Vie de Blaise Paschal

Mon frere naquit à Clermont le 19.me Juin de l’année 1623. mon Pere s’appelloit Estienne Pascal President en la Cour des Aydes, et ma mere Antoinette Begon. Dès que mon frere fut en aage qu’on luy pust parler, il donna des marques d’un Esprit tout extraordinaire par les petites reparties qu’il faisoit tout a fait à propos, mais encore plus par des questions sur la nature des choses qui surprenoient tout le monde. Ce commencement qui donnoit de belles esperances, ne se dementit jamais car à mesure qu’il croissoit, il augmentoit toujours en force de raisonnement ; de sortes qu’il estoit toujours beaucoup au dessus de son aage.

Cependant ma mere étant morte dés l’année 1626, que mon frere n’avoit que trois ans, mon Pere se voyant seul, s’appliqua plus fortement au soin de sa famille : Et comme il n’avoit point d’autre fils que celuy là, cette qualité de fils unique, et les grandes marques d’esprit, qu’il reconnoissoit en cet enfant, luy donnerent une si grande affection pour luy, qu’il ne pût se resoudre de commettre son education à un autre, et se resolut dés lors de l’instruire luy mesme comme il a fait, mon frere n’ayant jamais entré en pas un college, et n’ayant jamais eu d’autre maitre que mon Pere.

En L’année 1631. mon Pere se retira à Paris, nous y mena tous et y établit sa demeure, et mon frere qui n’avoit alors que huict ans, receut un grand avantage de cette retraitte dans le dessein que mon Pere avoit pris de l’élever. Car il est sans doute qu’il n’auroit pas pû en prendre le mesme soin dans la Province, ou l’exercice de sa charge, et les compagnies continuelles qui abordoient chez luy, l’auroient beaucoup detourné. Mais comme il estoit à Paris dans une entière liberté, il s’y appliqua tout entier, et il y eut touts les succés que peuvent avoir les soins d’un Pere aussi intelligent et affectionné qu’on le puisse estre.

Sa principalle maxime dans cette éducation estoit de tenir toujours cet enfant au dessus de son ouvrage. Ce fut par cette raison qu’il ne voulut point commencer à luy apprendre le Latin, qu’il n’eust douze ans, afin qu’il le fist avec plus de facilité.

Pendant cet intervalle il ne le laissoit pas inutile, car il l’entretenoit de toutes les choſes dont il le voyoit capable. Il luy faisoit voir en general ce que c’estoit que les Langues : Il luy montroit comment on les avoit réduittes en Grammaire sous de certaines regles : que ces regles avoient encore des exceptions qu’on avoit eu soin de remarquer ; et qu’ainsy on avoit trouvé moyen par là de rendre toutes les Langues communicables d’un pays à l’autre. Cet idée generalle luy débroüilloit l’esprit, et luy faisoit voir la raison des regles de la Grammaire ; de sorte que quand il vint à l’apprendre, il sçauroit pourquoy il le fai- soit, et il s’appliquoit précisément aux choſes à quoy il falloit le plus d’application.

Après ces connoiſsances mon Pere luy en donnoit d’autres. Il luy parloit souvent des effects extraordinaires de la Nature, com- me de la poudre à canon, et des autres choses qui suprennent, lorsqu’on les considère. Mon frere prenoit grand plaisir à ces entretiens : mais il voiloit sçavoir la raison de toutes choses ; et comme elles ne sont pas toutes connües, lorsque mon Pere ne les luy disoit pas, ou qu’il luy disoit celles qu’on allegue d’or- dinaire, qui ne sont proprement que des défaites, cela ne le contentoit pas ; car il a eu toujours une netteté d’esprit admirable pour discerner le faux. Et on peut dire que toujours, et en toutes choses la vérité a esté le seul object de son esprit, puisque jamais rien n’a pû le satisfaire que sa connoissance. Ainsy dés son enfance il ne pouvoit se rendre qu’à ce qui luy paroissoit vray evidemment ; de sorte que quand on ne luy disoit pas de bonnes rai- sons, il en cherchoit luy mesme, et quand il s’estoit attaché à quelque choſe, il le la quittoit point, qu’il n’en eust trouvé quelqu’une qui pust le satisfaire.

Une fois entr’autres, quelqu’un ayant à table sans y penser frapper un plat de fayence avec un couteau, il prit garde que cela rendoit un grand son, mais qu’aussitost qu’on eust mis la main dessus, cela s’arresta : Il voulut en mesme temps en sçavoir la cause, et cette experience le portant à en faire beaucoup d’autres sur les sons, il y remarqua tant de choses, quʼil en fit un traitté à l’aage de onze ans, qui fut trouvé toutafait bien raisonné.

Son Genie pour la Geometrie commença à paroistre, lors qu’il n’avoit encore que douze ans, par une rencontre si extraordinaire, qu’il me semble qu’elle merite d’estre deduitte en particulier.

Mon Pere estoit sçavant dans les Mathematiques, et il avoit habitude par là avec tous les habiles gens en cette science, qui estoient souvent chez luy : mais comme il avoit dessein d’instruire mon frere dans les Langues, et qu’il sçavoit que la Mathematique est une choſe qui remplit et satisfait beaucoup l’esprit, il ne vouloit point que mon frere en eust aucue connoiſsance, de peur que cela ne le rendist negligent pour le Latin et les autres langues dans lesquelles il vouloit le perfectionner. Par cette raison il avoit serré tous les livres qui en traittoient, et il s’abstenoit d’en parler avec ses amis en sa présence. mais cette précaution nʼempeschoit pas que la curiosité de cet enfant ne fust excitée, de sorte quʼil prioit souvent mon Pere de luy apprendre la Mathematique, mais il le refusoit, et luy proposant cela comme une recompense, il luy promettoit qu’aussitost qu'il sçauroit le Latin, et le Grec, il la luy apprendroit.

Mon frere voyant cette resistance, luy demanda un jour ce que c’estoit que cette Science, et de quoy on y traittoit. Mon Pere, luy dit en general que c’estoit le moyen de faire des figures justes, et de trouver les proportions qu’elles avoient entr’elles, et en mesme temps luy defendit d’en parler davantage, et d’y penser jamais. Mais cet esprit qui ne pouvoit demeurer dans des bornes ; dés qu’il eut cette simple ouverture, que la Mathematique donne le moyen de faire des figures infailliblement justes, il se mit luy mesme à resver, et à ses heures de recreation estant, seul dans une sale où il avoit accoutume de se divertir, il prenoit du charbon, et faisoit des figures sus les carreaux, cherchant les moyens par exemple, de faire un Cercle parfaitement rond, un triangle dont les costez et les angles fussent égaux, et autres choſes semblables. Il trouvoit tout cela. Ensuitte il cherchoit les proportions des figures entr’ elles. Mais comme le soin de mon Pere avoit esté si grand deluy cacher toutes ces choſes, quʼil nʼen sçavoit pas mesme les noms, il fut contraint de se faire luy mesme des definitions, et appelloit un Cercle, un rond ; une ligne, une barre, et ainsy des autres. Après ces definitions, il se fit des axiomes. Et enfin il se fit des demonstrations parfaites. Et comme l’on va de l’un à l’autre dans ces choses là, il poussa ses recherches si avant, qu’il en vint jusqu’à la 32me. proposition du premier livre d’Euclide.

Comme il en estoit là dessus, mon Pere sans penser à cela, entra sans que mon frere l’entendit, parcequ’il estoit fort appliqué. Il fut bien effrayé de la venüe de mon Pere, acause de la defense expresse quʼil luy avoit faite de penser à toutes ces choſes. Mais la surprise de mon Pere fut bien plus grande, de le voir au milieu de toutes ces figures, et de ce que lorsqu’il luy demanda ce quʼil faisoit, il luy dit quʼil cherchoit telle chose, qui estoit la 32me. proposition du premier Livre d’Euclide. mon Pere luy demanda ce qui l’avoit fait penser à chercher cela ? Il dit que c’estoit quʼil avoit trouvé telle autre chose. Et sur cela luy ayant fait encore la mesme question, il luy dit encore quelque autre demonstration quʼil avoit faite. Et enfin en retrogradant, et s’expliquant toujours par ces noms de ronds et de barres, il en vint à ses definitions, et à ses axiomes.

Mon Pere fut si epouventé de la grandeur et de la puissance de ce genie, que Sans luy dire un mot, il le quitte, et alla chez m.r Le Pailleur qui estoit son ami intime et qui estoit aussi tres sçavant. Lorsqu’il fut arrivé là dedans, il y demeura immobile comme un homme transporté : Et m.r Le Pailleur voyant cela, et voyant mesme quʼil versoit quelques larmes, fut tout epouventé, et le pria de ne luy pas celer plus longtemps la cauſe de son deplaisir. Mon Pere luy dit : Je ne pleure pas d’affliction, mais de joye. Vous Sçavez les soins que j’ay pris pour ôter à mon fils la connoissance de la Geometrie, depeur de le destourner de ses autres Estudes. Cependant voyez ce quʼil a fait sur cela. Il luy montra tout ce qu’il avait trouvé, par où l’on pouvoit dire en quelque façon qu’il avoit inventé la Mathematique.

Monsieur Le Pailleur ne fut pas moins surpris que mon Pere l’avoit esté, et il luy dit quʼil ne trouvoit pas juste de captiver plus long temps cet esprit, et de luy cacher encore cette connoissance : quʼil falloit luy laisser voir les livres sans le retenir davantage.

Mon Pere ayant trouve cela à propos, luy donna les Elemens d’Euclide, pour les lire, à ses heures de recreation. Il les vit, et les entendit tout seul, sans avoir jamais eu besoin d’aucune explication : et pendant qu’il les voyoit, il composoit, et il alloit si avant, quʼil se trouvoit regulierement aux conferences qui se faisoient toutes les semaines, où tous les habiles gens de Paris s’assembloient pour porter leurs ouvrages, ou pour examiner ceux des autres.

