Vie de Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France, femme de Louis XVI, roi des Français/4

VIE POLITIQUE

ET LIBERTINE

DE

MARIE-ANTOINETTE.




TOME III, IVme. PARTIE.



Nous avons promis à nos lecteurs de leur faire part des nouvelles trames de Marie-Antoinette ; nous acquittons notre parole, ne voulant point laisser incomplet un ouvrage, fait pour démasquer la plus odieuse des femmes.

Comme nous avons dit dans notre troisième partie ; la garde bourgeoise fit la plus grande faute, en allant inviter le général Lafayette à reprendre le commandement ; il se fit beaucoup prier, et ne céda aux instances de la garde nationale, qu’à la condition honteuse qu’elle lui obéiroit sans réplique. La troupe en fit le serment : c’est ce que desiroit Lafayette. La nuit se passa lentement à son gré ; il lui tardoit d’étendre sa vengeance sur les braves gens qui avoient sauvé la France d’une guerre civile, en s’opposant au départ du roi.

Le général se rendit, dès le matin, chez son compère l’imbécille Bailly, qui se revêtit de son écharpe ; nos deux dictateurs se rendirent à la caserne de l’Oratoire ; là, ils dégradèrent et chassèrent les grenadiers, qui, de poste aux Tuilleries, arrêtèrent le massif Louis, qui nous échappoit sans leur courageuse résistance. Cet acte odieux et arbitraire fit murmurer les patriotes, et démasqua entièrement ce personnage, qui s’étoit, jusqu’à ce jour, enveloppé d’un voile civique ; mais les patriotes n’étoient point en assez grand nombre pour opérer un heureux changement, en chassant avec ignominie, un général despote, et qui s’étoit souillé par la plus odieuse des vengeances ; les parisiens étoient encore destinés à être les dupes de cet homme faux, qui a su les tromper si long-temps.

Lafayette, le plus ferme appui de la reine, mettoit tout en usage pour détruire sourdement la liberté, et amener la révolution au point où il la desiroit. Il étoit d’intelligence avec la cour, et Marie-Antoinette l’avoit fait admettre au conseil secret, à ce conseil que le peuple nomma, avec raison, le conseil Autrichien, et qui a préparé nos désavantages au commencement de la guerre, et la fameuse journée du dix août.

C’étoit là qu’on admettoit les Lameth, les Barnave et les autres constituans, que l’or de la liste civile avoit déshonorés, ces fameux réviseurs qui détruisirent l’ouvrage du patriotisme dans les beaux jours de l’assemblée constituante. La mégère germanique ne craignoit point de tout sacrifier pour parvenir à son but. Son époux prodiguoit ses trésors, et elle prodiguoit ses faveurs. Le jeune Barnave eut part à ses caresses, et le peu de soin que prenoit la femme de Louis pour cacher sa turpitude, dévoila aux yeux de tous ceux qui approchoient de la cour cette nouvelle intrigue.

L’insouciant monarque s’en apperçut lui-même, mais il n’osa pas faire éclater sa colère, dans la crainte de se priver d’un homme qui pouvoit lui rendre les plus signalés services, par ses trahisons au corps constituant. Un capitaine, de service au château, nous a dit avoir lui-même entendu le roi faire de violens reproches à sa femme sur ce qui s’étoit passé entre-elle et Barnave ; cette colère n’arrêta point le jeune législateur dans sa course amoureuse, et chaque jour étoit marqué par un nouveau triomphe sur Marie-Antoinette, qui se plaisoit fort à combattre avec ce jeune Alcide.

La récompense du sacrifice que la reine faisoit en faveur de Barnave, n’étoit point bornée aux simples jouissances de l’amour ; elle exigeoit encore de son vainqueur de la servir aussi avantageusement dans l’assemblée nationale, que sur le sopha du boudoir. Il le promit, et il tint parole : l’expérience nous l’a prouvé. Mais voilà un assuré témoignage de son zèle pour la fille de Marie-Thérèse, c’est un billet trouvé dans le secrétaire de la reine, le dix août ; l’on y reconnut la main de Barnave.

« J’ai fait merveilles ; je compte déjà un grand nombre de collégues pour l’affaire en question ; elle passera à la majorité. Soyez tranquille et reposez-vous sur moi ; j’ai promis, mais c’est à vous d’acquitter mes promesses ; j’ai épuisé ce que vous m’avez remis pour cet objet ; je manque de fonds, ce n’est pas le moment de lésiner ; je ne puis vous en dire davantage dans ce moment. J’entre au comité de constitution. Je vous verrai ce soir.

Croyez-moi votre plus zélé défenseur ».

B.......

Ce billet jette un grand jour sur la conduite d’une partie des membres de l’assemblée constituante, et fait voir combien étoit dangereux le pouvoir qui rivalisoit celui de la nation. Ce gouvernement mixte ne pouvoit subsister long-temps ; toutes les fois que deux autorités constituées sont aussi prononcées qu’étoient notre pouvoir législatif et exécutif, l’un empiète sur l’autre, et c’est toujours un germe de révolution qui croît et s’élève de plus en plus, et finit par faire une explosion funeste à l’un des deux partis ; l’évènement a justifié la justesse de nos observations. En vain nous représentoit-on l’Angleterre ; nous avons cru, et nous croyions encore, que ce germe de révolution est dans son sein, et que l’on verra un jour la chambre des communes éteindre la chambre haute ; s’il est une nation qui soit prête à secouer le joug de ses rois, c’est sans contredit la nation Anglaise ; sa constitution n’est pas posée sur des bases solides et durables ; ses rois, par une conduite réservée, ont retardé jusqu’à ce moment le réveil du peuple, en laissant, à celui-ci, toute la latitude que la constitution lui donne, et sur-tout en répandant l’or sur las membres des deux chambres.

Louis XVI avoit encore plus de moyens de sapper sourdement notre révolution qu’en a le roi Georges ; mais l’impatience de la reine, à se venger d’un peuple qu’elle déteste, a brisé le sceptre en France. La commotion est forte et portera ses effets chez les peuples nos voisins ; mais laissons aux politiques les conjectures, et passons aux faits.

Marie-Antoinette voyoit avec plaisir le peuple trompé, par ceux qu’il avoit cru jusque-là ses plus ardens défenseurs. Cette manière d’enchaîner le lion lui présageoit une réussite complette ; aussi, ne pouvant rien refuser à ceux qu’elle appeloit ses libérateurs, on la vit sortir des bras de l’un pour voler dans ceux de l’autre. Rien ne lui coûtoit pour marcher à son but. Un endroit écarté du château, et qui joignoit le corps-de-logis où le petit prince royal venoit souvent se promener, et qui donne sur les fossés de la place Louis XV, étoit l’endroit où la reine de France, sous le prétexte de dérober à la vue des patriotes les personnages importans qui s’y rendoient, se dépouilloit de cet appareil imposant, qui eût retenu les plus hardis, et ne paroissoit qu’une simple bourgeoise que l’amour enflâme. Elle renouvela dans cet endroit les scènes libidineuses qui s’étoient passées dans les bosquets de Versailles. Là, elle satisfaisoit deux passions bien chères pour son cœur ; l’amour et la vengeance : voici une petite anecdote dont je garantis l’authenticité. M. D*** aimoit une des femmes-de-chambre de madame Victoire ; il avoit obtenu un rendez-vous dans un petit pavillon, galamment décoré, près du jardin du dauphin ; elle avoit cru que ce pavillon n’étoit point fréquenté, elle y introduisit M. D***, qui devoit attendre là le moment fortuné que l’amour lui préparoit. Il avoit passé ; deux heures dans cet endroit, à examiner les objets qui s’y trouvoient, lorsqu’il entendit, dans le corridor qui y conduit, la voix de la reine. Quelle fut sa surprise ! Il chercha un endroit pour se cacher, justement un petit cabinet vîtré s’offrit à sa vue, il étoit attenant un sopha richement orné ; il ouvrit la porte de ce cabinet et s’y tapit sans oser remuer. Il n’y fut pas plutôt enfermé qu’il entendit entrer dans le pavillon, et qu’il reconnut la voix de Lafayette, qui accompagnoit la reine dans ce réduit écarté. Il devina bientôt ce qui alloit se passer. La crainte le saisit, et malgré qu’il avoit fermé sur lui un verrou, il n’étoit point rassuré. La moindre chose pouvoit le décéler et le perdre ; un soupir, un éternûment, tout ; seroit devenu funeste pour lui. Qu’on juge la situation cruelle où se trouva l’amant, de la belle Denise ! Enfin il prit son parti, et couché à terre, l’oreille appuyée sur le paneau de la porte, il ne perdit pas un seul mot de la conversation des deux amans. Il n’osa lever un coin de rideau qui couvroit les vîtres de la porte, pour regarder le spectacle qui alloit avoir lieu ; les glaces qui entouroient le sopha auroit pu trahir sa curiosité : il se contenta donc d’écouter.

