Vie de Claire-Clémence de Maillé-Brézé, princesse de Condé, 1628-1694/Texte entier



VIE
DE
CLAIRE-CLÉMENCE
DE MAILLÉ-BRÉZÉ
PRINCESSE DE CONDÉ
1628-1694
PAR
CHARLES ASSELINEAU
PARIS
LÉON TECHENER, LIBRAIRE
rue de l’arbre-sec, 52
M DCCC LXXII



AVANT-PROPOS.



Un hasard m’a jeté sur la trace de la princesse de Condé. Je ne me doutais pas en écrivant le commentaire historique d’un portrait de Petitot[1], que j’en poursuivrais l’original à travers les Mémoires et les Chansonniers du temps.

Un attrait irrésistible pour un ami de l’histoire m’entraînait à cette recherche, l’attrait de l’inconnu, de la nouveauté, du mystère. La vie de Claire-Clémence de Maillé-Brézé, princesse de Condé, n’a jamais été écrite, quoiqu’elle méritât de l’être autant par l’importance de la personne elle-même que par l’intérêt des événements. Cette vie cachée, ignorée appelait la lumière, moins comme gloire que comme réparation ; et ainsi le besoin de justice s’ajoutait à l’attrait de la curiosité.

Une victime est toujours intéressante : on veut savoir néanmoins si elle l’est légitimement, et dans quelle mesure elle mérite l’admiration, ou la pitié. C’est là véritablement, sans vouloir trop grossir les choses ni donner trop d’importance à ces menus problèmes de l’histoire, ce qui m’a conduit des Historiettes de Tallemant des Réaux aux Lettres de Mme de Sévigné et à la Correspondance de Bussy, des Mémoires de Mademoiselle au Recueil de Maurepas, et de Walkenaër à Lord Mahon.

Par l’étrangeté des aventures autant que par la lutte des sentiments et des passions, la vie de Claire de Maillé eût aisément fourni la matière d’une de ces histoires romanesques, telles qu’en ont écrites Mme de la Fayette et Mme de Tencin, telles qu’en écrivait encore au commencement de ce siècle Mme de Genlis. Mais la mode en est passée, et ce n’est pas moi qui la restaurerai.

J’ai donc dû me borner à recueillir et à coordonner entre eux les quelques traits qui nous sont parvenus de cette figure effacée.

J’ai constaté dans le cours de cette notice que les renseignements étaient rares. On ne les rencontre même pas toujours là où on les va chercher et où l’on pourrait le mieux se flatter d’en trouver. Par exemple, M. Cousin dans ses Études sur les Femmes illustres au temps de la Fronde, ne parle qu’en passant de la princesse de Condé, et seulement pour mentionner la déception causée par ce mariage politique au chevaleresque amant de Marthe du Vigean. Le moment, l’épisode où Claire de Maillé, réveillée par le danger, se montra la vraie fille d’un maréchal de France et la digne compagne d’un héros, est resté suspendu entre deux récits : La Jeunesse de Madame de Longueville, et Madame de Longueville pendant la Fronde. Peut-être M. Cousin a-t-il pris le temps de combler cette lacune de son histoire. Peut-être l’épisode qui nous manque s’est-il retrouvé traité et achevé dans ses papiers et viendra-t-il quelque jour relier entre eux et compléter ceux que nous avons déjà. Ce jour-là notre modeste travail perdra le peu d’intérêt qu’il doit à notre seule bonne volonté, car indubitablement l’historien passionné qui trouvait tout et ne négligeait rien aura étendu ses recherches bien au delà de la portée même de notre vision.

À défaut de documents nous trouvons néanmoins dans le second récit un jugement que nous devons rapporter parmi les témoignages favorables à notre obscure héroïne.

« Au premier rang du conseil, et environnée d’universels hommages (il s’agit de la seconde Fronde), était Mme la princesse de Condé qui s’était si noblement conduite dans la première guerre de Guyenne, en 1650. Cette fois, fatiguée par une grossesse pénible, toujours souffrante et éclipsée par sa belle-sœur, elle s’effaçait volontiers et se bornait avec sa douceur accoutumée à recommander autour d’elle la modération et l’union, surtout l’absolue obéissance aux instructions de son mari, dont elle-même ne cessa de donner le plus parfait et le plus touchant exemple[2]. »

Une vue si juste du caractère et du rôle de la princesse de Condé, et si conforme aux attestations de ceux qui l’ont connue, nous fait regretter d’autant plus que M. Cousin ait ajourné l’occasion de nous dire tout ce qu’il savait d’elle et de sa vie.

Un autre ouvrage eût sans doute répandu sur notre sujet une lumière décisive, c’est l’Histoire des Princes de la Maison de Condé, publiée en 1869, chez Michel Lévy. Malheureusement cet ouvrage entravé dans sa publication par des motifs tout à la gloire de l’auteur, s’est arrêté au tome second avant même la naissance du vainqueur de Rocroy. Nul doute que les archives de la maison de Condé, dont disposait l’auteur, n’eussent produit révélation sur révélation, et résolu jusqu’à l’évidence tout ce que nous avons laissé à l’état de problème ou de conjecture. Néanmoins les proportions mêmes de cette simple étude nous rendaient la modestie facile, et nous dispensaient en quelque sorte de l’ambition de viser au définitif et au complet. Nos prétentions sont plus humbles. Nous n’avons voulu que réunir ici les renseignements que nous avons pu rencontrer, sans la moindre pensée de rivalité avec des travaux plus amples et plus prolongés. Nous apportons notre maigre javelle, heureux si nous pouvons ajouter quelques brins à la botte des moissonneurs plus vaillants et plus robustes.

Une perte à jamais regrettable est celle de l’Historiette que le grand informateur des faits et des choses au temps de la Fronde, Tallemant des Réaux, s’était proposé de consacrer à la princesse de Condé. On lit au tome III de son livre (Historiette de la reine de Pologne) :

Comme j’ay dessein de mettre autant qu’il me seroit possible tout de suitte ce qui tousche à l’hostel de Rambouillet, j’ay trouvé à propos d’insérer icy la reyne de Pologne et ses sœurs par occasion, parce qu’elle aimoit fort Mme de Montauzier, et je prétens finir par Madame la Princesse, Mme de Longueville et les précieuses[3]

Et M. Paulin-Paris ajoute dans son excellent commentaire :

« Les trois dernières Historiettes, si précieuses pour nous, ne se retrouvent pas dans le manuscrit de des Réaux. Ou la pensée ne fut pas réalisée, ou l’auteur plus tard jugea convenable de supprimer un cahier de son ouvrage. Peut-être les aura-t-il détachées une fois pour les communiquer à quelque ami discret qui ne les aura pas rendues… Par madame la Princesse il faut entendre sans doute Claire-Clémence de Maillé dont les aventures, les malheurs, les imprudences auraient en effet bien mérité un historien particulier[4]… »

Que ce regret de M. Paulin-Paris serve d’excuse à notre témérité comme à notre insuffisance.


Charles Asselineau.

LA
PRINCESSE DE CONDÉ
(claire-clémence de maillé-brézé)
FEMME DU GRAND CONDÉ.



Claire-Clémence de Maillé-Brézé fut à l’âge de treize ans mariée à Louis de Bourbon, duc d’Enghien, le futur héros de Rocroi et de Lens ; et dès avant le mariage, et encore après, le jeune duc protesta par acte en forme qu’il cédoit à la violence et qu’il subissoit le pouvoir de l’autorité paternelle. Henri II, prince de Condé, qui exigeoit ce mariage, suivoit ses instincts de courtisan ambitieux et avide, en recherchant l’alliance du cardinal de Richelieu, dont Mlle de Brézé étoit la nièce par sa mère, Nicole du Plessis. Mlle de Montpensier, qui croyoit avoir plus de raison que personne de s’indigner de cette recherche, dit en propres termes que M. le Prince se mit aux pieds de Son Éminence pour lui demander à la fois Mlle de Brézé pour le duc d’Enghien, et M. de Brézé son frère pour Mlle de Bourbon, et qu’il n’échappa à la honte d’une double mésalliance que par la clémence du cardinal, qui lui répondit « qu’il vouloit bien donner des demoiselles à des princes, mais non des princesses à des gentilshommes[5]. »

Lenet, le serviteur assidu de la maison de Condé, et en ce temps-là le confident du duc d’Enghien, nous a conservé tout le détail de sa résistance. Il raconte qu’un jour à la chasse le jeune duc lui confia qu’il étoit résolu à s’enfuir et à se jeter dans Dôle pour se soustraire à la persécution de son père ; mais le vieux courtisan, instruit par le sort du comte de Soissons de ce qu’il en coûtoit de traiter légèrement les nièces de Richelieu, ne tint compte ni des répugnances de son fils, ni de ses protestations.

Mlle de Brézé entroit donc dans la famille de Condé par la voie détestable de l’autorité et de la politique. Son époux l’avoit en aversion ; sa belle-mère, Charlotte-Marguerite de Montmorency, la méprisoit ; Mme de Longueville, sa belle-sœur, ne l’estimoit pas ; Mlle de Montpensier déclare qu’elle lui faisoit pitié, et c’étoit le mot le plus doux qu’elle pût trouver pour une personne qui contrarioit si fort ses vues. Enfin M. le Prince, son beau-père, « la protégeoit sans l’aimer. »

Personnellement, la jeune duchesse méritoit-elle cette aversion et ces mépris ? Mademoiselle nous dit à la vérité qu’elle étoit gauche, et que « du côté de la beauté et de l’esprit elle n’avoit rien qui la mît au-dessus du commun. » Mais Mme de Motteville, moins passionnée et plus désintéressée dans ses jugements, lui reconnoît quelques avantages. « Elle n’étoit pas laide, dit-elle ; elle avoit les yeux beaux, le teint beau et la taille jolie… Elle parloit spirituellement, quand il lui plaisoit de parler… » Lenet, dont nous n’avons voulu donner le témoignage qu’en second à cause de son attachement à la famille, qui pouvoit le rendre suspect, déclare qu’elle étoit « brune et belle, et autant agréable qu’il y en eust à la cour[6]. » Mme de Motteville ajoute que si Mme de Condé n’eut pas toujours le talent de plaire au bal et dans les conversations, la fidélité qu’elle garda à son mari dans l’adversité, et le zèle qu’elle montra pour ses intérêts et pour ceux de son fils pendant la campagne de Guyenne, auroient dû compenser le malheur de n’avoir pu mériter, par de plus éminentes vertus, une réputation plus éclatante et mieux établie.

