Vie de Michel-Ange/Partie I, I. La Force

Libr. Hachette et Cie (p. 37-63).
Première partie. La Lutte

I

LA FORCE



Davide cholla fromba
e io choll’archo,
Michelagniolo.[1]


Il naquit, le 6 mars 1475, à Caprese, en Casentin. Âpre pays, « air fin »,[2] rochers et bois de hêtres, que domine l’échine de l’Apennin osseux. Non loin, François d’Assise vit sur le Mont Alvernia paraître le Crucifié.

Le père[3] était podestat de Caprese et Chiusi. C’était un homme violent, inquiet, « craignant Dieu ». La mère[4] mourut, quand Michel-Ange avait six ans.[5] Ils étaient cinq frères : Lionardo, Michelagniolo, Buonarroto, Giovan Simone, et Sigismondo.[6]

Il fut mis en nourrice chez la femme d’un tailleur de pierres de Settignano. Plus tard, en plaisantant, il attribuait à ce lait sa vocation de sculpteur. On l’envoya à l’école : il ne s’y occupa que de dessin. « Pour cela, il fut mal vu et souvent cruellement frappé par son père et les frères de son père, qui avaient de la haine pour la profession d’artiste, et à qui il semblait une honte d’avoir un artiste dans leur maison, »[7] Ainsi, il apprit à connaître tout enfant la brutalité de la vie et la solitude de l’esprit.

Son obstination l’emporta sur celle de son père. À treize ans, il entra, comme apprenti, dans l’atelier de Domenico Ghirlandajo, — le plus grand, le plus sain des peintres florentins. Ses premiers travaux eurent tant de succès, que le maître, dit-on, fut jaloux de l’élève.[8] Ils se séparèrent au bout d’un an.

Il avait pris le dégoût de la peinture. Il aspirait à un art plus héroïque. Il passa dans l’école de sculpture, que Laurent de Médicis entretenait, dans les jardins de Saint-Marc.[9] Le prince s’intéressa à lui : il le logea au palais, il l’admit à la table de ses fils ; l’enfant se trouva au cœur de la Renaissance italienne, au milieu des collections antiques, dans l’atmosphère poétique et érudite des grands Platoniciens : Marsile Ficin, Benivieni, Ange Politien. Il s’enivra de leur esprit ; à vivre dans le monde antique, il se fit une âme antique : il fut un sculpteur grec. Guidé par Politien, « qui l’aimait fort », il sculpta le Combat des Centaures et des Lapithes.[10]

Ce bas-relief orgueilleux, où régnent seules la force et la beauté impassibles, reflète l’âme athlétique de l’adolescent et ses jeux sauvages avec ses rudes compagnons.

Il allait à l’église du Carmine dessiner les fresques de Masaccio, avec Lorenzo di Credi, Bugiardini, Granacci, et Torrigiano dei Torrigiani. Il ne ménageait pas les railleries à ses camarades, moins habiles que lui. Un jour, il s’attaqua au vaniteux Torrigiani. Torrigiani lui écrasa la face d’un coup de poing. Il s’en vantait plus tard : « Je fermai le poing, racontait-il à Benvenuto Cellini ; je le frappai si violemment sur le nez, que je sentis les os et les cartilages s’écraser, comme une oublie. Ainsi, je l’ai marqué pour toute sa vie. »[11]

Le paganisme n’avait pas éteint la foi chrétienne de Michel-Ange. Les deux mondes ennemis se disputaient son âme.

En 1490, le moine Savonarole commença ses prédications enflammées sur l’Apocalypse. Il avait trente-sept ans. Michel-Ange en avait quinze. Il vit le petit et frêle prédicateur, que dévorait l’Esprit de Dieu. Il fut glacé d’effroi par la terrible voix qui, de la chaire du Duomo, lançait la foudre sur le pape, et suspendait sur l’Italie le glaive sanglant de Dieu. Florence tremblait. Les gens couraient dans les rues, pleurant et criant comme des fous. Les plus riches citoyens : Ruccellai, Salviati, Albizzi, Strozzi, demandaient à entrer dans les ordres. Les savants, les philosophes, Pic de la Mirandole, Politien, eux-mêmes abdiquaient leur raison.[12] Le frère aîné de Michel-Ange, Lionardo, se fit Dominicain.[13]

Michel-Ange n’échappa point à la contagion de l’épouvante. Quand approcha celui qu’avait annoncé le prophète : le nouveau Cyrus, l’épée de Dieu, le petit monstre difforme : — Charles VIII, roi de France, — il fut pris de panique. Un songe l’affola.

Un de ses amis, Cardiere, poète et musicien, vit l’ombre de Laurent de Médicis[14] lui apparaître, une nuit, vêtu de haillons, en deuil, à demi nu ; le mort lui ordonna de prévenir son fils Pierre, qu’il allait être chassé et qu’il ne retournerait plus jamais dans sa patrie. Michel-Ange, à qui Cardiere confia sa vision, l’engagea à tout raconter au prince ; mais Cardiere, qui avait peur de Pierre, ne l’osa point. Un des matins suivants, il revint trouver Michel-Ange et lui dit, plein d’effroi, que le mort lui était de nouveau apparu : il avait même costume ; et comme Cardiere, couché, le fixait en silence, le fantôme l’avait souffleté, pour le châtier de n’avoir pas obéi. Michel-Ange fit de violents reproches à Cardiere et l’obligea à se rendre à pied, sur-le-champ, à la villa des Médicis, Careggi, près de Florence. À moitié chemin, Cardiere rencontra Pierre : il l’arrêta et lui fit son récit. Pierre éclata de rire et le fit étriller par ses écuyers. Le chancelier du prince, Bibbiena, lui dit : « Tu es un fou. Qui crois-tu que Laurent aime le mieux, de son fils, ou de toi ? S’il avait eu à se montrer, c’eût été à lui et non à toi ! » Cardiere, houspillé et bafoué, revint à Florence ; il apprit à Michel-Ange l’insuccès de sa démarche, et il le convainquit si bien des malheurs qui allaient fondre sur Florence, que Michel-Ange, deux jours après, s’enfuit.[15]

Ce fut le premier accès de ces terreurs superstitieuses qui se reproduisirent plus d’une fois dans la suite de sa vie, et qui le terrassaient, quelque honte qu’il en eût.

Il fuit jusqu’à Venise.