Mon frere y tenoit fort bien son rang tant pour l’examen, que pour la production : car il estoit un de ceux qui y portoit le plus souvent des choses nouvelles. On voyoit aussi souvent dans ces Assemblées là des propositions qui estoient envoyées d’Italie, d'Allemagne, et des autres pays étrangers, et on prenoit son avis sur tout avec autant de soin, que de pas un des autres ; car il avoit des lumieres si vives, quʼil est arrivé quelquefois quʼil a découvert des fautes, dont les autres ne s’estoient point apperceus. Cependant il nʼemployoit à cet étude de la Geometrie que ses heures de recreation. Car il apprenoit alors le Latin sur des regles que mon Pere luy avoit faites exprès. Mais comme il trouvoit dans cette Science la verité quʼil avoit toujours si ardemment cherchée, il en estoit si satisfait, quʼil y mettoit son esprit tout entier ; de sorte que pour peu qu’il s’y occupast, il y avançoit tellement, qu’à l’aage de Seize ans il fit un traitté des coniques, qui passa pour un si grand effort dʼesprit, qu’on disoit que depuis Archimede, on nʼavoit rien eu de cette force.

Tous les habiles gens estoient d’avis qu’on l’imprimast dés lors, parce quʼils disoient qu’encore que ce fust un ouvrage qui seroit toujours admirable, neantmoins si on l’imprimoit dans le temps que celuy qui l’avoit inventé, n’avoit encore que Seize ans, cette circonstance ajouteroit beaucoup à sa beauté : mais comme mon frere n’a jamais eu de passion pour la reputation, il ne fit pas de cas de cela, et ainsy cet ouvrage na jamais esté imprimé.

Durant tout ce tempe il continuoit d’ap- prendres le Latin, et il apprenoit aussi le grec, et outre cela pendant ou aprés le repas mon Pere l’entretenoit tantost de la Logique, tantost de la Physique, et des autres parties de la Philosophie ; et c’est tout ce quʼil en a appris, n’ayant jamais esté au College, ni eu d’autre Maitre pour cela, non plus que pour le reste.

Mon Pere prenoit un plaisir tel qu’on le peut croire de ces grands progrés que mon frere faisoit dans toutes les connoiſsances : mais il ne s’appercevoit pas que ces grandes et continuelles applications d’esprit dans un aage Si tendre pouvoient beaucoup interesser Sa Santé. En effet elle commença d’estre alterée dés quʼil eust atteint lʼaage des dixhuict ans. Mais comme les incommoditez quʼil ressentoit alors, n’estoient pas dans une grande force, elles ne lʼempeschoient point de continüer dans ces occupations ordinaires ; de sorte que ce fut dans ce temps là quʼil inventa cette machine d’Arithmetique, par laquelle non seulement on fait toute sorte d’operations sans plume ni sans jettons, mais on les fait mesme sans Sçavoir aucune regle d’Arithmetique, et avec une seureté infaillible.

Cet ouvrage a esté consideré comme une chose nouvelle dans la Nature d’avoir reduit en machine une science qui réside toute entiere dans l’esprit, et d’avoir trouvé le moyen d’en faire toutes les operations avec une entiere certitude, sans avoir besoin du raisonnement. Ce travail le fatiqua beaucoup, non pas pour la pensée, ni pour le mouvement quʼil trouva Sans peine, mais pour faire comprendre aux ouvriers toutes ces choses ; de sorte qu’il fut deux ans à le mettre dans la perfection, où il est à présent.

Mais cette fatigue ; et la delicatesse où se trouvoit sa santé depuis quelques années le jetterent dans les incommoditez qui ne l’ont plus quitté ; de sorte qu’il nous a dit quelquefois que depuis l’aage de 18. ans il n’avoit pas passé un jour sans douleur ; ses incommoditez neantmoins n’estant pas toujours dans une égale violence, dés quʼil avoit un peu de relasche, son esprit se portoit in- continent à chercher quelque choſe de nouveau./.

Ce fut dans un de ces temps là à l’aage de vingt trois ans, qu’ayant veu l’experience de Toricelly, il inventa et il executa ensuitte ces autres grandes experiences qu’on a nommées les experiences du vuide, qui prouvent si clairement que tous les effects que l’on avoit jusques là attribuez à l’horreur du vuide, sont causez par la pesanteur de l’air. Cette occupation fut la derniere où il appliqua son esprit pour les sciences humaines. Et quoy quʼil ayt inventé la Roulette longtemps après, cela ne contredit point à ce que je dis ; car il la trouva sans y penser, et dʼune maniere qui fait bien veoir quʼil n’y avoit pas d’application, comme je le diray en son lieu.

Immediatement aprés ces experiences et lorsquʼil n’avoit pas encore vingt quatre ans, la Providence de Dieu ayant fait naitre une occasion qui l’obligea de lire des Ecrits de pieté, Dieu l’eclaira de telle sorte par cette lecture, qu’il comprit parfaitement que la Religion Chrétienne nous oblige à ne vivre que pour Dieu, et n’avoir point d’autre objet que luy ; et cette verité luy parut si evidente, si necessaire et si utile, quʼelle termina toutes ses recherches ; de sorte que dès ce temps là il renonça à toutes les autres connoissances, pour s’appliquer uniquement à l’unique choſe que Jesus Christ appelle necessaire.

Il avoit jusqu’alors esté preservé par une protection de Dieu particuliere detous les vices de la Jeuneſse ; et ce qui est encore plus étrange en un esprit de cette trempe et de ce caractere, il ne s’estoit jamais porté au Libertinage pour ce qui regarde, la Religion, ayant toujours borné sa curiosité aux choſes naturelles, et il ma dit plusieurs fois qu’il joignoit cette obligation à toutes les autres quʼil avoit à mon Pere, qui ayant luy mesme un tres grand respect pour la Religion, le luy avoit inspiré dés l’enfance, luy donnant pour maxime, que tout ce qui est l’object de la foy, ne sçauroit l’estre de la Raison, et beaucoup moins y estre soumis.

{Taille|Ces|120}} Maximes qui luy estoient souvent réiterées par un Pere, pour qui il avoit une tres grande estime, et en qui il voyoit une grande Science accompagnée d’un raisonnement fort net et fort puissant, faisoient une si grande impression sur son esprit, que quelques discours quʼil entendist faire aux Libertins, il n’en estoit nullement emeu ; et quoy quʼil fust fort jeune, il les regardoit comme des gens qui estoient dans ce faux principe : que la Raison humaine est au dessus de toutes choſes, et qui ne connoissoient pas la nature de la foy. Ainsy cet esprit si grand, si vaste, et si rempli de curiosité, qui cherchoit avec tant de soin la cause et la raison de tout, estoit en mesme temps Soumis à toutes les choses de la Religion comme un enfant, et cette simplicité a regné en luy toute sa vie ; de sorte que, depuis mesme qu’il se resolut de ne plus faire d’autre etude, que celuy de la Religion, il ne s’est jamais appliqué aux questions curieuses de la Theologie, et il a mis toute la force de son esprit à connoitre et à prattiquer la perfection de la Morale Chretienne, à laquelle il a consacré tous les talents que Dieu luy avoit donnez, n’ayant fait autre chose dans tout le restes de sa vie que mediter la Loy de Dieu jour et nuit.

Mais quoy qu’il n’eust pas fait un étude particulier de la Scholastique, il n’ignoroit pourtant pas les decisions de l’Eglise contre les heresies qui ont esté inventées par la subtilité de l’esprit ; et cʼest contre ces sortes de recherches quʼil estoit le plus animé, et Dieu luy donna dés ce temps là une occasion de faire paroistre le zele quʼil avoit pour la Religion.

Il estoit alors à Roüen où mon Pere estoit employé pour le Service du Roy ; et il y avoit aussi dans ce mesme temps un homme qui enseignoit une nouvelle philosophie, qui attiroit tous les curieux. mon frere ayant esté pressé d’y aller par deux jeunes hommes de ses amys, y fut avec eux ; mais ils furent bien suspris dans l’entretien qu’ils eurent avec cet homme, qui en leur debitant les principes de sa Philosophie, en tiroit des consequences sur des points de foy contraires aux decision de l’Eglise.

Il prouvoit par ses raisonnemens que le corps de Jesus Christ nʼestoit pas formé du Sang de la Vierge, mais dʼune matiere créée exprés : que le corps de la vierge &c. et plusieurs autres choses somblables. Ils voulurent le contredire, mais il demeura ferme dans ses sentimens ; de sorte qu’ayant consideré entr’eux le danger quʼil y avoit de laisser la liberté d’instruire la Jeunesse à un homme qui estoit dans des sentimens erronnez, ils resolurent de l’avertir premierement, et puis le dénoncer, s’il resistoit à l’avis qu’on luy donneroit./. La Chose arriva ainsy, car il meprisa cet avis ; de sorte quʼils creurent quʼil estoit de leur devoir de le denoncer à M.r Du Bellay, qui faisoit lors les fonctions episcopales dans le diocese de Roüen par commiſsion de M.r L’Archevesque. M.r Du Bellay envoya querir cet homme, et l’ayant interrogé il en fut trompé par une confession de foy equivoque, quʼil luy écrivit et signa de sa main, et faisant dʼailleurs peu de cas d’un avis de cette importance, qui luy estoit donné par trois jeunes hommes.

Cependant aussitost qu’ils virent cette confession de foy, ils en connurent le defaut, ce qui les obligea dʼaller trouver a Ga[ill]ion M.r L’Archevesque de Roüen, qui ayant examiné toutes ces choſes, les jugea si importantes, quʼil écrivit une patente à son Conseil, et donna un ordre exprés à M.r Du Bellay de faire retarder exactement cet homme, sur tous les poincts dont il estoit accusé, et de ne recevoir rien deluy, que par la communication de ceux qui l’avoient dénoncé. La choſe fut exécutée ainsy. Il comparut dans le Conseil de M.r l’Archevesque, et renonça à tous ses sentimens, et on peut dire que ce fut sincerement ; Car il n’a jamais témoigné de fiel contre ceux qui luy avoient causé cette affaire : ce qui fait croire qu’il estoit peut estre luy mesme trompé par les fausses conclusions qu’il tiroit de ces faux principes. Aussi est il bien certain quʼon n’avoit eu en cela aucun dessein de luy nuire, ni dʼautre veüe que de le detromper luy mesme, et de l’empescher de seduire les jeunes gens, qui n’eussent pas esté capables de discerner le vray d’avec le faux dans des questions si subtiles.

