Vercingétorix et la Gaule au temps de la conquête romaine/02

Vercingétorix et la Gaule au temps de la conquête romaine
Revue des Deux Mondes3e période, tome 23 (p. 42-76).
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VERCINGETORIX
ET
LA GAULE AU TEMPS DE LA CONQUÊTE ROMAINE

Vercingétorix et l’indépendance gauloise, par M. Francis Mounier, Paris. 1875.

II.
LA CAMPAGNE DE VERCINGÉTORIX CONTRE CÉSAR.[1]

Nous avons, autant que faire se pouvait, réuni dans un précédent travail les traits divers qui donnaient à la Gaule, au temps de Jules César, une physionomie si originale et si digne d’intérêt. Ce sont au fond nos vraies origines nationales que nous retracions. On a vu comment la Gaule fut surprise par la conquête romaine juste au moment où l’agglomération gauloise allait devenir une nation, — comment César, politique habile non moins que grand capitaine, se garda bien de déclarer la guerre à la nation comme telle et se posa plutôt en protecteur et en champion de la Gaule contre les convoitises germaines, — comment il favorisa systématiquement la vieille aristocratie, intéressée au maintien des privilèges et de l’état divisé dont ils étaient inséparables, — comment enfin la tendance démocratique et novatrice se trouvait par le fait même la tendance anti-romaine. Grâce à ses adroites manœuvres, aux calculs des uns, aux imprévoyances et aux témérités des autres, César en peu de temps réussit à démanteler la Gaule. Il écrasa successivement les Helvètes, les Armoricains, les Belges et les Aquitains. En même temps, il s’établit solidement au centre par son alliance étroite avec les Rèmes (pays de Reims), avec les Éduens surtout (Autunois), qui commandaient à toute une clientèle de cantons subordonnés. Leur concours, adroitement acheté par des promesses de tout genre, principalement par la perspective de devenir bientôt les maîtres de la Gaule entière, semblait lui garantir la tranquillité de toute la région centrale.

C’est au contraire à ce moment même qu’une insurrection formidable, coalisant dans un effort désespéré les résistances de la jeune nation qui voulait vivre, faillit terminer par une catastrophe le cours de ses éclatans succès et changer dans des proportions incalculables la direction de l’histoire. Le chef ou plutôt l’âme de cette magnifique explosion du sentiment national fut un jeune Arverne, qui ouvre ainsi de la plus brillante manière la série de nos grands héros. Rien de plus intéressant que de reconstituer son histoire, comme l’a fait M. Francis Mounier, en se servant avec une critique judicieuse des données fournies par son vainqueur lui-même et de quelques renseignemens dispersés chez les autres historiens.


I

Vercingétorix (le grand chef des braves)[2] est un enfant de l’Auvergne ou de la cité arverne. Sa patrie est la Gergovie, ou forteresse des Arvernes, dont on voit encore les ruines sur une montagne non loin de Clermont-Ferrand. Son père Keltil (le grand Celte) chef ou roi de ce canton, avait été, dit César, en possession du principat de toute la Gaule, ce qui veut dire que, sous sa direction, la cité arverne atteignit ce degré de prépondérance qui tendait à réaliser l’unité nationale autour d’elle comme autour d’un centre reconnu. On ne sait rien de positif sur sa première jeunesse et son éducation. Celle-ci fut sans doute semblable à celle que recevaient les jeunes nobles gaulois, c’est-à-dire que, sous le rapport intellectuel et littéraire, elle fut très incomplète. Mais derrière les Cévennes était la Province, et déjà sans doute la civilisation romaine avait projeté quelques rayons par de la les montagnes. Vercingétorix parlait le latin, peut-être le grec. On peut inférer de la haute position conquise par son père que celui-ci fut à la tête du parti unitaire, national, opposé par conséquent aux ingérences romaines. Pour se maintenir à cette hauteur, Keltil dut recourir à des moyens qui sentaient la dictature. Une réaction aristocratique et particulariste éclata chez les Arvernes eux-mêmes sous la direction d’un frère de Keltil, nommé Gabanition. Victorieux, il fit condamner son frère par une assemblée du peuple comme aspirant à la tyrannie, et Keltil mourut dans les flammes.

Ce sombre drame relégua le jeune Vercingétorix dans une obscurité relative. Il fut le témoin passif des premières campagnes de César, qui n’eut pas, dans les premiers temps, à s’inquiéter de la cité arverne. Il est à croire que, comme ailleurs, il avait capté la bienveillance de ses chefs par des avances et des promesses de protection, ce qui fit plus tard accuser notre héros d’avoir accepté les bienfaits du général romain. Du reste nous savons que c’est surtout au sein du puissant canton des Éduens qu’il cherchait son point d’appui politique. Mais, lorsque Vercingétorix paraît sur la scène, on le voit en possession d’un plan si arrêté, si bien conçu, qu’il a dû le mûrir en silence pendant les cinq ou six années qui s’écoulent depuis l’entrée de César dans la Gaule, en 58, jusqu’au moment du grand appel aux armes.

César était donc parti pour l’Italie, où il voulait passer l’hiver de 53 à 52. La Gaule, bien loin d’être abattue ou résignée, était en pleine fermentation. Les esprits étaient arrivés à ce point d’exaltation où la patience devient impossible. On ne pouvait plus douter du dessein de César d’asservir la patrie gauloise. La rigueur avec laquelle il avait réprimé, la révolution plébéienne des Carnutes, le supplice immérité du patriote Acco, mis à mort par ses ordres, avaient indigné ces populations jusqu’alors si tranquilles. Le plan qui fut arrêté dans les conciliabules nocturnes des partisans de l’indépendance dénotait une grande habileté. Il était convenu qu’on profiterait de l’hiver, de l’absence de César, de la dispersion des légions, pour lever partout l’étendard de la liberté. Les Carnutes donneraient le signal. Aussitôt la grande armée gauloise, recrutée depuis plusieurs mois dans les conditions d’un secret admirablement gardé, accourrait de tous les points du territoire pour se concentrer chez les Arvernes, attaquer les légions isolément, couper à César la route du retour en Gaule et révolutionner la Province elle-même, dont la réintégration dans la patrie gauloise paraissait avec raison indispensable. L’Aquitaine n’entendait pas s’isoler. Luctère, chef des Cadurques (Quercy), patriote entreprenant et dévoué, garantissait sa coopération et s’était chargé principalement de la Province. La Belgique, bien que terriblement éprouvée, ferait de son mieux.

Tout s’exécuta avec une ponctualité jusque-là bien étrangère au caractère gaulois. En janvier de l’an 52 avant notre ère, Vercingétorix, qui avait avant tout besoin de compter sur son pays natal, souleva le peuple arverne contre le parti romain, et à peine était-il en possession du pouvoir local que les crieurs transmirent à travers les campagnes une grande nouvelle : les Carnutes étaient en marche et débutaient par un coup d’éclat ! A la faveur d’une longue nuit d’hiver, ils s’étaient portés en masse sur Genabum (Orléans) et s’en étaient emparés par un hardi coup de main. Genabum était une ville de commerce considérable, le parti romain y était en force, et dans la bagarre des marchands romains furent tués. En même temps, Luctère et ses Aquitains s’approchaient des frontières de la Province, et dans le Beauvoisis, sur les rives de l’Eure, autour de Lutèce, on se préparait à se ranger sous les ordres du vieux Camulogène pour aller attaquer les légions campées dans la région du nord.

La Gaule entière, à l’exception des Rèmes, des Éduens et de leurs cliens les Bituriges (Berry), était donc debout. Vercingétorix fut proclamé brenn ou commandant-général par la voix de tous les contingens. Son premier soin fut d’établir une sévère discipline qui sans doute était fort nécessaire ; puis il s’appliqua à former une nombreuse et solide cavalerie, on va voir dans quel dessein. Enfin il se transporta avec le gros de ses forces dans le canton des Bituriges pour les décider à s’unir au mouvement national. Une fois maître de leur oppide Avaricum (reine des eaux, Bourges), situé au confluent de l’Auron et de l’Yèvre, il donnait la main au parti gaulois qui se formait chez les Éduens eux-mêmes, de là aux Séquanes (Franche-Comté), alliés des Arvernes. Protégée en arrière contre l’arrivée de César par les cimes des Cévennes, en cette saison couvertes de neige, l’armée gauloise allait bloquer les légions dans leurs quartiers d’hiver. C’était là un plan de campagne parfaitement combiné, qui n’avait rien de commun avec les soulèvemens désordonnés, décousus, dont César jusqu’alors avait eu si facilement raison.

Ce plan toutefois subit sur un point très sensible un échec inattendu, qui compromit tout le reste. Avec une rapidité de coup d’œil, avec une énergie d’exécution incomparables, César vit qu’il lui fallait rejoindre ses légions à tout prix, tout en parant au danger qui menaçait la Province, et trouva moyen de franchir les Cévennes en plein hiver. Il arrive par la route de Gênes dans la Province, ayant rassemblé tout ce qu’il a pu de troupes dispersées ; il envoie en hâte des renforts du côté de Narbonne pour déjouer les projets de Luctère ; puis, avec ce qui lui reste de soldats et les recrues qui lui viennent de l’Italie du nord, il se porte vivement chez les Helviens (Vivarais), au pied des plus hautes Cévennes, et ne craint pas de se frayer un chemin par d’affreux défilés où la neige gelée devait être brisée à coups de hache. César avait alors cinquante ans. Il paya d’exemple en marchant à pied, tête nue, malgré sa calvitie, en avant de ses colonnes. Après des efforts inouïs, les Romains virent enfin s’étendre à leurs pieds la vallée de l’Allier, et s’y précipitèrent. Les Arvernes épouvantés rappelèrent en hâte Vercingétorix, qui, à son grand regret, dut quitter les environs d’Avaricum. Les Éduens, à la prière du parti romain chez les Bituriges, avaient dirigé des forces vers ce pays pour balancer la pression de Vercingétorix ; mais ces troupes éduennes, autant du moins qu’on peut en juger par le récit ambigu de César, ne marchèrent qu’à contre-cœur, revinrent chez elles, sous prétexte qu’elles redoutaient une trahison des Bituriges, et ceux-ci se prononcèrent pour la cause nationale. Vercingétorix, de ce côté, avait eu gain de cause. Par son retour en Auvergne, il mettait Gergovie à l’abri d’un coup de main, mais il lui fallait improviser un nouveau plan.

César en effet avait réussi à traverser incognito, à la tête d’une petite troupe de cavalerie, le Lyonnais actuel, et avait rallié la cavalerie romaine campée à Vienne. De là il se porta, toujours en déguisant sa marche rapide, à travers le territoire éduen chez les Lingons (Langres), où il trouva deux légions. Quelques jours après, il opérait sa jonction avec Labienus à Agedincum (Sens). Ses dix légions se trouvaient de nouveau concentrées avec une rapidité qui tenait du prodige. Vercingétorix redescendit alors la vallée de la Loire et mit le siège devant une Gergovie des Boïens, qui dépendait des Éduens et qui tenait pour les Romains. Cette manœuvre forçait César à prendre immédiatement l’offensive, s’il ne voulait pas que les Éduens eux-mêmes fissent défection. Vercingétorix comptait sur les difficultés qui allaient assaillir son terrible adversaire, contraint de guerroyer en plein hiver. Le moment des résolutions héroïques était arrivé.

