Vers et Prose (Mallarmé, 2e éd.)
VERS ET PROSE
MORCEAUX CHOISIS
POÉSIES COMPLÈTES, photogravées sur le manuscrit, avec ex-libris de Rops : 1er cahier, en 9 fascicules ; prix, 100 francs (épuisé).
LES MÊMES (à paraître) chez Deman, Bruxelles.
À part : l’Après-Midi d’un Faune, édition originale, avec illustrations de Manet ; prix, 25 francs (épuisé),
PAGES, avec frontispice de Renoir : 1er cahier, chez Deman ; prix, 15 francs.
LES POÈMES DE POE, avec fleuron et portrait par Manet, chez Deman ; prix, 15 francs.
À part : Le Corbeau, avec illustrations de Manet ; prix, 25 francs (épuisé).
VILLIERS DE L’ISLE-ADAM, avec portrait gravé par Desboutin ; chez Lacomblez, Bruxelles ; prix, 3 francs.
LE TEN O’CLOCK DE M. WHISTLER (prochaine réimpression de). Traduction par Stéphane Mallarmé.
VATHEK, de BECKFORD, Avant-dire et Préface (réimpression du) chez Perrin, Paris ; prix, 3 fr. 50.
STÉPHANE MALLARMÉ
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VERS ET PROSE
MORCEAUX CHOISIS
Avec un portrait par JAMES M. N. WHISTLER
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DEUXIÈME ÉDITION
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER
PERRIN ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 35
1893
Tous droits réservés.
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles
— C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur
Et vers le ciel errant de ton œil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur !
— Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l’eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux que le vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots…
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !
Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.
Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie,
Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.
Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s’immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.
Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d’inanité sonore
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)
Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,
Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.
Une dentelle s’abolit
Dans le doute du Jeu suprême
À n’entr’ouvrir comme un blasphème
Qu’absence éternelle de lit.
Cet unanime blanc conflit
D’une guirlande avec la même,
Enfui contre la vitre blême
Flotte plus qu’il n’ensevelit.
Mais chez qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien
Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sien,
Filial on aurait pu naître.
sortir jamais d’écho, frissonnante de penser,
pauvre enfant de péché ! que c’étaient
les morts qui gémissaient à l’intérieur.
aux mots, par le heurt de leur inégalité
mobilisés : ils s’allument de reflets réciproques
comme une virtuelle traînée de feux
sur des pierreries, remplaçant la respiration
perceptible en l’ancien souffle lyrique
ou la direction personnelle enthousiaste de
la phrase. Ce caractère approche de la
spontanéité de l’orchestre.
Pour achever, je ne m’assieds jamais aux
gradins des concerts, sans percevoir parmi
l’obscure sublimité telle ébauche de quelqu’un
des poèmes immanents à l’humanité
ou leur originel état, d’autant plus compréhensif que nul : et que pour en déterminer
la vaste ligne le compositeur éprouva cette
facilité de suspendre jusqu’à la tentation de
s’expliquer. Je me figure par un indéracinable
sans doute préjugé d’écrivain, que
rien ne demeurera sans être proféré ; que
nous en sommes là, précisément, à rechercher,
devant une brisure des grands
rythmes littéraires (il en a été question
plus haut) et leur éparpillement en frissons
articulés proches de l’instrumentation, un
art d’achever la transposition, au Livre, de
la symphonie ou uniment de reprendre
notre bien : car, ce n’est pas de sonorités
élémentaires par les cuivres, les cordes, les
bois, indéniablement mais de l’intellectuelle parole à son apogée que doit, avec
plénitude et évidence, résulter, en tant que
l’ensemble des rapports existant dans tout,
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Note : Le paragraphe « Voilà constatation à quoi je glisse » page 186, jusqu’à « Tout ce qu’on reconnaît écrit » est extrait d’une étude Un Principe des Vers.
Ceux « Un désir indéniable à ce temps » page 187, et les suivants composèrent à eux seuls antérieurement une Divagation. « Ainsi lancé de soi le principe » page 190 — de l’étude « Un Principe des Vers ».
Les paragraphes « Quelle représentation, le monde y tient » page 196 — de la même étude.
Ceux : « Une simple adjonction orchestrale » page 199, et le suivant
— de « Richard Wagner. Rêverie d’un Poete Français ».
« L’unique entraînement imaginatif » — page 201, d’une étude
Ballets. « Si l’esprit français strictement imaginatif et abstrait »
page 211, jusqu’à la fin — de Richard Wagner. Rêverie d’un Poete
Français.
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IMPRIMERIE DESLIS FRÈRES
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