Vers à mon chardonneret

Préface de « Geneviève » par Lamartine — dédicace à Reine Garde
Chez l’auteur (Œuvres complètes tome 30p. 162-163).


VERS À MON CHARDONNERET

Toi dont mon seul regard faisait frissonner l’aile,
_____Qui m’égayais par ton babil,
Hélas ! te voilà sourd à ma voix qui t’appelle,
_____Cher oiseau ! la saison cruelle
_____De ta vie a tranché le fil !

Ne crains pas que l’oubli chez les morts t’accompagne,
_____Ô toi le plus doux des oiseaux !
Tu fus pendant six ans ma fidèle compagne,
_____Oubliant pour moi la campagne,
_____Ta mère et ton nid de roseaux !

Moi je fus avec toi si vite accoutumée !
_____Nos jeux étaient mon seul loisir ;
Lorsque tu me voyais dans ma chambre enfermée,
_____Tu chantais. À ta voix aimée,
_____Mon ennui devenait plaisir !

Dans ta captivité je semblais te suffire,
_____Tu comprenais mes pas, ma voix,
Mon nom même, en ton chant tu savais me le dire ;
_____Dès que tu me voyais sourire,
_____Tu le gazouillais mille fois !


Oh ! notre vie à deux ! qu’elle était douce et pure !
_____Oh ! qu’ensemble nous étions bien !
Le peu qu’il nous fallait pour notre nourriture,
_____Je le gagnais à la couture ;
_____Je pensais : « Mon pain est le sien ! »

Je variais tes grains ; puis en forme de gerbe
_____Cueillie aux bords des champs d’été,
Tu me voyais suspendre à ta cage superbe
_____Un cœur de laitue, un brin d’herbe
_____Entre les barreaux becqueté !

Que ne peux-tu savoir combien je te regrette !
_____Hélas ! ce fut à pareil jour
Que tu vins par ton vol égayer ma chambrette,
_____Où maintenant je te regrette
_____Seule sous cette ombre d’amour !

. . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . .

Et cela finissait par deux ou trois strophes plus tristes encore, et par un espoir de revoir au ciel son oiseau enseveli pieusement par elle, dans une caisse de rosier, sur sa fenêtre, fleur qui inspirait tous les ans au chardonneret ses plus joyeuses et ses plus amoureuses chansons. Je regrette de les avoir égarées en quittant Marseille.