Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1/1

HISTOIRE

DES DEUX

RESTAURATIONS

JUSQU’À L’AVÉNEMENT DE LOUIS-PHILIPPE
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CHAPITRE PREMIER


L’émigration à la mort de Louis XVI. — Départ du comte d’Artois pour Saint-Pétersbourg, et de Monsieur pour l’Italie ; séjour de ce dernier à Turin, puis à Vérone. — Mort de Louis XVII. — Manifeste de Louis XVIII à son avénement. — Journée du 13 vendémiaire. — Expédition de Quiberon et de l’Île-Dieu ; lettre de Charette ; sa mort. — La Prusse traite avec la République. — Continuation de la guerre avec l’Autriche ; invasion de l’Italie par le Directoire ; le Sénat de Venise et Louis XVIII ; départ de ce prince pour l’armée de Condé ; Pichegru ; sa première négociation avec les Bourbons ; ce général est rappelé par le Directoire. — Louis XVIII se retire à Blackenbourg ; lettre de ce prince à Pichegru. — Agences royalistes ; arrestations ; conspiration de Pichegru et d’une partie des membres des conseils ; journée du 18 fructidor. — L’Autriche traite avec la République. — Louis XVIII quitte Blackenbourg et se retire à Mittau ; sa cour. — Coalition entre la Russie, l’Angleterre et l’Autriche ; passage de Souwaroff à Mittau. — Chouannerie. — Négociation de Louis XVIII avec Barras ; lettres patentes. — Succès des alliés en Hollande et en Italie ; situation de la République ; victoires de Brune et de Masséna, à Berghem et à Zurich. — Bonaparte arrive d’Égypte, journées des 18 et 19 brumaire.

Tous les pouvoirs tombés accusent de leur chute les complots de leurs adversaires ou les intrigues de leurs successeurs. Ces reproches, invariablement renouvelés à chaque renversement de dynastie, ont été reproduits de notre temps par les partisans et par les membres eux-mêmes des deux familles descendues du trône, l’une en 1814, l’autre en 1830. Ce ne sont pourtant pas les partisans de l’ancienne royauté qui ont amené l’abdication de Fontainebleau ! Napoléon avait creusé lui-même l’abîme dans lequel il est tombé ; et, malgré leur nombre, les alliés se seraient probablement épuisés en vains efforts, si l’empereur, dans l’enivrement de sa puissance, n’avait pas brisé un à un tous les liens qui pouvaient attacher la France au maintien et à la durée de l’édifice impérial. La branche aînée des Bourbons ne saurait pas davantage imputer sa perte aux Bourbons substitués à sa place. Louis XVIII et Charles X mirent quinze ans à préparer de leurs propres mains les éléments de la tempête au milieu de laquelle leur dynastie disparut. À ces deux époques, points extrêmes de cette histoire, l’élévation des successeurs du pouvoir tombé fut, chaque fois, un résultat, pour ainsi dire, inattendu, et le fruit d’intrigues ou de calculs nés au sein même de l’événement.

Vingt-deux ans séparent la chute de l’ancienne monarchie, en 1792, du rétablissement de ses princes, en 1814. Durant la première moitié de cette période, les frères de Louis XVI demandèrent successivement le renversement du nouvel ordre politique à l’invasion étrangère, à la guerre civile, aux conspirations et aux complots. C’est à l’histoire de la République et du Consulat qu’appartient le récit des efforts alors tentés par les royalistes et par les Bourbons ; les intrigues, puis les protestations de ces princes, après 1804, sont du domaine des historiens de l’Empire. Nous n’emprunterons donc à ces deux époques que les faits indispensables à la parfaite intelligence des événements qui ont amené la première Restauration.

1793 – 1799. Louis-Stanislas-Xavier, depuis Louis XVIII, et alors connu sous le titre de Monsieur, se trouvait en Westphalie, dans la petite ville de Ham, près Dusseldorf, quand, le 28 janvier 1793, il apprit la mort de son frère aîné, le roi Louis XVI. Les nombreux émigrés réunis à ce moment de l’autre côté du Rhin se partageaient en deux catégories principales : les émigrés de première origine, c’est-à-dire ceux qui, déniant à Louis XVI et aux états généraux le droit de modifier l’exercice du pouvoir royal, d’amoindrir les privilèges de la noblesse et du clergé, n’avaient pas même voulu rester les témoins de ce qu’ils appelaient les « audacieuses usurpations des révolutionnaires, » et étaient allés, dès 1789, 90 et 91, solliciter l’intervention des puissances voisines ; puis les retardataires, c’est-à-dire les royalistes qui, demeurés en France tant que le trône de Louis XVI était demeuré debout, n’avaient franchi la frontière que pour échapper aux menaces ou aux coups de la dictature conventionnelle.

Les premiers, fiers de l’antériorité de leur recours à l’étranger et de leur fidélité intraitable à tous les abus de l’ancienne monarchie, auraient repoussé Monsieur, s’ils l’avaient osé, lui reprochant avec amertume d’avoir pactisé, au début de la Révolution, avec quelques-unes des idées nouvelles. Les derniers venus étaient surtout l’objet de leurs dédains ; ils les accusaient de n’avoir émigré que dans le but de partager la gloire ainsi que les bénéfices d’une rentrée victorieuse préparée par eux seuls, achetée au prix de plusieurs années d’exil volontaire et de coûteux sacrifices. « Mais nous sommes déjà beaucoup trop nombreux ! s’écriaient-ils la vue de chaque nouvel arrivant ; si cela continue, la France entière sera bientôt de notre côté ; et, au retour, nous n’aurons plus personne à punir ! »

Outre les retardataires, la seconde catégorie comprenait les politiques, c’est-à-dire les émigrés magistrats, membres des deux assemblées, Constituante ou Législative, financiers, etc., qui affectaient d’apporter au service de l’émigration quelque expérience des affaires ou des opinions conciliables avec les progrès du siècle. Les émigrés de cette catégorie, comme les retardataires, se ralliaient autour de Monsieur. Les premiers, ainsi que les officiers de tous les grades et de toutes les armes, les femmes, les jeunes gens, se groupaient autour du comte d’Artois.

La mort de Louis XVI aurait dû suspendre toutes les querelles. Loin de là : accueillie par les amis du comte d’Artois comme une expiation de la sanction donnée aux décrets qui avaient aboli les droits féodaux et constitué civilement le clergé ; regardée par les amis de Monsieur comme le résultat douloureux mais inévitable de la faiblesse et des hésitations du monarque, cette mort souleva une question de titres et de prérogatives qui rendit plus profonde encore la séparation des deux partis. En droit monarchique, le roi n’avait pas cessé d’exister ; il vivait dans la personne du Dauphin. Mais, mineur et prisonnier, Louis XVII ne pouvait exercer le pouvoir royal. Qui devait gouverner en son nom ? Là était le débat. — Le comte d’Artois tient dans ses mains l’épée de la monarchie ; à lui la régence, disaient les partisans de ce prince. — Monsieur est le chef de la famille, répliquaient les politiques ; les lois du royaume, comme la tradition, lui donnent la tutelle du jeune roi et le gouvernement.

On soumit le cas aux souverains ; pas un d’eux ne daigna répondre. On interrogea leurs ministres ; ils gardèrent également le plus absolu silence. À ce moment, il est vrai, les armées de l’Autriche et de la Prusse venaient de battre les troupes républicaines à Aldenhoven, à Nerwinde, à Famars, à Pirmasens, à Kaiserslautern ; Mayence était reprise ; Condé, Valenciennes, le Quesnoy, Landrecies, venaient de capituler. Ces succès avaient grandi les prétentions des envahisseurs ; au début de la guerre, ils ne poursuivaient que la restauration du principe monarchique ; vers le milieu de 1793, après le supplice du roi, leur but avait changé ; ils ne rêvaient rien de moins que la conquête et le partage de la France. La lutte entre les deux frères de Louis XVI dura plusieurs mois ; des deux côtés on écrivit, on discuta ; à la fin, les deux partis, lassés, convinrent d’une transaction : — Monsieur fut régent, le comte d’Artois reçut le titre de lieutenant général du royaume.

Ce partage fait, les deux frères, fatigués du lourd et soupçonneux protectorat des cabinets de Vienne et de Berlin, quittèrent l’Allemagne. Le comte d’Artois alla à Saint-Pétersbourg solliciter de l’impératrice Catherine une intervention plus désintéressée que celle de la Prusse et de l’Autriche. Monsieur, appelé sur les côtes de Provence par les insurgés de Lyon et du Midi, et par les royalistes qui venaient de livrer Toulon aux Anglais et aux Espagnols, partit pour Gênes. Le comte d’Artois fut gracieusement accueilli par Catherine II ; cette souveraine se montra prodigue de protestations ; elle promit au prince une armée, qui ne se mit jamais en marche, et lui donna, pour s’ouvrir, en attendant, le chemin de Paris, une épée enrichie de diamants que le comte, aussitôt son retour, s’empressa de vendre 4,000 livres sterling (100,000 fr.) à un juif de Londres[1]. Monsieur, à peine arrivé à Turin, y avait appris la chute de Lyon, ainsi que la reprise de Toulon par les armées républicaines ; gendre du roi de Sardaigne, il voulut séjourner dans cette cour ; mais, obligé de la quitter après une résidence de quatre mois, il demanda vainement un asile à son parent, le duc de Parme. Enfin il put s’arrêter, au mois de mai 1794, dans les États de Venise, à Vérone, où il organisa sa maison et son conseil. Un des premiers soins de ce conseil, que composaient le duc de Lavauguyon, le marquis de Jaucourt et le baron de Flacheslanden, fut de profiter des événements du 9 thermidor et de la réaction qui suivit cette journée, pour établir à Paris une agence royaliste. Cette agence, au mois de novembre 1794, comptait six membres : MM. de Lavilleheurnois, Duverne de Presles, l’abbé Brottier, le chevalier Despomelles et les deux frères Lemaître, noms ignorés, mais que leur obscurité même dérobait plus facilement à l’attention des autorités conventionnelles.

Outre Vérone, l’émigration, à cette date, comptait deux autres centres d’action ou d’intrigue : Londres, où séjournait le comte d’Artois depuis son retour de Russie, et d’où il correspondait avec les insurgés vendéens et bretons ; puis l’armée de Condé, sans quartier général fixe, et dont les différents corps opéraient à la suite des armées coalisées. Ces corps, dans le cours de l’année 1794, et durant les premiers mois de 1795, suivirent la fortune des armées de la Prusse et de l’Autriche. À cette époque, les troupes républicaines, victorieuses à leur tour, avaient refoulé l’invasion au delà du Wahal et du Rhin. Les efforts du comte d’Artois, dans les départements de l’Ouest, n’avaient pas eu un meilleur succès : les 17 février et 20 avril 1795, les Vendéens et les insurgés bretons firent leur première soumission au gouvernement de la République. Les intrigues de Monsieur, pour réparer le double échec subi par la cause royale à Lyon et dans le Midi, furent également sans résultat pendant la première année de son séjour à Vérone. Toutefois, ce prince et son frère s’occupaient d’une revanche, le premier, en organisant à l’aide de l’agence royaliste de Paris le mouvement de vendémiaire ; le second, en préparant avec le gouvernement anglais l’expédition de Quiberon ainsi que sa descente à l’Île-Dieu, lorsqu’un événement, impatiemment attendu par leur entourage, vint changer les titres que tous deux avaient jusqu’alors portés. Louis XVII mourut le 8 juin 1795 (20 prairial an III) dans la prison du Temple. Le régent prit aussitôt le nom de Louis XVIII, le comte d’Artois devint Monsieur. Le nouveau souverain notifia son avénement à toutes les cours étrangères et aux sujets de son royaume, en faisant suivre son nom du titre de roi de France et de Navarre.

Vainement la France révolutionnaire avait jugé et fait exécuter un roi ; vainement elle était parvenue à comprimer toutes les résistances intérieures et à repousser sur tous les points l’invasion étrangère ; pour l’émigration et pour ses chefs, rien n’était changé : la France, pour eux, était encore la monarchie de Louis XV, et ils ne voyaient dans l’énergique population de ses villes, de ses campagnes et de ses camps, qu’un troupeau de sujets mutinés à peine dignes de pardon. Les passages suivants du manifeste publié par Louis XVIII, à l’occasion de son avénement, donneront la mesure des illusions qui dominaient encore ce prince au début de sa royauté :

« Les impénétrables décrets de la Providence nous ont transmis, avec la couronne, la nécessité de l’arracher à la révolte. Des hommes impies et factieux vous ont entraînés dans l’irréligion et la révolte. Depuis ce moment, un déluge de calamités a fondu sur vous de toutes parts.

