Vie de Jésus (Strauss) 1/QUATRIÈME CHAPITRE.

QUATRIÈME CHAPITRE.

NAISSANCE ET PREMIERS ÉVÉNEMENTS DE LA VIE DE JÉSUS.



§ XXXII.


Le cens[1].

Les narrations de Matthieu et de Luc s’accordent à placer toutes deux la naissance de Jésus à Bethléem. Mais, tandis que le dernier en raconte avec détail les particularités les plus précises, le premier n’en parle qu’occasionnellement. Une fois, c’est dans une phrase où il l’indique comme le résultat accessoire d’une prophétie qui est citée (2, 5) ; une autre fois, il s’y réfère comme à une chose connue (2, 1). Dans Matthieu, il semble que les parents de Jésus avaient leur résidence à Bethléem ; dans Luc, ils y sont conduits par des circonstances toutes spéciales. Mais, pour le moment, laissons de côté cette dissidence, dont l’explication ne pourra se trouver que plus tard, quand nous aurons rassemblé un plus grand nombre de données, et occupons-nous de l’erreur où Luc paraît être tombé, quand on le compare avec lui-même et avec des faits connus d’ailleurs. Suivant lui, les parents de Jésus, qui résidaient habituellement à Nazareth, furent appelés à Bethléem, où Jésus naquit, par un cens qu’Auguste avait ordonné dans le temps où Quirinus était gouverneur de Syrie (Luc, 2, 1, seq.).

La première difficulté, c’est que le recensement, ἀπογραφή, ordonné par Auguste, c’est-à-dire l’inscription des noms et la déclaration du revenu pour l’établissement de la taxe, est dit avoir été étendu à toute la terre habitée, πᾶσαν τὴν οἰκουμένην (v. 1). Cette expression, dans le sens qu’elle avait alors ordinairement, signifierait le monde romain. Or, nul écrivain ancien ne parle d’un pareil recensement général ordonné par Auguste ; il n’est question que de recensements partiels et prescrits à des époques différentes. En conséquence, Luc, par les mots terre habitée, οἰκουμένη, doit avoir voulu désigner, non l’empire romain, suivant la signification qu’ils avaient ordinairement, mais seulement la terre de Judée. On cite aussitôt des exemples pour la possibilité de cette explication[2], mais aucun de ces exemples ne prouve rien. En effet, quand même, dans tous ces passages des Septante, de Josèphe et du Nouveau Testament, ces mots ne signifieraient pas, dans le langage exagérateur de ces écrivains, toute la terre connue, ici du moins, où il est question d’un ordre de l’empereur romain, l’expression toute la terre habitée, πᾶσα ἡ οἰκουμένη, devrait nécessairement s’entendre de ses domaines, c’est-à-dire du monde romain : aussi s’est-on tourné dernièrement du côté opposé, et, en invoquant l’autorité de Savigny, on a soutenu qu’au temps d’Auguste il y avait eu réellement un recensement général dans l’empire[3]. C’est, à la vérité, ce que disent positivement des écrivains chrétiens postérieurs[4] ; or, non seulement leurs assertions sont suspectes, parce qu’elles sont dépourvues de tous témoignages anciens[5], mais encore elles sont réfutées par ce fait que, longtemps après encore, une égale répartition de l’impôt manquait dans l’empire[6] ; enfin les propres expressions des écrivains chrétiens prouvent que leur témoignage dépend de celui de Luc[7]. Du moins, dit-on, Auguste a tenté, à l’aide d’un recensement général, d’imposer régulièrement tout l’empire ; il a commencé, en faisant recenser des provinces isolées, l’exécution de ce projet, dont la continuation et l’achèvement ont été laissés à ses successeurs[8]. Mais, en supposant que l’expression dont s’est servi l’évangéliste, décret, δόγμα, pût s’entendre d’un simple projet, ou que ce projet, encore indéterminé, eût été, comme Hoffmann le pense, énoncé dans un décret, toujours est-il qu’au temps de la naissance de Jésus, un recensement romain était impossible dans la Judée.

Non seulement, d’après Matthieu, Jésus est né quelque temps avant la mort d’Hérode le Grand, puisqu’il est dit (2, 19), que Hérode ne mourut que pendant le séjour de Jésus en Égypte ; mais encore Luc, sans dire expressément que Jésus est né sous Hérode le Grand, prend, là où il annonce la naissance de Jean-Baptiste (1, 5), son point de départ aux jours du roi Hérode, ἡμέραις Ἡρώδου τοῦ βασιλέως, et six mois plus tard vient l’annonciation de la naissance de Jésus ; de sorte que, d’après lui, Jésus est né sinon avant, comme Jean-Baptiste, du moins peu de temps après la mort d’Hérode Ier. Or, après sa mort, la province de Judée (Matth. 2, 22), revint à son fils Archélaüs, qui, après un règne de près de dix ans, fut déposé et banni par Auguste[9] ; à dater de ce moment, la Judée fut réduite en province romaine et administrée par des employés romains[10]. Ainsi, il faudrait que le recensement romain dont il est ici question eût été fait ou sous Hérode le Grand lui-même, ou dans les premiers temps du règne d’Archélaüs. Cela est excessivement invraisemblable ; car, dans les pays qui n’étaient pas réduits en province, mais qui étaient administrés par des rois alliés, ces rois levaient les taxes eux-mêmes, et payaient aux Romains un tribut[11] ; c’était aussi de cette façon que les choses se passaient avant la déposition d’Archélaüs. On a fait différentes recherches pour rendre vraisemblable un recensement ordonné exceptionnellement par Auguste en Palestine dès le règne d’Hérode le Grand ; on rappelle que le tableau de l’empire, breviarium imperii, laissé par Auguste, renfermait aussi la situation financière de tout l’empire, et que peut-être l’empereur, pour connaître exactement les ressources de la Palestine, avait fait faire un recensement par Hérode[12]. De plus on invoque une particularité racontée par Josèphe : les relations qui subsistaient entre Auguste et Hérode ayant été troublées par une circonstance, le premier menaça le second de lui faire sentir qu’il n’était qu’un sujet[13] ; on fait valoir le serment que les Juifs, d’après Josèphe, furent obligés de prêter à Auguste, dès le vivant d’Hérode[14], et l’on suppose qu’Auguste, étant résolu à diminuer, après la mort d’Hérode, l’autorité de ses fils, a bien pu ordonner un recensement[15] dans les dernières années de ce prince. Peut-être aussi, l’absence d’Archélaüs, qui s’était rendu à Rome pour régler sa succession au trône, l’occupation de Jésusalem par le procurateur romain Sabinus, et l’oppression qu’il fit subir aux Juifs[16], sont-elles des circonstances qui semblent suggérer l’idée d’un recensement.

Mais il est inutile de discuter en détail ces combinaisons plus ou moins arbitraires, plus ou moins dénuées d’autorités historiques ; notre évangéliste nous dispense de ce soin, en ajoutant que le recensement dont il parle fut fait pendant que Quirinus était gouverneur de la Syrie, ἡγεμονεύοντος τῆς Συρίας Κυρηνίου. Or, il est certain que le recensement de Quirinus ne se fit ni sous Hérode, ni au commencement du règne d’Archélaüs, époque où Luc aussi place la naissance de Jésus ; alors Quirinus n’était pas encore gouverneur de la Syrie ; cet emploi fut rempli, dans les dernières années d’Hérode, par Sentius Saturninus, puis par Quintilius Varus ; ce ne fut que longtemps après la mort d’Hérode que Quirinus eut le gouvernement de la Syrie. Ce magistrat fit en effet un recensement ; cela est attesté par Josèphe[17], qui remarque en même temps que Quirinus fut envoyé pour y présider, le pays d’Archélaüs ayant été soumis au gouvernement de Syrie, τῆς Ἀρχελάου χώρας εἰς ἐπαρχίαν περιγραφείσης ou ὑποτελοῦς προσνεμηθείσης τῇ Σύρων[18]. Ainsi ce recensement est postérieur de dix ans à l’époque où, suivant Luc et Matthieu, Jésus aurait dû être né.

Luc paraît ici contredire incontestablement l’histoire ; et cependant les commentateurs ont cru pouvoir résoudre cette contradiction de différentes manières. Les plus intrépides ont déclaré que tout le second verset était une glose introduite de bonne heure dans le texte[19]. D’autres ont essayé de changer la leçon du texte ; parmi ces derniers, les uns, suivant l’exemple de Tertullien, qui attribue le cens à Saturninus[20], mettent dans le texte ce nom ou celui de Quintilius Varus[21] ; les autres font des modifications ou des additions aux autres mots. Le plus facile changement est celui que propose Paulus : il lit αὐτὴ ἡ ἀπογραφή, le recensement même, au lieu de αὕτὴ ἡ ἀπογραφή, ce recensement, et il admet que, dès le règne d’Hérode Ier, Auguste avait donné des ordres pour un recensement, et que les préparatifs en avaient déjà été poussés assez loin pour décider les parents de Jésus à se rendre à Bethléem ; qu’ensuite Auguste s’était apaisé, que l’affaire en était alors restée là, et que le recensement même, αὐτὴ ἡ ἀπογραφή, avait été fait assez longtemps après, sous Quirinus. Quelque peu considérable que soit ce changement de lecture, qui laisse les lettres intactes, il faudrait cependant, pour qu’il fut admissible, qu’il eût un appui dans le contexte même. Or, c’est le contraire : car, si l’on annonce, dans une phrase, l’édit d’un prince, et, dans la phrase suivante, l’exécution de cet édit, il n’est pas vraisemblable qu’un intervalle de dix ans se trouve entre la promulgation et l’exécution. Mais, ce qu’il faut surtout observer, l’évangéliste parlant, v. 1, du décret, et v. 2, de l’exécution postérieure de dix ans, aurait de nouveau, v. 3, parlé d’un voyage au temps du décret, sans faire remarquer l’intervalle de temps qui s’était écoulé ; cela né s’accorde avec aucune forme de narration raisonnable.

À des altérations aussi arbitraires du texte, il faut toujours préférer des tentatives où l’on cherche une issue par la seule voie de l’explication. À la vérité, prendre avec quelques uns πρώτη pour προτέρα, et ἡγεμονεύοντος Κυρηνίου, non pour un génitif absolu, mais pour un génitif régi par ce comparatif, et ainsi entendre un recensement avant celui de Quirinus[22], c’est faire violence à la grammaire ; ce n’est pas en faire moins à la critique que d’intercaler πρὸ τῆς après πρώτη[23]. On ne peut pas davantage admettre qu’il y ait eu, dès le vivant d’Hérode, un préliminaire du recensement fait plus tard par Quirinus ; que ce préliminaire, où Quirinus ne fut pas employé, fut peut-être le serment prêté à Auguste, et qu’ensuite ces deux opérations ont été comprises sous le même nom. Pour justifier, en quelque façon, cette dénomination, on suppose que peut-être Quirinus avait été envoyé en Judée, dès le vivant d’Hérode, en qualité de commissaire extraordinaire chargé d’établir les taxes[24] ; cette explication du mot ἡγεμονεύοντος est rendue impossible par l’addition du mot la Syrie ; car la locution de ἡγεμονεύοντος Συρίας ne peut signifier que præses Syriæ.

Ainsi au temps où Matthieu, 2, 1, et Luc, 1, 5, 26, placent la naissance de Jésus, il est impossible qu’il y ait eu un recensement ; et si les renseignements historiques sont exacts, ceux des évangélistes sont faux nécessairement. Mais ne se pourrait-il pas que les choses fussent inverses, et que Jésus fût né après le bannissement d’Archélaüs, au temps du recensement de Quirinus ? Indépendamment des difficultés dans lesquelles cette hypothèse nous jetterait pour la chronologie du reste de la vie de Jésus, il est impossible qu’un recensement romain, après le bannissement d’Archélaüs, ait appelé les parents de Jésus, de Nazareth en Galilée à Bethléem en Judée ; car la Judée seule et ce qui avait appartenu à Archélaüs devinrent province romaine, soumise au recensement ; en Galilée, Hérode Antipas resta avec la qualité de prince allié ; et aucun de ses sujets domiciliés à Nazareth ne pouvait être appelé à Bethléem pour y être recensé[25]. Ainsi l’évangéliste, pour avoir son recensement, se représente l’état du pays tel qu’il fut après la déposition d’Archélaüs ; et, en même temps, pour rendre cette opération commune à la Galilée, il se figure le royaume indivis comme il était sous Hérode le Grand. Il suppose donc des choses qui se contredisent évidemment, ou plutôt il n’a qu’une idée excessivement confuse des rapports politiques à cette époque ; tellement qu’il étend (il ne faut pas l’oublier) le recensement non seulement à toute la Palestine, mais encore à l’empire romain entier.

Cependant, à ces impossibilités chronologiques ne se bornent pas les difficultés ; la manière dont Luc rapporte que le recensement fut exécuté est sujette à de graves objections. Il dit d’abord que Joseph alla, à cause du cens, à Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la patrie de David, διὰ τὸ εἶναι αὐτὸν ἐξ οἴκου καὶ πατριᾶς Δαϐὶδ ; que chacun se rendait dans sa ville propre, εἰς τὴν ἰδίαν πόλιν, c’est-à-dire, d’après le contexte, au lieu d’où sa famille était originaire. On était en effet, dans les recensements juifs, obligé de se faire inscrire dans le lieu de sa tribu, parce que, chez les Juifs, l’organisation par famille et par tribu constituait la base de l’État ; les Romains, au contraire, opéraient le recensement dans les lieux de résidence et dans les chefs-lieux de districts[26]. Ils ne se conformaient aux usages des populations conquises qu’autant que ces usages ne gênaient pas leurs opérations ; or, ici, ces usages allaient directement contre leur but, puisqu’un particulier, comme Joseph, pouvait être appelé par le recensement dans des lieux très éloignés de sa résidence, où l’on ne connaissait pas son avoir, et où il était impossible de contrôler ses déclarations[27]. On admettrait donc plutôt avec Schleiermacher[28] que la vraie cause qui conduisit les parents de Jésus à Bethléem, fut une inscription sacerdotale que l’évangéliste a confondue avec le recensement de Quirinus, qu’il connaissait mieux. Mais cette concession n’ôterait pas la contradiction qui s’attache à la malheureuse assertion de Luc : il fait inscrire Marie avec Joseph (v. 5) ; or, d’après la coutume juive, l’inscription ne comprenait que les hommes[29]. Luc aurait donc commis au moins une inexactitude, en disant que le but du voyage de Marie avait été de se faire inscrire au lieu d’où son fiancé était originaire ; ou, si l’on évite cette inexactitude en forçant, avec Paulus, la construction de la phrase, on ne voit plus ce qui put décider Marie à entreprendre un tel voyage dans l’état de grossesse où elle se trouvait ; car elle n’avait absolument rien à faire à Bethléem, à moins qu’on ne suppose, par une hypothèse en l’air, avec Olshausen et d’autres, qu’elle était héritière de biens sis dans cette ville.

La vérité est que notre évangéliste savait fort bien ce qu’elle allait faire à Bethléem : elle allait y accomplir la prophétie de Michée, qui avait dit (5, 1) que le Messie naîtrait dans la ville de David. Partant de la supposition que les parents de Jésus avaient eu leur résidence véritable à Nazareth, il chercha un levier pour les amener à Bethléem au moment de la naissance de Jésus. Rien ne s’offrit à lui que le célèbre recensement ; il s’en empara avec d’autant moins d’hésitation que, se faisant une idée fort confuse de l’état politique du temps, il ignorait les nombreuses difficultés inhérentes à cette combinaison. S’il en est ainsi, il faudra convenir que K. Ch. L. Schmidt a toute raison de soutenir que, essayer d’accorder avec la chronologie le dire de Luc sur le recensement, c’est faire beaucoup trop d’honneur à l’évangéliste ; qu’il a voulu transporter Marie à Bethléem, et que, cela fait, les dates se sont arrangées comme elles ont pu[30]

Ainsi, nous n’avons ici ni un terme fixe pour la date de la naissance de Jésus, ni une explication de la cause qui amena sa naissance à Bethléem. Si donc, pouvons-nous dire dès à présent, on ne trouve aucune autre raison que celle de Luc pour admettre que Jésus est né à Bethléem, nous n’avons absolument aucune garantie que Bethléem soit le lieu de sa naissance.


§ XXXIII.


Circonstances particulières de la naissance de Jésus, avec la circoncision.

Ayant établi une fois que Marie et Joseph s’étaient rendus à Bethléem en qualité d’étrangers, à cause du recensement, Luc expose en conséquence les circonstances ultérieures du récit. L’affluence des étrangers à Bethléem empêcha Joseph et Marie de trouver place dans la maison de leur hôte ; ils furent obligés de s’accommoder dans une étable, où Marie mit aussitôt au monde son premier-né. Mais l’enfant qui, sous des apparences aussi peu brillantes, venait à l’existence sur terre, était d’un grand prix dans le ciel ; un messager céleste annonce à des bergers qui gardaient de nuit leurs troupeaux dans les champs, la naissance du Messie, et les adresse à l’enfant dans la crèche ; ils le cherchent et le trouvent après un hymne chanté par un chœur de l’armée divine (2, 6 — 20).

Les évangiles apocryphes et la tradition des Pères de l’Église ont orné encore davantage la naissance de Jésus. D’après le Protévangile de Jacques[31], Joseph conduit Marie sur un âne à Bethléem pour le recensement ; dans le voisinage de la ville, elle donne des signes tantôt de tristesse, tantôt de joie ; interrogée, elle répond qu’elle voit devant elle deux peuples, l’un pleurant, l’autre riant. C’est ainsi que jadis deux nations ennemies se heurtaient dans le sein de Rébecca, 1 Mos., 25, 23. D’après une des explications[32], les deux peuples signifiaient les deux parties d’Israël, à l’une desquelles l’apparition de Jésus sera une occasion de chute, εἰς πτῶσιν (d’après Luc, 2, 34), et à l’autre une occasion d’élévation, εἰς ἀνάστασιν ; d’après la seconde explication[33], ils signifient le peuple des Juifs, qui plus tard rejeta Jésus, et le peuple des païens, qui l’accueillit. Bientôt après, Marie est prise des douleurs de l’enfantement, en dehors de Bethléem, comme il semble d’après le contexte et d’après plusieurs variantes. Joseph la conduit dans une caverne située près du chemin ; et là, au milieu d’une pause solennelle de la nature entière, cachée par un nuage lumineux, elle met au monde son enfant. Des femmes appelées à son secours la trouvent vierge même après la délivrance.

La légende de la naissance de Jésus dans une caverne est connue déjà de Justin[34] et d’Origène[35]. Pour l’accorder avec le récit de Luc, qui dit que Jésus naquit dans une crèche, φάτνη, ils supposent qu’il se trouvait une crèche dans la caverne. Plusieurs modernes admettent cette supposition[36], tandis que d’autres aiment mieux que la caverne soit ce que Luc appelle φάτνη, dans le sens de magasin à fourrage[37]. Justin[38], pour la naissance dans la caverne, invoque la prophétie d’Isaïe, 33, 16 : Le juste habitera dans la caverne élevée de la forte pierre, οὗτος οἰκήσει ἐν ὑψηλῷ σπηλαίῳ πέτρας ἰσχυρᾶς. De même l’Hist. de la nat. de Marie, racontant que l’enfant Jésus, apporté le troisième jour de la caverne dans l’étable, fut adoré par le bœuf et l’âne, s’appuie sur Is., 1, 3 : Cognovit bos possessorem suum, et asinus præsepe domini sui[39]. Dans plusieurs des apocryphes cités, entre les femmes qui aident l’accouchement et les mages, les bergers sont omis ; mais ils se trouvent dans l’Évangile arabe de l’enfance, où, étant venus à la caverne et ayant allumé un feu de joie, ils voient l’armée céleste leur apparaître[40].

Maintenant, si nous prenons les circonstances racontées par Luc dans le sens surnaturel, plusieurs difficultés se présentent. D’abord on peut demander avec raison : À quoi devait servir l’apparition des anges[41] ? La réponse la plus naturelle est : Faire connaître la naissance de Jésus. Mais l’apparition angélique la fait si peu connaître, que les mages sont les premiers qui apportent dans Jérusalem, ville voisine, la nouvelle du roi des Juifs qui vient de naître ; et dans le courant de l’histoire il ne se trouve plus de trace de cet événement qui signala la naissance de Jésus. Ainsi le but de cette apparition extraordinaire ne peut pas avoir été de faire savoir au loin que Jésus était né, car autrement Dieu aurait manqué son but. Il faudrait donc admettre, avec Schleiermacher, qu’elle se bornait à agir immédiatement sur les bergers[42] ; alors il faudrait aussi supposer avec lui que ces bergers étaient remplis, comme Siméon, d’espérances messianiques, et que Dieu voulut récompenser et confirmer leur pieuse croyance par cette apparition. Mais le récit évangélique ne dit pas un mot d’une telle disposition des bergers ; il ne dit pas non plus qu’une impression durable ait été produite sur eux. En définitive, rien dans la narration ne paraît signaler l’apparition comme se rapportant aux bergers ; et ce miracle a uniquement pour but de glorifier et de faire connaître la naissance de Jésus comme Messie. Or, cette publicité, nous l’avons déjà remarqué, fut manquée ; quant à la glorification prise en elle-même, elle n’est qu’une vaine décoration, et par conséquent ce n’est pas un but digne de Dieu. Ainsi cette circonstance prise en elle-même forme une difficulté, qui n’est pas sans gravité, contre l’explication surnaturelle de cette histoire. Qu’on y ajoute les objections élevées plus haut contre l’apparition et même l’existence des anges, et l’on comprendra sans peine que pour ce récit aussi l’on ait essayé la voie de l’explication naturelle.