Il faut en quelque sorte ici deviner sous les façons de parler du temps quelles étoient ces vertus éminentes qui ont manqué à la princesse de Condé pour mériter l’estime de son mari ; ou se demander si la fidélité éprouvée, le courage, le dévouement n’étoient point alors des vertus éminentes. Ils l’étoient sans doute, et il est probable que ce que Mme de Motteville entend par ces mots, c’est plutôt l’éminence des qualités propres aux femmes, et qui en ce temps-là, plus que jamais, emportoient un genre d’illustration qui ressembloit vraiment à de la gloire : l’éclat de la beauté, de l’esprit, des grâces, de l’intrépidité, le charme, en un mot, que possédèrent à un si haut degré une Mme de Longueville, une Mme de Chevreuse, une Marie de Hautefort, une Mlle du Vigean.

Quoi qu’il en soit du mérite personnel de Mme la princesse de Condé, le peu qu’elle en avoit justifieroit-il le malheur de sa destinée ? Non : quelque beauté, de l’esprit, de la vertu, du courage ; un esprit timide peut-être, une vertu sans éclat, un courage même médiocre, prompt à se déconcerter, et qui avoit besoin pour se développer de la pression des événements et du danger ; ce n’étoit pas là sans doute de quoi appeler les furies implacables.

À considérer cette vie vraiment déplorable, et du commencement à la fin affligée de tous les genres de douleurs et d’humiliations, on devine l’ascendant d’une fatalité invincible, le guignon, la conjuration funeste des événements et du sort. Le malheur de Claire de Brézé commence dès ses premières années. Lorsqu’elle épousa le duc d’Enghien, à l’âge que l’on sait, il y avoit déjà six ans qu’elle avoit perdu sa mère, morte en 1635. Que devint son enfance, livrée à la négligence d’un père fantasque et libertin, gouverné dès avant son veuvage par une maîtresse, femme d’un de ses laquais qu’il fit tuer à la chasse afin d’être plus libre[7] ; d’un père à qui, dit Tallemant, — qui le prouve, — l’amour fit faire d’étranges choses, et qui, lors du mariage de sa fille, disoit négligemment, comme s’il se fût agi d’une autre : Ils vont faire cette petite fille princesse[7] ?

Le premier souvenir que les Mémoires aient conservé d’elle semble à lui seul tout un présage de son amère destinée. Dans un bal d’enfants, donné par Monsieur au Luxembourg, on imagina comme divertissement d’apporter des cages pleines d’oiseaux, auxquels on donnoit la volée dans la salle. Un de ces oiseaux, effarouché, s’alla glisser dans la fraise tuyautée et goudronnée de Mlle de Brézé qui, surprise et effrayée, « se mit à crier et pleurer avec tant de véhémence, qu’elle fit redoubler le rire que cet accident imprévu avoit causé dans toute l’assemblée. » Hélas ! pauvre enfant ! déjà pleurante et raillée ! Cette ironie insultant à son effroi et à son chagrin, elle devoit l’entendre toute sa vie.

Le jour de ses noces fut marqué par un autre accident, ridicule aussi, mais qui sans doute eût frappé de terreur l’âme d’une Romaine. Mlle de Brézé étoit petite, et, pour lui donner quelque avantage, on l’avoit chaussée de souliers si hauts, « qu’elle pouvoit à peine marcher. » En dansant une courante, elle glissa sur ses talons trop élevés, et… tomba. Mademoiselle, qui rapporte le second accident et aussi le premier, n’ajoute pas un mot de condoléance ; et certes elle n’avoit pas dû être des moins empressées à rire et de la frayeur de l’enfant et de la maladresse de la danseuse[8].

Mais voici des fatalités plus graves.

À la gaucherie de la provinciale timide et de la fille élevée sans mère s’ajoutent les trahisons du sort, la conspiration des événements et des passions contraires. Claire-Clémence ne tomba pas qu’une fois ce jour-là. Des obstacles inconnus, mystérieux, invisibles, auxquels son innocence se heurta, lui firent faire une chute plus profonde et plus douloureuse au-dessous du ridicule et du mépris.

En 1641, date de ce mariage funeste, le duc d’Enghien, à peine âgé de vingt ans, n’avoit encore servi que comme volontaire sous les ordres du maréchal de La Meilleraye, au siége d’Arras ; mais dès cette première campagne il avoit déjà montré par son activité, par son zèle, par sa témérité, l’impatience de l’obscurité et l’amour de la gloire dont il devoit s’emparer, si jeune encore, à deux ans de là.

Mademoiselle, plus croyable quand elle parle de Condé que quand elle parle de la princesse sa femme, nous apprend ce qu’avoit été avant ce début la jeunesse du duc d’Enghien, dans quelle dépendance le tenoit son père, et quelle vie appliquée et sans distraction il lui faisoit mener auprès de lui et dans les académies, après qu’il eut terminé ses études au collége des Jésuites de Bourges.

« Il l’avoit tenu, dit-elle, toujours à Dijon, sans lui rien donner et sans lui permettre aucune liberté : ce jeune prince s’ennuyoit de ne pas se faire connoître ; et il a bien paru depuis qu’il avoit dès ce temps-là des qualités pour le pouvoir faire avantageusement. » Ce premier siége et ces premiers combats l’avoient émancipé. Il s’en revint à Chantilly, affranchi par le péril et par le commandement qu’il avoit exercé (car, dit Lenet, les volontaires s’étoient montrés glorieux de mettre à leur tête un homme de cette élévation), ayant déjà mordu à ces fruits généreux dont il étoit affamé, et baptisé sur le champ de bataille par le sang du baron de La Ferté-Saint-Nectaire, blessé à côté de lui. M. Cousin a raconté, en quelques pages enchantées de ce beau livre, la Jeunesse de Mme de Longueville, quels étoient en ce temps-là les plaisirs de cette noble famille, la beauté des jardins de Chantilly, de Liancourt et de Ruel, les divertissements mêlés de haute galanterie et de badinage poétique, auxquels prenoient part Mlle de Bourbon et ses jeunes amies, le duc d’Enghien et ses compagnons d’armes, et Voiture, et Sarrazin, les beaux esprits de la maison. Phase de délices, enivrements passagers où, d’un côté, l’héroïsme relevoit la frivolité, et où, de l’autre, les traditions sévères de l’hôtel de Rambouillet sauvegardoient la foiblesse et la grâce. On les voit passer, ces jeunes vaillants et ces charmantes, sur ces terrasses et dans ces parterres merveilleux illustrés par Perelle et chantés par Sarrazin. Et à les voir ainsi marcher deux à deux, ou converser ensemble, ou rêver à l’écart, on croiroit réalisée la fiction délicieuse d’un d’Urfé, d’un Tasse ou d’un Watteau. Tout leur conseilloit l’amour : le lieu, la solitude, l’âge et leur noblesse même qui, en les faisant tous dignes, parce qu’ils étoient tous égaux, ôtoit jusqu’à l’appréhension d’une erreur, jusqu’au scrupule d’une décadence. Les nacelles qu’ils détachoient des rives de la pièce d’eau les menoient à l’Île d’Amour ; les bois et les étangs, la forêt profonde et les eaux dormantes évoquoient mille souvenirs mythologiques, et les vers charmants que rimoient facilement pour eux les plus gracieux maîtres de la poésie galante, ne leur parloient que de Diane, d’Astrée et d’Alcine. Ne cherchons plus à recomposer les paysages magnifiques de la vallée du Lignon, ni la forêt des Ardennes, ni le palais d’Armide ! Si jamais le bonheur, paré de toutes les grâces, de tous les prestiges de la jeunesse : beauté, splendeur du rang, luxe de la vie, vaillance, héroïsme ; si jamais la poésie du bonheur et de l’amour existèrent quelque part, ce fut dans ces lieux si beaux, peuplés d’êtres si choisis, si généreux, si également comblés de dons si rares.

On sait de quel roman délicat Condé fut en ce temps-là le héros à Chantilly et quelle en fut l’héroïne. Mlle du Vigean, une La Vallière sans foiblesse, qui porta au couvent des Carmélites le deuil de son unique et chaste amour, fut au dire de Mme de Motteville la seule que Condé ait véritablement aimée. Il n’est resté aucun portrait d’elle[9] ; et avant les généreuses recherches du biographe de Mme de Longueville, à qui la passion du savoir a fait poursuivre dans les archives du couvent et dans les manuscrits du temps les moindres traces de sa vie, on ignoroit jusqu’à ce doux prénom de Marthe « qui, dit-il, répond si bien à son caractère et à sa destinée. » À quoi bon demander si elle étoit belle ? Quelques vers de Voiture, où elle est comparée à l’aurore, à une fleur s’épanouissant, à l’innocence qui ignore son pouvoir et ses charmes, et une déclaration non suspecte de Mademoiselle, peu disposée à exagérer les mérites de celles qu’aimoit Condé, nous apprennent qu’elle étoit d’une beauté peu ordinaire. Sans le savoir, nous l’aurions bien cru. Le peu de bruit qui s’est fait autour de sa vie, marque d’un respect rare en ce temps-là, sa discrétion, sa fierté, la dignité de sa retraite, tout annonce une âme sérieuse et forte, digne d’être la compagne d’un héros, sa confidente, et peut-être même sa conseillère. Peut-être, dans ses entrevues d’adieu si déchirantes, où Condé prêt à rejoindre l’armée pleuroit et s’attendrissoit, nous dit-on, jusqu’à s’évanouir ; peut-être Mlle du Vigean pleuroit-elle moins que lui, quoique non moins affligée. Elle l’encourageoit sans doute ; et par sa fermeté, par la gravité de sa douleur, elle lui inspiroit une confiance plus mâle et des sentiments plus dignes de sa gloire.