Ainsy cette affaire se termina doucement, et mon frere continüant de rechercher de plus en plus les moyens de plaire à Dieu, cet amour pour la perfecion chretienne s’enflamma de telle sorte des l’aage de vingt quatre ans, quʼil se répandit sur toute la maison. mon Pere mesme n’ayant pas de honte de se rendre aux enseignemens de son fils, embrassa lors une vie plus exacte, et quʼil a toujours perfectionnée par la prattique continüelle des vertus jusqu’à sa mort qui a esté toutafait chrétienne. Et ma Sœur qui avoit des talents d’esprit toutàfait extraordinaires, et qui estoit dés son enfance dans une reputation où peu de filles parviennent, fut tellement touchée des discours de mon frere, qu’elle se resolut de renoncer à tous ses avantages qu’elle avoit tant aimez jusqu’alors, pour se consacrer à Dieu toute entiere, comme elle a fait depuis, s’estant faite religieuse dans une maison tres Sainte et tres austere, où elle y a fait un si bon usage des perfections dont Dieu l’avoit ornée, qu’on l’a trouvée digne des employs les plus difficiles, dont elle s’est toujours acquittée avec toute la fidelité imaginable, et ou elle est morte saintement le quatriesme octobre de l’année 1661. aagée de trente six ans.

Cependant mon frere de qui Dieu se servoit pour operer tous ces biens, estoit travaillé par des maladies continüelles, et qui alloient toujours en augmentant : mais comme alors il ne reconnoissoit plus d’autre science que la perfection de la vertu, il trouvoit une grande difference entre celle là et celles qui avoient occupé son esprit jusqu’alors : car au lieu que ses indispositions retardoient les progrez des autres, celle cy aucontraire se perfectionnoit dans ces mesmes indispositions par la patience admirable avec laquelle il les souffroit. Je me contonteray pour le faire voir, d’en rapporter un exemple.

Il avoit entr’autres incommoditez celle de ne pouvoir avaller les choses liquides à moins qu’elles ne fussent chaudes, et encore ne pouvoit il le faire que goutte à goutte. Mais comme il avoit outre cela une douleur de teste insuportable, une chaleur d’entrailles excessive, et beaucoup d’autres maux, les medecins luy ordonnerent de se purger de deux jours l’un durant trois mois ; de sorte quʼil fallut prendre toutes ces medecines, et pour cela les faire chauffer, et les avaller goutte à goutte, ce qui estoit un veritable supplice, et qui faisoit mal au cœur à tous ceux qui estoient aupres de luy, sans que jamais il s’en soit plaint.


La continüation de ces remèdes avec beau coup d’autres qu’on luy fit prattiquer, luy apporterent quelque soulagement, mais non pas une santé parfaite ; de sorte que les medecins crurent que pour se restablir entierement, il falloit quʼil quittast toutes sortes dʼapplications d’esprit ; qu’il cherchast autant quʼil pourroit les occasions de se divertir. mon frere eut quelque peine de se rendre à ce Conseil, acause qu’il y voyoit du danger pour sa conscience ; mais enfin il le suivit, croyant estre obligé de faire tout ce qui luy seroit possibile pour re- mettre sa santé, et s’imaginant que les divertissements honnestes ne pourroient pas luy nuire, ainsy il se mit dans le monde. mais quoyque par la misericorde de Dieu il s’y soit toujours exempté des vices, neantmoins comme Dieu l’appelloit à une plus grande perfection, il ne voulut pas l’y laisser, et il se servit de ma sœur pour ce dessein, comme il s’estoit autrefois servi de mon frere, lorsquʼil avoit voulu retirer ma sœur des engage ments où elle estoit dans le monde.

Elle estoit alors religieuse, et elle menoit une vie si sainte, qu’elle edifioit toute la maison. Estant en cet état elle eut de la peine de voir que celuy à qui elle estoit redevable apres Dieu des graces dont elle joüissoit, ne fust pas dans la possession de ces mesmes graces ; et comme mon frere la voyoit souvent, elle luy on parloit souvent aussi, et enfin elle le fit avec tant de force et de douceur, qu’elle luy persuada ce qu’il luy avoit persuadé le premier, de quitter absolument le monde, et toutes les conversations du monde ; en sorte quʼil se resolut de retrencher toutes les inutilitez de sa vie au peril mesmes de sa santé, parce qu’il crust que le salut estoit preferable a toutes choſes. Il avoit alors environ trente ans, et il estoit toujours infirme, et c’est depuis ce temps là quʼil a embrassé la maniere de vivre où il a esté jusqu’à la mort.

Pour parvenir à ce dessein, et pour rompre toutes ses habitudes, il changea de quartier ; et fut demeurer pour quelque temps à la Campagne, d’où estant de retour, il temoigna si bien qu’il vouloit quitter le monde, quʼenfin le monde le quitta. Il établit le reglement de sa vie dans cette retraitte sur deux maximes principales, qui furent de renoncer a tout plaisir, et à toute superfluité, et c’est dans cette prattique qu’il a passé le reste de sa vie ; et pour y reüssir il com- mença dés lors, comme il a fait toujours depuis à se passer du service de ses domestiques autant quʼil pouvoit. Il faisoit son lit luy mesme ; il alloit prendre son disner dans la cuisine, et le portoit à sa chambre ; il le reportoit : et enfin il ne se servoit de son monde, que pour faire la cuisine, pour aller en ville, et pour les autres choses qu’il ne pouvoit absolument faire.

Tout son temps estoit employé à la priere et à la lecture de l’Ecriture S.te Il y prenoit un plaisir incroyable, et il disoit que l’Ecriture S.te n’estoit pas une science de l’esprit mais la science du cœur, qu’elle n’estoit intelligible que pour ceux qui ont le cœur droit, et que tous les autres nʼy trouvent que des obscuritez. c’est dans cette disposition quʼil la lisoit, renonçant à toutes les lumieres de son esprit, et il s’y estoit si fortement appliqué, quʼil la sçavoit quasi par cœur, de sorte qu’on ne pouvoit la luy citer à faux. Car dés qu’on luy disoit une parole sur cela, il disoit positivement : cela n’est pas de l’Ecriture Sainte, ou cela en est, et alors il marquoit precisement l’endroit. Il lisoit aussi tous les commentaires avec grand soin. Car ce respect pour la Religion, dans lequel il avoit esté elevé dés sa jeunesse, estoit alors changé en un amour ardent et sensible pour toutes les veritez de la foy, soit pour celles qui regardent la Soumission de l’esprit, soit pour celles qui regardent la prattique dans la Morale, à quoy toute la Religion se termine, et cet amour le portoit à travailler sans cesse à detruire tout ce qui pouvoit s’opposer à ces veritez.

Il avoit une Eloquence naturelle, qui luy donnoit une facilité merveilleuse à dire ce quʼil vouloit ; mais il avoit ajouté à cela des regles dont on ne s’estoit point encore avisé, et dont il se servoit si avantageusement, qu’il estoit maitre de son stile, en sorte que non seulement il disoit tout ce quʼil vouloit, mais il le disoit en la maniere qu’il vouloit, et son discours faisoit l’effet quʼil s’estoit proposé : et cette maniere d’ecrire naturelle, naïve et forte en mesme temps luy estoit si propre et si particuliere, qu’aussitost qu’on vit paroître les lettres au provincial, on vit bien qu’elles estoient deluy, quelque soin quʼil ayt toujours pris de le cacher, mesme à ses proches.

Ce fut dans ce temps là quʼil plût à Dieu de guerir ma fille d’une fistule lachrimale, qui avoit fait un si grand progrés dans trois ans et demy, que le pus sortoit non seulement par l’œil, mais par dedans le nez et par la bouche, et cette fistule estoit d’une si mauvaiſe qualité, que les plus habiles chirurgiens de Paris la jugeoient incurable. Cependant elle fut guerie en un moment par l’attouchement d’une S.te épine, et ce miracle fut si authentique, qu’il a esté avoüé de tout le monde, ayant esté attesté par de tres grands medecins, et par des plus habites chi- rurgiens de france, et ayant esté autorisé par un jugement solemnel de l’Eglise.

Mon frere fut sensiblement touché de cette grace, quʼil regardoit comme faite à luy mesme, puisque c’estoit sur une personne qui outre la proximite, estoit encore sa fille spirituelle dans le baptesme ; et sa consolation fut extreme de voir que Dieu se manifestoit si clairement dans un temps où la foy paroist comme éteinte dans les cœurs de la plus part du monde. La joye quʼil en eut, fut si grande, q’il en estoit penetré ; de sorte qu’en ayant l’esprit tout occupé, Dieu luy inspira une infinité de pensées admirables sur ses mi- racles, qui luy donnant de nouvelles lumieres sur la Religion, redoublerent l’amour et le respect qu’il avoit toujours eu pour elle./. Et ce fut l’occasion qui fit naistre cet extresme desir quʼil avoit de travailler à refuter les principaux et les plus forts raisonnements des Athées. Il les avoit etudiez avec grand soin, et il avoit employé tout son esprit à chercher les moyens de les convaincre. C’est à quoy il s’estoit mis tout entier, et la derniere année de son travail a esté toute employée à receüillir diverses pensées sur ce sujet. Mais Dieu qui luy avoit inspiré ce dessein, et toutes ces pensées, n’a pas permis quʼil lʼayt conduit à sa perfection pour des raisons qui sont inconnues.

Cependant l’éloignement du monde qu’il prattiquoit avec tant de soin, nʼempeschoit pas qu’il ne vist souvent des gens de grand esprit, et de grande condition, qui ayant des pensées de retraitte, demandoient ses avis, et les suivoient exactement. Et d’autres qui estoient travaillez de doute sur les matieres de la foy, et qui sçavoient qu’il avoit de grandes lumieres là desssus, venoient le consulter, et s’en retournoient toujours satisfaits : de sorte que toutes ces perſonnes qui vivent presentement fort chrétiennement, temoignent encore aujourdhuy que c’est à ses conseils, et à ſes avis, et aux éclairciſsemens quʼil leur a donnez quʼils sont redevables de tout le bien quʼils font.