Aussi-tôt que Lafayette fut entré dans ce boudoir de Vénus, il se débarassa de l’arme de Mars pour ne se servir que du brandon de l’amour ; il déposa son épée sur un fauteuil, et ravit à Antoinette un baiser qu’elle feignoit de refuser. Ses mains s’égarèrent sur le sein de sa maîtresse, et les voiles légers qui le couvroient disparurent bientôt. Des baisers tumultueux et précipités achevèrent d’enflamer l’épouse de Capet. Ses pieds ne purent la soutenir, et s’abandonnant toute entière à la volupté qui s’emparoit de ses sens, elle tomba, mi-pamée, sur le sopha. Ce fut sur ce trône, qu’elle occupoit beaucoup mieux que l’autre, où la lascive princesse cherchoit à fixer le plaisir. Si Lafayette a mérité quelquefois le titre de héros, ce fut dans cette belle journée ; il sembloit que l’amour se plaisoit à épuiser ses couronnes en sa faveur. Ce n’étoit que nouvelles tentatives et nouveaux triomphes ; il faut aussi dire, à la louange d’Antoinette, que jamais courtisanne ne posséda le talent des amours comme elle ; elle joignoit à un tempérament robuste toutes les mignardises et les moyens enchanteurs que l’amour peut suggérer ; il faut être son époux pour ne pouvoir revivre dans ses bras.

M. D*** écoutoit avec la plus grande attention ces heureuses monosyllabes qui peignent le délire des sens ; ces mots, coupés par le plaisir, faisoient circuler dans ses veines cette liqueur bienfaisante, qui transporte, par son cours précipité, l’homme au séjour de la divinité ; et si la crainte n’eût tempéré ces momens de délices, il auroit, quoique seul, prit part, à autant de félicité ; mais le souvenir du danger qu’il couroit mettoit un frein à la nature.

Après une grande demi-heure de combats, de plaisirs, d’abandon, il succéda un calme qui annonçoit que l’amour avoit enivré nos amans. M. D*** hasarda de porter un œil curieux sur le coin du rideau ; une glace qui lui faisoit face lui représenta tout ce que la nature a de plus agréable : la reine, jetée sur le sopha, dans le plus grand désordre, paroissoit ivre de plaisir ; ses yeux fermés peignoient son abattement ; une jupe légère de linon, levée avec grâce, découvroit à l’œil avide de M. D*** des fesses d’ivoire, sur lesquelles le plaisir avoit répandu ses roses. Une gorge palpitante faisoit passer dans l’ame ces desirs violens, avant-coureurs des plus délicieux plaisirs. Une main, négligemment étendue sembloit encore agiter avec grace et délicatesse ces boules d’Adam, que chaque homme reçoit de la nature pour perpétuer son espèce : le priape de Lafayette, la tête inclinée, sembloit encore admirer les doigts arrondis qui l’avoisinaient ; il sembloit reprocher au héros des boudoirs ce long abattement, et malgré que sa tête rubiconde se chargeoit de mousse, elle présentoit encore un front audacieux, qui sembloit assurer une nouvelle victoire.

Après ce doux voyage à Cythère, la lubrique Antoinette ne revint de son évanouissement que pour provoquer son sacrificateur à une nouvelle libation. Mille propos gaillards renouèrent la partie ; l’ardeur du coursier se montra de nouveau ; la reine, à son aspect mâle et imposant, se trouva saisi d’admiration, et portant ses deux mains sur sa tête chenue, la baisa avec transport. Elle exigera de son cavalier qu’il rendît les mêmes honneurs à cette grotte fortunée, qui l’avoit rendu le plus heureux des hommes.

Lafayette se prosterna devant

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

la mère de la nature ; Antoinette profita de son attitude pour passer ses jambes sur son col, et, s’attachant fortement à l’objet de ses amours, lui fraya une route nouvelle. L’amant qui fut heureux dans la grotte de Vénus passa outre, et chercha des plaisirs nouveaux dans d’autres lieux. L’agilité des reins de Marie-Antoinette, sa vivacité, qui tenoient du prodige, firent pour cette fois culbuter le héros, qui alla tomber rudement sur la porte vîtrée du cabinet où étoit M. D***, qui faillit se trouver mal ; il croyoit être découvert et s’attendoit à périr, mais des ris immodérés le rassurèrent, et lui firent connoître que ce n’étoit qu’un manque d’équilibre qui avoit fait rouler le cavalier dans cette conjecture. La reine s’étendit long-temps sur ce contre-temps, et piqua au vif son amant, qui crut son honneur intéressé à réparer cette maladresse. Il s’y prit de la bonne manière, et pour cette fois les coups précipités d’Antoinette ne le purent désarçonner ; il resta victorieux, et força son amante à lui céder les armes, et à le couronner de nouveau.

Deux heures se passèrent dans cette orgie amoureuse ; le carquois s’épuisa, il fallut reprendre des forces. Antoinette, après quelques instans d’un repos léthargique, occasionné par d’extrêmes plaisirs, rajusta sa mise et scella ses adieux par une foule de baisers, qui ne portoient dans l’ame de son amant que d’impuissans desirs. Ils sortirent de cet endroit, et M. D*** commença à respirer.

Il ouvrit la porte de son cabinet, et regarda avec des yeux de concupiscence le sopha qui venoit de servir de trône à l’amour. Mais il se hâta de quitter ces lieux, dans la crainte d’y être surpris, et il aima mieux manquer le rendez-vous, que de risquer à se faire assommer. Il sortit avec précipitation, et ne fut revenu bien de ces craintes, que lorsqu’il se vit hors de tous dangers : c’est de lui-même que nous tenons ce fait.

Tandis que Marie-Antoinette s’occupoit tous les jours des moyens de faire à son mari de nouvelles infidélités, celui-ci, ayant abandonné ses anciens plaisirs, la chasse et la forge, se livroit à la plus crapuleuse débauche : chaque heure du jour étoit marquée par des excès, de son intempérance, en boisson ; il devenoit le jouet de toute la cour. Quelques mois se passèrent dans ces débauches d’une part et d’autre. Les évènemens se préparoient, et, l’amoureux Lafayette cherchoit tous les moyens de contenter les desirs de son amante, en vengeance ainsi qu’en amour.

Les craintes du peuple sur l’évasion du roi, furent réalisées le 20 juin suivant. Cet homme faux et parjure tramoit depuis long-temps une fuite, qu’il savoit bien, plongeroit la France dans une terrible guerre civile ; les torrens de sang qui auroient coulé auroient à peine satisfait l’ame féroce de l’autrichienne, qui porta le desir de la vengeance aussi loin que ses talens en amour.

Lafayette, pour cette fois, fut dupe de cette rusée messaline, qui jugea à-propos de ne point lui révéler l’heure ni le jour de cette coupable évasion. Cependant elle ne voulut point que l’amant soufrît de ses projets politiques, et nous savons de bonne part que la veille de la fuite elle donna un secret rendez-vous à Hercule Lafayette, sans doute dans le petit boudoir du bord de l’eau. La volupté, qui pétilloit dans les yeux de la reine ce jour-là, fut remarquée de tous les courtisans ; sur le soir, et après l’entretien en question, l’on apperçut un désordre qui attestoit ce qui s’étoit passé entre les deux amans.

Cependant, comme nous avons dit, Antoinette fut assez réservée pour ne point prévenir Lafayette sur ce qui devoit arriver dans la nuit ; d’autres agens furent choisis par la reine pour lui faciliter cette retraite fugitive, et malgré tous les soins qu’on se donnât pour découvrir l’endroit par où la famille passa, l’on ne put savoir la vérité, et nous n’avons encore que des conjectures.

Les citoyens de Paris, paisiblement abandonnés à leur sommeil, étoient loin de penser que les torches de la guerre civile s’allumoient dans ces momens, consacrés au repos. Ce ne fut que vers le matin qu’on s’apperçut du crime de Louis le Traître : l’alarme fut générale ; on dépêcha des couriers, qui allèrent à leur rencontre. Cette odieuse famille fut arrêtée en partie ; il n’y eut que le dissimulé frère du roi qui, ayant pris une route moins tortueuse, parvint à passer dans le parti des émigrés.

Tout le monde connoît ce manifeste fameux que nous laissa le plus fourbe des hommes, et qui auroit suffi pour faire tomber sa tête sur un échafaud, sans la coupable indulgence d’une partie des constituans. L’assemblée nationale députa des commissaires pour protéger le retour du roi, depuis Varennes jusqu’à Paris. Barnave, qui jouissoit encore de la considération et de l’estime de ses collègues, fut nommé ; ce fut à cette époque que le peuple plaça sa trahison ; cependant il est constant qu’avant il avoit influencé l’assemblée nationale en faveur du roi. Mais ses amours avec Marie-Antoinette n’étoient encore connus que d’un petit nombre de députés, qui avoit eux-mêmes le plus grand intérêt à cacher cette monstrueuse intrigue, qui a fait tant de maux à la France.