« À la rigueur, dit M. Cousin, le duc d’Enghien pouvoit fort bien imaginer qu’il ne lui seroit pas impossible d’obtenir de son père et du roi, c’est-à-dire du cardinal de Richelieu, leur consentement à un mariage, disproportionné sans doute, mais qui n’avoit rien de dégradant. Mlle du Vigean étoit fort riche, et sa famille étoit en grand crédit. Richelieu la favorisoit, et il ne lui eût pas trop déplu de voir un prince du sang redescendre un peu de son rang. Le mariage qui fut imposé à Condé quelque temps après, n’étoit pas beaucoup plus relevé que celui-là. » Mais étoit-ce bien là qu’alloient ses pensées, et n’est-ce pas forcer un peu les choses que de sortir ici de la sphère éthérée du roman, de l’amour désintéressé et sans autre but que lui-même ? Du moins Lenet, sans se tromper sur la violence et sur la sincérité de la passion du duc d’Enghien pour Mlle du Vigean, nous le fait voir dans le même temps préoccupé de pensées, de projets tout différents. Il nous le montre, fidèle en cela au génie de sa maison, songeant à une alliance illustre et plus conforme à sa destinée. Mlle de Montpensier, plus jeune que lui de quelques années, n’étoit pas mariée, et aucun parti convenable ne se présentoit pour elle. Le jeune duc, raisonnant en grand seigneur et en prince du sang, pouvoit se promettre de grands avantages d’une union qui faisoit rentrer le nom et les biens des Montpensier dans la maison de Bourbon. Le cardinal et le roi, à qui tant d’avantages réunis dans une seule famille pouvoient donner ombrage, étoient vieux et maladifs. Aussi fut-ce la première objection qu’il opposa aux vues du prince son père, qu’il « ne pouvoit consentir à aucune alliance tant qu’une princesse de sa maison, belle, jeune, spirituelle et comblée de biens, seroit à marier[10]. » Ainsi il alloit, de l’intérêt de son amour à l’intérêt de sa grandeur, hésitant entre son affection et son orgueil ; mais voyant, quelque parti qu’il prît, pour se consoler de ce qu’il abandonnoit, soit la satisfaction de son cœur, soit l’accomplissement de son ambition.

C’est alors qu’elle arrive, la pauvre provinciale, gauche, on l’a dit, timide, peu habituée à la cour et au monde, sans mère qui la conseille, sans un père pour la gouverner ; médiocre d’esprit, ordinaire en beauté, ayant juste assez de l’un et de l’autre ce qu’il en falloit pour se faire écraser par la comparaison. Elle butte tout d’abord contre les deux plus terribles écueils que pût rencontrer son inexpérience : elle blesse le cœur de son mari dans ses deux passions les plus vives, son amour et son ambition. Tout tourne contre elle, sa jeunesse, son innocence et jusqu’à la toute-puissance de son oncle, qui ajoute au désespoir du jeune prince la honte d’épouser la nièce d’un favori.

On sait déjà quelle fut la résistance de Condé : en se soumettant, il conservoit encore l’espoir de s’affranchir, et pendant deux ans il eut la fermeté de ne rien entreprendre qui pût contrarier le projet qu’il avoit de rompre son mariage. Le cardinal n’ignoroit pas de quelle façon sa nièce étoit traitée. Il ressentoit vivement ces mépris et ces outrages, et ne prévoyoit que trop bien de quel affront suprême ils seroient suivis dès qu’il ne seroit plus là pour protéger sa famille.

Aussi, dans cette dernière année de sa vie, lorsque Condé se résolut à rentrer en faveur auprès de lui et à réparer l’offense qu’il avoit faite à son frère, l’archevêque de Lyon, en refusant de lui rendre visite, la première condition que le cardinal mit à ses bonnes grâces fut que le duc vivroit désormais en bon mari avec sa femme et même, comme dit Lenet qui souligne le mot, qu’il coucheroit avec elle de bonne foy.

Le duc, cette fois, s’exécuta, et s’exécuta même si bien, que, peu de jours après ce retour, la duchesse fut trouvée enceinte du duc de Bourbon. Il est vrai, comme l’ajoute encore le fidèle narrateur, qu’en rentrant à Paris, M. le duc trouva Mme la duchesse fort grandie et embellie.

La voilà donc mère ; et il semble qu’après cet événement décisif le duc dut renoncer à tout projet de séparation, et avoir dès lors pour sa femme le respect et les ménagements que méritoit au moins celle qui venoit de donner un héritier à sa maison. Il n’en fut rien ; et ce dernier affront prévu par son oncle, la nièce de Richelieu devoit le subir, sinon de fait, du moins d’intention : mais l’outrage en étoit-il moins dur ? C’est alors que tout conspire contre elle ! Le cardinal étoit mort, et Condé, déjà illustre par les victoires de Rocroi et de Thionville, trouvoit au ministère, au lieu d’un adversaire et d’un maître tout-puissant, un allié déjà obligé à lui par la gloire qu’il jetoit sur son pouvoir nouveau. Mme la Princesse qui n’avoit jamais pris son parti sur la mésalliance, encourageoit son fils. Mademoiselle prétend savoir que la rupture eût été autorisée si l’on avoit été assuré que Condé n’y avoit pas d’autre intérêt que d’épouser Mlle du Vigean.

Heureusement le Prince de Condé vivoit encore, et quoi qu’on ait dit de sa cupidité qui lui fit envisager surtout la perte de l’héritage du cardinal, il est certain qu’il prit le parti de l’honneur en s’opposant à la répudiation d’une épouse irréprochable, et doublement légitimée par la maternité. La reine partagea ce sentiment, et on ne put jamais l’amener à consentir au déshonneur immérité d’une vertueuse femme, déjà si malheureuse et, jusque dans son triomphe, si humiliée.

Elle devoit avoir son jour pourtant ; et ce jour, amené par tant de désastres et par la captivité de son mari, approchoit. Lors de l’arrestation des princes, tandis que la princesse douairière de Condé conféroit à Chantilly sur les meilleures mesures à prendre pour la délivrance des prisonniers et pour le salut de son petit-fils, la jeune princesse, dominant sa timidité, interrompit Lenet qui exposoit un plan de fuite et un plan de campagne, et après les plus humbles témoignages de respect et de déférence pour sa belle-mère, la supplia de ne point la séparer de son fils, protestant qu’elle le suivroit partout avec joie, quel que fût le danger, et qu’elle s’exposeroit à tout pour le service du prince son mari[11].

À partir de ce moment, nous avons, pour ainsi dire jour par jour dans les Mémoires de Lenet, les preuves du zèle et de la constance de la princesse de Condé. Elle s’échappe à pied de Chantilly avec son fils et une petite troupe de fidèles, et traverse Paris, d’où elle se rend en trois jours et par des chemins détournés à Montrond, lieu marqué par Lenet comme le plus sûr pour une retraite et le plus avantageux en cas de défense. Ses lettres à la reine et aux ministres, aux magistrats, à ses parents, sont pleines de noblesse et de fermeté. Menacée dans Montrond par La Meilleraye qui s’avançoit avec ses troupes, elle s’échappe encore à la faveur d’une partie de chasse, après avoir pourvu à la sûreté de la place et des places qui en dépendoient, et s’en va rejoindre à travers mille difficultés, tantôt à cheval et tantôt en litière ou en bateau, les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld, qui la conduisent à Bordeaux. Il faut lire dans Lenet tout le détail de ce pénible voyage et de cette pénible insurrection de Bordeaux, qu’il a racontée avec la minutie et avec l’animation d’un témoin et d’un acteur qui a été plus d’une fois au premier rang. Plus de timidité, plus de gaucherie ; en présence du danger, la fille du maréchal de Brézé s’est réveillée amazone et presque héroïne. Elle passe des revues, tient conseil, négocie, donne des ordres. À peine arrivée à Bordeaux, où son entrée fut un triomphe, elle assiége la chambre du Parlement pour faire enregistrer ses requêtes et ses protestations contre l’injuste détention de son mari. « Elle sollicitoit les juges à mesure qu’ils sortoient dans la grand’chambre, et fondoit en larmes en leur représentant le malheureux état de toute sa maison opprimée… Le jeune duc, qu’un gentilhomme (Vialas) portoit sur ses bras, se jetoit au cou des conseillers quand ils passoient, et les embrassant, leur demandoit les larmes aux yeux la liberté de monsieur son père, d’une manière si tendre, que ces messieurs pleuroient aussi amèrement que lui et que madame sa mère, et lui donnoient tous bonne espérance… » Elle harangue les magistrats, les supplie, les presse ; elle les protége même, le jour où le peuple de Bordeaux, les trouvant trop timides à son gré, leur voulut faire rapporter par force un arrêt contraire aux vues du parti des princes. Elle se rend au palais, et du haut des marches elle conjure cette foule furieuse et lui fait mettre bas les armes. « Et il faut advouer, dit Lenet, qu’elle avoit un talent particulier pour parler en public… et que rien ne pouvoit être mieux, plus à propos, et plus conforme à sa qualité que ce qu’elle disoit. » Ce jour-là, la princesse de Condé sur le perron de l’hôtel de ville de Bordeaux, ne paroît plus si indigne de Mme de Longueville à l’hôtel de ville de Paris, ni de Mlle d’Orléans à la porte Saint-Antoine. Brienne ajoute qu’elle travailla de ses mains, avec les dames de la ville, aux fortifications, et qu’elle voulut broder elle-même, sur les drapeaux de son armée, l’emblème et la devise de la rébellion : une grenade éclatant avec ce mot : coacta[12] !

