fidèle et sincèrement dévouée ».

« Mon attachement pour ma petite fille prend chaque jour une nouvelle force, et je nourris cette affection sans crainte, parce que de longtems elle n’offrira des sujets d’amertume à mon âme. C’est une créature bien intéressante. Combien de fois, sur le vaisseau qui nous portait, lorsque je fixais la mer, livrée aux plus cruelles agitations, je brûlais de me précipiter dans son sein ; affirmant avec Brutus, « que la vertu portée trop loin, n’était qu’un vain nom, » sa vue seule, son innocent sourire, qui pénétraient fortement mon cœur, furent seuls capables d’arrêter ce coup de désespoir.

« Quel lot d’infortune m’a donc été réservé ! Pour agir d’après mes principes, j’ai imposé la plus sévère contrainte à mes pensées : oui ; pour ne pas ternir la délicatesse de mes sentimens, j’ai commandé à mon imagination, et j’ai repoussé avec effroi toutes les sensations qui se glissaient dans mon cœur, et le portaient à la tendresse.

» Mon ami, j’ai acquis une conviction qui m’a coûté bien cher. L’amour dans quelques âmes est une affaire de sentiment dérivant de la même délicatesse de sens (ou de goût) qui nous rend sensibles aux beautés de la nature, à la poësie, etc.

« L’amour est le besoin de mon cœur. Je me suis examinée dernièrement avec plus d’attention que la première fois, et j’ai trouvé que l’assoupissement ne procurait pas le repos à l’esprit… En cherchant la tranquillité, j’ai presque perdu toute l’énergie de mon âme… tout ce qui la distinguait le plus… Oui, je trouve ralenti chez moi cet enthousiasme de caractère qui convertit les plus grossiers matériaux en un feu subtil, qui procure imperceptiblement un aliment à l’espérance, et qui aspire à des jouissances au-dessus de celles du vulgaire. Depuis la naissance de mon enfant, le désespoir a appésanti mon esprit… L’âme et le corps semblent se flétrir sous les coups destructeurs de l’affliction.

« Cependant je ne me plaindrai pas. Il est des malheurs si grands que les expressions ordinaires ne sauraient les définir. Croyez-moi, rien n’est à comparer à un cœur ulcéré ! Il existe des caractères qui, quoique doués de beaucoup d’énergie, et disposés même par réflexion à chérir une passion, ne peuvent se contenter des jouissances ordinaires de la vie. J’ai cherché à m’étourdir en me livrant ici à toute la dissipation possible ; ma peine n’est devenue que plus aiguë, lorsque je me suis retrouvée seule avec mon enfant ».

« Rien ne peut maintenant me plaire… Si les chagrins ne m’eussent pas dégoûtée de la vie, les sites romantiques de ce pays, ces belles soirées auraient de l’attrait pour mon cœur. Mon Dieu, n’est-il donc plus rien capable de m’intéresser ? et suis-je destinée à n’éprouver que des sensations pénibles ? Mais, c’en est fait, je saurai y mettre un terme.

« Je suis à la veille de mon voyage pour…, j’éprouve plus de peine à m’éloigner de mon enfant que je ne m’y étais attendu… et pendant que, toute la nuit, je m’imagine, à chaque instant, entendre les faibles sons de sa voix… je me demande comment je pourrai me séparer d’elle pour jamais, et la laisser sans appui ?

« Pauvre agneau ! Il est bien écrit dans un livre que j’ai lu ; « que Dieu appaisera les vents en faveur de l’agneau dépouillé de sa toison » ; mais comment puis-je espérer qu’elle trouve jamais un appui, lorsque j’ai à combattre continuellement les plus affreuses tempêtes ? Oui, je pourrais ajouter, avec le pauvre Lear : « qu’est-ce que la guerre des élémens comparée aux angoisses d’un amour sans espoir, et à l’horreur qu’inspire la découverte d’un abus de confiance, qui brise le lien le plus doux de la société ».

« À l’époque de nos premières liaisons, je n’étais pas ainsi abandonnée ; je pouvais encore me confier en vous, et vous ouvrir mon cœur… Vous m’avez privée de cette seule consolation, et cependant mon bonheur, me disiez-vous, était votre but le plus cher. Défaut étrange de jugement !

« Je ne me plaindrai pas ; mais d’après le témoignage de votre propre conscience, si vous voulez réfléchir un moment, vous conviendrez que votre conduite à mon égard, loin d’être généreuse, a été, au contraire, très-injuste. Cependant je n’avais pas intention de vous adresser de reproches… votre silence est cruel… et ma raison est peut-être troublée par les malheurs continuels qui m’accablent.

« Écrivez-moi donc, mon ami, et écrivez-moi d’une manière précise. Dieu sait ce que j’ai souffert depuis que je vous ai quitté. Ah ! vous n’avez jamais éprouvé ce genre de douleur ! Mon âme cependant a beaucoup de peine à présent à s’émouvoir, et le chagrin que j’éprouve est presque le dernier effort de l’agonie… Mais ce n’est pas là mon sujet de plainte ; il m’a procuré du plaisir, et le souvenir est tout ce qui me reste maintenant ; car à peine une étincelle d’espoir peut elle encore luire dans mon cœur ulcéré.

« Je vais essayer de vous parler avec plus de calme ; je désire que nous vivions ensemble pour vous voir contracter l’habitude de chérir ma pauvre petite fille. Je ne puis supporter l’idée de la laisser seule dans le monde, ou de savoir qu’elle ne doive attendre votre protection que du sentiment du devoir. Après ce qui intéresse son sort futur, mon désir le plus ardent est de ne pas troubler votre tranquillité. Dans cette vie je n’ai rien à espérer et peu de chose à craindre… Il est des blessures dont on ne guérit jamais.