Lafayette fut chargé de la garde particulière de nos prisonniers : son air froid et réservé avec la reine, pendant quelques jours, découvrit aux yeux des observateurs qu’elle ne l’avoit point prévenu de cette subite escapade, qui le mettoit, lui, dans le plus grand danger. Cependant ce front sévère se dérida, et l’on s’apperçut aisément que la paix étoit faite. Pour le roi, il ne parut pas affligé de ce contre-temps, et il but à son ordinaire. La constitution se termina sous ces fâcheux augures, et le comité de révision, influencé par le libertin Barnave, ôta au peuple tous les droits, que l’énergie des premiers temps de l’assemblée constituante lui avoit assurés.

La reine associa à ces orgies amoureuses, avec Barnave, une grande partie du comité de révision ; et le rusé Lafayette, d’accord avec tous ces messieurs, employoit tout ce qu’il avoit d’astuce et d’intrigue pour faire triompher la cause du roi, tout en jurant toute la constitution, rien que la constitution. Enfin le moment arriva où il fallut faire accepter cette constitution ; on la présenta au roi, qui ne demanda pas mieux que de sortir de son esclavage : à ce prix il la signa. Mais plutôt que de rester dans les bornes que lui prescrivoit cette constitution, il voulut la renverser de fond en comble. Aux instigations de sa femme, il se créa un parti puissant, et son conseil secret s’occupoit, sans relâche, des moyens d’entraver la marche des loix. Des flots de papiers et journaux incendiaires étoient répandus pour égarer les départemens, et amener un nouvel ordre de choses. Sa liste civile, comme tout le monde sait, ne suffisoit pas pour les dépenses énormes qu’il faisoit, tant pour alimenter les émigrés que pour faire imprimer, distribuer les pamphlets aristocratiques.

Lafayette, qui avoit promis à la reine de servir sa vengeance, attendoit l’occasion favorable ; celle du licenciement des grenadiers de l’Oratoire n’étoit pas à ses yeux une expiation assez forte, des prétendues insultes que le roi et la reine se plaignoient avoir reçus. Mais ce coup d’une autorité arbitraire fit connoître au général l’étendue de son pouvoir, sur des hommes entraînés vers lui, par son zèle hypocrite, pour la révolution.

Les perfidies du roi commençoient à être démasquées ; l’on sentoit de quelle influence étoit son pouvoir, et les citoyens, surveillans, provoquoient contre lui une destitution : l’on fit une pétition en forme légale, et l’on s’assembla pour la signer au Champ-de-Mars.

L’objet de cette pétition étoit de faire connoître aux départemens ce que nous avions à craindre du conseil des Tuilleries. La reine, furieuse de cette démarche, eut recours à son bon ami Lafayette, pour châtier ceux qui osoient trouver mal qu’on conspirât contre-eux. Le général promit de la venger et de faire couler le sang du peuple dans ces mêmes lieux qui avoient vu sa joie et son allégresse. Il fut trouver le compère Bailly, qui, à sa requisition, fit déployer le fatal drapeau rouge, et fit marcher une armée contre des hommes paisiblement rassemblés. Après une proclamation, faite à voix basse, des satellites de ces monstres tirèrent sur le peuple. Les femmes, les enfans, fuyans, furent atteints sans pitié, et le sang arrosa cette place, qui, quelques jours auparavant, avoit vu un roi perfide jurer au peuple un inviolable attachement.

Lafayette, peu satisfait du sang qu’il venoit de répandre, poursuivit ceux qui avoient échappé

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

à ses coups, et particulièrement ceux attachés à la société des jacobins, dans le nombre duquel se trouvèrent plusieurs électeurs pour l’assemblée législative. Le lendemain de cette exécrable journée, l’on vit la fille de Marie-Thérèse, le front rayonnant de joie, donner à Lafayette les marques les plus flatteuses de satisfaction. Les patriotes voyoient se passer toutes ces scènes déchirantes sans pouvoir y mettre de frein ; ils craignoient pour la liberté, qu’ils voyoient sapper jusque dans ses fondemens.

Autant l’assemblée constituante avoit imprimé de respect dans les beaux jours de son triomphe, autant elle s’étoit avilie aux yeux du peuple, à qui elle avoit enlevé ses droits par une coupable révision. Les membres qui étoient restés fidèles à leur serment, ne pouvoient que faire des vœux pour que les choses changeassent. Le pouvoir exécutif se renforçoit de jour en jour, et l’on attendoit de sa part une explosion terrible, qui devoit précipiter la ruine de la liberté, et n’en auroit conservé que le vain nom.

Malgré toutes les cabales de Lafayette et de la reine, malgré le massacre du Champ-de-Mars, la seconde législature fut nommée, et le peuple eût encore quelqu’espérance : l’on croyoit que cette division honteuse de côté droit et côté gauche cesseroit avec les fonctions de nos premiers législateurs ; mais combien le peuple fut trompé ! La cabale s’agitoit en tout sens, et les appas de Marie-Antoinette, offerts au premier venu, décidoient la majorité pour cette cour vile et corrompue. Les Barnave, les Meuniers, les André, les Tolendal, eurent des successeurs dans le sénat français. Des hommes, du fond de leur département vinrent se corrompre aux tuilleries, et respirer dans les bras d’Antoinette la haine pour la liberté, et sur-tout pour l’égalité.

Des ministres pervers achevèrent de tromper la nation ; les Delessart, les Montmorin, les Joly, s’entendoient avec nos ennemis, et nous préparoient le sort le plus affreux. Leurs trahisons nous forgeoient des chaînes inévitables. C’étoit pourtant dans les bras de l’épouse du roi qu’ils tramoient notre ruine : l’amour n’éclairoit point de tels plaisirs ; les torches de la vengeance étoient substituées aux brandons du fils de Vénus. Voici un billet fort important et fort curieux à connoître ; il est de la reine, et adressé à Montmorin le ministre : il a été trouvé dans les papiers du château.

« Mon cher Montmorin, vous avez hier commis une grande indiscrétion, dans un entretien que vous eûtes avec le papa[1] ; vous avançâtes qu’il falloit se méfier de Leblond[2], qui paroissoit être retourné pour la révolte[3] : je vis dans les yeux du papa qu’il partageoit vos craintes ; mais j’ai prévu à tout. J’ai écarté les nuages que vous aviez jetés sur la conduite de notre ami, et je crois devoir vous avertir qu’il nous est entièrement dévoué, j’en ai des preuves sûres. Ce qui vous l’a fait soupçonner n’est qu’une ruse, convenue entre nous, pour tromper plus facilement la canaille. Il est obligé de paroître quelquefois favoriser ce que lui-même détruira avant peu ; je vous en donne l’assurance. Venez au plus tôt ; je vous dirai de bouche des choses qui dissiperont entièrement vos soupçons sur la fidélité de notre bon ami. Venez, le bonheur vous attend ; je ne vous en dis pas davantage : vous m’entendez ».

M.... A....

Montmorin lui fit cette réponse, qui fut trouvée avec la copie de la lettre précédente.

Madame,

« Pardonnez au zèle ardent que j’ai de vous servir, la méprise que j’ai faite au sujet de Leblond. Je vous suis obligé de m’avoir éclairé sur cet objet ; je me rendrai au plus tôt chez lui pour lui en faire mes excuses, et pour nous concerter sur le plan que vous avez soumis à l’intégrité de vos bons amis. Je me rendrai, sitôt que mes occupations me le permettront, à la douce invitation que vous me faites. J’y porterai un cœur reconnoissant, et tout plein d’un amour qui ne finira qu’avec ma vie.... Quelle faveur pour moi, et puis-je jamais la mériter !.. Au moment où je vous écris, des importuns, qui se disent commissaires de l’assemblée du manège, viennent recueillir des notes sur divers sujets ; combien va me paroître long le temps qui va s’écouler entre votre gracieuse invitation, et notre entrevue !

Je suis, avec un respect inaliénable, le plus soumis de vos serviteurs,

M....

Montmorin, sans doute, se hâta d’aller jouir des faveurs qui lui étoient promises, car on le vit assidu au château ; et son intimité avec Lafayette donna beaucoup à soupçonner sur ces deux hommes. L’assemblée nationale, voyant que le général se faisoit un parti puissant, détruisit ses espérances, en décrétant que chaque commandant de division seroit promu à son tour au grade de commandant-général. Lafayette dissimula son dépit et changea ses batteries ; sa liaison étroite avec les ministres, les coupables lenteurs de ceux-ci, le désordre qui régnoit dans leurs bureaux, tout cela irrita le peuple. Les soupçons du bourgeois s’étendirent jusque dans l’assemblée nationale qui décréta, malgré l’opposition, que les ministres avoient perdu la confiance de la nation.

