Variétés historiques et biographiques


VARIÉTÉS HISTORIQUES ET BIOGRAPHIQUES
Par M. Paul LE BLANC


Parmi les notes que l’on va lire, plusieurs ont déjà paru dans le journal La Haute-Loire ou dans l’Annuaire du département. Sur les bienveillantes instances de plusieurs amis, j’ai cru, après les avoir corrigées et augmentées avec le plus grand soin, pouvoir les réunir avec d’autres toutes nouvelles. Elles renferment, pour la plupart, des documents inédits qui me vaudront l’indulgence du lecteur.


première série

ROBERT MICHEL, SCULPTEUR
1720-1786


Déjà un historien fécond et spirituel, M. Mandet, a consacré à Robert Michel, — sculpteur de talent, né au Puy, mais dont l’existence s’écoula loin de son pays natal, — une courte notice ; mais il en a reconnu lui-même l’insuffisance et a recommandé vivement, à tous ceux que ces études intéressent, de faire de nouvelles recherches et de compléter son travail[1]. C’est pour répondre à cet appel que j’emprunte, sur ce sculpteur, une notice à un livre rare en France, puisque la Bibliothèque Nationale n’en possédait même pas, en 1866, un exemplaire complet, au Dictionnaire historique des plus célèbres artistes de l’Espagne, publié à Madrid, en 1800, par l’Académie royale de Saint-Ferdinand.

Mais, avant d’aller plus loin, je tiens à donner quelques détails destinés à la compléter et à la rectifier.

D’après son biographe espagnol, Robert Michel serait né en 1720. Cette date ne convient qu’à l’un de ses frères, Claude Michel, né en effet le 5 septembre 1720. Voici l’acte de baptême qui concerne notre sculpteur[2] :

Le 8 novembre 1721 est nai (sic) et baptisé Robert Michel, fils de Joseph Michel, vitrier, et de Françoise Reymond, mariés, dans la paroisse de Saint-Pierre-le-Monastier. Son parrain, Robert Charbonel, marchand boucher et tanneur, et sa marraine Marie-Anne Reymond. Fait en présence du père qui a signé avec nous et le parrain.

J. Michel perre (sic).
Charbonel. Roudil, prieur.


Fils d’un obscur maître-vitrier de la ville du Puy, dont la famille était nombreuse, les pauvres gens d’alors recevant, sans compter, les enfants que le bon Dieu leur donnait, Michel, pour sortir de l’obscurité de sa condition et devenir ce qu’il fut, dut passer par de rudes épreuves. À l’âge de dix ans, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, son père le mit en apprentissage chez l’un de ses voisins, Mathieu Bonfils, le tailleur d’images en bois le plus en renom de la contrée.

Mathieu Bonfils n’était point originaire du Velay ; il était né, en 1667, à Saint-Bonnet-le-Château, en Forez. Attiré à Monistrol, vers 1683, par Pierre Vaneau, sculpteur en titre d’Armand de Béthune, évêque du Puy[3], il travailla, pendant six ans, dans l’atelier de ce maître, en compagnie de Pierre Layes, de Jean Marcon et de plusieurs autres dont les noms sont moins connus et méritent moins de l’être. Il devint non seulement son élève favori, mais encore son beau-frère, par son mariage, célébré à Monistrol, en 1691, avec Isabeau Vaneau.

Plus tard, Bonfils vint habiter le Puy. En 1716, les États du Velay, dans l’intention d’encourager les artistes à se fixer dans le pays, le déchargèrent du logement des gens de guerre, de la taxe du commerce et industrie, meubles et capitation[4]. Pendant longtemps, dans sa maison de la rue des Tables, tout auprès du couvent des religieuses de Saint-Maurice, il tint école et enseigna, à bon nombre de jeunes gens, l’art de travailler le bois, avec cette vigueur et cette sûreté de main dont il avait puisé le secret dans la fréquentation de son beau-frère Vaneau. Michel se trouva à cette école avec Gabriel Samuel qui, quelques années plus tard, eut la gloire d’être le premier maître de l’illustre Julien[5]. D’après ce que nous savons des travaux de Bonfils et de nos autres sculpteurs en bois, l’enseignement de cet atelier devait se borner à quelques notions de dessin, la grande occupation consistant à exécuter de nombreuses répliques des statues des saints les plus en vogue. À ce métier, l’esprit n’avait rien à gagner sans doute, mais le corps devenait infatigable et la main acquérait cette vigueur, cette facilité de travail que l’historien espagnol de Michel admirait chez notre compatriote. Au bout de six années, Michel quitta le Puy et entra à Lyon dans l’atelier du sculpteur Perrache, le père du célèbre architecte ingénieur créateur de la chaussée qui porte encore son nom. Il dut employer le court espace de temps qu’il y demeura à se perfectionner dans la science du dessin.