Les premières tentatives de cette dernière ont été fort grossières. Ainsi, Eck considère l’ange comme un messager de Bethléem, porteur d’une lumière qui frappa les yeux des bergers, et l’hymne des armées célestes comme le cri de joie de gens qui accompagnaient ce messager[43]. Paulus a disposé toute l’affaire avec plus de finesse et d’entente : Marie avait trouvé l’hospitalité dans une famille de bergers à Bethléem ; toute pleine de l’idée de mettre au monde le Messie, elle en parla aussi aux membres de cette famille, qui, en leur qualité d’habitants de la ville de David, pouvaient ne pas être insensibles à ce langage. Ces bergers, étant la nuit dans les champs, et ayant aperçu un météore lumineux, phénomène qui, au dire des voyageurs, n’est pas rare dans cette contrée, y virent un message céleste destiné à leur annoncer que la femme étrangère logée dans leur étable avait réellement mis au monde le Messie ; le météore s’étend et se meut çà et là : leur imagination se figure des armées d’anges qui célèbrent la naissance du Messie. Revenus dans la caverne, ils trouvent leurs espérances confirmées par l’événement, et eux-mêmes, qui n’avaient d’abord vu dans ce phénomène qu’un signe de ce qui allait arriver, transforment, à la façon des Orientaux, ce signe en des paroles réelles qu’ils auraient entendues[44].

Il faut supposer (car tout dépend de là dans cette explication) que les bergers avaient su d’avance quelque chose des espérances que Marie avait d’enfanter le Messie ; car autrement, comment auraient-ils pu en venir à considérer le météore justement comme un signe de la naissance du Messie dans leur étable ? Mais cela même forme la contradiction la plus formelle avec le récit évangélique. D’abord l’évangile ne suppose évidemment pas que l’étable leur ait appartenu ; après avoir raconté la délivrance de Marie dans l’étable, il passe aux bergers en termes qui indiquent un sujet nouveau et sans relation avec l’étable, de cette façon : et des bergers étaient dans le même lieu, καὶ ποιμένες ἦσαν ἐν τῇ χώρᾳ τῇ αὐτῇ. Si cette explication était véritable il y aurait eu au moins les bergers, etc., οἱ δὲ ποιμένες κτλ. ; le narrateur n’aurait pas non plus omis de parler des allées et venues des bergers dans l’étable pendant le jour, et de dire qu’ils n’étaient sortis pour garder leurs troupeaux qu’à l’approche de la nuit. Mais en supposant même ces circonstances, c’est une inconséquence de Paulus que de représenter Marie au commencement tellement silencieuse sur sa grossesse qu’elle ne la découvrit pas même à Joseph, puis tout à coup tellement communicative, qu’à peine arrivée, elle raconte devant des étrangers toute l’histoire de ses espérances. Au reste, en admettant que les bergers ont été instruits par Marie dès avant l’accouchement, Paulus contredit aussi la suite du récit ; car, d’après le texte, c’est par l’ange qui apparaît que les bergers reçoivent la première nouvelle de la naissance du Sauveur, σωτήρ ; et en signe de la vérité de cette nouvelle, il leur apprend qu’ils trouveront dans la crèche l’enfant nouveau-né. S’ils avaient déjà su par Marie quelque chose de la prochaine naissance du Messie, c’est le météore lumineux qui, pour eux, aurait servi de confirmation aux dires de Marie, et ce n’est pas la présence de l’enfant dans la crèche qui leur aurait certifié la véracité de l’apparition. Enfin, au point où nos recherches sont parvenues, nous pouvons y accorder assez de confiance pour demander où Marie, puisqu’il n’y avait eu ni annonciation miraculeuse ni conception surnaturelle, aurait puisé la ferme espérance d’enfanter le Messie.

À côté de cette explication naturelle, sujette à tant de difficultés, Bauer prétendit en donner une mythique[45], mais sans faire un pas au delà de l’interprétation naturelle, et il répéta, trait pour trait, l’exposition de Paulus. Gabler objecta, avec raison, contre cette explication mythique mixte, qu’elle accumulait, comme l’explication naturelle, trop d’invraisemblances ; que tout paraissait plus simple par l’adoption d’un mythe pur, dogmatique ; que par là, une plus grande harmonie se répandait sur cette primitive histoire du christianisme, dont jusque-là tous les morceaux ont dû être expliqués comme des mythes purs[46]. En conséquence. Gabler pense que le récit évangélique est le produit des idées du temps, qui exigeaient que les anges fussent occupés lors de la naissance du Messie. On savait, dit-il, que Marie avait accouché dans une maison de bergers ; on en conclut que les anges avaient dû apporter aussitôt à ces bons bergers la nouvelle de la naissance du Messie dans leur étable, et que ces êtres divins, louant Dieu continuellement, avaient ici aussi entonné un cantique. Un judéo-chrétien, qui avait déjà quelques données sur la naissance de Jésus, dit en terminant Gabler, n’a pu se la figurer autrement qu’elle n’est représentée ici[47].

L’explication de Gabler montre d’une manière remarquable combien il est difficile de se délivrer complètement de l’interprétation naturelle, et de s’élever tout à fait à l’interprétation mythique ; car, tandis que ce théologien croit être en plein sur le terrain mythique, il garde cependant encore un pied sur celui de l’explication naturelle. En effet, dans le récit de Luc, il accepte comme historique une particularité qui, par sa liaison avec les éléments non historiques et sa conformité avec l’esprit de l’antique légende chrétienne, apparaît comme purement mythique, à savoir, que Jésus est véritablement né dans une demeure de bergers ; et il emprunte à l’explication naturelle une supposition que l’explication mythique n’a nul besoin d’imposer au texte, à savoir, que les bergers qui eurent la prétendue apparition des anges étaient propriétaires de l’étable où Marie enfanta. La dernière de ces particularités tire toute sa valeur de la première ; or, ce qui a été dit de la naissance de Jésus dans une étable appartient à toute cette combinaison par laquelle Luc fait arriver, à l’aide du recensement, les parents de Jésus, de Nazareth à Bethléem. Nous savons maintenant ce qu’il faut penser de ce recensement ; il tombe sans ressource devant la critique, et en même temps tombe tout ce qui s’appuie là-dessus. Si les parents de Jésus n’étaient pas étrangers à Bethléem, s’ils n’y arrivèrent pas en même temps qu’une grande affluence appelée par la circonstance d’un recensement, il n’y a plus aucune raison pour croire que Marie ait été obligée de prendre une étable pour le lieu de son accouchement. D’un autre côté, rien ne concorde mieux avec l’esprit de l’ancienne légende, que de faire naître Jésus dans une étable et de le faire saluer d’abord par des bergers, et l’on conçoit clairement comment la légende a pu être amenée à inventer, de toutes pièces, le récit entier. Déjà Théophylacte en avait indiqué le véritable caractère, en disant que l’ange est apparu, non, à Jérusalem, aux pharisiens et aux scribes, qui étaient remplis de toute malice, mais dans la campagne, aux bergers, à cause de leur simplicité, de leur innocence, et à cause aussi qu’ils étaient, par leur genre de vie, les successeurs des patriarches[48]. C’est aussi dans la campagne et auprès des troupeaux que Moïse eut l’apparition céleste (2 Mos., 3, 1 seq.) ; et Dieu, d’après Ps. 78, 70 seq. (comparez 1 Sam., 16, 11), avait pris l’ancêtre du Messie, David, dans les huttes (près de Bethléem), pour être le pasteur de son peuple. En général, la mythologie de l’ancien monde attribue de préférence à des gens de la campagne[49] et à des bergers[50] les apparitions divines. Les fils des dieux et les grands hommes sont souvent élevés parmi les bergers[51]. C’est encore en conformité à l’ancienne légende que des apocryphes ont feint que Jésus était né dans une caverne ; ce qui rappelle la caverne de Jupiter et d’autres dieux[52] ; peut-être d’ailleurs le passage mal entendu d’Isaïe, 33, 16, a pu être l’occasion immédiate de ce trait[53]. De plus, la nuit, à moins que l’on ne veuille songer à des idées rabbiniques d’après lesquelles la délivrance par le Messie devait s’opérer, comme celle d’Égypte, pendant les ténèbres nocturnes[54], la nuit, disons-nous, dans laquelle la scène est placée, forme le fond obscur sur lequel la gloire du Seigneur, δόξα Κυρίου, se dessine avec d’autant plus d’éclat ; apparition qui, ayant été présente à la naissance de Moïse[55], ne pouvait manquer à celle du Messie, image de Moïse supérieure à son modèle. L’explication mythique de ce chapitre a trouvé un adversaire en Schleiermacher[56]. Il juge invraisemblable que ce commencement du deuxième chapitre de Luc soit la continuation du précédent et du même auteur ; car plusieurs occasions se présentaient de se livrer à des effusions lyriques, par exemple lors du retour des bergers glorifiant et louant le Seigneur, V. 20, et il n’est pas fait usage de ces occasions comme dans le chapitre premier. Peut-être Schleiermacher a-t-il raison d’admettre ici des auteurs différents ; mais, lorsqu’il conclut que, si ce récit portait une empreinte exclusivement poétique, les effusions lyriques y tiendraient plus de place, visiblement Schleiermacher n’a pas saisi l’esprit de la poésie mythique, de celle dont il s’agit ici. La poésie mythique ne cherche pas ses inspirations dans l’âme même du poëte ; elle se concentre tout entière dans la scène et le récit qu’elle crée : aussi peut-elle paraître sous la forme la plus simple, et sans aucune de ces effusions lyriques qui sont bien plutôt l’addition postérieure d’une poésie plus habile et plus maîtresse de ses moyens[57]. En tout cas, nous avons, ce semble, les paragraphes qui se suivent ici, sous une forme plus voisine de la forme primitive de la légende, tandis que les récits du premier chapitre dans Luc portent davantage l’empreinte du travail poétique d’un individu ; mais, pas plus d’un côté que de l’autre, il ne faut chercher de réalité historique : aussi ne doit-on voir qu’un exercice de sagacité dans la prétention que Schleiermacher a mise en avant de montrer la source d’où ce récit est passé dans l’évangile de Luc. Il ne veut pas que ce récit vienne de Marie, bien qu’on pût s’y croire autorisé par le verset 19, où il est dit qu’elle renferma tous ces discours dans son cœur ; et il a d’autant plus raison que ce verset, dont Schleiermacher ne tient aucun compte, n’est qu’une phrase prise dans l’histoire de Jacob et de Joseph. La Genèse raconte de Jacob, en sa qualité de père de cet enfant merveilleux, qu’il renferma, tout pensif, dans son cœur les paroles de Joseph, qui venait de raconter ses rêves prophétiques, et à qui pour cela ses frères portaient envie ; de même, pendant les merveilles de la naissance de Jésus, le récit de Luc attribue ici et plus bas (2, 51) à Marie une attitude pleine de convenance ; et, tandis que les autres expriment à haute voix leur étonnement, elle, silencieuse et méditative, renferme en elle-même ce qu’elle voit et ce qu’elle entend[58]. C’est donc ailleurs que Schleiermacher cherche la source du récit de Luc ; suivant lui, les bergers en sont les auteurs, et cela, parce que tout est raconté, non du point de vue de Marie, mais de leur point de vue. Il faut dire bien plutôt que tout est raconté du point de vue de la légende, car elle plane également sur Marie et sur les bergers. Schleiermacher trouve impossible que ce récit soit une bulle d’air formée de rien ; ce n’est donc rien, suivant lui, que les idées des Juifs et des premiers chrétiens sur Bethléem, qu’ils croyaient devoir être nécessairement le lieu de la naissance du Messie ; sur l’état pastoral, qu’ils regardaient comme particulièrement honoré d’un commerce avec le ciel ; sur les anges, dont ils faisaient les intermédiaires de ce commerce. Il nous est impossible d’estimer si peu cet ensemble d’opinions, et nous comprenons sans peine comment il a pu en naître quelque chose de semblable au récit de Luc. Enfin il ajoute qu’il n’y peut voir une fiction soit accidentelle, soit préméditée, parce qu’il aurait été trop facile aux chrétiens de cette localité de s’en enquérir auprès de Marie ou des apôtres ; mais c’est trop parler dans le style des anciens apologistes, et c’est supposer que ces personnages, en vertu d’une ubiquité dont il a été question dans l’Introduction, auraient pu être présents dans tous les lieux où une tendance à la formation des légendes chrétiennes se faisait sentir.

La notice de la circoncision de Jésus, Luc, 2, 21, provient évidemment de quelqu’un qui, sans avoir de renseignement réel sur cette scène, regarda comme certain, conformément à la coutume juive, que cette cérémonie se fit ainsi que d’ordinaire, le huitième jour après la naissance, et qui voulut signaler, chez Jésus, ce moment de la vie d’un enfant israélite. Paul (Phil. 3, 5)[59], de la même façon, s’était vanté de sa circoncision au huitième jour, περιτομῇ ὀκταήμερος. Tandis que cette cérémonie sert, dans la vie de Jean-Baptiste, de texte à une description étendue et ornée (1, 59 seq.), elle est traitée ici pour Jésus avec sécheresse et brièveté. Ce contraste frappant a fait dire à Schleiermacher, peut-être avec raison, que du moins ici l’auteur du chapitre premier n’est plus le rédacteur. Les choses étant ainsi, nous n’avons à apprendre, dans le récit de la circoncision, rien qui importée notre but, si ce n’est une observation sur la prétendue détermination du nom de Jésus dès avant sa naissance ; nous pouvions déjà savoir, mais nous n’avions pas encore eu l’occasion de remarquer expressément, que cette détermination fait partie de l’enveloppe mythique de tout le récit. Il est dit dans notre verset que le nom de Jésus fut fixé par l’ange avant qu’il fût conçu dans le ventre de sa mère, κληθὲν ὑπὸ τοῦ ἀγγέλου πρὸ τοῦ συλληφθῆναι αὐτὸν ἐν τῇ κοιλίᾳ ; or, l’importance qu’on y attache montre que cette détermination a été dictée par un intérêt dogmatique ; intérêt qui ne peut être autre que celui qui, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, a fait dire des noms d’un Isaac, d’un Ismaël et d’un Jean, qu’ils avaient été révélés, avant la naissance, aux parents des enfants ; intérêt en vue duquel aussi les rabbins attendaient une révélation divine pour le nom du Messie[60]. Certainement ce furent bien plutôt des motifs tout à fait naturels qui décidèrent les parents de Jésus à lui donner ce nom très commun chez leurs compatriotes (ישוע abrégé de יהושע, c’est-à-dire Κύριος σωτηρία, le Seigneur est le salut). Ce nom concorda d’une manière significative avec la vocation qu’il se fit plus tard de Messie et de Sauveur ; on crut ne pas pouvoir considérer cette coïncidence comme un effet du hasard ; il parut aussi plus convenable de faire déterminer le nom du Messie par la volonté divine que par l’arbitraire humain ; et c’est ainsi que l’ange chargé d’annoncer la conception fut aussi chargé de fixer ce nom.


§ XXXIV.


Les mages et leur étoile ; la fuite en Égypte et le massacre des innocents
à Bethléem ; critique de l’opinion des supranaturalistes.

À côté du récit de Luc sur l’introduction du Messie nouveau-né dans le monde, marche parallèlement, dans Matthieu, un récit qui n’en est pas moins notablement différent (2, 1 seq.). Il a aussi pour but de décrire la venue solennelle de l’enfant messianique, la première annonciation de sa naissance, dont le ciel même se chargea, et le premier accueil qu’il trouva parmi les hommes[61]. D’après les deux récits, une apparition céleste appelle l’attention sur le Messie nouveau-né ; d’après Luc, c’est un ange entouré de lumière ; d’après Matthieu, c’est une étoile. Les sujets auxquels le signe apparaît sont différents comme le signe même : là ce sont de simples bergers à qui l’ange parle ; ici ce sont des mages orientaux qui savent eux-mêmes interpréter le signe muet. Les uns et les autres sont adressés à Bethléem, les bergers par les paroles de l’ange, les mages après avoir pris des renseignements à Jérusalem ; et les uns et les autres rendent hommage à l’enfant, les bergers par des cantiques qu’ils entonnent, les mages par des présents précieux, productions de l’Orient, leur patrie. Mais, à partir de là, les deux récits commencent à diverger plus notablement. Dans Luc, tout se passe heureusement : les bergers reviennent joyeux et l’enfant n’éprouve aucun mal ; il peut même être présenté dans le temple au temps voulu, et il continue à croître en paix. Dans Matthieu, au contraire, la chose prend une tournure tragique : les mages, en s’enquérant, dans Jérusalem, du roi nouveau-né des Juifs, provoquent de la part d’Hérode un ordre sanguinaire contre les enfants de Bethléem ; l’enfant Jésus n’y est soustrait que par la prompte fuite qui l’emporte dans l’Égypte voisine, et il ne revient dans la Terre-Sainte qu’après la mort d’Hérode.

Nous avons donc ici une double introduction de l’enfant messianique, et nous pouvons nous la représenter ainsi : l’une, dans Luc, a pour but d’apprendre au voisinage la naissance de Jésus ; l’autre, dans Matthieu, de la faire savoir aux contrées éloignées. Mais, d’après Matthieu, la naissance de Jésus n’est connue dans le voisinage même, c’est-à-dire à Jérusalem, que par l’étoile ; en conséquence, si ce récit est historique, celui de Luc, d’après lequel les bergers, louant Dieu, racontent partout (v. 17, 20) ce qui leur avait été annoncé comme l’affaire de tout le peuple (v. 10) ne peut plus être vrai ; et réciproquement, si, d’après Luc, la naissance de Jésus a été rendue publique dans la région de Bethléem par un ange et par l’intermédiaire des bergers, ce que dit Matthieu doit être faux, lui qui ne fait arriver que plus tard, par les mages, la première nouvelle de cette naissance à Jérusalem, éloignée de Bethléem seulement de deux ou trois heures de marche. Or, plusieurs motifs nous ont décidé à regarder comme non historique le récit que fait Luc de l’annonciation de la naissance par les bergers ; il nous resterait donc de la place pour celui de Matthieu, et il faut chercher en des motifs intrinsèques la croyance historique qu’il mérite.

La narration commence absolument comme s’il allait sans dire que des astrologues sont en état de reconnaître, dans un astre annonçant la naissance du Messie, la signification de ce phénomène. Nous pourrions nous étonner que des mages païens aient eu, au fond de l’Orient, des notions sur un roi juif à qui ils devaient payer le tribut d’une adoration ; quant à présent, nous nous tiendrons pour satisfaits, en sachant que, soixante-dix ans plus tard, l’attente d’un dominateur du monde qui devait naître au sein du peuple juif était répandue dans l’Asie[62]. Une difficulté plus grave nous arrête ici : C’est que l’astrologie, comme il le paraît d’après ce récit, aurait raison quand elle soutient que la naissance des grands hommes et les mutations considérables des choses humaines sont annoncées par des phénomènes astronomiques. Or, depuis longtemps cette opinion est tombée dans le domaine de la superstition. Il faudrait alors tenter d’expliquer comment cet art trompeur a pu avoir raison dans ce cas particulier, sans qu’on dut en rien conclure pour d’autres cas. Le parti le plus court pour l’orthodoxie serait d’invoquer une dispensation extraordinaire de Dieu, qui, pour amener de loin les mages auprès de Jésus, s’accommoda, cette fois, à leurs idées astrologiques, et fit apparaître à leurs yeux l’étoile qu’ils attendaient. Mais, avec cet expédient, on se plonge dans un embarras considérable ; une telle concordance entre l’événement le plus remarquable et la divination astrologique devait confirmer dans leur foi à cette science mensongère non seulement les mages et leurs compatriotes, mais encore les Juifs et les chrétiens qui apprirent ces merveilles, et causer par là une erreur et un mal incalculables. Donc, s’il n’est pas convenable de faire intervenir ici une dispensation extraordinaire de Dieu[63], et si cependant on ne veut pas non plus admettre que, d’après le cours régulier de la nature, des changements astronomiques concourent avec des événements importants qui se passent sur la terre, il faudrait admettre, dans ce cas particulier, une coïncidence fortuite ; mais invoquer le hasard, c’est ou ne rien dire, ou abandonner le point de vue surnaturel.

Non seulement l’opinion orthodoxe sur le récit en question confirme la fausse science des astrologues, mais encore elle justifie une fausse explication d’une prophétie ; car, tandis que les mages qui suivent leur étoile prennent la bonne route, les chefs des prêtres et les scribes de Jérusalem, qu’Hérode convoque sur la nouvelle de l’arrivée et du dessein des mages, et qu’il interroge sur le lieu de la naissance du roi des Juifs, expliquent le passage du prophète Michée, 5, 1, comme signifiant que le Messie devait naître à Bethléem ; et cette explication est confirmée par l’événement. Cependant ce n’était une interprétation qu’à la manière des rabbins, qui, comme on sait, torturaient les mots ; car, indépendamment de la question de savoir si par le mot מושל, dominateur, du passage cité, il faut entendre, oui ou non, le Messie, tout le contexte du chapitre de Michée prouve qu’il s’agit, non de la naissance, à Bethléem, du dominateur attendu, mais de sa descendance de la race de David, lequel était originaire de cette ville[64]. Donc, si les mages ont été conduits au but véritable, grâce à l’explication rabbinique de la prophétie, une fausse explication a, pour cette fois, rencontré la vérité, soit par un accommodement de Dieu, soit par l’effet du hasard. Or, cela a été jugé plus haut.