À peine sorti de la fournaise de Florence, sa surexcitation tomba. — Revenu à Bologne, où il passa l’hiver,[16] il oublie totalement le prophète et les prophéties. La beauté du monde le reprend. Il lit Pétrarque, Boccace et Dante. Il repasse à Florence, au printemps de 1495, pendant les fêtes religieuses du Carnaval et les luttes enragées des partis. Mais il est si détaché maintenant des passions qui se dévorent autour de lui, que, par une sorte de défi contre le fanatisme des Savonarolistes, il sculpte son fameux Cupidon endormi, que ses contemporains prirent pour un antique. Il ne reste d’ailleurs que quelques mois à Florence ; il va à Rome, et, jusqu’à la mort de Savonarole, il est le plus païen des artistes. Il sculpte Bacchus ivre, Adonis mourant, et le grand Cupidon, l’année même où Savonarole fait brûler « les Vanités et les Anathèmes » : livres, parures, œuvres d’art.[17] Son frère, le moine Lionardo, est poursuivi, pour sa foi dans le prophète. Les dangers s’accumulent sur la tête de Savonarole : Michel-Ange ne revient pas à Florence, pour le défendre. Savonarole est brûlé :[18] Michel-Ange se tait. Nulle trace de cet événement dans aucune de ses lettres.

Michel-Ange se tait ; mais il sculpte la Pietà :[19]

Sur les genoux de la Vierge, immortellement jeune, le Christ mort est couché, semble dormir. La sévérité de l’Olympe flotte sur les traits de la pure déesse et du Dieu du Calvaire. Mais une mélancolie indicible s’y mêle ; elle baigne ces beaux corps. La tristesse a pris possession de l’âme de Michel-Ange.

Ce n’était pas seulement le spectacle des misères et des crimes qui venait l’assombrir. Une force tyrannique était entrée en lui, pour ne plus le lâcher. Il était en proie à cette fureur de génie, qui ne lui permit plus de souffler jusqu’à la mort. Sans illusions sur la victoire, il avait juré de vaincre, pour sa gloire et pour celle des siens. Tout le poids de sa lourde famille reposait sur lui seul. Elle l’obsédait de demandes d’argent. Il en manquait, mais il mettait son orgueil à ne jamais refuser : il se serait vendu lui-même, pour envoyer aux siens l’argent qu’ils réclamaient. Sa santé s’altérait déjà. La mauvaise nourriture, le froid, l’humidité, l’excès de travail, commençaient à la ruiner. Il souffrait de la tête, et il avait un côté enflé.[20] Son père lui reprochait sa façon de vivre : il ne se disait pas qu’il en était responsable.

« Toutes les peines que j’ai endurées, je les ai endurées pour vous, lui écrivait plus tard Michel-Ange.[21]

… Tous mes soucis, tous, je les ai par amour pour vous. »[22]

Au printemps de 1501, il revint à Florence.

Un bloc de marbre gigantesque avait été confié, quarante ans auparavant, par l’Œuvre de la cathédrale (Opera del Duomo) à Agostino di Duccio pour y tailler la figure d’un prophète. L’œuvre à peine ébauchée était restée interrompue. Personne n’osait la reprendre. Michel-Ange s’en chargea,[23] et, de ce roc de marbre, il fit sortir le David colossal.

On conte que le gonfalonier Pier Soderini, venant voir la statue dont il avait donné la commande à Michel-Ange, lui fit quelques critiques, pour attester son goût : il blâma l’épaisseur du nez. Michel-Ange monta sur l’échafaudage, prit un ciseau et un peu de poussière de marbre, et, tout en remuant légèrement le ciseau, il faisait tomber peu à peu la poussière ; mais il se garda bien de toucher au nez, et le laissa comme il était. Puis, se tournant vers le gonfalonier, il dit :

« Regardez maintenant.

— Maintenant, dit Soderini, il me plaît beaucoup mieux. Vous lui avez donné la vie. »

« Alors Michel-Ange descendit, et il rit silencieusement. »[24]

On croit lire ce mépris silencieux dans l’œuvre. C’est une force tumultueuse au repos. Elle est gonflée de dédain et de mélancolie. Elle étouffe dans les murs d’un musée. Il lui faut le plein air, « la lumière sur la place », comme disait Michel-Ange.[25]

Le 25 janvier 1504, une commission d’artistes, dont faisaient partie Filippino Lippi, Botticelli, Pérugin, et Léonard de Vinci, délibérèrent sur l’emplacement qu’on assignerait au David. Sur la demande de Michel-Ange, on décida de l’élever devant le Palais de la Seigneurie.[26] Le transport de la masse énorme fut confié aux architectes de la cathédrale. Le 14 mai, au soir, on fit sortir du baraquement en planches, où il était campé, le Colosse de marbre, en démolissant le mur au dessus de la porte. Dans la nuit, des gens du peuple jetèrent des pierres au David, afin de le briser. On dut faire bonne garde, La statue avançait lentement, liée droite et suspendue, de façon à balancer librement sans heurter le sol. Il fallut quatre jours pour l’amener du Duomo au Palais Vieux. Le 18, à midi, elle arriva à la place marquée. On continua de faire la garde autour d’elle, la nuit. Malgré toutes les précautions, un soir, elle fut lapidée.[27]

Tel était ce peuple florentin, qu’on donne quelquefois comme modèle au nôtre.[28]

En 1504, la Seigneurie de Florence mit aux prises Michel-Ange avec Léonard de Vinci.

Les deux hommes ne s’aimaient point. Leur solitude commune eût dû les rapprocher. Mais s’ils se sentaient éloignés du reste des hommes, ils l’étaient plus encore l’un de l’autre. Le plus isolé des deux était Léonard. Il avait cinquante-deux ans, — vingt ans de plus que Michel-Ange. — Depuis l’âge de trente ans, il avait quitté Florence, dont l’âpreté de passions était intolérable à sa nature délicate, un peu timide, et à son intelligence sereine et sceptique, ouverte à tout, comprenant tout. Ce grand dilettante, cet homme absolument libre et absolument seul, était si détaché de la patrie, de la religion, du monde entier, qu’il ne se trouvait bien qu’auprès des tyrans, libres d’esprit, comme lui. Forcé de quitter Milan, en 1499, par la chute de son protecteur, Ludovic le More, il était entré au service de César Borgia, en 1502 ; la fin de la carrière politique du prince, en 1503, le contraignit à revenir à Florence. Là, son sourire ironique se trouva en présence du sombre et fiévreux Michel-Ange, et il l’exaspéra. Michel-Ange, tout entier à ses passions et à sa foi, haïssait les ennemis de ses passions et de sa foi, mais il haïssait bien plus ceux qui n’avaient point de passion et n’étaient d’aucune foi. Plus Léonard était grand, plus Michel-Ange sentait d’aversion pour lui ; et il ne négligeait pas une occasion de la lui témoigner.

