Vers, 1894/J’allai à Lourdes

VersOllendorff, éditeur (p. 87-89).

À EUGÈNE ROUART


19


J’allai à Lourdes par le chemin de fer,
le long du gave qui est bleu comme l’air.

Au soleil les montagnes semblaient d’étain.
Et l’on chantait : sauvez ! sauvez ! dans le train.

Il y avait un monde fou, exalté,
plein de poussière et du soleil d’été.

Des malheureux avec le ventre en avant
étendaient leurs bras, priaient en les tordant.

Et dans une chaire, où était du drap bleu,
Un prêtre disait : « un chapelet à Dieu ! »

Et un groupe de femnes, parfois passait,
qui chantait : sauvez ! sauvez ! sauvez ! sauvez !

Et la procession chantait. Les drapeaux
se penchaient avec leur devises en or.


Le soleil était blanc sur les escaliers.
dans l’air bleu, sur les clochers déchiquetés.

Mais sur un brancard, portée par ses parents,
son pauvre père tête nue et priant,

et ses frères qui disaient :« ainsi soit-il »,
Une jeune fille sur le point de mourir.

Oh ! qu’elle était belle ! elle avait dix-huit ans,
et elle souriait ; elle était en blanc.

Et la procession chantait. Les drapeaux
se penchaient avec leurs devises en or.

Moi je serrais les dents pour ne pas pleurer,
et cette fille, je me sentais l’aimer.

Oh ! elle m’a regardé un grand moment,
une rose blanche en main, souriant.

Mais maintenant où es-tu ? dis, où est-tu ?
es-tu morte ? je t’aime, toi qui m’as vu.


Si tu existes, Dieu, ne la tue pas :
elle avait des mains blanches, de minces bras.

Dieu, ne la tue pas ! — et ne serait-ce que
pour son père nu-tête qui priait Dieu.