Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 280-282).


CHAPITRE LXXV


Laissons un instant Napoléon dans l’Île d’Elbe. Les événements nous y rappelleront bientôt.

Le gouvernement provisoire par égard, je crois, pour les princes, qui s’avançaient avec la cocarde blanche, proscrivit la cocarde tricolore et proclama la cocarde blanche. « Bon, dit Napoléon, alors à Fontainebleau, voilà une cocarde toute trouvée pour mes partisans, si jamais ils reprennent courage. » L’armée fut profondément irritée.

Ce trait est comme l’épigraphe du gouvernement qui va suivre. Cette démarche était d’autant plus inepte qu’il y avait un prétexte très plausible : Louis XVIII étant alors Monsieur, avait porté la cocarde tricolore du 11 juillet 1789 au 21 juin 1792[1].

Le sénat fit une constitution qui était un contrat entre le peuple et un homme. Cette constitution appelait au trône Louis-Stanislas-Xavier. Ce prince, le modèle de toutes les vertus, arriva à Saint-Ouen. Malheureusement, pour nous, il n’osa pas se confier à ses lumières qui cependant sont si supérieures[2]. Il crut devoir s’entourer de gens qui connussent la France. Il estimait, comme tout le monde, les talents du duc d’Otrante et du prince de Bénévent. Mais sa magnanimité lui fit oublier que la loyauté n’était pas le trait marquant du caractère de ces gens. Ils se dirent : « Il est impossible que le roi puisse se passer de nous. Laissons-le essayer de gouverner par lui-même ; nous serons premiers ministres dans un an. » Il n’y avait qu’une chance contraire et qui s’est présentée deux ans plus tard : c’est que le roi trouvât un jeune homme de plus grand talent dont il pût faire un grand ministre.

En 1814, l’homme gangrené qui possédait la confiance du roi, donna à la France les ministres les plus plaisants qu’elle eût vus depuis longtemps. L’intérieur, par exemple, fut confié à un homme plus aimable à lui seul que tous les ministres un peu rudes de Napoléon, mais qui croyait fermement qu’habiter l’hôtel du ministre de l’intérieur et y dîner, c’était être ministre de l’intérieur. La Révolution dans toutes ses phases n’a rien vu de si innocent que ce ministère[3]. S’ils avaient eu quelque énergie, ils auraient bien fait le mal ; il ne paraît pas que la volonté leur ait manqué, mais ils étaient impuissants[4]. Le roi, dans sa profonde sagesse, gémissait de l’inaction de ses ministres. Il sentait tellement la pauvreté de leur esprit qu’il se fit acheter par l’un d’eux une Biographie moderne et ne nommait à aucune place sans consulter l’article du libraire[5].



  1. Hobhouse, I, p. 91.
  2. Style niais.
  3. Qui dit cela ? Est-ce Hobhouse ? Non, Je l’ai oublié.
  4. Staël, I, 127 : Quand les nations sont de quelque chose dans les affaires publiques, tons ces esprits de salon sont inférieurs a la circonstance. Ce sont des hommes à principes qu’il faut.
  5. Said by Doligny.