On sait quel fut le résultat de ces trois mois de résistance : la paix conclue à Bourges, l’amnistie accordée à tous ceux qui avoient pris les armes en Guyenne, en un mot, toutes les conditions proposées par la princesse et les ducs concédées, hormis une seule, la principale, celle qui avoit été la première cause de tout ce soulèvement, la délivrance du prince de Condé que Mazarin persistoit à retenir prisonnier, tout en promettant de tout faire pour abréger sa captivité.

La princesse fut renvoyée à Montrond avec son fils, dépité sans doute de n’avoir pas vaincu, mais fière d’avoir tant osé et satisfaite d’avoir cette fois mérité sa prison. Il arriva pourtant ce jour, le jour de la reconnoissance et de la justice. Une fois déjà, étant encore à Vincennes, le prince en arrosant les tulipes chantées par Mlle de Scudéry, avoit dit à quelqu’un : Qui auroit jamais cru que j’arroserois des fleurs pendant que Madame la Princesse feroit la guerre ! Mais plus tard, la campagne de Bordeaux terminée, le prince encore prisonnier au Havre, envoyant une correspondance chiffrée à Lenet, y joignit un billet pour la princesse, et les termes en étoient si tendres que Lenet craignant que dans l’explosion de sa joie la princesse ne trahît le secret de cette correspondance, hésita quelques instants à lui en faire part. Ce billet, première et seule récompense du dévouement, du courage et de la constance, il faut le transcrire ici en gros caractères, comme la compensation tardive et avare d’une si longue méconnoissance, d’un si long mépris, de tant d’outrages cruels et immérités.

Il me tarde, madame, que je sois en état de vous embrasser mil fois pour toute l’amitié que vous m’avez témoigné, qui m’est d’autant plus sensible que ma conduite envers vous l’avoit peu méritée ; mais je sçauray si bien vivre avec vous a l’advenir, que vous ne vous repentirés pas de tout ce que vous avés faict pour moy, qui fera que je seray toute ma vie tout a vous et de tout mon cœur.

Pauvre Clémence de Maillé ! comme à ce premier témoignage d’une affection qu’elle avoit désespéré de gagner, son cœur si longtemps comprimé se desserre et s’épanouit ! et combien Lenet, en voyant cette folle expansion d’une joie si généreuse, dut se féliciter de n’avoir pas persévéré dans sa prudence de diplomate ! Elle prend la lettre, elle pleure, elle la baise ; elle la relit, elle veut la savoir par cœur (car elle peut la perdre !) ; puis elle choisit sur sa toilette son plus beau ruban (un beau ruban couleur de feu ! ), et y coud cette précieuse lettre, pour la pouvoir toujours porter sur elle, sous son vêtement, — sur sa chemise, — dit crûment Lenet, qui ajoute que ce délire de joie dura jusqu’au lendemain.

Hélas ! ce rayon fut le seul que Condé dans sa gloire laissa tomber sur elle, et il fut rapide. Le danger passé, la prison ouverte, Condé rétabli dans ses honneurs et dans son pouvoir, elle redevient l’épouse dédaignée, éloignée, humiliée. Mademoiselle, en la revoyant, demande s’il est vrai qu’elle ait eu part à ce qui s’étoit fait en son nom ? Au retour de Montrond (après la lettre !) elle l’a trouvée, il est vrai, plus habile ; mais elle est choquée de cette joie que montre la princesse à voir arriver le monde chez elle, jusque-là si abandonnée, et elle conclut que, « étant hors de son naturel, elle se surmontoit elle-même. » Après la conclusion de la paix à Bordeaux, la pauvre princesse encore tout échauffée de la lutte et pleine d’inquiétude sur l’avenir, vint avec son jeune fils se jeter aux genoux de la reine pour lui demander grâce et sûreté pour son mari. Tout ce que Mademoiselle remarque dans cette action, c’est que la princesse avoit mauvaise grâce, et que l’écharpe qui soutenoit son bras saigné de la veille étoit mise si ridiculement, aussi bien que le reste de son ajustement, que la reine et elle-même, Mademoiselle, « eurent grand’peine à s’empêcher de rire. »

Puis viennent des humiliations plus cuisantes et plus profondes en douleur. Deux fois la maladie la prend, et l’on prétend qu’elle va l’emporter. Et chaque fois cette nouvelle est accueillie à la cour comme l’annonce joyeuse d’un mariage ou d’une succession. On remarie Monsieur le Prince ; quelques-uns repensent à Mademoiselle : « Ce bruit vint jusqu’à moi, dit-elle, et j’y rêvai… » Malheureusement Madame la Princesse guérit ; et Mademoiselle put attendre Lauzun. Ailleurs, elle dit encore avec quelque dépit : « Madame la Princesse arriva en meilleure santé qu’on ne croyoit ; personne n’auroit cru qu’elle réchappât. »

Enfin un événement tragique, et dont les conséquences montrent sous un jour sinistre la persévérance des mauvais sentiments qu’on eut toujours pour elle dans la famille où elle était entrée, s’ajoute à cette suite à peine interrompue de tribulations, d’outrages, de maux et où ne devait manquer aucune sorte de calamités. Deux officiers de sa maison se prennent un jour de querelle et mettent l’épée à la main. La Princesse (elle avoit alors quarante-trois ans — 1671) se met entre eux pour les séparer, et elle reçoit un coup d’épée dans le côté. On fit le procès à celui qui l’avoit blessée. Quant à elle,

« Lorsqu’elle fut guérie, Monsieur le Prince la fit conduire à Châteauroux, qui est une de ses maisons. Elle y a été gardée très-longtemps en prison ; et à présent on lui donne seulement la permission de se promener dans la cour, toujours gardée par des gens que Monsieur le Prince tient auprès d’elle. Monsieur le duc fut accusé d’avoir conseillé à monsieur le Prince le traitement que recevoit madame sa mère : il étoit bien aise, à ce que l’on disoit, d’avoir trouvé un prétexte de la mettre dans un lieu où elle feroit moins de dépense que dans le monde[13]. »

Est-ce l’avarice héréditaire dans la maison de Condé qui se révèle par la pensée odieuse de cet indigne fils ? Pauvre femme ! trop dépensière, c’est là son crime. Elle avoit, il est vrai, follement mis ses diamants en gage à Bordeaux pour soutenir les frais de la guerre. Mais n’avoit-elle point, pour parer à ses prodigalités, apporté à M. le duc d’Enghien et à son père sa part de la fortune de Richelieu[14] ? Ces sages conseils d’un bon fils furent observés : la princesse de Condé étoit encore prisonnière à Châteauroux, lorsque le prince son mari mourut, en 1686 ; et par une précaution qui épouvante en donnant la mesure d’une haine implacable, il recommanda qu’elle continuât de l’être après sa mort. Cette fois, Mademoiselle trouve enfin une parole de pitié pour cette honnête femme persécutée : « J’aurois voulu, dit-elle en rapportant les derniers moments du prince, qu’il n’eût pas prié le roi que madame sa femme demeurât toujours à Châteauroux, et j’en fus fort fâchée… »

C’est là sans doute qu’elle mourut, en 1694, âgée de soixante-six ans. J’ai cherché dans les œuvres des prédicateurs et dans les recueils du temps une oraison funèbre à sa mémoire ; je n’en ai même pas trouvé la mention. Et j’en veux, je l’avoue, à Bossuet, de n’avoir pas, dans son panégyrique du héros, trouvé un mot d’éloge, de consolation, un mot de pitié même pour l’ombre malheureuse qu’il traîna derrière lui, « triste et souvent brisée. »

Au défaut d’une parole éloquente, nous avons ces humbles lignes où le fidèle Lenet a témoigné de la vertu et des mérites de l’héroïne de Bordeaux :

« Elle gagna l’affection d’une des plus considérables villes du royaume ; elle y soutint la guerre sans endetter sa maison ; elle donna le mouvement, par sa fermeté, à tout ce qu’on vit après éclore en faveur de M. son mari. Elle fit rétablir ses anciens amis et serviteurs dans leurs biens et dans leurs charges. Elle évita de tomber avec son fils entre les mains des ennemis de sa maison, et donna l’exemple à tout le royaume pour défendre l’innocence opprimée. Et surtout elle acquit, avec l’amitié et l’estime de M. son mari qui ne la croyoit pas capable de contribuer, autant qu’elle le fit, à sa liberté, celle de toute la France et, l’on peut dire, de toute l’Europe, qui vit faire avec étonnement à une jeune princesse sans expérience, tout ce que la prudence la plus consommée et la hardiesse la plus déterminée auroient pu entreprendre. »

Destinée mystérieuse, fatalité bizarre que ne justifient ni le démérite personnel, ni les torts, ni les fautes, et que ne purent conjurer ni l’amour, ni le dévouement, ni une vertu constante, éprouvée et respectée même de la calomnie.


APPENDICE.

DOCUMENTS IMPRIMÉS ET INÉDITS
SUR
CLAIRE-CLÉMENCE DE MAILLÉ-BRÉZÉ
PRINCESSE DE CONDÉ.



