Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 128-129).


CHAPITRE XXXVII


Napoléon voyant qu’il n’y avait rien à espérer du prince des Asturies, eut l’excellente idée de lui chercher querelle sur la validité de l’abdication de Charles IV. Cette abdication avait été évidemment forcée ; elle avait été rétractée.

Le prince de la Paix fut tiré de sa prison à Madrid et arriva le 26 avril à Bayonne. Le 1er mai arrivèrent les vieux souverains, comme les appelaient les Espagnols. Cette vue fit beaucoup d’impression. Ils étaient malheureux, et une longue étiquette, longtemps préservée, joue le caractère aux yeux du vulgaire.

Aussitôt que le roi et la reine d’Espagne furent entrés dans leurs appartements, les Français virent tous les Espagnols qui se trouvaient à Bayonne, le prince Ferdinand à leur tête, faire la cérémonie du baisement de main qui consiste à se mettre à genoux et à baiser la main du roi et de la reine. Les spectateurs qui avaient lu le matin, dans la Gazette de Bayonne, les pièces relatives aux événements d’Aranjuez et la protestation du roi, et qui voyaient cet infortuné monarque recevoir ainsi l’hommage de ces mêmes hommes qui avaient ourdi la conspiration du mois de mars, furent révoltés de tant de duplicité et cherchèrent en vain l’honneur castillan. Les Français eurent l’imprudence de juger la nation espagnole par les hautes classes de la société, qui, quant aux sentiments, sont les mêmes partout.

Après la cérémonie, le prince des Asturies voulut suivre les vieux souverains dans leurs appartements intérieurs. Le roi l’arrêta en lui disant en espagnol : « Prince, n’avez-vous pas assez outragé mes cheveux blancs ? » Ces mots parurent produire sur un fils rebelle l’effet d’un coup de foudre[1].



  1. Moniteur, 6 mai 1808.