Vous fûtes infidèles au Dieu de vos pères, et ce Dieu, justement irrité, vous a fait sentir tout le poids de sa colère ; vous fûtes infidèles à l’autorité qu’il avait établie pour vous gouverner, et un despotisme sanglant, une anarchie non moins cruelle, se succédant tour à tour, vous ont sans cesse déchirés avec une fureur toujours croissante. Vos biens sont devenus la pâture des brigands à l’instant où le trône est devenu la proie des usurpateurs ; la servitude et la tyrannie vous ont opprimés dès que l’autorité royale a cessé de vous couvrir de son égide. Propriété, sûreté, liberté, tout a disparu avec le gouvernement monarchique.

Il faut revenir à cette religion sainte qui avait attiré sur la France les bénédictions du ciel ; il faut rétablir ce gouvernement qui fut pendant quatorze siècles la gloire de la France et les délices des Français, qui avait fait de votre patrie le plus florissant des États, et de vous-mêmes le plus heureux des peuples.

Tous les Français qui, abjurant des opinions funestes, viendront se jeter au pied du trône, y seront reçus. II est cependant des forfaits dont l’atrocité passe les bornes de la clémence. Ces monstres (les régicides), la postérité ne les nommera qu’avec horreur, la France entière appelle sur leurs têtes le glaive de la justice... »

Le retour pur et simple à la royauté de droit divin, le rétablissement de la noblesse et du clergé dans la plénitude de leurs priviléges et de leurs richesses, voilà les conditions du pardon que Louis XVIII offrait à tous les Français repentants qui viendraient abjurer au pied de son trône leurs erreurs des six dernières années. Après s’être mis ainsi en mesure avec ses sujets révoltés, le nouveau roi organisa son gouvernement et sa cour. Il eut un ministre des affaires étrangères, le duc de Lavauguyon ; un chancelier, M. de Flacheslanden ; un capitaine des gardes du corps, le comte d’Avaray ; un premier gentilhomme de la chambre, le duc de Fleury ; puis des ambassadeurs chargés de prouver aux puissances qu’elles ne devaient accorder ni trêve ni merci à la République, et que tous les rois étaient intéressés, autant que lui-même, à seconder, par l’invasion de nos provinces frontières, les complots des agences royalistes de l’intérieur.

La réaction thermidorienne vint merveilleusement en aide au travail de ces agences. L’ouverture de toutes les prisons de la République jeta sur la scène politique un nombre considérable de royalistes qui n’avaient pas osé ou qui n’avaient pu émigrer ; des lois d’amnistie et un régime de large tolérance donnèrent aux exilés volontaires les plus ignorés ou les moins compromis la facilité de rentrer. Cette masse de mécontents se mit à la tête de la réaction. Proscrits la veille, ils se firent proscripteurs. Aidés par quelques Conventionnels en mission, naguère Montagnards fougueux, et qui voulaient faire oublier leur exaltation révolutionnaire en l’abritant derrière des exagérations nouvelles, les royalistes organisèrent dans plusieurs provinces, dans celles du Midi surtout, des massacres où furent immolés bon nombre de républicains énergiques. Ces représailles sanglantes étaient difficiles à Paris, siége de la Convention, centre du gouvernement. Les éléments royalistes y étaient cependant nombreux. L’agence, chargée de les employer, les organisa, non pas en vue de vengeances isolées, mais pour un coup de main politique : elle résolut d’attaquer le gouvernement lui-même. Le 5 octobre 1795 (13 vendémiaire an IV), les gardes nationaux des quartiers opulents, entraînés sous le prétexte de sauver la liberté menacée par la constitution que préparait alors la Convention nationale, se portèrent sur les Tuileries, pour dissoudre cette assemblée. Un petit nombre de soldats conduits par le général Bonaparte, et soutenus par quelques patriotes résolus, ainsi que par le peuple des faubourgs, firent avorter cette insurrection, qui, fomentée au nom du droit républicain violé, n’avait pour but que le rétablissement de la monarchie.

Cet échec ne fut pas le seul que la cause royale éprouva dans le cours de 1795. Plusieurs mois auparavant, une flotte anglaise avait jeté sur la plage de Quiberon un corps nombreux d’émigrés au nombre desquels, par une fatalité étrange ou par la plus odieuse des prévisions, se trouvait la presque totalité des officiers de notre ancienne marine. Les Vendéens, de leur côté, obéissant à l’appel du comte d’Artois, avaient une seconde fois pris les armes. Arrêtée par le général Hoche et trahie par la rivalité jalouse et par l’impéritie de ses principaux chefs, l’expédition de Quiberon subit l’échec le plus complet : des dix mille émigrés débarqués dans la presqu’île, quelques-uns seulement revinrent en Angleterre. Le soulèvement de la Vendée n’eut pas un meilleur succès. Tout dépendait de la présence du comte d’Artois au milieu de l’insurrection. Le prince resta plusieurs semaines à l’Île-Dieu, en vue de la côte ; mais, sourd aux supplications des insurgés qui l’attendaient sur le rivage, il refusa opiniâtrement de débarquer. Vainement le commandant de la frégate anglaise le Jason, qui l’avait conduit, eut-il recours lui-même aux prières et aux menaces pour décider Monsieur à cet acte de facile courage ; ce prince ne voulut rien entendre ; il fallut le ramener à Portsmouth. À la suite de ce départ, Charette écrivit la lettre suivante à Louis XVIII :

« Sire, la lâcheté de votre frère a tout perdu. Il ne pouvait paraître sur cette côte que pour tout perdre ou tout sauver. Son retour en Angleterre a décidé de notre sort. Aujourd’hui il ne nous reste plus qu’à périr inutilement pour le service de Votre Majesté.

« Charette »

Charette ne se trompait pas. L’insurrection, après s’être péniblement maintenue pendant quelques mois, fut comprimée par le général Hoche, accouru en Vendée avec les troupes qui venaient de détruire le corps expéditionnaire de Quiberon ; Charette lui-même, réduit à quelques soldats et blessé, fut pris le 23 mars 1796 (3 germinal an IV), et fusillé à Nantes le 29 (9 germinal).

Le ministère anglais présenta le désastre de Quiberon comme un échec sans importance. « Dans cette affaire, dit négligemment William Pitt à la Chambre des communes, le sang français seul a coulé. — Oui, sans doute, s’écria Sheridan indigné ; mais en revanche l’honneur anglais a coulé par tous les pores ! » La cour de Londres se montra moins accommodante à l’égard de l’avortement inévitable du mouvement vendéen que le comte d’Artois devait appuyer de son nom et de sa personne car, cette fois, la destruction du brave corps d’officiers qui, durant la guerre de l’indépendance américaine, avait si souvent triomphé des escadres anglaises dans les mers de l’Inde et sur l’Atlantique, ne pouvait plus compenser les frais de cette insurrection ; aussi lord Grenville, parlant du retour inopiné du comte d’Artois à MM. de Woronzoff et de Starenberg, ambassadeurs de Russie et d’Autriche, se plaignait en ces termes :

« Vous connaissez, messieurs, les efforts et les sacrifices que le gouvernement britannique n’a cessé de faire pour les royalistes ; vous savez que M. le comte d’Artois ayant désiré aller en Vendée, nous avons mis en mer une expédition digne de S. A. R. Mais, à peine embarquée, S. A. a fait des démarches pour revenir ; voici deux lettres originales par lesquelles elle demande instamment son retour. Je ne lui ai pas répondu ; et cependant j’apprends que S. A. est arrivée d’elle-même sur le Jason ; faites donc quelque chose pour ces gens-là ! »

Le découragement exprimé par lord Grenville avait également gagné la Prusse, quand, trois mois avant le second soulèvement de la Vendée, elle s’était décidée à signer le traité de Bâle et à reconnaître la République française. L’irritation qu’avaient donnée au cabinet de Berlin les folles illusions et les allures fanfaronnes de l’émigration, était même allée plus d’une fois jusqu’à la colère. Les émigrés, dans plus d’une circonstance, avaient eu à se plaindre de la brutalité des troupes et des autorités prussiennes ; on ne s’était pas contenté de les injurier, de les insulter, au retour de la première campagne ; on les avait maltraités ; les soldats prussiens avaient pillé leurs équipages, leurs effets les plus nécessaires, même leur linge. La paix faite, les émigrés purent, en outre, lire cette inscription sur des poteaux plantés à la porte des villes, ainsi qu’aux carrefours des routes de la Prusse et de quelques petits États qui avaient accédé au traité de Bâle : Défense de passer aux vagabonds et aux émigrés. Ceux-ci surent se venger ; ils écrivirent à leurs amis, ils imprimèrent dans leurs brochures « que les soldats de Frédéric-Guillaume étaient dignes de fraterniser avec les patriotes, et que tous les généraux prussiens étaient des philosophes[2]. »

La Prusse, nous l’avons dit, avait fait la guerre dans des vues de conquête et de partage beaucoup plus que dans l’intérêt de la royauté française et de l’émigration. Le même mobile avait armé l’Autriche. Mais il existait cette différence dans la position des deux cours, que le cabinet de Berlin, n’ayant pas perdu un seul village dans la lutte, avait pu traiter sans faire ni demander le moindre sacrifice, tandis que le cabinet de Vienne, auquel la guerre avait enlevé la Belgique, devait poser, comme condition première de toute négociation, la restitution de ce riche territoire. La restitution fut demandée. Le gouvernement républicain avait répondu d’avance, en déclarant les provinces belges partie intégrante de la République. Décidée à les recouvrer, l’Autriche continua la guerre. C’étaient la méfiance ombrageuse et les mauvais vouloirs de cette puissance qui avaient en grande partie décidé le voyage, puis le séjour de Louis XVIII en Italie ; la continuation des hostilités força ce prince à changer encore une fois de résidence.

Le Directoire voulut pousser cette guerre avec vigueur. En même temps qu’il faisait attaquer l’Autriche sur le Rhin, il lançait une armée sur les possessions italiennes de cette puissance. Les troupes françaises chargées d’opérer au delà des Alpes furent confiées au général Bonaparte ; on sait la rapidité de sa marche et de ses premiers succès. Effrayé par l’approche de nos régiments, qui venaient de signaler leur entrée en Italie par les victoires de Montenotte, Millésimo et Mondovi, le gouvernement vénitien ne crut pas devoir tolérer plus longtemps sur ses domaines le séjour du chef de l’émigration ; redoutant d’attirer sur lui-même la colère du vainqueur, il chargea le sénateur Carlotti de signifier à Louis XVIII l’ordre de quitter immédiatement le territoire de la République. Le prince répondit :

« Je partirai ; mais j’exige deux conditions : la première, qu’on me présente le livre d’or où ma famille est inscrite, afin que j’en raye le nom de ma main ; la seconde, qu’on me rende l’armure dont l’amitié de mon aïeul Henri IV a fait présent à la République. »

L’agent du sénat fit à cette noble protestation une réponse que Louis XVIII refusa de recevoir. L’ordre avait été notifié le 13 avril 1796 ; le 21, huit jours après, le prince prit la route du Brisgaw ; il se rendait au quartier général du prince de Condé. Cette direction nouvelle lui était indiquée par une négociation entamée depuis plusieurs mois entre le prince et le général Pichegru, négociation que des nouvelles assez récentes présentaient comme arrivée à son terme.

Pichegru n’était pas de ces hommes pour qui l’estime publique et le sentiment d’une gloire justement acquise sont la récompense suffisante des services rendus ; le cœur chez lui n’était pas au niveau de l’intelligence. Jaloux de toutes les réputations qui s’élevaient à côté de la sienne, on l’entendait journellement blâmer les opérations des autres généraux en chef, ainsi que les ordres du gouvernement. D’un autre côté, les grands commandements, à cette époque de notre histoire révolutionnaire, n’avaient pas encore donné aux généraux en chef une grande existence ni une grande fortune. La probité sévère imposée par la Convention à tous ses délégués, et dont la tradition vivait encore dans les hauts rangs de l’armée, était un nouveau grief de Pichegru contre l’établissement républicain.