« Oui ; je serai heureuse… Ce cœur est digne du bonheur que mon imagination lui prépare, et je ne puis même me persuader que mes principes et mes sentimens, malgré les infortunes qu’ils m’ont fait éprouver, ne soient pas fondés sur la nature et la vérité.

« Vous me dites que mes lettres vous font souffrir ; je n’essayerai pas de vous dépeindre l’effet que produisent sur moi les vôtres. J’en ai reçu trois ce matin, dont la dernière est datée du 7 de ce mois. Je me garderai bien de vous faire connaître l’émotion qu’elles m’ont causée ; certainement vous avez raison ; nos âmes ne sympathisent pas. J’ai vécu dans un monde idéal et nourri des sentimens que vous ne pouvez sentir ; autrement vous ne me traiteriez pas ainsi. Certainement je ne suis pas, et ne serai jamais un objet de compassion… J’imagine un moyen pour cesser de vous importuner. Oubliez que j’existe, et j’effacerai de ma pensée votre souvenir. Un mouvement énergique me porte à mettre fin à ces débats. Soyez libre… Je n’ai pas intention de vous tourmenter, quand tous les plaisirs me sont refusés. Je puis entretenir mon enfant, vous pouvez vous dispenser de me dire que notre fortune est inséparable, que vous voulez vous efforcer de chérir pour moi la vertu. Ne vous faites pas violence ! Lorsque nous serons séparés, nos intérêts, puisque vous attachez tant de prix aux considérations pécuniaires, le seront entièrement. Je n’ai que faire d’une protection dépouillée d’affection, et je n’aurai pas besoin d’assistance, lorsque mes esprits seront dégagés de toutes inquiétudes.

« Je suis lasse de voyager loin de ma patrie, sans asyle… reléguée sur une terre étrangère… Combien de fois traversant des rochers, si l’idée de cet enfant ne m’eût arrêtée, j’eusse brisé ma tête contre leur pointe pour ne plus revoir la lumière importune ! Avec un cœur extrêmement sensible à toutes les affections, je ne trouverai rien de plus doux que la pierre qui me servira de dernier oreiller. Ce que je vis autrefois n’était qu’illusion. Je me trouvai sans cesse avec des familles qui étaient liées par des affections ou des principes… et lorsque j’ai la certitude que j’ai rempli les devoirs de mon état, presque aux dépens de mon bonheur, je suis tentée de demander au Ciel, en murmurant, « pourquoi suis-je ainsi abandonnée ? »

« Quel signe, ou de principe ou d’affection aussi extraordinaire qu’inutile, remarquez-vous dans mes questions ? Je ne puis le déterminer… Vous devez avoir reçu depuis longtems deux de mes lettres de… dans le même sens… elles ne renfermaient, Dieu le sait ! que les expressions du plus tendre attachement, et elles ne peignaient que trop fidèlement l’état critique de mon âme ! De quel autre sujet pouvais-je vous entretenir ?… C’était à vous à me rassurer… Vous vous êtes toujours retranché dans votre promesse de venir me joindre l’automne prochain… Est-il donc extraordinaire que je me permette de vous demander si je dois bien y compter ?… votre lettre est écrite avec une dureté extrême ; je suis accoutumée à votre froideur ; je n’y trouve aucune trace de tendresse, d’humanité, et encore moins d’amitié.

« L’Être tout puissant qui a formé ce cœur aura sans doute prévu que sur cette terre où l’intérêt, sous des formes différentes, est le mobile dominant, il me serait difficile de me soustraire à l’infortune… Je me soumets aux décrets du sort… Je ne me plains pas de mon malheur, mais je ne veux pas être un objet de mépris… Vous n’avez contre moi aucun sujet de plainte, si ce n’est de vous avoir trop favorablement jugé… d’avoir attendu de vous un bonheur durable, tandis que vous n’aviez pour but que de satisfaire des désirs passagers.

Je conviens que je manquai de pénétration, en m’unissant à vous ; votre tendresse semblait devoir me dédommager de toutes mes afflictions passées… Quelle confiance n’avais-je pas mise en cette tendresse et cette affection !… Mais hélas je me reposais sur la lance qui m’a transpercé le cœur… Vous avez rejeté une amie fidèle, pour satisfaire une fantaisie d’un moment.

« Ne me livrez point à une cruelle incertitude… Je n’attends rien de vous ni d’aucun être vivant : mon sort est arrêté… J’ai assez de courage pour me résigner à mon devoir, quoique je ne puisse relever mes esprits abattus et calmer mon cœur saisi d’effroi : l’Être qui l’a fait ainsi, sait bien que je suis incapable de déraciner le penchant qui cause le tourment de ma vie… mais cette vie aura une fin ! »

« Je dois vous avouer que je suis cruellement mortifiée par les offres continuelles de secours pécuniaires que vous me faites… et que je considère l’occupation de votre nouvelle maison comme une déclaration formelle d’abandon à mon égard. Permettez-moi de vous dire que je périrais plutôt que de recevoir de vous la moindre chose, et ces paroles m’échappent lorsque je me vois frustrée de quelque profit que j’attendais d’une entreprise ; mais je ne m’en plains pas : ce nouveau surcroit d’infortune semble convenir à l’état habituel de mon âme ».

« Je m’efforce de cacher dans la solitude le chagrin que je ne puis surmonter, (car des souvenirs cruels qui ne me quittent jamais, éloignent de ma pensée toutes autres idées)… Ma vie n’est qu’un exercice continuel de courage… Et l’espoir ne vient jamais éclairer cette tombe où je suis ensevelie vivante ».