Il comprenait à merveille qu’en bataille rangée l’armée romaine l’emporterait toujours sur les bandes inexpérimentées qu’il commandait. Après tant de désastres, la jactance n’était plus de saison. Il s’en ouvrit avec franchise à ses compatriotes. « Il faut faire la guerre, leur dit-il, d’une tout autre manière que nous ne l’avons faite jusqu’à présent. A tout prix, il faut empêcher les Romains de se ravitailler. Cela nous sera facile, car nous avons une cavalerie nombreuse, et la saison nous aide, ils ne peuvent en ce moment fourrager. Il faut qu’ils se dispersent à la recherche des maisons isolées, et notre cavalerie les détruira en détail. Mais de plus il faut sacrifier au bien public les intérêts privés, brûler les villages et les maisons dans un vaste rayon autour de la forteresse boïenne, partout où l’ennemi pourrait trouver des vivres. Nous-mêmes n’en manquerons pas, les cantons aux frontières desquels nous combattrons nous en fourniront en abondance. Quant aux Romains, ou bien ils succomberont à la famine, ou bien ils devront s’éloigner de leurs camps en s’exposant aux plus grands risques. Peu importe qu’on les tue ou qu’on s’empare de leur matériel de guerre, sans lequel ils seraient impuissans. Il faut donc brûler les oppides qui ne seraient pas suffisamment protégés par leurs défenses ou par leur situation, de peur qu’ils ne servent de retraite aux lâches qui refusent de se joindre à nous, ou que les Romains n’y viennent chercher des vivres et du butin. Ces mesures vous paraissent-elles dures et cruelles ? Il sera bien plus dur encore de voir vos fils et vos compagnes emmenés en esclavage, et de marcher vous-mêmes au supplice. Or voilà ce qui vous attend, si vous êtes vaincus. »

Ce langage mâle et résolu fut approuvé de tous, et en un seul jour plus de vingt localités bituriges furent livrées aux flammes. Le plan de Vercingétorix était donc de ne pas livrer de grandes batailles, de harceler l’armée romaine et de la détruire par la famine, quoi qu’il en pût coûter. Il n’avait pas une heure à perdre. César, avec toutes ses forces réunies, avait marché sur Vellaunodunum (Château-Landon)[3], l’avait pris pour assurer ses derrières ; puis s’était jeté sur Genabum (Orléans et non pas Gien), qui ne fit pas de résistance. Après l’avoir pillée, brûlée, après regorgement de presque tous ses habitans, il passa la Loire et s’empara de Noviodunum (Nouau-le-Fuselier) qu’un corps de cavalerie gauloise essaya en vain de défendre. Mais à partir de là il entrait sur le territoire dévasté, et il lui importait de prendre Avaricum (Bourges), où il trouverait les vivres qui commençaient à lui faire défaut.

Vercingétorix aurait voulu qu’on brûlât aussi ce chef-lieu des Bituriges ; mais les supplications des habitans dominèrent sa volonté. Ils se faisaient forts d’ailleurs de se défendre victorieusement derrière leurs murs qu’entouraient au nord, à l’ouest et à l’est des marais alimentés par l’Yèvre. Avaricum avait un grand renom dans les traditions celtiques. C’est là que six siècles auparavant avait régné le roi Ambigat, souverain des Gaules, à ce qu’assure une tradition très probablement exagérée ; c’est de là que Sigovèse et Bellovèse, héros à demi légendaires, étaient partis, guidés par le vol des oiseaux, pour occuper le sud de la Germanie et le nord de l’Italie. Il semble que ces glorieux souvenirs protégèrent la vieille cité contre la ruine dont la menaçait le sombre patriotisme des Gaulois de Vercingétorix. César, réduit à l’attaquer par le sud, se trouvait très embarrassé. La cavalerie gauloise battait la campagne et refoulait ses fourrageurs. Vercingétorix avait posté son armée à cinq lieues en arrière sur une colline assez basse, mais protégée par un marais de l’Auron. La position était si bien choisie que César, espérant un jour surprendre les Gaulois en l’absence de Vercingétorix, qui s’était éloigné momentanément avec sa cavalerie, se porta en force sur cette position dans l’intention de livrer une bataille dont le gain eût été suivi de la reddition d’Avaricum ; mais il dut revenir sous les murs de la ville sans avoir pu engager le combat. Il avait donc en pleine Gaule un rival en stratégie !

A sa grande surprise, Vercingétorix, de retour au camp, se vit l’objet d’accusations perfides. Évidemment il y avait des détracteurs parmi les chefs rangés sous ses ordres. Sa tactique expectante impatientait les soldats, et ceux qui jalousaient sa haute position en profitaient pour semer contre lui des soupçons odieux. Ne lui reprochaient-ils pas d’avoir abandonné à dessein l’armée, de l’avoir exposée sans commandement et sans cavalerie à une attaque des Romains, d’avoir prévenu César de son absence, de trahir, en un mot, la cause nationale, dans l’espoir d’obtenir de l’ennemi national la souveraineté de la Gaule entière ! Qu’on veuille bien remarquer cette préoccupation constante de savoir qui commanderait à la nation réunie sous un seul gouvernement. Vercingétorix en appela à l’armée elle-même, c’est-à-dire qu’il convoqua une assemblée générale et lui soumit ses explications à la fois modestes et fières. « J’ai quitté le camp, leur dit-il, parce qu’il nous faut du fourrage, et vous-mêmes m’y avez engagé. Je me suis rapproché des Romains, parce que je savais votre position excellente et se défendant d’elle-même. J’ai emmené la cavalerie, parce qu’elle ne servirait à rien dans ces lieux marécageux, tandis qu’elle était très utile là où je la conduisais. Je n’ai délégué à personne le commandement suprême, parce que je craignais que mon lieutenant ne fût poussé par la multitude à livrer bataille, car je vois que vous en auriez tous envie, faute d’endurance, parce que ces fatigues prolongées vous impatientent. Si les Romains sont venus ce jour-là par hasard, rendez grâces à la fortune ; s’ils ont été attirés par les indications de quelque traître, remerciez ce traître lui-même : vous avez pu, de la hauteur que vous occupez, juger de leur petit nombre et vous rire de l’intrépidité dont ils se vantent. Ils n’ont pas osé vous attaquer, et ils ont dû regagner honteusement leur camp. Quant au commandement suprême, je serais fou de le demander à César et à l’infamie, quand je peux l’obtenir par une victoire dont ni moi, ni personne en Gaule ne peut plus douter. Il y a plus : si le pouvoir qui m’est confié vous paraît un honneur pour moi plutôt qu’un moyen de salut pour vous, reprenez-le ; mais auparavant, en preuve de la vérité de mes assertions, écoutez ces soldats romains, » Il fit alors avancer des Romains faits prisonniers dans sa récente expédition, que César travestit en esclaves affamés à dessein et récitant une leçon imposée d’avance. Ils déclarèrent que l’armée romaine était à bout de vivres et serait bientôt, si rien ne changeait, réduite à lever le siège. « Voilà ce que vous devez, reprit Vercingétorix, à celui que vous accusez de trahison. Pas une goutte de votre sang n’a encore coulé, et déjà vous allez voir la grande armée victorieuse succomber à la faim. Quand elle s’enfuira honteusement, ne craignez pas qu’un seul de nos cantons la reçoive, j’y ai pourvu. » Il était indubitable en effet qu’un échec des Romains déterminerait les cantons hésitans, les Éduens eux-mêmes, à se joindre à la cause nationale, et Vercingétorix avait déjà noué des intelligences avec le parti patriote de ces régions encore dissidentes. Ce discours logique et franc eut un plein succès. Vercingétorix fut confirmé en qualité de chef suprême de l’armée gauloise.

Cependant César poussait le siège avec la dernière ardeur, puisqu’il n’y avait plus pour lui d’autre moyen de salut. Il avait fait construire un gigantesque ouvrage de terre et de bois, de 80 pieds de haut, qui menaçait le seul endroit accessible de la ville. Tout dépendait de la conservation de cette formidable terrasse, chef-d’œuvre du génie militaire romain[4]. Une nuit, les assiégés réussirent à y mettre le feu. C’est au prix d’énormes sacrifices que les assiègeans parvinrent à l’éteindre, et cette nuit-là vit se former « la chaîne héroïque, » l’un de ces beaux traits désespérés que nous avons le droit d’inscrire avec tant d’autres au livre d’honneur de notre race. Des Gaulois se passaient de main en main des boules de suif et de poix que le dernier, placé au poste le plus avantageux, mais aussi le plus dangereux, lançait à tour de bras dans l’ouvrage enflammé. A peine avait-il jeté quelques boules qu’il tombait sous les coups de scorpion, mais il était aussitôt remplacé par un autre, et la chaîne demeura en activité toute la nuit, tant que dura le combat. César lui-même, toujours si méprisant quand il parle des aptitudes guerrières de nos ancêtres, n’a pu s’empêcher d’admirer.

Vercingétorix craignit qu’à la fin l’art consommé des généraux romains ne fût fatal à la ville, et il transmit aux assiégés l’ordre de l’évacuer pendant la nuit après avoir détruit les approvisionnemens et probablement mis le feu aux maisons ; mais au moment où l’on mettait ces ordres à exécution, les cris des femmes mirent en éveil le camp romain, et il fallut y renoncer. Le lendemain, à la faveur d’un orage dont la violence avait fait rentrer dans la ville les défenseurs des remparts (peut-être dans un sentiment de crainte superstitieuse du dieu Tarann), César surprit les murailles, cerna la ville avant d’y pénétrer et commanda le plus épouvantable des massacres. Selon l’évaluation du conquérant, 40,000 victimes tombèrent sous les coups des soldats ivres de sang et de pillage ; 800 Gaulois seulement parvinrent à rejoindre Vercingétorix.

Les défenseurs de la Gaule étaient atterrés. Vercingétorix ne faiblit pas. Il releva les courages, il montra que les Romains avaient, pour assiéger et prendre les villes, des moyens ingénieux que les Gaulois ignoraient, que lui-même eût préféré qu’on ne défendit pas Avaricum. « Apprenons, nous aussi, leur dit-il, à fortifier nos camps. Je puis vous annoncer la prochaine adjonction des cantons qui ne se sont pas encore prononcés. Je veux former un seul tout de la Gaule entière, et, quand elle sera unie, le monde entier ne pourra lui résister. » Cette assurance, cette noble constance dans l’adversité, furent contagieuses, et pendant que César devait courir à Decise chez les Éduens pour apaiser un différend qui, en se prolongeant, aurait pu donner l’ascendant au parti national au sein du canton qu’il désirait tant garder dans son alliance, Vercingétorix reconstituait son armée. Lorsque le proconsul, après avoir détaché Labienus avec quatre légions pour l’opposer au vieux Camulogène qui devenait menaçant dans le nord, remonta la vallée de l’Allier, se portant sur la Gergovie des Arvernes pour écraser au plus tôt ce foyer principal de l’insurrection gauloise, il vit en face de lui sur la rive gauche l’armée nationale, qui marchait parallèlement à la sienne. Vercingétorix avait fait couper tous les ponts, et César dut recourir à un stratagème pour passer l’Allier pendant la nuit. Il y réussit, mais pas assez promptement pour forcer Vercingétorix à livrer bataille, — ce que celui-ci voulait éviter à tout prix, — et pour l’empêcher de couvrir Gergovie, dont l’investissement devenait par cela même impossible.

Nous ne raconterons pas en détail ce siège de Gergovie, qui fut si glorieux pour les Gaulois commandés par Vercingétorix et qui se termina par le plus grand échec que César eût encore essuyé dans sa longue campagne. Le brenn se garda bien de s’enfermer dans la forteresse. Toujours judicieux dans le choix de ses positions, il se posta sur les hauteurs voisines de manière à communiquer toujours librement avec les assiégés, il s’entoura de retranchemens en terre et, fidèle à sa tactique, il harcela quotidiennement l’armée romaine par des attaques partielles où, d’après Dion Cassius, qui supplée ici au silence de César, il remporta de brillans avantages. Le camp romain faillit un jour être pris d’assaut, tandis que César était appelé chez les Éduens par la nécessité de comprimer de nouveaux troubles. À son retour, il voulut tenter un assaut désespéré ; on peut du moins le conclure de son récit quand on a quelque expérience de la tournure que les chefs militaires déçus dans leurs espérances savent donner à l’aveu de leurs revers. Un moment, quelques légionnaires parvinrent à escalader les remparts ; mais la défense fut acharnée, Vercingétorix accourut au galop avec des renforts qui chargèrent avec la furie héréditaire, et les Romains furent repoussés avec de grandes pertes, laissant, nous dit César lui-même, 46 centurions ou capitaines sur le champ du combat. En même temps, il apprenait que le peuple éduen se prononçait décidément contre lui ; sa position devenait très difficile, il allait être assiégé à son tour. Après un simulacre d’offre de bataille rangée, piège dans lequel Vercingétorix se garda bien de tomber, il décampa avec une rapidité qui donnait à sa retraite toutes les apparences d’une fuite, il repassa l’Allier et ne songea plus qu’à rejoindre au plus tôt Labienus dans le pays de Sens. Il voyait clairement qu’il n’avait pas trop de toutes ses forces pour tenir tête à la marée montante de l’insurrection nationale. La Gaule n’avait plus qu’un cœur et une âme, et Vercingétorix l’avait en réalité battu sous les murs de Gergovie.