« Léonard était un homme de belle figure, de manières avenantes et distinguées. Il flânait un jour avec un ami, dans les rues de Florence. Il était vêtu d’une tunique rose, tombant jusqu’aux genoux ; sur sa poitrine flottait sa barbe bien bouclée et arrangée avec art. Auprès de Santa Trinità, quelques bourgeois causaient : ils discutaient ensemble un passage de Dante. Ils appelèrent Léonard, et le prièrent de leur en éclaircir le sens. À ce moment, Michel-Ange passait. Léonard dit : « Michel-Ange vous expliquera les vers dont vous parlez. » Michel-Ange, croyant qu’il voulait le railler, répliqua amèrement : « Explique-les toi-même, toi qui as fait le modèle d’un cheval de bronze,[29] et qui n’as pas été capable de le fondre, mais qui, pour ta honte, t’es arrêté en route ! » — Là-dessus, il tourna le dos au groupe et continua son chemin. Léonard resta, et il rougit. Et Michel-Ange, non satisfait encore et brûlant du désir de le blesser, cria : « Et ces chapons de Milanais qui te croyaient capable d’un tel ouvrage ! »[30]

Tels étaient les deux hommes, que le gonfalonier Soderini opposa l’un à l’autre dans une œuvre commune : la décoration de la Salle du Conseil au Palais de la Seigneurie. Ce fut un combat singulier entre les deux plus grandes forces de la Renaissance. En mai 1504, Léonard commença le carton de la Bataille d’Anghiari.[31] En août 1504, Michel-Ange reçut la commande du carton pour la Bataille de Cascina.[32] Florence se divisa en deux camps pour l’un ou l’autre rival. — Le temps a tout égalisé. Les deux œuvres ont disparu.[33]

En mars 1505, Michel-Ange fut appelé à Rome par Jules II. Alors commença la période héroïque de sa vie.

Tous deux violents et grandioses, le pape et l’artiste étaient faits pour s’entendre, quand ils ne se heurtaient point l’un l’autre avec fureur. Leur cerveau bouillonnait de projets gigantesques. Jules II voulait se faire bâtir un tombeau, digne de la Rome antique. Michel-Ange s’enflamma pour cette idée d’orgueil impérial. Il conçut un dessein babylonien, une montagne d’architecture, avec plus de quarante statues, de dimensions colossales. Le pape, enthousiasmé, l’envoya à Carrare, pour faire tailler dans les carrières tout le marbre nécessaire. Michel-Ange resta plus de huit mois dans les montagnes. Il était en proie à une exaltation surhumaine. « Un jour qu’il parcourait le pays à cheval, il vit un mont qui dominait la côte : le désir le saisit de le sculpter tout entier, de le transformer en un colosse, visible de loin aux navigateurs… Il l’eût fait, s’il en avait eu le temps, et si on le lui avait permis. »[7]

En décembre 1505, il revint à Rome, où commencèrent à arriver par mer les blocs de marbre qu’il avait choisis. On les transporta sur la place Saint-Pierre, derrière Santa-Caterina, où Michel-Ange habitait. « La masse des pierres était si grande, qu’elle excitait la stupeur des gens et la joie du pape. » Michel-Ange se mit au travail. Le pape, dans son impatience, venait sans cesse le voir, « et s’entretenait avec lui, aussi familièrement que s’il avait été son frère ». Pour venir plus commodément, il fit jeter du corridor du Vatican à la maison de Michel-Ange un pont-levis qui lui assurait un passage secret.

Mais cette faveur ne dura guère. Le caractère de Jules II n’était pas moins trépidant que celui de Michel-Ange. Il se passionnait tour à tour pour les projets les plus différents. Un autre dessein lui parut plus propre à éterniser sa gloire : il voulut réédifier Saint-Pierre. Il y était poussé par les ennemis de Michel-Ange. Ils étaient nombreux et puissants. Ils avaient à leur tête un homme d’un génie égal à celui de Michel-Ange, et d’une volonté plus forte : Bramante d’Urbin, l’architecte du pape et l’ami de Raphaël. Il ne pouvait y avoir de sympathie entre la raison souveraine des deux grands Ombriens et le génie sauvage du Florentin. Mais s’ils se décidèrent à le combattre,[34] ce fut sans doute qu’il les y avait provoqués. Michel-Ange critiquait imprudemment Bramante, et l’accusait, à tort ou à raison, de malversations dans ses travaux.[35] Bramante décida aussitôt de le perdre.

Il lui enleva la faveur du pape. Il joua de la superstition de Jules II ; il lui rappela la croyance populaire, suivant laquelle il était de mauvais présage de se faire bâtir son tombeau de son vivant. Il réussit à le détacher des projets de son rival, et il y substitua les siens. En janvier 1506, Jules II se décida à reconstruire Saint-Pierre. Le tombeau fut abandonné, et Michel-Ange se trouva non seulement humilié, mais endetté par les dépenses qu’il avait faites pour l’œuvre.[36] Il se plaignit amèrement. Le pape lui fit fermer sa porte ; et, comme il revenait à la charge, Jules II le fit chasser du Vatican par un de ses palefreniers.