« Mon amour pour vous est enraciné dans mon cœur… je sais que vous n’êtes pas intérieurement ce que vous semblez être en ce moment… que vous n’agirez pas et que vous ne sentirez pas toujours comme aujourd’hui, quoique je n’espère jamais avoir la consolation de jouir de votre changement… mon image vous poursuivra partout… ma pâle figure vous apparaîtra… et quelquefois les pleurs du désespoir couleront sur un cœur que vous avez détaché du mien.

» Je ne puis écrire ; je me croyais la force de réfuter en peu de mots tous vos subtils raisonnemens ; mais ma tête est troublée… innocente et vertueuse je suis misérable !

» Il me semble que ma conduite a toujours été dirigée d’après les principes les plus stricts de la justice et de la vérité ; néanmoins, combien ma sensibilité et ma délicatesse m’ont rendu malheureuse !… j’ai aimé de toute mon âme, et pourquoi ? pour être convaincue que je n’avais aucun retour à espérer… et sans cela, la vie est un fardeau pour moi.

» Je ne vous comprends pas bien parfaitement… si par l’offre de votre amitié vous prétendez seulement me faire accepter vos secours pécuniaires ;… je vous répète que je la dédaigne ; l’indigence ne peut ajouter que peu à mes malheurs ! Dieu vous protège !

» Le ressentiment et même la colère ne sont que des mouvemens momentanés pour moi… je vous parle ainsi, afin que si jamais vous pensiez à moi, vous ne puissiez pas me regarder comme une ennemie.

» Je n’oublierai jamais l’injustice avec laquelle j’ai été traitée,… peut-être ne me le rappelerai-je pas toujours avec une douleur aussi amère qu’en ce moment,… car je commence à écrire maintenant avec plus de calme ; mais je ne puis retenir mes larmes.

» Je reste confondue !… votre dernière conduite à mon égard me semble un songe effrayant… Ah ! interrogez-vous et voyez si vous ne vous êtes pas abaissé à employer avec moi un peu d’artifice, je dirais presque de fourberie indigne de vous ?… les principes sont des choses sacrées… et on ne se joue jamais impunément de la vérité.

» L’espoir, (je l’ai trop longtems chéri) de regagner votre affection, s’affaiblit chaque jour davantage… En vérité, il me semble, quand je suis plus triste que de coutume, que je ne vous reverrai plus jamais ;… cependant, vous ne m’oublierez pas toujours,… vous éprouverez quelque sentiment semblable au remords d’avoir vécu pour vous seul,… et d’avoir sacrifié mon repos à des jouissances illusoires. Dans l’âge où vous aurez besoin de consolations, vous vous rappelerez que vous eûtes une amie désintéressée dont vous avez abusé cruellement. L’heure de la réflexion sonnera,… et vous ne regretterez de vous être mal comporté, que lorsque vous ne serez plus en état de réparer votre faute. Je sais que votre esprit, votre cœur et vos principes sont peu d’accord avec votre conduite présente. Vous me porterez un respect infini,… et vous serez fâché d’avoir perdu mon estime ».

Ceux que la lecture de ces lettre n’aura point émus, doivent être bien insensibles !

Celui pour lequel elle avait entrepris un voyage long et pénible, malgré l’altération de sa santé et l’abattement de son âme, lui avait fait espérer qu’il la rejoindrait peut-être à Hambourg, à son retour de Norwége, et qu’il passerait avec elle quelque tems en Suisse ; ses promesses étaient perfides ; les chagrins qu’elle en éprouva ajoutèrent encore à sa douloureuse situation. La conduite équivoque de M. Imlay, l’engagea à retourner en Angleterre ; elle ne pouvait plus supporter une alternative si affreuse ; elle le conjura de s’expliquer au sujet de leur commerce futur ; mais sa sollicitude fut encore abusée.

Au commencement d’octobre, habitant à Londres un appartement que lui avait fait préparer M. Imlay, elle obtint enfin, par le moyen d’une domestique, la fatale conviction qu’elle recherchait. Dans le premier trouble de son âme à cette découverte, elle se rendit à la maison de la femme par qui elle avait été supplantée ; elle y rencontra M. Imlay. Il s’ensuivit une cruelle explication : elle retourna chez elle dans une situation difficile à dépeindre ; il faudrait une portion de sa sensibilité pour concevoir l’agitation que son âme éprouva.

Elle médita de nouveaux actes de désespoir ; son courage naturel et ses sentimens élevés, donnaient à l’excès de sa douleur une sorte d’héroïsme. Elle détestait l’existence ; elle s’apercevait que la passion extrême dans laquelle son âme avait cru trouver le bonheur, l’avait promenée d’illusion en illusion, qu’elle l’avait enfin conduite au comble de l’infortune, et qu’elle avait poursuivi un fantôme qui s’était dérobé à ses embrassemens au moment où elle avait cru le saisir.

En réfléchissant au passé, elle n’y voyait que des malheurs… L’avenir lui semblait obscurci d’un nuage épais… Son espoir mille fois trahi, semblait pour jamais éteint ; son courage était épuisé par les souffrances ; elle sentait son âme privée pour jamais de son énergie. Elle résolut de mettre fin à sa triste existence, et écrivit sur ses genoux le billet suivant, à l’homme dont les goûts dépravés causaient sa perte :

« Je vous écris cette fois sur mes genoux pour vous supplier d’envoyer mon enfant avec sa bonne… à Paris, et de la faire confier aux soins de madame… rue… section de… Si elle avait changé de demeure, on pourrait se procurer son adresse.

» Faites remettre à la bonne tous mes vêtements sans distinction.

