Veronica Silvestris/Les Chercheuses de muguet

Veronica Silvestris
Revue des Deux Mondes (p. 744-745).


II. — LES CHERCHEUSES DE MUGUET.


La mère et son enfant s’en vont par les futaies.
La mère a l’œil terne et muet,
Et l’on voit son sein hâve et maigre sous les plaies
De son corsage de droguet ;
Tête nue et pieds nus, l’enfant d’un air sauvage
La suit, et toutes deux rôdent sous le feuillage
En cherchant des fleurs de muguet…

Des muguets !… Pour les vendre ! — Au fond de leur demeure
Tout est vide, huche et grenier ;
Il ne reste au logis qu’un nourrisson qui pleure
Dans son étroit berceau d’osier. —
La ville où tout se vend leur paiera ces fleurettes.
À l’œuvre donc ! Muguets aux mignonnes clochettes,
Répandez-vous dans leur panier !

À travers les fourrés et les herbes mouillées.
Elles passent, les pieds en sang…
Cependant le soleil glisse sous les feuillées.
Mystérieux comme un amant
Qui visite en secret, le soir, son amoureuse ;
Tout scintille, les fleurs et la mousse soyeuse.
Que leur fait le soleil levant ?

Toujours plus loin, toujours, par la chaleur croissante
Elles marchent, courbant le dos.

Et la mère parfois gronde l’enfant trop lente
Qui s’attarde au bord des ruisseaux…
Les nids sont pleins de joie et de battemens d’ailes.
Tout chante : rossignols, loriots, tourterelles…
Que leur fait le chant des oiseaux ?

Elles iront au soir, quand l’ombre emplit les rues,
Vendre leurs bouquets aux passans,
Et les garçons rêveurs et les filles émues
Par les haleines du printemps
Sentiront tout à coup dans leur cœur qui s’ignore
De l’amour nouveau-né monter la voix sonore
Au frais parfum des muguets blancs.

Les vieillards, à l’aspect de la fleur printanière,
Croiront voir dans un bleu lointain
Les fantômes rians de leur jeunesse entière
Passer en se donnant la main,
Et les penseurs épris des beautés éternelles
Retrouveront au fond de ces calices frêles
Les empreintes du doigt divin.

Tous aux muguets de mai devront une belle heure,
Une heure de rêves sans prix…
— La mère et son enfant gagneront leur demeure
En rongeant un rude pain bis,
Et, seules dans leur chambre humide et délabrée.
Elles recompteront d’une main enfiévrée
Leurs sous tachés de vert-de-gris.

Puis toutes deux, sans autre espoir que les tortures
Et les dégoûts du lendemain,
Sans autre souvenir que les âpres morsures
Des ronces barrant le chemin.
Elles s’endormiront, avides d’une trêve.
Avides d’oublier dans un sommeil sans rêve
Les angoisses d’un jour sans pain.

Ô misère, voilà ton œuvre !… En tes entraves
Quand tu tiens l’homme emprisonné,
C’en est fait ; cœur, esprit, jeunesse aux fruits suaves,
Vertes amours, tout est fané ;
Tu prends l’âme fleurie et vierge, et tu la tues :
Ainsi le lis qui pousse au milieu des ciguës
Étouffe et meurt empoisonné.