Les renseignements n’abondent pas sur la vie de la princesse de Condé. L’histoire lui a continué ce rôle effacé, ce rôle de victime refoulée et insultée, qu’elle avoit eu pendant sa vie. Quelques mots aigres de Mademoiselle, un portrait charitable plutôt que bienveillant de Mme de Motteville, les interprétations malicieuses de Bussy, la pitié équivoque de Mme de Sévigné, tel est à peu près le bilan des contemporains à son chapitre. Il reste, il est vrai, la chaleureuse apologie de Lenet, et son éloquent témoignage que peut malheureusement infirmer, auprès des esprits mal prévenus, sa qualité de serviteur de la maison de Condé. J’ai essayé d’intéresser au malheur de cette destinée, et d’y montrer constante, du commencement à la fin, l’influence du mauvais sort, de l’adversité, du guignon : du guignon qui corrompt et envenime tous ses avantages de naissance, d’alliance, et jusqu’à ses vertus mêmes ; du guignon qui dès le berceau lui enlève sa mère et abandonne sa jeunesse à la négligence d’un père fantasque et libertin ; qui dans un mariage imposé lui donne pour ennemis son mari, qu’elle aima toujours, sa belle-mère, et toute la maison où elle entroit ; qui annule les effets de son courage et de son dévouement pendant une campagne périlleuse ; qui enfin, après trente ans d’une vie honorée et pure de tout soupçon, la livre à la malignité publique à propos d’une aventure mystérieuse qui met le comble à ses malheurs et à ses affronts. J’avois mis d’un côté l’innocence, la fidélité, la vertu patiente, le désintéressement, l’héroïsme ; de l’autre, les dédains, les insultes, la persécution, les mauvais traitements, la haine implacable, la haine léguée par testament du père au fils ; et je m’étois demandé si par quelque défaut de nature, par quelque manquement grave, par quelque faute étouffée, mais devinable, la prisonnière de Châteauroux n’avoit pas accordé cette disparate et justifié la fatalité. Car j’admets la gaucherie, la mauvaise grâce, la déplaisance ; on comprend le dépit du consentement forcé et de la passion trahie, le ressentiment de la violence, l’horreur d’un nom détesté ; mais pour ces torts involontaires, rachetés d’ailleurs par une soumission parfaite et par un dévouement éclatant au jour du malheur, la rigueur inflexible, l’ingratitude froide, la séquestration, la mort sans pardon, il me semble que c’est trop.

Tous ceux et toutes celles qui, favorablement ou défavorablement, ont parlé de la princesse de Condé, conviennent de son courage et de la noblesse de sa conduite pendant la campagne de Guyenne. Les témoins impartiaux reconnaissent qu’elle ne manquoit pas d’agréments capables de donner de l’attachement : beauté, tendresse, vaillance, éloquence. Quant à sa vertu qu’aucune femme ne conteste, c’est par là que la malignité l’a attaquée à l’occasion d’un événement survenu trente ans après son mariage, alors qu’elle étoit âgée de quarante-trois ans. J’ai déjà raconté l’aventure : un gentilhomme, autrefois page de la princesse, se prend de querelle avec un valet de pied ; tous deux tirent l’épée, et la princesse, en voulant les séparer, est blessée au sein. Grande rumeur ; le bruit se répand que madame la Princesse vient d’être assassinée. Le peuple se presse aux portes de l’hôtel de Condé ; les langues travaillent ; les lettres circulent. On sait bientôt que le gentilhomme s’appelle Rabutin, et qu’il est parent du comte de Bussy. Le valet de pied, nommé Duval, est arrêté comme il se sauvoit, dans les jardins du Luxembourg. Là-dessus la malveillance fait son œuvre, et transforme cette querelle domestique en rivalité d’amour. Et voilà la princesse de Condé convaincue d’avoir eu en même temps pour amants son page et son valet.

Rappelons que la princesse avoit alors quarante-trois ans, et que sa réputation avoit été jusque-là intacte. M. Paul Boiteau, dans une note de son édition de l’Histoire amoureuse des Gaules (1856, Bibliothèque elzévirienne, p. 240), prétend, il est vrai, que Mme de Condé, délaissée par son mari, eut des amants. « Mademoiselle, dit-il, cite en 1649 Saint-Mégrin. » Voyons ce que dit Mademoiselle :

« Il courut un bruit, dans ce temps, que Saint-Mesgrin étoit amoureux de Mme la Princesse, et lui rendoit ses devoirs avec soin ; ce n’en étoit pas une marque : l’on ne manque pas de les rendre aux personnes de cette qualité. La reine alloit tous les jours aux litanies à la chapelle, et elle se mettoit dans un petit oratoire, au bout de la tribune où les autres demeuroient ; et comme la reine demeuroit longtemps après qu’elles étoient dites, celles qui n’avoient pas autant de dévotion s’amusoient à causer, et l’on remarquoit que M. de Saint-Mesgrin parloit à Mme la Princesse. Pour moi, je n’en voyois rien ; car j’étois dans l’oratoire avec la reine, où le plus souvent je m’endormois, n’étant pas une demoiselle à si longues prières ni à méditations. Je pensai que des amis de M. de Saint-Mesgrin l’avertiroient de supprimer ces conversations, et que, si elles venoient à la connaissance de M. le Prince, cela ne lui plairoit pas quoique madame sa femme fût fort sage, et qu’il s’en souciât très-peu. Ce qu’il fit, et l’on n’en parla pas davantage[15]. » Notons que le galant Saint-Mégrin, après avoir autrefois et vainement essayé de remplacer Condé dans le cœur de Mlle du Vigean[16], avoit très-bien pu vouloir prendre sa revanche en séduisant sa femme. Mais le passage des Mémoires marque-t-il qu’il ait réussi ? Ne prouve-t-il pas tout le contraire[17] ?

En conscience, ce témoignage ne peut compter pour une accusation. C’est donc à l’aventure de 1671 qu’il faut rapporter la première et l’unique imputation contre la vertu de la princesse de Condé.

Je n’ai pas grande confiance aux chansonniers.

Il ne faut pas les prendre pour des autorités en histoire ; mais on peut les consulter comme reflets de l’opinion publique. Les chansonniers, et c’est bon signe, se sont peu occupés de la princesse de Condé. Dans le recueil de Maurepas, ce vaste répertoire des scandales publics, où l’on voit chansonnés les noms les plus respectables, elle n’est citée que deux ou trois fois, et une fois encore à son avantage, comme nous le verrons. La pièce la plus longue et la plus significative est une fable en vers, déjà signalée par Walkenaër dans les notes de son Histoire de Mme de Sévigné (t. V, p. 399), et relative aux faits dont nous parlons. C’est ici le lieu de citer cette pièce, curieuse malgré sa médiocrité, et dont l’auteur est resté inconnu sans préjudice pour sa gloire. Nous rapporterons ensuite, comme commentaire, les divers passages des lettres et des mémoires contemporains où le fait a été discuté.


FABLE ALLÉGORIQUE.
LE LION, LE CHAT ET LE CHIEN[18].

         Un grand lion, dont le courage
S’étoit rendu fameux dedans tout l’univers,
Voyoit autour de lui les animaux divers

         Dans les liens du mariage.
         Il les regardoit fièrement,
         Et puis se disoit à lui-même :
« Que ces boucs, ces besliers, ces cerfs et ces taureaux,
Ces chevreuils et ces daims sont de laids animaux !
         Que ma douleur seroit extrême,
Si je voyois un jour des cornes à mon front !
         Mais mon courage et ma naissance
Me mettront à l’abri de ce cruel affront.
         Et, si l’on en croit l’apparence,
         Ce front est plutôt destiné
             A être couronné. »
Cependant le lion à l’hymen se dispose.
      Plusieurs (plus d’un) grands partis se proposent.
Il choisit entre tous une jeune beauté[19],
      Dont la douceur et la simplicité
             Furent capables de lui plaire.
      Elle choisit une vie (sic) solitaire
Afin que le lion ne pût être jaloux[20].
Le plus discret berger, la plus sage bergère,

Disoient : « Ne sauroit-on l’attirer parmi nous ?
De nos plus beaux troupeaux elle seroit la teste. »
Mais elle, qui fuyoit et le monde et le bruit,
Ne vouloit pas sortir de son petit réduit.
     Dans ce réduit, hélas ! que faisoit-elle ?
Rarement son lion se trouvoit auprès d’elle[21].
             Elle avoit un chat et un chien
             Qui faisoient tout son entretien.
Ils caressoient souvent cette bonne maîtresse,
     Qui leur rendoit caresse pour caresse.
         Mais enfin le chat et le chien
         Ne peuvent longtemps être bien.
L’un voulant chasser l’autre, il se fait du désordre.
En vain elle défend d’esgratigner, de mordre ;
Les méchants animaux deviennent furieux.
         Elle se jette entre les deux.

Mais, bien loin d’arrêter cette fureur brutale,
         Elle-même en reçoit des coups.
« Allez, s’écria-t-elle, allez, retirez-vous ;
Vous m’avez déchiré(e) de vos pattes fatales ! »
A ces cris aussitôt ils connoissent leur tort,
Et fuyent promptement pour éviter la mort.
Mais le grand bruit s’entend ; on court à la poursuite
         De ces animaux insolents.
Le lion veut savoir le sujet de leur fuite.
         Et du caquet des médisants.
     Et cependant il se gratte la teste ;
         Il trouve ce qu’il craint si fort.
« Ah ! me voilà, dit-il, au rang des autres bestes ;
         J’ai mesme un plus malheureux sort !
         C’est en vain, grandeur et prudence,
Que vous pensez changer les arrêts du destin.
     D’un foible chat, d’un indigne mastin,
Le grand lion reçoit tout l’outrage qu’il craint.
Malgré tout son esprit et toute sa puissance.