» Payez, je vous prie, à la cuisinière ses gages, et ne lui parlez plus de l’aveu que j’ai arraché d’elle,… un peu plutôt, un peu plus tard, je devais tout savoir ; mon extrême stupidité pouvait seule m’aveugler si longtemps, et en effet, lorsque vous m’assuriez que vous n’aviez aucun attachement particulier, je croyais encore possible que nous habitassions ensemble.

» Je ne ferai ni représentations sur votre conduite, ni appel au monde ; je veux ensevelir avec moi le récit de mes peines ! Bientôt, oui, bientôt, je jouirai du repos ; lorsque vous recevrez ce billet, ma tête en ce moment brûlante sera glacée.

» J’aimerais mieux souffrir mille morts, qu’une nuit comme celle que je viens de passer. Vos mauvais traitemens ont réduit mon âme à un trouble affreux ; cependant, je conserve toute ma présence d’esprit ; je vais trouver enfin le repos, et ma seule crainte est que l’on insulte à mon cadavre pour me rappeler à une existence que j’abhorre ; mais je me plongerai dans la Tamise ; là, je ne craindrai pas qu’on vienne m’arracher au trépas après lequel je soupire.

» Que la Providence veille sur vos jours ! puissiez-vous ne jamais connaître par expérience ce que vous m’avez fait endurer. Si votre sensibilité se réveille jamais, le remords se fera jour dans votre cœur, et au milieu de vos affaires, dans le sein des plaisirs, la victime de vos funestes égarements s’offrira à vous ».

Après avoir écrit cette lettre, elle alla du côté de la rivière, et loua un batelet avec la ferme intention de se précipiter dans la Tamise. Dans sa route, elle fit plusieurs questions au batelier qui la conduisait et les réponses qu’il lui fit l’engagèrent à changer son plan, de peur d’être arrêtée dans l’exécution ; s’étant avancée jusqu’à Putney, elle y débarqua. La nuit survint, une pluie abondante commença à tomber ; il lui vint à l’idée de continuer sa marche jusqu’à ce que l’eau eut pénétré ses vêtemens, afin que leur poids l’entraînât plus facilement au fond. Pendant une demi-heure, elle continua à roder çà et là, jusqu’à ce qu’enfin n’apercevant aucun témoin, elle s’élança du haut du pont ; son courage ne l’abandonna pas, pliant autour d’elle ses vêtemens mouillés, elle fit tous ses efforts pour couler à fond. Dans ces terribles instans, sa résolution chancela ; l’idée de son enfant vint combattre tout autre sentiment. Les plus fortes angoisses de l’amour maternel qui se réveilla alors dans son sein, ajoutèrent aux derniers efforts de la nature expirante. Mais il n’était plus tems ; elle fut rapidement entraînée par le courant, et suffoquée par l’eau, elle perdit pour un moment le souvenir de ses infortunes : un long intervalle s’écoula avant qu’on pût l’apercevoir du rivage ; mais par les procédés qu’on emploie ordinairement en pareilles occasions, on l’arracha des bras de la mort.

Quelle que soit à cet égard l’opinion de ceux qui raisonnent de sang-froid et avec calme sur la propriété du suicide, ou sur l’action de mettre fin à des sensations qui ne sont que la source des plus affreux malheurs[6], il est impossible de ne pas admirer le courage avec lequel cette femme infortunée exécuta son furieux dessein, ou de ne pas s’attendrir sur la situation pénible d’une âme ulcérée.

M. Imlay, lui même, touché d’un sentiment de remords passager que faisait naître sans doute les conséquences sinistres qu’avait occasionnées sa conduite… dans ce moment touchant, laissa apercevoir quelques symptômes d’humanité, en lui procurant tous les secours de l’art ; il la fit transporter dans la maison d’un ami commun, en l’assurant « que la folle passion à laquelle il avait pu céder un moment, n’avait aucune consistance, et en lui donnant à penser qu’il reviendrait bientôt à elle ; qu’elle avait acquis sur lui les droits les plus sacrés, et qu’il n’avait reçu de sa tendresse constante et désintéressée que des témoignages hélas trop funestes ». Ces discours ranimèrent encore une fois les espérances de Marie ; incapable de supporter seulement l’idée d’être encore livrée à cet état d’incertitude qui avait torturé son âme, elle s’avisa de proposer un expédient non moins romanesque qu’extraordinaire.

« Si nous devons vivre encore ensemble, dit-elle, que ce soit dès aujourd’hui ; réunissons-nous ou séparons-nous pour jamais. Vous dites que vous, ne pouvez rompre sur le champ la liaison que vous avez formée ; il est indigne de mon courage et de mon caractère d’attendre l’issue incertaine de cette union. Je suis déterminée à en venir à une décision. Je consens donc pour le présent à vivre avec vous et la femme à laquelle vous vous êtes attaché. Je regarde comme très-important que vous appreniez à sentir pour votre enfant l’affection d’un père ; mais si vous rejetez cette proposition, renonçons à tous rapports entre nous. Dès aujourd’hui je vous dégage, nous n’aurons plus aucun commerce ensemble ; je serai pour vous comme si je n’existais plus ».

M. Imlay ne parut pas désapprouver dans l’instant ce plan impraticable ; mais une petite considération l’obligea à rétracter un consentement qu’il avait donné précipitamment, dans l’intention sans doute d’appaiser l’excès de la douleur de Marie Wollstonecraft. Le mois suivant, il fit avec le nouvel objet de ses soins, un voyage à Paris, où il resta près de trois mois. Après que Marie Wollstonecraft se fut installée dans un appartement situé dans Fiusbury Square, se séquestrant de la société, ses pensées se reportaient continuellement sur les circonstances de son affligeante situation ; elle nourrissait dans son cœur une affection, que les souffrances les plus aiguës n’avaient pu altérer, et s’abandonnant à de douloureux souvenirs, la force de sa constitution commençait à se ressentir de l’abattement de son âme, et sa santé à s’affaiblir tous les jours.