Nous ne le suivrons pas plus loin dans sa carrière, car nous serions réduits à paraphraser ce que l’on va lire. Voici pourtant une dernière réflexion : a priori, elle pourra paraître hasardée ; cependant, elle n’est que la conséquence logique de ce que nous savons des travaux de Michel. Cet artiste exécuta presque tous ses travaux sur commande. Malgré sa fécondité, nous ne le voyons point obéir à son sentiment personnel ; dans la longue nomenclature de ses ouvrages, nous n’en trouvons aucun qui soit sorti de son propre génie. Directeur d’académie, sculpteur officiel, il ne s’affranchit d’aucune servitude, il ne se dérobe jamais au joug de l’école, il ne réagit point contre les erreurs des prétendus idéalistes de son temps. Contrairement à la défense habile de son biographe espagnol, qui a prévu la critique, chez Michel, la théorie n’était point toujours à la hauteur de la pratique, et il n’est pas trop téméraire d’avancer qu’il suivit les errements d’une sculpture conventionnelle et toute viciée, et qu’il ne chercha point à la régénérer, comme le fit chez nous son contemporain et compatriote Julien, par l’étude combinée de la nature et de l’antique.

Malgré ces critiques, Michel n’en demeure pas moins un artiste d’un mérite incontestable et je pense que les Ponots me sauront gré d’avoir, à leur intention, déniché quelques détails complètement ignorés et de leur avoir ainsi révélé les titres sérieux de Michel à l’insertion de son nom sur le livre d’or du pays. Cet artiste mérite d’y occuper une des premières places, au-dessous de Julien, bien au-dessus de certains autres qui ont trouvé d’ingénieux moyens pour perpétuer leur mémoire.

Jusqu’à ces derniers temps, le portrait de Robert Michel manquait à toutes nos collections locales. Il n’en existe point de gravé, il est vrai ; mais ainsi qu’avait bien voulu me l’apprendre, en 1870, le savant secrétaire de l’Académie des trois nobles arts de Saint-Ferdinand de Madrid, M. Eugène de la Camera, cette Société en possède, dans sa galerie, un de grandeur naturelle, à moitié corps, peint à l’huile. Chargé, par l’administration municipale de la ville du Puy, de conserver et de compléter la collection, en voie de formation au Musée Crozatier, des représentations de nos célébrités locales, mon premier soin a été d’obtenir de l’Académie de Saint-Ferdinand l’autorisation de faire reproduire par la photographie le portrait de Robert Michel. Ce portrait est maintenant au Musée. En outre, notre Société, désireuse de s’associer à cet hommage posthume rendu à notre illustre compatriote, a, de son côté, fait reproduire ce portrait par la photogravure.

Un dernier mot pour achever de faire connaître notre sculpteur. Michel, arrivé promptement à une situation importante, ne se laissa pas éblouir par la fortune et les honneurs. Il n’oublia ni son pays ni les siens. Il attira en Espagne son frère Pierre qui, à son école, devint un sculpteur habile. Nous lui consacrerons plus tard une notice[6]. Il n’oublia pas non plus sa vieille mère. Veuve et sans grandes ressources, il lui servit mensuellement une pension de 15 livres qui, jointe au commerce de verrerie qu’elle continua à exercer, mit la bonne femme à l’abri de tout besoin[7].

