Vie et aventures de Martin Chuzzlewit/35

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CHAPITRE X.
Arrivée en Angleterre. – Martin assiste à une cérémonie d’où il tire la preuve consolante qu’il n’a pas été oublié en son absence.

Midi sonnait. L’eau montait dans le port anglais où le Screw devait aborder, quand, poussé galamment par la force de la marée haute, ce bâtiment jeta l’ancre dans le fleuve.

Toute brillante qu’était cette scène, toute fraîche et pleine de mouvement, de souffle, de liberté et d’éclat qu’elle pouvait être, ce n’était rien en comparaison de la vie et de l’exaltation qui remplissaient le cœur des deux compagnons de voyage, à la vue des vieilles églises, des toits et des noires cheminées du pays. Le bruissement éloigné qui s’élevait en sons rauques des rues populeuses était pour leurs oreilles une musique suave ; les rangées de curieux qui les observaient du haut des parapets étaient pour eux autant d’amis tendrement aimés ; le dôme de fumée qui surplombait la ville était plus radieux et plus beau à leurs yeux que ne l’eussent été les plus riches soieries de Perse flottant dans les airs. Et quoique l’eau courant sur son sillage lumineux tournât sans s’arrêter jamais pour bondir avec des jets rayonnants autour des grands navires qu’elle soulevait ; quoiqu’elle tombât du tranchant des rames comme une pluie jaillissante de diamants ; quoiqu’elle se jouât avec les lourds bateaux et passât rapide, avec mille élans folâtres, à travers les vieux anneaux de fer tout rouillés et rivés fortement dans la muraille des quais ; cependant l’eau elle-même n’était pas à moitié aussi agitée, aussi mouvante que les deux cœurs de Martin et de Mark, au moment où cet immense bonheur leur était accordé de reprendre possession du sol natal.

Un an s’était écoulé depuis que ces flèches et ces toits avaient disparu à leurs yeux. Ces douze mois leur avaient semblé douze ans. Ils se signalaient çà et là l’un à l’autre quelques changements sans importance, et s’étonnaient qu’il y en eût si peu et de si légers. Sous le rapport de la santé, de la fortune, des perspectives d’avenir et des ressources, ils revenaient plus pauvres qu’ils n’étaient partis. Mais c’était la patrie ! Et, bien que la patrie ne soit qu’un nom, un mot, ce mot-là a tant d’éloquence ! Il a plus de force en vérité que n’en eût jamais la parole d’un magicien ou la réponse de l’esprit évoqué par ses conjurations.

Comme ils étaient débarqués avec très-peu d’argent dans leur poche et sans avoir en tête un plan d’opérations bien défini, ils se mirent à la recherche d’une taverne à bon marché, où ils se régalèrent de biftecks fumeux et de pots de bière mousseuse, comme peuvent se régaler des hommes qui viennent d’échapper à la mer et qui apprécient les généreuses friandises de la cuisine de terre. Lorsqu’ils eurent bien festoyé, comme eussent pu le faire deux gargantuas, ils ranimèrent le feu, relevèrent les rideaux rouges qui couvraient la fenêtre, et s’étant constitué chacun un sofa avec deux grands et lourds fauteuils réunis, ils se mirent à regarder avec délices le tableau de la rue.

Cette rue elle-même était enchantée, cachée à demi comme elle l’était sous une atmosphère de biftecks et de bière forte, écumante, de la bière anglaise pour tout dire. Sur les vitres de la croisée pesait un tel brouillard, que M. Tapley fut obligé de se lever et d’essuyer l’humide voile avec son mouchoir, pour bien s’assurer que les passants étaient des mortels ordinaires. Et même alors un petit nuage tournant en spirale monta au-dessus des deux verres de grog bouillant et déroba presque l’un à l’autre les deux amis.