Un évêque de Lucques, qui assistait à la scène, dit au palefrenier :

— « Vous ne le connaissez donc pas ? »

Le palefrenier dit à Michel-Ange :

— « Pardonnez-moi, monsieur, mais j’ai reçu cet ordre, et je dois l’exécuter. »

Michel-Ange rentra chez lui et écrivit au pape :

« Saint-Père. J’ai été chassé du palais, ce matin, sur l’ordre de Votre Sainteté. Je vous fais savoir qu’à partir d’aujourd’hui, si vous avez besoin de moi, vous pouvez me faire chercher partout ailleurs qu’à Rome. »

Il envoya la lettre, appela un marchand et un tailleur de pierres, qui logeaient chez lui, et leur dit :

« Cherchez un Juif, vendez tout ce qui est dans ma maison, et venez à Florence. »

Puis il monta à cheval et partit.[37] Quand le pape reçut la lettre, il envoya après lui cinq cavaliers, qui l’atteignirent vers onze heures du soir, à Poggibonsi, et lui remirent l’ordre suivant : « Aussitôt après la réception de ceci, tu retourneras à Rome, sous peine de notre disgrâce. » Michel-Ange répliqua qu’il retournerait, quand le pape tiendrait ses engagements : sinon, Jules II ne devait pas espérer de le revoir jamais.[38]

Il adressa ce sonnet au pape :[39]

Seigneur, si jamais proverbe est vrai, c’est bien celui qui dit que qui peut, jamais ne veut. Tu as cru à des contes et à des bavardages, tu as récompensé qui est l’ennemi du vrai. Pour moi, je suis et j’ai été ton bon vieux serviteur, je te suis attaché comme les rayons au soleil ; et le temps que je perds ne t’afflige pas ! Plus je me fatigue, moins tu m’aimes. J’avais espéré grandir par ta grandeur, et que ta juste balance et ta puissante épée seraient mes seuls juges, et non l’écho mensonger. Mais le ciel se moque de toute vertu, en la plaçant dans ce monde, si elle doit y attendre des fruits d’un arbre sec.[40]

L’affront qu’il avait subi de Jules II n’était pas la seule raison qui eût déterminé Michel-Ange à la fuite. Dans une lettre à Giuliano da San Gallo, il laisse entendre que Bramante voulait le faire assassiner.[41]

Michel-Ange parti, Bramante resta seul maître. Le lendemain de la fuite de son rival, il fit poser la première pierre de Saint-Pierre.[42] Sa rancune implacable s’acharna après l’œuvre de Michel-Ange, et s’arrangea de façon à la ruiner pour jamais. Il fit piller par la populace le chantier de la place Saint-Pierre, où étaient amassés les blocs de marbre pour le tombeau de Jules II.[43]

Cependant, le pape, enragé de la révolte de son sculpteur, envoyait bref sur bref à la Seigneurie de Florence, où Michel-Ange s’était réfugié. La Seigneurie fit venir Michel-Ange, et lui dit : « Tu as joué au pape un tour, comme le roi de France lui-même n’en eût pas fait. Nous ne voulons pas, à cause de toi, nous engager dans une guerre avec lui : ainsi il faut que tu retournes à Rome ; nous te donnerons des lettres d’un tel poids, que toute injustice qui te serait faite, serait faite à la Seigneurie. »[44]

Michel-Ange s’entêtait. Il posait ses conditions. Il exigeait que Jules II lui laissât faire son tombeau, et il entendait y travailler non plus à Rome, mais à Florence. Lorsque Jules II partit en guerre contre Pérouse et Bologne,[45] et que ses sommations devinrent plus menaçantes, Michel-Ange songea à passer en Turquie, où le sultan lui faisait offrir par les Franciscains de venir à Constantinople, pour bâtir un pont à Péra.[46]

Enfin, il fallut céder ; et, dans les derniers jours de novembre 1506, il se rendit en rechignant à Bologne, où Jules II, vainqueur, venait d’entrer par la brèche.

« Un matin, Michel-Ange était allé entendre la messe à San Petronio. Le palefrenier du pape l’aperçut, le reconnut et le conduisit devant Jules II, qui était à table au palais des Seize. Le pape, irrité, lui dit : « C’était à toi de venir Nous chercher (à Rome) ; et tu as attendu que Nous vinssions te trouver (à Bologne) ! » — Michel-Ange s’agenouilla et demanda pardon à haute voix, disant qu’il n’avait pas agi par malice, mais par irritation, parce qu’il n’avait pu supporter d’être chassé, comme on avait fait. Le pape demeurait assis, la tête baissée, le visage enflammé de colère, quand un évêque, que Soderini avait envoyé pour prendre la défense de Michel-Ange, voulut s’interposer, et dit : « Que Votre Sainteté veuille bien ne pas faire attention à ses sottises : il a péché par ignorance. En dehors de leur art, les peintres sont tous de même. » Le pape, furieux, cria : « Tu lui dis une grossièreté, que Nous ne lui avons pas dite. L’ignorant, c’est toi !… Va-t-en, et que le diable t’emporte ! » — Et comme il ne s’en allait pas, les serviteurs du pape le jetèrent à coups de poing dehors. Alors, le pape, ayant déchargé sa colère sur l’évêque, fit approcher Michel-Ange, et lui pardonna. »[7]

Malheureusement, pour faire sa paix avec Jules II, il fallut en passer par ses caprices ; et la toute-puissante volonté avait de nouveau tourné. Il ne s’agissait plus du tombeau, mais d’une statue colossale de bronze, qu’il voulait se faire élever à Bologne. Michel-Ange en vain protesta « qu’il n’entendait rien à la fonte du bronze ». Il lui fallut l’apprendre ; et ce fut une vie de travail acharné. Il habitait une mauvaise chambre, avec un seul lit, où il couchait avec ses deux aides florentins, Lapo et Lodovico, et avec son fondeur Bernardino. Quinze mois se passèrent en ennuis de toutes sortes. Il se brouilla avec Lapo et Lodovico, qui le volaient.

« Ce gredin de Lapo, écrit-il à son père, donnait à entendre à tous, que c’était lui et Lodovico qui faisaient tout l’ouvrage, ou du moins qu’ils le faisaient en collaboration avec moi. Il ne pouvait se mettre dans la tête qu’il n’était pas le maître, jusqu’au moment où je l’ai mis dehors : alors, pour la première fois, il s’est aperçu qu’il était à mon service. Je l’ai chassé comme une bête. »[47]

Lapo et Lodovico se plaignirent bruyamment ; ils répandirent à Florence des calomnies contre Michel-Ange, et parvinrent à extorquer de l’argent de son père, sous prétexte qu’il les avait volés.

Puis, ce fut le fondeur, dont l’incapacité se révéla.

« J’aurais cru que maître Bernardino était capable de fondre, même sans feu, tant j’avais foi en lui. »

En juin 1507, la fonte rata. La figure ne sortit que jusqu’à la ceinture. Tout fut à recommencer. Michel-Ange resta occupé à cette œuvre jusqu’en février 1508. Il faillit y perdre la santé.