« Michel (D. Robert), sculpteur, naquit en la ville du Puy, province de Languedoc, en l’année 1720 ; il n’avait que dix ans lorsque son père Joseph le plaça, pour étudier la sculpture, chez M. Bonfils, sculpteur très distingué qui avait été élève de M. Vaneau, à Rome[8]. Il resta six ans sous sa direction, faisant de rapides progrès. Pour se perfectionner, il passa sous celle de Perrache, à Lyon, qui, appréciant déjà ses talents, en conçut les meilleures espérances. Il n’y était pas demeuré six mois que M. Dupont, sculpteur de Montpellier, le fit sortir de cet atelier en lui offrant une position plus avantageuse. Il passa six autres mois chez ce maître, puis il entra dans l’atelier de M. Luquet, artiste flamand, établi à Toulouse.

Dans cette ville, il commença à travailler pour son compte, à la demande d’un membre du Parlement qui le chargea de divers travaux destinés à orner son jardin. Avec ce qu’il retira de ce travail, terminé dans l’espace de neuf mois, il entrevit la possibilité d’aller à Rome ; mais le sculpteur Luquet, considérant ce travail comme une grande perte, le détourna de ce projet en lui facilitant l’étude de quelques sculptures antiques qu’il avait rapportées de cette capitale et le détermina ensuite à se rendre avec lui à la cour d’Espagne[9].

Ils arrivèrent à Madrid le 30 octobre 1740. Michel se présenta immédiatement à l’architecte D. Robert Pérez, chargé de modifier le plan du Palais-Neuf qui était resté sans être terminé par suite de la mort de son auteur, D. Philippe Zuvara, arrivée en 1736. Pérez lui demanda s’il se sentait de force à modeler un Père Éternel. Il accepta à la condition que Pérez serait présent ; ce qui eut lieu. L’architecte admira tellement sa hardiesse et son habileté, qu’il le chargea de l’exécution de cette statue en bois de grandeur colossale. C’est celle qui est placée sur le grand-autel de la cathédrale de Murcie. D’autres œuvres succédèrent à cette première, tant pour les palais royaux que pour les églises de Madrid, sans que pour cela Michel cessât de suivre les cours publics, de dessiner et de modeler d’après nature, et cela avec une telle facilité et une telle verve, qu’il excitait, en même temps, et l’envie et l’admiration de ses directeurs.

Lorsque l’académie royale de Saint-Ferdinand fut créée, en 1752, il en fut nommé sous-directeur pour la sculpture. Le roi Ferdinand VI le nomma sculpteur de sa chambre, et lui fit exécuter l’un des lions qui se trouvent dans l’escalier principal du Palais-Neuf, les statues de saint Ferdinand, de sainte Barbe, de l’oratoire du Buen Retiro et d’autres ouvrages importants.

Charles III, également appréciateur de son talent, lui accorda les honneurs de l’une des places de directeur de l’académie de Saint-Ferdinand et lui conféra, en l’année 1775, le titre de sculpteur du roi, avec la charge de diriger tous les ouvrages de sculpture qu’il y aurait à exécuter dans les palais royaux. Son tour d’être directeur de l’académie arriva en 1774, et il fut l’un des professeurs qui travaillèrent volontairement au modèle de la statue équestre que le roi fit faire, en 1778, pour son père Philippe V.

Michel, élevé au titre de directeur général de l’académie, en 1783, mourut le 31 janvier suivant et fut enterré en la paroisse de Sainte-Marie de Madrid, emportant les regrets unanimes de tous ses collègues des beaux-arts qui l’aimaient autant pour sa douceur, sa probité, son caractère franc, que pour l’intérêt qu’il prenait à l’enseignement et aux progrès de ses élèves ; entre les nombreux et bons qu’il eût, on cite son frère D. Michel, sculpteur de la chambre du roi et sous-directeur de l’académie de Saint-Ferdinand en 1800.

L’invention de Michel était aussi féconde que son exécution facile. Tout le monde sait à quel degré Tiepolo brillait par ces mêmes qualités, et cependant il admirait la promptitude avec laquelle Michel exécutait les stucs, lorsqu’ils travaillaient ensemble dans le grand salon du Palais-Neuf. Michel, de son côté, admirait avec quelle habileté de main Tiepolo peignait ses fresques. Si la théorie voulait reprendre quelque chose dans son œuvre, ses ouvrages répondraient en montrant l’anatomie en son lieu, l’exactitude la plus scrupuleuse dans les proportions du corps humain, l’élégance, la grâce, le bon air de ses figures, le bon ajustement des draperies, les règles les plus saines dans la composition des groupes et le bon goût de ses ornements. Ses dessins, ses académies sont très appréciés. Ils sont si bien traités qu’ils semblent plutôt sortis de la main d’un peintre que de celle d’un sculpteur, tant le trait en est gracieux et le crayon plein d’esprit. Avec le même goût, il grava à l’eau-forte, en 1764, deux fables ou allégories[10].