Quoique le roi, par la constitution, avoit le droit de nommer ses agens, il crut à propos de ne point s’obstiner à les laisser au ministère ; ils furent congédiés, et pour mieux cacher ses projets, il nomma des ministres jacobins, et connus pour d’excellens patriotes. Cette ruse lui réussit ; le peuple crut vraiment qu’il s’amendoit, et étoit prêt à oublier toutes ses perfidies. Il croyoit qu’entouré de bons ministres il ne feroit que le bien. Effectivement il lui fut conseillé ; mais Antoinette ne pouvoit se résoudre à voir le peuple triompher ; elle dissimula encore quelque temps, et son mari profita de l’influence qu’avoient les ministres sur le peuple pour faire déclarer la guerre à François I, roi d’Hongrie. L’assemblée nationale la décréta solemnellement ; c’étoit tout ce que la cour desiroit ; elle croyoit, par ce moyen, hâter la contre-révolution et faire servir les troupes du peuple à protéger la cause du roi. L’on composa les états-majors des plus mauvais sujets qu’on put trouver ; Lafayette, qui obtint une division à commander, fit avoir les premiers emplois aux gens de sa séquelle : les bons citoyens étoient écartés.

Le roi, qui se trouvoit forcé de suivre les conseils de ses ministres, prit le parti de les renvoyer. Le peuple à peine put contenir sa colère, et nous le vîmes prêt de se venger de l’auteur de tous ses maux. Le traître Louis avoit calculé des défaites, et la reine savouroit déjà le plaisir barbare de voir la France inondée du sang de ses habitans. Le scélérat Lafayette servoit bien ses projets ; il avoit gangréné tous ceux qui l’approchoient, et les villes qui avoisinoient son armée étoient infestées d’aristocrates. Ce coupable général, plutôt que de marcher à une victoire assurée, s’il eût voulu se battre, s’occupoit de travailler à égarer l’opinion de son armée ; et de la disposer à tourner ses armes contre Paris. C’étoit-là le grand coup que les royalistes attendaient avec impatience ; mais il falloit l’exciter : Lafayette le prépara.

Le roi, se couvrant toujours de l’égide de la constitution ; demanda la formation d’une garde aux termes des décrets. Ce corps militaire lui fut accordé : il nomma Brissac commandant de cette garde, qui fut composée d’émigrés, de royalistes, d’anciens gardes-du-corps, de quelques abbés mêmes. Ce mélange monstrueux forma une compagnie qui ne fut vue du peuple que de mauvais œil. Les propos, plus qu’indiscrets, d’une partie de ces soldats, leur ton de mépris, d’arrogance envers le citoyen, présageoient une dissolution prochaine du corps aristocratique. Les bons citoyens portèrent leurs craintes à l’assemblée nationale, qui détruisit, malgré la vive opposition des royalistes, cette troupe, qui rendit aussitôt les armes à la garde nationale. Le roi ne put s’opposer à un vœu aussi prononcé du peuple, sans risquer beaucoup pour lui-même ; mais il récompensa ceux qui lui avoient promis obéissance aveugle à ses ordres, quels qu’ils fussent, par une continuation de paye, et par un brevet d’honneur, qui attestoit leur lâcheté.

Marie-Antoinette n’avoit pas vu, avec indifférence, quelques hommes de cette troupe, et le jeune Cazotte, entr’autres, fut remarqué et porté sur les tablettes des observateurs.

Le colonel Brissac dut sa perte au tendre attachement de la reine. Lafayette étoit parti : il avoit servi l’amour et la politique, Brissac ne put remplir ces deux tâches, mais au moins il succéda, pour la politique, à l’illustre Blondinet. Mais moins adroit que lui, il laissa voir au peuple la haine qu’il lui avoit jurée. Tout fier d’être choisi par Antoinette pour son conseil, et d’être associé à ses fureurs et à ses crimes, il crut que c’étoit au peuple à trembler, et déjà il manifestoit tout haut ses projets. La persécution que les patriotes essuyoient dans le corps dont il étoit le chef, leur prompt renvoi faisaient assez connoître les intentions perverses de ce chef de brigands. Toujours enfermé avec la reine, il méditoit les plus horribles projets ; car, ne pouvant donner à l’amant quelques instans, ils furent tous employés à la vengeance. Brissac sortoit toujours de ses entretiens l’œil enflamé, et menaçant ouvertement le peuple de Paris. Ses satellites ne dissimuloient plus, et par-tout où ils se trouvoient ils laissoient appercevoir les projets de la cour.

Aucun soldat n’entroit dans ce corps sans avoir prêté, entre les mains du furieux Brissac, le serment le plus honteux pour l’humanité, et avoir promis de laver, dans le sang du peuple, les injures qu’il supposoit que le roi et la reine avoient reçus. Des récompenses étoient le prix de l’incivisme ; mais tous ces préparatifs furent détruits par la dissolution de la garde du roi, qui, oubliant qu’elle avoit promis de ne point changer de sentiment, et de braver tous les dangers, fut assez lâche pour se rendre avec crainte, en criant : Vive la nation ; expression qui peignoit la frayeur dont l’âme de chaque soldat étoit animée. Pour son chef, il fut décrété d’accusation et envoyé aux prisons d’Orléans, pour être jugé par la haute-cour nationale.

Mais, qui croira que ce séjour, fait pour intimider le crime, fut changé en lieu de plaisance ; les plaisirs prirent la place des angoisses, que tout criminel doit ressentir dans le cachot qui recèle sa coupable existence. Les bals, les festins furent donnés tour-à-tour dans cette prison, et les criminels jouissoient, impunément, des plaisirs de l’homme irréprochable. Ils faisoient mieux, ils conspiroient du fond de leur retraite, et leurs juges, gagnés par les libéralités de la cour, oublièrent leurs devoirs, et favorisèrent les grands coupables. La reine, par ses intrigues, conduisoit tout cela, et avoit préparé une contre-révolution, qu’elle croyoit bien certaine ; elle n’avoit point pensé que son mari feroit échouer ses projets par sa lâcheté et son ineptie ; elle crut que, l’amenant par degré au moment décisif, il ne pourroit regarder en arrière, et qu’il se verroit forcé de se déclarer. La journée du vingt juin 1792, étoit préparée pour cet effet, et nous verrons comment Louis en profita.

Antoinette, pour qui la surveillance des patriotes de l’assemblée législative étoit un empêchement à ses projets, voulut balancer ce pouvoir par de très-fortes intelligences dans Paris. Un grand nombre d’officiers, dans la garde nationale, étoit de son parti ; des soldats bourgeois suivirent les mêmes drapeaux, et si Louis se fût déclaré le dix août, la guerre civile étoit indubitablement sûre. Le peuple auroit toujours triomphé des perfides, mais le sang auroit coulé en grande abondance. Nonobstant ce fort appui que Marie-Antoinette se ménageoit, elle avoit encore corrompu les corps administratifs et plusieurs officiers de paix. Un de ces tyrans subalternes, aux gages de la femme Capet, voulut éprouver le degré de force de son parti ; l’imbécille, l’intriguant Lariviere[4] fit, pour son malheur, cette épreuve. Au mépris de toutes les loix et de l’inviolabilité des représentans du peuple, il manda à son tribunal trois législateurs. Après leur avoir fait subir un ignominieux interrogatoire, il ne parla rien moins que de les traduire, devant les tribunaux, pour avoir osé dénoncer l’existence du comité Autrichien, dont lui, Lariviere, étoit membre. L’assemblée législative ne put entendre le récit de cet acte arbitraire, sans punir son coupable auteur : Lariviere fut envoyé aux prisons d’Orléans.

