Variation de couleur des fleurs

VARIATION DE COULEUR DES FLEURS

L’influence de la nature du sol sur la coloration des fleurs est bien connue pour l’Hortensia ; on sait, en effet, que les fleurs de cette charmante espèce sont normalement roses et que la culture dans certaines terres leur fait prendre une teinte bleuâtre ou même franchement bleue. Mais quelle est la substance qui, dans nos terres, détermine le bleuissement de l’Hortensia ? Bien des idées ont été émises à ce sujet ; on a même institué des expériences en vue de reconnaître la cause de ce fait ; mais, au total, nous ne sommes pas plus fixés sur ce point après tout ce qu’il a inspiré d’écrits et de théories. La seule chose qui semble avoir pour elle quelque peu de probabilité, c’est que la présence du fer dans le sol détermine quelquefois ce changement de couleur ; mais, d’un autre côté, on a cité des cas dans lesquels il semblait évident qu’on devait chercher ailleurs la cause du bleuissement.

Dans cet état de choses, il y a évidemment grand intérêt à relever les faits dans lesquels l’influence de la nature du sol sur la coloration des fleurs est mise en pleine évidence et dans lesquels surtout les circonstances qui ont amené un changement sous ce rapport sont rigoureusement déterminées. Or M. Leichtlin, de Carlsruhe et Bade, vient de me fournir un exemple dans lequel toutes ces conditions semblent être réunies, et que je crois dès lors devoir livrer à la publicité. Voici le passage de la lettre, en date du 13 juillet dernier, dans lequel ce fait remarquable est exposé par lui.

« Je viens de constater par l’expérience, m’écrit cet amateur distingué et obligeant, correspondant, que les Lilium Coridion et Partheneion (deux petites et charmantes plantes japonaises qui ont été décrites et figurées par de Vriese comme deux espèces distinctes et séparées) sont une seule et même espèce. Le Lilium Coridion a fleuri abondamment dans mon jardin eu 1870. Tous les pieds que j’en possédais étaient plantés dans un mélange de terre franche argileuse et de sable, dans lequel il n’entrait ni terreau de feuilles ni terre de bruyère.

« Là leurs fleurs se montrèrent colorées en magnifique jaune canari avec des points et macules rouges. Elles firent l’admiration de toutes les personnes qui visitèrent mon jardin à l’époque de cette floraison. L’année suivante, ces plantes ne fleurirent pas. Cette année-ci, elles se trouvaient plantées en terre de bruyère. Elles ont de nouveau donné des fleurs, mais toutes colorées en rouge foncé avec des stries et des bandes carmin (par conséquent, semblables à celles du Lilium Partheneion Sieb. et Vr.). Je me propose de continuer cette expérience et, pour cela, de faire venir de la terre argileuse exprès pour y planter mes Lilium Coridion à l’automne prochain.

« Un exemple de l’influence que la nature de certaines terres peut exercer sur la végétation des plantes m’a été fourni par l’Iris setosa Pall., qui est plus connu des horticulteurs sous le nom d’Iris Kœmpfert Sieb. À Bade, le sol consiste en un porphyre décomposé. J’avais préparé une plate-bande avec ce sol auquel j’avais ajouté du sable, du terreau de feuilles et du fumier consommé. Je plantai dans ce compost quelques milliers de jeunes plantes de cet Iris que j’avais obtenus de semis. Ces jeunes pliantes végétèrent bien pendant quatre semaines : après quoi elles s’arrêtèrent tout à coup en devenant jaunes et languissantes.

« Ceci avait lieu au mois de septembre, par conséquent à une époque bien avancée de l’année : néanmoins je me décidai à transplanter sans retard mes jeunes iris dans une autre plate-bande que j’avais formée en mêlant à un tiers de terre ordinaire deux tiers de terre de bruyère. L’effet de ce changement de terre fut presque incroyable ; mes plantes, se trouvant dans un sol qui leur convenait, firent encore des progrès surprenants. Finalement, la floraison en a été magnifique, à ce point qu’elles ont donné des fleurs qui mesuraient 0m17 de largeur. J’avais, d’un autre côté, des plantes-mères en gros pieds, dont j’espérais que la floraison serait très-belle ; mais, faute de terre de bruyère, elles n’ont pas fleuri du tout. »

Ces deux observations nous montrent la terre de bruyère, c’est-à-dire du terreau végétal mêlé à du sable fin, dans un cas modifiant profondément la coloration des fleurs du Lilium Coridion Sieb. et Vr. ; dans un autre cas, influant puissamment et presque tout à coup sur la végétation et sur la floraison d’un iris. Le premier de ces exemples semble indiquer l’une des causes, certainement aussi variées que nombreuses, des changements de couleur de la corolle dans les plantes, soit spontanées, soit cultivées ; en d’autres termes, l’une des origines des variétés. Voici, dans le même ordre d’observations, un fait qui me semble assez remarquable pour que je croie pouvoir le signaler.

La grande terrasse du château de Meudon (Seine-et-Oise), qui a été brûlée par les Allemands, en février 1871, est soutenue par un mur construit en meulière, qui s’étend à peu près du nord au sud, dans une longueur de plusieurs centaines de mètres et sur une hauteur considérable. Quelques plantes de rocailles se sont depuis longtemps établies sur ce mur, notamment la Valériane rouge (centrenthus ruber D C.) et le Grand Muflier (antirrhinum majus L.), celui-ci en bien plus grande abondance que la première.

Dans les jardins, des semis multipliés ont, dans le Grand Muflier ou Gueule-du-Lion, fait varier considérablement la couleur des fleurs ; mais quand cette plante croit sur de vieux murs, dans des rocailles ou sur des rochers, à l’état spontané, comme dans nos départements du centre et du midi, ou subspontané, comme autour de Paris, sa corolle offre sa couleur rouge pourpre normale, ou très-rarement elle se montre blanche, constituant alors une variété tranchée.

Il n’est guère possible de savoir à quelle époque cette espèce s’est établie sur le grand mur de la terrasse de Meudon ; mais aujourd’hui elle y est représentée par de nombreux individus qui, se semant et se ressemant d’eux-mêmes, ont graduellement subi dans leurs fleurs des variations de couleur en nombre presque indéfini. Cette année, on voyait là, côte à cote, toute une gamme de couleurs formée par des transitions insensibles, depuis le blanc le plus pur, qui a dû être l’un des points de départ, jusqu’au rouge pourpre le plus intense, qui formait l’autre extrémité de cette série.

Il est fort à présumer que l’hybridation est intervenue dans la production de ces nombreuses variétés de couleurs ; mais il est probable aussi qu’une cause qui nous est inconnue est venue joindre son action à celle de la fécondation croisée, et que c’est à ces deux influences combinées qu’il faut attribuer la formation de cette série continue de nuances dont il serait, je crois, peu facile de trouver un exemple aussi complet en dehors de la sphère d’action des horticulteurs[1].
P. Duchartre.

  1. Journal de la Société centrale d’horticulture de France.