Cette chambre était un des ces réduits inimaginables qu’on ne saurait rencontrer ailleurs que dans une taverne, et qu’on ne s’explique de trouver là qu’en raison de la faculté que l’architecte a dû avoir de se griser tout son soûl en bâtissant une taverne. Elle recélait plus d’angles qu’il n’y en a dans le cerveau d’un homme entêté ; elle était pleine d’un tas de petites cellules insensées dans lesquelles on n’eût pu faire entrer aucun objet qui ne fût inventé et fabriqué tout exprès ; elle avait de mystérieuses soupentes avec des encoignures et des traces d’escalier dans le plafond ; on avait eu soin de la munir d’une sonnette qui vibrait dans la chambre même, à deux pieds environ de la poignée de son cordon, et qui ne communiquait avec aucune autre partie de la maison. La chambre était au-dessous du niveau de la rue et avançait sur l’alignement, de sorte qu’il arrivait sans cesse aux passants de frotter les panneaux de la fenêtre avec leurs boutons ou de les racler avec leurs paniers, et souvent aussi à des enfants terribles de venir soudain se poser entre le jour et le consommateur sérieux pour se moquer de lui ou lui tirer la langue, comme ils eussent fait à un médecin ; ou bien encore ils s’amusaient, les gamins, à se faire des plaques blanches au bout du nez en l’aplatissant contre les carreaux, puis ils disparaissaient majestueusement comme des spectres.

Martin et Mark étaient donc assis et occupés à regarder passer la foule, tout en discutant entre eux sur la première démarche qu’ils auraient à faire.

« Naturellement il nous faut voir miss Mary, dit Mark.

– Naturellement, répéta Martin. Mais j’ignore où elle peut être. N’ayant pas eu le courage de lui écrire dans notre malheur (vous-même d’ailleurs vous jugiez le silence préférable), par conséquent n’ayant plus entendu parler d’elle depuis que nous quittâmes New-York pour la première fois, je ne sais où elle est, mon cher.

– Mon avis est, monsieur, répondit Mark, que ce que nous avons de mieux à faire est de nous rendre tout droit au Dragon. Il n’y a pas nécessité pour vous, à moins que vous ne le préfériez, de vous montrer en cet endroit où vous êtes connu. Vous pourrez vous arrêter à dix mille de là. Moi je ferai la route entière. Mme Lupin me contera toutes les nouvelles, M. Pinch me fournira tous les renseignements dont nous avons besoin, et il sera fièrement content, M. Pinch, de nous rendre ce service. Je propose donc ceci : partir dès cette après-midi ; nous arrêter quand nous serons fatigués ; monter dans quelque charrette en route quand nous le pourrons ; quand nous ne le pourrons pas, nous servir de nos jambes ; faire cela tout de suite et à bon marché.

– À moins que ce ne soit à bon marché, nous aurions quelque peine à le faire, dit Martin en tirant la bourse et l’étalant dans le creux de sa main.

– Raison de plus pour ne pas perdre de temps, monsieur, répliqua Mark ; attendu que, quand vous aurez vu la jeune dame et appris dans quelles dispositions d’esprit se trouve le vieux gentleman, etc., etc., alors vous saurez ce que vous aurez à faire ensuite.

– Sans doute, dit Martin. Vous avez parfaitement raison. »

Ils portaient l’un et l’autre leur verre à leurs lèvres quand leur main s’arrêta à mi-route : leur regard venait d’être frappé par une figure qui lentement, très-lentement et d’un air très-réfléchi, passait en ce moment sous la fenêtre.

C’était M. Pecksniff. Il était paisible, calme, mais fier, d’une fierté honnête ; vêtu avec un soin particulier, souriant avec plus de douceur encore que d’habitude, réfléchissant aux beautés de son art, abstraction faite de toute sordide pensée de gain, et glissant paisiblement le long du disque lumineux de la croisée, comme Rotomago dans la lanterne magique.

À l’instant où M. Pecksniff allait s’éloigner, une personne venant dans le sens opposé s’arrêta pour le suivre de l’œil avec un profond intérêt et un respect marqué, presque avec vénération ; et l’aubergiste, s’élançant de sa maison comme s’il eût aperçu également le vertueux architecte, rejoignit la personne qui s’était arrêtée, lui parla, secoua aussi la tête avec gravité et contempla également M. Pecksniff.

Martin et Mark restèrent à s’entre-regarder, comme s’ils n’en pouvaient croire leurs yeux : et cependant l’aubergiste était toujours là, et l’autre individu y était de même. En dépit de l’indignation qu’il avait ressentie rien qu’en entrevoyant M. Pecksniff, Martin ne put s’empêcher de rire de bon cœur : Mark ne résista point à semblable envie.