Ses œuvres exposées au public, soit en pierre ou en bois, sont les suivantes :

Madrid (Palais-Neuf). — Le lion de marbre qui se trouve au palier de l’escalier principal, à main droite, — celui de gauche est du sculpteur Castro ; deux des quatre enfants placés aux angles de la pièce ou salon de danse qui servait autrefois d’escalier ; deux autres enfants en stuc, dans le salon du trône, au-dessus des portes, soutenant des médaillons ; les figures des angles du même salon qui représentent des fleuves et les médaillons dorés ; dans la chapelle royale, les enfants et le lion en face de la porte.

Buen retiro. — Les statues de saint Ferdinand et de sainte Barbe, dans l’oratoire principal.

Église de Saint-Firmin. — Toutes les sculptures du grand retable, à l’exception de la statue du saint.

Paroisse de Saint-Milhan. — Les quatre prophètes du grand retable.

Église des SS. Just et Pasteur. — Les statues, en pierre, de l’Espérance et de la Charité, et de la façade.

Paroisse de Saint-Sauveur. — Les sculptures du tombeau et le buste du dernier duc d’Arcos.

Saint-Marc. — Les anges en stuc qui sont sur l’architrave du grand retable.

Saint-Bernardin. — La statue de saint Pascal-Baylon.

La commanderie de Saint-Jacques. — Les statues de saint Joachim et de saint Joseph placées sur les contreforts de la coupole.

Saint-Philippe de Néri. — La statue de saint Philippe, au-dessus du maître-autel.

Les Carmes Déchaux[11]. — La grande statue en pierre de Notre-Dame du Carmel de la façade et plusieurs autres placées sur les autels de l’église[12].

Saint-Ignace. — Les statues de saint Prudence et de saint Martin de Loinaz.

La Douane royale. — L’écusson armorié de la façade soutenu par deux renommées.

La porte d’Alcala. — Les trophées et les ornements de la façade du côté de la ville.

La promenade du Prado. — Les deux lions de la fontaine de Cybèle et les deux tritons de l’une des quatre petites fontaines.

Le palais du Prado[13]. — Quelques décors en stuc dans les salons.

Le palais d’Aranjues[14]. — Tous les décors de la corniche de la chapelle.

La collégiale de Saint-Ildefonse (Escurial)[15]. — Tous les décors de l’église, des voûtes et des murs.

(Victoria) Société basque. — Le buste de Charles III en marbre de Carrare.

(Pampelune) Les Capucins. — Le tombeau du comte de Gayes, en marbre rouge décoré au milieu d’un écusson aux armes royales.

Cathédrale d’Osma. — La statue en marbre de la Conception, dans une chapelle. »

(Diccionario historico de los mas illustres professores de las bellas artes en España. Compuesto por D. Juan-Augustin Cean Bermudez y publicado por la real academia de S. Fernando. Madrid, 1800. 6 vol. in-8, t. III pag. 147-152.)



LA PAPETERIE DE PRADES


Prades[16] est un pittoresque village situé dans un étroit et fertile vallon, au point où la Seuge conflue avec l’Allier, sur la rive gauche de cette rivière. Presque du milieu des eaux, s’élève un dike basaltique couronné par quelques pans de murailles. Ces ruines, qui s’égrènent journellement sous l’injure du temps, sont tout ce qui reste aujourd’hui du vieux château de Prades.

Ce château, encore habité en 1637, complètement en ruines cent ans plus tard, était le chef-lieu d’une seigneurie importante possédée tour à tour par les Polignac, les Montlaur, les Aycelin, les Rochebaron, les Bertrand du Pradel, les Rochefort d’Ally et les d’Apchier.