Au retour en Angleterre de M. Imlay, dont elle cherchait toujours à excuser la conduite, elle se détermina à faire un effort pour obtenir de lui une entrevue, se flattant que son attachement présent, indigne de lui sous tous les rapports, (ainsi qu’elle le jugeait) ne pouvait pas avoir une longue durée. L’entrevue, qu’elle désirait lui fut refusée avec aigreur. Se trouvant par hasard quelques jours après dans la maison d’un ami commun, elle apprit que M. Imlay était alors dans un appartement voisin à faire sa partie avec quelques gentilhommes : forte de la justice de sa cause, et encouragée par le sentiment des offenses non méritées qu’elle éprouvait, elle résista aux sages représentations de l’ami qui aurait voulu la détourner de son projet, et entrant précipitamment dans la salle où ces messieurs étaient réunis, elle porta son enfant, alors âgé de près de deux ans, sur les genoux de son père. Confondu par sa présence et par son action, M. Imlay passa avec elle dans une autre chambre, et sur sa demande il lui promit d’aller la voir le lendemain chez elle ; il tint parole, et par un discours amical il appaisa l’angoisse qui la dévorait ; un doux rayon d’espoir sembla percer à travers l’obscurité dont elle était environnée ; mais semblable à un météore passager, après avoir ébloui un moment son œil fatigué par la douleur, il s’éclipsa. Dans cette entrevue, il affecta encore de parler de retourner à elle quand il serait revenu des égarements du libertinage (avec une âme corrompue et probablement une constitution altérée), et de se reposer sur la foi à toute épreuve de la seule femme qu’il eut jamais aimée sincèrement, l’engageant à continuer de porter son nom auquel il lui protestait avec véhémence qu’aucune autre femme n’aurait jamais aucun droit. « Ce n’était pas pour le monde (dit-elle dans une lettre à un ami), que je consentis à cette demande, mais je ne voulais pas rompre le nœud gordien qui m’attachait encore à lui ». Le lendemain elle partit de la ville, et alla passer quelques semaines à la campagne chez une de ses amies.

À son retour de ce petit voyage, de nouvelles circonstances vinrent lui fournir une plus ample conviction de la duplicité et de la perfidie de l’être qu’elle avait si constamment et si tendrement aimé ; dès lors elle résolut de rappeler tout son courage et de bannir de son cœur un attachement que la raison et ses principes réprouvaient également… un attachement qui devenait dégradant pour son caractère, et qui ne lui avait que trop longtems occasionné les peines les plus cuisantes ; faisant un dernier effort pour recouvrer sa liberté et sa tranquillité, elle chercha décidément à repousser ces souvenirs fatals qui étaient enracinés dans son esprit, qui anéantissaient ses facultés et troublaient son repos. Elle mit à profit ses talens, se résigna au travail, changea de résidence et adressa à l’homme dont l’inconstance lui avait été si funeste, ces dernières réflexions.

« C’en est fait : … convaincue que vous n’êtes susceptible envers moi, ni d’égards, ni d’amitié, je me garderai de vous adresser le moindre reproche ; quoique j’aie trop de raison de penser que vous les méritez ;… cependant, cela m’inquiète fort peu… Je suis contente que vous vous félicitiez de votre conduite.

» Je vous assure aujourd’hui solennellement que c’est mon dernier adieu… Je ne renonce pourtant pas aux devoirs qui m’attachent à la vie.

» Il est bien singulier que malgré tout ce que vous m’avez fait éprouver, une espèce de conviction me force à croire que vous n’êtes pas tel que vous paraissez être.

» Je me sépare de vous sans qu’il m’en coûte. »

Cette lettre qui mit fin à sa malheureuse passion, fut écrite en mars 1796. Quoiqu’affaiblie par les chagrins, son esprit toujours actif n’était pas resté oisif, et c’est peut-être la preuve la plus frappante qu’elle pût donner de la supériorité de ses talents que d’avoir été capable d’écrire dans la situation malheureuse où elle s’était trouvée.

Ses lettres sur la Norvêge avaient été écrites et disposées pour l’impression, ainsi que l’esquisse d’une comédie, dans laquelle elle avait fait entrer de sérieux incidents calqués sur ses propres aventures, dans l’intervalle des derniers dix mois pendant lesquels elle conçut deux fois la résolution de se donner la mort.

Jusqu’ici, en retraçant la vie de cette admirable femme, le chagrin en a marqué toutes les pages ; son histoire offre une suite presque continuelle de peines, de combats, d’afflictions les plus vives ; en y réfléchissant avec attention, nous sommes tentés de nous servir des expressions d’un éloquent écrivain[7] : « à quoi servent les talens et la sensibilité dans le désert corrompu de la société humaine ? C’est un fumier infect et pourri ; le plus bel arbrisseau qui naît dans son sein devient un poison à mesure qu’il croit. Ainsi, on y voit se convertir en jusquiame et en morelle, toutes les plantes qui, dans un champ plus sain et sous un climat plus pur, se seraient déployées avec beauté et auraient donné d’utiles rejetons »… Le nuage qui avait obscurci sa destinée commençait à se dissiper ; l’horison s’éclaircissait, et l’espérance étendant ses rayons sur l’obscurité, répandit sur les dernières années de sa vie (sur lesquelles nous jeterons un coup-d’œil rapide), un éclat doux et bienfaisant.