« J’ai à peine le temps de manger, écrit-il à son frère… Je vis dans la plus grande incommodité et dans une peine extrême ; je ne pense à rien autre qu’à travailler nuit et jour ; j’ai enduré de telles souffrances, et j’en endure de telles, que je crois que si j’avais la statue à faire encore une fois, ma vie n’y suffirait pas : ç’a été un travail de géant. »[48]

Pour de telles fatigues, le résultat fut misérable. La statue de Jules II, élevée en février 1508 devant la façade de San Petronio, n’y resta que quatre ans. En décembre 1511, elle fut détruite par le parti des Bentivogli, ennemis de Jules II ; et Alphonse d’Este en acheta les débris, pour s’en faire un canon.

Michel-Ange revint à Rome. Jules II lui imposait une autre tâche, non moins inattendue et plus périlleuse encore. Au peintre, qui ne savait rien de la technique de la fresque, il ordonnait de peindre la voûte de la chapelle Sixtine. On eût dit qu’il se plaisait à commander l’impossible, et Michel-Ange à l’exécuter.

Il semble que ce fut Bramante, qui, voyant Michel-Ange revenir en faveur, l’accula à cette tâche, où il pensait que sa gloire sombrerait.[49] L’épreuve était d’autant plus dangereuse pour Michel-Ange, qu’en cette même année 1508, son rival Raphaël commençait la peinture des Stanze du Vatican, avec un bonheur incomparable.[50] Il fit tout pour rejeter le redoutable honneur ; il alla jusqu’à proposer Raphaël à sa place : il disait que ce n’était pas son art et qu’il n’y réussirait point. Mais le pape s’obstina, et il fallut céder.

Bramante éleva à Michel-Ange un échafaudage dans la chapelle Sixtine, et l’on fit venir de Florence quelques peintres, ayant l’expérience de la fresque, pour lui prêter leur concours. Mais il était dit que Michel-Ange ne pouvait avoir d’aide d’aucune sorte. Il commença par déclarer inutilisable l’échafaudage de Bramante et par en élever un autre. Quant aux peintres florentins, il les prit en grippe, et, sans autre explication, il les mit à la porte. « Il fit abattre, un matin, tout ce qu’ils avaient peint ; il s’enferma dans la chapelle, il ne voulut plus leur ouvrir, et il ne se laissa plus voir même dans sa maison. Quand la plaisanterie leur eut semblé avoir assez duré, ils se décidèrent à retourner à Florence, profondément humiliés. »[24]

Michel-Ange resta seul, avec quelques manœuvres ;[51] et, loin que la difficulté plus grande retînt sa hardiesse, il agrandit son plan et décida de peindre, non seulement la voûte, comme il en était d’abord question, mais les murailles.

Le travail gigantesque commença, le 10 mai 1508. Sombres années, — les plus sombres et les plus sublimes de cette vie tout entière ! C’est le Michel-Ange légendaire, le héros de la Sixtine, celui dont la grandiose image est et doit rester gravée dans la mémoire de l’humanité.

Il souffrit terriblement. Ses lettres d’alors témoignent d’un découragement passionné, qui ne pouvait se satisfaire de ses divines pensées :

« Je suis dans un grand abattement d’esprit : il y a maintenant un an que je n’ai pas reçu un gros du pape ; je ne lui demande rien, parce que mon œuvre n’avance pas assez, pour me paraître mériter une rémunération. Cela tient à la difficulté du travail, et à ce que ce n’est point là ma profession. Ainsi, Je perds mon temps sans résultat. Dieu m’assiste ! »[52]

À peine avait-il fini de peindre le Déluge, que l’œuvre commençait à moisir : on ne pouvait plus distinguer les figures. Il refusa de continuer. Mais le pape n’admit aucune excuse. Il dut se remettre au travail.

À ses fatigues et à ses inquiétudes, les siens ajoutaient encore par leurs odieuses importunités. Toute sa famille vivait à ses crochets, abusait de lui, le pressait à mort. Son père ne cessait de gémir, de s’inquiéter pour des affaires d’argent. Il devait passer son temps à lui rendre courage, quand lui-même était accablé.

Ne vous agitez pas, ce ne sont pas là des choses où la vie soit en jeu… Je ne vous laisserai jamais manquer de rien, aussi longtemps que j’aurai moi-même quelque chose… Quand bien même tout ce que vous avez au monde vous serait pris, vous ne manquerez de rien, tant que j’existerai… J’aime mieux être pauvre et vous savoir en vie, qu’avoir tout l’or du monde et que vous soyez mort… Si vous ne pouvez pas, comme d’autres, avoir les honneurs de ce monde, qu’il vous suffise d’avoir votre pain ; et vivez avec Christ, bon et pauvre, comme je fais ici ; car je suis misérable, et je ne me tourmente ni pour la vie, ni pour l’honneur, c’est-à-dire pour le monde ; et je vis dans de très grandes peines et dans une défiance infinie. Depuis quinze ans, je n’ai pas eu une bonne heure ; j’ai tout fait pour vous soutenir ; et jamais vous ne l’avez reconnu, ni cru. Dieu nous pardonne à tous ! Je suis prêt, dans l’avenir, aussi longtemps que je vivrai, à toujours agir de la même façon, pourvu seulement que je le puisse ![53]

Ses trois frères l’exploitaient. Ils attendaient de lui de l’argent, une position ; ils puisaient sans scrupules dans le petit capital qu’il avait amassé à Florence ; ils venaient se faire héberger chez lui à Rome ; ils se faisaient acheter, Buonarroto et Giovan Simone, un fonds de commerce, Gismondo, des terres près de Florence. Et ils ne lui en savaient aucun gré : il semblait que cela leur fût dû. Michel-Ange savait qu’ils l’exploitaient ; mais il était trop orgueilleux pour ne pas les laisser faire. Les drôles ne s’en tenaient point là. Ils se conduisaient mal, et maltraitaient le père, en l’absence de Michel-Ange. Alors celui-ci éclatait en menaces furieuses. Il menait ses frères, comme des gamins vicieux, à coups de fouet. Il les eût tués, au besoin.