Il était difficile que son mécontentement échappât aux agents que l’émigration, aidée par les subsides de l’ennemi, entretenait près des quartiers généraux voisins de la frontière. Les régiments commandés par Pichegru composaient l’armée de Rhin-et-Moselle ; échelonnés sur la rive gauche du Rhin, depuis Huningue jusqu’à Mayence, ils faisaient face à l’armée de Condé, disséminée par détachements le long de la rive droite. Un de ces hardis entremetteurs politiques qui sont à la recherche de toutes les corruptions eut la pensée de mettre ce voisinage à profit pour gagner Pichegru. Il parvint jusqu’à lui. Pichegru l’écouta ; la négociation fut immédiatement entamée. La dignité de maréchal de France et le gouvernement de l’Alsace, le cordon rouge, le château de Chambord avec son parc, un million comptant, une rente de 200,000 livres et un hôtel à Paris, voilà quelles furent les offres faites à Pichegru, qui les accepta, heureux de se livrer à des conditions si magnifiques. On exigea des gages. Pichegru, chargé de seconder avec son armée un mouvement que l’armée de Sambre-et-Meuse devait opérer en avant de Mayence, fit manquer l’opération en faisant battre ses troupes, en laissant forcer ses lignes et enlever toute son artillerie par Clairfayt. Les gages étaient donnés, on s’occupa de conclure : ici, les deux parties cessèrent de s’entendre. Pichegru voulait passer le Rhin, grouper autour de lui l’armée autrichienne et l’armée de Condé, puis, la jonction faite, proclamer Louis XVIII, arborer le drapeau blanc, repasser le fleuve à la tête de toutes ces forces, et marcher sur Paris après avoir successivement occupé toutes les places mises sous son commandement, et qu’il aurait confiées d’avance des officiers gagnés au complot. Ce plan était repoussé par le prince de Condé. Ce prince désirait que le mouvement fût exclusivement français ; il voulait que Pichegru débutât par lui livrer Huningue et deux autres places où les émigrés proclameraient eux-mêmes le roi, et arboreraient le drapeau blanc ; c’était seulement après l’accomplissement de ces préliminaires qu’il consentait à mêler ses soldats à ceux de Pichegru, et à marcher ensemble sur Paris. Chacun d’eux, comme on le voit, se disputait le premier rôle. Disons-le pourtant : dans cette discussion, le prince émigré montrait un sentiment de nationalité que n’avait pas le général de la République. Ce n’est pas tout : Pichegru, avant d’arborer le drapeau blanc, voulait des garanties plus solides que les promesses transmises par les intermédiaires de la négociation ; il exigeait un engagement écrit de la main du prince. Ce dernier éluda longtemps la demande. Sa résistance ne prenait pas sa source dans le dégoût qu’inspire la trahison à tous les cœurs honnêtes ; ce qui lui répugnait, c’était d’abaisser l’orgueil de sa race et de son rang jusqu’à entrer en correspondance directe, écrite, avec un parvenu républicain. Il dut pourtant céder ; il écrivit[3].

Les échecs volontaires essuyés par Pichegru, devant Mayence, avaient éveillé les soupçons du Directoire ; quelques indices sur la négociation qui se suivait augmentèrent sa défiance. Pichegru, dans les premiers jours d’avril 1796, reçut inopinément l’ordre de quitter l’armée, et se vit obligé de se rendre à Paris.

La contre-révolution royaliste, à cette époque, entrait dans un nouvel ordre d’efforts. Jusqu’à ce moment, elle avait procédé par voie d’insurrection. Mais le nombre et l’énergie des dévouements qu’exigent les luttes de cette nature n’existaient plus dans les masses ; la force insurrectionnelle du parti royaliste s’était successivement épuisée dans les soulèvements de Lyon et du Midi, dans les guerres de la Vendée et dans la prise d’armes de vendémiaire ; ainsi affaiblie, la contre-révolution dut recourir à un autre mode d’attaque : elle conspira ! La trahison concertée avec Pichegru fut le premier pas des Bourbons dans cette voie nouvelle ; cette tentative venait d’avorter par le rappel du général, quand Louis XVIII arriva sur les bords du Rhin.

Le séjour de ce prince à l’armée de Condé fut d’assez courte durée ; les défiances de l’Autriche ne lui permirent pas de le prolonger au delà de quelques semaines. Ce fut à Blackenbourg, dans le duché de Brunswick, qu’il transporta sa petite cour. Il y arriva dans les derniers jours de juin 1796. Une fois installé dans cette résidence, il s’occupa d’imprimer une nouvelle activité et une même direction aux nombreuses agences qui se formaient à cette époque sur tous les points du territoire ; toutes devaient porter leurs efforts sur la composition des administrations communales et départementales, sur les choix du corps électoral, et agir de manière à faire dominer l’élément royaliste dans les municipalités et les Directoires de chaque département, comme dans les deux Conseils composant le Corps législatif. Le renversement de la Révolution par les pouvoirs légaux de la République devint le mot d’ordre du parti. Les circonstances étaient singulièrement favorables. Le pouvoir exécutif, partagé entre cinq personnes de caractères différents et d’opinions souvent opposées, manquait de décision et d’énergie ; les bases du système électif, d’un autre côté, étaient assez larges pour permettre tous les choix ; grâce à la liberté dont jouissaient la presse et la parole, on pouvait, en outre, tout imprimer et tout dire ; enfin, les changements apportés depuis 1789 dans toutes les positions et dans toutes les fortunes mettaient à la disposition des royalistes une masse considérable d’individus ruinés ou dont l’existence était déclassée, et auxquels venait se joindre la foule des ambitieux trompés de tous les précédents régimes. Ces nombreux éléments de trouble et d’agitation furent bientôt en travail. Chaque matin, cinquante à soixante journaux provoquaient ouvertement au renversement de la République ; chaque soir, plusieurs théâtres offraient aux applaudissements d’un public passionné des pièces écrites dans un esprit hostile aux nouvelles institutions et au nouveau pouvoir ; dans tous les lieux de réunion publique, on n’entendait circuler que des propos calomnieux ou de grossières plaisanteries contre le Directoire, ses membres et ses ministres.

Les membres de l’agence royaliste de Paris, dupes de ces manifestations, que pourtant ils soldaient en partie, crurent leur triomphe assuré. Ils perdirent toute mesure. L’audace de leur langage et de leurs démarches contraignit le Directoire à sortir enfin de sa tolérance léthargique ; le 31 janvier 1797, il adressa aux deux Conseils législatifs (les Anciens et les Cinq-Cents) un message dans lequel il annonçait la découverte d’une vaste conspiration contre-révolutionnaire, ainsi que l’arrestation des principaux coupables et la saisie de leurs papiers. L’abbé Brottier et ses deux collègues, Duverne de Presles et Lavilleheurnois, figuraient parmi les individus arrêtés. Ces arrestations et ces saisies, simple incident dans la lutte engagée entre la contre-révolution royaliste et le gouvernement républicain, mettaient aux mains du Directoire quelques conspirateurs et quelques correspondances ; mais elles ne lui livraient pas la conspiration. Le danger, pour la République, était ailleurs que dans l’agence et dans ses membres.

Pichegru n’avait point renoncé à ses projets de Restauration royaliste. Nommé, quelques jours après son rappel de l’armée, à l’ambassade de Suède, il avait refusé de quitter la France et s’était rendu à Arbois, sa ville natale, où ne tarda pas à le joindre un des agents les plus actifs de l’émigration. Cet agent lui remit 72,000 livres en or fournies, partie par Louis XVIII, partie par M. Wickham, résident anglais à Francfort, ainsi qu’une lettre du roi, dont nous citerons les passages suivants :

« Je dépose en vos mains, Monsieur, toute la plénitude de ma puissance et de mes droits ; faites-en l’usage que vous croirez nécessaire à mon service. Si les intelligences précieuses que vous avez à Paris et dans les provinces, si vos talents et votre caractère surtout pouvaient me permettre de craindre que quelque événement impossible à prévoir vous obligeât à sortir du royaume, c’est entre M. le prince de Condé et moi que vous trouveriez votre place. Si j’en connaissais une plus digne de vous, je vous l’offrirais.

Je me flatte que M. Wickham continuera de fournir avec la même générosité les secours que vous pourrez désirer. Je sens combien ils deviennent nécessaires lorsqu’il faut plus que jamais former et diriger l’opinion publique. Ne négligez rien pour produire cet effet, dont l’importance est si majeure.

M. Louis Fauche[4] vous remettra cette lettre ; je lui ai donné mes pouvoirs, afin que, dans le cas où vous jugerez à propos de faire faire des démarches auprès des généraux de l’armée d’Italie, elles n’éprouvent pas le moindre retard : vous êtes le maître de décider à cet égard. »

Cette lettre de Louis XVIII, datée de Mutzingen, le 9 juin 1796, faisait de Pichegru le chef politique de la contre-révolution ; il accepta ce rôle. Nommé par ses compatriotes membre du conseil des Cinq-Cents, il se rendit à Paris, décidé à renverser la République à l’aide des pouvoirs politiques chargés de la maintenir. On ne pouvait espérer d’atteindre ce but qu’en disposant de la majorité dans les deux Conseils législatifs ; Pichegru s’efforça d’obtenir cette majorité en ralliant successivement autour de lui, d’abord, les membres que leurs opinions ou leurs intérêts attachaient encore à l’ancien régime ; ensuite les monarchistes modérés, désignés sous le nom de constitutionnels de 89, puis un assez grand nombre de révolutionnaires repus qui désiraient placer leur position et leurs nouvelles richesses sous la protection d’un gouvernement plus solide que le gouvernement directorial. La coalition d’intérêts aussi divers ne pouvait être l’œuvre d’un jour. Ce travail était pourtant assez avancé, quand l’arrestation des trois principaux membres de l’agence royaliste et la saisie de leurs papiers vinrent porter l’effroi parmi les conspirateurs des Conseils.

Ce trouble, toutefois, ne fut que passager. Le bruit causé par le message du Directoire ne tarda pas à se perdre au milieu du retentissement occasionné par les prodigieuses victoires de notre armée d’Italie, et par les discussions violentes qui agitaient chaque jour les séances des Conseils eux-mêmes. Pichegru se remit donc à l’œuvre. Mais, dans l’intervalle, quelques dévouements avaient été ébranlés. Plusieurs pièces saisies chez l’abbé Brottier et publiées par le Directoire prouvaient que, dominés par les plus incurables illusions, les princes exilés n’avaient renoncé à aucune de leurs prétentions à la monarchie absolue. Pichegru insista auprès de Louis XVIII sur la nécessité de calmer les inquiétudes des partisans d’une constitution. Ce prince lui envoya une proclamation où se trouvait ce passage :

« Français, nous avons dit à nos agents et nous leur répétons sans cesse : Rappelez notre peuple à la sainte religion de nos pères et au gouvernement paternel qui fit si longtemps la gloire et le bonheur de la France ; expliquez-lui la constitution de l’État, qui n’est calomniée que parce qu’elle a été méconnue ; instruisez-le à la distinguer du régime qui s’était introduit depuis longtemps ; montrez-lui qu’elle est également opposée à l’anarchie et au despotisme ; consultez les gens sages et éclairés sur les parties dignes de perfection dont elle est susceptible, et faites connaître les formes qu’il faut adopter pour travailler à son amélioration. »

Ce langage n’avait plus le caractère absolu des déclarations contenues dans la proclamation d’avénement[5]. Louis XVIII cessait d’exiger le retour pur et simple au régime de 1788 ; il faisait enfin la part du temps, part bien faible, à la vérité mais que Pichegru, dans ses commentaires officieux, prenait soin d’amplifier et de grandir. Les élections de l’an V (mai 1797) vinrent augmenter, dans le Corps législatif, les forces de la conspiration ; elle s’y développa et compta bientôt des complices jusque dans le sein du Directoire lui-même. Barras, Rewbell, Laréveillère-Lépeaux, Carnot et Barthélémy étaient alors Directeurs. Carnot, esprit politique peu étendu, savait l’existence de la conjuration, mais il n’en apercevait qu’imparfaitement le but ; mécontent de ses collègues et de la direction qu’ils donnaient aux affaires, scandalisé par les dilapidations qui se commettaient sous ses yeux, et que ses réclamations isolées ne pouvaient empêcher, il acceptait sans répugnance la possibilité d’un changement dans la politique et dans le personnel du gouvernement. Barthélémy était mieux instruit ; les royalistes pouvaient compter sur son concours. Ce double appui, quelque puissant qu’il fût, ne donnait pas le gouvernement. Les trois autres Directeurs, formant la majorité, constituaient par cela seul le pouvoir directorial. Cette majorité ne put être entamée ; ce fut avec elle que la lutte dut s’engager.