Au commencement d’avril 1796, Marie Wollstonecraft se retira à Pentonville, dans le voisinage de Somerstown, où résidait M. William Godwin, écrivain d’un mérite distingué ; la hardiesse et la singularité de ses raisonnements avaient éveillé l’attention et provoqué la discussion dans le monde philosophique et littéraire. M. Godwin avait rencontré par hasard Marie Wollstonecraft dans une maison antérieurement à son voyage sur le Continent ; mais différant beaucoup de principes à cette époque, ils s’étaient perdus de vue, en conservant l’un de l’autre des impression mutuellement défavorables. Leur connaissance se renoua alors dans une réunion qui eut lieu chez un de leurs amis communs[8] qui avait imaginé cette entrevue dans le dessein de détruire leurs préjugés et de distraire les chagrins d’une femme dont les talents et les malheurs lui avaient inspiré le plus touchant intérêt. Cette rencontre fit naître entre les parties un plus haut dégré d’intimité ; des rapports de confiance et d’amitié qui y succédèrent ouvrirent bientôt la route à des sentiments plus tendres. Le chagrin adoucit l’âme et la rend sensible aux émotions d’une douce sympathie.

Fatiguée par les calamités si peu méritées dont elle avait été si longtems la proie, soupirant après les affections domestiques et sociales, si chères à son cœur sensible, supportant avec douleur le genre de veuvage le plus cruel, ayant rompu pour jamais ses premiers nœuds ; pénétrée des connaissances éminentes, et touchée du mérite et de l’amabilité de M. Godwin, l’âme sensible de Marie Wollstonecraft donna imperceptiblement accès à de nouvelles impressions qui lui paraissaient plus dignes d’elle, et qui lui promettaient plus de stabilité que les précédentes.

Six mois s’étaient écoulés depuis qu’elle avait banni de son âme les tristes restes d’un attachement qui était enfin devenu incompatible avec le respect qu’elle se devait à elle-même ; M. Godwin, d’après ses propres opinions, n’était pas porté à l’état du mariage. On suppose, sans doute, aussi que les facultés pécuniaires de Marie devaient être bien faibles ; mais avec la délicatesse d’âme dont elle était douée, on doit bien croire aussi qu’elle n’en fit aucun mystère. M. Godwin, en considération des désagrémens qu’elle avait déjà éprouvés, et auxquels, en raison des usages de la société, la femme qu’il aimait pourrait encore être exposée, surmonta ses propres scrupules avec une générosité qui l’honore, et consentit à sanctionner l’union qui régnait entre eux par les formalités nécessaires. Leur mariage ne fut pas publié de suite. M. Godwin céda, à cet égard, aux désirs de sa femme, qui venait déjà de fournir au public tant de matières à conversation.

Ce fut alors que son cœur ranimé commença à goûter le repos, qu’en paix avec elle-même, elle répandit autour d’elle la tranquillité dont elle jouissait ; ses idées de bonheur réel s’étaient toujours concentrées dans le cercle des affections domestiques ; en cherchant à les réaliser, elle avait été enveloppée dans des malheurs qu’elle n’avait pas mérités. Les âmes les plus fortement constituées sont les plus sensibles aux charmes de l’affection sociale et des plaisirs de la nature. Si la sensibilité de cette femme extraordinaire eût rencontré de bonne heure l’objet qui lui convenait, occupée de ses devoirs d’épouse et de mère, elle eût poursuivi sa carrière avec sérénité. Le plus tranquille ruisseau qui s’écoule au sein de la prairie qu’il fertilise, s’il trouve un obstacle dans sa course, devient un torrent destructeur. Ainsi les fortes passions, qui portent le ravage dans l’âme, et qui désolent la société, ont leur origine dans l’opposition et la contrainte.

Les lois de la nature gouvernent les usages de la société, ses décrets ne peuvent être étouffés par les préceptes de l’art. Ceux qui, sans s’être rendu coupables ni d’erreurs ni d’imprudences, se trouvent privés des consolations ordinaires attachées à l’humanité, seront à même d’apprécier l’étendue de cette privation, dont l’injustice accroît beaucoup l’importance. Par suite des institutions civiles et du libertinage, qui en est la suite, une portion nombreuse de femmes est réservée au célibat, et cependant, leur importance, leur existence civile, leurs plaisirs et le respect qu’on doit à leur sexe, sont (à quelques exceptions près) liées avec l’état du mariage. Malheur à ces victimes du vice et de la superstition, si, trop familiarisées avec l’hypocrisie, elles ne peuvent étouffer à leur naissance ces sentimens qui auraient constitué leur bonheur et leur gloire ; cette sensibilité, qui est le charme de leur sexe, dans de semblables situations, devient leur perte ; en se soumettant à leur destinée, le dédain est presque toujours leur partage ; en outre, si elles passent les bornes qui leur sont fixées, une seule erreur les entraîne dans un labyrinthe de fautes et de malheurs. La réflexion ne saurait leur faire dédaigner ces distinctions, qui, en confondant les mœurs et le crime, empoisonnent la vertu dans sa source : entraînées dans une mer d’injures et de reproches, une foule d’ennemis assiègent leur passage, exagèrent leur faiblesse, dénaturent leurs principes, leurs actions, et avec une méchanceté indigne et une constance impitoyable s’efforcent de les priver des droits de la vie civile.

Le Vengeur des Droits de la Femme, a été à même d’éprouver la vérité de ces réflexions,

« Ceux qui sont assez insensés, dit-elle dans une lettre à un ami, pour se mettre au-dessus des préjugés de leur siècle, et pour rejeter par la force de leur propre jugement les erreurs que le règne des lumières fera un jour disparaître, doivent s’étudier à braver la censure… Je ne suis pas avide de vengeance… Ceux qui me connaissent supposeront que je me suis conduite par principes… Mais comme, en général, nous jugeons le mérite des autres d’après celui que nous possédons… je m’inquiète fort peu des discours de la majeure partie du genre-humain… Je me contente de l’approbation de ma conscience ».