Je ne m’arrêterai pas à l’histoire de ces différentes familles. Leurs généalogies se trouvent dans tous les répertoires spéciaux et, dans ces derniers temps, elles ont exercé la sagacité de nos érudits. Il n’en est pas de même de la papeterie de Prades : elle est encore sans histoire comme la plupart de nos industries locales. Les documents qui les concernent ont dormi jusqu’ici dans la poussière de nos archives publiques ou privées. C’est ce qui m’engage à publier l’acte que j’ai eu la bonne fortune de découvrir dans un sac de vieille procédure, et qui nous fait connaître l’introduction de l’industrie du papier à Prades.

Il n’y aurait cependant rien d’improbable à ce que cette papeterie fût plus ancienne. L’on sait que Claude de Chalencon-Rochebaron, seigneur de Prades, devint seigneur d’Ambert par son mariage, du 27 janvier 1500, avec Suzanne de La Tour, dame du Livradois. De nombreux moulins à papier fonctionnaient depuis longtemps aux environs d’Ambert, sur les ruisseaux de Valeyre, de Chadernolles et de la Forie. Appelé par les Rochebaron, ou attiré par les eaux transparentes de la Seuge, un maître papetier Ambertois a bien pu transporter à Prades son industrie dès les premières années du XVIe siècle. Aucun titre cependant ne nous permet de l’affirmer. L’une des stipulations de l’acte que nous publions ferait même repousser cette hypothèse si l’on ne savait le peu de stabilité des établissements assis sur un cours d’eau aussi torrentueux que la Seuge. Au lieu d’une création nouvelle, l’on pourrait tout aussi bien admettre une reconstruction rendue nécessaire à la suite de l’une de ces inondations générales à laquelle le vieux pont de Prades, sur l’Allier, ne put lui-même résister.

En 1657, Marguerite de Genestoux de la Bastide était dame de Prades. Elle avait hérité de cette terre seigneuriale avec celles du Pradel, de Pomperan et du Thiolenc, de Gabriel de Bertrand, son premier mari, qui l’avait instituée héritière universelle par son testament du 1er mai 1646. Elle avait porté ces biens à Pierre-Antoine de La Tour de Rochefort d’Ally, seigneur baron de Saint-Vidal, qu’elle avait épousé en secondes noces ; mais par son contrat de mariage du 4 novembre 1647, Marguerite de Genestoux s’était réservée « comme biens paraphernaux tout ce qui lui était advenu au moyen de l’institution d’héritière faite en sa faveur par son premier mari pour en user et en disposer à ses plaisirs et volontés ». C’est ce qui explique qu’elle ait traité en son nom seul avec le papetier Georges de Cour.

Georges de Cour n’était pas venu seul de Chadernolles. Il avait attiré auprès de lui Claude, son frère plus jeune, et d’autres compagnons papetiers dont il nous a été impossible de recueillir les noms. Les registres de l’église paroissiale de Saint-André nous ont cependant fourni, à des dates plus rapprochées de nous, le nom de quelques-uns de ces ouvriers qui travaillèrent à la papeterie. Les uns venaient du Livradois, d’autres étaient des habitants de Prades même. Parmi les premiers nous citerons : Jean-Baptiste Foujadoire, originaire de Chadernolles, mort le 5 janvier 1758, et dont le fils Balthasard, également papetier, se maria, à Prades, le 3 mars 1767 ; Jean Duranton, du Lozier, paroisse de Grandrif, décédé le 15 octobre 1760. Parmi les seconds nous noterons ; Jean de Nopces, vivant en 1694, et Pierre Faugère, mort en 1724. Enfin les mêmes registres nous montrent, habitant à côté de la papeterie, les fournisseurs des chiffons destinés à la fabrication du papier, désignés sous les noms, consacrés en Auvergne, de peillarots et de patteurs.