Malgré le renfort apporté par les dernières élections, le parti royaliste n’avait cependant pas dans les deux Conseils une supériorité assez décidée pour attaquer résolument le Directoire et l’abattre par un coup de majorité. Ses meneurs songèrent à gagner quelques corps de troupes auxquels on remettrait l’initiative ainsi que l’exécution matérielle du complot ; Pichegru et ses collègues se réservaient le soin de compléter la révolution en la légalisant à coups de décrets. 80.000 livres sterling (2,000,000 de francs) avaient été envoyées par le cabinet de Londres pour faciliter le mouvement ; mais ces fonds furent retenus ou dissipés par les mains auxquelles on les confia. Il fallut attendre de nouvelles ressources. D’un autre côté, à mesure qu’approchait le moment d’agir, les dissentiments qui séparaient les différentes fractions politiques réunies contre le gouvernement devenaient plus manifestes et plus profonds. S’emparer de l’autorité ne suffisait pas. Quel serait le pouvoir qui remplacerait le pouvoir existant ? Là on cessait de s’entendre. Les uns, comme nous l’avons dit, exigeaient le rétablissement de l’ancien ordre de choses ; ceux-ci demandaient la Constitution de 1791 ; ceux-là n’acceptaient la Monarchie que dans les conditions actuelles, c’est-à-dire avec Louis XVIII à la place du Directoire. Le temps se perdait au milieu de tous ces débats, que Pichegru s’efforçait en vain d’ajourner après la victoire. Non-seulement on n’avançait pas, mais on laissait au gouvernement la facilité d’obtenir des renseignements plus complets sur la conjuration et le loisir de disposer tous ses moyens de défense.

Les premiers indices du complot furent donnés aux trois Directeurs par les révélations de l’abbé Brottier. Une correspondance volumineuse, saisie à Venise par le général Bonaparte sur un des principaux agents de l’émigration, le comte d’Antraigues, vint ensuite éclairer d’une vive lumière tous les points de ces révélations restés dans l’obscurité. Plusieurs de ces lettres, écrites de Paris, donnaient les détails les plus circonstanciés sur le plan adopté par Pichegru et par ses amis des deux Conseils ; elles disaient les moyens d’action convenus, citaient un grand nombre de noms, et ne laissaient ignorer que le moment choisi pour l’exécution. Ce moment, nous venons de dire les motifs qui l’avaient retardé. Le Directoire prit immédiatement la résolution de faire avancer vers le siège du gouvernement plusieurs corps de troupe, dont il confia le commandement au général Augereau, qui venait d’arriver d’Italie avec les pièces les plus essentielles de la correspondance de d’Antraigues, et que Bonaparte avait recommandé comme un républicain sur l’énergie duquel le Directoire pouvait compter.

Accablé sous le discrédit où sa désunion, l’incapacité de plusieurs de ses membres et l’improbité de quelques autres l’avaient fait tomber, le Directoire aurait peut-être manqué de la force nécessaire pour aller plus avant, s’il n’avait été soutenu par les Adresses que la lecture des journaux et les bruits d’une contre-révolution prochaine dictaient aux différentes armées de la République. Ces Adresses, empreintes du plus ardent patriotisme, protestaient avec une rare violence contre les discours des membres royalistes des Conseils ; les soldats y adjuraient le Directoire de se délivrer de ses adversaires ; ils y appelaient la vengeance nationale sur les partisans de la Royauté, sur les amis de l’Étranger, et annonçaient la résolution de marcher, au besoin, sur Paris. L’Adresse de l’Armée d’Italie, apportée par Augereau, était surtout remarquable par sa véhémence ; et, fait plus grave, le jeune chef de cette armée, dont les victoires étonnaient alors l’Europe et tenaient la France entière attentive, Bonaparte, ne s’était pas borné à approuver cette manifestation des troupes sous ses ordres, il l’avait appuyée par un ordre du jour où se trouvait ce passage : « Soldats, je le sais, votre cœur est plein d’angoisses sur les malheurs de la patrie ; mais, si les menées de l’Étranger pouvaient l’emporter, nous volerions du sommet des Alpes, avec la rapidité de l’aigle, pour défendre cette cause qui nous a déjà coûté tant de sang ! »

Un tel langage permettait l’audace aux trois Directeurs. La Constitution exigeait un vote des Conseils pour que même un régiment pût approcher de Paris à une distance moindre de douze lieues. Barras et ses deux collègues n’hésitèrent pas à violer cette disposition ; ils enjoignirent à Augereau de franchir la limite constitutionnelle. Avertis, par la marche de ce général et de ses troupes, que les trois Directeurs connaissaient le complot et s’apprêtaient à engager la lutte, Pichegru et ses amis ne voulurent pas être prévenus et se décidèrent à brusquer l’événement. Arrêter Barras, Laréveillère et Rewbell, ainsi que les représentants les plus dévoués aux principes de la République, les décréter ensuite d’accusation, puis les déporter, tel fut le plan adopté par Pichegru.

L’adjudant général Ramel, commandant les grenadiers de la garde du Corps législatif, était gagné ; les conspirateurs se croyaient dès lors sûrs du concours au moins passif de ses soldats ; 1,000 à 1,200 royalistes, armés secrètement, avaient en outre promis de se tenir à leur disposition ; enfin ils comptaient sur l’appui de plusieurs bataillons de la garde nationale parisienne, notoirement hostiles à la Révolution, que la Convention avait licenciés après le 13 vendémiaire, et que, en prévision de l’événement, un décret des Conseils venait de réorganiser. Ces forces, quelque misérables qu’elles fussent, suffisaient pour une attaque à l’improviste. La matinée du 18 fructidor (4 septembre) fut fixée pour ce coup de main.

Les triumvirs, pour emprunter le langage des royalistes, bien que sur leurs gardes, auraient peut-être été pris au dépourvu, si, le 17 au soir, un membre des Conseils, dit-on, un jeune débauché perdu de dettes, affirment le plus grand nombre[6], ne fût venu vendre aux trois Directeurs le secret de la conspiration. Ceux-ci ne perdirent pas de temps : les troupes d’Augereau franchirent les barrières de Paris dans la nuit même ; les maisons des principaux conspirateurs furent immédiatement cernées ; le Directoire, en un mot, procéda avec une rapidité si grande et un tel ensemble, qu’à six heures du matin toutes les arrestations étalent terminées. À huit heures, les députés qui n’avaient pas trempé dans le complot, avertis de l’événement se rendirent au lieu de leurs séances ; mais les salles de chaque Conseil étaient fermées ; des soldats en gardaient les portes ; on leur annonça que provisoirement les Cinq-Cents se réuniraient dans la salle de l’Odéon, et les Anciens à l’amphithéâtre de l’École de médecine. Ils s’y rendirent. Une série de résolutions, adoptées le soir même, annulèrent les élections de 49 départements, condamnèrent à la déportation 2 membres du Directoire, 65 membres des deux Conseils et un certain nombre de fonctionnaires et de journalistes. 67 journaux, tant de Paris que des départements, furent en même temps supprimés.

Nous citerons parmi les condamnés :

Directoire : Carnot, Barthélémy ;

Conseil des Anciens : Barbé-Marbois, Dumas, Lafon-Ladébat, Lomont, Muraire, Portalis, Rovère, Tronçon-Ducoudray, etc. ;

Conseil des Cinq-Cents : Aubry, Job-Aimé, Boissy-d’Anglas, Bourdon de l’Oise, Cadroy, Couchery, Dumolard, Gibert-Desmolières, Henri Larivière, Imbert-Colomès, Camille Jordan, Lemarchand-Gomicourt, Lemerer, Mersan, Madier, Pastoret, Pichegru, Quatremère de Quincy, Saladin, Siméon, Villaret-Joyeuse, Willot, etc. ;

Divers : l’ex-ministre de la police Cochon, l’employé de la police Dossonville, les généraux Miranda et Morgan, l’écrivain Suard, l’ex-conventionnel Mailhe, l’adjudant général Ramel.

Tous ne subirent pas leur peine ; bon nombre parvinrent à s’échapper.

Ces proscriptions, qui frappaient sur les premiers pouvoirs de la République, furent l’affaire de quelques heures ; personne ne résista ; pas un coup de fusil ne fut tiré.

Les royalistes étaient bruyants ; ils se croyaient nombreux. Vivant au milieu des classes riches ou élégantes, et prenant les sympathies de ce monde privilégié pour l’expression du sentiment public, il leur semblait que la France entière fût leur complice : cependant la contre-révolution n’agitait que la surface du pays. Le peuple des camps, comme le peuple des villes, n’avait encore rien perdu de sa ferveur républicaine. Or on ne change pas un gouvernement en gagnant quelques hommes : l’intrigue ne produit jamais que des résultats éphémères ; le peuple seul fait les révolutions.

En admettant donc que le parti de l’émigration et de l’Étranger eût réussi à proclamer les Bourbons dans la matinée du 18, le peuple et la troupe, soulevés au nom de la Révolution auraient renversé, dès le soir même, Pichegru et ses complices. Ce fut l’isolement du parti royaliste au milieu de la nation qui donna précisément aux trois Directeurs la force de tout oser dans cette circonstance, ils purent impunément violer la Constitution car il s’agissait de sauver la cause révolutionnaire, qui était la cause nationale, de conserver intacts les intérêts, les droits conquis par la France nouvelle au prix de huit années d’efforts et du sang d’un demi-million de citoyens.

En même temps que le Directoire, par la journée du 18 fructidor, brisait le faisceau royaliste si péniblement formé par les chefs de l’émigration et par leurs complices des Conseils, Bonaparte forçait l’Autriche à reconnaître enfin l’existence de la République. Des préliminaires de paix avaient été signés à Léoben dès le 18 avril (1797) ; le 17 octobre, le traité définitif fut conclu à Campo-Formio. Cette paix, particulière au cabinet de Vienne, ne liait pas ceux des autres États de l’empire d’Allemagne qui n’avaient pas encore traité avec la République. La ville de Rastadt fut choisie pour négocier l’accession de ces puissances, au nombre desquelles figurait le duché de Brunswick. Il devenait, dès lors, assez difficile pour Louis XVIII de prolonger son séjour à Blackenbourg ; on le lui fit entendre. Obligé de solliciter un nouvel asile, il s’adressa à l’électeur de Saxe ; l’électeur refusa. Deux refuges lui restaient ouverts : l’Angleterre, toujours en lutte contre la République, et la Russie, restée jusqu’alors simple spectatrice des événements. Louis XVIII ne voulait pas quitter le continent ; il écrivit à Paul Ier. Non-seulement ce souverain consentit à le recevoir dans ses États, mais il lui promit des secours annuels considérables, et lui offrit de prendre à sa solde l’armée de Condé, que la paix entre l’Autriche et la République allait contraindre de se disperser. Louis XVIII s’empressa de tout accepter. L’empereur lui avait laissé le choix de sa résidence ; il désigna Mittau, capitale du duché de Courlande. Arrivé dans cette ville le 20 mars 1798, il y réorganisa sa cour et son gouvernement, qui furent ainsi composés : le comte d’Avaray, — favori, confident intime, — ministre de la maison ; le duc de Villequier, premier gentilhomme de la chambre ; le comte de Cossé, premier maître d’hôtel ; le duc de Guiche, capitaine des gardes ; M. de Saint-Priest, ministre des affaires étrangères ; le marquis de la Chapelle, ministre de la guerre ; le marquis de Jaucourt, ministre sans portefeuille. Le marquis de Sourdis, le vicomte d’Agout, le chevalier de Montaignac et le chevalier de Boisheuil étaient écuyers ; la chancellerie comptait deux maîtres des requêtes, MM. de Guillermy et de Courvoisier ; enfin, l’abbé de Frimont, confesseur du roi, trois abbés, chapelains et secrétaires tout à la fois, constituaient l’aumônerie. Deux subsides étrangers, formant ensemble près de 700.000 fr., composaient la liste civile du prince : la Russie donnait 200,000 roubles (environ 600,000 fr.) ; l’Espagne, 350,000 réaux (près de 85,000 fr.). Chacun des personnages attachés à la maison ou au cabinet du prince était logé, chauffé, entretenu aux dépens de sa liste civile, et recevait, en outre, 200 livres par mois.

