Vers la fée Viviane/La Lointaine

Édition de la Phalange (p. 28-29).

IX

La Lointaine

Brune comme les soirs d’ouragan et si pâle
Qu’un ivoire est brutal auprès de l’or calmé
De ta joue, il te faut le désespoir qui râle
Pour que tu daignes voir l’amant jamais aimé.
Tu languis, dédaigneuse, en ton donjon lunaire,
Ou penchée aux créneaux qu’atteignent les cyprès,
Tu contemples la Nuit, ton domaine ordinaire
Où se tissent, pour toi de longs tulles nacrés
Faits de rayons d’un triste éclat, frêle et mystique.
Et ta forme a le flou d’une apparition ;
Le vent faible module un semblant de cantique
Plein de terreur divine et d’adoration.

Mais tu railleras bien la légende naïve :
La Vierge froide et blanche éclairant les Voyants…

… Délicieusement souriante et pensive,
Tu sais de noirs combats et des amours criants.
Tu sais, là-haut, bien haut, dans une étrange nue,
D’impossibles amours fabuleuses, les Vraies
… Et le regret âpre et furieux exténue
Ton cruel petit cœur où germent des cyprès.

Ces amours-là contiennent tout : l’essor des voiles
Sur l’Océan, — les pleurs vastes du ciel marin,
La flamme des volcans et l’automne serein,
Le parfum du nuage et l’âme des étoiles.