Giovan Simone,[54]

On dit que qui fait du bien au bon le rend meilleur, mais que les bienfaits rendent le méchant plus méchant. Voici bien des années que je cherche, avec de bonnes paroles et de bonnes façons d’agir, à te ramener à une vie honnête et en paix avec ton père et avec nous autres, et tu es toujours pire… Je pourrais te parler longuement ; mais ce seraient des mots. Pour en finir, sache avec certitude que tu ne possèdes rien au monde ; car c’est moi qui te donne l’entretien pour vivre, par amour pour Dieu, parce que je croyais que tu étais mon frère comme les autres. Mais maintenant je suis certain que tu n’es pas mon frère ; car si tu l’étais, tu n’aurais pas menacé mon père. Tu es bien plutôt une bête, et je te traiterai comme une bête. Sache que qui voit son père menacé ou maltraité a le devoir d’exposer sa vie pour lui… Assez là-dessus !… Je te dis que tu ne possèdes rien au monde ; et si j’entends seulement la moindre chose de toi, je viendrai t’apprendre à dilapider ton bien et à mettre le feu à la maison et aux domaines que tu n’as pas gagnés ; tu n’es pas où tu crois. Si je viens de ton côté, je te montrerai des choses qui te feront pleurer des larmes brûlantes et connaître sur quoi tu fondes ton arrogance… Si tu veux t’appliquer à bien agir, à honorer et à vénérer ton père, je t’aiderai comme les autres, et, sous peu, je te procurerai une bonne boutique. Mais si tu ne fais pas ainsi, je viendrai, et j’arrangerai tes affaires d’une telle façon que tu connaîtras qui tu es, et que tu sauras exactement ce que tu as au monde… Rien de plus ! Où les paroles me manquent, je supplée par les faits.

Michelagniolo à Rome.

Deux lignes encore. Depuis douze ans, je mène une vie misérable par toute l’Italie, je supporte toute honte, je souffre toute peine, je déchire mon corps par toutes les fatigues, j’expose ma vie à mille dangers, uniquement pour aider ma maison ; — et maintenant que j’ai commencé à la relever un peu, tu t’amuses à détruire en une heure ce que j’ai édifié en tant d’années et avec tant de peines !… Corps du Christ ! Cela ne sera point ! Car je suis homme à mettre en pièces dix mille de tes semblables, si cela est nécessaire. — C’est pourquoi, sois sage, et ne pousse pas à bout quelqu’un qui a bien autrement de passions que toi ![55]

Puis, c’est au tour de Gismondo :

Je vis ici dans la détresse et dans une très grande fatigue de corps. Je n’ai aucun ami d’aucune espèce, et je n’en veux pas… Il y a bien peu de temps que j’ai les moyens de manger à mon gré. Cessez de me causer des tourments ; car je n’en pourrais plus supporter une once.[56]

Enfin le troisième frère, Buonarroto, employé à la maison de commerce des Strozzi, après toutes les avances d’argent que lui a faites Michel-Ange, le harcèle impudemment et se vante d’avoir plus dépensé pour lui qu’il n’en a reçu :

Je voudrais bien savoir de ton ingratitude, lui écrit Michel-Ange, d’où tu tiens ton argent ; je voudrais bien savoir si tu tiens compte des 228 ducats que vous m’avez pris à la banque de Santa Maria Nuova, et de bien d’autres centaines de ducats que j’ai envoyées à la maison, et des peines et des soucis que j’ai eus pour vous entretenir. Je voudrais bien savoir si tu tiens compte de tout cela ! — Si tu avais assez d’intelligence pour reconnaître la vérité, tu ne dirais pas : « J’ai dépensé tant du mien », et tu ne serais pas venu me relancer ici, pour me tourmenter de tes affaires, sans te souvenir de toute ma conduite passée, à votre égard. Tu aurais dit : « Michel-Ange sait ce qu’il nous a écrit ; s’il ne le fait pas maintenant, c’est qu’il doit en être empêché par quelque chose que nous ne savons pas : soyons patients. » Quand un cheval court autant qu’il peut, il n’est pas bon de lui donner de l’éperon, pour qu’il coure plus qu’il ne peut. Mais vous ne m’avez jamais connu, et vous ne me connaissez pas. Dieu vous pardonne ! C’est lui qui m’a accordé la grâce de suffire à tout ce que j’ai fait pour vous aider. Mais vous ne le reconnaîtrez que quand vous ne m’aurez plus.[57]

Telle était l’atmosphère d’ingratitude et d’envie, où Michel-Ange se débattait, entre une famille indigne qui le harcelait et des ennemis acharnés qui l’épiaient, escomptant son échec. Et lui, pendant ce temps, accomplissait l’œuvre héroïque de la Sixtine. Mais au prix de quels efforts désespérés ! Peu s’en fallut qu’il abandonnât tout et s’enfuît de nouveau. Il croyait qu’il allait mourir.[58] Il l’eût voulu peut-être.

Le pape s’irritait de ses lenteurs et de son obstination à lui cacher son travail. Leurs caractères orgueilleux s’entrechoquaient comme des nuées d’orage. « Un jour, dit Condivi, Jules II lui ayant demandé quand il aurait fini la chapelle, Michel-Ange lui répondit, selon son habitude : « Quand je pourrai. » Le pape, furieux, le frappa de son bâton, en répétant : « Quand je pourrai ! Quand je pourrai ! » Michel-Ange courut chez lui et fit ses préparatifs pour quitter Rome. Mais Jules II lui dépêcha un envoyé, qui lui apporta 500 ducats, l’apaisa aussi bien qu’il put, et excusa le pape. Michel-Ange accepta les excuses. »

Mais le lendemain, ils recommençaient. Le pape finit, un jour, par lui dire avec colère : « Tu as donc envie que je te fasse jeter en bas de ton échafaudage ? » Michel-Ange dut céder ; il fit enlever l’échafaudage, et découvrit l’œuvre, le jour de la Toussaint 1512.