Les derniers mois de 1797 et la première moitié de 1798 furent employés par Louis XVIII, partie en négociations auprès des différentes cours, afin de les décider à reprendre les armes, partie en correspondances actives avec les agents officiels ou officieux qui s’efforçaient, en France, de renouer la trame rompue par la journée du 18 fructidor, et de rallumer le feu encore mal éteint de la guerre civile. Ce double travail aboutit au résultat que ce prince espérait. L’Autriche n’avait abandonné la Belgique à la France et reconnu l’indépendance des provinces du nord de l’Italie, réunies sous le titre de République Cisalpine, qu’après quatre années de guerres et d’éclatantes défaites. De tels sacrifices blessaient trop profondément sa puissance et son orgueil pour qu’elle ne saisît pas la première occasion favorable de déchirer les stipulations de Léoben et de Campo-Formio. Excitée par l’Angleterre et par la Russie, qui consentait enfin à entrer dans la coalition, l’Autriche se prépara de nouveau à combattre. Le cabinet de Naples était à sa dévotion ; elle excita les passions monarchiques de cette petite cour, fit éclater une rupture entre la branche des Bourbons qui régnait dans cette partie de l’Italie et le Directoire, et prit prétexte des hostilités qui suivirent, pour rappeler son plénipotentiaire de Rastadt, conclure une alliance offensive et défensive avec les cabinets de Londres et de Saint-Pétersbourg, et pour attaquer, au mois de mars 1799, le gouvernement républicain.

De nouvelles prises d’armes en Vendée et en Bretagne répondirent à cette agression. Ces mouvements, toutefois, ne présentaient ni l’ensemble ni la force des insurrections précédentes. Décimée par les combats, ruinée par le pillage et par les réquisitions, la population des bourgs et des villes de ces contrées aspirait au repos. Les habitants des campagnes eux-mêmes commençaient à comprendre que le régime issu de la Révolution était plus favorable au développement de leur bien-être moral et matériel que le régime de l’ancienne monarchie. Quelques attroupements armés, excités par les agents qui correspondaient avec la petite cour de Mittau, des vols nombreux, des incendies, force assassinats encouragés par les chefs de tout rang qui étaient en relation directe avec Londres et le comte d’Artois, voilà surtout ce que produisirent les soulèvements vendéens et bretons en 1799 et en 1800 ; ce fut l’époque où fleurit la chouannerie, espèce de taquinerie politique à coups de fusil, guerre de coups de main et de grandes routes, qui ne put jamais s’élever au-dessus des proportions d’un désordre local dont la répression devenait une simple affaire de police militaire et de gendarmerie. Le temps des insurrections était décidément passé.

Nous devons placer ici un fait qui intéresse l’histoire particulière de la famille de Bourbon. Au mois de mai 1799, arriva à Mittau Marie-Thérèse, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, longtemps enfermée au Temple, et que la Convention avait échangée, le 26 décembre 1795, à Reichen, près Bâle, contre MM. de Sémonville et Maret, le général Beurnonville et les représentants du peuple enlevés par Dumouriez. Cette jeune princesse était restée jusqu’alors à Vienne, dans la famille de sa mère. Le prince Charles, frère de l’empereur François II, avait demandé sa main. Cette union présentait de brillants avantages à l’orpheline ; mais son respect pour les dernières volontés de son père, qui lui avait recommandé d’épouser son cousin le duc d’Angoulême, fils ainé du comte d’Artois, la lui fit refuser. Son mariage avec ce prince, déception amère pour la femme, triste mensonge pour l’épouse, fut célébré un mois après son arrivée, le 10 juin, dans la grande galerie du château des anciens ducs de Courlande[7].

Le cabinet de Saint-Pétersbourg, par le traité qui venait de l’unir à l’Angleterre et à l’Autriche, s’était obligé de fournir à la coalition un contingent de quarante mille hommes. Lorsque ce corps d’armée, placé sous le commandement de Souwaroff, traversa la Lithuanie pour entrer en Pologne, le général russe vint visiter la cour de Mittau : les félicitations et les encouragements ne lui furent point épargnés ; en prenant congé de Louis XVIII, Souwaroff lui baisa la main et lui dit :

« Sire, le plus heureux jour de ma vie sera celui où je répandrai la dernière goutte de mon sang pour vous mettre en état de remonter sur le trône de vos pères. »

Souwaroff put croire un instant qu’il rouvrirait, en effet, le chemin de Paris aux hôtes de son maître. Entré en Gallicie à la fin d’octobre 1798, il avait opéré sa jonction, à deux mois de là, avec les troupes autrichiennes, et, dans les premiers jours de mars 1799, il aidait les généraux de François II à délivrer le royaume de Naples et à refouler les régiments républicains au pied des Alpes et sur la rivière de Gênes. Paul ne s’était pas borné à l’envoi d’une armée en Italie : une flotte russe, chargée de troupes de débarquement, aidait, en outre, les Anglais à reconquérir, pour le compte de la maison d’Orange-Nassau, la Hollande, devenue la République Batave. De son côté, Louis XVIII ne restait pas inactif. Pendant que la nouvelle coalition attaquait nos frontières sur trois points différents, il s’efforçait de concourir au but commun par les seuls moyens qu’il sût et pût employer : il conspirait. Nous avons dit l’insignifiance des prises d’armes essayées dans les départements de l’ouest ; un résultat plus important ne tarda pas à absorber toute l’attention du Prétendant. Un de ses agents, alors en mission à Paris, lui offrit d’acheter le directeur Barras.

Le vicomte Paul de Barras appartenait à la plus vieille noblesse de Provence. Ancien officier au régiment de l’Île-de-France, il affectait, au milieu de ses collègues des assemblées législatives, une allure toute militaire. La hardiesse de son attitude, sa haute stature, la force de sa voix, qui, lorsqu’il parlait, emplissait toute la salle, l’emportement avec lequel il lançait les quelques phrases qu’il parvenait à former, lui donnaient un air de courage et de résolution qui firent jeter les yeux sur lui, lors de la double lutte de la Convention contre la Commune, en thermidor, et contre l’insurrection royaliste de vendémiaire. La part qu’il prit à ces deux journées le porta au Directoire. Membre de la majorité directoriale en fructidor, ses collègues, Laréveillère-Lépeaux et Rewbell, tous deux avocats, lui avaient facilement abandonné le premier rôle dans cet événement, sorte de coup d’État militaire. Les royalistes, dans leurs incurables illusions, avaient, dès lors, attribué à l’importance et à l’action personnelles de ce Directeur un succès qui était l’unique résultat de leur faiblesse comme opinion et comme parti. En gagnant Barras, il leur semblait donc gagner la République et le gouvernement républicain lui-même. Aussi la joie fut grande dans la petite cour de Mittau quand on y apprit que le terrible proscripteur de 1797 était disposé à se vendre à la royauté.

La position du Directoire, dans les derniers mois de 1199, explique le changement survenu, non dans les opinions de Barras, qui n’eut jamais la moindre conviction politique, mais dans la marche de ses idées. Barras et ses collègues n’avaient usé de l’espèce de dictature dont la journée du 18 fructidor les avait investis que pour opérer, dans le commandement des armées, dans les finances et dans l’administration, les changements les plus fâcheux. Cette victoire semblait avoir épuisé leurs forces. L’effort accompli, leur énergie s’était affaissée. Tous les ressorts du pouvoir s’étaient successivement détendus. Les séances des Conseils législatifs eux-mêmes se perdaient en dénonciations ayant pour résultat habituel de fréquentes mutations dans le personnel du Directoire et des départements ministériels. Le palais du Luxembourg, habité par Barras, était devenu un bazar où d’effrontées courtisanes et des intrigants de tous les régimes vendaient les emplois de toute nature et tenaient boutique ouverte de fournitures, de marchés pour les armées, et de radiations d’émigrés. Les autorités des provinces, subissant à leur tour l’influence du relâchement du pouvoir central, laissaient, pour ainsi dire, sans répression les désordres publics et privés. Les royalistes, désireux d’activer la décomposition du gouvernement républicain, ajoutaient encore au désordre en portant, sous prétexte de guerre civile, le meurtre et l’incendie sur tous les points du territoire. Chaque jour on apprenait l’arrestation de plusieurs voitures publiques, le pillage d’un bourg, l’embrasement de quelque ferme ou l’assassinat de citoyens dévoués à la Révolution. Les impôts ne rentraient qu’avec peine. Un grand nombre de receveurs, victimes ou complices de bandits de bonne maison, soldaient leurs comptes avec des procès-verbaux d’effraction. Toutes les caisses étaient vides. Nos armées elles-mêmes n’échappaient pas au découragement général : confiées à des chefs que le gouvernement laissait sans direction ou à des généraux incapables ; attaquées, comme nous l’avons dit, en Italie, sur le Rhin et en Hollande, elles faiblissaient sur tous les points.

Barras, au milieu même des débauches qui remplissaient sa vie, entrevoyait l’avenir que la corruption de son administration, la faiblesse ou la nullité de ses collègues, préparaient au gouvernement directorial. Déjà il sentait le pouvoir échapper à leurs mains. Trop faible et trop décrié pour arrêter le mouvement, il se crut du moins capable de le conduire, et consentit à le diriger en faveur de Louis XVIII. La contradiction entre ses actes en fructidor et ce nouveau but n’était qu’apparente : en 1797, il avait défendu sa position ; en 1799, il voulait assurer sa fortune ; les circonstances avaient changé ; le mobile était resté le même.

Les premières négociations entre Barras et la cour de Mittau eurent lieu vers le mois d’avril 1799, par l’entremise du marquis de la Maisonfort, type assez curieux des émigrés politiques de cette époque. M. de la Maisonfort avait la prétention de « marcher avec son siècle. » Voici les principaux passages de la lettre qu’il écrivit à Louis XVIII en lui proposant le concours de Barras :

« Des cinq Directeurs, Barras est celui qui a le plus de prépondérance et d’énergie. Au milieu de quatre avocats, c’est un gentilhomme et, quoi qu’on en dise, attaché à des sentiments monarchiques, parce que, en sa qualité de gentilhomme, il les a sucés avec le lait de son enfance.

Sire, Barras est l’homme le plus commode à récompenser ; il ne veut imiter Monck que par l’action qu’il fit, il n’en veut pas les récompenses. La raison lui dit qu’il serait une monstruosité dans votre cour ; il ne songe donc à y conserver ni place, ni crédit, ni honneurs ; il veut seulement sûreté et indemnité.

Un des plus grands avantages du plan de Barras, Sire, c’est que, s’il veut en finir avec la République, il veut que vous en finissiez avec la Révolution. Il ne passera pas, comme le feraient l’avocat Merlin, le théophilanthrope Laréveillère, l’atrabilaire Rewbell et le diplomate Treilhard[8], tout un hiver à vous faire cinq cents pages de constitution ; il veut que vous soyez ici sans préambule et sans restriction. »

Ce langage, il ne faut pas l’oublier, était celui d’un homme de progrès ; il donne la mesure de l’aveuglement où devaient rester plongés les stationnaires de l’émigration.

La négociation fut assez vivement conduite : Barras, au mois de juillet, recevait des lettres patentes signées du roi, contre-signées par M. de Saint-Priest, ministre des affaires étrangères, scellées du grand sceau, et dans lesquelles il était dit :

« Que le général Paul de Barras, voulant rétablir la monarchie dans la personne de Louis XVIII, S. M. se chargeait de lui donner sûreté et indemnité : sûreté, en engageant sa parole sacrée de s’interposer entre Paul de Barras et tout tribunal quelconque qui voudrait connaître de ses opinions et de ses votes, et d’annuler, par son pouvoir souverain, toute recherche à cet égard ; indemnité, en lui promettant une somme équivalente à deux années de ses bénéfices dans les fonctions de Directeur, c’est-à-dire douze millions de livres tournois au moins[9], sans comprendre deux millions à distribuer aux principaux coopérateurs, et les autres sommes nécessaires aux frais du mouvement à effectuer dans Paris. »

Tous les détails de cette intrigue furent communiqués aux cours de Saint-Pétersbourg et de Londres, qui s’engagèrent à faire les fonds de l’opération.