Son union avec M. Godwin, quoique revêtue de formalités que la prudence ne leur avait pas permis de violer, l’exposa encore aux discours du monde ; elle remarqua d’abord avec surprise, puis avec douleur, quelque altération dans l’accueil que lui faisaient ses connaissances ; mais elle finit par ne plus s’en affecter… Le témoignage d’une âme comme la sienne devait lui suffire… Des sentiments plus doux occupaient alors ses pensées ; entourée d’amis respectables et éclairés, qui étaient à même d’apprécier ses belles qualités ; heureuse au sein de son ménage, son cœur reprenait son ardeur, et son génie retrouvait sa force et reprenait son essor. Les délassemens littéraires, les soins domestiques et les plaisirs de la société remplissaient et charmaient ses loisirs. Tandis qu’elle jouissait d’avance du moment qui, en venant augmenter sa sollicitude maternelle, allait lui offrir une nouvelle source d’affection.

« Elle était idolâtre, dit son biographe et son mari[9], de la vie domestique ; elle aimait à remarquer l’accroissement d’affection qui régnait entre moi et sa fille, alors âgée de trois ans, ainsi que la sollicitude que m’inspirait l’enfant qu’elle portait dans son sein. L’état de grossesse même, sujet à bien des variations, ainsi que semble l’être à cet égard l’ordre de la nature, est la source de mille jouissances. Personne ne savait mieux que Marie trouver des sensations agréables dans une infinité de petites circonstances que d’autres eussent à peine remarquées.

En faisant quelquefois avec moi et son enfant une petite promenade champêtre, la sensibilité de son cœur se développait ; une sorte de gaieté enfantine, quoique noble, que ceux qui l’ont éprouvée comprendront facilement mais que j’essayerais vainement de dépeindre, venait animer notre entretien.

Elle n’était pas d’un caractère à languir dans l’oisiveté ; elle employa les talens qu’elle avait reçus de la nature sous différentes vues d’utilité ; elle fit paraître un ouvrage que depuis longtemps elle avait intention de donner au public, intitulé : Les Torts de la Femme, dans le dessein de démontrer les maux qui proviennent des lois et des coutumes des institutions civiles, plus particulièrement funestes à leur sexe… maux dont elle n’avait que trop sujet de se plaindre. Elle traça un recueil de lettres sur l’éducation des enfants, qu’elle se proposait de soumettre à la révision d’un médecin de ses amis, et dont la lettre introductoire a été insérée dans ses ouvrages posthumes. Elle composa aussi quelques volumes pour l’instruction des enfants, dont un fragment, trouvé dans ses papiers, a depuis été mis au jour. Il est à présumer, d’après l’esquisse qui a paru de son roman, qu’elle s’était proposé d’y apporter une sérieuse attention ; elle connaissait les difficultés qui accompagnent ce genre de composition, méprisé par les pédans, mais dont l’exécution parfaite demande un degré de génie au-dessus du commun. Pénétrée de cette conviction, elle y travailla lentement et y faisait des changemens fréquens. La première partie de cet ouvrage, et la plus achevée, (l’Histoire de Jemima, jeune fille abandonnée dans son bas âge, entraînée dans le vice et l’infamie, par l’oppression et le malheur) est conçue et exécutée avec esprit et originalité ; les autres volumes, bien inférieurs au premier, dans un état imparfait, semblent cadrer avec les circonstances malheureuses où se trouva l’auteur. Il est vraisemblable que si elle eût assez vécu pour terminer cet ouvrage, elle l’eût dégagé d’une partie de ses fautes.

Au milieu de ces perspectives agréables, elle éprouva les douleurs de l’enfantement, (le mercredi 30 août 1797) qu’elle supporta avec son courage accoutumé, et que la manière heureuse dont elle en avait été délivrée à son premier enfant lui faisait entrevoir avec calme : elle avait toujours été d’avis qu’en pareil cas, il était plus convenable d’avoir recours à une sage-femme, et que malgré les vices attachés au genre d’éducation qu’elles reçoivent, elles étaient assez habiles pour les cas ordinaires. Malheureusement celui où elle se trouva, ne se montra pas de cette nature ; à une délivrance bien retardée, succédèrent des symptômes dangereux, effrayans pour sa sûreté et pour la tendresse de ses amis. Quelques jours après des apparences un peu plus rassurantes ranimèrent leur espoir ; mais le lundi suivant cette flatteuse attente fut remplacée par la plus cruelle sollicitude. On lui administra en vain tous les secours que l’art de la médecine et que la tendresse de l’amitié purent suggérer ; supportant ses souffrances, quoiqu’elle sentît bien le danger de sa situation, avec une douceur et une patience édifiantes, elle languit ainsi jusqu’au lundi suivant, 10 septembre, jour qu’elle expira, à sept heures quarante minutes du matin. Il ne paraît pas qu’elle ait cru qu’elle en mourrait jusqu’aux deux jours qui précédèrent cet événement ; elle y songeait de temps en temps, mais sans cependant s’arrêter longtemps à cette idée, toutes ses forces étant alors fort épuisées. Les sentimens religieux qu’on lui avait imprimés dans sa jeunesse, n’étaient pas de nature à lui inspirer une grande terreur à ses derniers moments. Son imagination s’était formé de la divinité un être indulgent et bon ; elle se reposait avec confiance en lui. Ses restes furent déposés dans le cimetière de Saint-Pancras Midlesex, où l’on a depuis érigé, à sa mémoire, un simple monument, portant l’inscription suivante

Marie Wollstonecraft Godwin,
Auteur de la Défense des Droits de la Femme,
Née le XXVII avril M. DCCLIX,
Morte le X septembre M. DCCXCVII.