La fête éclatante et sombre, qui reçoit les reflets funèbres de la Fête des Morts, convenait bien à l’inauguration de cette œuvre terrible, pleine de l’Esprit du Dieu qui crée et qui tue, — Dieu dévorant, où se rue, comme un ouragan, toute la force de vivre.[59]

  1. Poésies, I, (sur un feuillet du Louvre, auprès d’esquisses du David).
  2. Michel-Ange aimait à dire qu’il devait son génie à « l’air fin de la contrée d’Arezzo ».
  3. Lodovico di Lionardo Buonarroti Simoni. — Le vrai nom de la famille était Simoni.
  4. Francesca di Neri di Miniato del Sera.
  5. Le père se remaria, quelques années plus tard, en 1485, avec Lucrezia Ubaldini, qui mourut en 1497.
  6. Lionardo naquit en 1473 ; Buonarroto, en 1477 ; Giovan Simone, en 1479 ; Sigismondo, en 1481. — Lionardo se fit moine. Ainsi Michel-Ange devint l’aîné, le chef de famille.
  7. a, b et c Condivi.
  8. À vrai dire, on a peine à croire à cette jalousie d’un si puissant artiste. Je ne pense pas, en tout cas, qu’elle ait été la cause du départ précipité de Michel-Ange. Il conserva, jusque dans sa vieillesse, le respect de son premier maître.
  9. Cette école était dirigée par Bertoldo, élève de Donatello.
  10. Le Combat des Centaures et des Lapithes est à la casa Buonarroti de Florence. Du même temps est le Masque du faune riant, qui attira à Michel-Ange l’amitié de Laurent de Médicis ; et la Madone à l’Escalier, bas-relief de la casa Buonarroti.
  11. C’était vers 1491.
  12. Ils moururent peu après, en 1494 : Politien, demandant à être enseveli comme dominicain, à l’église Saint-Marc, — l’église de Savonarole ; — Pic de la Mirandole, revêtu, pour mourir, de l’habit dominicain.
  13. En 1491.
  14. Laurent de Médicis était mort le 8 avril 1492 ; son fils Pierre lui avait succédé. Michel-Ange quitta le palais ; il rentra chez son père, et resta quelque temps sans emploi. Puis Pierre le reprit à son service, le chargeant de lui acheter des camées et des intailles. Il sculpta alors l’Hercule colossal de marbre, qui fut d’abord au palais Strozzi, puis acheté en 1529 par François Ier, et placé à Fontainebleau, d’où il disparut au dix-septième siècle. De ce temps est aussi le Crucifix de bois du couvent San Spirito, pour lequel Michel-Ange étudia l’anatomie sur des cadavres, avec un tel acharnement, qu’il en tomba malade (1494).
  15. Condivi.

    La fuite de Michel-Ange eut lieu en octobre 1494. Un mois plus tard, Pierre de Médicis s’enfuit à son tour, devant le soulèvement du peuple ; et le gouvernement populaire s’installa à Florence, avec l’appui de Savonarole, qui prophétisait que Florence porterait la République dans le monde entier. Cette République reconnaissait pourtant un roi : Jésus-Christ.

  16. Il y était l’hôte du noble Giovanni Francesco Aldovrandi, qui lui vint en aide, à l’occasion de certains démêlés avec la police de Bologne. Il travailla alors à la statue de San Petronio, et à une statuette d’ange pour le tabernacle (Arca) de San Domenico. Mais ces œuvres n’ont aucunement le caractère religieux. C’est toujours la force orgueilleuse.
  17. Michel-Ange arriva à Rome, en juin 1496. Le Bacchus ivre, l’Adonis mourant (musée du Bargello) et le Cupidon (South-Kensington) sont de 1497. — Michel-Ange semble avoir aussi dessiné, dans ce même temps, le carton d’une Stigmatisation de saint François, pour San Pietro in Montorio.
  18. Le 23 mai 1498.
  19. On a toujours dit jusqu’à présent que la Pietà fut exécutée pour le cardinal français, Jean de Groslaye de Villiers, abbé de Saint-Denis, ambassadeur de Charles VIII, qui la commanda à Michel-Ange pour la chapelle des rois de France, à Saint-Pierre. (Contrat du 27 août 1498). M. Charles Samaran, dans un travail sur la Maison d’Armagnac au XVe siècle, a établi que le cardinal français, qui fit sculpter la Pietà, fut Jean de Bilhères, abbé de Pessan, évêque de Lombez, abbé de Saint-Denis. Michel-Ange y travailla jusqu’en 1501.

    Une conversation de Michel-Ange avec Condivi explique par une pensée de mysticisme chevaleresque la jeunesse de la Vierge, si différente des Mater Dolorosa sauvages, flétries, convulsées par la douleur, de Donatello, de Signorelli, de Mantegna, et de Botticelli.

  20. Lettre de son père, 19 décembre 1500.
  21. Lettre à son père. Printemps 1509.
  22. Lettre à son père, 1521.
  23. En août 1501. — Dans les mois précédents, il avait signé avec le cardinal Francesco Piccolomini un contrat, qu’il n’exécuta jamais, pour la décoration de l’autel Piccolomini, à la cathédrale de Sienne. Ce fut un des remords de toute sa vie.
  24. a et b Vasari.
  25. Michel-Ange disait à un sculpteur, qui s’évertuait à arranger le jour dans son atelier, de façon que son œuvre parût à son avantage : « Ne te donne pas tant de peine, ce qui compte, c’est la lumière sur la place. »
  26. Le détail des délibérations a été conservé. (Milanesi : Contratti artistici, pages 620 et suivantes)

    Le David resta, jusqu’en 1873, au lieu qui lui avait été assigné par Michel-Ange, devant le Palais de la Seigneurie. Alors, on transporta la statue, que la pluie avait entamée d’une façon inquiétante, à l’Académie des Beaux-Arts de Florence, dans une rotonde spéciale (Tribuna del David). Le Circolo artistico de Florence propose en ce moment d’en faire exécuter une copie en marbre blanc, pour l’élever à sa place ancienne, devant le Palais Vieux.

  27. Relation contemporaine, et Histoires Florentines de Pietro di Marco Parenti.
  28. Ajoutons que la chaste nudité du David choquait la pudeur de Florence. L’Arétin, reprochant à Michel-Ange l’indécence de son Jugement Dernier, lui écrivit en 1545 : « Imitez la modestie des Florentins, qui cachent sous des feuilles d’or les parties honteuses de leur beau Colosse. »
  29. Allusion à la statue équestre de Francesco Sforza, laissée inachevée par Léonard, et dont les archers gascons de Louis XII s’amusèrent à prendre pour cible le modèle de plâtre.
  30. Relation d’un contemporain (Anonyme de la Magliabecchiana).
  31. On lui avait imposé l’humiliation de peindre une victoire des Florentins sur ses amis, les Milanais.
  32. Ou la Guerre de Pise.
  33. Le carton de Michel-Ange, seul exécuté, dès 1505, disparut en 1512, lors des émeutes provoquées à Florence par le retour des Médicis. L’œuvre n’est plus connue que par des copies fragmentaires. La plus fameuse de ces copies est la gravure de Marc-Antoine. (Les Grimpeurs) — Quant à la fresque de Léonard, Léonard suffit à la détruire. Il voulut perfectionner la technique de la fresque, il essaya d’un enduit à l’huile qui ne tint pas ; et la peinture, qu’il abandonna de découragement, en 1506, n’existait plus déjà en 1550.

