Veronica Silvestris/Veillée dans les bois

Veronica Silvestris
Revue des Deux Mondes (p. 747-749).


IV. — VEILLÉE DANS LES BOIS.


La nuit est noire. À tout instant
La forêt, prise d’épouvante,
Tord ses grands bras verts. On entend
Dans les feuilles l’eau ruisselante.

Au logis du vieux braconnier
Tout est clos. — Les fils et le père.
Suivis d’un maigre lévrier,
Sont à l’affût dans la clairière. —

Un enfant dort dans son berceau,
Auprès du grand fit de l’aïeule ;
Assise et filant au fuseau,
La jeune fille veille seule.

La lampe au lumignon tremblant
Faiblement éclaire une joue.
Un coin d’oreille et le cou blanc
Où le lourd chignon se dénoue.

Elle est belle. Son sein d’enfant,
Son sein tiède parfois palpite ;
Est-ce la peur, l’air étouffant,
Ou bien l’attente qui l’agite ?…

La porte glisse sur ses gonds.
Et la rafale pluvieuse
Pousse un jeune homme aux cheveux blonds
Dans la chambre silencieuse.


La fileuse lui tend les bras :
— Ô mon amour ! ô Madeleine !
— Marchez tout doux, parlez tout bas,
Ma grand’mère s’endort à peine.

Près de la vitre, assis tous deux,
Ils causent. La fillette essuie
Sur le front de son amoureux
Les froides larmes de la pluie.

« — Je t’aime, ô chère enfant ! — Et moi !
À rêver de vous, moi, je passe
Les jours et les nuits. Ah ! pourquoi
Êtes-vous fils d’un garde-chasse ?

« Plus haut, plus grand que la forêt,
Entre nous deux un mur se dresse,
Et mon père me maudirait
S’il me savait votre maîtresse… »

Il l’interrompt et tour à tour
Il baise ses yeux bruns limpides…
Tandis qu’ils s’enivrent d’amour,
Les heures s’envolent rapides.

Le coq chante au loin. — « Coq maudit,
Tu mourrais, si j’étais ton maître ! » —
À l’orient le ciel blanchit,
La belle entr’ouvre la fenêtre.

L’orage a fui, le ciel est bleu,
Et l’alouette est réveillée.
Encore un baiser, puis adieu
Jusqu’à la prochaine veillée !

Prompt comme un cerf, l’amoureux part
Et disparaît dans la ramée…
Sur la clairière, un frais brouillard
Ondule comme une fumée.

Leur carnier vide sur le dos.
Les braconniers quittent la place,
Engourdis, trempés jusqu’aux os.
— Ni poil, ni plume, triste chasse ! —

Ils voient tout à coup le fourré
S’agiter. — À vous ! dit le père. —

Les trois coups partent. — Bien tiré !
Victoire ! La bête est par terre.

Le chien pousse un long hurlement…
Le père s’avance et regarde :
— Parmi les genêts teints de sang
Expire le blond fils du garde.