Un mouvement contre-révolutionnaire dans Paris n’était pas aussi facile que les agents royalistes essayaient de le faire croire à Louis XVIII. Barras ne partageait pas leurs illusions ; aussi plaçait-il ses espérances moins dans les dispositions de l’esprit public en faveur de l’ancienne monarchie et de ses princes que dans les progrès des armées coalisées vers nos frontières du nord et de l’est, et dans les complications, l’abattement et le désordre qui seraient l’inévitable résultat d’une invasion victorieuse.

Les événements, dans les premiers jours de septembre, semblaient seconder ces pensées de trahison. À cette date, les troupes anglo-russes, débarquées en Hollande, faisaient des progrès rapides vers notre frontière de Belgique, tandis que l’armée austro-russe, placée sous le commandement de Souwaroff, pénétrait en Suisse et menaçait la Haute-Saône et la Franche-Comté ; mais ce double mouvement fut heureusement arrêté, pour ainsi dire, le même jour : le 19 septembre, Brune gagnait la bataille de Berghem, et forçait les Anglais et les Russes de se rembarquer ; à cinq jours de là, le 24, Masséna écrasait à Zurich le principal corps austro-russe, et contraignait Souwaroff de repasser les Alpes. Ces deux victoires délivraient la France de la crainte de l’invasion.

Forcés de renoncer, pour le moment du moins, à l’espérance d’une Restauration par l’étranger, les partisans de la maison de Bourbon se résignèrent à attendre leur succès d’une nouvelle crise politique intérieure. Cette crise se produisit plus tôt qu’ils ne le pensaient ; et, cette fois encore, elle les surprit beaucoup plus qu’elle ne leur profita. Vingt jours après la bataille de Zurich, le 14 octobre, on apprenait à Paris que le général en chef de l’armée d’Égypte, Bonaparte, venait de débarquer en Provence.

Nous l’avons dit, le pouvoir exécutif, à cette époque, était sans force, les Assemblées législatives sans influence, les corps constitués sans considération, l’esprit public sans énergie. La majorité des citoyens, mécontente et lassée du Directoire, voulait maintenir la République, mais avec d’autres gouvernants et une autre administration. Comment et par qui opérer ce changement que tous les partis pressentaient, auquel tous aspiraient ? Un moment, les regards s’étaient dirigés, d’abord, vers Hoche, enlevé prématurément aux espérances des amis de la Révolution ; ensuite, vers Joubert, jeune général que la partie énergique de l’opinion républicaine avait porté, peu de temps auparavant, au commandement en chef de l’armée d’Italie, pour lui préparer précisément la voie à un rôle dominant. Mais Joubert venait de tomber mortellement frappé sur le champ de bataille de Novi (15 août). Les partis, plus impatients et plus incertains que jamais, lui cherchaient donc un successeur, lorsque, au milieu de cette lassitude et de cette attente inquiète de tous les esprits, le nom déjà célèbre et singulièrement populaire de Bonaparte fut soudainement prononcé.

Placé au premier rang des généraux de la République par ses campagnes d’Italie ; vainqueur en Orient, alors que les chefs de nos armées d’Europe étaient partout repoussés ou battus, Bonaparte avait un nom qui, pour la France, était un symbole de victoire. Quand on le croyait encore sur le Nil, rejetant dans leurs déserts ou sur leurs vaisseaux les Arabes, les Turcs ou les Anglais, et que ses bulletins, datés du Kaire, du Mont-Thabor, de Saint-Jean-d’Acre et d’Aboukir, étaient dans toutes les mains, exaltaient toutes les imaginations, son arrivée soudaine ajoutait au merveilleux qui s’attachait à sa personne. Six mois plus tôt ou quelques mois plus tard, revenu d’Égypte sans l’autorisation du gouvernement, il eût probablement passé devant un conseil de guerre. Mais, au moment où il débarqua, le besoin d’un changement était si universel, si profond, on avait une telle impatience de voir se produire une situation et un homme, que sa présence inattendue, fait providentiel pour le plus grand nombre, causa partout et chez tous une sorte de commotion électrique. Un écrivain, témoin oculaire des faits qu’il rapporte, et adversaire passionné des deux journées de brumaire ainsi que de leurs résultats, Dulaure, a raconté en ces termes la sensation produite par cette nouvelle :

« Dans la séance du 22 vendémiaire an VII (14 octobre 1799), la discussion sur un projet de finances fut interrompue par un message du Directoire ; plusieurs citoyens, des grenadiers et un corps de musique accompagnaient le messager d’État. Cette entrée joyeuse et extraordinaire présageait un événement heureux. Aussitôt la salle retentit de cris de joie, d’acclamations de vive la République ! L’Assemblée se lève tout entière et répète ces cris. On venait d’apprendre que Bonaparte, débarqué à Fréjus, allait arriver à Paris. L’enthousiasme était excessif ; des députés montent à la tribune, parlent avec ce désordre éloquent qui peint l’ivresse du contentement : l’un demande que le Conseil déclare que les armées de la République n’ont point cessé de bien mériter de la patrie ; un autre s’écrie : « C’est aujourd’hui qu’il faut faire retentir le chant des victoires ; c’est aujourd’hui qu’il faut parer de fleurs la statue de la Liberté ; peuple français, c’est aujourd’hui ta fête ; tes guerriers ont triomphé de toutes parts, et le héros dont la gloire est inséparable de ton indépendance et de ta grandeur vient de toucher le sol de la République[10]

Ces éclats d’une joie insensée, ajoute Dulaure, étaient le prélude d’une prochaine catastrophe. »

L’enthousiasme, pour employer l’expression de Dulaure, qui saisit le Corps législatif à cette nouvelle peut donner la mesure de l’émotion que produisit dans les masses l’arrivée du général en chef de l’armée d’Orient. Tous les regards furent aussitôt tournés vers lui : tous les chefs militaires présents à Paris, les membres les plus influents des deux Conseils et jusqu’aux Directeurs eux-mêmes, se pressèrent autour du jeune général. Par cela même qu’un changement de gouvernement était dans toutes les pensées, et que l’opinion publique désignait Bonaparte comme l’homme de la circonstance, chacun s’efforçait de l’attirer à ses plans de reconstruction politique ou de rénovation sociale, ou plutôt chacun cherchait à s’associer à sa fortune.

Le Gouvernement et les Conseils se partageaient en trois fractions politiques principales : les immoraux ou les pourris, dirigés par Barras ; les Jacobins, qui, depuis la mort successive de Hoche et de Joubert, se ralliaient autour de Bernadotte, ministre de la guerre ; les modérés, que conduisait le directeur Sieyès. « M’associer à ces derniers, a dit Bonaparte, m’exposait à de grands périls ; avec les Jacobins je n’en courais aucun ; ils m’offraient de me nommer dictateur ; mais, après avoir vaincu avec eux, il m’eût fallu presque aussitôt vaincre contre eux. Les clubs ne supportent pas de chef durable ; il leur en faut un pour chaque passion. » Bonaparte écouta les modérés. Quinze jours s’étaient à peine écoulés depuis son retour, que l’abbé Sieyès, activement secondé par l’ancien évêque d’Autun, Talleyrand, ministre des affaires étrangères, et par l’ex-oratorien Fouché, ministre de la police, concertait avec ce général, avec son frère Lucien Bonaparte, président du conseil des Cinq-Cents, et les principaux membres du conseil des Anciens, le renversement de ce gouvernement directorial dont chaque parti désirait, poursuivait la chute, mais avec la pensée de l’opérer à son profit[11].

Bonaparte était arrivé à Paris le 24 vendémiaire (16 octobre). À vingt-cinq jours de là, le 18 brumaire (10 novembre) au matin, le conseil des Anciens, convoqué par la commission des inspecteurs, se réunit en séance. Les membres étaient peu nombreux. À dix heures, le représentant Cornet[12] monte à la tribune et dénonce à ses collègues une conspiration qui menaçait la patrie et la liberté de dangers plus grands encore que tous ceux qu’elle avait pu courir depuis 1792. « Si des mesures ne sont pas prises, s’écrie l’orateur, l’embrasement devient général, nous ne pourrons plus en arrêter les dévorants effets, il enveloppe amis et ennemis, la patrie est consumée, et ceux qui échapperont à l’incendie verseront des pleurs amers mais inutiles sur les cendres qu’il aura laissées sur son passage. Vous pouvez, représentants, le prévenir encore ; un instant suffit ; mais, si vous ne le saisissez pas, la République aura existé, et son squelette sera entre les mains des vautours qui s’en disputeront les membres décharnés. »

Tout le discours du représentant Cornet était dans ce style. Le représentant Regnier[13] le remplace à la tribune, sort un papier de sa poche, et, sans la moindre explication, lit un projet de décret contenant les dispositions suivantes : Les deux Conseils composant le Corps législatif sont transférés dans la commune de Saint-Cloud ; ils s’y réuniront le lendemain à midi ; toute continuation de fonctions et toute délibération leur sont interdites dans un autre lieu ; enfin le Conseil confie au général Bonaparte l’exécution du décret, ainsi que la garde du Corps législatif, et place sous son commandement exclusif la garnison de Paris, les gardes nationales sédentaires, ainsi que toutes les troupes qui peuvent se trouver dans la 17e division militaire[14].

Les membres dont on redoutait l’opinion ou l’énergie n’avaient pas été convoqués : le décret passa donc sans opposition. À peine était-il rendu, que l’orateur Cornet se hâtait de le porter au général Bonaparte. Ce dernier reçut ce message au milieu d’un nombreux état-major réuni depuis le matin à sa demeure de la rue Chantereine, et fit immédiatement afficher dans Paris deux proclamations imprimées à l’avance, et dans lesquelles sa nomination se trouvait annoncée ; où il invitait tous les citoyens à la confiance et à l’union ; déclarait que la République avait été mal gouvernée depuis le 18 fructidor, et promettait au peuple la liberté, la victoire et la paix. Ces soins pris, Bonaparte se rendit à la salle du conseil des Anciens, qui venaient, eux aussi, de faire leur proclamation au peuple français, et là, ce général prêta serment de fidélité à la Constitution de l’an III et à la République. Tout le reste du jour se passa en négociations et en préparatifs destinés à assurer le succès des mesures arrêtées pour le lendemain.

Sieyès, comme on l’a vu, était un des principaux complices de la conjuration ; il y avait entraîné son collègue Roger-Ducos, qui, dès le matin, s’était furtivement échappé du Luxembourg pour se réfugier dans le palais du conseil des Anciens. L’ex-abbé Sieyès, prétextant un cours d’équitation qu’il suivait depuis quelques semaines, s’éloigna à cheval de la demeure dictatoriale, et vint rejoindre son collègue. Une fois réunis, tous deux écrivirent leurs démissions. Restait Barras, Gohier et le général Moulin.

Barras avait alors perdu toute influence. C’était, nous l’avons dit, en s’aidant de l’énergie et des intérêts révolutionnaires qu’au 9 thermidor, au 13 vendémiaire, au 18 fructidor, il avait pu exercer une action directe, puissante, sur ces trois journées. Cet appui ne le soutenant plus, il se trouvait sans force. Ses négociations avec les émigrés le plaçaient d’ailleurs dans une fausse position qui lui ôtait toute hardiesse. Aussi, soit qu’il craignit d’avoir à lutter contre une volonté plus énergique que ta sienne, soit qu’il se crût soupçonné ou trahi, un seul mot de Bonaparte, transmis par M. de Talleyrand, lui fit donner sa démission ; puis, sur un geste de ce général, dont il offrait de se rapprocher, il partit pour sa terre de Grosbois, et disparut pour toujours de la scène politique.

Les meneurs savaient qu’ils n’auraient pas aussi bon marché de Gohier et de Moulin. Gouvernants sans intelligence et sans décision, leur profonde nullité était rachetée par une probité rigide. On n’essaya donc pas de les corrompre ni de les intimider. On prit un parti plus rapide et plus sûr : Moreau, à la tête d’un corps nombreux de soldats dévoués au nouveau généralissime, envahit le palais directorial, s’empara de toutes les issues extérieures, et, plaçant des postes et des sentinelles dans tous les corridors et à toutes les portes intérieures, il tint les deux Directeurs emprisonnés dans leurs appartements.

Cette séquestration de deux Directeurs, la démission des trois autres, la translation des deux Conseils au village de Saint-Cloud, et la dictature militaire confiée au général Bonaparte, laissaient le champ libre aux adversaires du gouvernement directorial. L’effort, toutefois, restait incomplet ; le Corps législatif existait encore ; il fallait non-seulement le dissoudre, mais substituer un pouvoir nouveau au pouvoir de la veille. Ce fut l’œuvre du jour suivant.