Georges de Cour et son frère Claude laissèrent postérité. Les descendants de Claude se contentèrent du rôle modeste de patteurs, ou se firent colporteurs, et allèrent vendre au dehors les produits de la papeterie. Les enfants et arrière-petits-enfants de Georges continuèrent seuls à exploiter, à bail temporaire, le moulin à papier de Prades, jusqu’au jour où ils parvinrent à le posséder d’une façon plus stable. Par acte du 28 novembre 1747, reçu Paparie, notaire royal à Saugues, l’un des arrière-petits-fils de Marguerite de Genestoux, Pierre-Joseph de la Tour de Rochefort-d’Ally, donna, à titre de locatairie perpétuelle, ce moulin et les propriétés qui l’entouraient à Pierre Cour et à son fils aîné Claude, meuniers à Prades. Bien qu’ils ne prissent plus de particule, ils descendaient en droite ligne de notre papetier.

Ce dernier bail est calqué sur celui de 1657. Les Cour donneront 200 fr. annuellement ; ils fourniront au seigneur de Prades tout le papier qui pourra se consommer dans sa maison.

Ils entretiendront la papeterie en bon état et ils amélioreront les héritages qui en dépendent.

Ils seront tenus de faire, à leurs frais, toutes les réparations nécessaires au moulin et à la maison, mais le seigneur leur fournira le bois.

Ce traité était des plus avantageux pour nos papetiers. Devenus véritables propriétaires de la fabrique, ils allaient pouvoir la transformer, l’augmenter. C’est ce qu’ils firent sans retard. En outre, ce qui n’était pas à dédaigner, ils allaient jouir, sans crainte de les perdre par un caprice du seigneur de Prades, de tous les privilèges accordés, par l’arrêt du conseil du roi, du 30 décembre 1727, aux papetiers d’Auvergne[17] et étendus à tout le royaume par l’arrêt de règlement du 27 janvier 1739. D’après ces règlements, qui montrent qu’à cette époque l’on encourageait les arts utiles, les maîtres fabricants de papiers, leurs fils travaillant dans leurs fabriques, et généralement tous les ouvriers papetiers étaient personnellement exempts de la collecte des tailles, du logement des gens de guerre et de la milice. Ils devaient être cotisés d’office à la taille par l’intendant de leur province, suivant des états qui lui étaient remis tous les ans par les gardes en charge, sans que ces cotes d’office pussent être augmentées par les collecteurs. Ces exemptions, en apparence bien modestes, semblaient presque un acheminement à la noblesse.

Dans notre jeunesse cette papeterie était encore en pleine activité, et nous avons écrit plus d’un devoir et, hélas ! plus d’un pensum, sur du papier de Prades. Le moulin n’a cessé d’animer ce vallon tranquille du bruit de ses maillets que vers 1860. La papeterie était alors dirigée par M. Pierre-Augustin Cour[18]. Il lui était devenu impossible, avec son outillage remontant à son grand-père, de lutter avec les grands établissements de ce genre qui avaient au reste monopolisé l’achat des pattes destinées à la fabrication des papiers.

« Furent presens en leurs personnes, puissante dame Marguerite de la Bastide, comptesse de Saint-Vidal, Prades, Pomperan, le Thioulanc et autres ses places, laquelle de son bon gré et bonne volonté a ascensé et balhié en arrantement comme elle faict par ces présentes à Mre Georges de Cour, de Chaudernelles en Livradois, paroisse de Marssac, me papetier, à présent habitant au bourg et paroisse de Prades, une maison, ung moulin à faire papier, avec le pré et arbres fruitiers, le tout joignant ensemble appelle las Vernatares, qui se confine d’une part avec le chemin qui va dud. Prades à Saugues, d’autre avec la rivière de Seuge et le champ de Pierre de Nops et de madicte dame d’autre partye : et ce pour le temps et espace de douze années qui prendront leur commencement au premier jour de juin prochain que led. preneur promect avoir fait et parfaict le prixfaict de la susd. maison et molin au terme porté par le contract de prixfaict que mad. dame a ci-devant faict aud. preneur et finiront à pareil jour, lesdictes douze années accomplies et révolues, moyennant le prix et somme de deux cents livres pour chescune d’icelle, paiables cinquante livres au dernier jour d’aoust prochain et les cent cinquante livres restants à paiements égaux de cinquante livres chescun an commençant le premier trois mois après led. dernier jour d’aoust et ainsin continuant jusques au parfaict paiement du prix de lad. ferme ; lesquels moulin, maison et pré, madicte dame promect faire jouir en paix aud. preneur et quitte de tailles ; de plus a promis led. preneur paier à madicte dame, et à chescun feste sainct Michel, seigle deux cartons mesure du Puy commençant à la prochaine et ainsin continuant tant qu’il sera tenancier, et ce à cause de la permission que madicte dame a donné aud. preneur de esdifier ung four dans la susd. maison pour luy cuire le pain pour l’usaige de lad. maison seulement, ou pour le cens que led. susdict pré, ici confiné, doit à madicte dame dependant de sa baronnye de Prades en toute justice, dont madicte dame se reserve tous les droicts seigneuriaux. Et ne sera permis aud. preneur de ne vendre, alliener, ne transiger de la susdicte maison, molin et pré sans la permission de mad. dame ou des siens, rendre le tout en fin d’afferme en bon et deu estat. Outre ce a promis led. preneur paier à madicte dame pour l’usaige et service de sa maison quatre rames de papier pour chascune année, tant qu’il ou les siens seront en jouissance, paiables à la requeste et volonté de mad. dame. Pacte accordé par mad. dame que led. preneur prendra du bois pour son chaufaige dans les bois de madicte dame et pour l’entretien dud. moulin pour les menues réparations au moins dommageable, et ainsin que dessus madicte dame a promis faire jouir en paix et led. preneur paier les susdictes sommes aux dictes termes soubs obligation de sa personne et biens que a soubmis à toutes courts.