Voilà donc le bruit public, le cancan, nettement formulé : la Princesse, abandonnée ou, pour mieux dire, méprisée par son mari, se seroit à la fin lassée de son isolement, et pour se dédommager auroit pris pour amants son page et son laquais. Disons d’abord qu’en 1671 Louis de Rabutin n’étoit plus page de la princesse, et que depuis 1668 il avoit quitté sa maison, comme le prouve une note de Bussy que nous citerons plus loin. Comparons maintenant les diverses relations qui ont été données de l’événement en question par Mme de Sévigné, Mme de Montmorency, Bussy-Rabutin et Mlle de Montpensier. Dix jours après l’événement[22], le 23 janvier, Mme de Sévigné écrit à Bussy : « On me vient de conter une aventure extraordinaire qui s’est passée à l’hôtel de Condé. Mme la Princesse ayant pris, il y a quelque temps, de l’affection pour un de ses valets de pied nommé Duval, celui-ci fut assez fou pour souffrir impatiemment la bonne volonté qu’elle témoignoit aussi pour le jeune Rabutin, qui avoit été son page. Un jour qu’ils se trouvoient tous deux dans sa chambre, Duval ayant dit quelque chose qui manquoit de respect à la Princesse, Rabutin mit l’épée à la main pour l’en châtier ; Duval tira aussi la sienne, et la Princesse se mettant entre-deux pour les séparer, elle fut légèrement blessée à la gorge. On a arrêté Duval, et Rabutin est en fuite. Cela fait grand bruit dans ce pays-ci (à Paris). » Le style n’est pas généreux, ni la pensée non plus : les mots d’affection, de bonne volonté ; ceux-ci : ils se trouvoient tous deux dans sa chambre, sont d’un vague assez peu charitable que Bussy dissipe brutalement dans sa réponse (lettre du 1er février) : « L’aventure de notre cousin (Rabutin) n’est ni belle, ni laide : la maîtresse lui fait honneur, et le rival de la honte. » Un mois après, Bussy reçoit une autre relation, celle de Mme de Montmorency ; et voici déjà quelques détails plus précis et plus vraisemblables :

« Pour vous dire l’histoire de Mme la Princesse, vous saurez qu’un homme qui avoit été à elle en qualité de valet de pied et auquel par une manière de pitié elle donnoit pension, n’en étant pas bien payé, la lui demanda insolemment devant un garçon de qualité qui porte votre nom, et qui avoit été nourri page de M. le Prince ; celui-ci trouva le procédé du valet de pied mauvais : sur cela, l’autre lui dit une insolence. Ils mirent l’épée à la main ; Mme la Princesse, voulant les séparer, fut blessée de deux coups, et là-dessus on a fait mille commentaires. L’on vouloit que ces deux hommes fussent bien avec elle, et que le valet de pied, croyant baisser, s’en prit à l’autre [et que] ce fut là le sujet de leur querelle. L’on a tourné cela le plus mal qu’on a pu pour Mme la Princesse, que M. le Prince a envoyée à Châteauroux. M. le duc (de Bourbon) a fait ce qu’il a pu pour rompre ce voyage ; mais la Palatine (la Dauphine) a mis la dernière aigreur dans l’esprit de M. le Prince. On dit que ce qui l’a encore plus irrité, c’est qu’il a su que Mademoiselle, qui le hait à cause de l’affaire de Lauzun, en a fait des railleries avec le roi. La colère de M. le Prince étoit si grande, que sans M. le duc Madame la Princesse s’en alloit sans équipage. Il n’y a point de désespoir pareil au sien. Personne que ses très-proches ne l’a vue en partant[23]. » Le récit fait par Mademoiselle dans ses Mémoires est, à peu de chose près, le même ; ce qui prouveroit qu’en 1677, à l’époque où Mademoiselle écrivoit, cette version étoit acceptée comme véritable. Elle parle aussi d’une réclamation insolente du valet de pied à Mme la Princesse, ou même d’une tentative de vol réprimée l’épée à la main par Rabutin, ancien page de M. le Prince. On sait de reste que Mademoiselle n’est pas suspecte d’indulgence à l’endroit de Mme de Condé[24].

Bussy, quoiqu’il eût répondu à Mme de Montmorency en badinant[25], comme à Mme de Sévigné, se rangea cependant plus tard à l’opinion de cette princesse et de Mlle de Montpensier, comme le prouve une note de sa correspondance relative à ce même Louis de Rabutin, son parent, qu’on a vu figurer dans l’affaire. Rabutin ne s’étoit pas laissé prendre ; il s’étoit caché d’abord, puis sauvé en Allemagne, où s’étant mis au service de l’Empereur, il épousa en 1682 une princesse de Holstein, Dorothée-Élisabeth, fille de Philippe, duc de Holstein-Wissembourg, et veuve de Georges-Louis, comte de Zinzendorf. C’est à la lettre de compliment qu’il adressa dans cette occasion à la princesse de Holstein que Bussy a ajouté la note suivante[26] :

« La fortune extraordinaire de Louis de Rabutin, troisième fils de Jean de Rabutin, chef de la branche des cadets de ma maison, m’oblige de dire par quelle aventure elle arriva. Il faut d’abord savoir que Louis étoit un des plus jolis garçons de France (toujours l’Histoire amoureuse des Gaules). Au commencement de 1664, son père m’ayant prié de le placer en quelque lieu digne de sa naissance, je le donnai pour page à M. le Prince qui, vu sa grande jeunesse, le fit page de Mme la Princesse. Il y demeura quatre ans, pendant lesquels il se rendit si soigneux auprès de sa maîtresse, qu’elle prit de la bonne volonté pour lui. Et, quand il sortit de l’hôtel de Condé, il entra dans les mousquetaires, où Mme la Princesse eut la bonté de contribuer à son équipage.

Comme il venoit de temps en temps lui rendre ses devoirs, il rencontra un jour dans sa chambre un de ses valets de pied nommé Duval, qui, ayant bu, parloit insolemment de la Princesse ; Rabutin, ne pouvant souffrir ce manque de respect, le traita de coquin et le menaça de le châtier s’il étoit ailleurs. Duval lui répondit avec tant d’arrogance que Rabutin ne put s’empêcher de mettre l’épée à la main pour le frapper ; Duval tira aussi la sienne, et la Princesse, les voulant séparer, se trouva légèrement blessée au sein. On entra dans la chambre sur le bruit qu’ils faisoient ; et pendant qu’on arrêtoit Duval, Rabutin sortit et se retira à l’hôtel des Mousquetaires, où il fut huit jours, après lesquels il s’en alla en Allemagne servir l’Empereur, etc. » Le reste de la note ne se rapporte plus qu’aux succès de Rabutin.

Cette note est précieuse ; car, dût-on prendre au sérieux les sous-entendus de l’auteur, elle écarte du moins la honte d’une ignoble rivalité. Nous voilà délivrés du valet de pied Duval ; il ne reste plus, comme chef d’accusation, qu’un jeune et joli page, de très-bonne maison, et qui par la suite de sa vie, s’est montré très-digne de l’attention d’une grande dame. Mme la Princesse eût-elle failli cette fois, ou plutôt à la fin défailli sous le poids accumulé du dédain, de l’ingratitude et de la persécution ; se fût-elle, à cet âge des regrets et dans son abandon, laissée prendre, pauvre femme rebutée, à la fraîche affection d’un cœur naïf, trahie peut-être par l’abondance de sa tendresse si longtemps refoulée, que nous ne la trouverions que trop excusable. Et dans tous les cas, Mme de Condé, pour avoir eu un amant, ne tomberoit pas au-dessous de Mme de Chevreuse, de Mme de Longueville et des autres héroïnes du temps.

Ce n’est pas en avocat décidé à plaider quand même l’innocence de Mme de Condé que nous poursuivons cette étude, mais en philosophe curieux de découvrir la vérité et de la dégager des complots de la haine, de la malice et de l’envie. Il déplaît cependant de penser qu’une vertueuse et courageuse femme, après une si constante et si noble résignation à l’injustice et à l’abandon, se soit tout à coup démentie à quarante ans passés par une foiblesse que la disproportion d’âge entre elle et son amant présumé rend presque ridicule. Car, si nous n’avons pour preuve à l’appui de la faute de Mme la Princesse que les assertions un peu légères de Mme de Sévigné et de son cousin, et une pièce anonyme tirée du recueil de toutes les médisances et de toutes les calomnies rimées du siècle, n’en est-ce pas une à sa décharge que l’âge de Rabutin, de cet enfant trouvé trop jeune pour le service d’un prince, et qui l’étoit en effet, puisqu’il n’avoit que douze ans en 1664[27], lorsque M. le Prince le donna pour page à sa femme ? Nous voyons qu’il quitta son service quatre ans après pour entrer dans les mousquetaires, et, par conséquent, à l’âge de seize ans. N’est-il donc pas plus simple et plus raisonnable de croire à une de ces affections maternelles, fruit ordinaire de l’automne de la vie des femmes, surtout après un été et un printemps stériles, comme ils l’avoient été pour Mme de Condé, deux fois trompée dans sa tendresse, comme femme et comme mère, par un époux ingrat et par un fils dénaturé ?