Ce fut un grand bonheur pour César que d’avoir en Labienus un lieutenant digne de lui par son énergie et sa capacité militaire. Ses vaillans services l’avaient recommandé de bonne heure à la faveur de son général. Il avait pris parti pour lui à Rome contre le sénat. Il avait épousé chaleureusement l’idée de la conquête des Gaules. En écrasant les Trévires insurgés, il avait tiré César d’un terrible embarras. Ses légionnaires lui avaient apporté un beau matin la tête du trévire Induciomar, inspirateur et chef de la révolte, et il ne se doutait guère que, peu d’années après, d’autres légionnaires apporteraient la sienne à César le soir de la bataille de Munda. C’était un soldat ambitieux, rude, plébéien d’idées et de manières. César lui avait confié 20,000 hommes d’excellentes troupes, avec de la cavalerie. Il avait reçu pour instructions de s’emparer de Lutèce et d’y tenir jusqu’à ce que son général, maître de Gergovie, put venir se joindre à lui pour faire dans le nord ce qu’il se flattait d’accomplir promptement au midi. Cette position de Lutèce, oppide insulaire, intermédiaire entre la Gaule proprement dite et la Gaule belgique, était d’une grande importance, reconnue aussi par les Gaulois du nord. En effet, Labienus, à peine arrivé le long de la rive gauche dans le voisinage de l’oppide parisien, vit une armée gauloise, commandée par le vieux Camulogène, garnir toute la colline d’Athis et occuper en force les terrains voisins du confluent de l’Orge et de la Seine. En vain Labienus voulut débusquer les Gaulois de cette position habilement choisie. Le combat ne prit fin qu’à la nuit, et les Romains durent se dérober à la faveur des ténèbres. Labienus alors remonta rapidement la rive gauche et s’empara de Melodunum (Melun), où il captura un grand nombre de bateaux de rivière, ce qui lui permit de passer sur la rive droite et de reprendre la route de Lutèce. Camulogène, de son côté, quitta les borda de l’Orge, fit mettre le feu aux maisons de Lutèce et attendit l’ennemi sur la rive gauche, occupant les pentes de la montagne Sainte-Geneviève et les abords de ce qui s’appelle aujourd’hui la place Maubert. Les Romains durent lancer leurs avant-postes jusqu’aux approches de l’emplacement actuel du Pont-Neuf et dans un bois hanté par les loups qui devait un jour léguer son nom au Louvre.

C’est dans cette attitude d’observation mutuelle que les nouvelles de ce qui se passait en Auvergne parvinrent aux deux armées en présence. César avait dû lever le siège de Gergovie. Les Éduens avaient abandonné la cause romaine. Labienus, en vrai soldat, comprit qu’il n’avait qu’une chose à faire, renoncer à Lutèce, à la nouvelle conquête du nord, et rallier au plus tôt son général ; mais pour cela il lui fallait repasser la Seine, opération à laquelle évidemment Camulogène s’opposerait avec la dernière énergie. Il s’avisa d’un stratagème qui lui réussit.

Faisant remonter le fleuve par quelques bateaux qui menaient grand bruit, il donna lieu à Camulogène de croire qu’il allait tenter le passage de la Seine au-dessus de Lutèce, vers Alfort, tandis qu’en réalité il comptait la traverser à gué près du Bas-Meudon, à un endroit où la Seine, il y a quarante ans à peine, avant les travaux de draguage qui ont creusé son lit, était encore guéable en été. Il fit donc filer ses trois légions pendant la nuit le long de la rive droite par les lieux qui s’appellent aujourd’hui la place du Louvre, le jardin des Tuileries, la place de la Concorde, Auteuil, le Point-du Jour. A l’aurore, maîtres du gué, les Romains occupaient la plaine de Grenelle, et Camulogène, qui avait envoyé le gros de ses forces vers l’endroit du passage simulé, n’avait que très peu de monde à leur opposer. Le petit corps gaulois qui se trouvait en face du passage réel se battit avec acharnement, mais il fut écrasé. Espérant que les Gaulois qui remontaient la Seine reviendraient bientôt sur leurs pas, Camulogène soutint le combat jusqu’au dernier moment. Le vieux brenn tomba les armes à la main. Les renforts attendus n’arrivèrent que les uns après les autres et furent détruits successivement. Une troupe de Bellovakes accourait derrière eux. Il était trop tard. La panique s’empara de cette armée la veille encore si ardente, si confiante, elle se débanda et s’enfuit de tous côtés, traquée par la cavalerie romaine. Du reste Labienus ne perdit pas son temps à la poursuivre. Il rejoignit en hâte Agedincum pour aller de là à la rencontre de César. Il n’avait pu s’établir dans Lutèce, mais cela ne compensait pas pour la cause gauloise la défaite de l’armée du nord ni la jonction désormais certaine des légions de Labienus avec celles de César. La partie allait donc se rengager dans les mêmes conditions à peu près que lorsque César, peu de mois auparavant, avait quitté Agedincum (Sens) pour tomber avec toutes ses forces sur Genabum (Orléans) et Avaricum (Bourges).

Dans quelle position se trouvait Vercingétorix ?

La fortune de la guerre avait déjà trompé plus d’une fois ses calculs, et cependant les lignes principales de son plan de campagne demeuraient intactes, ou plutôt les événemens en avaient confirmé la justesse. L’armée romaine n’avait au fond rien gagné à ses victoires. Elle n’avait pu ni s’emparer de Gergovie ni s’établir dans Lutèce. L’été était venu. Il fallait continuer de gagner du temps pour qu’un nouvel hiver pût apporter son concours aux soldats de l’indépendance, et ce n’était pas impossible. Les faits avaient prouvé qu’en s’appuyant judicieusement sur un oppide bien défendu, l’armée gauloise pouvait affronter la stratégie romaine. Seulement il fallait persévérer dans la méthode expectante, refuser les grandes batailles, continuer cette guerre d’escarmouches qui ne pouvait manquer à la longue de détruire l’armée ennemie en détail. La défection des Éduens devait augmenter les embarras de César. Ceux-ci avaient agi avec le zèle et l’emportement des nouveaux convertis. Ils avaient pillé Cabillonum (Chalon-sur-Saône), marché fréquenté par les Romains, puis ils s’étaient jetés sur Noviodunum (Nevers), où César avait rassemblé ses otages, ses trésors, ses chevaux de remonte, ses blés, ses gros bagages ; ils en avaient égorgé la garnison, s’étaient partagé les chevaux et l’argent et avaient brûlé la ville. Quand Vercingétorix, invité par eux, se rendit chez les Éduens, il les trouva très disposés à mettre le sac de Nevers au premier rang des victoires remportées par le parti de l’indépendance et à s’ériger en directeurs suprêmes de la guerre. Vercingétorix refusa avec raison de partager avec eux le commandement. L’unité de direction était absolument nécessaire, et, pour mettre un terme à leurs doléances, il convoqua une assemblée générale de la Gaule à Bibracte, leur oppide central, situé sur le mont Beuvray, non loin d’Autun.

Cette attitude des Éduens compliquait singulièrement les affaires. Le jeune chef arverne allait se voir en face d’une opposition systématique, mal déguisée par les démonstrations d’un patriotisme plus bruyant, plus vantard, qu’efficace. Peut-être même serait-on en droit de lui reprocher de n’avoir pas prévenu par des mesures, qu’en ce moment nul n’eût osé lui reprocher, les intrigues et les perfidies du parti éduen. Ce parti n’était autre au fond que celui de la vieille oligarchie particulariste, à la fin entraînée par le courant national, craignant de se laisser déborder, prévoyant la défaite des Romains et cherchant, quand il en était encore temps, à se mettre à la tête du mouvement patriotique pour le faire servir à ses fins égoïstes. L’oligarchie éduenne n’avait abdiqué en rien ses prétentions à la suprématie que César avait si habilement caressées pendant ses premières campagnes dans les Gaules. Les Éduens continuaient à se dire imperio nati, nés pour commander, et se plaignaient amèrement du rôle subordonné qui leur était dévolu. C’est chez eux surtout qu’on avait vu se former cette espèce de ligue des nobles qui cherchait dans les mariages et les alliances d’intérêt à étendre un réseau d’influences solidaires qui eût, en se propageant, asservi la Gaule a un petit nombre de grandes familles[5]. Il n’y a rien que de conforme à ce qui s’est toujours passé en France, dans des circonstances analogues, dans ce fait que l’assemblée générale des représentans de la Gaule se montra sourde à ces compétitions de l’orgueil local et de l’esprit de famille. D’une voix unanime, elle continua les pouvoirs de Vercingétorix.

Les deux principaux chefs éduens, Époredirix et Virdumar, se soumirent en apparence à la volonté nationale, mais ils ne cessèrent d’intriguer en dessous pour contrecarrer les plans de Vercingétorix. Déjà même, ayant appris la victoire de Labienus et sa jonction avec César, ils préparaient sous main, par d’indignes messages, leur rentrée en grâce auprès du proconsul. C’est ce qui explique, M. Mounier l’a parfaitement démontré, les contradictions que l’on pourrait relever dans la conduite ultérieure de Vercingétorix. Ignorant ou méprisant ces menées ténébreuses, le brenn ne s’occupa que de se mettre en mesure de recommencer la lutte. Il renforce sa cavalerie, qu’il pousse au chiffre de 15,000 chevaux, il envoie le contingent éduen inquiéter les frontières des Allobroges (Savoie), soumis aux Romains et faisant partie de la Province, tandis qu’il sollicite par des missions secrètes leur patriotisme et qu’il dirige les Gabales (Gévaudan) et une partie des Arvernes sur le canton des Helviens (Vivarais), les Ruthènes (Rhodez) et les Cadurques (Quercy) sur la frontière occidentale de la Province[6]. Il forçait donc pour la seconde fois César à se retirer du nord pour venir au secours de la Province envahie. Lui-même se réservait de l’inquiéter, de le harceler, de l’affaiblir de toutes manières pendant sa longue route à travers un pays soulevé. La marche de César eût été au fond une retraite, et, à mesure qu’il se rapprocherait du midi, la Gaule tout entière fondrait en masse sur son armée découragée. César, dans ses Commentaires, dissimule à peine ses inquiétudes. Il recourut à un moyen extrême en recrutant à grands frais au-delà du Rhin des Germains qui ne demandèrent pas mieux que de dépenser sous ses ordres leur ardeur belliqueuse et pillarde. Il leur demanda surtout des cavaliers, et il en vint beaucoup. Mais le proconsul les trouva si mal montés qu’il leur fit donner les chevaux de ses propres tribuns et des chevaliers romains. C’étaient du reste de précieux auxiliaires, des gens qui chez eux vivaient de peu, détestaient les Gaulois, aimaient à se battre et trouvaient l’existence fort douce dans ce gras pays où il y avait partout du blé et de la viande.


II

M. F. Mounier pense que César dut effectuer sa jonction avec Labienus aux environs de Clamecy. Son armée devait se monter dès lors à environ 100,000 hommes, y compris le corps germain auxiliaire. De là, passant l’Yonne, se dirigeant par Avallon et Montbard, César tourna le Morvan à l’est pour redescendre sur Divio (Dijon). Son plan était en effet de se rapprocher le plus possible des Séquanes et de leur place forte Vesuntio (Besançon). Une fois là, il n’avait qu’un effort à faire pour rentrer dans la Province par le pays des Allobroges, contenir ceux-ci, rétablir ses communications avec l’Italie, purger la Province des bandes qui l’infestaient et, s’il le pouvait, reprendre l’offensive. De plus il courait la chance de forcer l’armée gauloise à accepter une des grandes batailles que Vercingétorix voulait éviter à tout prix et dont le gain déciderait de toute la campagne. L’armée gauloise suivait ses mouvemens à distance, conformément au plan de son chef. Elle s’établit au nord de Semur, à cheval sur l’Armançon et dans une position très favorable à cette guerre de harcèlement, qui seule convenait à l’état d’infériorité militaire des défenseurs de la Gaule.