Ces conversations auxquelles il se trouvoit souvent engagé, quoyqu’elles fussent toutes de charité, ne laissoient pas de luy donner quelque crainte quʼil ne s’y trouvast du peril : mais comme il ne croyoit pas aussi pouvoir en conscience refuser le secours que ces personnes luy demandoient, il avoit trouvé un remede à cela. Il prenoit en ces occasions une ceinture de fer pleine de pointes, et il la mettoit à nud sur sa chair, et lorsqu’il luy venoit quelque pensée de vanité, ou quʼil prenoit quelque plaisir au lieu où il estoit, ou autre chose semblable, il se donnoit des coups de coude pour redoubler la violence des piqures, et se faisoit ainsy souvenir luy mesme de son devoir : Et cette prattique luy a paru si utile, qu’il la conservée jusqu’à la mort, et mesme dans les derniers temps de sa vie, où il estoit dans des douleurs continüelles, parce que ne pouvant écrire ni lire, il estoit contraint de demeurer sans rien faire, et de s’aller quelque fois promener, et il estoit dans une continuelle crainte que ce manque d’occupation ne le detournast de ses veües. Nour n’avons sceu toutes ces choses qu’après sa mort, et par une personne de tres grande vertu, qui avoit beaucoup de confiance en luy, à qui il avoit esté obligé de le dire par des raisons qui la regardoient elle mesme.

Cette riqueur quʼil exerçoit sur luy meſme, estoit tirée de cette grande maxime de Renoncer à tout plaisir, sur laquelle il avoit fondé tout le reglement de sa vie dès le commencement de sa retraitte. Il ne manquait pas non plus de prattiquer aussi exactement cette autre, qui l’obligeoit de renoncer a toute superfluité : car il retrenchoit avec tant de soin toutes les choſes inutiles, quʼil s’estoit reduit peu à peu à n’avoir plus de tapissserie dans sa chambre, parce qu’il ne croyoit par que cela fust necessaire, et d’ailleurs nʼy estant obligé par aucune bienseance, parce quʼil nʼy venoit que des gens à qui il recommandoit sans cesse les retrenchemens ; de sorte quʼils n’estoient pas surpris de ce qu’il vivoit luy mesme de la maniere quʼil conseilloit aux autres de vivre. Voilà comment il a passé cinq ans de sa vie depuis trente jusqu’à trente cinq, travaillant sans cesse pour Dieu, pour le prochain, ou pour luy mesme, en taschant de se perfectionner de plus en plus. Et on pourroit dire en quelque façon que c'est tout le temps qu'il a vécu ; car les quatre années que Dieu luy a données après cela, n'ont esté qu'une continuëlle langueur. Ce n'estoit pas proprement une maladie qui fut venuë nouvellement, mais un redoublement de ces grandes indispositions ou il avoit esté sujet dès Sa jeuneſse. mais il en fut alors attaqué avec tant de violence, qu'enfin il y est succombé, et durant tout ce temps là il nʼa pû du tout travailler un instant à ce grand ouvrage quʼil avoit entrepris pour la Religion, ni assister les personnes qui s'addresssoient à luy, pour avoir ses avis ni de bouche ni par écrit ; Car ses maux estoient si grands, quʼil ne pouvoit les satisfaire, quoy qu'il en eust un grand desir.

Ce Renouvellement de ses maux com- mença par un mal de dents, qui luy estoit absolument le sommeil. Dans ces grandes veilles il luy vint une nuit dans l’esprit sans dessein quelque pensée sur la proposition de la Roulette. Cette pensée estant suivie d’une autre. Enfin une multitude de pensées qui se succederent les unes aux autres, luy decouvrirent comme malgré luy la demonstration de toutes ces choses, dont il fut luy mesme surpris. Mais comme il y avoit longtemps quʼil avoit renoncé à toutes ces connoissances, il ne s’avisa pas seulement de l’ecrire, neantmoins en ayant parlé par occasion a une personne à qui il devoit toute sorte de deference, et par respect et par reconnoiſsance de l’affection dont il l’honoroit ; cette personne qui est autant considerable par sa piété, que par les eminentes qualitez de son esprit, et par la grandeur de sa naissance, ayant formé sur cela un dessein qui ne regardoit que la gloire de Dieu, trouva à propos qu’il en usast comme il fit, et qu’ensuitte il le fist imprimer.

Il fut alors qu’il l’écrivit, mais avec une précipitation etrange en dixhuit jours ; car c’estoit à mesme temps que les Imprimeurs travailloient, fournissant à deux en mesme temps sur deux differents traittez, sans que jamais il y en eust d'autre copie que celle qui fut faite pour l’impression, ce qui ne fut que six mois apres que la choſe fut trouvée.

Cependant ses infirmitez continüant toujours, le reduisirent comme j'ay dit à ne pouvoir plus travailler, et à ne voir quasi personne. Mais si elles l'empescherent de servir le public et les particuliers, elles ne furent pas inutiles pour luy mesme, et il les a souffertes avec tant de paix et tant de patience, qu'il y a sujet de croire que Dieu a voulu achever par là, de le rendre tel qu'il le vouloit pour paroistre devant luy. Car durant cette longue maladie il ne s'est jamais detourne de ses veuës, ayant toujours dans l'esprit ces deux grandes maximes, de Renoncer à tout plaisir, et à toute superfluité. Il les prattiquoit dans le plus fort de son mal par une vigilance continuëlle sur ses sens, leur refusant abſolument tout ce qui leur estoit agreable, et quand la necessité le contraignoit à faire quelque choſe qui pouvoit leur donner de la satisfaction, il avoit une addresse merveilleuſe, pour en détourner son esprit afin qu’il nʼy prist point de part.

Par exemple ses continuelles maladies l’obligeant de se nourrir delicatement, il avoit un soin tres grand, de ne point gouster ce qu’il mangeoit, et nous avons pris garde que quelque peine quʼon prist à luy chercher quelque viande agreable, acause des dégousts à quoy il estoit sujet, jamais il n’a dit : voilà qui est bon. Et mesme quand on luy servoit quelque choſe de nouveau selon les saisons, si on luy demandoit après le repas, s’il l’avoit trouve bon ? Il disoit simplement : il falloit m’en avertir devant, car presentement je ne m’en souviens plus, et je vous avouë que je n’y ay pas pris garde. Et lors quʼil arrivoit que quelqu’un admiroit la bonté de quelque viande en sa présence, il ne le pouvoit souffrir, et il appelloit cela estre sensuel, encore mesme que ce ne fust que des choſes les plus communes ; parce qu’il disoit que c’estoit une marque quʼon mangeoit pour contenter le goust, ce qui estoit toujours un mal.

Pour eviter d’y tomber il n’a jamais voulu permettre qu’on luy fist aucune sauce ny ragoust, non pas mesme de l’orange ni du verjus, ni rien de ce qui excite l’appetit, quoy quʼil aimast naturellement toutes ces choſes, et pour se tenir dans des bornes reglées, il avoit pris garde dés le commencement de sa retraitte à ce qu’il falloit pour le besoin de son estomach ; et depuis cela il avoit reglé ce quʼil devoit manger, en sorte que quelque appetit qu’il eust, il ne passoit jamais cela, et quelque degoust qu’il eust aussi, il falloit qu’il le mangeast : Et lors qu’on luy demandoit la raison pourquoy il se contraignoit ainsy ? Il répondoit que c’estoit le besoin de l’estomach quʼil falloit satisfaire, e non pas lʼappetit.

La mortification de ses sens n’alloit pas seulement à se retrencher de tout ce qui pouvoit leur estre agreable, mais encove à ne leur rien refuser pour cette raison qui leur pouvoit déplaire, soit pour la nourriture, soit pour les remedes. Il a pris quatre ans durant des Consommez, sans en temoigner le moindre dégoust : Il prenoit toutes les choſes quʼon luy ordonnoit pour sa santé sans aucune peine, quelque difficile qu’elles fussent, et lorsque je m’estonnois de ce quʼil ne temoignoit pas la moindre repugnance en le prenant, il se moquoit de moy, et me disoit quʼil ne pouvoit comprendre luy mesme, comment on pouvoit temoigner de la repugnance, quand on prenoit une medecine volontairement, et après qu’on avoit esté averty qu’elle estoit mauvaise, et qu’il n’y avoit que la violence ou la surprise qui dussent produire ses effects. C’est en cette maniere quʼil travailloit sans cesse à la mortification de ses sens.

Il avoit un amour si grand pour la pauvreté, qu’elle luy estoit toujourt presente ; de sorte que dés qu’il vouloit entreprendre quelque choſe, ou que quelqu’un luy demandoit conſeil, la premiere pensée qui luy venoit en l’esprit, c’estoit de voir si la pauvreté pouvoit estre pratiquée. une des choſes sur lesquelles il s’examinoit le plus, c’estoit sur cette fantaisie, de vouloir exceller en tout, comme de se servir en toutes choſes des meilleurs ouvriers &c et autres choſes semblables. Il ne pouvoit encore souffrir qu’on cherchast avec soin d’avoir toutes ses commoditez, comme d’avoir toutes choſes pres de soy & mille autres choſes qu’on fait sans scrupule, parce qu’on ne voit pas qu’il y ayt du mal. mais il n’en jugeoit pas de mesme, et nous disoit souvent quʼil n’y avoit rien si capable d’esteindre l’esprit de pauvreté, que cette recherche curieuse des commoditez de cette bienseance, qui porte à vouloir avoir toujours du meilleur et du mieux fait : Et il nous disoit que pour les ouvriers il falloit choisir les plus pauvres et les plus gens de bien, et non pas cette excellence qui nʼest jamais necessaire, et qui ne Sçauvoit jamais estre utile. Il s’écrioit quelque fois : Si j’avois le cœur aussi pauvre que l’esprit, je serois bienheureux ; car je suis merveilleusement persuadé que la prattique de la pauvreté est un grand moyen pour faire son salut.