Il serait difficile de jeter un coup-d’œil sur la vie de cette femme étonnante, sans être saisi d’un sentiment mêlé de tendresse et de respect. L’idée de ses égaremens (et quel est celui qui, avec des sentimens aussi vifs et des passions aussi bouillantes, peut se flatter de n’avoir jamais commis d’erreurs ?) est effacée par le touchant intérêt qu’inspirent ses malheurs et le respect que commandent ses vertus. Les qualités de son cœur et le haut degré de jugement dont elle était douée, semblent être les dons qu’elle tenait de la nature, et ses erreurs et ses souffrances n’être que l’effet de la corruption et de la prévention des autres : les facultés et les ressources de son âme, au milieu des inconvéniens attachés à son sexe et à son état, annoncent des talens du premier ordre ; ses idées étaient folles et originales ; sa manière libre de penser et son courage à combattre les opinions reçues, dignes d’admiration. Née dans l’obscurité, inconnue et rebutée, elle s’est élevée elle-même, par ses propres travaux, à un tel degré qu’elle a mérité l’attention publique et obtenu une célébrité qui fait honneur au pays qui lui donna le jour. Une sensibilité et une tendresse extrêmes, accompagnées d’une énergie et d’un courage vraiment mâle, union si rare, sont les traits qui caractérisent essentiellement Marie Wollstonecraft

Avec le penchant insurmontable qu’elle avait pour un attachement individuel qui, en concentrant ses sentimens, pouvait rétrécir son cœur, elle possédait la plus rare philanthropie, et les œuvres de bienveillance lui étaient naturelles. Si on alléguait qu’elle fut inconstante dans ses attachemens, il suffirait de mettre sous les yeux les circonstances de sa malheureuse passion, et la peine qu’elle eut à se détacher d’un objet indigne de ses affections.

Sans doute sa conduite fut quelquefois imprudente, quelquefois coupable ; elle ne fut pas non plus exempte des caprices de la sensibilité ni des inégalités de l’esprit. C’est un aveu humiliant sans doute, mais l’ignorance et la lâcheté seules pourraient y trouver quelque consolation.

Pour croire qu’un être humain puisse fréquenter la société sans être atteint de la corruption qui y règne, il faudrait ne pas connaître la nature sympathique de l’âme. Celui qui cherche la perfection, démontre le peu de connaissance qu’il a de lui-même ou de ses semblables, et celui qui l’attend d’un caractère ardent, a bien besoin de feuilleter encore le livre de la nature. Ceux qui se plaisent à découvrir les faiblesses des caractères les plus marquans, devraient bien avoir la charité de peser, dans la même balance, leurs qualités et leurs talens supérieurs.

Pour réveiller une solide émulation et les passions les plus nobles, un grand caractère devrait être placé dans son véritable jour et à un certain point de vue. Celui dont le cœur n’est pas enthousiasmé par l’exemple des grands hommes, s’élèvera difficilement à de grandes choses. Cette pensée est conforme à l’opinion du philosophe français Helvétius.

Son sexe a perdu, par la fin prématurée de cette femme extraordinaire, un défenseur vigoureux ; elle n’a cependant pas travaillé en vain : l’esprit de réforme se propage en silence ; et qui peut déterminer où il s’arrêtera ?

Nous ne savons rien de certain sur la marche des progrès de Marie ; mais nous sommes portés à croire que, de même que la majorité de son sexe, ses études furent conduites avec peu de méthode, sous la direction de son goût et de ses sentimens. Il ne paraît pas qu’elle se soit adonnée aux sciences, ou qu’elle eût des prétentions au titre de savante, dans le sens propre de ce mot ; elle avait appris le français insensiblement dans la conversation, dans le dessein de se livrer à des traductions ; elle s’était aussi appliquée à la langue allemande dans le même but ; se fiant trop à la force de ses facultés et à la richesse de son imagination, elle avait dédaigné l’étude de la grammaire et des règles de la langue de son pays, erreur dont elle se repentit beaucoup sur les derniers tems de sa vie. Son âme dut sans doute son énergie aux embarras qu’elle éprouva de bonne heure, à la force de ses passions et à la nécessité où elle se trouva de se suffire à elle-même.

Sa taille était moyenne et bien proportionnée ; sa figure pleine, ses cheveux et ses yeux bruns, ses traits agréables, sa voix douce et susceptible de modulation, quoique d’une faible étendue. Lorsqu’elle s’abandonnait dans une conversation familière et amicale, ses manières et son ton gracieux subjuguaient le cœur.

F I N.
  1. On a répandu avec profusion le bruit absurde que Marie Wollstonecraft avait été gouvernante de la plus jeune fille du lord Kingsborough, que son imprudence ou ses malheurs ont dernièrement rendu l’objet de l’animadversion publique : mais il suffit de consulter avec un peu d’attention la chronologie pour reconnaître la fausseté de ce rapport.
  2. Cet ouvrage n’a pas encore été publié.
  3. Droits de la femme.
  4. M. Godwin.
  5. Mémoires de Godwin, sur le Vengeur des droits de la femme.
  6. Les vicissitudes auxquelles nous sommes exposés dans cette vie, sont les seuls argumens qui puissent justifier une action semblable, aux yeux du philosophe.
  7. M. Godwin William Caleb.
  8. L’auteur du présent mémoire.
  9. Mémoires de M. Godwin, etc.