Vie du pape Pie-IX/Les suites de l’orage

CHAPITRE XXI.

Les suites de l’orage.


Après la bataille de Castelfidardo et la capitulation d’Ancône, Victor-Emmanuel se voyait maître de l’Italie. Au nord et au midi de la Péninsule, les princes légitimes avaient été remplacés par les fonctionnaires piémontais, qui ne tardèrent pas à inaugurer une véritable persécution contre l’Église. Dans l’allocution consistoriale du 13 juillet 1860, Pie IX avait flétri, en termes énergiques, les forfaits dont le gouvernement sarde s’était rendu coupable. “Dans diverses contrées de l’Italie, disait le Saint-Père, injustement soumises au gouvernement piémontais, des écoles publiques ont été établies, dans lesquelles, au grand détriment des âmes, on enseigne ouvertement et publiquement des doctrines fausses et dépravées, complètement contraires à l’Église catholique et où l’Église elle-même est directement attaquée Ces ennemis de la lumière et de la vérité n’hésitent point à porter leurs mains violentes et sacrilèges sur les ministres de l’Église et sur son patrimoine. Ainsi, lorsque le gouvernement piémontais eut usurpé les duchés de Parme et de Plaisance, il poussa l’iniquité jusqu’à chasser de leur demeure les moines de l’Ordre de saint Benoît.” Puis Pie IX énumère les différents sacrilèges commis au nom de l’indépendance italienne : emprisonnement des évêques, abolition des ordres religieux, séquestration des biens ecclésiastiques.

La mort du misérable Cavour arriva huit mois après la prise d’Ancône. Mais avant de mourir il avait fait proclamer par le sénat, le 26 février 1861, et par la chambre des députés, le 14 mars de la même année, le Royaume d’Italie ; on déclarait en même temps que la capitale de ce royaume serait Rome. Le 17 mars, Victor-Emmanuel laissa le titre de roi de Piémont pour prendre celui de roi d’Italie. L’Ombrie et les Marches, les plus belles provinces des États de l’Église, furent annexées au Piémont.

Le gouvernement français reconnut, le premier, le nouveau royaume d’Italie, fondé sur l’usurpation et la violence et le fit reconnaître par les autres pays de l’Europe. Il est vrai que Napoléon déclara que l’Italie ne devait pas trouver dans cet acte “un encouragement à des entreprises de nature à compromettre la paix générale.” Le Piémont comprit parfaitement ce langage hypocrite et ne s’en émut pas. À la suite de la France, les autres États européens reconnurent les faits accomplis. L’Espagne et la Bavière attendirent jusqu’en 1865 pour donner leur adhésion au nouvel état de choses et l’Autriche ne s’inclina devant la Révolution triomphante qu’après le désastre de Sadowa, en 1866.

La doctrine du dix-neuvième siècle sur les faits accomplis a quelque chose d’incompréhensible. On reconnaît qu’une chose est immorale, cependant on la tolère afin de ne pas troubler la paix. Un roi usurpe un trône, se rend injustement maître d’un pays par la force, persécute et pille l’Église. Il faut le laisser faire pour ne pas le froisser. Avant longtemps on introduira cette doctrine politique dans la vie sociale. Pour ne pas faire de la peine à un voleur on lui laissera l’objet volé, et l’on présentera une adresse de condoléance à la personne volée. Voilà les fruits du libéralisme moderne qui reconnaît au mal et au bien des droits identiques.

Pie IX ne pouvait laisser cette nouvelle iniquité s’accomplir sans protester hautement. Dans l’allocution du 18 mars 1861, le Pape répondit à ceux qui le conjuraient de se réconcilier avec la civilisation moderne : “Le Saint-Siège est toujours d’accord avec lui-même : jamais il n’a cessé d’être le promoteur et le soutien de la civilisation ; les monuments de l’histoire l’attestent ; ils prouvent de la manière la plus éloquente qu’à toutes les époques les Papes ont porté la civilisation chez les barbares et jusque dans les contrées les plus lointaines… Mais est-ce une véritable civilisation que celle qui dépouille et enchaîne l’Église, qui ne tient aucun compte des traités et ne reconnaît aucun droit à la faiblesse ? Il est bien certain que jamais les Papes ne pourront s’entendre avec cette civilisation-là. Qu’y a-t-il de commun, comme dit l’Apôtre, entre le Christ et Bélial !… Pour ce qui est de nous voir tendre la main aux usurpateurs de nos provinces, sans qu’ils soient d’abord revenus à résipiscence, qu’on ne l’espère pas davantage….. Nous faire une proposition semblable, c’est demander à ce Siége, qui a toujours été le rempart de la justice et de la vérité, de sanctionner ce principe, qu’une chose volée peut être paisiblement possédée par le voleur, et qu’une injustice qui réussit devient par là même une justice.”