Après la réponse donnée par le sanhédrin, Hérode appelle les mages, et sa première question est de leur demander à quel temps l’étoile leur est apparue (v. 7). Quel besoin avait-il de le savoir[65] ? Le verset 16 nous apprend qu’il voulait se faire une idée de l’âge de l’enfant messianique, afin de juger jusqu’à quel âge il devait ordonner la mort des enfants de Bethléem, pour ne pas manquer celui que l’étoile avait désigné. Mais ce plan de comprendre dans un massacre de tous les enfants jusqu’à un certain âge celui qui lui était fatal ne fut conçu par Hérode qu’après le mécompte que lui causèrent les mages en ne revenant pas à Jérusalem, et auquel il ne s’était pas attendu, à en juger par la violente colère qu’il en ressentit (v. 16). Auparavant, son dessein était, d’après le verset 8, de se faire décrire par les mages, à leur retour, l’enfant, sa demeure et le reste, afin de ne pas le manquer plus tard, et de le faire disparaître sans en égorger d’autres. Ce fut seulement le manque de parole des mages qui l’obligea à prendre l’autre mesure, pour l’accomplissement de laquelle il avait besoin de savoir quand l’étoile était apparue[66]. Combien donc ne fut-il pas heureux pour lui de s’être informé tout d’abord du temps de l’apparition, même sans avoir encore décidé le massacre ! Aussi combien n’est-il pas inconcevable que, de ce qui dans son premier projet n’était qu’accessoire, il ait fait l’affaire principale et l’objet de sa première question (les ayant appelés, — il s’informa, etc., καλέσας — ἠκρίϐωσε, κτλ., v. 7).

Le second objet de l’entrevue d’Hérode avec les mages est de les charger de s’informer exactement de tout ce qui concerne l’enfant royal et de l’en instruire à leur retour, afin qu’il pût aussi se rendre à Bethléem et lui offrir son adoration, c’est-à-dire, d’après ses intentions réelles, le faire mettre à mort avec sûreté (v. 8). Il est difficile de comprendre que le rusé Hérode s’y soit pris de cette façon, et c’est ce qu’on a remarqué depuis longtemps[67]. Il ne pouvait pas compter que les mages eussent foi en ses paroles, d’autant plus qu’il avait mal caché ses mauvaises intentions ; et, en tout cas, il devait craindre que leur attention ne fût éveillée par d’autres sur la probabilité de ses projets menaçants pour l’enfant, et qu’ils ne revinssent pas lui rendre compte. Il était supposable encore que les parents de Jésus, informés du dangereux intérêt qu’il prenait à leur enfant, se mettraient en sûreté par la fuite ; et que ceux qui, à Bethléem et dans les environs entretenaient l’attente du Messie, ne seraient pas peu fortifiés dans leurs espérances par l’arrivée des mages. Par toutes ces raisons, Hérode devait, ou bien retenir les mages à Jérusalem[68], et, pendant ce temps-là, faire disparaître par de secrets émissaires l’enfant, si facile à découvrir dans la petite ville de Bethléem, auquel des espérances si particulières se rattachaient, ou bien donner aux mages des compagnons qui ôteraient, de la manière la plus sûre, la vie à l’enfant dès que les voyageurs orientaux l’auraient découvert. Olshausen lui-même trouve que ces remarques ne sont pas sans fondement, et en définitive il ne sait y répondre qu’en disant que l’histoire de tous les temps présente des oublis incompréhensibles qui montrent seulement qu’une main supérieure dirige le cours des événements humains. Quand le supranaturaliste invoque ici une main supérieure, il doit entendre que Dieu même aveugla Hérode, ordinairement si prudent, lui fit manquer le moyen sûr d’atteindre son but, et sauva ainsi l’enfant messianique d’une mort prématurée. Mais cette dispensation divine a eu une autre face : c’est que, à la place d’un enfant, plusieurs autres ont dû périr. Il n’y aurait rien à objecter si l’on pouvait prouver que c’était là le seul moyen de sauver Jésus d’un sort inconciliable avec le but de la rédemption. Or, du moment que l’intervention surnaturelle de Dieu est admise pour aveugler Hérode et pour inspirer plus tard aux mages de ne pas repasser par Jérusalem, on demandera pourquoi cette intervention ne s’exerça pas aussi pour leur inspirer tout d’abord d’éviter Jérusalem par un détour, et de se rendre directement à Bethléem, précaution qui aurait empêché l’attention d’Hérode de s’éveiller si immédiatement, et qui aurait peut-être prévenu tout le mal[69]. Au point de vue orthodoxe, il ne reste plus qu’à répondre dans le style tout à fait ancien, qu’il a été bon pour les enfants de périr si jeunes, parce qu’une si courte souffrance les a soustraits à beaucoup de misères, et notamment au danger de prendre part au péché d’incrédulité des Juifs à l’égard de Jésus, parce qu’ils ont eu l’honneur de perdre la vie et de devenir martyrs pour la cause du Christ, etc.[70].

Maintenant, les mages quittent Jérusalem de nuit, temps pendant lequel les Orientaux aiment à voyager ; l’étoile, qu’ils ne paraissent plus avoir vue depuis qu’ils ont quitté leur patrie, se montre de nouveau à eux, et les précède sur la route de Bethléem, jusqu’à ce qu’enfin elle s’arrête sur la demeure de l’enfant et de ses parents. De Jérusalem à Bethléem, la route va au sud ; la vraie direction des astres mobiles est de l’ouest à l’est, comme celle des planètes et d’une partie des comètes, ou de l’est à l’ouest, comme celle d’une autre partie des comètes ; et, si plusieurs comètes marchent presque dans la direction du nord au sud, le mouvement propre et véritable de ces astres est tellement surpassé par leur mouvement apparent, que produit la révolution diurne de la terre, et qui va de l’est à l’ouest, que, dans le court intervalle de deux ou trois heures nécessaire pour le voyage de Bethléem, le mouvement réel n’a pu être aperçu, et que tout au plus le mouvement apparent a pu l’être. Mais dans un court voyage ce déplacement des astres frappe moins les yeux que l’illusion d’optique qui est l’effet du déplacement de l’observateur, et en vertu de laquelle un astre placé devant nous paraît, si nous marchons en avant, nous précéder dans les espaces infinis ; par conséquent il ne peut s’arrêter sur une maison déterminée, et engager par là un voyageur à s’y arrêter également ; loin de là, c’est parce que le voyageur s’arrête que l’étoile semble aussi s’arrêter. En conséquence, l’étoile des mages ne pourrait pas avoir été une étoile ordinaire, naturelle ; mais il faudrait, comme l’ont admis quelques Pères de l’Église[71], que c’eût été une étoile créée exprès pour cet objet, que le créateur aurait mue et arrêtée d’après une règle particulière ; mais ce ne pourrait pas, non plus, être une étoile véritable, à la hauteur et dans la sphère des étoiles ; car un tel astre, de quelque manière qu’on veuille le mouvoir et le fixer, ne peut jamais, d’après les lois de l’optique, paraître s’arrêter immobile au-dessus d’une maison. Il faudrait donc que c’eut été quelque corps se mouvant plus bas au-dessus de la terre : aussi quelques Pères de l’Église et les apocryphes[72] ont supposé un ange qui pouvait sans doute voler au-devant des mages sous la forme d’une étoile, et s’arrêter dans Bethléem au-dessus de la maison de Marie, à une hauteur médiocre ; des modernes ont conjecturé que c’était un météore[73] ; double conjecture qui est contraire au texte de Matthieu ; la première, parce qu’il n’est pas dans les habitudes de nos évangiles de désigner quelque chose de purement surnaturel, tel qu’une apparition angélique, par une expression d’apparence naturelle, telle qu’un astre, ἀστρήρ ; la seconde, parce qu’un simple météore ne suffit pas pour tout le temps que les mages mirent à venir de leurs lointaines demeures jusqu’à Bethléem ; à moins qu’on ne veuille admettre que Dieu avait créé pour le voyage des mages de Jérusalem à Bethléem un météore nouveau, et tout autre que celui qu’il leur avait montré dans leur patrie.

Plusieurs commentateurs orthodoxes se sont trouvés tellement pressés par les difficultés relatives à l’étoile, qu’ils ont fait tous leurs efforts pour éviter d’admettre qu’un astre avait précédé les mages jusqu’à Bethléem et s’était arrêté sur une maison : aussi l’explication de Süskind a-t-elle trouvé beaucoup d’approbateurs. Suivant lui, le verbe προῆγεν (v. 9), qui est à l’imparfait, ne signifie pas que l’astre précédait visiblement les mages dans leur marche, mais il signifie, comme s’il était au plus-que-parfait, qu’il était arrivé avant eux sans leur avoir été visible ; de sorte que l’évangéliste veut dire : l’étoile que les mages avaient vue en Orient, et que depuis ils n’avaient plus aperçue, reparut soudainement à Bethléem sur la maison de l’enfant ; par conséquent elle les avait précédés[74]. Mais c’est transporter, sur le terrain de l’exégèse orthodoxe, des artifices du rationalisme ; car non seulement le verbe précédait, προῆγεν, mais encore les mois jusqu’à ce que l’étoile vînt, ἕως ἐλθὼν κτλ., représentent la marche de l’astre comme un phénomène qui n’avait pas cessé précédemment, mais qui se continuait encore sous les jeux des mages. C’est ce qu’une interprétation arbitraire peut seule méconnaître ; et alors, pour être conséquente, elle devrait aller encore plus loin, et faire de ce récit merveilleux un récit naturel. De même, quand Olshausen accorde qu’une étoile, à cause de sa position dans la sphère céleste, ne peut désigner une maison isolée, mais ajoute que les mages ont bien été forcés de s’enquérir de la demeure de l’enfant, et que seulement ils ont, avec une simplicité naïve, rattaché le commencement et la fin de leur voyage à ce guide céleste[75], il met le pied sur le terrain du rationalisme, et il intercale des explications naturelles entre les lignes du texte biblique, ce qu’il reproche ailleurs avec raison à Paulus et à d’autres.

Les mages entrent alors dans la maison, offrent à l’enfant leur adoration, et lui font présent de productions de leurs contrées (v. 11). On pourrait s’étonner ici qu’il ne soit fait aucune mention de la surprise que durent éprouver ces hommes en voyant, au lieu du prince qu’ils attendaient, un enfant dans des conditions tout à fait ordinaires et peut-être nécessiteuses[76]. Pourtant, il ne faudrait pas pousser le contraste assez loin pour supposer, comme c’est l’ordinaire, les mages trouvant l’enfant dans l’étable et dans la crèche ; car Luc seul parle de ces particularités ; Matthieu n’en dit pas un mot : il est seulement question d’une maison, οἰκία, où était l’enfant. Aussitôt après, les mages reçoivent en songe (v. 12) l’avertissement d’éviter Jérusalem ; on aurait pu seulement souhaiter, comme il a été dit, que cet avertissement fût venu plus tôt, ce qui aurait peut-être évité le massacre des enfants qui suivit.

Pendant qu’Hérode attend le retour des astrologues, une apparition angélique avertit en rêve Joseph de mettre en sûreté, dans l’Égypte voisine, le Messie enfant avec sa mère (v. 13-15). Les données de l’évangéliste étant acceptées, cela ne présente aucune difficulté ; mais ce qui en a, c’est la prédiction d’Osée qui a dû par là être accomplie, ex Ægypto vocavi filium meum, 11, 1 ; car, si le prophète fait dire ici à Jehovah : Quand Israël était un enfant, je l’aimais, et j’ai appelé d’Égypte mon fils, on peut supposer, même à l’interprète le plus orthodoxe, assez de justesse d’esprit pour voir qu’il ne peut être question d’un autre sujet dans le second hémistiche que dans le premier ; ce sujet est le peuple d’Israël, qui est appelé fils de Dieu, ici comme ailleurs (par ex. : 2 Mos. 4, 22 ; Sirach 36, 14) ; et c’est de la sortie d’Égypte, sous Moïse, qu’il s’agit ici ; par conséquent le prophète n’a songé ni au Messie, ni à son séjour futur en Égypte. Et cependant, comme notre évangéliste (v. 15) dit que la fuite de Jésus en Égypte a été ordonnée afin que les paroles d’Osée fussent accomplies, il les a entendues comme une prophétie se rapportant au Christ, et par conséquent il les a mal entendues. On a voulu arguer d’un double sens dans le passage du prophète : l’un immédiat et s’appliquant au peuple d’Israël, l’autre médiat et s’appliquant au Christ, parce que le destin de l’Israël corporel était le type des destins de Jésus ; cela est d’autant moins admissible, que dans notre cas cette typologie est toute extérieure et sans signification : il n’y a de commun des deux côtés que le fait du séjour en Égypte ; les circonstances dans lesquelles le peuple d’Israël et l’enfant Jésus ont séjourné en Égypte sont complètement différentes[77].

Le retour des mages se fait attendre assez longtemps pour qu’Hérode puisse remarquer qu’ils n’ont pas l’intention de lui tenir parole ; il prononce un arrêt de mort contre tous les enfants mâles de Bethléem et des environs compris dans la catégorie de l’âge à laquelle devait appartenir l’enfant-Messie, d’après le dire des mages sur l’époque de l’apparition de l’étoile (v. 16-18). Sans doute Hérode pouvait facilement apprendre que l’enfant qui avait reçu de si riches présents n’était plus à Bethléem ; mais, si une rage aussi aveugle n’est pas aussi incompatible avec le caractère de ce vieux prince que Schleiermacher le pensait, on devrait du moins s’attendre à trouver dans d’autres écrivains quelque mention d’un massacre aussi horrible[78] : or, ni Josèphe, qui donne beaucoup de détails sur Hérode, ni les rabbins, qui le poursuivent de leurs accusations, ne disent un seul mot de cet ordre. Ces derniers rattachent également le voyage de Jésus en Égypte à une scène de carnage qui a pour auteur, non Hérode, mais le roi Jannée, et qui atteint, non des enfants, mais des rabbins[79]. Il y a là, au fond, une confusion entre l’événement connu par l’histoire chrétienne et un événement plus ancien, car Alexandre Jannée était mort quarante ans avant la naissance de Jésus-Christ. Macrobe, qui vivait dans le ive siècle, est le seul qui dise un mot du massacre ordonné par Hérode, mais le passage où il en parle n’a aucune valeur : car l’exécution d’Antipater, connue par Josèphe, lequel Antipater était si peu un enfant qu’il se plaignait déjà de grisonner[80], il la confond avec le massacre des enfants célèbres parmi les chrétiens[81].

On a cherché, en rappelant le peu d’enfants de l’âge désigné qui pouvaient se trouver dans la petite ville de Bethléem, à diminuer ce qu’un pareil silence a d’étonnant, et l’on a remarqué que, parmi les nombreux forfaits d’Hérode, ce forfait avait disparu comme une goutte dans la mer[82]. Mais le massacre, même d’un petit nombre d’enfants innocents a quelque chose de particulièrement abominable, et cet acte, s’il était réel, n’aurait pu être aussi complètement oublié[83]. Remarquons en outre qu’aux versets 17 et 18, une prophétie (Jérém., 31, 15) est signalée comme accomplie par ce massacre des enfants ; or, cette prophétie se rapportait originairement à une circonstance tout autre, c’est-à-dire à la translation des Juifs à Babylone, et il n’y est fait aucune allusion à un événement reculé dans l’avenir.

Pendant que l’enfant Jésus reste en Égypte avec ses parents, Hérode Ier meurt, et Joseph est invité par un ange qui lui apparaît en songe à retourner dans sa patrie ; mais, comme Archélaüs, successeur d’Hérode dans la Judée, était à craindre, un second songe désigne Nazareth en Galilée, où règne Hérode Antipas, prince plus doux, comme le lieu où Joseph doit se fixer (v. 19-23). Ainsi, dans ce chapitre, nous aurions cinq dispensations divines extraordinaires, à savoir : une étoile et quatre visions en songe. Déjà l’étoile et la première vision auraient pu, comme il a été remarqué plus haut, être réunies en un seul miracle, non seulement sans inconvénient, mais encore avec avantage ; c’est-à-dire que l’étoile ou la vision en songe aurait dû conduire les mages tout d’abord de Jérusalem à Bethléem, ce qui, peut-être, aurait évité le massacre qu’Hérode devait ordonner. Mais ce qui est tout à fait superflu, c’est que les deux derniers avertissements en songe ne soient pas réunis en un seul ; car l’avis donné à Joseph de se rendre à cause d’Archélaüs, non à Bethléem, mais à Nazareth, aurait pu, au lieu de faire l’objet d’une vision particulière, être donné simplement dans la vision précédente. Quand on voit le merveilleux ainsi prodigué sans aucun égard pour la lex parcimoniæ, on est tenté d’attribuer cette profusion plutôt aux opinions humaines qu’à la providence divine.

Les fausses explications de passages de l’Ancien Testament qu’offre ce chapitre sont couronnées par le dernier verset où il est dit : que par l’établissement des parents de Jésus à Nazareth a été accomplie la prédiction des prophètes, il sera appelé Nazaréen, ὅτι Ναζωραῖος κληθήσεται. Or, cette prophétie ne se trouve pas avec les mêmes termes dans l’Ancien Testament ; et, à moins que, perdant courage, on ne veuille se réfugier dans les ténèbres, en admettant qu’elle a été prise ou à un livre canonique perdu[84] ou à un apocryphe perdu[85], il faut adresser à l’évangéliste l’un ou l’autre de ces reproches : ou bien il s’est permis une désignation extrêmement arbitraire si, ainsi que le prétendent quelques théologiens, il a exprimé le sens des prophéties de l’Ancien Testament qui annonçaient que le Messie serait méprisé, en disant qu’il sera un Nazaréen, c’està-dire habitant d’une petite ville méprisée[86] ; ou bien il faut lui imputer d’avoir défiguré le sens de la manière la plus grossière ou dénaturé violemment les mots s’il a prétendu reproduire le mot נזיר nasir : cette expression, si d’ailleurs on la trouvait, dans l’Ancien Testament, appliquée au Messie, signifierait ou Nasiréen[87], ce que Jésus n’a jamais été, ou couronné[88] comme Joseph, 1 Mos., 49, 26, mais elle ne pourrait jamais signifier un homme élevé dans la petite ville de Nazareth. L’interprétation la plus vraisemblable de ce passage, laquelle a en sa faveur l’autorité des judéo-chrétiens consultés par saint Jérôme, c’est que l’évangéliste fait ici allusion au passage d’Isaïe, 11, 1, où le Messie est appelé נצר ישי, surculus Jesse, rejeton de Jesse, comme ailleurs צמח[89] ; dans tous les cas, c’est toujours faire la même violence au mot, et transformer une simple désignation du Messie en un rapport avec le nom de la ville de Nazareth, rapport qui lui est complètement étranger.


§ XXXV.


Essais d’explications naturelles pour l’histoire des mages.
Transition à l’explication mythique.

Pour éviter les nombreuses difficultés qui arrêtent à chaque pas l’explication surnaturelle de ce chapitre, il fallut essayer d’une autre explication qui, sans rien admettre de surnaturel, pût rendre raison de tout, d’après les lois physiques et psychologiques. Cette tâche, qu’il valait bien la peine de tenter, c’est Paulus qui s’en est le mieux acquitté.

La première difficulté est : Comment se fait-il que des mages païens des contrées lointaines de l’Orient aient su quelque chose de la naissance prochaine d’un roi juif ? On l’écarte en transformant ces hommes en Juifs étrangers. Mais cette transformation est, ce semble, en contradiction complète avec le texte de l’évangéliste ; car, en mettant dans la bouche des mages la question : Où est le roi des Juifs qui a été enfanté ? Ποῦ ἐστιν ὁ τεχθεὶς βασιλεὺς τῶν Ἰουδαίων ; v. 2, il les fait se distinguer des Juifs. Quant à la tendance de tout le récit, l’Église ne paraît pas avoir autant de tort que le pense Paulus, quand elle considère la visite des mages comme la première reconnaissance du Christ parmi les païens. Néanmoins, comme il a été remarqué plus haut, cette difficulté peut se lever sans admettre la supposition de Paulus.

D’après l’explication naturelle, le but réel du voyage de ces hommes n’est pas de voir le roi nouveau-né ; l’étoile qu’ils observèrent n’a pas été l’occasion de leur départ ; mais ils sont venus à Jérusalem, peut-être dans des vues de commerce. Ce n’est que parce qu’ils entendent parler çà et là dans le pays d’un roi nouveau-né, qu’ils sont frappés d’un météore céleste qu’ils avaient récemment aperçu, et ils désirent de voir eux-mêmes l’enfant dont il est question. Par là on diminue sans doute ce qu’a de choquant l’importance donnée à l’astrologie dans l’explication ordinaire, mais ce n’est qu’en forçant le sens des mots ; car, lors même qu’on pourrait transformer sans difficulté des mages, μάγους, en marchands, néanmoins leur but, dans ce voyage, n’a pu être un but de commerce, puisque, à leur arrivée à Jérusalem, ce qu’ils demandent d’abord, c’est le roi nouveau-né des Juifs. Ils indiquent, comme raison de cette demande, l’étoile qu’ils ont vue dans l’Orient et qui a été aussi la cause de leur voyage actuel, et ils disent que le but de leur présence en Judée est l’adoration qu’ils doivent offrir au nouveau-né (v. 2 : Ποῦ ἐστιν — εἴδομεν γὰρ — καὶ ἤλθομεν προσκυνῆσαι).