Cet amour qu’il avoit pour la pauvreté le portoit à aimer les pauvres avec une tendreſſe si grande, qu’il nʼa jamais pû refuser lʼaumoſne, quoyqu'il n’en fist que de son necessaire, ayant peu de bien, et estant obligé à faire, une depense qui excedoit son revenu acauſe de ses infirmitez. mais lors qu’on luy vouloit representer cela, quand il faissoit quelque aumoſne considerable, il se faschoit, et disoit : J’ay remarqué une chose, que quelque pauvre qu’on soit, on laisse toujours quelque choſe en mourant ; ainsy il fermoit la bouche, et il a esté quelque fois si avant, quʼil sʼest reduit à prendre de l’argent au Change, pour avoir donné aux pauvres tout ce qu’il avoit, et ne voulant pas après cela importuner ses amis.

Dès que l’affaire des Carrosses fut etablie, il me dit quʼil vouloit demander mille francs par avance sur sa part à des fermiers avec qui l’on traittoit, si en pouvoit demeurer d’accord avec eux, parce quʼils estoient de sa connoiſſance, pour envoyer aux pauvres de Blois. Et comme je luy disois que lʼaffaire nʼestoit pas assez seure pour cela, et quʼil falloit attendre à une autre année. Il me repondit quʼil ne voyoit pas un grand inconvenient à cela, parce que s’ils y perdoient, il le leur rendroit de son bien, et quʼil n’avoit garde d’attendre à une autre année, parce que le besoin estoit trop pressant, pour differer la charité. Mais comme on ne s’accommoda pas avec ces personnes, il ne put executer cette resolution, par laquelle il nour faisoit voir la verité de ce quʼil nous avoit dit tant de fois, quʼil ne souhaittoit d’avoir du bien, que pour en assister les pauvres, puis qu’au meſme temps que Dieu luy donnoit l’ésperance d’en avoir, il commençoit à le distribuer par avance, et avant mesme quʼil en fust asseuré.

Sa Charité envers les pauvres avoit toujours esté fort grande, mais elle estoit si fort redoublée a la fin de sa vie, que je ne pouvois le satisfaire davantage, que de l’en entretenir. Il m’exhortoit avec grand soin depuis quatre ans à me consacrer au service des pauvres, et à y porter mes enfans. Et quand je luy disois que je craignois que cela ne me divertist du soin de ma famille, il me disoit que ce nʼestait que manque de bonne volonté ; et que comne il y a de divers degrez dans l’exercice de cette vertu, on peut bien la prattiquer en sorte que cela ne nuise point aux occupations domestiques. Il disoit que c’estoit la vocation generale des Chrestiens, et qu’il ne falloit point de marques particulieres, pour sçavoir si on y estoit appellez, parceque cela estoit certain, que cʼest sur cela que Jesus Christ jugera le monde ; et que quand on consideroit que la seule omission de cette vertu est cause de la damnation, cette seule pensée seroit capable de nous porter à nous dépoüiller de tout, si nous avi- ons de la foy. Il nous disoit encore que la frequentation des pauvres est extremement utile, en ce que voyant continuellement les miseres dont ils sont accablés, et que mesme dans lʼextremité de leurs maladies ils manquent des choses les plus necessaires, qu’après cela il faudroit estre bien dur, pour ne pas se priver volontairement des commo- ditez inutiles, et des ajustemens superflus.

Tous ces discours nous excitoient, et nous portoient quelquefois à faire des propositions pour trouver des moyens pour des reglements generaux ; qui pourveuſsent à toutes les necessitez, mais il ne trouvoit pas cela bon, et il disoit que nous n’estions pas appellez au general, mais au particulier, et quʼil croyoit que la maniere la plus agreable à Dieu estoit de servir les pauvres pauvrement ; c’est à dire chacun selon son pourvoir, sans se remplir l’esprit de ces grands desseins, qui tiennent de cette excellence, dont il blasmoit la recherche en toutes choſes. Ce n’est pas qu’il trouvast mauvais l’establiſsement des Hospitaux generaux : au contraire il avoit beau- coup d’amour pour cela, comme il l’a bien temoigné par son Testament. Mais il disoit que ces grandes entrepriſes estoient reservées à de certaines personnes que Dieu destinoit à cela, et quʼil conduisoit quasi visiblement ; mais que ce n’estoit pas la vocation generale de tout le monde, comme l’assistance particuliere et journaliere des pauvres.

Voilà une partie des instructions qu’il nous donnoit, pour nous porter à la prattique de cette vertu, qui tenoit une si grande place, dans son cœur. C’est un petit échantillon qui nous fait voir la grandeur de sa charité. /. Sa pureté nʼestoit pas mondre, et il avoit un si grand respect pour cette vertu, quʼil estoit continuellement en garde, pour empescher qu’elle ne fust blessée soit dans luy, soit dans les autres : et il nʼest pas croyable combien il estoit exact sur ce poinct, Jʼen estois mesme dans la contrainte ; car il trouvoit souvent à redire à des discours que Je faisois que je croyois fort innocens, dont il me faisoit voir ensuitte les defauts que je n’aurois jamais connus sans ses avis. Si je disois quelquefois par occasion que j’avois vû une belle femme, il se fâchoit, et me disoit quʼil ne falloit jamais tenir ces discours là devant des laquais, et des jeunes gens, parceque je ne sçavois pas quelles pensées je pouvois par là exciter en eux. Il ne pouvoit souffrir aussi les carresses que je recevois de mes enfans, et il me disoit quʼil falloit les en desaccoutumer, et que cela ne pouvoit que leur nuire, et que l’on pouvoit leur temoigner de la tendreſse en mille autres manieres. voilà les instructions quʼil me donnoit là dessus, et voilà quelle estoit sa vigilance pour la conservation de la pureté dans luy et dans les autres. Il luy arriva une rencontre environ trois mois avant sa mort, qui en est une preuve bien sensible, et qui fait voir en mesme temps la grandeur de sa Charité. Comme il veuenoit un jour de la Messe de S.t Sulpice, il vint à luy une jeune fille aagée d’environ quinze ans fort belle, qui luy demanda l’aumoſne. Il fut touché de voir cette personne exposée à un danger si evident. Il luy demanda qui elle estoit, et ce qui l’obligeoit de demander ainsy l’aumoſne, et ayant sceu qu’elle estoit de la campagne, que son pere estoit mort, et que ſa mere estant tombée malade, on l’avoit portée à l’hostel Dieu ce jour là mesme, il crût que Dieu la luy avoit envoyée aussitost qu’elle en avoit esté dans le besoin : de sorte que dés lʼheure mesme il la mena au ſeminaire, où il la mit entre les mains dʼun bon prestre à qui il donna de l’argent, et le pria d’en prendre soin, et de la mettre en quelque condition où elle put recevoir conduitte acause de sa grande jeuneſſe, et où elle fut en quelque seureté de sa perſonne. Et pour le soulager dans ce soin là, il luy dit qu’il luy envoyeroit le lendemain une femme pour luy achepter des habits, et tout ce qui seroit necessaire pour la mettre en etat de pouvoir servir une maitresse, et puis il se retira, et le lendemain il luy envoya une femme qui travailla si bien avec ce bon preſtre, qu’aprés l’avoir fait habiller, ils la mirent dans une très bonne condition, et ce bon Ecclestastique ayant demandé à cette femme le nom de celuy qui faisoit cette grande charité, elle luy dit qu’elle nʼavoit point charge de le luy dire, mais qu’elle viendroit le voir de temps en temps, pour pourvoir avec luy aux besoins de cette jeune fille. Et il luy dit sur cela : Je vous supplie d’obtenir de luy la permission de me dire son nom ; Je vous promets que je nʼen parleray jamais durant sa vie ; mais si Dieu permettoit quʼil mourust avant moy, j’aurois une grande consolation de publier cette action ; car je la trouve si belle, que je ne puis souffrir qu’elle demeure dans l’oubly. Ainsy par cette seule rencontre ce bon Ecclesiastique sans le connoitre jugeoit combien il avoit de charité, et d’amour pour la pureté.

Il avoit une extreſme tendresse pour nous, et pour tous ceux quʼil croyoit estre à Dieu ; mais cette affection nʼalloit pas jusqu’à l’attachement, et il en donna une preuve bien sensible à la mort de ma sœur qui preceda la sienne de dix mois. Car lors qu’il receut cette nouvelle, il ne me dit autre chose, sinon, Dieu nous fasse la grace d’aussi bien mourir, et il s’est toujours tenu depuis dans une soumission admirable aux ordres de la providence de Dieu, sans faire jamais sur cela d’autre reflexion, que des grandes graces que Dieu avoit faites à ma sœur pendant sa vie, et des circonstances du temps de sa mort. Ce qui luy faisoit dire sans cesse : Bienheureux ceux qui meurent, pourvueu quʼils meurent au Seigneur ; Et lorsquʼil me voyoit dans de continuëlles afflictions pour cette perte que je ressentois si fort, il se faschoit, et me disoit que cela n’estoit pas bien, et qu’il ne falloit pas avoir ces sentimens là pour la mort des justes, et quʼil falloit aucontraire louër Dieu, de ce qu’il l’avoit si tost recompenſée des petits Services qu’elle luy avoit rendus.

C’est ainsy qu’il faisoit voir quʼil n’avoit nul attachement pour ceux quʼil aimoit : Car s’il eust esté capable d’en avoir, c’eust esté sans doute pour ma sœur, parce qu’asseurement c’estoit la personne du monde quʼil aimoit le plus.

Mais il nʼen demeuroit pas là, car non seulement il n’avoit point d’attachement pour les autres, mais il ne vouloit point du tout que les autres en eussent pour luy. Je ne parle pas de ces attachemens criminels et dangereux ; car cela est grossier, et tout le monde le voit bien ; mais je parle des amitiés les plus innocentes, et c’estoit une des choses sur lesquelles il s’observoit le plus regulierement, afin de n’y donner point de sujet : Et mesme pour lʼempescher, et comme je ne sçavois pas cela, J’estois toute surpriſe des rebuts quʼil me faisoit quelque fois, et je le disois à ma Sœur, me plaignant a elle que mon frere ne m’aimoit point, et quʼil sembloit que je luy faisois de la peine, lors mesme que je luy rendois mes services les plus affectionnez dans ses infirmitez. Ma sœur me disoit sur cela que je me trompois ; quʼelle sçavoit bien aucontraire qu’il avoit une affection pour moy aussi grande que je la pouvois souhaitter.