Faict aud. Prades, dans le chasteau de madicte dame, après midy, en presencede Me Anthoine Loude, praticien de Limagne, à présent agent de madicte dame, signé avec madicte dame et Pierre Michel, tailleur dud. Prades, qui ni led. preneur n’ont sceu signer requis. Le dix huictiesme decembre mil six cents cinquante sept. »

Loude, pn.

M. de Labastide.

Octroyé de Prades,

Mezard, notaire.



ALEXANDRE-MARIE BIENVENU
chanoine et sescal du chapitre cathédral de n.-d. du puy


Le chanoine Bienvenu, homme d’esprit et de mérite, est aujourd’hui bien oublié ; mais avant de dire ce que je sais de lui, qu’on me permette quelques mots sur le sescalat, — sescalatus seu officium sescaliæ, — office du Chapitre cathédral de N.-D. dont Bienvenu fut l’un des titulaires.

Nos chercheurs locaux, qui se sont donné la mission de reconstituer notre histoire, sont à peu près muets sur le sescalat. M. Rocher est le seul, je crois, qui en ait dit quelque chose dans ses intéressantes études sur le Pouillé du diocèse du Puy. D’après lui, et je me range à son opinion, aux temps de la primitive observance, alors que les chanoines de N.-D. formaient une congrégation de religieux, vivant de la vie commune, le sescal était un officier du cloître dont les fonctions regardaient surtout le temporel. C’était une sorte de sénéchal qui s’adonnait aux soins intérieurs de la maison cénobitique[19]. Mais à l’époque, restée encore inconnue, de la sécularisation du Chapitre, cet office perdit son caractère et devint purement nominal et honorifique, comme ceux de la célèrerie et de la panéterie.

Le doyen du Chapitre avait la collation, nomination et provision du sescalat. Le sescal prenait possession de son office avec les mêmes formalités, à peu de choses près, que celles prescrites pour les canonicats ; mais il ne payait pour droit de chape qu’une somme de 60 livres au lieu de celle de 120 livres fixée pour le droit de chape des chanoines. — Choisi ordinairement parmi ces derniers, sans que cela fût d’obligation, cet officier portait au chœur, l’été la même aumusse, l’hiver le même habit que les titulaires des canonicats ; comme eux, il avait sa place à l’une des hautes stalles du chœur où l’on chantait les heures canoniales ; mais, lorsqu’il n’était pas chanoine, il n’avait pas voix délibérative aux assemblées capitulaires.

Le sescalat avait une prébende particulière dont le revenu, au moment de la Révolution, consistait en vingt-cinq cartons de froment à prendre dans les greniers du Chapitre, en une rente en directe sur plusieurs vignes, situées au terroir de Paracol, du rapport de deux cent cinquante à trois cents lagènes, ou de cinq à six cents pots de vin, et en une rente de 12 livres payée par le trésorier.