Un historien anglois, lord Mahon, qui parmi d’autres ouvrages remarquables a écrit une Vie de Condé[28], a répugné comme nous à l’idée de cette faute tardive, démentant une jeunesse irréprochable. Il objecte aussi l’âge de la Princesse et sa réputation jusque-là sans tache. Mais il ne tient pas compte de la circonstance, suivant nous très-notable, de l’âge de Rabutin, qui peut réduire cette grosse affaire au badinage innocent de Chérubin chez la comtesse Almaviva. L’honorable lord cite à l’appui de son opinion une correspondance secrète découverte par lui aux archives de Londres, et dont il donne quelques extraits. Ces extraits, qui vont du 16 de janvier au 24 du mois suivant, rapportent les faits déjà connus avec quelques différences que nous indiquerons. Ce n’est d’abord plus le valet de pied Duval qui est en scène, mais son frère qui, habitué aux bontés de la Princesse, seroit venu réclamer d’elle un nouveau don, et sur son refus l’auroit blessée de trois coups d’épée au sein droit ; et c’est pour lui sauver la vie que la Princesse auroit déclaré s’être blessée elle-même à son épée. Le page qui n’est point ici nommé, ne seroit survenu qu’après l’événement, aux cris de la Princesse, et lorsque l’assassin étoit déjà en fuite. La querelle, les épées tirées dans l’antichambre, etc., ne seroient donc qu’un mensonge charitable de Mme la Princesse de Condé pour sauver son assassin. Cette première note, que j’abrège de beaucoup, ajoute que le roi et toute la cour s’empressèrent de faire complimenter la Princesse au sujet de ce triste événement. — 20 janvier : « Duval après avoir subi trois interrogatoires a avoué, comme on alloit le remettre à la question, qu’il avoit blessé Mme la Princesse. La Princesse persiste à vouloir lui sauver la vie ; mais le Prince veut qu’il soit fait un exemple. » — 6 février : « M. le Prince, qui est retourné à Chantilly, a écrit au roi pour lui dire qu’il ne remettroit plus le pied à Paris tant que la Princesse sa femme y seroit. Sa Majesté a fait rendre en conséquence à la Princesse une lettre de cachet pour lui enjoindre de quitter immédiatement la cour et de sortir de la ville. » — 13 février : « Le roi exile Mme la Princesse de Condé à Châteauroux en Berry pour le reste de sa vie, de quoi elle est inconsolable. » — 20 février : « La Princesse de Condé est partie hier de Paris pour Châteauroux. Avant son départ, elle a envoyé chercher le curé de Saint-Sulpice avec lequel elle s’est entretenue sur des sujets de piété. Elle lui a dit : « Monsieur, c’est la dernière fois que vous me parlez ; je ne reviendrai jamais d’où le roi m’envoie. Mais la confession que je viens de vous faire servira quelque jour à prouver mon innocence. » Et là-dessus, elle lui a dit adieu. » — 24 février : « Le roi et le prince (de Condé), ont obligé la Princesse, avant son départ pour Châteauroux, à abandonner à son fils toute sa fortune qui monte au delà de cent mille écus de rente (crowns), libres de toute dette. Il ne lui a été permis de garder pour elle qu’une très-médiocre pension ; et encore a-t-elle répété trois fois qu’elle n’en profiteroit pas longtemps, et que le chemin qu’elle alloit prendre étoit le chemin de son tombeau. Elle s’est évanouie dans les bras du duc, son fils, en lui disant adieu[29]. »

Sauf quelques variantes inévitables dans le récit d’un événement caché et livré à l’incertitude du jugement public, ce document, dont le lord nous garantit l’authenticité, s’accorde assez sur les principaux points, et même sur quelques détails, avec les relations que nous connoissons déjà pour mériter quelque créance. Il se pourroit d’ailleurs que le dernier paragraphe nous livrât le mot véritable de cette mystérieuse affaire.

La dureté de Condé envers sa femme a été universellement blâmée[30]. Et en effet la Princesse eût-elle été réellement coupable, coupable de foiblesse et de lassitude, cet exil perpétuel, la séquestration, la mort civile, encore une fois c’étoit trop ! Faut-il prendre au sérieux l’allégation de l’historien-apologiste de Condé, Désormeaux, qui prétend que la Princesse étoit devenue folle, et que son esprit s’étoit dérangé dans la solitude (la solitude ! qui donc l’y avoit condamnée) ? Mais cette allégation d’un écrivain suspect, et même adversaire dans la cause, et qui n’est répétée nulle part, n’est-elle pas plutôt la preuve du besoin de donner après coup un prétexte à ces sévérités inouïes ?

Il y a plus de raison, et aussi plus d’autorité, dans cette déclaration de l’un des derniers descendants de Condé, qui reconnoît que son illustre aïeul s’empressa de profiter de l’occasion qui s’offroit pour exécuter le projet de séparation auquel il n’avoit jamais renoncé[31].

Et en effet là est la vraisemblance, et sans doute aussi la vérité. Condé ne pardonna jamais : ne pardonna jamais, non pas la faute ! que lui importait une foiblesse de cette femme qui ne lui étoit rien ? mais le tort irréparable de la naissance et de l’inopportunité. Cette femme qui l’aima toujours, qui s’étoit dévouée à lui, au péril de son crédit à la cour, de sa fortune et de sa liberté, fut toujours pour lui la nièce de Richelieu, l’épouse imposée, l’entrave appliquée à ses ambitions et à ses amours. L’élan de reconnoissance témoigné pendant la campagne de Guyenne ne fut qu’un éclair, qu’une illusion favorisée par l’éloignement et par la captivité. Le rapprochement dissipa le mirage. Condé en rentrant à la cour, retrouva dans mille circonstances le souvenir de la violence qu’il avoit subie. Les murs de son palais lui parlèrent de ses anciennes douleurs et de son humiliation ; et dès lors il n’y eut plus d’héroïne ; il n’y eut plus que l’être malencontreux et fatal qui avoit fait dévier sa vie. Les héros, de même que les grands artistes, enfants gâtés de la nature et de la Providence, sont implacables dans leurs ressentiments et féroces dans leurs antipathies. Leur résister, leur déplaire, c’est être coupable. Condé ne pouvant tuer sa femme, la supprima. Comment oublia-t-il la mère ?

L’historien anglois que j’ai déjà cité, lord Mahon, a remarqué qu’en ce moment fatal Clémence de Maillé n’avoit plus ni soutien, ni famille. Son père, son frère étoient morts. Son fils la trahissoit. Enfin son fidèle serviteur et conseiller, Lenet, mourut dans cette même année.

Mlle de Montpensier nous a dit ce qu’avoit été l’exil de la Princesse à Châteauroux : — « Elle y a été longtemps en prison. À cette heure (1677, six ans après la catastrophe) on dit qu’elle se promène ; mais elle est comme gardée, avec peu de gens. » Saint-Simon ajoute qu’elle étoit gardée de telle sorte qu’elle ignora toujours la mort de M. le Prince, son mari ; et qu’après cette mort les rigueurs ne diminuèrent point. M. le duc fut aussi bon geôlier de sa mère que M. le Prince l’avoit été de sa femme.

Ne quittons pas Saint-Simon : on sait quel portrait il a laissé de ce fils, et ce qu’il a dit de son avarice, de ses perfidies, de ses rapines, de sa bassesse, de ses extravagances endiablées : « Fils dénaturé, cruel père, mari terrible, maître détestable, pernicieux voisin, sans amitié, sans amis… uniquement propre à être son bourreau et le fléau des autres !… » Portrait effrayant quand on songe au pouvoir cruel qui lui fut dévolu par la haine paternelle ! Je veux croire ce que dit Mme de Montmorency, qu’au moment du renvoi de Mme la Princesse, M. le duc s’interposa entre la fureur de son père et sa mère accablée ; mais partout ailleurs les témoignages sont écrasants pour lui. « On blâma fort M. le duc, dit Mademoiselle, de traiter ainsi sa mère, et l’on crut qu’il étoit bien aise d’avoir cette occasion de l’éloigner pour qu’elle ne fît pas de dépense. — Il auroit pu trouver des prétextes plus avantageux ! » Qu’on ne m’accuse pas d’accueillir tour à tour et de récuser les on dit ; mais le caractère de M. le duc et surtout son avarice étant connus, je ne puis m’empêcher en lisant ce propos de Mademoiselle, de songer à ce dernier paragraphe de la correspondance citée par lord Mahon, où il est dit que la Princesse fut obligée, avant de quitter Paris, de faire donation à son fils de toute sa fortune. L’accusation d’ailleurs étoit publique, témoin ce couplet répété dans le Recueil de Maurepas (t. VI et VII) :

Condé, je ne saurois m’en taire,
Tu déclares p… ta mère
Pour avoir son dernier écu…

Là est peut-être tout le secret de l’affaire : la donation !

  1. Au tome Ier des Émaux de Petitot, de la collection du Louvre, publiés par Blaisot en 1862, 2 vol. in-4, grav. de Ceroni.
  2. Madame de Longueville pendant la Fronde.
  3. Édit. Paulin Paris, p. 301.
  4. Édit., p. 315.
  5. Tallemant des Réaux qui rapporte le même fait à peu près dans les mêmes termes, ajoute qu’il fut reproché publiquement au prince de Condé par l’avocat de Mme d’Aiguillon, contre laquelle il eut procès au sujet de la succession du cardinal.
  6. Outre le portrait-émail de Petitot, de la collection du Louvre, gravé par Ceroni pour l’ouvrage de Blaisot, déjà cité, on a plusieurs portraits gravés de la princesse de Condé. Le cabinet des estampes, rue de Richelieu, en possède huit d’auteurs différents : 1o par Moncornet, la figure tournée à droite ; 2o par Hollander, à gauche (dur) ; 3o par Daret, à droite, 1653 ; 4o le même, retourné ; 5o par Moncornet, à gauche, encadré, fond de paysage 1663 (35 ans) ; 6o le même ; 7o par Boutals ; 8o par de Jode, traits allongés, aspect jeune ; 9o par Humbelot, encadré, fond de jardin, portrait jeune, un peu différent des autres : le menton est fort, l’œil est intelligent. Ce joli portrait a été gravé après le siége d’Orbitelle, où fut tué le frère de C. de Maillé, en 1646.
  7. a et b On consultera avec profit sur le maréchal de Brézé (Urbain de Maillé, marquis de B., né en 1597, m. 1650), outre les Historiettes de Tallemant, t. II et tables de l’édit. de M. P. Paris, un article de M. Huillard-Bréholles dans la Revue contemporaine du 31 août 1863. Cet article, composé d’après une correspondance inédite, est écrit sur un ton d’apologie qui balance les dénigrements de des Réaux. Toutefois l’auteur de l’article, s’il est parvenu à réhabiliter le maréchal comme homme de guerre et comme diplomate, n’a pu nous montrer en lui un père bien vigilant, ni bien tendre. Il se contente de nous dire que le marquis, qui depuis la mort de sa femme avait remis Mlle de Brézé aux mains de Mme Bouthillier, femme du surintendant, « Ce qui était, remarque-t-il, la placer sous la tutelle directe de Richelieu, » ne resta pas cependant après cette séparation « indifférent au sort de sa fille, ni à ses progrès. » Selon M. H. Bréholles, le cardinal se serait chargé de pourvoir à l’éducation de sa nièce, comme à son établissement. Malgré un si illustre patronage, il ne paraît pas que l’éducation de Mlle de Brézé ait été bien suivie. « On ne lui avait, dit Mademoiselle, montré ni à lire ni à écrire, et il fallut après son mariage la mettre au couvent pour qu’elle l’apprît. » Nous avons eu sous les yeux une lettre d’elle, datée du 9 janvier 1642, c’est-à-dire deux ans après qu’elle fut mariée : elle avait donc environ quatorze ans. C’est une lettre d’enfant de huit ans pour l’orthographe comme pour le style, écrite en gros caractères inégaux et mal formés, en moyenne bâtarde, comme dirait un maître d’écriture. Nous ne pouvons manquer de rapporter ici cette pièce rare, en en donnant la reproduction fidèle :