C’est ainsy que ma sœur remettoit mon esprit, et je ne tardois gueres à en voir les preuves ; car aussitost quʼil se rencontroit quelque occasion où j’avois besoin du secours de mon frere, il s’embrassoit avec tant de soin et de témoignages d’affection, que je nʼavois pas lieu de douter qu’il ne m’aimast beaucoup ; de sorte que j’attribuois au chagrin de sa maladie les manieres froides dont il recevoit les assiduitez que je luy rendois pour le desennuyer ; et cette enigme ne mʼa esté expliquée que le jour mesme de sa mort, qu’une personne des plus considerables pour la grandeur de son esprit et de sa pieté avec qui il avoit eu de grandes communications sur la prattique de la vertu, me dit quʼil luy avoit donné cette instruction entre autres, qu’elle ne souffrist jamais de qui que ce fust, qu’on l’aimast avec attachement, et que c’estoit une faute sur laquelle en ne s’examinoit pas assez, parce qu’on ne connoissoit pas assez la grandeur, et qu’on ne consideroit pas quʼen fomentant et en souffrant ces attachemens, on occupoit un cœur, qui ne debuant estre qu’à Dieu, c’estoit luy faire un larcin de la chose du monde qui luy est la plus precieuſe.

Nous ayons bien veu ensuitte que ce principe estoit bien avant dans son cœur ; car pour l’avoir toujours present, il l’avoit écrit deſa main sur un petit papier separé, ou il y a ces mots : Il est injuste qu’on s’attache, quoy qu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperay ceux à qui j’en feray naistre le desir ; car je ne suis la fin de personne, et n’ay de quoy les satisfaire. Ne suis je pas prest à mourir ? et ainsy l’object de leur attachement mourra donc. Comme je serois coupable de faire croire une fausseté, quoyque je la persuadasse doucement, et qu’on la crust avec plaisir, et qu’en cela on me fist plaisir : Demeſme je suis coupable, si je me fait aimer, et si j’attire les gens à s’attacher à moy. Je dois avertir ceux qui seroient prests à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qu’il m’en revinst ; et demesme qu’ils ne doivent pas s’at- tacher à moy, Car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaise à Dieu et à le chercher.

Voilà de quelque maniere il s’instruisoit luy mesme ; et comme il practiquoit si bien ses instrucions, que j’y avois esté moy mesme trompée par ces marques que nous avons de ces prattiques, et qui ne sont venües à nôtre connoissance que comme pas hazard, on peut voir une partie des lumieres que Dieu luy donnoit pour la perfection de la vie chrétienne.

Il avoit un si grand zele pour l’ordre de Dieu, qu’il ne pouvoit souffrir qu’il fust violé en quoyque ce soit. C’est ce qui le rendoit si ardent pour le service du Roy, qu’il resistoit à tout le monde lors des troubles de Paris, et toujours depuis. Il appelloit des prétextes toutes les raisons qu’on donnoit pour excuser cette rebellion ; et il disoit que dans un Etat étably en republique comme Veniſe, c’estoit un très grand mal de contribuer à y mettre un Roy, et à opprimer la liberté des peuples, à qui Dieu l’a donnée ; mais que dons un Etat où la puissance Royalle est établie, on ne pouvoit violer le respect qu’on luy doit, que par une espece de Sacrilege, puisque cʼest non ſeulement une image de la puissance de Dieu, mais une participation de cette mesme puiſsance, à laquelle on ne pouvoit s’opposer sans resister visiblement à l’ordre de Dieu, et qu’ainsy on ne pouvoit assez exaggerer la grandeur de cette faute ; outre qu’elle est toujours accompagnée de la guerre civille, qui est le plus grand peché qu’on puiſſe commettre contre la charité du prochain ; Et il observoit cette maxime si sincerement, quʼil a refusé dans ces temps là des avantages tres considerables. pour n’y pas manquer il disoit ordinairement quʼil avoit un aussi grand éloignement pour ce peché là, que pour assassiner le monde, ou pour voler sur les grands chemins, et qu’enfin il nʼy avoit rien qui fut plus contraire à son naturel, et sur quoy il fut moins tenté.

Ce sont là les sentimens où il estoit pour le service du Roy : aussi estoit il irreconciliable contre tous ceux qui s’y opposoient : Et ce qui fait voir que ce nʼestoit pas par temperament, ou par attache à ses sentimens, c’est qu’il avoit une douceur admirable pour ceux qui l’offenſoient en particulier ; en sorte quʼil nʼa jamais fait de difference de ceux là aux autres, et il oublioit si absolument ce qui ne regardoit que sa perſonne, qu’on avoit peine à l’en faire souvenir, et il falloit pour celà circonstancier les choſes. Et comme on admiroit quelquefois cela, il disoit : Ne vous en étonnez pas, ce n’est pas par vertu, c’est par un oubli réel, je ne m’en souviens point du tout. Cependant il est certain qu’on voit par là que les offenses qui ne regardoient que sa perſonne, ne luy faisoient pas grande impression, puisqu’il les oublioit si facilement ; car il avoit une memoire si excellente, quʼil disoit souvent quʼil n’avoit jamais rien oublie des choses quʼil avoit voulu retenir.

Il a prattiqué cette douceur dans la souffrance des choses desobligeantes jusqu’à la fin : Car peu de temps avant sa mort ayant eſté offensé dans une partie qui luy estoit fort sensible par une perſonne qui luy avoit de grandes obligations, et ayant en mesme temps receu un ſervice de cette perſonne, il l’en remercia avec tant de complimens et de civilitez, quʼil en estoit excessif : cependant ce n’estoit pas par oubly, puisque c’estoit dans le mesme temps, mais c'est qu’en effect il n’avoit point de ressentiment pour les offenses qui ne regardoient que sa seule perſonne.

Toutes ces inclinations dont j’ay remarqué les particularitez, se verront mieux en abbregé par une peinture qu’il avoit faite de luy mesme dans un petit papier écrit de sa main en cette maniere : J’aime la pauvreté, parce que Jesus- Christ l’a aimée : J’aime les biens, parce qu’ils donnent le moyen d’en assister les miserables : Je garde fidelité à tout le monde : Je ne rends pas le mal à ceux qui m’en font ; mais je leur souhaitte une condition pareille à la mienne, où l’on ne reçoit pas de mal ni de bien de la plus part des hommes : J’essaye d’estre toujours veritable sincere et fidelle à tous les hommes, et J’ay une tendreſse de cœur pour ceux à qui Dieu mʼa uni plus etroittement : et soit que je sois seul ou à la veuë des hommes, j’ay en toutes mes actions la veuë des Dieu, qui les doit juger, et à qui je les ay toutes consacrées.

Voilà quels sont mes sentimens, et je bénis tous les jours de ma vie mon Redempteur qui les a mis en moy, et qui dʼun homme plein de foiblesse, de misere, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grace, à laquelle toute la gloire en est deuë, n’ayant de moy que la misere et l’erreur.

Il s’estoit ainsy depeint luy mesme, afin qu’ayant continuellement devant les yeux la voye par laquelle Dieu le conduisoit, il ne pust jamais s’en détourner.

Les lumieres si extraordinaires jointes à la grandeur de son esprit n’empeschoient pas une simplicité merveilleuse, qui paroissoit dans toute la suitte de sa vie, et qui le rendoient exact à toutes les prattiques qui regardoient la Religion.

Il avoit un amour sensible pour tout l’office Divin, mais sur tout pour toutes les petites heures, parce qu’elles sont composées du pseaume 118. dans lequel il trouvoit tant de choſes admirables, quʼil sentoit de la delectation à le reciter. Et quand il s’entretenoit avec ses amis de la beauté de ce Pseaume, il se transportoit ensorte quʼil paroissoit hors deluy meſme, et cette meditation l’avoit rendu si sensible à toutes les choses par lesquelles on tasche d’honorer Dieu, quʼil n’en negligeoit pas une. Lorsqu’on luy envoyoit des billets tous les mois comme l’on fait en beaucoup de lieux, il les recevoit avec un respect admirable, et il en lisoit tous les jours la sentence. Et dans les quatre dernieres années de sa vie, comme il ne pouvoit travailler, son principal divertissement estoit d’aller visitter les Eglises, où il y avoit des reliques exposées, ou dans lesquelles il y avoit quelques solemnitez, et il y avoit pour cela un Almanach spirituel qui l’instruisoit des lieux où il trouvoit des devotions particulieres, et il faisoit tout cela si devotement, et si simplement, que ceux qui le voyoient, en estoient surpris, ce qui a donné lieu à cette belle parole d’une personne très vertueuse et très éclairée, que la grace de Dieu se fait connoitre dans les grands esprits par les petites choſes, et dans les esprits communs par les grandes choses.

Cette grande simplicité paroissoit d’abord qu’on luy parloit de Dieu ou de luy mesme : desorte que la veille de sa mort un Ecclesiastique qui est un homme d’une tres grande science et d’une tres grande vertu l’estant venu voir, comme il l’avoit souhaitté, et ayant demeuré une heure avec luy, il en sortit si édifié, qu’il me dit : allez, consolez vous si Dieu l’appelle, vous avez bien sujet de le louër des graces qu’il luy fait. J’avois toujours admiré beaucoup de grandes choses en luy ; mais je n’y avois jamais remarqué la grande simplicité que j’y viens de voir. cela est incomparable dans un esprit tel que le sien, et je voudrois de tout mon cœur estre a sa place.

Monsieur Le Curé de St. Estienne qui l’a veu dans toute sa maladie, y voyoit la mesme chose, et disait à toute heure : c’est un enfant, il est humble, il est soumis comme un enfant. C’est par cette mesme simplicité qu’on avoit une liberté toute entiere de l’avertir de ſes fautes, et il se rendoit aux avis qu’on luy donnoit sans resistance. L’extresme vivacité de son esprit le rendoit quelquefois si impatient qu’on avoit peine à le satisfaire. Mais quand on l’avertissoit, ou qu’il s’apporcevoit luy mesme qu’il avoit fasché quelqu’un dans ses impatiances, il reparoit incontinent cela par des traittements si doux et par tant de bienfaits, que jamais il n’a perdu l’amitié de personne par là.

