Almanach du Père Peinard1894 (p. 11).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


VENTÔSE



Ventôse, aura beau faire venter le vent, il ne déracinera pas la Tour Eiffel, ne rasera pas la forêt de Bondy, ne changera pas de place les rochers, ne rendra pas les poids de vingt kilos aussi légers qu’une plume d’oie, ne fera pas voleter les hippopotames et les éléphants kif-kif les oiseaux-mouches. Par contre, les petits capels de plus d’une gironde fille s’envoleront par-dessus les moulins, présageant la prochaine venue des hirondelles.

Les pointilleux prouveront que si les capels des jeunesses sont si batifoleurs, la faute n’en est pas au vent, mais bien à de gros boufils à cul doré.

À ces tatillons, je répliquerai, que si les gosselines pouvaient s’attifer gentiment, s’enrubanner à leur fantasia, sans besoin de pièces de cent sous, elles ne se laisseraient pas conter fleurettes, ni chatouiller le menton, par les vieux birbes, non plus que par les singes.

Du coup, on ne verrait point par les rues et les chemins de pauvres filles bedonnant du tiroir ou remorquant un môme.

Être mère, sans permission des autorités, ne serait plus une honte !…

En Ventôse, le soleil nous montrera une frimousse encore pâlotte, mais chaude quand même ; pour chasser le brouillard, le vent lui soufflera dans le nez.

Cependant, faudra pas avoir trop de confiance ! Gare aux bons bougres qui se baladeront sans pépins ! S’ils reçoivent sur le râble quelques giboulées de mars, qu’ils ne s’en prennent qu’à eux. Il est vrai que, s’ils en pincent pour l’équilibre, ils pourront, après l’arrosage extérieur des averses, s’humecter l’intérieur d’une choppe de bière de mars.

Ce mois-là, le soleil vadrouillera dans le signe des poissons : les gouvernants, les rentiers, les patrons et leurs contremaîtres, les aristos et les feignasses, étant tous de la famille des maquerautins, seront heureux de vivre trente jours sous leur emblème.

De bonnes bougresses, qui n’étant pas de la même parenté, non plus que de celle des canards, n’ont pas le goût de l’eau chevillé au corps, ce sont les blanchisseuses. Fatiguées de barboter dans le liquide, sans que jamais leur battoir ou leur savon soient mordus par une baleine, elles profiteront de ce que la mi-carême s’amènera un jeudi, 1er  mars, pour s’en donner à cœur joie. Mince de chahut qu’elles se paieront ce jour là ! On pourra se croire arrivés à la semaine des quatre jeudis.

Pour ce qui est de nous, bon populo, en fait de poissons, nous continuerons à avaler des couleuvres, — et aussi à trimer pire que des galériens afin que les mornes de la haute se baladent dans de riches falbalas.

Si seulement nous suivions l’exemple que nous donneront les paysans !

À ce moment, ils finiront l’échenillage des arbres, enlèveront les mousses, les lichens et autres salopises qui sucent les troncs et les branches.

Jusqu’au gui des pommiers, qui malgré sa gueule verte, ne trouvera pas grâce : ils lui couperont la chique carrément.