Vendémiaire (Pouget)


Almanach du Père Peinard1894 (p. 25).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


VENDÉMIAIRE



Vendémiaire fleure bon, mille marmites ! Nous voici à l’an 103 : les vendanges s’achèvent, le raisin bout dans les cuves. Quel meilleur moment pour fêter l’année nouvelle que celui où le vin nouveau gicle des pressoirs ?

Épaisse comme du macadam, la bonne vinasse se laisse boire dans la tasse des vignerons. Douceatre, sucrée, elle relâche les boyaux : c’est la plus chouette des purges… On commence l’année nouvelle, par un renouvellement de tout.

Puis, outre les vendanges, voici les semailles : dans les champs déjà brumeux, à grandes volées, les campluchards éparpillent le grain qui, après avoir roupillé tout l’hiver, montrera en germinal sa frimousse verdâtre.

De la vendange, les prolos des villes s’en foutent ! Le picton qui leur passe par le trou du cou est une poison de la famille du Château-la-Pompe, n’ayant pas deux liards de parenté avec les raisins.

Quant aux picolos veloutés, ils sont pas nés pour leurs fioles !

À ces bons bougres, que je jaspine une découverte épastrouillante qui va réjouir tous les boit-sans-soif. Pour le vinochard nature, il faut des raisins, tout comme pour le civet il faut un chat ou un lapin. Lorsque le vigneron est un sale fricoteur bourgeois, il salopise son picolo avec des drogues infernales. S’il est bon fieu, il laisse mijoter les raisins à leur fantasia.

Eh bien, voici que les chercheux de bestioles invisibles viennent de dégotter un fourbi galbeux : ils ont pris au nid la levure du vin !

Oui, nom de dieu, le vin a sa levure, tout comme la bière a la sienne, comme le lait a sa présure, le pain son levain. Et, turellement, autant de qualités de vin, autant de levures différentes.

Vous voyez d’ici le tableau : dans une cuve qui n’aurait donné qu’un verjus dégueulasse, on fourre la levure du vin qu’on veut avoir, et vas-y mamzelle Nature ! Ça lève ! On obtient du bordeaux, du bourgogne… à son goût !

Enfoncés les picolos de la haute, mille sabords ! Seulement pour qu’un si riche mic-mac profite au populo, y aura rien de fait tant que la racaille exploiteuse ne sera pas foutue à cul.