Je tasche autant que je puis d’abbreger : sans cela j’aurois bien des particularitez à dire sur chacune des choses que j’ay remarquées ; mais comme je ne veux pas m’estendre je viens à sa derniere matadie.

Elle commença par un degoust étrange qui luy prit deux mois avant sa mort. son medecin luy conseilla de s’abstenir de manger du solide, et de se purger. pendant qu’il estoit en cet état, il fit une action de charité bien remarquable. /

Il avoit chez luy un bon homme avec sa femme et tout son menage à qui il avoit donné une chambre, et à qui il fournissoit de bois, tout cela par charité, car il n’en tiroit autre service que de n’estre pas seul dans sa maison. Le bonhomme avoit un fils, qui estant tombé malade en ce temps là de la petite verole : mon frere qui avoit besoin de mes assistances eut peur que je n’eusse de l’apprehension d’aller chez luy, acauſe de mes enfans. cela l’obligea de penser à se separer de ce malade : mais comme il craignoit qu’il ne fust en danger, si on le transportoit en cet état hors de la maison, il aima mieux en sortir luy mesme, quoy qu’il fust déja fort mal : disant, il y a moins de danger pour moy dans le changement de demeure ; c’est pourquoy il faut que ce soit moy qui quitte. Ainsy il sortit de sa maison le 29. Juin pour venir chez nous, et il n’y rentra jamais, car trois jours après il commença d’estre attaqué d’une colique tres violente, qui luy ostoit absolument le sommeil. mais il avoit une grande force d’esprit, et un grand courage. il enduroit ses douleurs avec une patience admirable, et il ne laissoit pas de se lever tous les jours, et de prendre luy mesme ses remedes, sans vouloir souffrir qu’on luy rendist le moindre service. Les Medecins qui le traittoient, voyoient bien que ses douleurs estoient considerables ; mais parce qu’il avoit le poulx fort bon, sans aucune alteration, ni apparence de fievre, ils asseuroient qu’il n’y avoit aucun peril, se servant mesme de ces mots : Il n’y a pas le moindre ombre de danger.

Nonobstant ces discours mon frere voyant que la continuation de ses douleurs et des grandes veilles l’affoiblissoient. Dès le quatriesme jour de sa colique, et avant mesme que d’estre allité, il envoya querir monſ.r Le Curé et se confessa. cela fit bruit parmy ses amys, et en obligea plusieurs de le venir voir tous épouventez d’apprehension, et les Medecins mesmes en furent si surpris, qu’ils ne purent s’empescher de le témoigner, disant que c’estoit une marque d’apprehension, à quoy ils ne s’attendoient pas de sa part. Mon frere voyant l’emotion que cela avoit cauſé en fut fasché, et me dit : J’eusse voulu communier, mais puis que je vois qu’on est si surpris de ma confession, j’aurois peur qu’on ne le fust encore davantage ; c’est pour quoy il vaut mieux differer, et mons.r Le Curé ayant esté de cet avis, il ne communia pas./.

Cependant son mal continuoit, et comme mr Le Curé le venoit voir de temps en temps par visite, il ne perdoit pas une de ces occasions sans se confesser, et il n’en disoit rien depeur d’effrayer le monde, parce que les medecins assuroient toujours qu’il n’y avoit nul danger en sa maladie. En effect il eust quelque diminution à ses douleurs ; ensorte qu’il se levoit par fois dans sa chambre. Elles ne le quitterent neantmoins jamais toutafait, et mesme elles revenoient quelques fois, et il maigrissoit aussi beaucoup ; ce qui n’effrayoit pourtant pas les medecins : mais quoy qu’ils pussent dire, il vit toujours qu’il estoit en danger, et ne manqua pas de se confesser toutes les fois que M.r Le Curé le venoit voir.

Il fit mesme son Testament pendant ce temps là, où les pauvres ne furent pas oubliez, et il se fit violence pour ne leur pas donner davantage : Car il me dit que si M. Perier eust esté à paris, et qu’il y eust consenty, il auroit disposé de tout son bien en faveur des pauvres, et enfin il n’avoit rien dans l’esprit et dans le cœur que les pauvres, et il me disoit quelquefois : D’où vient que je n’ay jamais rien fait pour les pauvres, quoyque j’aye toujours eu un si grand amour pour eux ? Je luy dis ; c’est que vous n’avez jamais eu assez de bien pour leur donner de grandes assistances. Il me repondit : puisque je n’avois pas de bien pour leur en donner, je devois leur avoir donné mon temps et ma peine. C’est à quoy j’ay failly, et si les medecins disent vray, et que Dieu permette que je releve de cette maladie, je suis resolu de n’avoir point d’autre employ ni d’autre occupation tout le reste de ma vie que le service des pauvres. Ce sont là les sentimens dans lesquels Dieu l’a pris.

Il joignoit a cette ardente charité pendant sa maladie une patience si admirable, qu’il édifioit et surprenoit toutes les personnes qui estoient autour de luy, et il disoit à ceux qui luy temoignoient avoir de la peine de l’estat où il estoit, que pour luy il n’en avoit point, et qu’il apprehendoit mesme de guerir et quand on luy en demandoit la raison : Il disoit, c’est que je comnois le danger de la santé, et les avantages de la maladie. Il disoit encore au plus fort de ses douleurs, quand on s’affligeoit de les luy voir souffrir : ne me plaignez point, la maladie est l’estat naturel des Chretiens, parce que l’on est par là, comme on devroit toujours estre, dans la souffrance des maux, dans la privation de tous les biens et de tous les plaisirs des sens, exempts de toutes les passions qui travaillent pendant tout le cours de la vie, sans ambition, sans avarice, et dans l’attente continuelle de la mort. n’est ce pas ainsy que les Chrestiens doivent passer leur vie, et n’estce pas un grand bonheur, quand on se trouvé par necessité en l’estat qu’on est obligé d’estre, et qu’on n’a autre chose à faire qu’à s’y soumettre humblement et paisiblement. C’est pourquoy je ne vous demande autre chose, que de prier Dieu qu’il me fasse cette grace. voilà dans quel esprit il enduroit tous ses maux.

Il souhaittoit beaucoup de communier, mais les medecins s’y opposoient, disant qu’il ne pouvoit le faire à jeun, à moins que ce ne fust la nuit, ce qu’ils ne trouvoient pas à propos de faire sans necessité, et que pour communier en viatique, il falloit estre en danger de mort, ce qui ne se trouvant pas enluy, ils ne pouvoient luy donner ce conseil. Cette resistance le faschoit, mais il estoit contraint d’y ceder.

Cependant la colique continuant toujours, on luy ordonna de boire des eaux, qui en effect le soulagerent beaucoup, mais au sixiesme jour de la boisson, qui estoit le 14. Aoust, il sentit un grand étourdiſſement avec une grande douleur de teste. Et quoyque les medecins ne s’étonnassent pas de cela, et qu’ils l’asseurassent que ce n’estoit que la vapeur des eaux, il ne laissa pas de se confesser, et il demanda avec des instances incroyables qu’on le fist communier, et qu’au nom de Dieu on trouvast moyen de remedier à tous les inconvenients qu’on luy avoit alleguez jusqu’à lors, et il pressoit tant sur cela, qu’une personne qui se trouva presente, luy reprocha qu’il avoit de l’inquietude, et qu’il devoit se rendre au sentiment de ses amys, qu’il se portoit mieux, et qu’il n’avoit presque plus de colique, et que ne luy restant plus qu’une vapeur d’eau, il n’estoit pas juste de se faire porter le S.t Sacrement, et qu’il valloit mieux differer pour faire cette action à l’Eglise. Il repondoit à cela : On ne sent pas mon mal, on y sera trompé ; ma douleur de teste a quelque chose de fort extraordinaire.

Neantmoins voyant une si grande opposition à son desir, il n’osa plus en parler, mais il me dit : puisqu’on ne me veut point accorder cette grace, Je voudrois bien y suppléer par quelque bonne œuvre, et ne pouvant pas communier dans le chef je voudrois bien communier dans les membres, et pour cela j’ay pensé d’avoir ceans un pauvre malade, à qui on tende les mesmes services qu’a moy, qu’on prenne une garde exprés, et qu’enfin il n’y ait aucune difference de luy à moy, afin que j’aye cette consolation de sçavoir qu’il y a un pauvre qui est aussi bien traitté que moy, dans la confusion que je souffre de la grande abondance où je me vois de toutes les choses dont j’ay besoin. car quand je pense qu’au mesme temps que je suis si bien, il y a une infinité de pauvres qui sont plus malades quemoy, et qui manquent des choses les plus necessaires. cela me fait une peine que je ne puis supporter. Ainsy je vous prie de demander a monſ.r le Curé un malade pour ce dessein que j’ay.

J’envoiay à M.r Le Curé à l’heure mesme, qui manda qu’il n’en avoit point qui fussent en état d’estre transportez, mais qu’il luy donneroit aussitost qu’il seroit guéry, un moyen d’exercer sa charité, en le chargeant d’un vieil homme dont il prendroit soin le reste de sa vie ; car M.r Le Curé ne doutoit pas alors qu’il ne dust guerir./.

Comme il vit qu’il ne pouvoit avoir un pauvre dans la maison avec luy, il me pria de luy faire donc cette grace, de le faire porter aux incurables, parce qu’il avoit un grand desir de mourir en la compagnie des pauvres. Je luy dis que les medecins ne trouvoient pas à propos de le transporter en l’estat qu’il estoit ; ce qui le fascha beaucoup, et il me fit promettre que s’il avoit un peu de relasche, je luy donnerois cette satisfaction.

Cependant cette douleur de teste augmentant, il la souffroit toujours, comme tous ses autres maux, c’est à dire sans se plaindre. Et une fois dans le plus fort de sa douleur le 17.e Aoust il me pria de faire une consultation : mais il entra en mesme temps en scrupule, et me dit : Je crains qu’il y ait trop de recherche dans cette demande. Je ne laissay pourtant pas de la faire faire, et les Medecins luy ordonnerent de boire du petit laict, assurant toujours qu’il n’y avoit nul danger, et que ce n’estoit que sa migraine meslée avec le vapeur des eaux ; neantmoins quoyqu’ils pussent dire, il ne les crut jamais, et me pria d’avoir un Ecclesiastique pour passer la nuit auprés de luy, et moy mesme je le trouvay si mal, que je donnay ordre, sans en rien dire, d’apprester des cierges, et tout ce qu’il falloit pour le faire communier le lendemain au matin.