L’astre est, par cette explication, changé ou en météore naturel, ou en comète[90], ou en constellation, c’est-à-dire conjonctions de plusieurs planètes ; et à cette dernière opinion, énoncée par Kepler, plusieurs astronomes et théologiens ont, dans ces derniers temps, donné leur assentiment[91]. La question principale est ici de savoir si, avec cette explication, il est plus facile de concevoir que l’astre précède les mages et s’arrête sur une maison, comme il est dit dans le texte. J’ai examiné plus haut les deux explications qui considèrent l’astre comme un météore ou comme une comète. Si l’on prend la troisième explication, c’est-à-dire si on le regarde comme une conjonction de planètes, il faudra admettre que le verbe qu’emploie l’évangéliste, προάγειν, précéder, v. 9, signifie la disjonction des planètes qui, jusque-là, avaient été réunies[92], bien que le texte ne fasse mention d’aucune disjonction et parle uniquement du mouvement en avant de tout le phénomène. Ou bien il faudra recourir au plus-que-parfait de Süskind, et supposer que la constellation que les mages n’avaient pas pu voir dans la vallée entre Jérusalem et Bethléem, se remontra tout à coup à eux, arrêtée au-dessus de la résidence de l’enfant[93] ; car, dit-on, les mots : au-dessus de l’endroit où était l’enfant, ἐπάνω οὗ ἦν τὸ παιδίον, v. 9, signifient en général le lieu de résidence et non la maison où étaient l’enfant et ses parents. Nous l’accordons ; mais l’évangéliste ajoutant immédiatement après : et entrant dans la maison, καὶ εἰσελθόντες εἰς τὴν οἰκίαν, le lieu de résidence prend d’une manière plus précise le sens de maison, et l’on comprend que cette explication n’est que le produit d’un effort impuissant pour diminuer le merveilleux dans le récit évangélique.

Ce qu’il y a de plus remarquable quand on prend l’astre pour une constellation, c’est que l’on croit, à l’aide de cette explication, avoir trouvé un point fixe auquel on puisse rattacher le récit de Matthieu. D’après le calcul de Kepler, rectifié par Ideler, il y eut, trois ans avant la mort d’Hérode, l’an de Rome 747, une conjonction de Jupiter et de Saturne dans le signe des Poissons ; et, comme elle revient de la même façon à peu près tous les huit cents ans dans ce signe attribué par les astrologues à la Palestine, elle avait eu lieu aussi trois années avant la naissance de Moïse, d’après le calcul du Juif Abarbanel. Ainsi il se pouvait qu’au temps d’Hérode les espérances sur le second grand Sauveur de la nation se rattachassent à cette conjonction, et que les Juifs babyloniens y vissent une occasion de prendre des informations. Mais l’étoile mentionnée par Matthieu a-t-elle été cette conjonction de planètes ? Une affirmation serait excessivement précaire, puisque l’année de la naissance de Jésus est aussi incertaine que la date de ce calcul astrologique ; d’un autre côté, des circonstances du récit évangélique telles que les mots précédait, προῆγεν, et s’arrêta, ἔστη, n’y conviennent pas ; donc, du moment qu’il se présente une autre donnée qui ressemble plus au récit de Matthieu que cette conjonction, nous sommes autorisé è supposer que la conjonction des planètes est étrangère à ce récit.

Quant aux difficultés que soulèvent les passages de l’Ancien Testament faussement interprétés, l’explication naturelle les écarte en contestant que la fausse interprétation appartienne aux écrivains du Nouveau Testament. C’est le Sanhédrin seul qui applique la prophétie de Michée au Messie et à sa naissance à Bethléem, et Matthieu ne dit pas un seul mot qui aille à l’approbation de cette application ; mais, comme Matthieu raconte plus loin que l’événement a répondu à l’explication du Sanhédrin, il l’approuve par le fait même. Relativement au passage du prophète Osée, Paulus et Steudel[94] s’accordent pour imaginer un expédient singulier : suivant eux, Matthieu, en citant ce passage, a voulu seulement écarter les doutes que pourraient concevoir des Juifs de la Palestine en voyant que le Messie avait quitté momentanément la Terre-Sainte, et il fait remarquer que le peuple juif, ce premier-né de Dieu dans un autre sens, avait été amené d’Égypte, et que, par conséquent, personne ne devait s’étonner si le Messie, fils de Dieu, avait aussi visité la terre profane. Mais dans tout le passage il n’y a aucune trace du but simplement négatif et de précaution que Matthieu aurait eu s’il avait cité, dans cette intention, la prophétie de l’Ancien Testament[95] ; tout au contraire, ces citations ont un but positif, c’est de fonder le caractère messianique de Jésus en montrant que des prophéties messianiques ont été accomplies en lui. On a encore essayé à propos des deux prophéties citées dans le paragraphe en question, d’atténuer le sens du verbe s’accomplir, πληρωθῆναι, jusqu’à n’y voir que l’indication d’une simple analogie ou similitude ; mais c’est une tentative inutile qui n’a besoin d’aucune réfutation.

Enfin les avertissements multipliés que les personnages de notre récit reçoivent dans des songes sont expliqués tous psychologiquement par les pensées et les notions que ces personnages avaient dans la veille. Une pareille explication de la dernière vision de cette espèce, v. 22, paraît s’offrir d’elle-même, le texte disant que Joseph, ayant appris qu’Archélaüs était devenu maître de la Judée, avait craint d’y retourner, et qu’alors il avait, en songe, reçu un avertissement d’en-haut. Néanmoins, si l’on y regarde de près, la communication donnée dans le sommeil est quelque chose de nouveau que les réflexions faites pendant la veille n’ont pas suggéré. Ne pas aller à Bethléem à cause d’Archélaüs, telle avait été l’idée de Joseph éveillé, et c’est une idée négative ; se rendre à Nazareth, tel est l’avertissement donné par le songe, et c’est quelque chose de positif. Dans les autres visions en rêve, ce serait interpoler le texte que de vouloir l’interpréter de cette façon ; car, d’après le texte, les projets de meurtre d’Hérode contre l’enfant, aussi bien que la mort de ce prince, ne sont connus de Joseph que par le rêve ; de même aussi les mages ne conçoivent de la défiance contre Hérode que lorsque le rêve les avertit de se garder de lui.

Ainsi, d’une part, c’est aller contre le sens du récit évangélique que de concevoir comme naturels les événements que l’auteur raconte ; d’autre part, prendre ce récit dans son sens propre, c’est pousser le surnaturel jusqu’à l’extravagance, et l’invraisemblable jusqu’à l’impossible. Il faut donc se laisser conduire à douter du caractère historique de cette narration, et à conjecturer que nous avons peut-être ici sous les yeux quelque chose de mythique. Mais dans cette voie les premières tentatives ont été si malhabiles que, par le fait, elles ne se sont pas élevées au-dessus de la sphère de l’explication naturelle, qu’elles voulaient dépasser. Voici, par exemple, ce que dit Krug : des marchands arabes, étant venus par hasard à Bethléem, connurent les parents de Jésus, et apprirent qu’ils étaient étrangers et dans le besoin (d’après Matthieu, les parents de Jésus n’étaient pas étrangers dans Bethléem) ; ces marchands leur firent des présents, leur souhaitèrent du bonheur pour leur enfant, et partirent. Plus tard, Jésus ayant joué le rôle de Messie, on se souvint de cette aventure, et on l’embellit des récits sur l’étoile, sur la vision en songe et sur la pieuse adoration. Les particularités de la fuite en Égypte et du massacre des innocents y entrèrent aussi, parce qu’on supposa que cet événement n’avait pas été sans influence sur Hérode, lequel, peut-être, avait fait périr vers la même époque, mais pour d’autres causes, quelques familles à Bethléem ; il se peut aussi que Jésus soit allé plus tard en Égypte pour d’autres motifs[96].

Dans cette explication, ainsi que dans l’explication purement naturelle, restent toujours, comme autant de faits, l’arrivée de quelques Orientaux, la fuite en Égypte et le massacre de Bethléem ; seulement ces faits sont dépouillés de l’enveloppe merveilleuse dont le récit évangélique les a entourés. On les suppose intelligibles de cette façon, et l’on pense qu’ils peuvent bien être arrivés réellement ; mais en vérité ils deviennent plus incompréhensibles que dans l’explication orthodoxe elle-même : car, en les privant de leur enveloppe miraculeuse, on les prive en même temps de tout ce qui les motivait, et toute base leur manque. La relation qui s’établit entre les Orientaux et les parents de Jésus est complètement motivée dans le récit de Matthieu, mais d’après l’explication demi-naturelle ce n’est plus qu’un hasard singulier. Le massacre de Bethléem a, dans le récit évangélique une cause précise ; ici on ne comprend plus qu’Hérode en vienne à l’ordonner. De même, la fuite de Jésus en Égypte est nécessitée par des circonstances urgentes dans Matthieu ; ici elle devient tout à fait inexplicable. À la vérité on peut dire : Ces événements ont eu leurs causes suffisantes dans la réalité ; seulement Matthieu en a caché l’enchaînement naturel, et a substitué, en place, un enchaînement miraculeux. Mais, si l’écrivain ou la légende est capable d’entourer les événements de motifs et de circonstances accessoires tout à fait fausses, l’écrivain ou la légende est également capable d’inventer les événements eux-mêmes ; et cette invention est d’autant plus vraisemblable que l’on peut montrer avec plus de clarté comment la légende a eu un intérêt à représenter comme réellement arrivés des événements qui pourtant n’ont jamais eu lieu.

Ce dernier argument s’adresse aussi aux théologiens qui, dans ces derniers temps, ont essayé, du point de vue du supranaturalisme, de faire, dans le récit évangélique, le triage de ce qui est réel et de ce qui a été inventé. Dans un pareil récit, dit Neander, il faut distinguer avec soin le fait lui-même des circonstances isolées, et ne pas demander le même degré de certitude pour toutes choses. Suivant lui, ce qui est essentiel et certain, c’est que les mages, à l’aide de leurs recherches astrologiques, ont eu le pressentiment de la naissance du Rédempteur en Judée, et sont venus à Jérusalem pour lui rendre hommage. Maintenant, arrivés dans cette ville, comment ont-ils appris que l’enfant était né à Bethléem ? Est-ce par Hérode lui-même ou de toute autre façon ? Sur ces questions, Neander ne veut pas garantir avec une certitude égale les détails de Matthieu, et il ajoute que ce n’est pas là non plus l’affaire essentielle. Les mages ont pu, dans la petite ville de Bethléem, être conduits au lieu de la naissance de l’enfant par plusieurs dispositions de la Providence, qui auront été conformes au cours ordinaire des choses : par exemple, la rencontre des bergers ou d’autres personnes pieuses qui avaient pris intérêt au grand événement. Une fois dans la maison, ils ont pu représenter leur observation astrologique et la cause de leur pressentiment suivant l’idée qu’ils s’en étaient formée en tournant leurs regards vers le ciel étoilé. Neander[97] conserve comme historique la fuite en Égypte et le massacre des innocents. Cette explication du récit évangélique ne s’est débarrassée, à proprement parler, que de la plus grande difficulté, c’est-à-dire de l’étoile qui précède les mages et qui s’arrête sur la maison ; les autres difficultés subsistent. Mais elle a abandonné la confiance illimitée dans la véracité de l’évangéliste et admis une partie non historique dans le récit qu’il nous a transmis. Maintenant, si l’on se demande jusqu’où s’étend cette portion non historique, de quelle espèce elle est, et si elle s’est produite sur un fond historique ou sur de simples idées, il est aisé de voir que le peu d’histoire mal précisée qu’une critique moins indulgente que celle de Neander peut laisser subsister, est bien moins propre à la création du récit évangélique que le cycle très précis d’idées et de types qui va être développé dans le chapitre suivant.


§ XXXVI.


Explication purement mythique du récit concernant les mages,
et de ce qui en dépend.

Plusieurs Pères de l’Église ont indiqué naïvement la vraie clef du récit concernant les mages et leur étoile, quand, pour expliquer d’où ces astrologues païens avaient pu tirer la connaissance d’une étoile du Messie, ils ont émis la conjecture que c’était sans doute dans les prophéties du prophète païen Balaam, dont on trouve, en effet, dans Moïse la prédiction sur l’étoile sortant de Jacob[98]. C’est donc avec raison que K. Ch. L. Schmidt a reproché à l’explication de Paulus de ne tenir aucun compte de cette étoile, laquelle, d’après l’attente des Juifs, devait se montrer au moment de l’apparition du Messie ; et cependant, ajoute-t-il, là est le seul moyen de donner une explication de ce récit évangélique[99]. En effet, la prédiction de Balaam sur une étoile qui devait sortir de Jacob, 4 Mos., 24, 17, n’a pas été cause, comme le crurent les Pères de l’Église, que réellement des mages aient reconnu une étoile pour celle du Messie et se soient rendus, en conséquence, à Jérusalem, mais elle a été cause que la légende a supposé, au moment de la naissance de Jésus, l’apparition d’une étoile, reconnue pour celle du Messie par des astrologues. La prophétie mise dans la bouche de Balaam se rapportait, dans l’origine, à un roi d’Israël puissant et victorieux, mais elle paraît avoir reçu de bonne heure une application au Messie. S’il est vrai que la traduction du Targum Onkelos : Surget rex ex Jacobo, et Messias (unctus) ungetur in Israele, ne prouve rien, attendu qu’ici unctus, mis en regard de rex, pourrait signifier un roi ordinaire ; néanmoins plusieurs rabbins, d’après le témoignage d’Aben-Esra[100] et d’après les passages cités par Wetstein et Schœttgen, ont rapporté la prophétie au Messie. Le nom de Bar Cochba, que prit le célèbre pseudo-messie sous Adrien, avait été choisi conformément à la prophétie de Balaam, interprétée messianiquement.

La prophétie dont il s’agit, prise dans son sens primitif, ne parle pas d’une véritable étoile, mais elle compare avec une étoile le prince espéré, et c’est ainsi qu’elle est expliquée par le Targum. Mais bientôt la foi à l’astrologie qui croissait, et qui croyait trouver dans des mutations sidérales l’indice de tous les événements remarquables, fit que l’on entendit le passage de Balaam, non plus au figuré, mais au propre, et qu’on y vit une étoile qui, à l’époque du Messie, devait se montrer au ciel. Je viens de dire qu’au temps de Jésus la croyance à l’astrologie était répandue, en voici des exemples : On s’imagina que la grandeur future de Mithridate avait été annoncée par une comète qui était apparue vers le moment de sa naissance et de son accession au trône[101], et une comète observée peu de temps après la mort de Jules-César fut rattachée d’une façon précise à cet événement[102]. Ces idées avaient de l’influence sur les Juifs mêmes ; on en trouve du moins la trace dans des écrits juifs postérieurs, où il est dit qu’une étoile remarquable se montra au temps de la naissance d’Abraham[103]. Avec de telles idées, il était facile de s’imaginer que la naissance du Messie avait aussi été annoncée par une étoile, d’autant plus qu’une étoile se trouvait déjà signalée dans la prophétie de Balaam interprétée messianiquement. Véritablement les Juifs firent cette combinaison, car ce sont des rabbins qui ont imaginé qu’au temps de la naissance du Messie une étoile apparaîtrait à l’est et serait longtemps visible[104]. Si le récit de Matthieu est voisin de cette idée simple des Juifs, qui supposaient qu’au temps du Messie une étoile se montrerait, les descriptions apocryphes de l’étoile qui devait signaler la naissance de Jésus[105] se rapportent aux descriptions exagérées de l’étoile qui, suivant des livres juifs, avait présidé à la naissance d’Abraham. Ainsi, évidemment, K. Ch. L. Schmidt[106], auquel Fritzsche et de Wette ont donné récemment leur assentiment, a saisi la vraie signification de l’étoile qui, d’après Matthieu, est apparue à l’époque de Jésus. Comme des étoiles ont toujours précédé de grands événements, il faut, telle était la pensée des Juifs au temps de Jésus, d’après 4 Mos., 24, 17, que la naissance du Messie soit annoncée d’avance par une étoile. Les nouveaux chrétiens d’entre les Juifs ne pouvaient justifier à leurs propres yeux et aux yeux des autres leur croyance en Jésus comme Messie qu’en s’efforçant de montrer en lui la réalisation de tous les attributs que les idées juives de cette époque prêtaient au Messie ; réalisation qui fut d’autant plus dégagée de toute mauvaise intention et d’autant moins contestée qu’on s’éloigna davantage du temps de Jésus, et que l’histoire de son enfance en particulier fut entourée de plus d’obscurité. En conséquence, on ne douta bientôt plus que l’étoile attendue n’eût présidé réellement à la naissance de Jésus[107]. Si l’on supposa que des mages orientaux l’aperçurent, c’est que cette particularité s’offrait d’elle-même du moment qu’on croyait à l’apparition de l’étoile ; car, d’un côté, personne ne pouvait mieux comprendre que des astrologues la signification de ce phénomène, et l’Orient passait pour la patrie des connaissances astrologiques ; d’un autre côté, il devait sembler convenable de faire voir par les yeux à des mages l’étoile messianique que l’ancien mage Balaam avait vue en esprit.

Cependant cette particularité, ainsi que le voyage des mages en Judée et les dons précieux qu’ils offrirent à l’enfant messianique, tient encore à d’autres passages de l’Ancien Testament. Dans la description du meilleur avenir donnée par Isaïe, chap. 60, le prophète déclare expressément qu’alors les peuples et les rois les plus éloignés viendront à Jérusalem adorer Jéhovah, et apporteront de l’or, de l’encens et toutes sortes de présents agréables[108]. Si dans ce passage il n’est question que du temps du Messie, et si le Messie lui-même y manque, le psaume 72 parle d’un roi que l’on redoutera aussi longtemps que dureront la lune et le soleil, qui fera fleurir la justice, et en l’honneur de qui toutes les nations entonneront des louanges ; ce roi peut donc s’entendre facilement du Messie ; et le psaume en dit précisément, v. 10, 15, ce que dit Isaïe, chapitre 60, que les rois étrangers lui apporteront de l’or et d’autres présents. Ajoutons que, dans le passage d’Isaïe, la mention du pèlerinage de peuples étrangers vers Jérusalem est unie à la mention d’une lumière brillant au-dessus de cette ville[109], lumière qui pouvait facilement rappeler l’étoile de Balaam. En conséquence, puisqu’on avait, d’un côté, l’étoile messianique de Balaam sortie de Jacob, pour l’observation de laquelle des mages astrologues étaient les plus propres, et d’un autre côté une lumière brillant au-dessus de Jérusalem, vers laquelle des peuples lointains devaient venir apportant des présents, qu’y avait-il de plus naturel que de combiner ces deux données et de dire : À cause de l’étoile levée au-dessus de Jérusalem, des astrologues sont venus de loin avec des présents pour le Messie annoncé par l’étoile ? Du moment que l’on eut l’étoile et les voyageurs qu’elle amène de contrées lointaines, on préféra faire complètement de cette étoile le guide immédiat de leur voyage et le fanal qui les précéda continuellement dans leur marche. Cette idée était très commune dans l’antiquité : d’après Virgile, une étoile, stella facem ducens, traça aux yeux d’Énée le symbole de son voyage des bords de Troie jusque dans l’Occident[110] ; des feux célestes conduisirent Thrasibule et Timoléon, et l’on prétendait qu’une étoile avait montré à Abraham lui-même le chemin de Moria[111]. En outre, dans le passage d’Isaïe, la lumière céleste semblait guider, dans leur pèlerinage vers Jérusalem, ceux qui devaient apporter les présents ; au moins l’expression figurée : des peuples et des rois marcheront dans la lumière levée sur Jérusalem, a pu aisément, plus tard, être entendue au sens propre selon l’esprit des rabbins. L’étoile ne conduit pas directement les mages à Bethléem, où Jésus se trouvait, mais elle les dirige d’abord sur Jérusalem : la cause en est peut-être dans le passage d’Isaïe, qui rattache à Jérusalem la lumière qui se lève et les voyageurs qui apportent les présents ; mais le principal motif, c’est qu’on trouvait Hérode à Jérusalem ; or, qu’y avait-il de plus propre à déterminer l’ordre sanguinaire de ce prince que la nouvelle saisissante apportée par les mages qui avaient vu l’étoile du grand roi des Juifs ?

Faire rendre un arrêt de mort par Hérode contre Jésus était dans l’intérêt de la légende chrétienne primitive. De tout temps, la légende a glorifié l’enfance des grands hommes par des tentatives de meurtre et de persécution. Plus était grand le danger suspendu sur leur tête, plus leur prix semblait s’accroître ; plus leur conservation était inattendue, plus se montrait visiblement toute l’importance que le ciel attachait à leur personne : aussi trouvons-nous cette particularité dans les récits de l’enfance de Cyrus par Hérodote, de Romulus par Tite-Live[112], et même encore plus tard dans le récit de l’enfance d’Auguste par Suétone[113]. La légende hébraïque n’y a pas non plus manqué pour Moïse ; ce dernier récit, 2 Mos., 1, 2[114], est très voisin des récits évangéliques en ceci, que des deux côtés l’arrêt de mort a été prononcé, non pas nominativement contre Moïse et Jésus, mais d’une façon générale contre une classe d’enfants, dans le cas de Moïse contre tous les enfants mâles nouveau-nés ; dans le cas de Jésus contre tous les enfants de deux, ans et au-dessous. À la vérité, d’après l’Exode, l’arrêt de mort prononcé ne s’adresse pas directement à Moïse, dont le Pharaon ne soupçonne pas la naissance, et qui ne se trouve qu’accidentellement mis en danger par cet ordre ; mais la tradition qui se forma au sein du peuple hébreu ne jugea pas que l’intention fut assez marquée, et en conséquence elle reçut, dès le temps de l’historien Josèphe, une tournure qui la rendit beaucoup plus semblable aux légendes de Cyrus et d’Auguste, et par conséquent au récit de Matthieu. Il y est dit, en effet, que le Pharaon fut déterminé à ordonner la mort de tous les enfants mâles par une communication de ses hiérogrammates[115], qui lui annoncèrent la naissance d’un enfant destiné à humilier les Égyptiens et à élever les Israélites. Les hiérogrammates jouent ici le même rôle que les interprètes des songes dans Hérodote, et les astrologues dans Matthieu. La légende ne tarda pas à imaginer que le père de la nation avait été, dès les premiers moments de sa naissance, mis, comme son législateur, en péril par les projets meurtriers d’un tyran soupçonneux. Pharaon avait joué à l’égard de Moïse le rôle d’ennemi et d’oppresseur ; on attribua à Nemrod un pareil rôle à l’égard d’Abraham ; les sages chaldéens, dont l’attention fut éveillée par une étoile remarquable, déclarèrent au prince babylonien qu’il était né de Tharé un fils d’où devait sortir un peuple puissant ; et, sur cette déclaration, Nemrod prononce un arrêt de mort auquel Abraham échappe heureusement[116]. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que le restaurateur de la nation, le Messie, trouve, comme le père et le législateur du peuple hébreu, un autre Nemrod, un autre Pharaon dans la personne d’Hérode ; que sa naissance soit annoncée par des sages au prince juif ; que ses jours soient menacés, dès le moment de sa naissance, par le tyran, et qu’il échappe heureusement à ses embûches ? La légende apocryphe n’a-t-elle pas eu de semblables raisons pour arranger à sa façon et introduire ce récit dans l’histoire de Jean-Baptiste ? Lui aussi est mis en danger par l’ordre sanguinaire d’Hérode ; il y échappe par un miracle qui entr’ouvre une montagne pour lui et pour sa mère, tandis que son père, qui ne veut pas révéler la retraite de l’enfant, est mis à mort[117].

