Vers posthumes (Dubus)/Bouquetière

Vers posthumesLibrairie Léon Vanier ; A. Messein, SuccrPoésies complètes d’Édouard Dubus (p. 111-112).

BOUQUETIÈRE

Elle trotte menu par les grands boulevards
Haussant au nez des gens sa corbeille fleurie.
Son babillage d’une exquise effronterie
Déride les bons vieux solennels et bavards.

Cette ravissante et mignonne poupée
Aux yeux pervers sous un blond fouillis de cheveux,
Cambrant sa taille avec un coup de reins nerveux
Dans le reps défraîchi d’une robe fripée.

Elle a l’air déluré d’un gamin de Paris,
Le teint rosé de fard comme une vieille garde
Son mince fichu bâille un peu, pour qu’on regarde
Ses petits seins aigus blancs de poudre de riz.

Prenez-vous mes œillets, mes beaux messieurs, dit-elle,
En lançant des regards polissons aux gommeux ;
Je n’en ai pas toujours qui fleurent bon comme eux,
Mes feuillages sont fins comme de la dentelle.


J’ai des bouquets qui font pâlir les falbalas,
Mesdames, vous plaît-il d’embaumer vos toilettes ?
Gardenias, muguet, mimosas, violettes,
Lilas rouges, lilas blancs, et lilas lilas.

Et gazouillant les noms de ses fleurs, la fillette
Se glisse dans la foule épaisse, s’attachant
À retenir, avec un sourire alléchant,
Les bourgeois égrillards à la panse replète.

Mais elle aime les vieux solennels et bavards
Qui lui parlent, l’œil vif, et la mine fleurie
En lui pinçant la taille avec effronterie
Lorsque le soir descend sur les grands boulevards.