Comment donc s’expliquer qu’il y ait eu dans ces environs une bataille provoquée par Vercingétorix lui-même, contrairement aux intentions qu’il avait toujours manifestées ? C’est un véritable problème. César nous représente Vercingétorix lançant toute sa cavalerie, qu’il tenait tant à ménager, sur les légions qui venaient de passer l’Armançon, sans appuyer cette charge formidable d’un seul corps d’infanterie. Il lui met dans la bouche un discours très fier, plein d’assurance, à la suite duquel les cavaliers gaulois jurèrent que nul d’entre eux ne reverrait sa femme et ses enfans avant d’avoir traversé au moins deux fois les rangs ennemis. Il est bien possible que Vercingétorix ait signalé avec insistance les gages de victoire finale que cette marche embarrassée des légions romaines donnait à l’armée réunie sous ses ordres ; il est probable qu’il dit à la cavalerie qu’il comptait surtout sur elle. Mais qui donc le forçait à engager une action générale en contradiction avec toute sa tactique réfléchie ? N’est-il pas plus simple d’admettre que cette grande bataille eut lieu malgré lui, et que les chefs éduens de la cavalerie, très désireux de le supplanter, croyant pouvoir mettre à profit une occasion superbe, chargèrent témérairement les légions dans l’espoir de remporter une brillante victoire dont ils auraient tout l’honneur ? Les faits qui suivent tendent aussi à montrer que Vercingétorix fut débordé par les passions de genres divers qui agitaient la multitude sous ses ordres.

La victoire fut très disputée. César avoue qu’il dut faire porter les enseignes sur trois points pour amortir les charges furieuses de la cavalerie gauloise. Cela suppose que l’armée romaine pliait. Ce que César ne dit pas non plus dans ses Commentaires, c’est que cette journée faillit mettre brusquement un terme à sa belliqueuse carrière. Lui-même doit avoir consigné dans un journal qu’il rédigeait sous le titre d’Éphémérides et qui est perdu, qu’assailli à l’improviste par un groupe de cavaliers ennemis qui ne le connaissaient pas, il fut enlevé comme une plume par un gigantesque Gaulois, qui le mit en travers de son cheval et l’emporta comme un prisonnier ordinaire. Mais le Gaulois fut rencontré par un de ses compatriotes qui connaissait le général romain et qui l’invectiva d’un mot cœcos César ! que nos celtistes ne parviennent pas à traduire exactement ni même à reconstituer, mais qui devait signifier misérable ou lâche César ! Le premier Gaulois crut qu’on lui intimait de lâcher son prisonnier et le laissa retomber, tout en gardant son épée qui fut longtemps, d’après Plutarque, conservée dans un temple des Arvernes. N’est-il pas très singulier que, dans notre langue, la même exclamation lâche César ! se prête au même jeu de mots ?

Malgré le succès des premières heures, la journée se termina par la défaite des Gaulois. Ce résultat fut dû surtout au corps auxiliaire germain, dont les chefs gaulois ne semblent pas avoir prévu l’attaque, dont peut-être ils ignoraient l’existence, et qui, s’étant dissimulé en tournant le lieu de l’action derrière les hauteurs voisines, tomba à l’improviste sur les Gaulois fatigués et changea leur premier succès en désastre. On affreux carnage marqua la fin de cette journée si brillamment commencée. Les Romains reprirent l’offensive, une de ces paniques, trop fréquentes chez les Gaulois, s’empara de l’armée de Vercingétorix, et, à la faveur de la nuit, elle s’enfuit en désordre vers Alise, oppide éduen, ou plutôt mandubien, mais dépendant du canton éduen qui se trouvait à quelques lieues de là. César vit tout de suite qu’il pouvait achever la campagne en les resserrant dans cette place. L’après-midi du jour suivant, il arrivait lui-même devant l’oppide immortalisé par l’héroïsme de ses défenseurs.

Nous voici de nouveau en présence d’un problème historique. Est-il certain que l’Alise où se décida le sort de la Gaule soit cette Alise-Sainte-Reine, située dans la Côte-d’Or, à quelques lieues de Semur, et qu’une tradition séculaire a identifiée avec l’oppide de Vercingétorix ? L’érudition franc-comtoise, fortifiée par les savantes recherches de M. J. Quicherat, s’est prononcée pour une autre localité du nom d’Alaise située dans la Franche-Comté, à six lieues au sud de Besançon. Cependant les travaux ultérieurs ont toujours plus confirmé les prétentions de l’Alise bourguignonne, et il n’y a que justice à rappeler la brillante et concluante étude de M. le duc d’Aumale, publiée dans la Revue du 1er mai 1858, parmi les pièces les plus probantes du procès instruit au sujet du dernier grand boulevard de l’indépendance gauloise. Tout, depuis, n’a fait que fortifier les aperçus et les raisonnemens de l’illustre écrivain. Le nom d’Alise, qui signifie un lieu élevé, se retrouve à peine modifié au nord et au midi de l’ancienne Gaule, à Alais (Alesia nova, Gard), à Aleth (Aude), Alet, près de Saint-Servan, Château-Chinon (Alisincum), etc.

La solution de cette question dépend en grande partie de l’emplacement qu’il faut assigner à ce grand combat de cavalerie que nous venons de raconter. Or de nombreux indices concourent à le fixer sur l’Armançon, non loin de Senailly, qui est lui-même à 24 kilomètres d’Alise. Les traditions locales sont pleines des souvenirs de combats sanglans entre Gaulois et Romains. On ne cesse de découvrir dans les environs des amas d’ossemens d’hommes et de chevaux. Une plaine riveraine de l’Armançon se nomme le Champ de bataille, et, détail très significatif, une route qui contourne les hauteurs voisines s’appelle encore aujourd’hui la Voie des Allemands. Cela admis, quand on voit les Gaulois se réfugier en toute hâte dans l’oppide d’Alise, où César arriva lui-même dès le soir du lendemain, il ne faut pas chercher trop loin leur lieu de refuge, et Alise-Sainte-Reine répond seule aux données du problème ainsi posé.

Ajoutons que sa situation, les ruines encore visibles, les deux rivières, l’Oze et l’Ozerain, arrosant les deux vallées qui longent le mont Auxois sur lequel elle est bâtie, et se jetant dans la Benne à quelques lieues de là, tout confirme la tradition locale. On a retrouvé tout récemment, en exécutant le tracé d’un nouveau chemin de fer, les lignes encore très nettes de la double circonvallation en forme d’M renversé que César fit creuser autour de l’oppide gaulois. Enfin une légende peu connue, bien que très populaire dans cette région et dont nous parlons plus loin, donne à la désignation d’Alise-Sainte-Reine une de ces consécrations qui de nos jours valent bien des documens écrits[7].

Du reste, nous n’attachons pas d’importance majeure à notre opinion, et nous reconnaissons volontiers qu’il reste bien des obscurités dues surtout au caractère incomplet des renseignemens transmis par César. Comme nous cherchons surtout dans cette étude une vue d’ensemble sur l’état de la Gaule dans le trop court moment où elle fut à la veille de devenir une grande nation indépendante, nos conclusions resteraient les mêmes s’il était démontré qu’il faut chercher ailleurs le lieu témoin de son dernier grand effort.


III

Une circonstance très inquiétante pour les défenseurs de l’indépendance gauloise, c’est qu’Alise pouvait être investie par une armée nombreuse, habituée aux travaux de siège, et c’était précisément, Vercingétorix le savait, une des supériorités qui rendaient l’armée romaine si redoutable. Il eût de beaucoup préféré s’en tenir à la méthode qui lui avait si bien réussi à Avaricum et surtout à Gergovie, camper au dehors de la place assiégée, tout en communiquant avec elle, et conserver la liberté de ses mouvemens pour en user selon l’issue du siège. Il est donc probable qu’il fut débordé par l’événement et entraîné par son armée en fuite dans cet oppide dont les Gaulois s’exagéraient peut-être la force de résistance. Il est vrai qu’il était admirablement protégé, surtout à l’ouest et au sud, par des rochers à pic. Une enceinte fortifiée, dont on a retrouvé les vestiges, remplissait les vides ; mais le tout ne faisait qu’un cercle de médiocre étendue, et pour espacer ses nombreux soldats, Vercingétorix fit élever rapidement à mi-côte un mur de pierres sèches percé de place en place par des portes étroites.

César ne perdit pas de temps non plus. Il avait tout de suite reconnu l’avantage que lui offrait la possibilité d’un investissement complet, et il fit immédiatement travailler à la gigantesque tranchée qui devait l’effectuer. Il ne fallait rien moins que creuser une espèce de fer à cheval dont les deux extrémités se reliaient en ligne droite sur une longueur de trois lieues et demie. La largeur de chaque fossé jumeau était d’environ 5 mètres. « Les tronçons que nous avons vus, dit M. F. Mounier, forment un angle si parfait, que le fil de l’arpenteur aujourd’hui ne pourrait rien produire de plus exact. » Les vides se sont comblés depuis ; mais les fouilles ont permis de revoir les lignes de démarcation parfaitement distinctes. Ce grand ouvrage fut flanqué de vingt-trois redoutes en bois. Vercingétorix tâcha d’interrompre les travaux en jetant sa cavalerie sur les légionnaires. Ce fut encore un combat malheureux où pour la seconde fois les cavaliers germains, appelés à la rescousse, tirèrent les soldats romains d’un grand embarras. Les Gaulois reprirent en désordre le chemin de l’oppide, poursuivis par les Romains et les Germains, qui franchirent à leur suite le mur de pierres sèches et se crurent au moment de pénétrer derrière les fuyards dans la ville elle-même ; mais Vercingétorix fit fermer les portes et par là força les siens à faire volte-face. Une lutte acharnée s’engagea de nouveau ; le soir vint, Romains et Germains durent se retirer ; mais la terrible ligne d’investissement continuait de s’allonger. Bientôt le blocus allait devenir hermétique, et la place était incapable de nourrir longtemps ses défenseurs. La cavalerie surtout était à la veille de manquer d’eau et de fourrage.

Vercingétorix alors, de concert avec les autres chefs, imagina un nouveau plan d’une grandeur saisissante et qui montre combien l’idée nationale était déjà vivace. Il résolut de renvoyer sa cavalerie, de la disperser sur toute la terre gauloise, mais avec la mission de provoquer la levée en masse de tous les hommes en état de porter les armes. Lui-même resterait avec ses troupes de pied dans l’oppide assiégé et tiendrait ferme jusqu’à l’arrivée de l’armée de secours. On lui a reproché d’avoir pris ce parti. Il eût mieux valu en effet qu’il sortît lui-même pour organiser et diriger cette levée en masse ; mais, en l’absence de tout renseignement positif, on peut supposer sans témérité qu’il en était à ce point où un chef, ayant assumé une responsabilité comme la sienne, n’est plus libre de prendre le parti en soi le plus avantageux et doit sacrifier beaucoup à l’opinion. Les revers subis par la cause nationale, lors même qu’en bonne justice on ne pouvait les lui attribuer, avaient nécessairement donné du crédit aux accusations dont il était l’objet de la part de ses envieux. Laisser ses soldats dans la place investie et s’en aller lui-même, c’était compromettre ce qui lui restait encore de popularité. En demeurant au poste le plus périlleux, exposé, s’il succombait, aux vengeances certaines des vainqueurs, il prouvait aux plus soupçonneux sa détermination de vaincre ou de mourir. Il mettait en quelque sorte sur la conscience de la Gaule entière le devoir de se lever en masse pour délivrer son champion. Notons cette confiance chevaleresque dans le point d’honneur national comme un de ces traits qui font de Vercingétorix un héros selon notre cœur. M. Mommsen reproche à nos ancêtres gaulois d’avoir été beaucoup trop chevaliers, pas assez politiques et positifs. Acceptons le reproche, on ne l’a jamais adressé aux siens. Le discours que le brenn tint à ses cavaliers avant de les congédier est d’une mélancolique beauté. « Partez, leur dit-il, que chacun rentre dans son canton et pousse à la guerre tous ceux qui sont en âge de porter les armes. Vous savez ce que j’ai fait pour la patrie. Pensez à me délivrer. J’ai bien mérité de la liberté commune. Ne m’abandonnez pas aux tortures que l’ennemi me réserve. Si vous ne faites pas diligence, 80,000 braves[8] périront avec moi. J’ai fait mon calcul. J’ai tout au plus des vivres pour trente jours. En les ménageant beaucoup, je pourrai peut-être tenir un peu plus longtemps, mais hâtez-vous ! »

La cavalerie partit donc pendant la nuit et réussit à sortir par un point que les Romains n’avaient pas encore fortifié. César ne dit pas que ses soldats se soient opposés à cette sortie ; il n’est pas probable pourtant que plusieurs milliers d’hommes à cheval aient pu s’échapper d’une place telle qu’Alise sans éveiller leur attention. Il est à croire qu’il y eut un engagement, mais que les cavaliers gaulois firent une trouée victorieuse. Vercingétorix fît rentrer tout ce qui lui restait de troupes dans les murs de l’oppide et attendit.