La manière dont Jésus échappe aux poursuites d’Hérode est différente de celle dont Moïse, d’après l’histoire mosaïque, et Abraham, d’après la légende juive, échappent aux ordres lancés contre eux ; c’est en sortant du pays et en se réfugiant en Égypte qu’il échappe à la mort. On trouve aussi, dans la vie de Moïse, une fuite hors du pays ; mais ce n’est pas dans l’histoire de son enfance, c’est lorsque, devenu homme, il a tué l’Égyptien : poursuivi par Pharaon en raison de ce meurtre, il se retire dans la terre de Midian (2 Mos. 2, 15). La fuite du premier Goel ou libérateur a servi de type à la fuite du second ; notre texte même le montre expressément en mettant dans la bouche de l’ange qui invite Joseph à quitter l’Égypte et à retourner en Palestine, les mêmes paroles que celles qui motivent le retour de Moïse de Midian en Égypte[118]. D’un autre côté, le choix de l’Égypte pour le lieu de refuge de Jésus s’explique de la façon la plus simple ; le jeune Messie ne pouvait pas s’enfuir comme Moïse de l’Égypte. Pour ne pas perdre l’importance attachée à l’Égypte, antique retraite des partriarches. on renversa le rapport, et on le fit se réfugier en Égypte, pays qui, d’ailleurs, offrait, à cause du voisinage, l’asile le plus convenable pour quelqu’un qui s’enfuyait de Judée. On peut moins se servir, pour expliquer cette particularité, de la prophétie d’Osée, 11, 1, que cite notre évangéliste : J’ai appelé d’Égypte mon fils, ἐξ Αἰγύπτου ἐκάλεσα τὸν υἱόν μου, car il n’est pas sûr que les Juifs aient rapporté ce passage au Messie, et là-dessus les preuves immédiates sont très incertaines[119] ; cependant, en comparant des passages comme ceux du psaume 2, 8, où les mots בני אתה, tu filius meus, ont été rapportés au Messie, on ne trouve pas incroyable qu’on ait donné une signification messianique aux mots d’Osée, לבני, υἱόν μου, mon fils.

Contre cette source mythique du récit, on a, dans ces derniers temps, élevé deux principales difficultés : d’abord, a-t-on dit, si c’est la prophétie de Balaam d’où est née l’histoire de l’étoile, pourquoi Matthieu, qui se plaît tant à montrer, dans la vie de Jésus, l’accomplissement de prophéties de l’Ancien Testament, ne dit-il pas un mot de l’accomplissement de celle-ci[120] ? Par la raison que ce n’est pas lui qui a composé cette histoire à l’aide des passages de l’Ancien Testament ; il l’a reçue, toute composée, d’autres qui ne lui indiquèrent pas en même temps où en était la source. Aussi, justement parce que plusieurs récits lui ont été transmis sans l’explication qui en donnait la clef, a-t-il lui-même essayé parfois de fausses interprétations ; et, pour la narration même du massacre des enfants, on en voit un exemple dans le passage relatif aux pleurs de Rachel qu’il a mal compris[121]. L’autre difficulté est celle-ci : Comment la communauté des judéo-chrétiens, parmi lesquels le mythe prétendu a dû se former, aurait-elle pu accorder aux païens autant d’importance qu’il leur en est accordé dans la personne des mages[122] ? Comme si les prophètes, dans les passages cités, n’avaient pas déjà accordé cette importance aux païens ; d’autant plus qu’en réalité cette importance est un hommage qu’ils rendent au Messie, une soumission qu’ils lui témoignent, toutes choses qui étaient conformes aux sentiments des judéo-chrétiens, sans parler même des circonstances particulières de l’entrée de ces païens dans le royaume du Messie.

Ainsi, le récit évangélique étant conçu d’une manière mythique, on n’y apprend, et c’est à cela que nous devons nous arrêter, aucun détail de la vie de Jésus : seulement nous y voyons une nouvelle preuve de la croyance précise à sa qualité de Messie, que Jésus laissa derrière lui, puisque la forme messianique fut donnée même à l’histoire de son enfance[123].

Reportons-nous maintenant encore une fois au récit de Luc, chap. 2, dans les points où ce récit est parallèle à celui de Matthieu. Nous avons déjà vu que le récit de Matthieu ne suppose pas que ce qui est raconté par Luc soit arrivé précédemment ; encore moins peut-on soutenir la proposition inverse, et dire que les mages étaient venus avant les bergers. On se demande alors si, peut-être, les deux récits n’entendent pas raconter le même fait, tout en le présentant de deux manières différentes. Dans l’ancienne explication orthodoxe, qui était disposée à prendre l’étoile de Matthieu pour un ange, il était facile de réunir cette étoile avec l’ange dont Luc parle, de telle sorte que l’ange apparu aux bergers de Bethléem dans la nuit de la naissance de Jésus aurait été pris dans le lointain, par les mages, pour une étoile placée au-dessus de la Judée[124] ; ainsi les deux récits seraient vrais sur le point essentiel. Dans ces derniers temps, on a supposé qu’un seul des deux récits était véritable, et que c’était celui de Luc ; on a représenté celui de Matthieu comme une refonte de l’autre, ornée et embellie. On prétend que l’ange avec la splendeur céleste dont Luc parle est devenu une étoile dans la tradition transformée recueillie par Matthieu, attendu que les idées d’anges et d’étoiles se confondaient dans la haute théologie des Juifs ; la même tradition a changé les bergers en sages de sang royal, attendu que, dans l’antiquité, les rois s’appelaient les pasteurs des peuples[125]. Cette dérivation serait, en elle-même, invraisemblable à cause de son caractère artificiel, quand bien même il serait vrai, ce qui est ici supposé, que les récits de Luc portent le cachet de la vérité historique ; mais nous pensons avoir démontré le contraire, par conséquent nous avons sous les yeux deux récits qui ne sont pas plus historiques l’un que l’autre. Ainsi tout motif manque de faire sortir, par une interprétation forcée, le récit de Matthieu de celui de Luc, et de préférer cette interprétation à celle qui tire le premier, avec tant de simplicité, des passages de l’Ancien Testament et des opinions juives. Donc, ces deux descriptions de la première introduction de Jésus sont deux modifications du même thème, mais qui n’ont exercé l’une sur l’autre aucune influence immédiate.


§ XXXVII.


Rapport chronologique de la visite des mages et de la fuite en Égypte,
racontées par Matthieu, avec la présentation dans le Temple, racontée par Luc.

J’ai remarqué plus haut que les récits de Matthieu et de Luc, qui, dans le commencement, sont assez conformes l’un avec l’autre, se séparent ensuite complètement ; l’un raconte la catastrophe tragique du massacre des innocents et de la fuite, l’autre la scène paisible de la présentation de l’enfant Jésus dans le Temple. Mettons de côté pour le moment le résultat de notre dernière recherche, qui a établi le caractère purement mythique du récit de Matthieu, et demandons-nous dans quel rapport chronologique cette présentation peut être avec la visite des mages et la fuite en Égypte.

De ces deux circonstances, une seule a une détermination chronologique précise, c’est la présentation dans le Temple, de laquelle il est dit qu’elle se fit au temps légal de la purification d’une mère (Luc, 2, 22), par conséquent, d’après 3 Mos. 12, 2 — 4, quarante jours après la naissance de l’enfant. La date de l’autre circonstance n’est pas également fixée ; il est dit seulement que les mages arrivèrent, Jésus étant né à Bethléem, τοῦ Ἰησοῦ γεννηθέντος ἐν Βηθλεέμ (Matthieu, 2, 1). L’évangéliste ne précise pas de combien leur arrivée suivit cette naissance ; or, comme la visite des mages paraît être attachée immédiatement par ce participe à la naissance de l’enfant, ou tout au moins, comme rien d’important ne paraît être arrivé dans l’intervalle, quelques interprêtes ont été conduits à penser que cette visite devait être placée avant la présentation dans le Temple[126]. Cela admis, il y a deux alternatives : Ou bien la fuite en Égypte a précédé la présentation dans le Temple, ou bien la visite des mages a précédé, il est vrai, cette présentation ; mais la fuite l’a immédiatement suivie. Si l’on adopte ce dernier parti et que l’on enferme la présentation dans le Temple entre la visite des mages et la fuite, on s’embarrasse dans une grave difficulté, non seulement avec les expressions de Matthieu, mais encore avec l’enchaînement des faits. La même construction d’un participe qui avait servi à l’évangéliste pour rattacher, v. 1, à la naissance de Jésus l’arrivée des Orientaux, lui sert aussi à rattacher au départ des mages l’avertissement de s’enfuir (les mages s’en étant retournés, voilà qu’un ange, etc., ἀναχωρησάντων αὐτῶν, ἰδοὺ ἄγγελος, κτλ., v. 13). Donc, si l’on a cru devoir, en raison de cette construction, faire plus haut se suivre sans intervalle les circonstances qu’elle unit, la même construction doit empêcher ici d’intercaler un troisième fait entre la visite et la fuite. Quant à la chose en elle-même, on ne trouvera pas vraisemblable que, dans un moment où Dieu fait savoir à Joseph qu’il n’est plus à Bethléem en sûreté contre le mauvais vouloir d’Hérode, il ait été permis à ce même Joseph de venir à Jérusalem, c’est-à-dire de se jeter dans la gueule du lion. Dans tous les cas, les précautions les plus sévères auraient dû être recommandées à toutes les personnes intéressées, afin d’empêcher que la présence de l’enfant messianique à Jérusalem ne fût divulguée. Or, on ne trouve, dans le récit de Luc, aucune trace de cet incognito inquiet ; loin de là, non seulement Siméon appelle, dans le Temple, l’attention sur Jésus, sans en être empêché soit par l’esprit divin, soit par les parents, mais encore Anne croit rendre service à la bonne cause en répandant autant que possible la nouvelle du Messie nouveau-né (Luc, 2, 28 seq. 38). Elle ne la répandait, il est vrai, que parmi des gens animés des mêmes sentiments (elle en parlait à tous ceux qui attendaient la délivrance à Jérusalem, ἐλάλει περὶ ἀυτοῦ πᾶσι τοῖς προσδεχομένοις λύτρωσιν ἐν Ἱερουσαλήμ), mais cela ne pouvait empêcher que le bruit n’en arrivât jusqu’au parti d’Hérode ; car plus l’ardeur de ces gens qui attendaient la délivrance fut excitée par une pareille nouvelle, plus l’attention du gouvernement dut s’éveiller, et plus Jésus fut exposé à tomber entre les mains d’Hérode qui le cherchait.

En tout cas, celui qui place la présentation dans le Temple après la visite des mages devrait aussi se décider à reculer cette présentation jusqu’après le retour d’Égypte ; mais cette supposition heurte aussi le texte des récits ; il faudrait, en effet, alors placer entre la naissance de Jésus et sa présentation dans le Temple les événements suivants : l’arrivée des mages, la fuite en Égypte, le massacre des innocents à Bethléem, la mort d’Hérode, le retour d’Égypte ; mais évidemment cela est beaucoup trop pour un intervalle de quarante jours. On serait donc réduit à admettre que la présentation de l’enfant et la première visite de l’accouchée au Temple auraient été reculées au delà du temps légal ; mais cela est contraire au texte de Luc ; car lorsqu’il dit : Les jours de leur purification ayant été accomplis selon la loi de Moïse, ὅτε ἐπλήσθησαν αἱ ἡμέραι τοῦ καθαρισμοῦ αὐτῶν κατὰ τὸν νόμον Μωσέως, v. 22, il déclare positivement que la visite au Temple fut faite dans le temps légal. Mais peu importe que ce soit plus tôt ou plus tard ; d’après Matthieu, les parents de Jésus pouvaient, aussi peu après leur retour d’Égypte qu’immédiatement avant leur départ pour ce pays, songer à se rendre à Jérusalem. En effet, si Joseph, quittant l’Égypte, est averti de ne pas aller, de peur d’Archélaüs, dans la Judée, qui était gouvernée par ce prince, il lui était encore moins possible de se retirer à Jérusalem même, où Archélaüs faisait sa résidence.

Ainsi, aucune de ces deux façons ne permet de mettre la présentation dans le Temple après la visite des mages, et il ne reste plus que l’autre alternative, à savoir : de placer, avec la majorité des interprètes[127], cette présentation, racontée par Luc, avant la visite des mages et la fuite, racontées par Matthieu ; cette explication est aussi la plus naturelle, en ceci du moins qu’un plus long intervalle de temps est, dans Matthieu, indiqué, d’une façon médiate, entre la naissance de Jésus et l’arrivée des mages. En effet, Hérode fait égorger à Bethléem les enfants depuis l’âge de deux ans et au-dessous ; bien que, pour être sûr de son fait, il ait dépassé la date fixée par les mages, cependant cela suppose que l’étoile était visible pour eux depuis plus d’un an. Or, le narrateur semble se représenter l’apparition de l’étoile comme contemporaine de la naissance de Jésus. Il faudrait donc se figurer ainsi l’ordre des événements racontés par les évangélistes : les parents de Jésus se rendirent d’abord de Bethléem, lieu de la naissance de l’enfant, à Jérusalem, pour y faire les offrandes légales ; puis ils vinrent de nouveau à Bethléem, où, d’après Matthieu 2, 1 et 5, les mages les trouvèrent ; de là ils s’enfuirent en Égypte, et, étant revenus de ce pays, ils se fixèrent à Nazareth. Dans cet arrangement, la première question qui se présente, c’est de savoir ce que les parents de Jésus, après la présentation dans le Temple, pouvaient avoir encore à faire à Bethléem, où ils n’avaient pas leur domicile, et où, dans l’intervalle de quarante jours, ils avaient dû terminer leurs affaires pour le recensement. Cette question, il faut en renvoyer l’examen plus loin ; en attendant, le motif de nous décider, que nous trouverions dans la chose même, est pleinement remplacé par un motif que fournissent les paroles de l’évangéliste. En effet, Luc dit positivement, v. 39, qu’après l’accomplissement des rites légaux, les parents de Jésus retournèrent à Nazareth, qui était le lieu véritable de leur domicile, et non à Bethléem, où ils n’avaient séjourné qu’en passant[128]. Donc, si les mages vinrent après la présentation dans le Temple, ils durent trouver les parents de Jésus à Nazareth, et non, comme le dit Matthieu, à Bethléem. Ajoutons encore que, si réellement la présentation dans le Temple, avec tout l’éclat que durent faire les discours de Siméon et d’Anne, avait précédé l’arrivée des mages, la naissance de l’enfant messianique n’aurait pu être tellement ignorée à Jérusalem, que la nouvelle qu’en portèrent les mages y eût excité la confusion générale dont parle Matthieu (2, 3)[129].

Donc, si la présentation de Jésus dans le Temple ne peut avoir eu lieu ni avant ni après la visite des mages et la fuite en Égypte, et si la fuite en Égypte ne peut pas non plus avoir eu lieu avant ou après la présentation dans le Temple, il est impossible que l’une et l’autre soient arrivées ; tout au plus peut-on admettre que l’une ou l’autre est un fait réel[130].

Pour échapper à ce dilemme dangereux, l’explication supranaturaliste s’est déterminée, dans ces derniers temps, à prendre plus de liberté, et, afin de sauver le reste, elle a sacrifié ce qu’elle ne pouvait plus conserver. Ni Luc n’a rien su de ce que raconte Matthieu sur l’enfance de Jésus, ni l’auteur de l’évangile grec de Matthieu (auteur différent de l’apôtre) n’a eu connaissance des particularités exposées par Luc ; Neander se trouve forcé d’en convenir ; mais il ne s’ensuit pas, ajoute-t-il, que les événements contenus dans les deux récits ne soient pas réellement arrivés[131]. Par cette tournure, on échappe, il est vrai, aux difficultés qui sont dans le texte des évangélistes, mais on n’échappe pas à celles qui sont dans les choses mêmes. L’auteur du premier évangile raconte la naissance de Jésus, la visite des mages et la fuite, comme s’il n’y avait eu, dans l’intervalle, aucun changement de lieu ; l’auteur du troisième évangile fait aller les parents de Jésus à Nazareth immédiatement après la présentation dans le Temple. Dans ces deux ordres de faits, on ne peut pas arguer de l’un des évangélistes contre l’autre, car il n’est pas permis de soutenir que des faits ne sont pas arrivés parce que des narrateurs éloignés ne les ont pas connus ; mais, en prenant ces récits d’un autre point de vue, on trouve qu’il est invraisemblable qu’après la scène dans le Temple, la naissance de l’enfant messianique ait été aussi absolument ignorée à Jérusalem que le suppose la conduite d’Hérode lors de l’arrivée des mages ; qu’il n’est pas croyable (si l’on renverse l’ordre des événements) que le ciel eût permis à Joseph de se rendre à Jérusalem avec l’enfant qu’Hérode cherchait tout à l’heure à faire égorger ; qu’il est inconcevable enfin que les parents de Jésus, après la présentation dans le Temple, soient retournés à Bethléem (ce dont il sera parlé plus tard). Toutes ces difficultés, qui sont inhérentes à la chose même, et qui ne sont pas moindres que les difficultés inhérentes au texte, subsistent dans cette explication et en démontrent l’insuffisance.

Nous en restons donc au dilemme posé plus haut. S’il nous fallait opter, nous ne pourrions, en aucun cas, au point où nous sommes arrivés dans notre recherche, nous décider pour le récit de Matthieu contre celui de Luc ; et, ayant reconnu le caractère mythique dans le récit de Matthieu, il ne nous resterait plus qu’à nous attacher, avec des critiques modernes[132], au récit de Luc et à sacrifier celui de Matthieu. Mais le récit de Luc n’est-il pas de même nature que celui de Matthieu ? et, au lieu d’avoir à opter entre les deux, ne faut-il pas refuser à l’un comme à l’autre le caractère historique ? C’est ce que va nous montrer l’examen subséquent.


§ XXXVIII.


La présentation de Jésus dans le Temple.

Le récit de la présentation de Jésus dans le Temple (Luc, 2, 22-38) semble au premier coup d’œil porter une empreinte tout à fait historique. Une double loi, l’une prescrivant à la mère un sacrifice de purification, l’autre commandant le rachat du fils premier-né, amène les parents de Jésus, avec l’enfant, à Jérusalem dans le Temple. Là ils trouvent un homme pieux, plein de l’attente du Messie et nommé Siméon. Plusieurs interprètes prennent ce Siméon pour le Siméon fils de Hillel, son successeur à la présidence du sanhédrin, et père de Gamaliel ; quelques uns même l’identifient avec le Saméas de Josèphe[133] et attachent de l’importance à sa prétendue descendance de David, parce que cette descendance le fait parent de Jésus et aide à expliquer naturellement la scène suivante ; hypothèse que l’expression dont se sert Luc pour le désigner, rend invraisemblable[134], car il n’aurait pas dit d’un personnage aussi connu : un homme, ἄνθρωπός τις. Mais, même sans cette hypothèse, il est facile d’expliquer d’une manière très naturelle la scène qui se passa entre les parents de Jésus et ce Siméon, et le rôle que la prophétesse Anne y joua. On n’a pas même besoin de supposer avec l’auteur de l’Histoire naturelle du grand prophète[135] que Siméon connaissait d’avance l’espérance qu’avait Marie d’enfanter le Messie ; il faut seulement, avec Paulus et d’autres, se représenter la chose ainsi qu’il suit : Animé, comme beaucoup de personnes de ce temps, par l’attente de l’arrivée prochaine du Messie, Siméon acquiert, probablement en songe, la certitude qu’il le verra avant de fermer les yeux. Un jour donc il ne put résister au désir de visiter le Temple, et ce jour-là même Marie y présentait son enfant, dont la beauté attira tout d’abord Siméon. Lorsqu’elle lui eut découvert pleinement la descendance davidique de cet enfant, l’attention et l’intérêt de Siméon s’éveillèrent à un tel point que Marie n’hésita pas à lui révéler les espérances qui reposaient sur ce rejeton de l’ancienne maison royale, et les événements extraordinaires qui les avaient fait naître. Ces espérances, Siméon les embrasse avec confiance, et il exprime dans un langage inspiré son attente et ses craintes, qui, il en a la conviction, s’accompliront en cet enfant. Pour Anne, il est encore moins nécessaire d’admettre, avec l’auteur de l’Histoire naturelle du grand prophète, qu’ayant été une des femmes présentes à la délivrance de Marie, elle avait eu dès lors connaissance des espérances qui reposaient sur cet enfant. Elle venait d’entendre le discours de Siméon, et, étant animée des mêmes sentiments que lui, elle accorda son approbation à son langage.

