Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 275-278).


CHAPITRE LXXIII

MARMONT[1]


Comme ces généraux traversaient les avant-postes de l’armée française et s’arrêtaient pour faire contresigner leurs passeports par Marmont, ils communiquèrent à ce maréchal l’objet de leur voyage. Il parut confus et dit quelque chose, entre ses dents, de propositions à lui faites par le prince Schwarzenberg et auxquelles il avait prêté l’oreille en quelque manière. Mais, ajouta-t-il aux envoyés que cette parole avait frappés de stupeur, ce qu’il apprenait changeait la question et il allait mettre fin à ses communications séparées. Après quelques moments, un des maréchaux rompit le silence et dit qu’il serait plus simple que lui, Marmont, vînt avec eux à Paris et qu’il se joignît à eux dans les négociations dont ils étaient chargés. Marmont les accompagna en effet ; mais dans quel dessein ! c’est ce que les mouvements postérieurs de son corps d’armée montrèrent.

Les maréchaux le laissèrent avec le prince Schwarzenberg et allèrent remplir leur mission auprès d’Alexandre qui les envoya au sénat. Ce prince n’avait pas encore de plan arrêté et ne songeait pas aux Bourbons. Il ne s’aperçut pas qu’il était entre les mains de deux intrigants dont l’un surtout, Talleyrand, ne cherchait qu’à se venger[2].

Quand l’officier, qui avait accompagné les maréchaux aux avant-postes de l’armée, revint à Fontainebleau et rapporta que Marmont était allé avec eux à Paris et qu’il l’avait vu caché, dans le fond de leur voiture, tout le monde montra de la surprise et quelques-uns du soupçon. Mais Napoléon, avec sa confiance ordinaire dans l’amitié, répondit que, si Marmont les avait accompagnés, il était sûr que c’était pour lui rendre tous les services qui étaient en son pouvoir. Pendant l’absence des négociateurs, on rassembla à Fontainebleau un conseil de guerre composé de tous les généraux de l’armée. Il s’agissait de décider ce que l’on ferait si la proposition des maréchaux était rejetée. Souham, qui commandait en second le corps de Marmont, fut appelé comme les autres. Souham, qui était informé de l’intelligence secrète de Marmont avec l’ennemi, craignit d’être fusillé en arrivant à Fontainebleau et que tout ne fût découvert. Au lieu de se rendre à Fontainebleau comme il en avait l’ordre, il fit avancer son corps d’armée dans la nuit du 5 avril jusque dans le voisinage de Versailles. Par ce mouvement, il se mit au pouvoir des Alliés qui occupaient cette ville et laissa les troupes de Fontainebleau sans avant-garde. Les soldats de Souham ignorant ses instructions, obéirent sans défiance. Ce ne fut que le lendemain matin qu’ils découvrirent avec désespoir le piège dans lequel ils étaient tombés. Ils voulurent massacrer leurs généraux, et il faut convenir qu’ils auraient donné un exemple utile au monde. Si l’un des colonels ou généraux avait eu un peu de ce caractère, si commun autrefois dans les armées de la République, il pouvait tuer Souham et ramener l’armée à Essonne.

Il est inutile d’ajouter que la défection du corps de Marmont, dans ce moment critique, décida du sort de la négociation confiée aux maréchaux. Napoléon, privé du tiers de sa petite armée, ne fut plus un objet d’appréhension pour les Alliés. Le traité de Fontainebleau fut signé le 11.

Nous nous sommes arrêtés un instant sur ces détails parce que la trahison du maréchal Marmont envers son ami et son bienfaiteur n’a pas été bien comprise. Ce n’est ni sa défense, ni sa capitulation de Paris, qui méritent une attention particulière, c’est sa conduite subséquente qui transmettra son nom à la postérité.



  1. Ce chapitre est encore traduit mot à mot du n°54 de l’Edindurgh Review. Sans doute le personnage inculpé a une justification à faire entendre.
  2. Voir la véridique histoire du mois d’avril 1814 par M. de Pradt.