    « A monsieur le Maréchal de Breszé de madame la duchesse d’Anguyen.

    « Monsieur

    « Je este priee de vous supplier de vouloir bien avoir la bonte de pardonner a un nomme le Brun dit St-Andre qui estoit de vostre compagnie de gardes hou de chevaux legers quy sen est venu sans conge celui quy men a priee est un Pere augustin quy vit comme un saint et priera bien dieu pour vous mon bon papa ce vous en suplie de luy vouloir bien remettre sa Faulte pour lamour de moy ce vous en conjure et de me faire l’honneur de me croire pour toute ma vie

    « Monsieur

    « votre tres humble et tres obeissante fille

    « ce 9me de janvier 1642

    C. de Maille

    « Monsieur mon beau père arrive samedi a Paris mon bon se porte bien dieu mersy bien de limpassiance de savoir de vos nouvelles » Le maréchal de Brézé était alors en Aragon occupé à faciliter par une diversion la conquête du Roussillon. — M. le comte de Béhague possédait une autre lettre de la princesse de Condé. Nous ne l’avons pas vue, et nous n’avons pu en retrouver la trace.

  8. Il n’y eut point de considération qui empêchât de rire toute la compagnie, sans en excepter M. le duc d’Enghien. (Mémoires de Mademoiselle, chap. II.)
  9. M. Cousin cite ce passage des Mémoires-Anecdotes de Segrais, d’après lequel il lui paroit qu’il ne seroit pas impossible de retrouver un portrait de Mlle du Vigean : « Mademoiselle m’a fait voir à Saint-Fargeau, dans son cabinet, un tableau où elle est représentée en Grâce, entre Mlle du Vigean et Mme de Montbazon. » (La Jeunesse de Mme de Longueville. App. du chap. II.)
  10. Lenet.
  11. Lenet.
  12. On peut consulter encore sur la conduite de la princesse de Condé pendant la défense de Bordeaux, sur sa bravoure et sa charité, l’excellent ouvrage de M. Alphonse Feillet, La misère au temps de la Fronde, 1862. Il la montre (p. 269) travaillant de ses mains avec les dames bordelaises, comme autrefois les héroïnes Siennoises, aux fortifications de la ville. « La princesse et les dames allaient en personne, chacune avec un petit panier, porter de la terre afin d’encourager les travailleurs. Le duc d’Enghien monté sur un petit cheval se montrait à tous les ateliers de terrassement, tantôt pliant sous le faix d’une hotte chargée de terre, tantôt blessant ses tendres mains à porter des pierres que sa mère rangeoit avec du ciment trempé de ses larmes, dit une lettre des Dames du parlement de Bordeaux aux Dames du parlement de Paris. »
  13. Mémoires de Mademoiselle, 2e partie, chap. XVII.
  14. Le cardinal avait donné en dot à sa nièce les terres d’Ansach, de Mouy, de Cambronne et de Plessiers-Billebaut, avec 300 mille livres en argent comptant. Cette somme devait être employée en l’acquit des dettes contractées par les Montmorency et les Condé. Huillard Bréholles, article cité.
  15. Édition Chéruel, t. Ier, p. 207 et 208 des Mémoires.
  16. Mademoiselle, même édit., t. Ier, p. 107 et 108.
  17. Relevons encore, seulement pour éviter le soupçon d’omission volontaire, une insinuation perfide de Coligny-Saligny dont les Mémoires ont été publiés par la société de l’Histoire de France, en 1841. Il est vrai que cette imputation se réfute d’elle-même, comme venant de l’ennemi déclaré et acharné de la maison de Condé, de celui qui disait : Je ne prends jamais la plume que ma première pensée ne soit pour dire pis que pendre de M. le prince de Condé. Coligny était donc en ce temps-là au service de M. le prince, et, chargé d’accompagner Mme la princesse dans sa fuite de Montrond, donne à entendre avec toutes sortes de réticences avantageuses que la princesse coqueta avec lui pendant le voyage, et un peu plus loin lui donne pour « galant », — mais sans aucunes preuves, — le marquis de Cessac, son ami, qu’il tua peu après en duel à Bordeaux. Voy. Mémoires, p. 25-30.
  18. Recueil de Maurepas. Année 1671, t. III, p. 397.
  19. La note dit que celle qu’épousa le prince de Condé étoit fort belle.
  20. Mme la princesse étoit fort séparée. (Note du Recueil.)
  21. Nous ne rapportons pas les notes assez nombreuses du manuscrit, qui feroient double emploi avec le commentaire qui va suivre. Ici encore le copiste remarque que la Princesse étoit fort négligée de son mari. Il donne plus loin la Princesse pour une femme d’un « esprit extraordinaire. »
  22. Arrivé le 13 janvier, selon le journal de d’Ormesson.
  23. Correspondance de Bussy, édit. Lalanne. Lettre du 25 février.
  24. Voy. aussi le Journal d’Olivier d’Ormesson, cité par M. Chéruel, dans son édition des Mémoires de Mademoiselle, t. IV, p. 254, et où l’on a, jour par jour, les diverses appréciations de l’affaire. C’est d’abord une simple tentative d’assassinat, commise par un ancien valet chassé de la maison de M. le Prince, et qui étoit venu exiger de l’argent de Mme la Princesse. Le lendemain, 14 janvier, c’est une infamie que l’on veut étouffer, et M. le Prince a fait évader Duval pour le soustraire aux enquêtes de la justice. — Duval est néanmoins pris et conduit en prison. Alors se produit, le 15, la version de Mme de Sévigné, d’une querelle, non motivée, dans laquelle la Princesse auroit été blessée ; puis vient la version du couvent des Jésuites, qui prétendent que le fond de l’affaire a été caché au roi et par bien des raisons. Enfin, le 17, l’affaire est évoquée au Parlement ; l’avocat général Talon expose les faits de la même façon que Mademoiselle et Mme de Montmorency, et, au sortir de l’audience, confirme à d’Ormesson la vérité de son réquisitoire. D’Ormesson ajoute que Duval fut jugé au Parlement, la Grand’Chambre et la Tournelle assemblées, et condamné aux galères ; mais que l’instruction ne fut pas entière, la Princesse n’ayant pas voulu déposer. — Il paroît (voy. Maurepas) que Duval ou Du Val mourut avant que d’arriver aux galères ; d’où l’on conclut, suivant l’usage, qu’il avoit été empoisonné, hypothèse aussi impossible à attaquer qu’à défendre.
  25. Corresp., même édit., t. Ier, p. 381.
  26. Corresp., t. V, p. 430 et suiv.
  27. Il étoit né en 1652 et mourut en 1717.
  28. Life of Louis, prince of Condé, surnamed the Great, by lord Mahon. London, 1845 ; in-12. Il est à remarquer que ce livre fut primitivement écrit en françois et imprimé à un petit nombre d’exemplaires. C’est à la sollicitation de ses amis que l’auteur s’est décidé à en donner une édition publique. Et c’est alors qu’il le traduisit du françois dans sa langue nationale.
  29. Life of Condé, p. 272 sqq.
  30. Ajoutons à ce que nous avons dit déjà sur ce point ce passage d’une lettre de Corbinelli au président de Moulceau (6 janvier 1687) : « La mort de M. le Prince a édifié tout le monde, et vous autres comme nous. J’aurois voulu qu’il eût donné quelque signe de vie au public pour Mme sa femme. » Mademoiselle dit à peu près la même chose.
  31. Essai sur la vie du grand Condé, par Louis-Joseph de Bourbon, son quatrième descendant ; 1806, 2e édition. Voici la phrase entière : « M. le Prince, qui ne put jamais prendre sur lui d’aimer sa femme, crut trouver dans ce temps une occasion favorable de se séparer d’elle, projet qu’il nourrissoit depuis longtemps. Il obtint la permission du roi de fixer le séjour de la Princesse à Châteauroux, où elle mourut en 1694. Il est impossible, en lisant l’histoire du grand Condé, de ne pas s’affliger du peu de considération qu’il eut toute sa vie pour elle, malgré tout ce qu’elle avoit fait pour lui. Mais les grands hommes seroient trop au-dessus de l’humanité, s’ils étoient exempts de ses foiblesses. » La première édition de cet ouvrage est de 1798, 2 vol. in-12. Il a été réimprimé dans le 1er volume des Mémoires pour servir à l’histoire de la maison de Condé, publiés par de Sévelinges ; Paris, 1820.