Quelque simple que paraisse cette explication naturelle, elle n’est cependant pas moins forcée dans ce cas que nous ne l’avons trouvée dans d’autres ; car, non seulement l’évangéliste ne dit nulle part que les parents de Jésus eussent communiqué quelque chose de leurs espérances extraordinaires à Siméon avant qu’il entamât son discours inspiré ; mais encore tout son récit tend à montrer que le pieux vieillard, en raison de l’esprit qui le remplissait, reconnut aussitôt l’enfant messianique, et c’est pour cela même que le narrateur insiste sur les relations de Siméon avec l’esprit saint, πνεῦμα ἅγιον, pour expliquer comment il put, sans communications antécédentes, reconnaître Jésus comme celui qui lui avait été promis, et prédire en même temps le cours de sa destinée. Tandis que notre évangile canonique met dans Siméon lui-même, mais en vertu d’un principe surnaturel, le signe qui fait reconnaître Jésus à ce vieillard, l’Evangelium infantiæ arabicum met ce signe dans la personne même de Jésus et dans sa présence[136], et ce livre apocryphe est plus dans l’esprit de la narration originale que l’explication naturelle, attendu qu’au moins il conserve le merveilleux. Mais remarquons qu’outre les raisons générales contre la possibilité des miracles, un miracle a, dans cette circonstance, une difficulté particulière : c’est qu’il n’est pas possible d’y trouver un but digne de l’intervention divine ; car on ne voit nulle part que cet événement de l’enfance de Jésus ait été un levier destiné à propager la croyance au Messie dans des cercles plus étendus. Il faudrait donc, et c’est aussi ce qu’entend l’évangéliste, v. 26-29, que le miracle n’eût eu d’autre but que Siméon et Anne, et que ce soit comme récompense de leur pieux espoir qu’il leur a été donné de reconnaître l’enfant messianique. Mais de justes idées sur la Providence ne permettent pas de croire qu’elle opère des miracles pour des fins aussi particulières.

On trouvera donc encore là un sujet de douter du caractère historique de la narration, d’autant plus que, d’après ce qui a été dit jusqu’à présent, elle se rattache à des récits purement mythiques. Seulement, il ne faut pas s’arrêter à ce point, et dire que peut-être les véritables paroles de Siméon ont été les suivantes : Puissé-je, aussi vrai que je porte ici cet enfant, voir encore le Messie nouveau-né ! paroles auxquelles la légende, après l’événement, donna la tournure que nous voyons aujourd’hui dans Luc[137]. Mais il faut signaler, dans le caractère de cette partie de l’histoire évangélique et dans l’intérêt de la légende chrétienne primitive, la cause pour laquelle de tels récits ont été mis en circulation. Quant au premier point, c’est-à-dire au caractère de cette portion de l’évangile, on ne méconnaîtra pas l’analogie qui existe entre cette scène de la présentation de Jésus dans le Temple et la scène de la circoncision de Jean-Baptiste, racontée par le même évangéliste : deux fois, en effet, grâce à l’inspiration de l’Esprit-Saint, Dieu est remercié de la naissance de ces sauveurs, là par l’organe du père, ici par l’organe d’un autre personnage pieux, et leur vocation future est annoncée prophétiquement. Cette scène a été rattachée une fois à la circoncision, une autre fois à la présentation dans le Temple ; et ce semble un effet du hasard ; mais, du moment que la légende avait ainsi glorifié la présentation de Jésus dans le Temple, sa circoncision, et c’est en effet ce que nous avons vu plus haut, ne devait donner lieu à aucune amplification.

Quant au second point, c’est-à-dire à l’intérêt que la légende avait de créer de pareils récits, il est facile de s’en faire une idée. Celui qui, étant homme, s’est si visiblement manifesté comme le Messie, celui-là, pensa-t-on, a dû, dès son enfance, avoir été reconnaissable comme tel pour un œil éclairé par l’Esprit-Saint ; celui qui, plus tard, se montra fils de Dieu par des paroles et des actions puissantes, celui-là, certainement, même avant de parler et de se mouvoir librement, a porté le sceau de la divinité. De plus, si des hommes, poussés par l’esprit de Dieu, ont serré de si bonne heure Jésus dans leurs bras avec amour et respect, l’esprit qui l’anima n’était pas, comme on le lui reprochait, un esprit impur ; et, si un prophète pieux a prédit, comme suite de sa haute vocation, les combats qu’il aurait à soutenir, et la douleur que son destin causerait à sa mère[138], ce n’était certainement pas le hasard, mais c’était un plan divin qui le conduisait par cet abîme d’abaissement sur le chemin de son élévation.

Cette explication résulte donc, positivement de la chose elle-même, négativement des difficultés que les autres explications présentent ; et l’on doit s’étonner que Schleiermacher l’ait combattue, en disant que ce récit est trop naturel pour avoir été inventé[139] ; observation qui ne l’a pas empêché d’adopter une semblable explication pour l’histoire de la naissance de Jean-Baptiste. On doit s’étonner de même que Neander, en raison d’idées exagérées, prétende, contre la même explication, que le mythe aurait orné le récit en question de détails bien plus magnifiques. Bien loin, dit Neander, de raconter simplement pour la mère de Jésus une purification, et pour Jésus lui-même une rédemption, le mythe aurait intercalé une apparition angélique ou un avertissement céleste par lequel Marie ou les prêtres auraient été détournés d’un acte contradictoire avec la dignité de Jésus[140] ; comme si le christianisme de l’apôtre Paul, et à bien plus forte raison le judéo-christianisme d’où proviennent ces récits, n’avaient pas retenu l’idée du Christ comme sujet à la loi, γενόμενος ὑπὸ νόμον (Gal., 4, 4), et comme si Jésus lui-même ne s’était pas soumis au baptême, et justement dans Luc sans refus préalable de la part de Jean-Baptiste. La seconde remarque de Schleiermacher a plus de poids, à savoir, que celui qui aurait inventé l’histoire n’aurait pas posé, à côté de Siméon, Anne, dont même il n’est tiré aucun parti pour la poésie du récit, et n’aurait pas décrit avec exactitude les particularités de sa personne, tout en négligeant le personnage principal. Mais, faire proclamer la dignité de Jésus par la bouche de deux témoins, et, à côté du prophète, placer une prophétesse, ce sont là de ces symétries qu’aiment les légendes. La description détaillée de l’extérieur de la prophétesse peut avoir été prise à une personne réelle qui vivait encore, en réputation de piété, au temps de la formation de notre récit. Quant aux discours, celui de la femme est principalement destiné à propager la nouvelle, de même que celui de Siméon l’est à saluer l’enfant au moment de sa bienvenue dans le Temple ; et leurs propres paroles n’ont pu être rapportées, puisque tout se passa derrière la scène. Schleiermacher, qui a précédemment soutenu que l’évangéliste tenait son récit médiatement ou immédiatement de la bouche des bergers, prétend ici qu’il le tient de la bouche d’Anne, qu’il a décrite si exactement ; à quoi Neander donne son assentiment, et ce n’est pas le seul brin de paille jeté par Schleiermacher, auquel Neander cherche à s’accrocher dans les difficultés que suscite la critique moderne.

Ici encore, où le récit de Luc abandonne Jésus pour quelques années, se trouve une phrase finale sur la croissance, prospère de l’enfant (v. 40) ; une phrase semblable est appliquée au point correspondant de la vie de Jean-Baptiste, et toutes deux rappellent une formule analogue dans l’histoire de Samson (Jud., 13, 24, seq.).


§ XXXIX.


Coup d’œil rétrospectif. — Divergences entre Matthieu et Luc, au sujet
de la résidence primitive des parents de Jésus.

Jusqu’à présent, la confiance historique que méritent les récits évangéliques sur la descendance, la naissance et l’enfance de Jésus, a été attaquée à deux titres ; d’une part, les récits en eux-mêmes contiennent bien des choses qui répugnent à la conception historique ; d’autre part, les narrations parallèles de Matthieu et de Luc s’excluent réciproquement ; il est impossible que tous deux aient raison ; l’un ou l’autre a nécessairement tort, et par conséquent tous les deux peut-être. Une de ces contradictions se prolonge depuis le commencement de l’histoire de l’enfance jusqu’au chapitre que nous avons atteint. Nous l’avons déjà rencontrée plusieurs fois, sans avoir pu cependant nous y arrêter, car ce n’est qu’à ce moment, où elle a produit tous ses effets, que nous possédons assez de renseignements pour l’apprécier convenablement. Cette contradiction est la divergence de Matthieu et de Luc au sujet de la résidence originaire des parents de Jésus.

Luc, dès l’abord, signale Nazareth comme la demeure des parents de Jésus ; c’est là que l’ange cherche Marie (1, 26), c’est là qu’il faut se représenter la maison de Marie, οἶκος (1, 56), c’est de là que les parents de Jésus se rendent à Bethléem pour le recensement (2, 4) ; dès que les circonstances le permettent, ils retournent à Nazareth comme à leur ville, πόλις αὑτῶν (v. 39). Ainsi, dans Luc, Nazareth est visiblement la demeure propre des parents de Jésus, et ils ne viennent à Bethléem que par une occasion fortuite et pour peu de temps.

Dans Matthieu, il n’est pas dit, dès le commencement, où demeuraient Joseph et Marie. D’après 2, 1, Jésus est né à Bethléem, et, comme il n’est aucunement question des événements extraordinaires qui, d’après Luc, y avaient conduit ses parents, il semble que Matthieu fixe leur domicile primitif à Bethléem. C’est là qu’ils reçoivent la visite des mages, c’est de là qu’ils s’enfuient en Égypte, et, à leur retour de ce pays, ils veulent encore rentrer dans la Judée ; mais un avis extraordinaire leur indique Nazareth en Galilée (2, 22). Cette dernière particularité donne la certitude à ce qui n’était d’abord qu’une conjecture, c’est que Matthieu fixe, non, comme Luc, à Nazareth, mais à Bethléem, la résidence ordinaire des parents de Jésus, et qu’il se représente le départ pour Nazareth comme déterminé par des circonstances imprévues.

On glisse ordinairement, sans soupçon, sur cette contradiction ; la cause en est dans le mode de narrer propre à Matthieu ; et, sur ce fondement, un commentateur récent a prétendu que cet évangéliste ne disait rien de différent de Luc touchant le domicile des parents de Jésus, attendu qu’il n’en disait rien du tout, n’ayant pas plus de souci de l’exactitude géographique que de l’exactitude chronologique. S’il a nommé, dit-on, la résidence postérieure des parents de Jésus et son lieu de naissance, c’est parce que des prophéties de l’Ancien Testament s’y rattachaient ; la résidence des parents de Jésus, avant sa naissance, n’ayant donné lieu à aucune citation semblable, Matthieu n’en a pas parlé ; silence qui, d’après sa manière de narrer, ne prouve pas qu’il ait ignoré ce domicile, ni même qu’il l’ait placé à Bethléem[141]. Mais, quand même on accorderait que le silence de Matthieu sur la résidence première des parents de Jésus à Nazareth et sur les circonstances qui amenèrent sa naissance à Bethléem, ne prouve rien, cependant l’échange postérieur de Bethléem pour Nazareth devrait être énoncé de manière à indiquer ou du moins à laisser la possibilité de croire que Bethléem ne fut qu’un lieu de résidence temporaire, et qu’en retournant à Nazareth ils retournèrent dans leur domicile véritable. Un pareil indice aurait été donné si Matthieu, après le voyage en Égypte, voulant expliquer le départ de Joseph pour Nazareth, faisait ainsi parler la vision que Joseph a en songe : Retournez maintenant dans la terre d’Israël, et même à Nazareth, votre résidence primitive, car vous n’avez plus rien à faire à Bethléem, attendu qu’est accomplie la prophétie où il était dit que l’enfant messianique naîtrait dans cette ville. Mais, puisque Matthieu, dit-on, ne tient pas aux localités, nous serons justes et nous ne lui demanderons pas un indice positif ; nous ne lui demanderons qu’une chose négative, c’est qu’il ne rende pas absolument impossible d’admettre que Nazareth ait été la résidence ordinaire des parents de Jésus. Cette exigence serait satisfaite si le départ d’Égypte pour Nazareth n’était expressément motivé, et s’il était seulement dit que les parents de Jésus retournèrent dans la terre d’Israël d’après un avis venu d’en haut, et se rendirent à Nazareth. À la vérité, on aurait droit d’être surpris de trouver nommée tout d’un coup, et sans avertissement préalable, la ville de Nazareth au lieu de la ville de Bethléem, dont il avait été jusqu’alors question. C’est aussi ce que notre narrateur a senti, et, justement pour cela, il a donné, en détail, la raison du départ pour Nazareth (2, 22 seq.) Or, cette raison, il ne la donne pas comme il devrait le faire, s’il reconnaissait, avec Luc, Nazareth pour le domicile des parents de Jésus ; mais il la donne d’une manière opposée, qui prouve invinciblement qu’il leur supposait un domicile autre que celui qui est indiqué par Luc ; car, s’il ne fait pas aller en Judée Joseph revenant d’Égypte, il n’exprime pas d’autre motif que la crainte d’Archélaüs ; bien plus, il attribue à Joseph une inclination à se rendre en Judée, inclination qui est incompréhensible si Joseph n’a été appelé à Bethléem que par le recensement, et qu’on ne peut expliquer qu’en le supposant précédemment domicilié dans cette ville. Enfin, Matthieu n’indiquant comme motif de l’établissement à Nazareth que la crainte d’Archélaüs (et la perspective de l’accomplissement d’une prophétie), ne peut supposer une résidence originaire à Nazareth, car cette résidence originaire aurait été un motif décisif pour que Joseph y retournât, et il n’en aurait pas fallu d’autre pour l’y déterminer.

Ainsi la difficulté d’une conciliation de Matthieu et de Luc gît en ceci, que l’on ne peut comprendre comment les parents de Jésus, revenant d’Égypte, purent songer à aller de nouveau à Bethléem, si Bethléem n’était pas le lieu de leur résidence primitive. En conséquence, les efforts des commentateurs se sont surtout appliqués à imaginer des motifs qui aient pu produire, en Joseph et Marie, le désir de retourner dans cette ville. On rencontre, de très bonne heure, des tentatives de ce genre. Justin, martyr, se rattachant à Luc, qui, tout en signalant positivement Nazareth comme le domicile des parents de Jésus, ne suppose pas cependant que la ville de Bethléem soit complètement étrangère à Joseph et en fait le lieu d’origine de sa tribu, Justin, disons-nous, paraît indiquer Nazareth comme la résidence, et Bethléem comme le lieu de la naissance de Joseph[142] ; et Credner croit trouver dans ce passage de Justin la source et la conciliation des divergences de nos deux évangélistes[143]. Mais d’abord ils ne sont nullement conciliés par là ; car si Nazareth reste toujours le lieu où Joseph avait sa maison, on ne voit aucun motif qui ait pu lui suggérer tout d’un coup, lors de son retour d’Égypte, l’idée de changer le lieu qui avait été jusqu’à ce moment sa résidence, pour le lieu de sa naissance, d’autant plus que, d’après Justin même, son premier voyage à Bethléem n’avait pas eu pour but un établissement dans cette ville et avait été uniquement déterminé par le recensement ; or, ce motif manquait absolument lors du retour d’Égypte. Ainsi l’explication de Justin favorise Luc davantage et ne suffit pas pour concilier Matthieu avec lui. Encore moins peut-on croire que le dire de Justin ait été la source des récits de nos deux évangélistes ; car on ne comprend pas comment le récit de Matthieu, où il n’est question ni de Nazareth comme résidence ni du recensement comme motif du voyage à Bethléem, pourrait provenir du passage de Justin, où ces deux faits sont articulés. D’ailleurs, là où, d’une part, on trouve deux récits divergents, et, d’autre part, un moyen terme insuffisant, il est certain que le moyen terme n’est pas la chose primitive, et que les deux récits divergents ne sont pas la chose dérivée ; c’est la proposition inverse qui est la véritable ; et déjà, à l’occasion des généalogies, nous avons appris à connaître la valeur que Justin ou ses autorités ont pour des conciliations de cette espèce.

Un essai plus sérieux de conciliation fait dans le livre apocryphe intitulé Ev. de nat. Mariæ, a été approuvé par plusieurs. D’après ce livre, la maison paternelle de Marie était à Nazareth ; et, bien qu’elle eût été élevée dans le Temple à Jérusalem et qu’elle y eût été fiancée avec Joseph, néanmoins elle retourna, après les fiançailles, auprès de ses parents, en Galilée. Joseph, au contraire, non seulement était natif de Bethléem, comme Justin paraît vouloir le dire, mais encore il y avait sa maison, et il y mena Marie[144]. Mais cette conciliation est maintenant trop favorable à Matthieu aux dépens de Luc ; le recensement, avec ce qui y appartient, est abandonné et devait être abandonné ; car, si Joseph est chez lui à Bethléem, et s’il ne va à Nazareth que pour chercher sa fiancée, ce n’est pas le recensement qui l’aurait appelé dans la première de ces deux villes, et il y serait revenu de lui-même après quelques jours d’absence ; surtout, s’il avait à Bethléem son ménage, il n’avait pas besoin, à son arrivée dans cette ville, de chercher une hôtellerie, κατάλυμα, où même il ne trouva pas de place, et il aurait conduit Marie sous son propre toit. Aussi des commentateurs modernes, qui veulent profiter de l’issue offerte par l’apocryphe, mais qui ne veulent pas abandonner le recensement de Luc, admettent-ils que précédemment Joseph avait habité et travaillé à Bethléem, mais qu’il n’y avait pas possédé une maison proprement dite, et que, lorsque le recensement l’y rappela à l’improviste, il ne s’en était pas encore procuré une[145]. Or, ce n’est ni comme domiciliés ni même comme étrangers qui veulent s’établir que Luc représente les parents de Jésus à Bethléem, mais c’est comme des gens qui ont l’intention de partir après avoir fait le séjour le plus court possible. Si, dans cette donnée, les parents de Jésus paraissent très pauvres, Olshausen, afin de concilier la divergence dont il s’agit ici, aime mieux les enrichir, et il dit qu’ils avaient des possessions aussi bien à Bethléem qu’à Nazareth ; qu’ils auraient pu s’établir dans l’une comme dans l’autre de ces deux villes ; mais que des circonstances inconnues les faisaient, après le retour d’Égypte, incliner vers Bethléem jusqu’au moment où un avertissement céleste tourna leurs pas d’un autre côté. Ce motif, que Olshausen laisse indécis, et qui faisait désirer aux parents de Jésus de s’établir à Bethléem, est précisé par d’autres commentateurs, Heydenreich, par exemple[146], qui disent qu’il leur parut convenable de faire élever dans la ville de David le fils de David qui leur était accordé.

Du moins ici il faudrait que les théologiens prissent exemple sur la sincérité de Neander jusqu’à avouer avec lui que Luc ne connaît ni ce dessein des parents de Jésus de se fixer à Bethléem, ni les causes qui les déterminèrent à y renoncer, et que Matthieu seul est instruit de cette particularité. Mais quelles sont donc les causes de ce prétendu changement de dessein que Matthieu sait indiquer ? La visite des mages, le massacre des innocents, les visions en songe lors de la fuite, tous récits qui, cela est démontré, sont dépourvus d’un caractère historique, et qui, par conséquent, ne peuvent servir à motiver un changement de domicile de la part des parents de Jésus. D’un autre côté, Neander confesse que le rédacteur du premier évangile a pu ne rien savoir du motif particulier qui amena, suivant Luc, le voyage à Bethléem, et, par cette raison, prendre cette dernière ville pour le domicile originaire des parents de Jésus ; et il ajoute qu’au fond, les deux récits peuvent être dans un accord réel, bien que les deux écrivains n’aient eu aucune conscience de cet accord[147]. Mais nous demanderons comme plus haut : sur quoi Luc fonde-t-il le voyage à Bethléem ? Sur le recensement, lequel, d’après nos recherches précédentes, est un appui aussi fragile pour le récit de Luc que le massacre des innocents avec ses suites l’est pour celui de Matthieu. Donc, il ne s’agit pas, non plus, ici de sauver les deux faits racontés, en accordant que l’un des narrateurs a ignoré ce que l’autre rapportait ; car chacun d’eux a contre soi, non seulement l’ignorance de l’autre, mais encore l’invraisemblance de son propre récit.

Mais il faut encore distinguer plus exactement les faces isolées et les éléments des deux narrations. D’après ce qui a été observé plus haut, le changement de domicile des parents de Jésus dont parle Matthieu tient aux récits non historiques sur le massacre des enfants à Bethléem et sur la fuite en Égypte, de telle sorte que, sans cela, il n’y a plus aucun motif de changer de résidence ultérieurement ; et nous passerons pour ceci du côté de Luc, qui fait résider les parents de Jésus dans le même lieu, après comme avant la naissance de l’enfant. Mais, d’un autre côté, l’assertion de Luc, qui dit que Jésus naquit en un lieu autre que celui où résidaient ses parents, tient à une donnée aussi peu historique, c’est-à-dire au recensement, donnée sans laquelle il ne reste plus aux parents de Jésus aucun motif d’entreprendre un aussi long voyage à l’approche des couches de Marie ; nous inclinerons donc en ceci du côté de Matthieu, car il place la naissance de Jésus, non dans un lieu étranger, mais dans le domicile même de ses parents. Cependant, jusqu’à présent, nous n’avons obtenu qu’une conclusion négative, c’est que les assertions des évangélistes sont sans garantie lorsqu’ils prétendent que les parents de Jésus ont habité d’abord un lieu différent de celui où ils demeurèrent plus tard, et que Jésus est né ailleurs que dans le domicile habituel de ses parents. Cherchons maintenant une conclusion positive, et examinons quel a été réellement le lieu de sa naissance.