César, de son côté, poussa ses travaux avec une activité prodigieuse. Pour se couvrir contre les fréquentes sorties de Vercingétorix, il ajouta à ses retranchemens de la plaine trois fossés parallèles de quinze à vingt pieds de largeur sur vingt de hauteur et inonda le troisième avec les eaux de l’Oze et de l’Ozerain. La grande circonvallation en arrière de ces ouvrages avancés fut protégée par un rempart de douze pieds que surmontait un parapet à créneaux palissades. Malgré toutes ces précautions, il y avait des engagemens quotidiens et meurtriers. Il était difficile de veiller avec des forces suffisantes sur tous les points attaquables de cette immense enceinte. Les Romains, pour suppléer au nombre par l’art, multiplièrent en avant de leurs principales défenses les inventions les plus ingénieuses de l’ancienne stratégie. Ils hérissèrent le sol de pièges de toute espèce. Il y avait par exemple les « aiguillons » (stimuli), chausse-trappes d’un pied de long garnies de pointes en fer ; les « lys, » trous profonds de trois pieds, disposés en quinconces : au fond de chaque trou s’élevait un pieu durci au feu, des broussailles masquaient l’ouverture. Ce nom de lys provenait de ce que la coupe transversale de ces petits ouvrages affectait celle d’un calice aminci par le bas, du milieu duquel saillait le pieu comme un pistil du cœur de la fleur. Enfin venaient les cippes, ou troncs d’arbres enfoncés en terre, taillés en pointes et présentant par leur réunion quelque ressemblance avec les palissades modernes.

Nos Gaulois, qui n’avaient jamais fait la guerre dans de telles conditions, ne restèrent toutefois pas en arrière en fait d’imagination inventive. Ils s’avisèrent par exemple de remplir de terre une quantité de sacs qui, jetés sur ces pièges perfides, en annulaient aisément les effets. Leurs efforts retardèrent, mais ne purent empêcher l’investissement définitif, Les jours s’écoulaient. Vercingétorix interrogeait en vain l’horizon pour découvrir les signes avant-coureurs de l’armée libératrice. Rien ne paraissait au loin, les vivres diminuaient à vue d’œil. C’était, toutes différences gardées, une situation très semblable à celle de Paris pendant le fatal hiver de 1870-1871.

Si Vercingétorix eût pu savoir comment s’exécutaient les instructions qu’il avait données au moment du départ de la cavalerie, ses inquiétudes eussent redoublé. Il avait ordonné la levée en masse. Tous les Gaulois en état de porter les armes devaient être requis au nom de la patrie en danger de mort, tel était le sens absolu de ses ordres. Il voulait voir les Romains assiégés à leur tour par une armée où le nombre eût suppléé la qualité guerrière. Il comptait sans doute aussi sur l’effet moral d’un pareil soulèvement pour inspirer à l’ennemi l’idée qu’il ne viendrait jamais à bout d’un si grand pays se levant tout entier avec la prétention de conserver par tous les moyens sa vieille indépendance. C’est ainsi que l’unité gauloise eût été fondée pour toujours, cimentée dès la première heure par le sang de tous. Mais, d’après César lui-même, cette grande vue patriotique fut contrariée par l’intérêt oligarchique et particulariste des nobles que la présence du brenn ne contenait plus et qui se gardèrent bien d’adresser à la nation, qu’ils ne reconnaissaient pas comme telle, ces appels passionnés, enthousiastes, qui doivent précéder une pareille mesure. Ils décidèrent qu’au lieu d’appeler aux armes tous ceux qui étaient en état de les porter, on fixerait pour chaque canton un nombre déterminé de combattans. Leurs motifs furent qu’il ne serait pas possible de gouverner une pareille multitude, que les chefs ne discerneraient plus leurs hommes et qu’on ne pouvait calculer la quantité de vivres nécessaire. Dans d’autres circonstances, de pareilles objections eussent eu de la valeur, mais dans un pareil moment n’étaient-elles pas évidemment dominées par l’intérêt suprême du salut public ? On doit surtout noter cette crainte des oligarques de ne plus « discerner aisément leurs hommes, » comme si la délivrance de la patrie eût pesé d’un poids moindre dans leur esprit que la peur d’affaiblir leur autorité sur leurs cliens et la plèbe habituée à les suivre. César nous a conservé la liste par groupes de cantons des contingens levés sur toute la surface du territoire, et, bien qu’il ait très probablement enflé les chiffres dans l’intérêt de sa renommée, cette liste est instructive, tant par les proportions qu’elle suppose dans les forces respectives des cantons confédérés, que par les intentions et les précautions qu’elle révèle chez ceux qui la dressèrent.

Ainsi nous voyons paraître en premier lieu le contingent éduen, comprenant aussi celui des cantons qui reconnaissaient la suprématie éduenne. Ce contingent est porté à 35,000 combattans. Immédiatement après se présente le contingent arverne, comprenant aussi les recrues des cantons alliés ou cliens, entre autres les Cadurques. Son chiffre est précisément le même que celui des Eduens, 35,000 hommes. Il est évident qu’en principe on a consenti à l’égalité des forces fournies par les deux cantons qui pouvaient prétendre à l’hégémonie. Mais les proportions attribuées aux autres cantons vont détruire cette égalité au profit du parti oligarchique. Le groupe des Séquanes (Franche-Comté), des Senons (Sens), des Bituriges (Berry), des Santons (Saintes), des Carnutes (pays Chartrain) fournira seulement 12,000 hommes. Les Bellovakes (Beauvoisis) sont taxés à 10,000 hommes ; les Lemovikes (Limousin), les Pictons (Poitou), les Turons (Tours), les Helves (Ardèche), ensemble à 8,000. Les Suessions (Soissonnais), les Ambiani (Amiennois), les Mediomatrikes (pays Messin), les Pétrocoriens (Périgord, qu’on est bien étonné de voir figurer dans ce groupe-là), plusieurs cantons belges fourniront ensemble seulement 5,000 hommes. C’est entre trois et cinq mille qu’on a fixé le contingent de plusieurs autres groupes de cantons belges, entre autres des Véliocasses (Vexin, Rouen), dont on aurait proportionnellement attendu davantage, et tandis que les Rauraques (Haut-Rhin, Bâle, Argovie) et les Boïens (entre la Loire et l’Allier) doivent donner 30,000 combattans, la grande confédération armoricaine, y compris les Calétes (Caux), n’en enverra pas plus de 6,000. Un critique allemand trouverait certainement qu’il y a eine Tendenz dans une pareille répartition, et il ne lui serait pas difficile d’en déterminer la direction.

C’est surtout cette disproportion frappante entre le contingent de l’Armorique, grande et belliqueuse confédération, et celui des Boïens joints aux Rauraques, alliés ou cliens des Éduens, cantons de médiocre importance, qui permet de la découvrir. On mêle ensemble des combattans originaires de pays éloignés les uns des autres, qui ne se connaissent pas, les Séquanes par exemple avec les gens de Saintonge, les Tourangeaux avec ceux du Vivarais, les Messins avec les Périgourdins, gens sans prétentions, mais qui, joints à leurs voisins, auraient pu former des groupes de taille à balancer la prépondérance éduenne. Restait, il est vrai, le formidable contingent des Arvernes, et l’esprit national qui dominait dans un rassemblement de ce genre devait a priori conspirer en leur faveur. Il y avait été pourvu par cette dislocation. Les Eduens et leurs partisans formaient la masse influente. C’est sur le territoire éduen que le rendez-vous général était fixé. C’est là que se distribuaient les grands commandemens. Les Éduens Virdumar et Eporedirix furent de nouveau mis à la tête d’un grand corps d’armée ; l’Arverne Vergasillaune, cousin de Vercingétorix, fut aussi promu à cette haute fonction ; l’Atrébate Kommen, jadis ami de César, depuis rallié sincèrement à la cause nationale, fut le quatrième grand chef. C’est à ses instances que les Bellovakes cédèrent en envoyant 2,000 hommes, mais non les 10,000 qu’ils auraient dû fournir et qu’ils avaient refusés. César met leur refus sur le compte de leur orgueil. Ils auraient déclaré qu’ils combattraient les Romains à l’heure qu’ils jugeraient convenable et sans se subordonner à d’autres (suo nomine). Serait-il téméraire de penser que les intrigues dont ils purent avoir connaissance leur ôtèrent l’envie de prendre part à une campagne dont ils auguraient mal ? César ajoute qu’à ces quatre généraux fut adjoint un conseil composé de chefs de cantons, devant exercer l’autorité suprême. Cette mesure était fâcheuse dans les circonstances. L’unité de direction, la subordination de toutes les volontés au grand but suprême s’imposait comme une condition indispensable de succès. On flaire encore là quelque manœuvre oligarchique, éduenne surtout. Ce n’est pas qu’avec M. Mounier nous allions jusqu’à accuser le parti oligarchique de trahison préméditée. Les calculs odieux des deux généraux éduens sont, il est vrai, trop bien attestés par César pour qu’on puisse les révoquer en doute ; mais aucun indice n’incrimine, à ce moment-là du moins, l’ensemble des nobles gaulois. Ils paraissent sincères dans leurs efforts pour chasser les Romains ; mais, — 1elle est la fatalité qui s’attache aux chefs d’armée qui mettent des arrière-pensées au niveau, si ce n’est au-dessus de leur devoir militaire, — nous allons les voir mollir au jour des résolutions décisives, craindre tout autant le triomphe éclatant de Vercingétorix que la victoire des Romains en un mot, et, conformément à certain aveu cynique que nous n’oublierons jamais, préférer pour des motifs politiques ce qu’il y avait de pire au point de vue stratégique.


IV

Il n’est pas surprenant en tout état de cause qu’il fallût du temps aux organisateurs de l’armée de secours pour réunir et approvisionner une multitude que César évalue à 240,000 hommes de pied, plus de 8,000 cavaliers, et qui, lors même qu’elle fût loin probablement d’atteindre un tel chiffre, n’en était pas moins très nombreuse. Nous savons avec quelle impatience Vercingétorix, bloqué dans Alise, comptait les jours. Le temps est long à qui voit arriver son dernier morceau de pain. Un jour pourtant il sentit l’espoir remonter dans son cœur. Il découvrit que l’armée romaine travaillait en hâte à une seconde ligne de circonvallation, mais cette fois en arrière du camp et évidemment pour se défendre contre une armée qui viendrait l’assaillir du dehors. L’armée de secours était donc en voie de formation ! La Gaule entière allait donc se ruer sur son implacable ennemi et l’enfermer à son tour dans un cercle infranchissable !

Mais cette lueur d’espoir ne remédiait pas à la terrible étreinte de la famine. Les trente jours étaient écoulés. Le découragement gagnait les assiégés. Un conseil des principaux chefs se rassembla pour aviser. Les uns parlaient d’une sortie désespérée, où l’on mourrait du moins les armes à la main. D’autres murmuraient le mot de reddition. Ce fut un chef arverne du nom de Critognat qui releva les courages, et son discours, reproduit par César, qui paraît avoir toujours été très bien instruit de ce qui se passait par les agens secrets qu’il entretenait dans la place, mérite qu’on le rapporte en entier. Il contient d’ailleurs des renseignemens du plus haut intérêt sur la situation et l’histoire antérieure de la Gaule.