La reine, toujours contrariée dans ses plans, ne perdit point courage : une défaite lui faisoit naître un nouveau projet. Son mari, qui avoit trompé le peuple pendant trois ans, crut qu’il n’étoit plus besoin de se contraindre ; il laissa éclater ses véritables sentimens. L’assemblée nationale ne pouvoit arrêter que foiblement l’exécution de ces projets ; la constitution, dont elle ne pouvoit s’écarter, avoit donné au roi des pouvoirs qui faisoient trembler les patriotes, et qui rassuroient nos tyrans. Ce fut dans cette lutte perpétuelle que le peuple de Paris passa deux années, sans savoir à qui resteroit la victoire. Tel qu’après un violent orage l’on voit la terre produire des insectes venimeux ; des agitateurs, des provocateurs au meurtre parurent, et se disputèrent la gloire barbare de faire déchirer le Français par le Français même. Le chef de ces monstres fut un embrion, que la nature a formé de ces immondices ; Marat écrivit ses feuilles en traits de sang, et égara le peuple en se disant son ami. Il perpétua l’anarchie et le désordre ; il égara des hommes qu’une ignorance profonde livroit à ses criminelles observations ; il devint le dieu des antropophages, et il se flatta, lui seul, de mettre en combustion la France entière, et de faire triompher nos ennemis par nos propres dissensions. Malgré ses cris forcenés, malgré ses ordres de massacres, il ne put faire tomber, sous le couteau, aiguisé par lui, que trois à quatre mille victimes.... Ô Antoinette ! combien la journée du deux septembre auroit de charmes pour toi, si Lamballe n’eût été enveloppée dans cette proscription !.... Il n’auroit manqué à ton bonheur que de presser sur ton sein le héros de cette boucherie, ce Marat ; ses lèvres écumantes de sang, auraient été baisées avec transport par les tiennes, et le fiel qu’elles distillent auroit pénétré son ame.... Puisses-tu apprendre, du fond de ta prison que cet homme, vil rebut du genre humain, est connu enfin, ainsi que ses dignes collègues en assassinats..... Il n’y a que les ennemis de notre bonheur et de l’humanité qui partagent ses sanguinaires opinions ; mais la postérité le jugera, et proscrira son nom aux races futures. Marat n’ose supporter la lumière ; son existence ne se plaît que dans l’ombre des caveaux. Cependant, cet être méprisable joue un grand rôle chez un peuple, qui auroit dû, depuis trois ans, le vouer à l’exécration et au mépris.

La postérité croira avec peine, qu’un peuple qui a brisé, avec courage, le sceptre des tyrans, ait porté le joug d’un méprisable individu, qui ne l’a jamais entretenu que de sang et de fureurs : il est parvenu à faire passer dans l’ame de quelques hommes faibles, les furieux transports dont la sienne est agitée. Ses prosélites, ses sectateurs s’écrient au prophête, et achèvent d’entraîner ceux que ses discours ne font qu’ébranler. Il a toujours parlé juste, disent-ils ; il nous a démasqué Necker et Lafayette..... Ces deux victoires ont établi le culte de Marat, chez ceux qui ne veulent pas réfléchir que cet homme, s’étant fait un plan de ne jamais dire de bien de personne, il falloit nécessairement qu’il se rencontrât juste quelquefois.

Ceux que la reine n’admettoit point aux faveurs secrettes, recevoient d’autres témoignages de sa bienveillance : fiers de cette préférence, l’on voyoit les indignes soldats de la servitude insulter les patriotes chaque jour.

Louis ne pouvoit croire à la défaite de son parti ; il ne dissimuloit plus, et ses trahisons étoient si évidentes, que presque tout l’Empire appela la sévérité des loix pour punir ce roi parjure. Nos pertes, dans l’armée, occasionnées par ses indignes manœuvres, produisirent un effet tout contraire à celui qu’on s’en promettoit. Elles reveillèrent dans toutes les ames ce sentiment profond de haine pour les rois. Plus l’orage sembloit nous menacer, plus l’effervescence agitoit les têtes et préparoit la chûte de ce monarque coupable, qui, depuis quatre années, calculoit froidement, dans son cabinet, les moyens les plus sûrs d’égorger le peuple, qui l’avoit jusque-là respecté. La postérité ne parlera de cet homme que pour en détester la mémoire et le présenter à nos neveux comme le modèle de la dissimulation et de la perfidie. Sa femme, issue de cette malheureuse maison, qui depuis deux siècles ensanglante l’Europe, pour servir ses projets ambitieux ; cette femme lascive, qui joignit à la haine du nom français les passions les plus extrêmes ; cette courtisanne, qui, sans aucune retenue pour la gloire de son sexe, fut incestueuse et dévergondée, qui porta sur le trône les mœurs les plus dissolues, ne trouve point, dans l’histoire, de modèle, et ne pourra être citée et personnifiée que par le crime même.

Cependant elle ne fut pas toujours tranquille, et les remords vinrent quelquefois l’assiéger, mais elle les brisa tous : elle s’en fit même une gloire. Elle raconta à une de ses confidentes un songe fait pour effrayer toute autre ame que la sienne. Je me trouvai, lui dit-elle, transportée par ma mère dans un antre affreux ; une lampe sépulchrale, attachée à la voûte, ne jetoit que peu de clarté et rendoit cet endroit effrayant. J’apperçus dans un des coins de cet horrible séjour une table, sur laquelle étoient des poignards, une coupe et une torche renversée, dont la pâle lueur étoit sur le point de s’éteindre. Je vous avoûrai, dit-elle, que je ne fus pas maîtresse de calmer mon effroi ; je m’évanouis. Lorsque je fus revenue j’apperçus aux côtés de ma mère une grande femme, dont le costume antique me fit soupçonner qui elle étoit. Elle s’avança vers moi, et cherchant à me rassurer elle me dit, ne craignez rien Antoinette, je ne veux point vous faire de mal, mais vous donner des conseils qui vous seront utiles. J’ai occupé le trône sur lequel vous êtes assise ; je suis cette fameuse Frédegonde, dont les faits remplissent l’histoire. Dans la situation où vous êtes vous avez besoin de conseil, et je viens vous en donner.

C’est à tort que le vulgaire regarde nos règnes comme ceux de l’ignorance ; la politique la plus déliée étoit connue et suivie. Examinez ma conduite, voyez par quel art je suis parvenue au trône dont mon obscure naissance m’éloignoit. Il falloit vaincre la répugnance de Chilpéric sur ma basse origine, et j’en vins à bout par des moyens que la postérité a jugés être des crimes ; mais qui ne sont, dans le vrai, que des traits hardis de politique. La sœur de Brunehault étoit la femme de mon amant ; lorsque je fus assurée de la tendresse de Chilpéric pour moi, je ne balançai plus à immoler, à mon intérêt, celle qui me disputoit un trône où j’aspirois depuis longtemps : elle mourut par mon ordre. Cette action fit éclater, il est vrai, une guerre désastreuse pour Chilpéric ; les parens de la reine défunte pénétrèrent, avec une forte armée, dans le pays du roi, qui fut obligé de fuir avec moi dans la ville de Tournai. C’est dans cet instant de ma vie où vous pouvez prendre un grand exemple de courage ; je suivis mon époux, et je fus son plus ferme appui dans le camp. Mais la ville où nous étions étant assiégée, et nos forces ne pouvant résister à celles de Sigebert, je résolus de sauver mon époux par un moyen violent ; je remarquai dans l’armée deux jeunes gens aimables, et assez enthousiastes de mes appas pour obéir à mes ordres ; je les rendis heureux, mais à une condition, qu’ils me promirent de remplir. Après leur avoir prodigué les carresses les plus tendres, j’armai leurs mains d’un poignard, et leur apprit l’usage qu’ils en devoient faire ; ils m’obéirent, et Sigebert fut assassiné. Chilpéric profita de cette circonstance et battit les troupes de son frère.

J’immolai de même à mon intérêt l’un des fils de Chilpéric, qui entravoit mes projets. Chilpéric lui-même ayant découvert mes amours avec Landri, l’un de ses courtisans, reçut la mort par mon ordre, dans une forêt, au retour d’une chasse.

Ce n’étoit point assez, je n’avois pu me venger de Brunehault par le fer et le poison ; cette implacable rivale envoya des troupes contre moi : l’on me vit, tenant mon fils dans mes bras, mener les soldats à la victoire, et je donnai aux peuples l’exemple qu’une femme peut combattre et vaincre : voici les principaux traits de ma vie. Je vous ai assez convaincue, que pour garder dans ses mains le suprême pouvoir il ne faut pas s’en tenir aux petits moyens. La nécessité, les circonstances, excusent tout ; d’ailleurs, si nous faisons peser un peu le sceptre sur le peuple, nous ne faisons que le punir de nous avoir écartée d’un trône, que nous aurions aussi bien occupé que nos imbéciles maris. Poursuis, Antoinette, ne t’arrête point au milieu de ta carrière, c’est par un courage sans bornes que l’on vient à bout des plus fortes entreprises. Agrès ces mots je sentis la terre s’ébranler sous moi et un tourbillon déroba à ma vue Frédegonde, mais elle fut bientôt remplacée par une jeune personne, vêtue de blanc. Elle m’adressa la parole :

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

Antoinette, vous voyez, me dit-elle, Judith de Bavière, l’épouse de Louis le premier, de ce débonnaire, qui, n’ayant pas suivi en tout mes avis, se vit outragé par ses enfans, et molester par les prêtres. Je me dédommageai de sa sombre humeur par mes amours avec Bernard, le comte de Barcelonne. Les grands furent jaloux de cette préférence, et bravant leurs clameurs, je fis nommer mon amant premier ministre. Je fis plus, je fis partager mon fils avec les deux premiers enfans de mon mari, et mes soins, mes sollicitudes firent tomber sur lui les dépouilles des autres. J’avois captivé mon mari ; il ne voyoit que moi, n’agissoit que par moi, et j’avois besoin de cette confiance aveugle pour réussir dans mes projets.