Le château de Saint Cloud, devenu propriété nationale, était, depuis longtemps, nu et abandonné. La nuit tout entière fut employée à mettre les deux principales galeries de cet ancien palais en état de recevoir les membres des Conseils. Les ouvriers, malgré leur diligence, n’avaient pas encore terminé ce travail le 19 brumaire (11 novembre) au matin, à l’heure fixée pour l’ouverture de chaque séance. Les Anciens devaient se réunir à dix heures, les Cinq-Cents à midi. Ce fut seulement deux heures plus tard que les membres de chaque Conseil, impatients de délibérer, purent enfin décider les ouvriers à leur céder la place. Le conseil des Anciens s’assembla le premier. Dès l’ouverture de la séance, les membres qui, faute de lettres de convocation, n’avaient pu assister à la réunion de la veille, demandèrent à connaître les motifs et le but de la translation des deux Assemblées. On leur répondit que, malgré la justice de cette réclamation, il était impossible de satisfaire leur curiosité. Ils insistèrent avec force : Regnier alors s’irrita, et dit qu’il était indécent d’exiger des explications publiques, quand ces révélations pouvaient donner l’éveil aux hommes qui mettaient la patrie en danger. — Mais quels sont ces hommes ? quel est ce danger ? répliquaient les récalcitrants.

Ces questions, renouvelées à plusieurs reprises, restèrent encore sans réponse. Il devenait cependant difficile aux membres de la majorité de continuer à siéger sans être bientôt obligés de rompre le silence ; l’un d’eux, pour gagner du temps, propose de notifier la constitution du conseil au Directoire et aux Cinq-Cents, et de suspendre toute délibération jusqu’au retour des messagers. Cet expédient, qui permettait à l’Assemblée de se maintenir en séance sans qu’il y eût de discussion, est immédiatement adopté, et le représentant Cornudet[15] prend l’engagement de révéler le complot, dès que les réponses à ces deux messages seront connues. Ces réponses, la majorité ne l’ignorait pas, devaient se faire attendre longtemps : les Cinq-Cents, en effet, ne délibéraient pas encore, et le Directoire, dont le siège légal était à Paris, n’existait plus. Enfin, vers les deux heures et demie, le messager d’État envoyé au Luxembourg revint avec la lettre suivante du secrétaire général Lagarde :

« Le messager d’État que vous avez chargé des pièces ci-jointes me les a présentées. Je n’ai pu les recevoir, parce que quatre membres du Directoire ayant donné leur démission[16], et le cinquième[17], ayant été mis en surveillance par ordre du général en chef Bonaparte, chargé par le décret d’hier de veiller à la sûreté du Corps législatif, il ne se trouve plus au Directoire.

« Salut et respect.

« Lagarde »

À la lecture de cette lettre, les membres qui, jusqu’alors, avaient insisté pour obtenir des explications, demandent avec un surcroît d’énergie à être éclairés sur ces démissions de quatre Directeurs. On leur oppose la résolution précédemment prise de ne rien révéler avant de connaître officiellement la constitution définitive des Cinq-Cents. Une vive discussion s’engage ; mais, à ce moment, le général Bonaparte paraît à l’entrée de la salle ; un grand nombre de voix l’invitent à s’avancer et à monter à la tribune ; il cède à ces instances, et, enhardi par les témoignages de sympathie qui accueillent ses premiers mots, il harangue l’Assemblée. Sa parole, incertaine au début, s’anime par degrés ; dans plusieurs passages, elle s’élève à l’éloquence la plus haute ; le tableau qu’il trace de la République telle qu’il l’avait laissée lors de son départ pour l’Orient et telle qu’il vient de la retrouver à son retour produit surtout une vive impression. En terminant, il se tourne vers les soldats qu’il avait laissés groupés aux portes de la salle : « Si quelque orateur soldé par l’étranger, leur dit-il, ose prononcer contre votre général les mots hors la loi, que la foudre de la guerre l’écrase à l’instant ! Songez que je marche accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune ! — Je me retire, ajoute-t-il en s’adressant aux membres du Conseil ; vous allez délibérer : ordonnez, j’exécuterai. »

Les quelques mots adressés par Bonaparte aux soldats prouvent qu’il ne méconnaissait pas les dangers de sa position : depuis 1792, en effet, un simple décret de mise hors la loi avait toujours suffi aux Assemblées pour les délivrer de leurs adversaires les plus redoutables. Quand le général fut sorti, les membres qui n’étaient pas dans le secret de l’événement préparé pour la fin de la journée revinrent à la charge et renouvelèrent leurs questions. Cornet se récria ; insister, disait-il, c’était nier la conspiration ; or Bonaparte lui-même venait de la dénoncer ; Bonaparte en avait donc imposé à l’Assemblée ! il en avait donc menti ! Cornet paraissait dominé par l’indignation la plus vive. Un de ses collègues vint à son secours en proposant de renouveler le serment de fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. La motion fut si longuement appuyée, si longuement combattue, que le Conseil discutait encore, lorsque plusieurs représentants accourent annoncer que les Cinq-Cents viennent de se dissoudre. C’était l’instant attendu. Nous devons dire ce qui s’était passé dans cette dernière Assemblée.

Les Cinq-Cents n’avalent pu entrer en séance que vers les deux heures. La plupart des membres ne connaissaient que fort imparfaitement les événements de la veille. Si la majorité était composée d’hommes timides, mais sincèrement attachés à la Constitution de l’an III, un certain nombre de députés, qui avaient conservé la ferveur et l’énergie républicaines des premiers temps de la Révolution, étaient résolus, non-seulement à résister, mais encore à comprimer vigoureusement toute tentative contre-révolutionnaire, et à faire une sévère justice des coupables. La séance ouverte, plusieurs membres se précipitent à la tribune pour protester contre le décret de translation. L’un d’eux, Delbrel, ayant mis une certaine véhémence dans son langage, est interrompu par Lucien Bonaparte, alors président du Conseil. « Les baïonnettes ne nous effrayent pas, s’écria Delbrel ; nous sommes libres ici ! » Des cris de vive la République ! point de dictature ! à bas les traîtres ! accueillent ces paroles. Le débat s’engage immédiatement sur les mesures que le Conseil doit adopter. Un membre demande que chaque député, avant toute discussion, soit tenu de renouveler son serment de fidélité à la Constitution de l’an III, et de jurer qu’il s’opposera à l’établissement de toute tyrannie. La proposition est adoptée par tous les membres présents, aux cris de vive la République ! vive la Constitution ! On procède à l’appel nominal, et chaque membre, montant à son tour à la tribune, prête le double serment demandé. L’Assemblée décrète ensuite qu’elle notifiera son installation au Directoire, et qu’elle invitera le conseil des Anciens à lui confier, dans un message, les motifs de la translation du Corps législatif à deux lieues de Paris. Quelques instants après ce vote, un des huissiers remet au président une dépêche cachetée, que Lucien ouvre et dont il donne communication. C’était la démission de Barras. La lecture de cette pièce soulève une discussion des plus animées. L’Assemblée commençait à entrevoir la vérité. « Eh bien, s’écrient plusieurs membres, occupons-nous de remplacer immédiatement Barras ! Formons une liste de candidats ! » Le représentant Grandmaison appuie la proposition : « La situation où nous sommes cache un danger, ajoute-t-il ; mais ce danger quel est-il ? où est l’ennemi ? Nul ne peut ou n’ose le dire ; car, évidemment, quelques-uns d’entre nous savent d’où nous sommes partis et où nous allons. »

À ce moment, un bruit confus, venant du dehors, interrompt l’orateur. Tous les regards se portent involontairement vers les portes de la salle, qui, s’ouvrant presque aussitôt, laissent apercevoir un nombreux détachement de grenadiers armés que précède le général Bonaparte. Les grenadiers s’arrêtent, et se groupent sur le seuil de la porte ; Bonaparte s’avance seul vers la tribune.

C’était la première fois, depuis 1789, qu’un général osait pénétrer dans l’enceinte du pouvoir législatif sans y avoir été mandé. L’audace d’une telle démarche, chez un chef militaire, réveille la fierté des plus timides ; toutes les dissidences d’opinion disparaissent devant cet outrage à la souveraineté du Conseil. Une longue clameur d’indignation s’élève de toutes les parties de la salle ; les cris de à bas le dictateur ! hors la loi ! mort au tyran ! partent de tous les bancs. Bonaparte, troublé, s’arrête. Intimidé par l’aspect de cette Assemblée nombreuse dont la solennité était augmentée par le costume éclatant de ses membres, il sent son énergie faiblir. Dans ce moment, un membre placé sur un des bancs inférieurs, Bigonnet, quitte sa place, s’avance vers le général, étend les mains vers lui, et s’écrie : « Que faites-vous, téméraire ? vous violez le sanctuaire des lois ; sortez ! » Bonaparte, à cet instant, était très-pâle ; il semblait frappé de stupeur ; un officier s’approche, et lui dit quelques mots ; le général s’appuie sur son bras, rejoint lentement son escorte, et se retire.

L’agitation produite par cet incident fut longue à se calmer. Nous avons dit que Lucien Bonaparte présidait la séance. Le retour de son frère, ainsi que le plan adopté pour le porter au pouvoir, était en grande partie son œuvre et le succès reposait presque tout entier sur l’influence et sur l’autorité que lui donnait la présidence du Conseil ; il essaya d’apaiser l’orage. « Sans doute, disait-il aux députés qui assiégeaient la tribune, le général venait de faire une démarche irrégulière, inconsidérée ; mais l’intention était bonne : il voulait rendre compte au Conseil de la situation. » Ces explications trouvaient peu de crédit ; la majorité n’était pas disposée à l’indulgence. « Il vient de ternir sa gloire ! » s’écriaient bon nombre de députés ; « Il s’est conduit comme un roi ! » ajoutaient les plus animés. Plusieurs membres demandèrent que le général fût traduit à la barre pour rendre compte de sa conduite. Cette proposition était le préliminaire évident d’une mise en accusation : Lucien se hâta de la faire connaître à son frère.

Ce dernier, entouré par un corps nombreux d’officiers qui le sollicitaient d’en finir par un coup de main, était alors en proie à cette irrésolution qui devait exercer une si grande influence sur les deux époques critiques de sa carrière, en 1814 et en 1815 ; la résistance étonnait et semblait paralyser son génie. Qui pouvait dire, au reste, l’action que la représentation nationale exerçait encore sur les soldats ? Les troupes, depuis dix ans, étaient accoutumées à regarder la législature comme le pouvoir suprême de la République. Depuis dix ans, les décrets des Assemblées étaient des ordres souverains respectés de tous et partout acceptés avec soumission. Les Conseils, d’ailleurs, avaient leur garde particulière ; les grenadiers qui la composaient étaient nombreux ; tous devaient leur position à la protection des représentants, et ils occupaient les postes les plus rapprochés des deux salles. La reconnaissance, l’habitude du devoir, leurs serments, dans le cas d’un décret de mise hors la loi, ne pouvaient-ils pas l’emporter sur les ordres d’un chef qui, lui-même, ne les commandait précisément qu’en vertu d’un décret rendu seulement la veille ?

Lucien, en annonçant à son frère la marche que prenait la délibération, ajoutait qu’il était nécessaire que tous deux pussent se concerter ; mais, seul au milieu d’une assemblée où tous les esprits étaient exaltés par le sentiment d’un grand péril et par l’indignation, il n’osait quitter le fauteuil de la présidence. Bonaparte donne aussitôt l’ordre à un fort détachement de pénétrer dans la salle et d’enlever le président, que menaçait, disait-il, une bande d’assassins. Le détachement obéit. À la vue des soldats qui se présentent à la porte intérieure de l’enceinte des séances, Lucien se lève, fait signe au détachement de s’arrêter, déclare que, puisque l’Assemblée persiste à accuser son frère, il ne lui appartient pas de conduire le débat, de mettre aux voix une condamnation ; et, posant sur le bureau son manteau, sa ceinture et sa toque, il sort de la salle. Cet incident, que la position du président rendait naturel, ne suspendit pas la séance. Le représentant Chazal monta au fauteuil, et la discussion continua. Les Assemblées sont impuissantes pour l’action : elles délibèrent quand il faudrait frapper. Les deux Bonaparte étaient réunis depuis longtemps, et déjà ils avaient arrêté leur plan d’attaque, que les Cinq-Cents, malgré le nombre des orateurs qui s’étaient succédé à la tribune, cherchaient encore une décision.