À cet égard, nous sommes tirés dans des directions opposées. En effet, le lieu de la naissance de Jésus, lieu où, d’après le résultat de notre examen, nous n’avons aucune raison de supposer que ses parents n’habitaient pas, est, dans les deux évangiles, Bethléem ; et, d’autre part, le lieu de sa résidence postérieure, qu’une assertion sans garantie nous empêche seule, d’après les mêmes résultats, de considérer comme son domicile primitif, et par conséquent comme son lieu de naissance, est, dans les deux évangiles également, Nazareth. La contradiction est insoluble si les deux directions nous attirent avec autant de force l’une que l’autre ; mais elle se résout dès qu’une des cordes casse et nous laisse suivre, sans obstacle, l’autre direction. Considérons d’abord la valeur de l’assertion qui place la résidence postérieure des parents de Jésus dans la ville galiléenne de Nazareth. Elle ne s’appuie pas seulement sur les passages du second chapitre de Matthieu et de Luc, où il est dit que les parents de Jésus résidèrent à Nazareth après sa naissance, mais elle s’appuie sur une série non interrompue de données prises dans les évangiles et dans la plus ancienne histoire ecclésiastique. Le Galiléen, le Nazaréen était le nom perpétuel de Jésus. Philippe le présente comme Jésus de Nazareth à Nathanael, qui répondit à cette présentation en demandant : Quoi de bon peut produire Nazareth ? (Joh. 1, 46 seq.). Nazareth est désigné, non seulement comme le lieu où il était élevé, οὗ ἦν τεθραμμένος (Luc, 4, 16), mais encore comme sa patrie, πατρὶς (Matth., 13, 34. Marc, 6, 1). Il est distingué dans le monde par le surnom de Jésus le Nazaréen (Luc, 18, 37), et il est invoqué sous ce nom par les démons (Marc, 1, 24). Même sur la croix, l’inscription le désigne comme Nazaréen (Joh., 19, 19), et, après sa résurrection, les apôtres annoncent partout Jésus de Nazareth (A. Ap., 2, 22), et ils font des miracles en son nom de Nazaréen (A. Ap., 3, 6). Ses partisans, encore longtemps après lui, furent appelés Nazaréens, et ce ne fut que plus tard que ce nom passa à une secte hérétique[148]. Cette dénomination suppose, sinon que Jésus était natif de Nazareth, du moins qu’il y avait fait un séjour assez prolongé, séjour qui ne peut comprendre que la première période de sa vie passée au sein de sa famille, puisque Jésus, d’après des renseignements dignes de foi (Luc, 4, 16 seq. et les passages parallèles), n’a, pendant sa vie publique, séjourné que temporairement à Nazareth. Donc sa famille, et en particulier son père et sa mère, doivent avoir habité Nazareth pendant son enfance ; et, s’il est prouvé qu’ils y ont habité une fois, il faut admettre qu’ils y ont habité toujours, car nous n’avons aucun motif historique d’admettre qu’ils aient changé de domicile, de sorte qu’une des deux assertions contradictoires a toute la solidité que l’on peut attendre de faits d’une antiquité si reculée et si obscure.

Cependant l’autre proposition, à savoir, que Jésus est né à Bethléem, ne repose pas seulement sur le premier chapitre de l’évangile, mais elle repose aussi sur une attente qu’autorise le passage d’une prophétie d’après laquelle le Messie naîtra à Bethléem (comparez le passage avec Matthieu, 2, 5 et suiv., Joh., 7, 42) ; mais cela même est un appui dangereux dont se passerait volontiers celui qui veut conserver comme un fait historique la naissance de Jésus à Bethléem ; car, lorsque la relation de l’accomplissement d’un événement est précédée d’une longue attente de ce même événement, on est naturellement porté à soupçonner que le récit où l’on dit que la chose attendue est arrivée doit sa naissance à la croyance où l’on était que cette chose même arriverait. À plus forte raison, le soupçon serait-il justifié si cette attente était mal fondée ; or, c’est ici le cas, car l’événement devrait avoir confirmé une fausse explication d’une prophétie. Ainsi ce fondement prophétique sur lequel on établit que Jésus est né à Bethléem ôte toute sa force au fondement historique qui pourrait se trouver dans le chapitre deuxième de Matthieu et de Luc, car le renseignement donné par les deux évangélistes, reposant sur l’explication de la prophétie, tombe avec elle. À part les deux motifs indiqués, on en cherche vainement un autre qui autorise à placer la naissance de Jésus à Bethléem ; nulle part ailleurs il n’est question, dans le Nouveau Testament, de la naissance de Jésus dans cette ville ; nulle part on ne trouve trace d’un rapport quelconque de Jésus avec ce lieu prétendu de sa naissance, et il ne fait pas même à Bethléem l’honneur de la visiter, honneur qu’il ne refuse pas à l’indigne Nazareth ; nulle part il n’invoque le fait de sa naissance dans cette ville comme preuve concomitante de son caractère messianique ; et cependant il y est sollicité de la manière la plus précise, car plusieurs prennent ombrage de son origine galiléenne, et objectent que le Messie doit venir de Bethléem, la ville de David (Joh., 7, 42)[149]. À la vérité, Jean ne dit pas ici que ces objections aient été exprimées en présence de Jésus[150] ; mais, puisque immédiatement avant (v. 39), rapportant un discours de Jésus, il y a joint la réflexion qu’alors l’esprit saint, πνεῦμα ἅγιον, n’avait pas encore été donné, il aurait été à propos d’ajouter ici aussi, par forme d’explication, que le peuple ne connaissait pas encore la naissance de Jésus à Bethléem. On trouvera une pareille observation trop insignifiante pour un apôtre tel que Jean ; cependant une chose est certaine : il a eu plusieurs fois à parler de l’opinion où l’on était que Jésus était natif de Nazareth, et de la répulsion qu’excitait cette opinion ; il aurait donc dû, s’il avait su que Jésus était né ailleurs, ajouter une remarque corrective ; sans cela, par une fausse apparence, il faisait croire à ses lecteurs qu’il croyait aussi Jésus natif de Nazareth. Or, ce n’est pas seulement dans le passage cité plus haut qu’il est question de la répulsion excitée par l’origine nazaréenne de Jésus ; ailleurs (1, 46 seq.) on voit Nathanael se récrier là-dessus, sans que l’opinion qu’il se forme soit rectifiée médiatement ou immédiatement ; car, dans la suite, il n’apprend pas que cet homme de bien n’est réellement point de Nazareth ; au contraire, on lui fait savoir que de Nazareth aussi quelque chose de bon peut provenir. Être né à Bethléem était une circonstance importante pour confirmer la croyance à son caractère messianique ; donc, s’il était né dans cette ville, même d’une manière accidentelle, on ne comprend pas comment les siens pouvaient l’appeler constamment Nazaréen, sans opposer à ce surnom, que ses adversaires prononçaient avec un accent de polémique, le titre honorable et apologétique de Bethléémite. Ainsi on est dépourvu de tout témoignage historique valable qui autorise à placer la naissance de Jésus à Bethléem. Des faits historiques positifs sont même contraires à cette opinion ; il est certain, en effet, que les parents de Jésus ont habité Nazareth après sa naissance, et sans doute aussi auparavant, puisque nous n’avons aucun renseignement qui nous autorise à croire le contraire ; il est certain encore, en l’absence de toute indication contradictoire digne de foi, que Jésus n’est pas né dans un lieu différent du domicile de ses parents ; double certitude qui n’est pas conciliable avec le dire qui place sa naissance à Bethléem. Ce sera donc sans effort que nous renoncerons à cette dernière ville, et nous admettrons que, très vraisemblablement, il est né à Nazareth, puisque nous n’avons aucune trace sûre qui nous conduise ailleurs.

Sur ce point les deux évangélistes seraient dans le rapport suivant. Chacun d’eux, dans les circonstances accessoires, a raison et tort à moitié : Luc a raison de soutenir que le domicile antérieur des parents de Jésus est le même que leur domicile postérieur, et là Matthieu a tort ; Matthieu est dans le vrai lorsqu’il dit que le lieu de naissance de Jésus est le même que le lieu de résidence de ses parents, et là l’erreur est du côté de Luc. Quant au fond, Luc a pleinement raison en faisant demeurer à Nazareth les parents de Jésus, avant comme après la naissance de leur fils ; et Matthieu, qui dit qu’ils s’y établirent après la naissance de Jésus, n’énonce qu’un fait à moitié vrai ; mais, en soutenant que Jésus est né à Bethléem, tous deux ont décidément tort. Or, d’où vient tout ce qu’il y a de faux dans l’un et l’autre ? De l’opinion juive à laquelle ils cédèrent, que le Messie devait naître à Bethléem. D’où vient tout ce qu’ils ont de vrai ? Du fait qu’ils trouvèrent établi, que Jésus avait toujours passé pour Nazaréen. D’où vient enfin l’inégale proportion du vrai et du faux qui se voit dans tous les deux, et la prédominance que le faux a dans le récit de Matthieu ? De la différente manière dont l’un et l’autre ont rattaché leurs récits aux prémisses établies plus haut. Deux points étaient à concilier : un fait historique, à savoir, que Jésus était connu comme Nazaréen, et une exigence prophétique d’après laquelle, comme Messie, il devait être né à Bethléem. Matthieu, ou plutôt la légende qu’il suivit, en raison de la tendance prédominante que l’on remarque dans cet évangile à appliquer les prophéties, présenta la conciliation de manière que la prophétie qui indiquait Bethléem l’emporta, que cette ville fut considérée comme le séjour primitif des parents de Jésus, et Nazareth comme un asile où ils ne furent conduits que par la marche ultérieure des choses. Au contraire, Luc, plus fidèle à recueillir les faits historiques, adoptant une modification de la légende ou modifiant lui-même la légende, mit l’importance prépondérante du côté de Nazareth, que lui donnait l’histoire ; il en fit le domicile primitif des parents de Jésus, et leur séjour à Bethléem ne fut considéré que comme une résidence temporaire occasionnée par une circonstance fortuite.

Les choses étant ainsi, personne ne voudra ni laisser indécise avec Schleiermacher[151] la question de savoir dans quel rapport les deux récits sont avec le fait réel, ni, avec Sieffert[152], se décider exclusivement pour Luc[153].

  1. Dernièrement, Tholuck (d’abord dans : Liter. Anzeiger, maintenant dans : Glaubwürdigkeit, u. s. f., S. 158-198) a composé sur le cens un mémoire très étendu, qu’Olshausen (S. 127) nomme un travail de maître. Olshausen s’est laissé tromper par le geai couvert des plumes du paon ; depuis, Schulz, dans l’Examen de l’écrit de Tholuck (Lit. Blatt der a. K. Ztg., 1837, n° 69, f.), l’a mis à nu en montrant que presque toutes les citations empruntées à tous les auteurs possibles et étalées avec tant de pompe, étaient un bien étranger, appartenant à Lardner. Au reste, ce mémoire est quelque chose de remarquable ; d’abord on y montre la vérité de plusieurs autres renseignements donnés par Luc et contrôlés par l’histoire profane, comme si celui qui a raison neuf fois ne pouvait pas se tromper la dixième ; comme si la plupart des passages allégués par Tholuck ne se rapportaient pas à des temps bien postérieurs, sur lesquels en conséquence Luc pouvait avoir des notions plus exactes ; et comme s’il n’était pas vraisemblable qu’il s’est trompé au sujet de Lysanias et de Theudas, comme au sujet du recensement.

    Lorsqu’il en vient au passage même relatif au recensement, Tholuck trouve admissibles toutes les explications déjà proposées ; le passage peut être une glose ; mais aussi πρώτη peut être pris pour προτέρα, ou bien être l’équivalent de πρῶτον, et πρῶτον l’équivalent de demum ; et puis rien n’empêche de lire αὐτὴ au lieu de αὕτη. Comme la défiance de chacun de ces expédients se cache mal sous l’apparence de la confiance en tous !

    Il sera question plus loin d’inexactitudes de détail et même d’inadvertances.

  2. Olshausen, Paulus, Kuinœl, sur ce passage.
  3. Tholuck, S. 194 ff. : Neander, S. 19.
  4. Cassiodor, Variarum, 3, 52 ; Isidor., Orig. 5, 36.
  5. C’est faire preuve d’une extrême négligence que d’invoquer ici le monument d’Ancyre, qui contient, dit-on (Osiander, S. 95), un recensement de tout l’empire pour l’an de Rome 746 ; car, en examinant cette inscription, on ne trouve sur la seconde table que trois recensements des citoyens romains, census civium romanorum. Suétone (Octav. 27) les désigne aussi comme recensements du peuple, census populi ; et Dion Cassius, 55, 13, représente expressément l’un de ces recensements comme comprenant les habitants de l’Italie, ἀπογραφὴ τῶν ἐν τῇ Ἰταλίᾳ κατοικούντων. Comparez aussi Ideler, Chronol. 2, S. 339.
  6. C’est ce qu’a prouvé Savigny lui-même, Zeitschrift für geschichtliche Rechtswissenschaft, 6. Bd., S. 350 f.
  7. Dans le prétendu passage décisif de Suidas, on trouve les mots empruntés à Luc : αὕτη ἡ ἀπογραφὴ πρώτη ἐγένετο.
  8. Hoffmann, S. 231.
  9. Josèphe, Antiq. 17, 13, 2. B. j. 2, 7. 3.
  10. Ibid. 17, 13, 5 et 18, 1, 1. B. j. 2, 8, 1.
  11. Comparez Paulus, Exeg. Handb., 1, a, S. 171. Winer, bibl. Realwörterbuch, d. A. Abgaben.
  12. Tacit. Annal., 1, 11 ; Suétone, Octav., 101. Mais si, dans cet écrit, opes publicæ continebantur, quantum civium sociorumque in armis ; quot classes, regna, provinciæ, tributa aut vectigalia, et necessitates ac largitiones, le nombre des troupes et les sommes que les princes juifs avaient à fournir pouvaient y être indiqués sans qu’un recensement eût été fait dans leur pays. Pour la Judée en particulier, Auguste eut par devers lui le recensement fait par Quirinus postérieurement à la naissance de Jésus.
  13. Ὅτι, πάλαι χρώμενος ἀυτῷ φίλῳ, νῦν ὑπηκόῳ χρήσεται. Josèphe, Antiq. 16, 9, 3. Mais la bonne intelligence fut rétablie longtemps avant la mort d’Hérode, Josèphe, Ant. 16, 10, 9.
  14. Ib. 17, 2, 4 : Tout le peuple juif promettant par serment d’être fidèle à l’empereur et aux intérêts du roi, παντὸς τοῦ Ἰουδαϊκοῦ βεϐαιώσαντος δι’ὁρκῶν ἦν μὴν εὐνοῆσαι Καίσαρι καὶ τοῖς βασιλέως πράγμασι. Ce serment, loin d’être une mesure mortifiante pour Hérode, avait été prise dans son intérêt ; c’est ce que prouve la passion avec laquelle il punit les Pharisiens qui ne le prêtèrent pas.
  15. Tholuck, S. 192 f. ; mais (et c’est la réfutation de toutes ces suppositions) l’insurrection qu’excita le recensement après la déposition d’Archélaüs prouve que c’était la première mesure romaine de cette espèce dans la Judée.
  16. Antiq. 17, 9, 3 ; 10, 1 seq. ; B. j. 2, 2, 2. Mais Sabinus ne voulait que les forteresses et le trésor d’Hérode.
  17. Antiq. 18, 1, 1.
  18. Bell. jud. 2, 8, 1, 9, 1. Antiq. 17, 43, 5.
  19. Par exemple, Kuinœl, Comm. in Luc., p. 320.
  20. Adv. Marcion. 4, 19.
  21. Voyez dans Winer, Realwörterbuch, d. A. Quirinus.
  22. Storr, Opusc. acad. 3, p. 126, seq. ; Süskind, vermischte Aufsætze, S. 63, et récemment Tholuck, S. 182 f.
  23. Michaelis, Anmerck. z. d. St. und Einl. in das N. T. 1, 71.
  24. Münter, Stern der Weisen, S. 88. Comparez Hoffmann, S. 235.
  25. Le passage de Josèphe, B.j., 2, 8, 1, où il est dit de Judas le Galiléen qu’après la déposition d’Archélaüs il souleva, à cause du recensement, les indigènes, τοὺς ἐπιχωρίους, ne prouve pas aussi promptement que Hoffmann le pense, p. 234, que le recensement s’était aussi étendu à la Galilée ; car Josèphe dit dans son ouvrage postérieur et plus exact, Antiq., 18, 1, 1 : Quirinus vint aussi dans la Judée, réunie au gouvernement de Syrie, pour faire le recensement des propriétés des Juifs, et pour vendre les biens d’Archélaüs, παρῆν δὲ καὶ Κυρήνιος εἰς τὴν Ἰουδαίαν, προσθήκην τῆς Συρίας γενομένην, ἀποτιμησόμενός τε αὐτῶν τὰς οὐσίας καὶ ἀποδωσόμενος τὰ Ἀρχελάου χρήματα. Ainsi le recensement, qui comprenait au reste, d’après 17, 13, 5, tout ce qui, de la Syrie, était province romaine, fut évidemment borné, en Palestine, à la principauté de Judée. Que l’on compare ensuite la description de la révolte, Antiq., 18, 1, 1. 2, 1, où il n’est plus question de la Galilée, où Judas s’appelle le Gaulanite, et où le grand-prêtre complaisant à Jérusalem est représenté comme entraîné par la multitude, καταστασιασθεὶς ὑπὸ τῆς πληθύος ; on sera forcé de considérer la Judée comme le théâtre de l’insurrection, et prendre l’expression du livre sur la Guerre judaïque, indigènes, ἐπιχωρίους, dans un sens plus étendu, ou supposer que Judas, ayant mis en mouvement les Galiléens, naturellement turbulents, par la perspective d’un recensement qui allait bientôt les atteindre, avait, de là, transporté la révolte en Judée.
  26. Voyez les passages de Wetstein et Paulus.
  27. C’est ce que montre Credner, l. c., S. 234.
  28. Ueber den Lukas, S. 35 f.
  29. Comparez Paulus, l. c., S. 179. Si la présence de Marie, dit Tholuck, n’était pas indispensable dans le recensement juif, elle l’était dans le recensement romain : et il invoque (S. 191) le passage de Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom., 4, 14, passage qui lui est fourni par Lardner. Pour des gens comme Olshausen, une pareille assertion est vraie sans autre vérification, et il la copie textuellement (p. 127) ; mais, si l’on recourt au passage, on n’y trouve rien que le décret de Servius Tullius, d’après lequel les Romains devaient se faire inscrire avec leurs femmes et leurs enfants, γυναῖκάς τε καὶ παῖδας, dont ils donnent seulement le nom (ὀνομάζοντας), sans les amener avec eux. Le nom le plus doux que l’on puisse appliquer à cette manière d’invoquer les autorités est inadvertance.
  30. Dans Schmidt’s Bibliothek für Kritik und Exegese, 3, 1, S. 124. Comparez Kaiser, bibl. Theologie, 1, S. 230 ; Ammon, Fortbildung, 1, S. 196 ; Credner, Einl. in d. N. T., 1, S. 155 ; De Wette, Exeget. Handbuch z. d. St. Il est singulier que Sieffert (Ueber den Ursprung des ersten Ev. S. 68 ff., 158 ff.) fasse un reproche à Matthieu de ne rien savoir des circonstances qui amenèrent, de Nazareth à Bethléem, les parents de Jésus. (Voyez d’un autre côté Kern, Sur l’Origine de l’évangile de Matthieu, dans Tübinger Zeitschrift für Theologie, 1834, 2, S. 115). Il n’est pas moins étonnant que Winer (b. Rw. 2, S. 350) défende Luc de s’être trompé sur la date du cens de Quirinus, en disant que cet évangéliste, d’après les Actes des apôtres, 5, 37, a bien connu ce recensement, car ce passage même des Actes, où Theudas est mal placé par rapport à Judas, montre que l’auteur n’était pas très fort sur la chronologie de ce temps.
  31. Cap. 17, seq. ; comparez Historia de Nativitate Mariæ et de Infantia Servatoris, c. 13.
  32. Fabricius dans Codex apocryphus N. T. 1, p. 105, not. y.
  33. Protev. Jac., c. 17.
  34. Dial. c. Tryph. 78.
  35. C. Cels. 1, 51.
  36. Hess, Geschichte Jesu, 1, S. 43. Olshausen, bibl. Comm. 1, S. 132.
  37. Paulus, Exeget. Handbuch, S. 182.
  38. Dial. c. Tryph. 70 et 78.
  39. Cap. 14.
  40. Cap. 4, dans Thilo, p. 69.
  41. Voyez Gabler dans neuest. theol. Journal, 7, 4, S. 410.
  42. Ueber den Lukas, S. 33. Comparez Neander, L. J. Chr. S. 22.
  43. Dans son Essai sur les histoires des miracles du Nouveau Testament ; comparez Gabler, neuestes theolog. Journal, 7, 4, S. 411. Ici encore l’auteur de l’Histoire naturelle du prophète de Nazareth ne trouve pas, dans les miracles du récit évangélique, un aliment suffisant à son besoin d’explication naturelle ; il entreprend en outre de redresser, à sa façon, les fables des évangiles apocryphes.
  44. Exeg. Handhuch, 1, a, S. 180 f. Tandis que Paulus suppose un phénomène naturel extérieur, Matthæi, Synopse der vier Evangelien, S. 3, admet une apparition angélique intérieure.
  45. Hebræische Mythologie, 2. Thl. S. 223 ff.
  46. Examen de la Mythologie hébraïque de Bauer, dans Gabler’s Journal für auserlesene theol. Literatur, 2, 1, S. 58, f.
  47. Neuest. theol. Journal, 7, 4, S. 412 f.
  48. In Luc. 2 ; dans Suicer, 2, p. 789, seq.
  49. Servius ad Virg. Eclog. 10, 26.
  50. Liban. Progym. p. 138, dans Wetstein, S. 662.
  51. Cyrus, d’après Herod. 1, 110, seq. ; Romulus, d’après Tite-Live, 1, 4.
  52. Voyez les passages dans Wetstein, p. 660 seq.
  53. C’est l’opinion de Thilo, Codex apocryphus N. T. 1, p. 383, not.
  54. Voyez Schœttgen, l. c., 2, p. 531.
  55. Sota, 1, 48 : « Sapientes nostri perhibent circa horam nativitatis Mosis totam domum repletam fuisse luce. » (Wetstein.)
  56. Ueber den Lukas, S. 29. f. Aujourd’hui Neander, L. J. Ch. S. 21 f., se joint entre autres à Schleiermacher.
  57. Comparez de Wette, Kritik der mosaischen Geschichte, S. 116 ; George, Mythus und Sage, S. 33 f.
  58. Que l’on compare ; 1 Mos. 37, 11 (lxx) : Ἐζήλωσαν δὲ αὐτὸν οἱ ἀδελφοὶ αὐτοῦ · ὁ δὲ πατὴρ αὐτοῦ διετήρησε τὸ ῥῆμα. Voyez en outre les Rabbins dans Schœttgen. Horæ, 1, 262.