Voulez-vous un exemple de dissimulation ? Voyez la conduite que j’ai tenue, lorsque le fils de mon époux contraignit son père à renoncer au trône. L’on me fit promettre d’engager ce monarque à céder, de bonne volonté, à ses enfans l’Empire. Je fis les sermens les plus saints d’employer tout mon crédit ; mais qu’ils me connoissoient peu ceux-là qui se fièrent à moi ! Je ne puis, il est vrai, réussir, tel que je me l’étois proposée. Louis le Débonnaire fut déposé, et moi je fus, par le même ordre, enfermée dans un couvent. C’est-là que je portai une ame ferme et résolue à tout ; je n’abandonnai point mes projets, je les méditois au contraire dans cette retraite. Le destin me fut favorable ; mon époux fut remis sur le trône, et sa tendresse pour moi m’y rappela bientôt. Le peuple osa porter quelques plaintes, mais elles furent étouffées en naissant, et je contraignis, par ma courageuse fermeté, Lothaire, le perfide Lothaire, ce fils qui, sans respect, avoit détrôné son père, à reconnoître à la succession mon fils ; il le fit, et par mes infatigables travaux je lui traçai la route d’un trône, qu’il ne pouvoit espérer de posséder. Les enfans de mon mari s’armèrent de nouveau ; je fis armer à mon tour mon vieil époux contre eux, et les aigrissant l’un contre l’autre, j’eus le plaisir de les voir se déchirer. Le roi ne pouvant supporter cette longue et cruelle fatigue y mourut, mais ce n’est pas ma faute, et j’avois rempli mon projet. Après la mort de mon époux ses enfans ne posèrent point les armes, et je vis cette guerre se terminer tel que je le voulois. Mon fils, le fils de mon bien aimé Bernard, obtint un partage avantageux. La mort vint, m’enlever dans ces momens heureux, et je ne pus l’aider de mes conseils.

Vous voyez, Antoinette, qu’il ne faut point renoncer aux projets qu’on médite ; votre situation est embarassante, mais il faut la passer habilement ; du caractère, sur-tout, et vous vous ferez craindre et respecter. Judith disparut, et je vis paroître Isabeau de Bavière, Éléonore, femme de Charles VII, et enfin la célèbre Catherine de Médicis ; Isabeau me porta la parole : nous savons le malheur qui t’accable, Antoinette ; tu as tout fait pour suivre nos traces, mais ton imbécile époux a détruit tout ce qu’avoit imaginé ton génie et ton adresse ; cependant reprends courage, des femmes telles que nous ne peuvent en manquer. L’on te reproche d’être un peu libertine, le peuple murmure, laisse s’exhaler ces plaintes, elles ne doivent point te toucher. As-tu quelques comptes à rendre à ce peuple, il est fait pour obéir ?

Tout est changé, dit Catherine de Médicis. Je sais, Antoinette, que tu n’as plus les mêmes moyens, mais que ton ame ne s’abatte point et tu triompheras un jour. Il ne faut rien épargner ; vois ces poignards, vois cette coupe et ces instrumens de vengeance, ils te seront utiles ; que le sang à long flots se répande ; ce n’est que par ce moyen que tu reprendras ton autorité. De la dissimulation, des trahisons, tu en as besoin plus que jamais........ À ces mots des tourbillons de flâme et de fumées s’élevèrent, dit Antoinette, dans cet endroit affreux ; je me sentis envelopper d’un nuage de bitume et de souffre ; je chancelai, et crus tomber d’une hauteur prodigieuse. Le bouleversement qui se fit en moi fut si violent que je m’éveillai en sursaut ; je me trouvai dans un état alarmant, par la peine que me causa un rêve aussi fatigant. Il me semble encore voir ces spectres hideux ; loin de m’enhardir je sens que leurs conseils ont détruit mon courage et troublé mon ame. Antoinette s’entretint long-temps de ce songe, qui l’affectoit beaucoup. C’étoit, sans doute, le commencement de la vengeance céleste, car qui ne sait que cette femme apporta dans la France tous les maux que les poëtes ont prétendus être renfermés dans la boîte de Pandore ?

Le sang versé depuis 1789, jusqu’au mois de septembre 1792, le fut par elle, par ses intrigues et par sa passion extrême de détruire le Français par le Français même. La justice et la raison ont triomphé, et cette malheureuse femme, auteur de tous nos maux, est sur le point de payer ses forfaits. Déjà les remords devroient l’assiéger dans le fond de sa tour : son orgueil les dissimule encore, et son front audacieux paroît serein ; mais n’anticipons point sur les temps, et revenons aux faits.

Après la dissolution de la garde du roi, Marie-Antoinette s’occupa de parer à ce coup désastreux pour ses projets. Le conseil se prêta à ses vues, et le général Lafayette, toujours en correspondance avec la femme de Louis, secondoit ses efforts en corrompant l’armée et les corps administratifs de nos places frontières. L’on ne trouva pas d’autres moyens pour opérer la contre-révolution, que de porter le peuple à quelques excès, afin d’avoir droit d’injurier ce même peuple, et le punir de s’opposer à la tyrannie. L’État étoit troublé par des prêtres factieux, et menacé par les puissances étrangères ; l’assemblée nationale fit deux décrets qui devoient porter remède à ces grands maux, la déportation des prêtres turbulens et mal intentionnés, et un camp sous paris, pour le mettre à l’abri d’invasion. Le roi refusa de sanctionner ces deux décrets salutaires et renvoya les ministres qui avoient mérité l’estime du peuple.

Ces coups de vigueur et de despotisme déchirèrent le bandeau de tous ceux qui avoient eu quelque confiance au roi. Le peuple s’agita, menaça même ; c’étoit ce

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

que la cour desiroit. Enfin la bombe éclata, et le 20 juin 1792, une force imposante des faubourgs de Paris se porta toute armée à l’assemblée législative, et de suite aux Tuileries. Le roi, pour aigrir davantage le peuple, fit fermer les portes et grilles de son château ; elles furent enfoncées, et l’on parvint jusques dans ses appartemens, sans commettre aucun désordre. La peur le prit ; cependant il reçut la députation avec une certaine gaîté ; il se coëffa du bonnet rouge, et but à la santé de la nation. Le peuple se retira, croyant bien que sa modération, dans cette journée, seroit une forte leçon pour Louis XVI, mais ce monarque, poussé à la vengeance par son implacable épouse, dénatura les faits et injuria le peuple de Paris, qui n’avoit fait qu’une chose légitime.

Lafayette, qui avoit tout préparé, tira parti de cet incident, pour engager les troupes à marcher sur Paris, pour châtier, disoit-il, les factieux qui avoient osé violer l’asyle du roi ; ces factieux étoient désignés les jacobins : ce prétexte couvroit les grands desseins de ce général pervers. S’il eût obtenu de son armée de marcher vers la capitale, alors il laissoit la frontière libre aux Prussiens et aux Autrichiens, qui auroient suivi notre général contre-révolutionnaire, et l’armée des Français auroit servi d’avant-garde à celles de Frédéric-Guillaume, et de Brunswick.

Les desseins de Lafayette furent heureusement pénétrés, et il ne put gangréner que son état-major ; il n’eut pas grande peine, il avoit choisi la tourbe des hommes pour le composer. Le roi, qui vit que son projet étoit encore manqué, voulut frapper un nouveau coup ; il fit destituer le maire de Paris (Pétion) par le département, l’accusant de n’avoir point donné, dans la journée du 20, les ordres nécessaires pour faire tirer sur le peuple aux Tuileries, et n’avoir point, par ce moyen, allumer la guerre civile, qu’on desiroit avec tant d’ardeur. Le roi sanctionna cet arrêté, et Pétion fut suspendu.

Le peuple fut sur le point de se fâcher, mais il retint son courroux ; il attendit la décision du corps législatif, qui remit dans ses fonctions ce magistrat honnête-homme. Le roi dissimula ; il fit fermer exactement les portes de son château, et n’admettoit plus que ceux dont il connoissoit les intentions perverses. Cette conduite peignoit au vrai ses desseins, et fit faire au peuple de sérieuses réflexions. Un détail controuvé des évènemens du vingt juin, qui fut imprimé et placardé avec profusion sur les murs de la capitale, et envoyé aux armées, rendit les citoyens plus surveillans : l’on s’attendoit de jour en jour à quelque grand évènement, il étoit annoncé par le parti aristocratique qui, rayonnant de joie, chantoit d’avance sa victoire et ne déguisoit plus ses véritables intentions.

Lafayette, qui croyoit ne pouvoir plus se contraindre, leva le masque ; il vint à Paris, et d’un ton de dictateur menaça l’assemblée nationale jusque dans son sein ; cette conduite Cromwelliste fut approuvée de la majorité du corps législatif, qui étoit vendue au parti contre-révolutionnaire. Le général, après cet attentat à la souveraineté du peuple, alla jouir de son triomphe dans l’antre ténébreux des Tuileries. La messaline Autrichienne lui paya sa course imprudente, par un entretien secret, qui, sous le prétexte de l’intérêt du roi, fut l’heure indiquée par l’amour aux amans heureux.

