Vers et Prose (Mallarmé)/Les Fleurs

Vers et ProsePerrin et Cie (p. 17-18).
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LES FLEURS


Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
Premier, et de la neige éternelle des astres
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,

Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes exilées
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées,

L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu’un sang farouche et radieux arrose !


Et tu fis la blancheur sanglotante des lys
Qui, roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure,
À travers l’encens bleu des horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure !

Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs,
Notre Père, hosannah du jardin de nos limbes !
Et finisse l’écho par les célestes soirs
Extase des regards, scintillement des nimbes !

Ô Père, qui créas, en ton sein juste et fort,
Calices balançant la future fiole,
De grandes fleurs avec la balsamique Mort
Pour le poëte las que la vie étiole.