Vie de la vénérable mère d’Youville/0.4

AVANT-PROPOS.



La Vénérable Mère d’Youville est une de ces grandes figures qui, malgré leur humilité, laissent dans l’histoire de leur pays une trace lumineuse et un souvenir ineffaçable. Il était donc tout naturel que les traits saillants de sa vie fussent recueillis et racontés. Un peuple s’honore en conservant la mémoire de ceux qui lui ont donné de grands exemples de vertu.

C’est à la plume filiale de M. Dufrost que nous devons la première biographie de la fondatrice des Sœurs de la Charité.

M. Sattin, prêtre de Saint-Sulpice et directeur des Sœurs Grises, comprit aussi que les sublimes actions de cette sainte femme, dont la mémoire était vénérée par toute la population du pays, ne devaient pas rester ignorées. Il recueillit d’une religieuse, la seule survivante de celles qui avaient connu la fondatrice, les faits omis par M. Dufrost, et rédigea, à son tour, une petite vie de Madame d’Youville. Mais ni le travail de M. Dufrost, ni celui de M. Sattin n’ont été publiés.

En 1852, M. l’abbé Faillon, à qui ses recherches sur l’histoire de la colonie française en Canada avaient rendu familiers tous les événements de la période pendant laquelle Madame d’Youville avait vécu, eut l’heureuse pensée de publier une vie de la Vénérable. Son travail, facilité par l’étude des documents relatifs au pays déposés aux archives du ministère de la marine, à Paris, et celle des annales de la communauté, est le plus complet et le plus documenté.

Il y a quelques années, un prêtre aussi savant que distingué, Mgr Ramsay, à la demande des divers établissements des Sœurs Grises, aux États-Unis, faisait paraître, en anglais, une vie de la Mère d’Youville et son livre était accueilli avec empressement par tous les lecteurs de langue anglaise.

La pensée d’écrire une nouvelle vie de la Vénérable ne me serait donc jamais venue ; mais en 1884, ayant été choisie par M. Bonissant, prêtre de Saint-Sulpice et postulateur de la cause de béatification de Madame d’Youville, comme l’un des témoins du procès, j’eus l’occasion de faire une étude approfondie de cette vie remarquable, et après l’audition de mon témoignage, Mgr Fabre, archevêque de Montréal, et M. l’abbé T. Harel, notaire apostolique, voulurent bien me demander de rédiger mes notes sous forme de biographie et de les publier. Diverses circonstances et de nombreuses occupations m’empêchèrent de donner suite à cette proposition.

Il y a trois ans, appelée de nouveau comme témoin dans le procès de béatification de la fondatrice, Mgr  l’archevêque Fabre et Monsieur le chanoine Bruchési (qui avait remplacé Monsieur Harel, comme notaire apostolique) me renouvelèrent la même demande, et Mgr  Bruchési y mit tant d’insistance et m’y encouragea si bien que je me décidai et me mis bientôt à l’œuvre.

Certaines parties de mon travail ont été difficiles ; ainsi l’appréciation des sentiments intimes de Mme d’Youville et de ses impressions sur les personnes et les choses de son temps était presque impossible, car elle a peu écrit, et à part quelques lettres d’affaires dans lesquelles se manifestent son abandon à la divine Providence et sa grande confiance dans le Père Éternel, on ne trouve rien d’elle. Ses instructions à ses filles, ses avis, ses exhortations ont été transmis verbalement par les premières mères à celles qui leur ont succédé. Les archives de ce temps ont été négligées et c’est pour combler cette lacune que M. Sattin s’est hâté de recueillir, de la bouche de la Mère Coutlée, les traits saillants de la vie de la fondatrice. Ses filles admiraient les grandes vertus de leur mère, elles avaient pour elle la plus profonde vénération, mais elles ne songeaient pas à noter les grandes choses accomplies sous son administration.

J’ai donc été obligée de me borner aux faits cités par M. Dufrost et M. Sattin, et j’ai surtout emprunté à M. Faillon les détails qu’il a pu recueillir dans les documents publics, les archives de la communauté et la tradition.

Je n’ai eu qu’une pensée, en publiant ce volume : faire mieux connaître le cœur compatissant et bon de cette femme au caractère énergique qui, comprenant toutes les misères de l’humanité, savait toujours trouver le moyen de les secourir.

Vivant à une époque où les femmes de ce pays étaient souvent des héroïnes, elle les a cependant dominées par son grand caractère et ses sublimes vertus. Aussi était-elle vénérée autant qu’aimée de ses contemporains, et son souvenir est resté vivace dans la mémoire de ses compatriotes. Les œuvres nombreuses sorties de sa fondation et auxquelles j’ai consacré la seconde partie de ce volume, perpétueront ce souvenir chez les générations futures qui continueront de recueillir les fruits de son dévouement et de sa charité.

Nos cœurs, tournés vers Rome, attendent aujourd’hui avec confiance la faveur d’invoquer publiquement celle qui a été un honneur pour notre peuple et une joie pour l’Église !