Blondinet, comblé des faveurs d’Antoinette, et chargé de l’exécration du peuple, regagna les drapeaux qu’il déshonoroit. Il étoit sûr de son état-major, et il croyoit l’être aussi de son armée entière. Longwy, Verdun, étoient à sa dévotion, et il ne voyoit aucun obstacle qui pût l’arrêter dans sa course contre-révolutionnaire. L’orgueil, dont sa tête étoit remplie, ne lui faisoit voir le peuple de Paris que comme une tourbe facile à dissiper. Le 12 d’août étoit indiqué pour opérer ce grand changement. Les législateurs patriotes ne pouvoient rien, ils formoient la minorité. L’or de la liste civile avoit acheté les lâches, qui préféroient les avantages de la fortune à la prospérité publique.

Louis le traître voyoit avec joie s’approcher ce jour fatal, qui devoit, si bien servir sa vengeance et celle de sa femme. Il avoit transformé sa maison en château fort. Il avoit appelé près de lui tous ceux qu’il connoissoit être les ennemis du peuple : de ce nombre furent les Suisses. Cette nation, habituée de vendre ses hommes comme on vend des bestiaux, ne connoît d’autre mobile que celui de l’or, aussi la garnison suisse étoit-elle payée en numéraire, dont elle tiroit avantage ; mais qu’elle a payé cher cette préférence !...

L’état-major de ces troupes étoient sans discontinuer au château ; il régloit avec le conseil assassin du roi les mesures à prendre, afin de ne point épargner le peuple de Paris. Le jeune d’Affri paroissoit, sur-tout, un zélé serviteur d’Antoinette. Au conseil il prêtoit son appui au roi, et dans l’ombre autre chose à la reine ; car nous devons remarquer que tous ces projets de vengeance et de sang, ont été cimentés par les faveurs de l’amour. D’Affri succéda à Lafayette, et goûta le plaisir d’être préféré à un monarque ; le boudoir du bord de l’eau fut visité aussi par lui, et l’amour reçut ses sacrifices dans cet endroit enchanteur. Si Antoinette n’eût joint à cette ardeur lubrique les plus horribles forfaits, la narration de sa vie ne seroit qu’un roman voluptueux, qui feroit sourire l’indifférence même. Mais ces forfaits sont unis si fortement à ces intrigues galantes, que nous n’avons pu les séparer.

Comme nous avons dit, la journée du douze août étoit indiquée, et les préparatifs se faisoient vivement. La cour croyoit bien qu’elle n’avoit point à se déguiser ; on lui avoit promis une victoire assurée. Sa haine pour le maire de Paris fut une des causes de sa perte. Le soir du neuf août le roi manda Pétion, qui se rendit à l’invitation. Le signal étoit convenu pour minuit, et ce bon patriote devoit être égorgé ; de suite les brigans se seroient répandus dans Paris, et auroient fait un horrible carnage. L’assemblée nationale étoit instruite des mouvemens qui se fesoient, et ne voulant point laisser plus long-temps exposé le maire de Paris, le somma, par un décret, de se rendre à sa barre, pour y rendre compte de l’état de la capitale. Les patriotes, par ce moyen, le retirèrent des griffes des tigres, qui ne virent pas, sans douleur, échapper leur proie ; mais ils comptoient bien l’immoler dans le massacre général, et dans les proscriptions sanglantes des patriotes.

Après que le maire se fut rendu au corps législatif, l’on vit le château dans une agitation violente, Le roi ne se coucha point, et son air gai présageoit à ses esclaves une victoire certaine. L’instant fatal arriva ; les faubourgs armés vinrent au château ; précédés des fédérés Marseillois. Parvenus à la grande cour, les Suisses, pour les assassiner plus sûrement, leur firent des démonstrations de joie et de fraternité ; alors le soupçon d’une odieuse perfidie n’entra point dans l’ame de ces braves gens ; ils s’avancèrent, et tandis qu’ils croyoient embrasser des hommes et des frères, ils n’embrassoient que des assassins, qui leur portèrent des coups assurés. Tous les endroits du château étoient remplis de ces hommes de sang, qui faisoient pleuvoir la mort et répandoient l’effroi. Les premiers mouvemens furent en leur faveur, mais lorsque

Livre:Charles-Joseph Mayer, Vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France, femme de Louis XVI.

le peuple fut revenu de l’étonnement de cette perfidie, alors il livra une guerre à outrance à ces farouches soldats, qui furent bientôt les victimes de leur trahison.

Le roi, avec toute sa famille, fut se réfugier dans le sein de l’assemblée nationale ; il y porta encore ce ton d’orgueil qui peint les despotes ; il parla des crimes du peuple, tandis que lui seul les commettoit. L’on fit au château un siége dans les formes, et il céda bientôt aux efforts des assiégeans. Ce Coup fut le dernier porté à l’aristocratie, et la cour vit ces projets, médités depuis quatre ans, avortés et perdus dans l’espace de trois ou quatre heures. Le peuple se saisit d’une partie des conspirateurs, qui allèrent sur l’échafaud payer la peine due à leurs crimes. Pour le roi, il fut mis sous la garde de la municipalité, qui le fit conduire au Temple. L’assemblée nationale porta le décret de suspension contre lui, et nomma un conseil exécutif, composé de six ministres. De plus, elle convoqua une convention nationale pour statuer sur le sort du roi, et pour s’occuper d’une autre constitution, plus conforme aux intérêts du peuple.

Ces grandes mesures effrayèrent les traîtres : Lafayette alors joua

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ses derniers ressorts pour égarer son armée ; mais voyant qu’il avoit compté, trop légèrement, sur des Français, il prit le seul parti qui lui restoit, la fuite. Il émigra avec son état-major, et emporta trois millions.

La fuite de Lafayette laissa pour quelque temps son armée sans chef. Les prussiens avancèrent, prirent Longwy, qui leur tendoit les bras, et passèrent à Verdun, que des traîtres leur vendirent. Ce fut dans cette ville où l’illustre Beaurepaire sacrifia à la liberté une vie irréprochable : cet intrépide commandant regardoit venir l’ennemi sans crainte ; il avoit cru qu’il seroit secondé par la garnison et les bourgeois, et alors les Prussiens auroient été obligés de fuir ; mais quel fut son étonnement lorsqu’il vit par-tout des trahisons, et lorsqu’il entendit le peuple demander la reddition de la ville ! Son ame, abreuvée de douleur, ne put soutenir le spectacle déchirant de voir les ennemis maître de cette cité. Lorsqu’on lui présenta la capitulation pour la signer, ses mains généreuses s’y refusèrent, et à la vue de l’officier prussien il se brûla la cervelle.

Ce trait sublime doit servir en tout temps de leçons aux Français, et de remord à ceux qui l’ont provoqué par leur odieuse trahison. Le roi, relégué au Temple, n’en parut point affligé ; la reine, seule, fut affectée, et chercha à se consoler de tant de revers, par quelques momens de lubricité ; Lafayette n’étoit plus là pour lui faire partager sa flamme ; il ne lui restoit que des femmes : elle passa encore quelques momens heureux dans leurs bras. Tandis qu’on travailloit aux logemens de la tour, on les laissa dans le pavillon. La reine avoit ses bonnes amies logées tout auprès d’elle ; elle en profita, et leurs mains légères carressoient avec graces et dextérité, ce réduit aimable, où tant de héros logèrent l’arbre de vie. La reine, pendant ce temps, appliquoit sur sa gorge brûlante le portrait du trop séduisant d’Artois. Quelques soupirs amoureux, lancés dans le fort de la passion, décélèrent cette scène aux gardes, qui étoient de faction dans la pièce voisine, qui n’étoit séparée que par une cloison ; ils trouvèrent justement une fente qui les favorisa : ils apperçurent, très-distinctement, tous les mouvemens de la ci-devant reine de France. Madame Tourzel, couchée sur le lit avec elle, lui donnoit sa gorge à carresser, tandis que son petit doigt agitoit fortement le bouton d’un des tetons de la reine. La princesse Lamballe se tenoit aux pieds du lit, et de la main droite fourageoit le buisson de Vénus, qui s’humectoit souvent d’une douce sérosité. Sa main gauche frappoit avec ménagement et cadence une des fesses royales, ce qui faisoit faire à la reine les mouvemens convulsifs qui la trahirent. Les gardes n’eurent point envie de troubler un si joli trio, et prêtèrent une attention scrupuleuse à tout ce qui se passoit. Ils virent la princesse Lamballe tirer de sa poche une espèce de godemiché, qu’elle s’appliqua à cette partie qui fait nos délices. Un large ruban lui attachoit ; il passoit avec grace sur le contour de ses reins. Madame Tourzel lui fit une rosette, positivement à la chûte des hanches. Le vif incarnat de ce ruban contrastoit merveilleusement avec la blancheur de sa peau. Tourzel à son tour, s’en fit passer un de même.