« Il faut approfondir la chose ! dit Martin. Appelez le maître de la taverne, Mark. »

M. Tapley sortit pour exécuter ces instructions, et il revint aussitôt, ramenant leur hôte à face bouffie.

« Dites-moi, je vous prie, monsieur l’hôte, demanda Martin, quel est ce gentleman qui vient de passer par ici et que vous suiviez de l’œil ? »

L’aubergiste ranima le feu, comme si, dans son désir de produire le plus d’effet possible par sa réponse, il était devenu indifférent au prix du charbon ; puis enfonçant ses mains dans ses poches, il répondit après s’être gonflé, afin de donner à sa réplique le plus d’ampleur possible :

« Ceci, messieurs, c’est le grand M. Pecksniff ! le célèbre architecte, messieurs ! »

En disant cela, il promena son regard de l’un à l’autre, comme pour s’apprêter à secourir le premier des deux qui serait foudroyé par cette nouvelle.

« Le grand M. Pecksniff, le célèbre architecte, messieurs, est venu ici pour assister à la pose de la première pierre d’un nouveau et splendide monument public.

– Est-ce d’après ses dessins qu’on doit construire ce monument ? demanda Martin.

– Le grand M. Pecksniff, le célèbre architecte, messieurs, répondit l’aubergiste qui semblait éprouver un plaisir indicible à répéter ces pompeuses épithètes, a remporté le premier prix, et c’est lui qui élèvera le monument.

– Qui est-ce qui pose la pierre ? demanda Martin.

– Notre membre des Communes est venu tout exprès. En semblable occasion, l’on n’irait pas prendre des gens de rien. Pour contenter nos directeurs, il ne fallait pas moins qu’un membre de la chambre des Communes, qui y a été renvoyé dans l’intérêt des gentlemen.

– Quel est cet intérêt ? demanda Martin.

– Comment ! ne le savez-vous pas ? » répliqua l’aubergiste.

Il était clair que l’aubergiste n’en savait rien. À l’époque des élections, on lui avait toujours dit que c’était le côté des gentlemen ; aussitôt il avait mis ses bottes à revers et il avait voté pour les gentlemen.

« Quand la cérémonie aura-t-elle lieu ? demanda Martin.

— Aujourd’hui, » répondit l’aubergiste. Et tirant sa montre, il ajouta d’un ton expressif : « Dans la minute. »

Martin se hâta de lui demander s’il n’y aurait pas moyen d’y assister ; et apprenant qu’on ne ferait aucune difficulté pour recevoir une personne convenable, à moins qu’il n’y eût pas la moindre place, il partit aussitôt avec Mark, et ils ne furent pas longs à faire la course.

Ils eurent la chance de pouvoir se faufiler dans un bon coin de l’enceinte, où ils pouvaient voir tout ce qui se passerait, sans trop de crainte d’être aperçus par M. Pecksniff. Ils n’étaient certes pas arrivés une minute trop tôt : car, tandis qu’ils étaient en train de se féliciter de la place qu’ils avaient pu trouver, on entendit à peu de distance un grand tapage, et aussitôt chacun tourna son regard vers la porte. Plusieurs dames se préparèrent à agiter leurs mouchoirs ; et il arriva qu’un instituteur appartenant à l’école de Charité, s’étant fourvoyé par là et ayant été très-applaudi par méprise, fut hué par contre-coup lorsqu’on reconnut l’erreur.

« Peut-être aura-t-il amené Tom Pinch avec lui, dit Martin à l’oreille de M. Tapley.

– Oh ! non, monsieur ; ne croirait-il pas lui faire trop d’honneur ? » dit également tout bas M. Tapley.