Et Ces apprests ne furent pas inutiles : mais ils servirent plustost que nous n’avions pensé, car environ minuit il luy prit une convulsion si violente, que quand elle fut passée, nous crumes qu’il estoit mort, et nous avions cet extresme deplaisir avec tous les autres, de le voir mourir sans sacremens apres les avoir demandé si souvent et avec tant d’instance. Mais Dieu qui vouloit recompenser un desir si fervent et si juste suspendit comme par miracle cette convulsion, et luy rendit le jugement entier, comme dans sa parfaite santé ; en sorte que M. Le Cure entrant dans sa chambre avec le S.t Sacrement, luy cria : voicy Nôtre seigneur que je vous apporte : voicy celuy que vous avez tant desiré. ces paroles acheverent de le reveiller. Et comme Monsieur le Curé approcha pour luy donner la Communion, il fit un effort, et se leva seul à moitié pour le recevoir avec plus de respect. Et M. Le Curé l’ayant interrogé selon la coutume sur les principaux mysteres de la foy. oüy monſ.r Je croy tout cela et de tout mon cœur ; et ensuitte il receut le S.t Viatique et l’extreme onction avec des sentimens si tendres, qu’il en versoit des larmes. Il repondit a tout, remercia m.r le Curé, et alors qu’il le benit avec le S.t Ciboire, il dit : Que Dieu ne m’abbandonne jamais, qui furent comme ses dernieres paroles. Car aprés avoir fait son action de graces, un moment aprés les convulsions le reprirent qui ne le quitterent plus, et qui ne luy laisserent pas un instant de liberté d’esprit. Elles durerent jusqu’à la mort, qui fut vingt quatre heures aprés le quatorziesme Aoust à une heure du matin, aage de trente neuf ans et deux mois. Ensuitte de quoy l’ayant fait ouvrir, on trouva &c.

M.r Le Curé de St. Estienne le recommanda le Dimanche suivant à son prosne aux prieres des aſsistants, et il en fit un éloge qui marquoit l’estime qu’il faisoit de sa pieté, et combien il regrettoit la perte que l’on avoit faite a sa mort. Il en parla de la mesme mamiere a feu M. L’Archevesque de Paris, qui luy en demanda des nouvelles, ayant sceu qu’il l’avoit assisté à la mort. Et quoyque ce qu’il luy rapporta dans la mesme occasion d’une conversation qu’il avoit euë avec m. Pascal dans sa maladie, ayt donné lieu à quelques personnes, qui auroient voulu, s’ils avoient pu, noircir sa memoire et sa reputation, de faire courir le bruit qu’il avoit fait avant que de mourir, une retractation entre les moins de M. le Cure de S.t Estienne : Neantmoins il y a peu de gens à present, qui ne soient entierement desabusez de cette calomnie dont M. Le Cure de S.t Estienne luy mesme, qui est encore vivant, et qui est presentement abbé de S.te Genevieve et General de cet Ordre, pourra detromper tous ceux qui ne le seroient pas encore suffisament, et qui luy en voudront demander l’éclaircissement. Il s’en est deja assez expliqué par avance dans plusieurs lettres qu’il nous a fait l’honneur de nous ecrire sur ce sujet, et que nous avons en nos mains, par lesquelles il declare qu’il n’a jamais dit ni de bouche ni par écrit à qui que ce soit, que m. Pascal se fust retracté, comme un effet cela estoit très faux. et il demeure mesme d’accord qu’il avoit pris dans un sens contraire ce que m. Pascal luy avoit dit dans cet entretien duquel il avoit fait rapport à M. L’Archevesque, et qui avoit donné sujet à ce faux bruict, quoy que neantmoins il ne contienne rien de cela, J’ay cru qu’il estoit necessaire d’en faire connoître la faussete, et de justifier la memoire d’une personne qui n’a jamais eu des sentimens qui ne fussent tres catholiques, et dont il ayt eu besoin de se retracter, qui a toujours eu un fort grand respect et une tres parfaite sommission pour toutes les veritez de la foy, et dont l’entiere application et l’unique travail pendant les cinq ou six dernieres années de sa vie a esté de combattre les ennemis de la Religion,

et de la morale chretienne./.

Lettres
Et Extraits de Lettres de feuë
S. A. Madame de
Longueville.

A M. Le Curé de S.t Jacques
du haut pas, et à &c…

De Port Royal ce 30. May.

J’ay receu vos deux lettres. Je m’en vois essayer à devenir un peu plus confiante, mais aidés moy de vos prieres ; Car c’est une terrible entreprise. Je receus hier si tard vôtre Lettre que je n’ay pu communier aujourd’huy. Joint que ma santé alterée, la m’a necessitée de prendre quelque choſe, parce que j’avois essayé de jeusner hier (ce que je ne puis plus faire impunément.) ces impuissances là et d’esprit et de corps à une personne qui a tant eu le pouvoir de mal faire, sont[sic] assurem.t un état bien humiliant. on ne void gueres de Saints qui ayant pû faire et fait beaucoup de maux, ayent esté privez de la puissance de les réparer. Je suis pertuadée que vous demeurerez d’accord de cela avec moy. Je suis bien aise que M. vous ay dit l’affaire qu’on me veut faire : Je ne suis pas digne de souffrir pour la justice, ainsy je croy que cela ne produira rien : Je suis très faschée de la mort de M. C’estoit un homme d’une tres droitte intention pour tous les biens auxquels il pouvoit contribuer. Je ne doute pas que vous ne priez beaucoup pour luy. Je recommande aussi à vos prieres l’ame du fils de m.r et de mad.e de Beringhem, et la consolation de ces pauvres gens là qui ont bien de la vertu et qui sont fort de mes amis.

Au Mesme.
De Trië ce 30. Juillet
J’ay receu vos deux lettres de la villetertre

et de Pontoise. Je n’y trouve rien de trop que vos remercimens. Je vous dois tout ce que vous avez receu icy, et vous ne devez me sçavoir gré que du bon cœur avec lequel on vous l’a rendu. vos prieres me serviront à accomplir vos Instructions. Je vous les demande donc sur tout pour le 2.d du mois qui vient. Demandez par elles à Dieu que je ne me rende pas indigne de la grande grace qu’il m’a faite ce jour là. Ces années là me doivent estre si precieuſes que je ne veux pas que vous en croyez une de moins. Il y en aura donc 23. dimanche, si je les compte devant les hommes ; je ne les compte pas devant Dieu, estimant qu’elles sont bien plus vuides en bien que celles qui les ont precedées ne l’ont esté en mal. Je vous donne le bon jour, et suis toute à vous en notre seigr. J.C.

Au Mesme.
J’avois compris que M. estoit icy avec M. mais

Je voy bien que je me suis trompée. Je ne fais point entrer dans le convent sans la permission des Meres : Je la leur demanderay et vous en rendray compte. Je voudrois fort que mes prieres fussent assez bonnes pour estre utiles à vos deux penitens, car je m’en trouverois aussi bien qu’eux ; mais dans la verité je ne suis pas digne de servir aux autres, puisque je ne me sers pas à moy mesme, ce que je vous dit de l’abondance de mon cœur, estant étonnée au dernier point de passer des journées entieres devant Dieu a l’Egliſe sans avoir aucun sentiment de sa presence. J’ay regardé cela tout du long du Salut comme une Excommunication que Dieu fait à mon égard on me ſeparant de luy interieurement, lorsque les hommes ne le sont pas exterieurement et me laissent dans l’Eglise. Priez le donc pour moy, car dans la verité cet etat est terrible et effrayant

Au Mesme
De Port Royal ce 28 Juillet
Je vous envoyay hier une lettre pour M.

Je vous donne donc ma voix pour elle, et vous ferez de mon nom ce qui sera utile pour vôtre charité. Il est vray que je ne vous ay pas écrit là dessus, car j’ay eu de si grandes vapeurs ces derniers jours icy que je n’ay pû le faire, et j’ay bien cru que cela n’estoit pas necessaire, parce que vous comprendriez bien que j’approuverois tout ce que vous resoudriez pour la Charité. Comme J’ay dit à m. que j’avois communié le jour de S.te Magdeleine, et que j’estois dans le dessein de le faire vendredy, il ne m’a pas pressée de le faire aujourd’huy. S’il n’y avoit pas esté, j’aurois communié selon votre ordre Ce sera donc pour vendredy s’il plait à Dieu : J’espere que vous ne m’oublirez pas ce jour là ny mesme aujourd’huy, et que vous demanderez à Dieu avec bien de la ferveur que je sois veritablement sortie de l’Egypte, et que je n’y retourne jamais. La maladie de M. D’Aleth me tient dans une peine incroyable non seulement pour l’Interêt de l’Eglise et le stien en general, mais pour le mien en particulier. J’avois des consultations à luy faire encore, que je ne pouvois confier à la poste. Je les luy allois envoyer par N.et il me les auroit renvoyées par N., et s’il meurt je seray toute ma vie en Scrupule sur des choses bien importantes. Je les avois consultées déja, mais les changemens qui sont arrivez dans ma famille, en ont apporté aux décisions que m.r D’aleth avoit faites. De sorte que sur un nouvel état il falloit on nouvel avis. Si Dieu ne permet pas que j’aye celuy de ce S.t homme, Je craindray que ce soit un jugement sur mes pechez car comme M. D’aleth Sçavoit la Suitte de toutes mes affaires, Joint à ce que ses avis sont toujours plus droits que tous les autres, et calment mieux mon esprit, J’attendois beaucoup de repos par cette voye et meſme beaucoup de seureté de sorte que je suis dans dans une extreme inquietude. Je la merite bien, et c’est ce qui me fait craindre en toutes occasions, parceque je suis convaincüe que je merite tous les chatimens que dieu me peut envoyer. 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