« Je n’ai rien à dire à ceux qui donnent le nom de reddition à la plus honteuse des servitudes. Je ne les compte pas parmi les citoyens ; je n’entends pas même qu’on les admette à délibérer. Quant à ceux qui voudraient la sortie, c’est à eux que je m’adresse. Leur avis, vous le reconnaissez tous, semble rappeler la valeur de nos ancêtres ; mais, moi, je dis que ce n’est pas de la valeur, je dis que c’est de la mollesse de ne pouvoir supporter quelques jours de disette. On trouve plus facilement des hommes s’offrant volontairement à la mort que des hommes subissant patiemment la souffrance. Moi aussi, j’approuverais la sortie, — car l’honneur, selon moi, passe avant tout, — si je ne voyais au bout d’autre perte que celle de notre vie. Mais, avant de prendre une résolution, pensons à la Gaule entière que nous avons appelée à notre secours. Lorsque 80,000 hommes auront péri devant ces murs, quel courage restera-t-il à leurs proches, à leurs frères, quand il leur faudra combattre pour ainsi dire sur leurs cadavres ? N’allez pas priver de votre appui ceux qui, pour vous sauver, vont généreusement s’exposer. N’allez pas, en un moment de folie, d’imprudence ou de faiblesse, écraser la Gaule entière et la plonger dans une servitude éternelle. Parce que nos frères ne sont pas arrivés au jour convenu, doutez-vous de leur fidélité, de leur dévoûment ? Croyez-vous que les Romains travaillent pour leur agrément aux tranchées qu’ils creusent en arrière de leur camp ? Si vous ne pouvez recevoir de messagers vous annonçant la prochaine arrivée de nos amis, tout accès leur étant fermé, croyez-en du moins ces travaux qui vous attestent qu’ils approchent. C’est parce qu’ils voient avec terreur venir ce moment décisif que les Romains s’évertuent jour et nuit à se fortifier. Que vous conseillerai-je ? De faire comme firent nos pères lors de la guerre moins terrible qu’ils durent soutenir contre les Cimbres et les Teutons. Retirés dans leurs oppides, en proie comme nous à la famine, ils prolongèrent leur vie en se nourrissant de ceux que l’âge rendait impropres à la guerre, mais ils ne se rendirent pas. Si nous n’avions pas cet exemple, je trouverais très beau de le donner les premiers pour sauver la liberté et le transmettre à la postérité. Fut-il jamais une guerre semblable ? Après avoir ravagé la Gaule, après lui avoir infligé toutes les calamités, les Cimbres finirent par s’éloigner et s’en allèrent en d’autres contrées ; mais ils nous laissèrent nos droits, nos lois, nos champs, la liberté. Les Romains, au contraire, que cherchent-ils, que veulent-ils ? Amenés chez nous par l’envie et la haine, ils ne songent qu’à s’établir dans les champs, dans les cités d’un peuple qu’ils savent illustre et valeureux, ils veulent lui imposer un esclavage éternel. Jamais ils n’ont fait la guerre dans un autre dessein. Et si vous ignorez ce qu’ils ont fait des nations lointaines, regardez cette Gaule qui nous touche et qu’ils ont réduite en Province. Son droit et ses lois ont été changés, elle courbe la tête sous la hache des licteurs, le poids d’une servitude sans fin l’accable. »

César dit qu’il rapporte cet énergique discours afin d’en montrer la férocité. Assurément la suprême ressource recommandée par le vieil Arverne, l’anthropophagie, comme moyen de prolonger la résistance, fait frissonner ; mais il faut se rappeler que la Gaule sortait à peine de la barbarie. Plus d’une fois dans l’histoire la loi inexorable de la nécessité a fait recourir à cet affreux expédient. Les croisés eux-mêmes, dans les déserts de Phrygie et de Pisidie, durent s’y résigner. Du reste, quelle verdeur, quelle énergie chez le vieux patriote ! C’étaient des hommes de cette trempe qu’il fallait à Vercingétorix. Quant à César, qui aime à faire ressortir sa clémence en maint endroit de ses Commentaires, il ne faut pas oublier qu’il fut souvent et atrocement cruel. Il fit pendre tous les sénateurs armoricains pour les punir d’avoir résisté à l’invasion de leur pays, il fit assassiner ou exécuter les chefs nationaux qui encoururent ses défiances, il fit égorger des villes entières et mutiler tous les habitans d’Uxellodunum (Puy d’Issolu) qui avaient osé prolonger la résistance. La clémence ne fut jamais chez lui qu’un moyen de parvenir à ses fins.

Du reste les défenseurs d’Alise, tout, en persévérant dans la résolution de tenir aussi longtemps que possible, n’adoptèrent pas le moyen sauvage qu’on leur conseillait ; mais ils eurent recours à une mesure presque aussi cruelle. Ils chassèrent de la ville tous ceux que l’âge ou la faiblesse empêchait de combattre. La population mandubienne qui habitait Alise fut rejetée hors des murs et dut se présenter au pied des retranchemens romains. Les malheureux demandaient en grâce qu’on les reçût comme esclaves et qu’on leur donnât à manger. César les fit repousser impitoyablement.

Enfin des mouvemens de troupes se dessinèrent sur les hauteurs qui bornaient l’horizon d’Alise. L’armée gauloise arrivait et les occupait en force. La confiance, la joie des assiégés fut au comble. Il ne s’agissait plus que de combiner une sortie vigoureuse avec une attaque des nouveau-venus. Ceux-ci brûlaient aussi du désir d’en venir aux mains, et il est certain que la position de l’armée romaine était fort périlleuse ; mais ici se pose un problème qu’on ne peut résoudre au moyen des seules données de César et qui va ressortir des faits eux-mêmes tels qu’il les expose.

Les chefs gaulois laissèrent leur infanterie.sur les hauteurs boisées et lancèrent leur cavalerie sur les positions extérieures des Romains. Aussitôt Vercingétorix sort d’Alise et se rend maître du premier fossé, qu’il couvre de claies, qu’il comble de terre, et sur lequel il tient bon, espérant qu’une trouée de l’autre côté lui fournira le moyen de se porter plus avant. La cavalerie gauloise en effet combat avec furie la cavalerie romaine. Elle est appuyée par des archers disséminés dans ses rangs et dont les jets méthodiques amortissent les charges romaines. César avoue que les siens firent des pertes sensibles et durent reculer. La tactique la plus élémentaire exigeait donc que des colonnes d’infanterie gauloise descendissent des hauteurs où elles se tenaient postées et attaquassent sur un autre point les positions ennemies. Il n’en fut rien. La cavalerie gauloise fut laissée à elle-même, se battit avec le plus grand courage, mais sans profit. Le soir vint, la victoire était douteuse, quand la cavalerie germaine, tenue en réserve comme toujours pour le moment décisif, prit en flanc les cavaliers gaulois exténués et les repoussa en désordre. Vercingétorix, qui avait maintenu toute la journée son premier avantage malgré les efforts des Romains pour le débusquer, dut ramener dans Alise ses hommes attristés.

Un jour plein s’écoula avant qu’on tentât de nouveaux efforts contre le camp romain ; mais pendant la nuit les Gaulois essayèrent de le surprendre. Vers minuit ils sortirent en silence de leur camp, munis de claies, de harpons et d’échelles. Tout à coup ils donnent l’assaut en jetant de grands cris pour avertir les assiégés. À ces cris répondent les troupes de Vercingétorix qui appuie le mouvement par une nouvelle sortie ; mais les deux attaques paraissent avoir été mal combinées. César avait pris toutes ses mesures en prévision d’une agression nocturne. Les corps chargés de la garde des remparts étaient disposés de manière à se soutenir mutuellement. Les Gaulois, inexpérimentés, tombaient dans les chausse-trapes qui garnissaient le sol en avant des retranchemens ou sous les coups des armes de jet, espèce d’artillerie à laquelle ils ne pouvaient rien opposer. De son côté, Vercingétorix n’avait pu arriver qu’assez tard. Il avait rempli comme l’avant-veille les premiers fossés et s’en était emparé ; mais à l’aurore il vit les Gaulois du dehors forcés de regagner leur camp pour ne pas être cernés. Cela montre que, cette fois encore, l’attaque avait été dirigée sur un seul point et que le nombre d’hommes engagés était relativement faible. Lui-même devait craindre quelque manœuvre de César pour pénétrer inopinément dans la ville privée d’une grande partie de ses défenseurs. Il dut donc se retirer aussi sans avoir profité de son succès partiel.

Rien toutefois n’était encore perdu. Bien qu’éprouvée par ces deux rudes journées, l’armée gauloise était encore debout et résolue. L’armée romaine avait beaucoup souffert. En réalité, les deux combats n’avaient été que des engagemens sans portée décisive. Il y avait encore une grande bataille à livrer. Ce fut le cousin de Vercingétorix, l’Arverne Vergasillaune, qui fut chargé de la commander. Mais pourquoi les autres chefs ne marchèrent-ils pas aussi ? Que signifie l’inaction totale de Virdumar et d’Époredirix, les deux chefs éduens ? Que font-ils donc, eux et leurs hommes, tandis que les autres se battent ? Pourquoi se borner toujours à attaquer le camp romain sur un seul point, quand il était si simple de multiplier les points d’attaque pour empêcher l’ennemi de se porter avec toutes ses forces sur la partie menacée ? Autant de questions soulevées par le texte lui-même de César, questions qui demeurent absolument sans réponse, qui du moins ne se résolvent que dans la supposition de misérables intrigues dont les chefs éduens doivent porter la principale responsabilité. Leur inaction, attestée par le vainqueur, autorise tous les soupçons.

Les Romains, en creusant leur double enceinte autour d’Alise, avaient dû laisser en dehors de leurs travaux un mont que l’on croit reconnaître dans le mont Réa, à quelque distance du mont Auxois. Cette hauteur eût masqué pour le reste du camp les retranchemens élevés en arrière, et les Romains avaient préféré étendre leurs lignes en contre-bas sur le terrain en pente descendant vers l’Oze. Vergasillaune, instruit de cette disposition qui lui permettait d’attaquer, du haut des crêtes, fit défiler pendant la nuit son corps d’armée, que César estime, en l’exagérant selon toute probabilité, à 60,000 hommes, tourna le mont Réa, puis, à midi, heure convenue, il lança brusquement ses troupes sur le sommet de ce mont qu’il occupa sans coup férir. À ce mouvement hardi, qui semblait annoncer l’action générale attendue avec tant d’impatience, Vercingétorix répondit par une sortie en masse. Le combat s’engagea sur les deux points avec un acharnement sans égal. Les Gaulois des deux côtés sentaient que la journée serait décisive. Leurs cris, se confondant à travers l’espace, troublaient les Romains qui avaient toujours lieu de craindre d’être attaqués en arrière par une des colonnes victorieuses. Les Gaulois du Réa, arrivés au pied du rempart, avaient comblé de sacs de terre les chausse-trapes et le fossé ; après des efforts titaniques, ils parvinrent enfin sur l’épaulement. De son côté, Vercingétorix se détourne brusquement, du point qu’il avait d’abord menacé et se jette sur une autre partie des retranchemens romains qu’il enlève dans une charge furieuse. Les lignes ennemies étaient donc entamées en deux endroits. Toute l’armée romaine était engagée. César d’un côté, Labienus de l’autre, avaient dû dégarnir les redoutes et les autres parties de l’enceinte pour s’opposer aux progrès des deux chefs gaulois. En même temps, César, qui payait de sa personne, avait fait sortir sa cavalerie pour tourner les Gaulois de Réa et les prendre en flanc. C’est alors surtout qu’on se demande avec indignation ce que devenait donc le reste de l’armée de secours. Une troisième attaqué sur un des points dégarnis, en dégageant Vergasillaune et Vercingétorix, leur eût permis d’envahir le camp avec leurs forces unies avant que la cavalerie romaine eût achevé son mouvement tournant. Ne pouvait-on du moins tâcher de paralyser ce mouvement en lui opposant quelques troupes fraîches ? Rien ne fut fait. En vain Vergasillaune, attaqué de flanc, en avant et en arrière, se battit en désespéré, attendant toujours une diversion qui ne venait pas. Enveloppés et sabrés, voyant tomber leurs principaux officiers, — entre autres Sédul, chef des Limousins, et soixante-quatorze porte-étendards, — ses soldats, découragés, prennent la fuite. Vergasillaune lui-même est fait prisonnier. La cavalerie romaine et germaine, lancée à la poursuite des fuyards, en fait un affreux carnage. Un petit nombre seulement put regagner le camp gaulois, et, fin piteuse de cette grandiose entreprise de délivrance, toute cette armée, cédant on ne sait à quels ordres ou à quels mauvais conseils, n’eut plus qu’une idée, s’en aller et se disperser. César dit que, si ses soldats n’avaient pas été si épuisés, il aurait pu la détruire tout entière. Seule, la cavalerie, envoyée derrière elle, après quelques heures de repos, rejoignit l’arrière-garde, dont elle massacra ou captura le plus grand nombre.