Lorsque Lucien était arrivé au milieu des troupes, l’état-major de son frère se montrait fort agité par une nouvelle qui courait alors dans tous les rangs. Un des soldats qui avaient accompagné le général dans la salle des Cinq-Cents, le grenadier Thomé, pressé contre une des parois de la porte d’entrée, avait eu la manche de son uniforme déchirée par un clou que les ouvriers n’avaient pas eu le temps de rabattre. Cette déchirure, lorsqu’elle fut aperçue, servit d’abord de texte aux plaisanteries des camarades. Ensuite vinrent les suppositions et les commentaires. Bientôt la sottise et la crédulité aidant, le clou fut transformé en un poignard dirigé contre le général et son escorte ; on ne se borna pas à raconter, on affirma ; les témoignages se produisirent en foule ; c’était à qui aurait vu le stylet ainsi que la main qui avait frappé. Le hasard avait donc merveilleusement disposé les esprits, quand Lucien, à la suite d’une assez longue conférence avec son frère, monte à cheval au milieu de la cour du château, et, du haut de cette tribune improvisée, harangue les troupes groupées autour de lui et de son frère ; il leur dit : « que l’immense majorité du conseil des Cinq-Cents était en ce moment sous la terreur de quelques représentants à stylets qui assiégeaient la tribune, présentaient la mort à leurs collègues, enlevaient les délibérations les plus affreuses, et osaient parler de mettre hors la loi le général chargé de l’exécution du décret rendu par le conseil des Anciens. — Au nom du peuple et comme président du conseil des Cinq-Cents, s’écria Lucien en terminant, vous, général, vous tous, soldats et citoyens qui m’entendez, je vous confie le soin de délivrer la majorité de vos représentants ! Vous ne reconnaîtrez pour législateurs de la France que ceux qui vont se rendre auprès de moi. Quant à ceux qui resteraient dans la salle, que la force les expulse ! Vive la République ! »

Cette allocution ardente empruntait une grande puissance à la position officielle de Lucien. Comme président du Conseil, il avait la police de la salle des séances, et la force armée se trouvait à ses ordres. Les soldats lui obéissent. Un fort détachement placé sous les ordres du général Leclerc, beau-frère des Bonaparte, se porte aussitôt vers la salle, précédé par de nombreux tambours battant la charge, et pénètre dans l’enceinte. À la vue des représentants qui continuaient à discuter avec calme, les premiers rangs hésitent à avancer. Poussés par les soldats marchant derrière eux, entraînés par Leclerc, ils arrivent pourtant jusqu’aux premières banquettes occupées par les députés. À ce moment, la plupart des représentants sont debout et adressent à la troupe et à ses officiers les interpellations les plus véhémentes. Leclerc fait un signe ; un long et fort roulement de tambours couvre toutes les voix. Formés d’abord en colonne serrée, les soldats se déploient dans toute la largeur de cette longue galerie, et, s’avançant l’arme au bras, ils refoulent lentement les députés, les invitent à se retirer, et finissent par faire vider tous les bancs. Les Cinq-Cents n’opposèrent qu’une résistance passive. Il n’y eut ni violence ni tumulte. Les députés ne sautèrent point par les fenêtres ; ils ne s’enfuirent pas, laissant leurs vêtements aux buissons du jardin, ainsi qu’on l’a faussement raconté. Sortis de la salle, tous allèrent déposer au vestiaire leur manteau, leur ceinture et leur toque. Le plus grand nombre prit ensuite la route de Paris ; cinquante environ restèrent à Saint-Cloud, et ce fut cette fraction, reconstituée presque immédiatement en Conseil, qui, le, soir, et malgré le serment de fidélité à la Constitution de l’an III que ses membres venaient de prêter, rendit, de concert avec le conseil des Anciens, un décret qui détruisait cette même Constitution, déclarait le Directoire dissous, et créait, sous le nom de Consuls de la République, une commission exécutive provisoire, composée des ex-directeurs Sieyès et Roger-Ducos, et du général Bonaparte. Ces Consuls étaient investis de la plénitude du pouvoir directorial, et avaient pour devoir et pour mission « d’organiser l’ordre dans toutes les parties de l’administration, de rétablir la tranquillité intérieure et de procurer à la France une paix honorable et solide. » Par l’article 5, les deux Conseils s’ajournaient au 1er ventôse (20 février) suivant. Une disposition spéciale chargeait une commission de vingt cinq membres, élus par les deux Conseils, de rédiger la nouvelle Constitution.

La retraite volontaire de la majorité du Directoire, préparée par son membre le plus influent et par ses principaux ministres, d’accord avec la majorité du conseil des Anciens et le président du conseil des Cinq-Cents, en d’autres termes, le concert d’une partie des pouvoirs légaux de la République avec le général Bonaparte venait de donner à ce dernier le gouvernement de la France.

  1. Voici ce qu’on lit, à propos de cette épée, dans les Mémoires du comte de Vauban :
    « C’était une épée d’or, dont le pommeau était surmonté d’un très-gros diamant, et sur la lame de laquelle étaient inscrites ces paroles : « Donnée par Dieu, pour le roi. » Cette épée avait été bénite dans la cathédrale de Saint-Pétersbourg, avec le plus grand cérémonial. À l’audience du départ, au milieu de sa cour, dans l’appareil de toute sa grandeur, l’impératrice s’avança vers le comte d’Artois, et, la donnant elle-même au prince, lui dit : « Je ne vous la donnerais pas, si je n’étais persuadée que vous périrez plutôt que de différer de vous en servir. » Le prince prit l’épée et dit, avec trop peu de physionomie : « Je prie Votre Majesté Impériale de n’en pas douter. » L’heure du diner sépara la cour. Le comte d’Esthérazy et moi ne fûmes pas plutôt seuls, qu’il me dit : « Que pensez-vous de ce que vous avez vu ? — Beaucoup de grandeur dans l’Impératrice, lui dis-je. — Oui, assurément, me répondit-il. Et M. le comte d’Artois ? — Il a reçu cette épée, lui répliquai-je, comme un homme qui ne s’en servira pas. » Je vis que le comte d’Esthérazy le craignait. »
  2. Voici la traduction littérale d’un avis affiché par ordre du landgrave de Hesse-Cassel à l’entrée de toutes les villes et de tous les bourgs de son landgraviat :
    « Il est défendu à tous juifs, mendiants, vagabonds, ou émigrés français, de séjourner plus de vingt-quatre heures dans ce lieu. »
  3. Voici, au sujet de cette lettre, quelques détails sur la lutte qu’un des négociateurs de l’affaire eut à soutenir contre le prince de Condé ; c’est le comte de Montgaillard lui-même qui parle :
    « Il fallut neuf heures de travail, assis sur son lit, à côté de lui, pour lui faire écrire au général Pichegru une lettre de neuf lignes. Tantôt il ne voulait pas qu’elle fût de sa main ; puis il ne voulait pas la dater ; puis il ne voulait pas l’appeler le général Pichegru, de peur de reconnaître la République en lui donnant ce titre ; puis il ne voulait pas y mettre l’adresse ; puis il refusait d’y apposer ses armes ; enfin il combattit pour éviter d’y placer son cachet. Il se rendit à tout enfin, et lui écrivit qu’il devait ajouter pleine confiance aux lettres que je lui avais écrites en son nom et de sa part. » (Pièces trouvées à Venise, dans le portefeuille du comte d’Antraigues, p. 9.)
  4. Fauche-Borel, ancien imprimeur à Neufchâtel (Suisse).
  5. Voyez page 7.
  6. Le prince de Carency, fils aîné du duc de Lavaugayon, alors premier ministre de Louis XVIII.
  7. La duchesse d’Angoulême avait quatre ans lorsque Paul Ier visita la France sous le nom de comte du Nord. On raconte que ce prince, avant son départ, se rendit à Versailles pour prendre congé, et passa toute une journée dans l’intérieur de la famille de Louis XVI. Au moment de quitter le palais, Paul prit la jeune princesse dans ses bras et l’embrassa.
    « — Adieu, lui dit-il, je ne vous verrai plus, car jamais je ne reviendrai en France.
    — Eh bien, monsieur le comte, j’irai vous voir, moi, » lui répondit l’enfant.
    Douze ans après, elle vint en effet chercher un asile dans les États du comte du Nord.
  8. Tous quatre Directeurs, et remplacés, à quelques mois de là, par Sieyès, Roger-Ducos, Gohier et le général Moulin. Cette lettre est des premiers mois de 1799.
  9. Le traitement de chaque Directeur n’était que de 100,000 francs par an.
  10. Baudin des Ardennes, membre du conseil des Anciens, homme de mœurs graves et d’une probité sévère, à la nouvelle de l’arrivée de Bonaparte en France, en ressentit, dit-on, une joie si vive, qu’il se livra à des actes étrangers à son caractère, et fut, le soir, attaqué d’une goutte remontée dont il mourut. (Note de Dulaure.)
  11. Outre les causes générales qui portaient l’abbé Sieyès à vouloir changer le faible gouvernement établi par la Constitution de l’an III, ce Directeur avait à venger, contre cette Constitution, un grief en quelque sorte personnel. Sieyès n’avait pris une part active qu’aux premiers travaux de l’Assemblée constituante. Vainement Mirabeau, lors de la discussion des principales dispositions de la Constitution de 1791, l’avait appelé, en ces termes, à la tribune : « J’ai prié, conjuré l’abbé Sieyès de nous doter de ses idées ; il m’a refusé ; je vous le dénonce, et vous conjure, à mon tour, d’obtenir son avis, qui ne doit pas être un secret ; d’arracher enfin au découragement un homme dont je regarde l’inaction et le silence comme une véritable calamité publique. » Sieyès ne répondit pas à cet appel, qui devint pour lui, auprès des contemporains, un brevet de penseur de génie ; il resta silencieux, non-seulement pendant le reste de la session, mais encore au sein de la Convention nationale, dont il fut membre, et où il ne monta guère à la tribune que pour abjurer, par peur, à la suite de l’évêque constitutionnel de Paris, Gobel, ses croyances religieuses, et faire hommage, à la Raison, de ses lettres de prêtrise. « Que fait donc Sieyès ? demandaient ses anciens admirateurs. — Il revoit et achève sa Constitution, » répondaient ses amis. Il y avait près de cinq années que nombre de gens, sur la parole de Mirabeau, attendaient cette œuvre secrète comme le dernier mot du système représentatif, lorsque la discussion de la Constitution de l’an III offrit enfin à Sieyès l’occasion de produire au grand jour son mystérieux travail. Le projet qu’il présenta, combinaison obscure, confuse, compliquée, peu saisissable dans ses détails, fut repoussé dans la séance du 2 thermidor. « Au moment où le président en prononça le rejet, a dit le Conventionnel Delbrel, le dépit et le mécontentement de Sieyès se manifestèrent ouvertement. Un député qui siégeait près de moi me les fit remarquer et me dit : « Ce faiseur d’utopies est tellement orgueilleux, tellement tenace dans ses idées, que si, d’un projet présenté par lui, on retranchait une seule virgule, il n’hésiterait pas, s’il en avait l’occasion et les moyens, à faire une révolution pour obtenir le rétablissement de sa virgule. » Sieyès n’avait jamais pardonné à la Constitution de l’an III la préférence qu’elle avait obtenue contre son propre travail, et sa rancune persistante contre cette Constitution n’était pas un des moindres motifs qui le portaient alors à vouloir la renverser
  12. Depuis comte de l’Empire, sénateur, pair de France, etc.
  13. Depuis duc de Massa, grand juge, etc.
  14. L’article 102 de la Constitution de l’an III portait : « Le conseil des Anciens peut changer la résidence du Corps législatif ; il indique, en ce cas, un nouveau lieu et l’époque à laquelle les deux Conseils sont tenus de s’y rendre. »
  15. Depuis comte, sénateur, pair de France, etc.
  16. Le secrétaire général du Directoire se trompait. Le général Moulin, à la rente, avait échappé pendant la nuit à ses gardes ; mais il s’était retiré sans donner sa démission. Il n’y avait que trois directeurs démissionnaires : Sieyès, Roger-Ducos et Barras.
  17. Gohier.