    De cette période de la vie de Michel-Ange (1501–1505), sont aussi les deux bas-reliefs circulaires de la Madone et de l’Enfant, qui sont à la Royal Academy de Londres, et au musée du Bargello de Florence ; — la Madone de Bruges, acquise en 1506 par des marchands flamands ; — et le grand tableau à la détrempe de la Sainte Famille des Uffizi, le plus beau et le plus soigné de Michel-Ange. Son austérité puritaine, son accent héroïque, s’opposent rudement aux langueurs efféminées de l’art léonardesque.

  34. Du moins, Bramante. Raphaël était trop l’ami et l’obligé de Bramante pour ne pas faire cause commune avec lui ; mais on n’a pas de preuves qu’il ait agi personnellement contre Michel-Ange. Cependant celui-ci l’accuse en termes formels : « Toutes les difficultés survenues entre le pape Jules et moi sont le fait de la jalousie de Bramante et de Raphaël : ils cherchaient à me perdre ; et vraiment Raphaël en avait bien sujet ; car ce qu’il savait de l’art, c’était de moi qu’il le tenait. » (Lettre d’octobre 1542 à un personnage inconnu. — Lettres, édition Milanesi, pages 489–494)
  35. Condivi, que son aveugle amitié pour Michel-Ange rend un peu suspect, dit : « Bramante était poussé à nuire à Michel-Ange par sa jalousie d’abord, et aussi par la crainte qu’il avait du jugement de Michel-Ange, qui découvrait ses fautes. Bramante, comme chacun sait, était adonné au plaisir et grand dissipateur. Le traitement qu’il recevait du pape, si élevé qu’il fût, ne lui suffisant pas, il chercha à gagner sur ses travaux, en faisant bâtir ses murs en mauvais matériaux, d’une solidité insuffisante. Chacun peut le constater dans ses constructions de Saint-Pierre, du corridor du Belvédère, du cloître de Santo Pietro ad Vincula, etc., qu’il a été nécessaire de soutenir récemment par des crampons et des contreboutants, parce qu’elles tombèrent, ou seraient tombées en peu de temps. »
  36. « Lorsque le pape changea de fantaisie, et que les barques arrivèrent avec des marbres de Carrare, je dus payer moi-même le fret. Dans ce même temps des tailleurs de pierres, que j’avais fait venir de Florence pour le tombeau, arrivèrent à Rome ; et comme j’avais fait installer et meubler pour eux la maison que Jules m’avait donnée derrière Santa Caterina, je me vis sans argent et dans un grand embarras… » (Lettre déjà citée d’octobre 1542)
  37. Le 17 avril 1506.
  38. Tout ce récit est extrait textuellement d’une lettre de Michel-Ange, d’octobre 1542.
  39. Je le place à cette date, qui me paraît la plus vraisemblable, bien que Frey, sans raison suffisante, à mon sens, reporte le sonnet vers 1511.
  40. Poésies, III. — Voir Annexes, I, à la fin du deuxième cahier.

    « L’arbre sec » est une allusion au chêne vert, qui figure dans les armoiries des De la Rovere (famille de Jules II).

  41. « Ce n’était pas là l’unique cause de mon départ ; il y avait encore autre chose, dont j’aime mieux ne pas parler. Il suffit de dire que cela me donna à penser que, si je restais à Rome, cette ville serait mon tombeau, plutôt que celui du pape. Et ce fut la cause de mon départ subit. »
  42. 18 avril 1506.
  43. Lettre d’octobre 1542.
  44. Ibid.
  45. Fin d’août 1506.
  46. Gondivi. — Michel-Ange avait eu déjà l’idée d’aller en Turquie, en 1504 ; et, en 1519, il fut en relations avec « le seigneur d’Andrinople », qui lui demandait de venir exécuter pour lui des peintures.

    On sait que Léonard de Vinci avait été aussi tenté de passer en Turquie.

  47. Lettre à son père, 8 février 1507.
  48. Lettres à son frère, du 29 septembre et du 10 novembre 1507.
  49. C’est du moins ce que prétend Condivi. Il est à noter toutefois que, déjà avant la fuite de Michel-Ange à Bologne, il avait été question de lui faire peindre la Sixtine, et qu’alors ce projet souriait peu à Bramante, qui cherchait à éloigner de Rome son rival. (Lettre de Pietro Rosselli à Michel-Ange, en mai 1506)
  50. Entre avril et septembre 1508, Raphaël peignit la chambre dite de la Signature. (École d’Athènes et Dispute du Saint-Sacrement)
  51. Dans les lettres de 1510 à son père, Michel-Ange se lamente au sujet de l’un de ces aides, qui n’est bon à rien, « qu’à se faire servir… Cette occupation me manquait sans doute ! Je n’en avais pas assez déjà !… Il me rend malheureux comme une bête. »
  52. Lettre à son père, 27 janvier 1509.
  53. Lettres à son père, 1509–1512.
  54. Giovan Simone venait de brutaliser son père. Michel-Ange écrit à celui-ci :

    « J’ai vu d’après votre dernière lettre comment vont les choses, et comment Giovan Simone se comporte. Je n’ai pas eu de plus mauvaise nouvelle depuis dix ans… Si je l’avais pu, le jour même où j’ai reçu votre lettre, je serais monté à cheval et j’aurais tout remis dans l’ordre. Mais puisque je ne le puis pas, je lui écris ; et s’il ne change pas sa nature, ou s’il emporte seulement un cure-dents de la maison, ou s’il fait quoi que ce soit qui vous déplaise je vous prie de m’en informer : j’obtiendrai un congé du pape et je viendrai. » (Printemps 1509)

  55. Lettre à Giovan Simone. Datée par Henry Thode : printemps 1509 (dans l’édition Milanesi : juillet 1508.)

    Noter que Giovan Simone était alors un homme de trente ans. Michel-Ange n’avait que quatre ans de plus que lui.

  56. À Gismondo, 17 octobre 1509.
  57. Lettre à Buonarroto, 30 juillet 1513.
  58. Lettres, août 1512.
  59. J’ai analysé l’œuvre dans le Michel-Ange, de la collection : Les Maîtres de l’Art. Je n’y reviens pas ici.