Vercingétorix avait pu se maintenir sur le point du rempart qu’il avait réussi à enlever. Témoin du désastre de Vergasillaune, menacé lui aussi d’être cerné et coupé de la ville, il dut, la mort dans l’âme, donner le signal de la retraite. Tout était perdu. Qu’il y eût ou non manque de foi, trahison préméditée chez ses envieux de l’armée de secours, la Gaule venait de montrer son impuissance.

L’histoire connaît-elle une situation plus tragique que celle du noble champion de l’indépendance de nos aïeux, lorsque, rentré dans Alise après cette sanglante et désastreuse journée, il put contempler l’inutilité de ses efforts, l’anéantissement de ses espérances, sa défaite irrévocable ? Il sentait que la Gaule mourait en sa personne. L’âme de la patrie naissante allait s’envoler avec la sienne. Il ne resterait plus que le corps, masse inerte, bonne désormais à être pétrie, triturée, disloquée par la main du vainqueur. Que devenir lui-même ? S’échapper ? Il le pouvait peut-être à la faveur d’un déguisement. Il n’était ni prisonnier ni blessé. Il n’y songea même pas. Pendant cette nuit de Gethsémané, il prit une grande résolution. Il voulut servir encore la patrie par le sacrifice de lui-même ; il avait combattu en chevalier, il voulut finir de même.

Au matin, il réunit une dernière fois le conseil de guerre. « Ce n’est pas dans mon intérêt, leur dit-il, que j’ai entrepris la guerre, c’est pour l’amour de notre liberté commune. Puisqu’il faut céder à la fortune, je m’offre à vous. Donnez satisfaction aux Romains en me faisant mourir, ou bien livrez-moi vivant à leurs vengeances. » Il semble qu’une certaine pudeur empêcha ses compagnons d’armes d’accepter l’une ou l’autre alternative. Du moins César se tait sur l’accueil qui fut fait à cette proposition. Il nous apprend qu’on lui envoya des fondés de pouvoir pour traiter de la reddition. Il exigea qu’on lui livrât les armes et les principaux chefs. Lui-même alla se poster en avant de son camp pour les recevoir. Il ne dit rien non plus de la manière dont Vercingétorix se remit spontanément entre ses mains, nous le savons par d’autres historiens.

Vercingétorix en effet n’attendit pas les licteurs. Il revêtit sa plus belle armure, s’élança sur son cheval de bataille richement caparaçonné et se dirigea seul vers le camp romain. Bientôt il arriva en vue du proconsul. Alors il fit décrire à sa monture trois cercles avant de s’arrêter à quelques pas de César étonné ; puis, il mit pied à terre, et, déposant ses armes aux pieds du vainqueur : « J’étais fort, dit-il ; plus fort que moi, tu m’as vaincu, » et il attendit en silence. En cette circonstance, César se montra inférieur à lui-même. Bien loin de témoigner quelques égards à son ennemi malheureux, genre de délicatesse qui n’était nullement inconnu à l’antiquité, qu’un Alexandre, un Scipion, un Pompée, se fussent fait un point d’honneur d’observer, il l’accabla d’injures et le fit charger de fers.

Transféré à Rome, Vercingétorix fut plongé dans les profondeurs de la prison Mamertine sur la pente inférieure du Capitole. Il y végéta six ans, six longues années, pendant lesquelles César écrasa sous les coups de sa prodigieuse fortune tous ceux qui auraient pu faire échec à sa toute-puissance. Pompée, son ancien allié, Cn. Pompée, Labienus, son lieutenant favori du temps des guerres gauloises, Caton d’Utique, succombèrent l’un après l’autre sous ses armes victorieuses. La dernière égorgée fut la liberté romaine. En 46, vainqueur partout, idole de la plèbe dont il avait flatté les passions et assouvi les rancunes, il se fit décerner les honneurs du triomphe. Les fêtes durèrent quatre jours, et la première journée fut consacrée à célébrer la conquête de la Gaule. Le long de la Voie sacrée, on vit défiler une interminable procession de soldats portant des écussons où l’on pouvait lire les noms de tous les peuples gaulois subjugués par le triomphateur. Suivaient les images du Rhône, du Rhin et de l’Océan enchaînés. Sur un char traîné par quatre chevaux blancs se tenait debout le glorieux César, vêtu de pourpre, acclamé par cent mille voix. En avant du char marchait un prisonnier, les mains liées, conduit par des licteurs et reconnaissable seulement à ses vêtemens gaulois. C’était Vercingétorix, l’ex-brenn de la Gaule soulevée au nom de la liberté. Arrivé près du Forum, César fit un signe aux licteurs. Ceux-ci emmenèrent leur prisonnier et le précipitèrent dans un caveau souterrain dépendant de la prison Mamertine. Là se trouvaient des esclaves porteurs de torches. On le fit agenouiller devant un billot, une hache se leva et fit rouler sur le sol la tête de notre noble compatriote. Et pendant que César montait majestueusement la pente qui menait au temple de Jupiter capitolin, les bourreaux, ayant accroché à des piques le corps palpitant du martyr, l’exposèrent à la foule battant des mains et hurlant de joie.

Un curieux rapprochement, dont on ne s’est avisé que de nos jours, a permis de s’assurer que le pauvre peuple écrasé par l’armée romaine conserva pieusement le souvenir de l’héroïque défense d’Alise et en fit une belle légende. Le nom de Sainte-Reine donné à l’Alise du mont Auxois vient évidemment de là. Les vies des saints nous racontent qu’il y a très longtemps, à une époque où un méchant empereur romain persécutait les chrétiens, une jeune chrétienne d’Alise, d’une grande beauté, nommée Regina, alluma les convoitises d’un procurateur qui fit tout ce qu’il put pour la faire renoncer à sa foi et la séduire. Irrité de sa résistance opiniâtre, il lui infligea les plus cruelles tortures, et enfin il la fit décapiter[9]. Or ce martyre fut consommé le 7 septembre, et pendant des siècles, ce jour-là, les pèlerins vinrent par milliers des régions environnantes honorer la persévérance et la fin tragique de la pauvre Reine. Tout récemment encore on comptait près de 17,000 pèlerins à la fête d’Alise-Sainte-Reine. C’est précisément l’époque de l’année que, d’après les données des Commentaires, on doit assigner à la reddition de l’oppide gaulois. Ce n’est pas abuser des méthodes usitées dans la critique moderne que de reconnaître dans cette pieuse légende la transfiguration du double martyre de la ville et de son défenseur.

La défaite finale de Vercingétorix fut aussi celle de la grande cause à laquelle il s’était voué. Il y eut bien encore des efforts locaux pour repousser le joug romain. Les Carnutes, les Bituriges, les Bellovakes, les Trévires, les Cadurques surtout, essayèrent. Soit par ses lieutenans, soit par lui-même, César vint facilement à bout de ces suprêmes convulsions de la Gaule expirante. Il n’y eut guère que le siège d’Uxellodunum (Puy d’Issolu) qui lui suscita des difficultés sérieuses. Il en vint à bout avec son énergie habituelle, son habileté consommée ; mais il fit subir un supplice atroce aux derniers défenseurs de la Gaule : il leur fit couper les mains à tous. D’après les calculs de Plutarque, un million de Gaulois avait péri dans les combats, un autre million avait été réduit à l’état d’esclaves. Si la liberté de la Gaule sombra pour longtemps sous le coup de pareils désastres, on peut dire que son honneur demeura intact.

V.

M. Mommsen, dans son Histoire romaine, se montre peu sympathique à la nation gauloise. Ses jugemens à son égard sont de la dernière sévérité ; il la considère comme ayant atteint sur certains points un développement précoce, mais comme destinée à mourir jeune en punition de ses défauts et de ses vices. La conquête romaine fut, à l’entendre, finis Galliœ, dans toute la force du terme. Nous sommes d’un avis tout opposé, nous maintenons que c’est la vieille Gaule, modifiée sans doute, mais foncièrement fidèle à son génie indigène, qui a fait la France et qui se retrouve en elle. Si nous en avions douté, les appréciations du savant et partial historien eussent contribué à dissiper nos hésitations, car il est évident qu’en faisant le procès des Gaulois accablés par son grand héros Jules César, il a devant les yeux les Français d’aujourd’hui, et qu’il se procure la satisfaction scientifique de nous abîmer sous le poids de ses dédains en frappant à coups redoublés sur nos pauvres ancêtres. La guerre de 1870 était pourtant encore à venir ; mais il y avait déjà longtemps qu’un certain nombre de professeurs allemands nous l’avaient déclarée. La trop bonne opinion que nous avions de nous-mêmes leur paraissait intolérable, et la modestie germanique se sentait appelée à nous humilier pour notre bien.

Une chose plus étonnante, c’est la complaisance que la plupart de nos historiens, jusqu’à une époque assez récente, ont mise au service du terrible conquérant de notre vieille patrie. Ils ont trouvé presque coupable la résistance acharnée à l’envahisseur qui avait abusé de la simplicité de nos ancêtres en se posant d’abord comme leur protecteur, et en profitant de leurs divisions pour leur imposer la servitude. Cette connivence inconsciente avec l’ancien ennemi national a plusieurs causes qui remontent très haut. D’abord il est certain que la Gaule se résigna à la conquête romaine comme à quelque chose d’inévitable, de fatal, comme à une destinée que toutes les nations, l’une après l’autre, même l’Égypte, même Carthage, même la Grèce, avaient dû subir. La jeune nation, pour ainsi dire émasculée par la mort ou la captivité de presque tous ses vaillans hommes, avait perdu son énergie. César, une fois certain de la soumission, prit soin de réconcilier ce qui restait des grandes familles avec la situation nouvelle. Il ne toucha guère aux coutumes, aux lois, aux autonomies locales, sauf les restrictions, peu senties du menu peuple, qui assuraient la suprématie politique à l’autorité romaine. Il accorda largement le droit de cité. Il combla de titres et de richesses les familles distinguées qui se donnaient à lui, il ouvrit même à quelques-unes les portes du sénat, ce qui acheva de les éblouir. Le parti romain, dont l’existence en Gaule au début même de la guerre est désormais hors de doute, se prévalut des événemens pour recruter de nombreux adhérens. César, dont le prestige personnel était si éclatant qu’il dominait jusqu’aux antipathies des peuples vaincus[10], recruta des soldats dans le pays tout entier, des troupes légères en Aquitaine, de solides fantassins dans la Gaule belge, des cavaliers dans la Gaule centrale, et c’est avec une armée en grande partie gauloise qu’il franchit le Rubicon. Lucain nous apprend que, lorsqu’il marcha sur Rome, ce fut dans la grande ville une panique générale. On se crut à la veille d’une nouvelle prise de Rome par les Gaulois. On prétendit qu’il s’était joint aux ennemis acharnés du nom romain pour satisfaire en même temps leurs ressentimens et les siens. Le fait est qu’il fit enfoncer à coups de hache le trésor accumulé depuis de longues années en prévision des invasions gauloises, et le distribua à ses soldats. La Gaule se trouva donc englobée dans les destinées générales de l’empire, et, tout en conservant sa physionomie distincte, ne songea plus guère à s’en séparer.

