Vie du pape Pie-IX/Commencement de l’orage

CHAPITRE XVIII.

Commencement de l’orage.


Le 4 février 1859, parut une brochure anonyme, inspirée par l’empereur et portant ce titre : Napoléon III et l’Italie. C’était le programme de la révolution italienne, du Piémont et du franc-maçon Bonaparte. Dans cette brochure on répétait contre le pouvoir temporel des Papes les accusations absurdes qu’on avait déjà formulées au Congrès de Paris, et l’on concluait en proposant la sécularisation du gouvernement romain et l’établissement d’une confédération italienne, dont le Pape aurait eu la présidence honoraire et le Piémont, la direction effective.

Le principal argument contre la papauté sur lequel l’auteur de cet écrit perfide s’appuyait était la présence à Rome de troupes étrangères. C’est un reproche que l’on entend souvent formuler, mais qu’on peut facilement réfuter. Ce n’est pas la forme du gouvernement qui rendait la présence de cette armée nécessaire, mais les menées des révolutionnaires qui trouvaient leur plus fort appui chez ceux-là mêmes qui reprochaient au Souverain-Pontife sa faiblesse. Du reste, n’est-ce pas un honneur pour un pays chrétien de soutenir le trône de saint Pierre ? Et la Papauté, clef de voûte de l’ordre social, ne protège-t-elle pas à son tour toutes les nations du monde en les empêchant de retomber tout à fait dans la barbarie primitive ?

Voulant faire disparaître ce grief imaginaire, Pie IX pria la France et l’Autriche de retirer leurs troupes, mais le Piémont, qui avait intérêt à maintenir ce grief, intrigua, et les troupes restèrent.

Au commencement de l’année 1859, la guerre éclata entre l’Autriche et l’Italie. Napoléon prit fait et cause contre l’Autriche, tout en protestant de son dévouement au Saint-Siège. Ce qui n’empêcha pas un corps d’armée français d’occuper Bologne et les émissaires de Cavour d’offrir la dictature des Romagnes, l’une des plus riches provinces de l’État pontifical, au roi Victor-Emmanuel.

Le Pape protesta contre cette occupation, et Pérouse ayant suivi l’exemple de Bologne, il y fit marcher des troupes qui reprirent cette ville presque sans effusion de sang : douze victimes tant morts que blessés, voilà ce que la civilisation moderne, qui repose sur des millions de tombeaux, a osé qualifier de « massacre et de sac de Pérouse. »

Le roi de Prusse, complice alors de Napoléon, plus tard son ennemi, ordonna à l’empereur de signer la paix. Et la paix fut en conséquence signée à Villafranca d’une manière aussi imprévue que la guerre avait été déclarée. Ce traité établissait une confédération italienne sous la présidence honoraire du Pape, donnait la Lombardie au Piémont, laissait à l’Autriche la Vénétie et réservait au grand duc de Toscane et aux autres princes dépossédés, tous leurs droits. La révolution paraissait vaincue et Pie IX ordonna des actions de grâces.

Loin d’être morte, la révolution maçonnique avait trouvé en Victor-Emmanuel un instrument docile, et en Napoléon, un complice coupable. Au lieu de rétablir les princes détrônés, le roi de Piémont mit à leur place des gouvernements provisoires. Dans les Romagnes, appartenant au Saint-Siège, on eut recours à un prétendu plébiscite pour donner un prétexte à l’annexion de ces provinces au royaume de Piémont ; mais sur deux cent mille électeurs, dix-huit mille seulement furent inscrits sur les listes, et encore, de ce nombre, plus des deux tiers ne prirent pas part au vote. C’était une parodie ignoble. L’assemblée constituante sortie de cette pseudo-élection, se réunit à Bologne le 6 septembre 1859, vota l’abolition du gouvernement pontifical et proclama l’annexion des Romagnes au Piémont. Et le lâche Napoléon III, qui venait de signer le traité de Zurich, lequel consacrait toutes les stipulations du traité de paix de Villafranca, laissa tranquillement s’accomplir cette iniquité.