Le temps leur manqua pour discuter le plus ou moins de probabilité de la question : car les enfants de l’école de Charité, en linge bien blanc, arrivèrent, défilant deux par deux, et leur vue causa une si profonde émotion à tous les spectateurs que plusieurs d’entre eux ne purent retenir leurs larmes. Suivait une troupe de musiciens, conduite par un tambour consciencieux qui ne cessait de battre sa caisse. Parurent ensuite un grand nombre de gentlemen tenant des baguettes et portant sur la poitrine des nœuds de rubans : leur présence dans la cérémonie ne se définissait pas clairement ; ils marchaient à la queue leu leu, et obstruèrent l’entrée pendant un très-long temps. Ils étaient suivis du maire et de la corporation, qui entouraient le membre des Communes représentant les intérêts des gentlemen : ce dernier avait à sa droite le grand M. Pecksniff, le célèbre architecte, et chemin faisant il causait familièrement avec lui. Alors les dames agitèrent leurs mouchoirs, les gentlemen leurs chapeaux, les enfants de l’école de la Charité poussèrent des cris aigus, et le membre de la chambre des Communes représentant les intérêts des gentlemen se mit à saluer.

Quand le silence se fut rétabli, le membre des Communes se frotta les mains, remua la tête et jeta autour de lui des regards bienveillants : ce membre ne pouvait rien faire sans qu’une dame quelconque agitât son mouchoir avec une ardeur frénétique. S’il posait sa main sur l’épaule du maçon pour donner à cet homme quelques instructions, comme on trouvait ses manières bienveillantes vis-à-vis des classes ouvrières ! C’est ainsi qu’il savait transformer pour ces pauvres chères âmes le travail en plaisir !

On apporta une truelle d’argent ; et quand le membre des Communes, ayant relevé le bout de sa manche, opéra avec un peu de mortier un petit tour d’escamotage, l’air fut déchiré, tant les applaudissements retentirent avec violence. La façon dégagée dont il pratiqua cette œuvre d’artisan était quelque chose de prodigieux. Personne ne pouvait concevoir où ce représentant des intérêts des gentlemen avait pris un tel talent.

Lorsqu’il eut façonné une sorte de petit gâchis sous la direction du maçon, on apporta un petit vase contenant des médailles avec lesquelles le membre des Communes jongla comme pour faire une conjuration magique. Sur quoi l’on s’écria : « Que c’est drôle ! que c’est joli ! Quelle verve spirituelle ! » Les médailles étant mises en leur lieu et place, un vieux savant lut l’inscription, composée en latin, et non en anglais, ce qu’on n’aurait jamais l’idée de faire. Cette inscription causa un vif plaisir à l’assemblée, surtout quand il se trouvait un bon substantif très-long, appartenant à la troisième déclinaison et marié à l’ablatif avec un adjectif ; alors les auditeurs étaient émus et charmés au plus haut degré.

Maintenant c’était le tour de la pierre, qu’on posa au bruit des acclamations de la foule. Quand elle fut solidement fixée, le membre des Communes frappa dessus par trois fois avec le manche de la truelle, comme pour demander, avec une nuance de gaieté fine, s’il y avait quelqu’un à la maison. M. Pecksniff déroula alors son plan (un plan prodigieux), et les spectateurs s’approchèrent avec empressement pour le voir et l’admirer.

Martin, qui s’était démené durant tout le cours de la cérémonie (bien inutilement, selon Mark), ne put contenir davantage son impatience : s’avançant parmi d’autres curieux, il regarda de très-près par-dessus l’épaule de M. Pecksniff, qui ne se doutait guère du voisinage, lorsque les dessins et plans eurent été déroulés. Il revint vers Mark en écumant de rage.

« Eh bien ! qu’y a-t-il donc, monsieur ? s’écria Mark.

– Ce qu’il y a ? … C’est mon projet de bâtiment.

– Votre projet, monsieur ? dit Mark.

– Mon collège. C’est moi qui l’ai composé ; c’est moi qui ai tout fait. Il s’est borné à y ajouter quatre fenêtres, le misérable ! et il l’a gâté ! »

Mark pouvait à peine d’abord ajouter foi à cette nouvelle ; mais s’étant convaincu ensuite qu’elle n’avait rien que de réel, il engagea Martin à ne point faire un éclat insensé, jusqu’à ce que son accès de colère fût passé.

Pendant ce temps, le membre des Communes adressait un speech à l’assemblée sur la tâche agréable qu’il venait de remplir.