C’est que, pour elle comme pour la plupart des autres peuples conquis par les aigles romaines, Rome était la civilisation, — l’union avec elle, la garantie par excellence de la paix. L’idée nationale, un moment si vivace, presque réalisée par Vercingétorix, s’était éteinte dans le sang de ses plus illustres champions. Il ne restait plus que des cantons sans cohésion, sans solidarité, qui n’eussent pas manqué de reprendre les armes les uns contre les autres, si l’autorité romaine avait disparu. La Gaule était trop épuisée, trop découragée pour mettre à profit les discordes civiles qui ensanglantèrent l’empire dans les années qui suivirent sa conquête. Auguste d’ailleurs prit soin d’achever l’œuvre de transformation commencée par César. Il partagea la Gaule en trois grandes provinces militaires (la Province proprement dite fut rendue au gouvernement civil du sénat) ; il appela des Germains sur la rive gauche du Rhin pour en faire le rempart de l’empire contre leurs anciens compatriotes, il fonda des villes nouvelles qui ruinèrent les vieilles capitales, il morcela les territoires, érigea des écoles latines, établit des municipes, mina le druidisme, qui devait un regain de popularité à cette circonstance que, seul des élémens caractéristiques de la vieille Gaule, il était resté le même qu’avant la conquête, et, avec un art infini, il sut si bien identifier les dieux et les déesses des deux panthéons, que les Gaulois eux-mêmes ne surent plus les distinguer. Le druidisme, définitivement abandonné par les hautes classes, qu’il ne pouvait plus servir, fut réduit à végéter dans les rangs inférieurs de la population et dans les cantons, tels que ceux d’Armorique, qui se montrèrent plus revêches que les autres à cette romanisation systématique. On sait que Claude en défendit l’exercice public sous peine de mort, en même temps qu’il ouvrait à deux battans les portes du sénat aux descendons des vaincus de César.

En vain quelques mouvemens, toujours promptement réprimés, entre autres l’insurrection du Batave Civilis, quelques essais temporaires d’empire gaulois, celui surtout qui put se maintenir de 253 à 274, et qui fut détruit par Aurélien, interrompirent de temps à autre ce long effacement. Bientôt l’intérêt commun du monde civilisé devant les masses confuses de barbares qui s’agitaient sur les frontières de l’empire réunit les Gaulois à tous les autres peuples conquis dans une même appréhension, dans une même résistance. Quand vinrent les grandes invasions, les Gaulois se considérèrent comme Romains. D’ailleurs le christianisme s’était répandu et consolidé chez eux sous la forme romaine, et le catholicisme, par sa langue, son organisation, son esprit centralisateur, à bien des égards perpétua pour eux l’empire dissous. Quand la monarchie carolingienne se constitua, quand plus tard la royauté s’éleva sur les ruines de la grande féodalité, ce furent les traditions et les lois de l’empire qui fournirent les modèles, les principes d’administration et de législation. De nos jours même n’avons-nous pas eu la preuve, dans cette constitution césarienne qui se fit si aisément accepter à deux reprises, de la force durable de ce que j’appellerai le pli romain imprimé par les événemens sur notre caractère national ?

L’indulgence de nos historiens pour le bourreau de nos ancêtres s’explique donc aisément par de vieilles habitudes de solidarité morale avec Rome ; mais aujourd’hui la filière de notre descendance nationale est trop bien établie pour que nous puissions penser avec indifférence à la série de sanglans désastres qui ajournèrent à plusieurs siècles de là l’essor de notre nationalité distincte. M. le duc d’Aumale a eu raison de dire que Vercingétorix est le premier en date des Français. Ce que l’on peut ajouter à titre de consolation historique, c’est que, l’empire romain étant ce qu’il était au moment où César passa les Alpes, la conquête de la Gaule était une exigence impérieuse de sa durée, et que la disproportion des forces était telle qu’à la longue la Gaule devait succomber. L’empire pouvait rester sur la défensive vis-à-vis des hordes belliqueuses, mais affreusement pauvres, ne valant certes pas la conquête, de la Germanie ou de la Sarmatie. La Gaule était déjà trop riche, trop peuplée, et allait devenir trop redoutable pour que Rome laissât se former derrière les Alpes une nation prête à donner la main contre elle à toutes les insurrections éventuelles des autres peuples. Qu’on pense, par exemple, à ce qui serait arrivé, toutes choses d’ailleurs égales, lorsque la révolte des Juifs éclata en Orient, si Rome eût été menacée en même temps par la Gaule armée du Rhin à l’Océan ! Vespasien arriva juste à temps pour étouffer une conflagration qui commençait. Il y a donc là une fatalité historique qu’il faut reconnaître, à laquelle on doit se résigner, mais il n’y a pas à s’en réjouir. — Quant à ce qu’on a dit souvent, que sans la conquête romaine la Gaule fût restée en dehors de la civilisation antique, cette affirmation est plus spécieuse que fondée. La civilisation peut très bien se propager d’un peuple à l’autre par d’autres voies que la conquête, par le commerce, les voyages, les relations pacifiques. Chez un peuple imitateur, curieux, d’imagination vive, ami des nouveautés et avide du bien-être, tel qu’était le peuple gaulois au Ier siècle avant notre ère, l’adoption des arts supérieurs de l’étranger peut être à la fois libre et prompte, et cette adoption commençait. Notre accession à la grande civilisation eût été sans doute moins rapide ; en revanche, elle eût fait preuve de plus d’originalité qu’on n’en trouve dans les productions généralement bien pâles du génie gaulois pendant la période romaine.

La France, qui n’est ni germaine ni romaine, est donc en réalité la vieille Gaule se retrouvant elle-même après l’affaissement des revêtemens romains et germains qui successivement se posèrent si lourdement sur elle. C’est là l’unique raison qui l’empêcha de rester un prolongement de l’Italie ou une province du saint empire allemand. Ce qu’elle a conservé des deux dominations qui ont passé sur elle doit être reconnu, mais non pas au point de sacrifier le fond authentiquement gaulois de son esprit, de ses tendances, de son caractère permanent. Notre démocratie, qui a fait la royauté, puis la révolution, remonte par ses origines premières jusqu’au parti égalitaire, impatient de l’oligarchie, déjà national, qui permit à Vercingétorix de grouper un instant sous ses ordres les forces de la Gaule entière. « Je veux faire de la Gaule un seul tout, » cette grande parole du brenn martyr est l’âme de toute notre histoire de France. Nous avons montré dans notre première étude comment on pouvait suivre à la trace, le long de notre histoire littéraire, le génie gaulois et son incomparable aptitude dans l’art de l’argute loqui. Des trouvères à Rabelais, de Molière à Voltaire, à Béranger, à Courier, la filiation est visible. N’oublions pas que, parallèlement à cette grande lignée des rieurs, il y a aussi la famille des graves et des tristes, des esprits dédaigneux et amers dont la parole n’est pas moins incisive, mais chez qui l’indignation a pris la place du rire par une réaction toute naturelle, les Calvin, les d’Aubigné, les Larochefoucauld, les Pascal, les Rousseau. Ils font contraste, mais ils sont du même sang, ni Romains ni Germains, fruits authentiques du vieux terroir. Ils ont perdu la sérénité, si joyeuse chez les autres, parce que le côté tragique de la destinée humaine les a saisis. Molière, peut-être le plus compréhensif de tous les Gaulois, Molière, étudié de près, sert de trait d’union entre les rieurs et les mélancoliques.

Cette vue d’ensemble sur le développement historique de notre nationalité ne fournit encore, je l’avoue, que des lignes très générales et partant assez vagues ; mais il est à prévoir que les recherches futures les préciseront et rattacheront les uns aux autres tous les anneaux de la chaîne intellectuelle et morale qui nous unit à la Gaule. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que nous puiserons dans ce point de vue un redoublement d’amour pour notre vieille patrie. Nous sommes devenus bien sceptiques à l’endroit des institutions et des formes politiques. Nous n’avons plus de dynastie vraiment populaire, et il faut bien reconnaître que nous nous sommes attachés à la république plutôt par le sentiment de sa nécessité que par un goût général et passionné pour cette forme de gouvernement. Pourtant je ne sais pas si jamais les Français ont plus aimé la France. Il a suffi de la voir malheureuse et humiliée pour rendre au patriotisme une vigueur, une fraîcheur, un renouveau dont nul ne pouvait auparavant calculer la puissance. La nation est donc chez nous plus résistante que les institutions, quelles qu’elles soient. Tant mieux ; il est insensé de parler de liberté ou de prospérité à qui n’a plus de patrie. Nous sommes de ceux qui pensent qu’à moins de conditions très exceptionnelles, d’ailleurs absentes de chez nous, une grande nation démocratique ne peut vivre paisiblement que sous la forme républicaine. Mais ne commettons jamais la faute, ou plutôt le crime, de mettre un gouvernement quelconque plus haut que la patrie. Vercingétorix, prêt à se démettre de son commandement si ses compatriotes jugent que ce commandement est plutôt « un honneur pour lui qu’un moyen de salut pour eux, » a énoncé le principe qui doit nous guider tous. Il y avait un jour un prince français qui présidait un tribunal appelé à juger un homme coupable d’avoir livré à l’ennemi notre première forteresse. L’accusé alléguait pour s’excuser l’absence de tout gouvernement qu’il pût reconnaître comme ayant le droit de lui commander au moment où il prit sa fatale résolution. Le président lui répondit : « La France existait toujours ! » Oui, les gouvernemens peuvent tomber, mais il reste la France ; que ce soit toujours notre devise à tous !


ALBERT REVILLE.

  1. Voyez la Revue du 15 août.
  2. Ses médailles portent en majuscules latines VERCINGETORIXS ; celles des Éduens sont frappées en caractères grecs.
  3. Nous suivons ici l’itinéraire adopté par M. Mounier et qui diffère de celui qui est indiqué dans l’Histoire de César de Napoléon III.
  4. Les Gaulois avaient imaginé de blinder leurs tours de défense avec du cuir pour amortir les coups de bélier ou de baliste. Cela suppose une grande abondance de bétail.
  5. Ainsi nous savons par César que le chef éduen Dubnorix, le frère de ce druide Divitiac, connu dès l’origine comme un chaud partisan des Romains, s’était intimement lié avec Castic, chef des Séquanes de Vesuntio (Besançon). Il avait épousé la fille d’Orgétorix, l’ambitieux Helvète qui avait poussé son canton à émigrer en masse, et il avait fait épouser sa mère au chef des Bituriges. C’était donc dans toute la force du terme une famille gouvernante. »
  6. Quand on voit plus tard l’oppide d’Alise abondamment muni de vivres, d’armes, d’engins de toute espèce, on peut en conclure qu’il avait fait de cette position, très forte par elle-même, son principal dépôt, mais non pas dans l’idée de s’y renfermer en cas de défaite.
  7. On trouve dans l’Histoire romaine de M. Mommsen, traduite par M. Alexandre, t. VIII, p. 97, un résumé des plus concluans, œuvre du traducteur, des raisons critiques et archéologiques militant en faveur d’Alise-Sainte-Reine.
  8. Nous reproduisons ce chiffre d’après César, qui, comme tant d’autres vainqueurs anciens et modernes, a grossi le nombre des ennemis qu’il a vaincus. Il est fort douteux qu’une place telle qu’Alise eût pu loger 80,000 hommes et les nourrir plus d’un mois. M. le duc d’Aumale, dans l’étude citée plus haut, arrive à la même conclusion en se fondant sur des raisons stratégiques.
  9. Un trait fort singulier de la légende, telle qu’elle est racontée dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, c’est qu’après lui avoir fait subir des tourmens indescriptibles, et bien que la loi du crescendo dans l’horreur, ordinaire en de pareils récits, soit démentie par là, le procurateur, avant de faire trancher la tête à la jeune martyre, la fit plonger dans une cuve pleine d’eau, dans l’espoir qu’elle y étoufferait. Ne serait-ce pas le souvenir confus du fossé plein d’eau que César fit creuser qui se refléterait dans ce détail de la légende ? Du reste, la légende de sainte Marguerite reproduit trait pour trait celle de sainte Reine.
  10. Absolument comme celui de Napoléon Ier dans une grande partie de l’Allemagne pendant les premières années de son règne.