Le monde catholique protesta énergiquement contre cette violation flagrante des droits du Saint-Siège et des droits des gens. Il fut décidé de convoquer un congrès européen pour régler la question italienne. Pie IX, quoique peu rassuré sur l’issue de cette conférence, accepta le projet. Alors parut une nouvelle brochure anonyme : Le Pape et le Congrès, inspirée par Napoléon. Les conclusions de cet écrit étaient que le Pape devait renoncer aux Romagnes et plus tard au reste de ses États ! Tout cela, bien entendu, dans l’intérêt de la religion. Le Journal Officiel de Rome, organe reconnu du Pape, qualifia cette brochure, comme elle méritait de l’être, de « véritable hommage rendu à la Révolution, » de « thèse insidieuse » et de « sujet de douleur pour tous les bons catholiques. » Le 31 décembre, Napoléon adressa une lettre au Saint-Père, dans laquelle, tout en protestant hypocritement de son dévouement à la cause de la Papauté, il conseillait à Pie IX de renoncer aux Romagnes. Les mieux disposés envers Napoléon durent se rendre à l’évidence : La politique de la perfide brochure : Le Pape et le Congrès, était bien celle de l’empereur des Français. Dès ce moment, le Congrès devint impossible, car le Saint-Siège ne pouvait pas accepter une conférence qui ne devait se réunir que pour ratifier la spoliation déjà accomplie et l’Autriche ne pouvait pas prendre part à un congrès qui ne prendrait pas pour base de ses délibérations le traité de Zurich.

La lettre de Napoléon au Saint-Père avait été publiée dans les journaux de France ; la réponse du Pape ne le fut pas. Dans cette réponse, remarquable par sa douce fermeté, Pie IX déclarait que les droits du Saint-Siège ne sont pas ceux d’une dynastie mais de tous les catholiques et que le Pape ne peut céder ce qui ne lui appartient pas. Voyant que Napoléon ne permettait pas à la presse française de rendre publique l’importante réponse du Saint-Siège, Pie IX lança, le 19 janvier 1860, la célèbre encyclique Nullis certè verbis qui renfermait les principaux passages de sa lettre à Napoléon et qui déclarait en outre que le Pape était prêt à souffrir les dernières extrémités mais qu’il ne trahirait pas la cause de l’Eglise et de la justice.

L’empereur défendit aux journaux, sous peine de suppression, de reproduire cette encyclique. L’Univers, le journal de M. Louis Veuillot, que l’on a si souvent accusé et que certaines personnes mal inspirées accusent encore de compromettre la cause de la religion, l’Univers, dis-je, eut le courage de publier le document pontifical en entier. Ce journal eut la gloire d’être persécuté pour avoir défendu les droits de l’Eglise ; il fut supprimé pendant sept ans par le franc-maçon Bonaparte. C’était la meilleure réponse qu’on pouvait donner aux catholiques timides qui avaient cette noble feuille en suspicion.

Cependant, Victor-Emmanuel, non content d’avoir dépouillé l’Eglise d’une partie de son patrimoine, eut l’audace d’écrire au Saint-Père, de protester, comme son complice Napoléon, de son dévouement à l’Eglise, et de demander à Pie IX de lui céder, pour le bien de la religion, non-seulement les Romagnes, mais les Marches et l’Ombrie. Il poussa l’hypocrisie jusqu’à prier le Souverain-Pontife de lui donner sa sainte bénédiction. Pie IX, avant de frapper ce fils rebelle, l’avertit par une lettre et dans une encyclique adressée aux évêques, du terrible châtiment qui le menaçait. Victor-Emmanuel, ayant consommé son iniquité en acceptant formellement l’annexion des Romagnes au Piémont, écrivit de nouveau au Pape, sollicitant, comme par le passé, sa « sainte bénédiction. » Pie IX adressa au roi larron une lettre capable d’attendrir un cœur de pierre. On affirme même que Victor-Emmanuel la mouilla de ses larmes. Mais il s’était livré à la Révolution et il n’eut pas le courage de briser les chaînes qui le retenaient captif.

Puis, le 26 mars 1860, Pie IX lança une bulle d’excommunication contre le spoliateur couronné et contre tous ses complices. Napoléon, se sentant coupable, empêcha la publication de la bulle en France. Mais il n’a pas pu empêcher l’excommunication de porter ses fruits. À partir de cette date, Napoléon III commença à descendre du faite de sa grandeur pour aller enfin mourir en exil en passant par Sédan. On a beau dire, Dieu est le plus fort. Confregit in die iræ suæ reges.