    Luc, 2, 18, seq. : Καὶ πάντες οἱ ἀκούσαντες ἐθαύμασαν — ἡ δὲ Μαριὰμ πάντα συνετήρει τὰ ῥήματα ταῦτα, συμϐάλλουσα ἐν τῇ καρδίᾳ αὑτῆς. 2, 51 ; Καὶ ἡ μήτηρ αὐτοῦ διετήρει πάντα τὰ ῥήματα ταῦτα ἐν τῇ καρδίᾳ αὑτῆς.

  59. Peut-être par précaution, et pour prévenir les objections des Juifs ? (Ammon, Fortbildung, 1, S. 217.)
  60. Pirke R. Elieser, 33 : Sex hominum nomina dicta sunt antequam nascerentur, Isaaci nempe, Ismaelis, Mosis, Salomonis, Josiæ et nomen regis Messiæ. (Comparez Bereschit rabba, sect. 1, 3, 5, dans Schœttgen, Horæ, 2, p. 436.) Si primitivement on n’a entendu par là que le nom de la fonction messianique, il fallut bien, dès qu’une personne réelle fut reconnue comme Messie, penser à son nom (contre Hoffmann, S. 247, répété par Osiander, S. 103).
  61. Comparez Schneckenburger, über den Ursprung des ersten kanonischen Evangeliums, S. 69 ff.
  62. Joseph. B. j., 6, 6, 4 (Olshausen cite ici, par le malentendu d’une citation de Kuinœl, qui est erronée aussi, des chapitres de Josèphe dans lesquels non seulement il n’y a rien de cette attente, mais qui n’existent même pas) ; Tacite, Hist. 5, 13 ; Suétone, Vespas. 4. Ce qui nous est resté des temps mêmes de la naissance du Christ ne se rapporte que d’une manière indéterminée à un dominateur du monde. Comparez Virgile, Ecl. 4. Suétone, Octav. 94.
  63. Lorsque je dis qu’il ne convient pas de supposer qu’une intervention divine favorise la superstition, je parle de la prétendue intervention immédiate ; dans l’intervention médiate, qui renferme la coopération de l’homme, le vrai et le faux sont toujours mêlés ensemble. Neander, L. J. Ch. S. 29, confond ces deux points de vue.
  64. Paulus sur ce passage, Exeg. Handbuch et De Wette.
  65. D’après Hoffman, S. 256 f., pour contrôler le dire des mages, en demandant à ses propres astrologues s’ils avaient vu l’étoile ; motif qui non seulement n’est pas autorisé par le texte, mais qui même le contredit, puisque Hérode est représenté comme ajoutant foi, dès l’abord, aux mages avec terreur.
  66. Fritzsche a dit avec justesse sur ce passage : Comperto, quasi magos non ad se redituros statim scivisset, orti sideris tempore, etc.
  67. K. Ch. L. Schmidt, Exeg. Beitræge, 1, S. 150, f. ; comparez Fritzsche, Comm. in Matth., p. 82, et De Wette.
  68. Hoffmann pense qn’Hérode ne se serait pas permis une telle violation des droits de l’hospitalité, Hérode que lui-même il représente avec raison comme un monstre de cruauté. Cette conduite nous paraît ici en contradiction, non avec le cœur d’Hérode (et en cela l’argumentation de Neander, p. 30, est superflue), mais avec son intelligence.
  69. Schmidt, Exeg. Beitræge, S. 155, f.
  70. Stark, Synops. bibl. exeg. in N. T., p. 62.
  71. Par exemple Eusèbe, Demonstr. evang. 9, cité dans Suicer, 1, p. 559.
  72. Chrysostôme et d’autres dans Suicer, l. c., et l’Evangelium infantiæ arabicum, c. 7.
  73. Voyez dans Kuinœl, Comm. in Matth. p. 23.
  74. Vermischte Aufsætze, S. 8.
  75. Bibl. Comm. sur ce passage ; de même Hoffmann, S. 261.
  76. Schmidt, Exeg. Beitræge, 1, 152 ff.
  77. C’est ce que Steudel dans : Bengel’s Archiv., 7, 2, 423 f., 8, 3, 487, fait voir contre Olshausen. (Comparez Hoffmann, S. 262 f.)
  78. Voyez Schmidt, l. c., S. 156.
  79. Babylon. Sanhedr. f. 107, 2, dans Lightfoot, p. 207. (Comparez Schœttgen, 2, p. 535.) D’après Josèphe, Antiq. 13, 13, 5, 14, 2, c’étaient des Juifs de tout âge et de tout sexe, et particulièrement des Pharisiens.
  80. Joseph. B. j. 1, 30, 3. (Comparez Antiq. 17, 4, 1.)
  81. Macrob. Saturnal. 2, 4 : Quum audisset (Augustus) inter pueros, quos in Syria Herodes rex Judæorum intra bimatum jussit interfici, filium quoque ejus occisum, ait : Melius est Herodis porcum (ὗν) esse quam filium (υἱόν).
  82. Voyez Wetstein, Kuinœl, Olshausen sur ce passage ; Winer, d. A. Herodes.
  83. Fritzsche, Comm. in Matth., p. 93 seq.
  84. Chrysostôme et d’autres.
  85. Gratz, Comm. zum Ev. Matth., 1, S. 115.
  86. Kuinœl, ad Matth., p. 44 seq.
  87. Voyez Wetstein sur ce passage.
  88. Schneckenburger, Beitræge zur Einl. in das N. T. S. 42.
  89. Gieseler, dans Studien und Kritiken, 1831, 3. Heft. S. 588 f. ; et Fritzsche, S. 104. (Comparez Hieron. ad Jesai. 11, 1.)
  90. Ces deux explications sont dans Kuinœl sur ce passage.
  91. Kepler, dans plusieurs traités ; Münter, der Stern der Weisen ; Ideler, Handbuch der mathemat. und techn. Chronologie, 2. Bd., S. 399 ff.
  92. Voyez dans Olshausen, S. 67.
  93. Paulus, l. c., S. 202, 221.
  94. Bengel’s Archiv., 7, 2, S. 424.
  95. Il est vrai que plus tard des calomnies juives se rattachent à ce voyage de Jésus en Égypte, mais elles sont de toute autre nature ; j’en parlerai dans le chapitre suivant.
  96. Sur l’explication des récits de miracles d’après le mode de leur formation, dans Henke’s Museum, 1, 3, 399 ff. De pareilles explications se trouvent dans le Mémoire sur les deux premiers chapitres de Matthieu et de Luc, dans Henke’s Magazin, 5, 1, 171 ff., et dans Matthæi, Religionsgl. der Apostel, 2, S. 422 ff.
  97. L. J. C., S. 29 f.
  98. Orig. c. Cels. 1, 60 ; Auctor op. imperf. in Matth. dans Fabric. Cod. Pseudepigr. V. T. p. 807 seq.
  99. Schmidt’s Bibliothek, 3, 1, S. 130.
  100. In loc. Num. (dans Schœttgen, Horæ, 2, p. 152) : Multi interpretati sunt hæc de Messia.
  101. Justin, Hist. 37, 2.
  102. Sueton., Jul. Cæs. 88.
  103. Jalkut Rubeni, f. 32, 3 (dans Wetstein : Qua hora natus est Abrahamus pater noster, super quem sit pax, stetit quoddam sidus in oriente, et deglutivit quatuor astra quæ erant in quatuor cœli plagis. D’après un écrit arabe intitulé Maallem, cette étoile qui annonce la naissance d’Abraham est vue en songe par Nemrod. Fabric. Cod. pseudepigraph. V. T. 1, p. 345.
  104. Testamentum XII patriarcharum, test. Levi, 18. (Fabric. Cod. pseudepigraph. V. T., p. 584 et suivantes) : καὶ ἀνατελεῖ ἄστρον αὐτοῦ (de l’ἱερεὺς καινὸς messianique) ἐν οὐρανῷ… φωτίζον φῶς γνώσεως κ. τ. λ. Pesikta Sotarta f. 48, 1 (dans Schœttgen, 2, p. 531) : Et prodibit stella ab oriente, quæ est stella Messiæ, et in oriente versabitur dies quindecim. Comparez Sohar Genes f. 74, dans Schœttgen, 2, 524, et quelques autres passages que Ideler indique dans Handbuch der Chronologie, 2. Bd. S. 409, Anm. 1, et Bertholdt, Christologia Judæorum, § 14.
  105. Comparez avec les passages cités dans la note précédente le Protévangile de Jacques, ch. 21 : Εἴδομεν ἀστέρα παμμεγέθη, λάμψαντα ἐν τοῖς ἄστροις τούτοις καὶ ἀμϐλύνοντα αὐτοὺς τοῦ φαίνειν. L’exagération est encore plus grande dans Ignace, Ep. ad Ephes., 19. Voyez la collection des passages à ce relatifs, dans Thilo, Cod. apocr. 1, p. 390 seq.
  106. Exeg. Beitræge, 1, S. 159 ff.
  107. Fritzsche, dans la suscription du chapitre II : Etiam stella, quam judaica disciplina sub Messiæ natales visum iri dicit, quo Jesus nascebatur tempore exorta est.
  108. Si dans Matthieu, 2, 11, il est dit des mages : Προσήνεγκαν αὐτῷ… χρυσὸν καὶ λίϐανον, il est dit dans Isaïe, 60, 6 (LXX) : Ἥξουσι, φέροντες χρυσίον, καὶ λίϐανον οἴσουσι. Le troisième présent, qui dans Matthieu consiste en σμύρνα, est dans Isaïe λίθος τίμιος.
  109. V. 1 et 3 : Surge, illuminare Jerusalem : quia venit lumen tuum, et gloria Domini super te orta est.
  110. Æneid. 2, 693 seq.
  111. Cela a été indiqué par Wetstein sur ce passage.
  112. Hérod., 1, 108 seq. ; Tite-Live, 1, 4.
  113. Octav., 94 : Ante paucos quam nasceretur menses, prodigium Romæ factum publice, quo denuntiabatur regem populi romani naturam parturire ; senatum exterritum censuisse ne quis illo anno genitus educaretur ; eos qui gravidas uxores haberent, quod ad se quisque spem traheret, curasse ne senatus-consultum ad ærarium deferretur.
  114. Déjà Bauer (Sur le mythique dans la première période de la vie de Moïse, dans n. theol. Journal 13, 3) avait comparé, avec la conservation merveilleuse de Moïse, la conservation de Cyrus et de Romulus. La comparaison du massacre des innocents à Bethléem fut ajoutée par De Wette, Kritik der mos. Geschichte, S. 176.
  115. Joseph., Antiq., 2, 9, 2 : Τῶν ἱερογραμματέων τις… ἀγγέλλει τῷ βασιλεῖ, τεχθήσεσθαί τινα κατ’ ἐκεῖνον τὸν καιρὸν τοῖς Ἰσραηλίταις, ὃς ταπεινώσει μὲν τὴν Αἰγυπτίων ἡγεμονίαν, αὐξήσει δὲ τοὺς Ἰσραηλίτας τραφεὶς, ἀρετῇ δὲ πάντας ὑπερϐαλεῖ, καὶ δόξαν ἀείμνηστον κτήσεται. Δείσας δὲ ὁ βασιλεύς, κατὰ γνώμην τὴν ἐκείνου κελεύει πᾶν τὸ γεννηθὲν ἄρσεν ὑπὸ τῶν Ἰσραηλιτῶν εἰς τὸν ποταμὸν ῥιπτοῦντας διαφθείρειν.
  116. Jalkut Rubeni (continuation du passage cité page 290, n. 1) : Dixerunt sapientes Nemrodi : Natus est Tharæ filius liac ipsa liora, ex quo egressurus est populus qui hæreditabit præsens et futurum seculum ; si tibi placuerit, detur patri ipsius domus argento auroque plena, et occidat ipsum. Comparez aussi le passage du livre arabe, dans Fabricius, Cod. pseudepigr., l. c.
  117. Protev. Jacobi, c. 22 seq.
  118. 2 Mos., 4, 19, lxx : Βάδιζε, ἄπελθε εἰς Αἴγυπτον· τεθνήκασι γὰρ πάντες οἱ ζητοῦντές σου τὴν ψυχήν.

    Matth. 2, 20 : Ἐγερθεὶς… πορεύου εἰς γῆν Ἰσραήλ· τεθνήκασι γὰρ οἱ ζητοῦντες τὴν ψυχὴν τοῦ παιδίου. Il faut remarquer ici que ce n’est que par le passage de l’Ancien Testament que l’on s’explique comment il se trouve, dans le passage de l’évangéliste, un pluriel, qui ne convient pas ici. Voyez Winer, N. T. Gramm., S. 149. De plus, comparez 2 Mos., l. c., v. 20, avec Matth., v. 14 et 21.

  119. Voy., par ex., Schœttgen, Horæ, 2, p. 209.
  120. Theile, zur Biographie Jesu, § 15. Anm. 9 ; Hoffman, S. 269.
  121. Comparez mes Streitschriften, 1, 1, S. 42 f. ; George, S. 39.
  122. Neander, L. J. Ch., S. 27.
  123. Schleiermacher, über den Lukas, S. 47, regarde comme symbolique le récit des mages, etc., tout en dédaignant de prendre en considération les passages de l’Ancien Testament et autres qui sont relatifs à ce récit, mais il en est puni ; car, pour l’explication du récit, tantôt il reste dans les généralités, tantôt il s’engage dans la fausse route.
  124. Lightfoot, Horæ, p. 202.
  125. Schneckenburger, über den Ursprung des ersten kanonischen Evangeliums, S. 69 ff.
  126. Voyez, par exemple, Augustin, de Consensu evangelist., 2, 5 ; Storr, opusc. acad., 3, p. 96 ff. ; Süskind, dans Bengel’s Archiv, 1, 1, S. 216 ff.
  127. Parmi les modernes, par exemple, Hess, Geschichte Jesu, 1, S. 51 ff. ; Paulus, Olshausen, sur ce passage.
  128. Süskind, l. c., p. 222 : « Luc, en disant : lorsqu’ils eurent tout fait selon la loi du Seigneur, ils retournèrent à Nazareth, καὶ ὡς ἐτέλεσαν ἅποντα κατὰ τὸν νόμον Κυρίου, ὑπέστρεψαν εἰς Ναζαρέτ, s’exprime comme celui qui veut dire, c’est-à-dire éveiller chez ses lecteurs l’idée que les parents de Jésus se rendirent immédiatement, et sans interposition d’un autre voyage, de Jérusalem à Nazareth. » Cela était même un motif pour lequel Süskind et d’autres préféraient intercaler, avant la présentation dans le Temple, la visite des mages et la fuite.

    D’après Michaelis (Remarques à sa traduction, p. 379) le chemin de Jérusalem à Nazareth passe par Bethléem : or, Bethléem est dans une direction opposée !

  129. La même différence dans la fixation chronologique de ces deux événements se trouve aussi entre deux différents textes de l’Apocryphe : Historia de Nativitate Mariæ et de infantia servatoris. Voyez Thilo, p. 385. not.
  130. Cette incompatibilité des deux récits a été saisie de bonne heure par quelques adversaires du christianisme : Épiphane, Hæres., 51, 8, à côté de Celse et de Porphyre, nomme encore un Philosabbatius.
  131. Neander, L. J. Ch., S. 33, Anmerk.
  132. Schleiermacher, über den Lukas, S. 47 ; Schneckenburger, l. c.
  133. Antiq., 14, 9, 4. 15, 1, 1 et 10, 4.
  134. L’évangile de Nicodème, c. 16, le nomme, à la vérité, le grand maître, ὁ μέγας διδάσκαλος ; et le Protévangile de Jacques, c. 24, le fait prêtre ou même grand-prêtre. Voyez les variantes dans Thilo, Cod. Apocr. N. T. 1, p. 271. Comparez 303.
  135. 1. Thl., S. 205 ff. Hoffmann aussi (S. 276 f.) prétend qu’on ne peut expliquer les discours des deux vieillards qu’en supposant qu’ils connaissaient l’histoire de l’enfance.
  136. Cap. 6 : Viditque illum Simeon senex instar columnæ lucis refulgentem, cum domina Maria virgo, mater ejus, ulnis suis eum gestaret… et circumdabant cum angeli instar circuli, celebrantes illum, etc. ; dans Thilo, p. 71.
  137. C’est ainsi que s’exprime E. F., dans le mémoire Sur les deux premiers chapitres de Matthieu et de Luc, dans Henke’s Magazin, 5. Bd., S. 169 f. Une semblable demi-mesure se voit dans Matthæi, Synopse der vier Evang., S. 3, 5 f.
  138. Comparez, avec les paroles adressées par Siméon à Marie ; Καὶ σοῦ δὲ αὐτῆς τὴν ψυχὴν διελεύσεται ῥομφαία (v. 35), comparez les paroles du psaume messianique de malheur, v. 21 : ῥῦσαι ἀπὸ ῥομφαίας τὴν ψυχήν μου.
  139. Schleiermacher, über den Lukas, S. 37. Comparez contradictoirement les observations présentées dans le § xviii et les auteurs cités, p. 146, note 4.
  140. Neander fait ici (S. 24 f.), des amplifications apocryphes, comme plus haut des ornements poétiques, le caractère du mythe. L’un est aussi erroné que l’autre.
  141. Olshausen, Bibl. Comm., 1, S. 142 f.
  142. Dial. c. Tryph., 78 : « Joseph vint de Nazareth, où il demeurait, à Bethléem, d’où il était, pour se faire recenser, ἀνεληλύθει (Ἰωσὴφ) ἀπὸ Ναζαρέτ, ἔνθα ᾤκει, εἰς Βηθλεέμ, ὅθεν ἦν, ἀπογράψασθαι. » Cependant on pourrait entendre les mots d’où il était, ὅθεν ἦν, comme désignant seulement le lieu de sa tribu, surtout si l’on réfléchit à l’addition de Justin : Car sa race était de la tribu de Juda, qui habite cette terre, ἀπὸ γὰρ τῆς κατοικούσης τὴν γῆν ἐκείνην φυλῆς Ἰούδα τὸ γένος ἦν.
  143. Beitræge zur Einleit. in das N. T. 1, S. 217. Comparez Hoffmann, S. 238, f., 277 f.
  144. C. 1, 8, 10.
  145. C’est ainsi que s’exprime Paulus, Exeg. Handbuch, 1, a, S. 178.
  146. Ueber die Unzulæssigkeit der mythischen Auffassung u. s. f. 1, S. 101.
  147. L. J. Ch. S.33.
  148. Tertull. Adv. Marcion., 4, 8. Epiph. Hæres., 29, 1.
  149. Comparez K. Ch. L. dans Schmidt’s Bibliothek, 3, 1, S. 123 f. ; Kaiser, Bibl. Theol., 1, S. 230.
  150. C’est sur quoi s’appuie, par exemple. Heydenreich, Über die Unzulæssigkeit, u. s. f, 1, S. 99.
  151. Ueber den Lukas, S. 49. Une semblable hésitation se voit dans Theile, Zur Biographie Jesu, S. 15.
  152. Ueber den Ursprung, u. s. w., S. 68 f. u. S. 138.
  153. Comparez Ammon, Fortbildung, 1, S. 174 ff. ; De Wette, Exeg. Handb., 1, 2, S. 24 f. ; George, S. 84 ff. C’est un fait que différents narrateurs essaient différentes explications d’une même donnée et qu’ensuite les explications sont souvent réunies dans un seul et même livre. On en peut rapporter une foule d’exemples pris dans l’Ancien Testament. Ainsi la Genèse donne trois dérivations du nom d’Isaac, comme il a été remarqué plus haut, p. 191 ; deux du nom de Jacob (25, 26 ; 27, 16) ; deux des noms d’Edom (25, 25 ; 25, 30) et de Bersaba (21, 31 ; 26, 33). Comparez De Wette, Kritik der mos. Gesch., S. 110 ; 118 ff., et mes Écrits polémiques, 1, 1, S. 83 ff.