Il dit que, depuis le jour où il avait pris place au parlement pour y représenter les intérêts des gentlemen de cette ville, et il pouvait ajouter, il l’espérait du moins, les intérêts des dames aussi (mouchoirs), ç’avait été pour lui un devoir charmant de venir souvent parmi ses commettants comme d’élever la voix pour eux dans un autre endroit (mouchoirs et applaudissements). Mais il n’était jamais venu parmi eux et jamais il n’avait élevé sa voix avec un plaisir aussi doux de moitié, aussi profond, aussi pur de tout mélange. « Cette journée, ajouta-t-il, sera éternellement mémorable pour moi, non-seulement à cause des motifs que j’ai indiqués, mais encore parce qu’elle m’a fourni l’occasion de faire personnellement connaissance avec un gentleman… »

Ici, il montra M. Pecksniff, qui fut couvert des plus bruyantes acclamations, et il posa sa main sur son cœur.

« Un gentleman qui, je suis heureux de le penser, remportera d’ici à la fois honneur et profit ; un gentleman dont la réputation était parvenue déjà jusqu’à moi (et à l’oreille de qui n’était-elle pas arrivée ! ), mais dont jusqu’à présent je n’avais pas eu l’insigne honneur de contempler les traits intelligents, et dont jamais non plus je n’avais eu le vif plaisir de goûter sa conversation intéressante. »

Chacun des assistants paraissait enchanté de cette communication, et les applaudissements redoublèrent.

« Mais j’espère, dit le membre des Communes, que mon honorable ami (naturellement il ajouta : « S’il veut bien me permettre de l’appeler ainsi ; » et naturellement M. Pecksniff s’inclina en signe d’adhésion) me fournira plus d’une occasion de cultiver sa connaissance, et que j’aurai dans l’avenir le bonheur extraordinaire de penser qu’en ce jour j’aurai posé à la fois les deux premières pierres de deux monuments qui dureront autant que ma vie ! »

Nouveaux applaudissements. Pendant tout ce temps, Martin couvrait de malédictions M. Pecksniff et ne savait à quel saint se vouer.

Cependant M. Pecksniff répondit en ces termes :

« Mes amis, mon devoir est de bâtir et non de parler ; d’agir, non de discourir ; de travailler avec le marbre, la pierre et la brique, et non avec le beau langage. Je suis profondément ému. Que Dieu vous bénisse ! »

Cette petite harangue, qui semblait s’échapper du fond du cœur de M. Pecksniff, porta l’enthousiasme jusqu’au plus haut point. Les mouchoirs s’agitèrent de nouveau ; on cria aux jeunes enfants de l’école de Charité de devenir, s’ils le pouvaient, autant de Pecksniffs ; les membres de la corporation, les gentlemen porteurs de baguettes, le député du parlement, tous acclamèrent M. Pecksniff. Trois vivat pour M. Pecksniff ! Encore trois vivat pour M. Pecksniff ! Trois autres encore pour M. Pecksniff, s’il vous plaît, gentlemen ! Un encore, gentlemen, pour M. Pecksniff, et un fameux, pour en finir !

En résumé, M. Pecksniff passa pour avoir accompli une grande œuvre, et il fut récompensé avec cordialité, distinction et libéralité. Lorsque le cortège se remit en marche, et que Martin et Mark se trouvèrent presque seuls sur le terrain, le sujet de la conversation générale c’était le mérite de Pecksniff, et le désir que tout le monde avait de le connaître. Pour un peu, on l’aurait fait passer avant le membre des Communes.

« Comparez avec notre position celle que ce drôle occupe aujourd’hui ! … dit amèrement Martin.

– Dieu vous bénisse ! monsieur, s’écria Mark ; à quoi bon vous échauffer ? Il y a des architectes qui sont habiles à construire les fondations ; il y en a d’autres qui bâtissent sur les fondations lorsqu’elles sont faites. Mais à la fin tout s’arrangera, monsieur, tout s’arrangera !

– Et en attendant…

– En attendant, comme vous dites, monsieur, nous avons bien des choses à faire ; nous avons à aller bien loin. Ainsi, le mot d’ordre c’est « hardi et jovial. »

– Mark, vous êtes le meilleur précepteur qu’il y ait au monde, dit Martin, et je ne serai pas un mauvais élève, autant qu’il dépendra de moi ; j’y suis bien résolu. Ainsi, partons ! Nous allons voir qui marchera le mieux des deux, mon vieux camarade ! »