Les observateurs remarquèrent que ces engins, postiches, étoient garnis en velours cramoisi. Les deux combattantes se défirent des hardes qui les gênoient, et rien alors ne fut caché aux yeux des factionnaires, qui faisaient des vœux pour qu’on ne les relevât point de leur poste.

Dans cette équipage, les deux femmes montèrent sur le lit ; Antoinette les saisit toutes deux, et les enlaça de ses deux bras. Mille baisers préludèrent à cette scène, digne de la fille de Marie-Thérèse, et ces trois femmes, à moitié ivres de plaisir, commencèrent le sacrifice dont elles ne pouvoient que faire le simulacre. Lamballe se coucha dessous, et l’instrument, dont elle étoit armée, fut destiné à se frayer un passage entre les fesses autrichienne, tandis que Tourzel fit entrer le sien dans le détour obscur des bois de Cithérée. La reine, ainsi entre deux feux, se représentoit être servie par d’Artois et Lafayette. Sa langue amoureuse et brûlante cherchoit à se rafraîchir sur le corail des lèvres de sa bonne amie. La volupté s’empara de ces trois graces, et nos curieux les virent s’agiter sans ordre, sans mesure, et tomber dans ce doux abattement, qui annonce la fin du sacrifice. Elles parurent être sans connoissance pendant quelques momens.

Le membre postiche contrastoit pittoresquement, par sa couleur, avec l’ébène du poil de nos championnes, et le ruban, couleur cerise, prêtoit de nouveaux agrémens aux contours, gracieusemens dessinés, de nos modernes Vénus.

La reine, les jambes élevées, découvroit aux regards de nos curieux, les endroits enchanteurs qui avoient reçu tant d’hommages. Une jupe rose, nuancée agréablement par une autre de linon, composoit le plus joli tableau. Les deux autres femmes, nues et jetées mollement et avec abandon près d’Antoinette, étoient en partie cachées par les plis ondoyans des ajustemens de la reine.

L’heure vint où l’on releva les factionnaires, qui s’entretinrent long-temps de la scène dont ils avoient été les témoins.

Si les femmes qui accompagnoient la reine n’eussent servis que ses desirs lubriques, elles n’auroient point éprouvés le sort affreux qui leur fut réservé ; mais une fois la passion de la reine pour l’amour satisfaite, elle se livroit à l’idée de ses vengeances, et ces femmes flattoient ses desirs. L’on découvrit une nouvelle correspondance ; mesdames Lamballe et Tourzel furent arrêtées et mises à l’hôtel de la Force[5].

Du fond de la tour Louis  XVI conspiroit encore ; ses agens étoient parvenus à former une ligue puissante, en armant tous les scélérats renfermés dans les prisons. Ils devoient, à jour nommé, se répandre dans Paris, et délivrer le roi, en assassinant le paisible citoyen à l’heure de son sommeil ; mais cette trahison, comme toutes les autres, fut éventée, et le peuple, déjà aigri par la reddition de Longwy et les succès des ennemis sur Verdun, succès qu’ils ne devoient qu’aux trahisons, se porta en foule aux prisons, en tira les détenus, et massacra ceux d’entre eux qui furent convaincus de crime : trois à quatre mille brigands furent immolés.

Lafayette, qui avoit fui la France, fut arrêté lui-même dans le pays ennemi, où il est encore renfermé, avec ses coupables officiers. Des généraux patriotes furent nommés pour commander nos armées, qui marchèrent à la gloire. Au moment où nous écrivons, le général Dumourier a forcé cette armée insolente de Prussiens, commandée par Frédéric Guillaume et Brunswick, à évacuer le territoire de la République. Cette armée formidable, qui devoit faire la conquête de la France, s’en retourne dans ses foyers avec une perte des deux tiers d’hommes, et avec la honte qui couvre son entreprise. Nos armées, au contraire, ont porté leurs pas victorieux dans la Savoie, qu’elles ont délivrée du joug du roi de Sardaigne. Elles entrent dans ce moment dans le Piémont, les Électorats, et se préparent de nouveaux succès, qui forceront les tyrans de l’Europe à baisser le front devant la liberté des peuples.

Aussi-tôt que la convention nationale fut nommée, elle siége dans la salle de l’assemblée législative, qui fut dissoute. Le premier décret de ce corps constituant fut un bienfait pour l’humanité ; il déclara que la royauté étoit abolie en France, et qu’on feroit le procès au roi et à ses perfides conseillers. L’on ôta à cet homme cruel toutes les marques de son pouvoir, et lorsqu’on apprit les scènes scandaleuses qui se passoient encore dans l’intérieur de la prison de ces grands coupables, l’on les sépara, et Antoinette n’eut plus d’autre ressource, pour assouvir sa passion, que celle de ses doigts. Nous ne doutons point que dans l’asyle sombre, que lui offre son alcove, elle ne fasse encore quelques légers sacrifices à l’amour, étant réduite à ce seul expédient. Pour son mari, il joue la philosophie ; il ne boit plus, il traduit, tant bien que mal, les auteurs latins, et recommence son éducation, pour, sans doute, si la nation lui fait grace, avoir la même ressource qu’eut Denis, tyran de Syracuse, qui se fit maître d’école en descendant du trône.

Louis se fit apporter une ample provision de livres, et s’est réservé le soin de les classer et d’en former sa bibliothèque ; on lui communique aussi le journal du soir, dans lequel il trouve, par fois, des articles qui doivent le résigner à tout ce qui peut lui arriver de fâcheux ; il ne paroît point s’affecter vivement, ; l’espérance ne paroît point être bannie encore de son cœur. Pour la reine, le dépit, l’amour la consume, et elle paroît vivement regretter les bosquets de Versailles et le boudoir des Tuilleries.

Lorsque nous avons pris la plume pour écrire sa vie scandaleuse et libertine, nous ne pensions pas qu’un jour nous serions forcé, pour terminer cet ouvrage, de tracer des faits qui n’appartiennent qu’à l’histoire raisonnée du pays ; mais l’influence qu’eut Marie-Antoinette dans la révolution qui vient de s’opérer et de changer le gouvernement de la France, nous a déterminé de donner une esquisse rapide, mais vraie, de cette commotion subite. Nous laissons à l’historien le soin de recueillir les détails de cette révolution incroyable. Nous terminerons ce volume par un recueil de lettres curieuses, rassemblées dans un petit porte-feuille verd, appartenant à la reine, et trouvé dans la journée du dix août, dans les appartemens des Tuileries. Elles sont copiées fidellement sur les originaux, déposés dans un lieu sûr.

Nous avons promis la vie libertine et scandaleuse de Marie-Antoinette ; notre tâche est remplie par la fin de son existence politique. Tant qu’elle a été sur le trône, ses moindres actions étoient utiles à recueillir ; aujourd’hui qu’elle n’est plus rien, et qu’elle ne peut plus donner carrière à son humeur libertine, que nous importe la vie monotone d’une prisonnière, qui ne peut que former de vains projets, qui sont détruits aussi-tôt que conçus ? Ce qui nous intéresse le plus, c’est l’attitude fière que prend la République Française, c’est la terreur panique qu’elle cause aux despotes couronnés, qui cherchent encore à déguiser les craintes qui les agitent. Des publicistes recueillent, pour l’honneur de notre nation, les traits hardis dont l’histoire de notre siècle sera remplie, et qui doivent faire un jour l’admiration de nos neveux, et leur assurer un bonheur qu’ils auroient cherché vainement sous le règne des tyrans.



Lettres trouvées dans un petit porte-feuille verd, renfermé dans un compartiment secret du bureau de la reine.

Cette lettre est écrite au cardinal de Rohan, avant l’affaire du collier.


Mon cher esclave[6], tes sollicitudes amoureuses m’ont hier fait perdre la tête. Enivrée de la douce rosée que tu répandis sur ta souveraine à longs flots, elle

  1. Le roi.
  2. La Fayette.
  3. La révolution.
  4. Homme de loi, jadis tarré par ses friponneries ; il prit le masque du patriotisme dans la révolution. Sa hardiesse, son assiduité le firent parvenir à la commune ; nommé administrateur dans les subsistances, il vola, comme beaucoup d’autres ; on lui demanda des comptes, il n’en rendit point, et fut élu juge de paix de la section, ci-devant de Henri IV. Il fut massacré un des premiers, à Versailles, lorsqu’on amenoit les prisonniers d’Orléans à Paris.
  5. Tout le monde connoît la fin tragique de madame Lamballe.
  6. L’on sait que c’étoit l’épithète donnée par la reine à ce héros ecclésiastique.