Voici les noms de quelques-uns des titulaires du sescalat :

1344. — Guigon de Glavenas.
1439. — Jean Dumas.
1494. — Gabriel d’Alzon (de Alzonio).
1589. — Jean Malègue qui, en cette année, fit renouveler le terrier de la sescalité.
1611. — N… Charroas.
1669. — N… Delorme.
1714. — Ignace Bergonhon. Le 19 août 1714, ce sescal prit possession d’un canonicat, au chapitre de l’église collégiale de Saint-Vosy, qui avait été résigné, en sa faveur, par Gabriel Bergonhon, son frère, pourvu d’un canonicat en l’église cathédrale de N.-D. du Puy.
1730-1746. — Gabriel Bergonhon.
1738-1780. — N… de Glavenas.
1780-1783. — Alexandre-Marie Bienvenu, qui fait l’objet de cette note.
1783. — N… Reynaud, décédé un mois après sa prise de possession.
1783-1787. — Louis-Thomas Marcon, mort en 1787.
1788. — Pierre Montagne, dernier titulaire du sescalat dont il fut pourvu, le 28 mars 1788, par M. de Pina, doyen du Chapitre, et dont il prit possession le 5 avril suivant.

Pierre Montagne, d’abord curé de l’église du Saint-Esprit de la ville du Puy, puis prieur de Saint-Julien-du-Pinet en 1760, entra au Chapitre de N.-D. en 1764. Dans le cours d’une grave maladie, il prêta serment au mois d’octobre 1792 ; mais, peu de jours après, il rétracta ce serment par une déclaration transcrite au bureau de l’enregistrement. Il protestait « vouloir vivre et mourir dans le sein de l’Église catholique, apostolique et romaine ». Il ne tarda pas à être mis en réclusion au Puy, à Sainte-Claire, et ensuite au séminaire, où il mourut le 14 mai 1794.

Je reviens au chanoine Bienvenu. — Les Bienvenu ne sont pas originaires du Velay ; mais plusieurs membres de cette famille s’y fixèrent et y contractèrent d’honorables alliances.

Antoine Bienvenu, le père de notre sescal, était un marchand de Donzères, en Dauphiné, qui vint, au commencement du XVIIIe siècle, s’établir à Lyon. Les rapports commerciaux de cette ville avec le Puy étaient alors des plus actifs. Notre commerce local, qui consistait principalement dans la fabrication et la vente de la dentelle, présentait cela de particulier qu’il était presque entièrement, à l’inverse de ce qui a lieu de nos jours, entre les mains des femmes. Les hommes, amis des plaisirs, adonnés au jeu, abandonnaient d’autant plus volontiers la direction des affaires à leurs sages et habiles compagnes, qu’ils en devenaient plus libres pour courir les réunions nombreuses où ils risquaient, sur une carte, le gain de plusieurs années de travail. Élevées par ces femmes de tête, d’une simplicité extrême, dressées à l’économie la plus sévère et à la pratique du négoce, nos jeunes filles étaient très recherchées en mariage par les négociants lyonnais que leurs affaires amenaient au Puy.

Il courait même à ce sujet un dicton naguère encore populaire :

Femme du Puy, homme de Lyon
Font une bonne maison.

Bienvenu, qui fournissait à nos dentellières du fil de soie ou de lin, voulut expérimenter la justesse de cet adage et il épousa une fille de l’une des plus honorables familles de la ville, Gabrielle Peyret. Je n’ai pas à rechercher si Mlle Peyret contribua puissamment à la fortune commerciale de son mari ; mais je sais que, lorsqu’elle mourut au Puy, sur la paroisse de Saint-Pierre-la-Tour, le 4 juillet 1751, à l’âge de 50 ans, elle lui laissait un nombre respectable d’enfants ; quatre fils et autant de filles.

Deux des filles se marièrent au Puy : Elisabeth avec un avocat en parlement, Alex.-Xavier Bollon ; Marie avec un bourgeois, Pierre Milhon. Quant aux fils, l’un, Charles-Raymond, fut receveur des domaines au Monastier ; un autre Antoine-Esprit, devint inspecteur des vivres des troupes de Sa Majesté, en Vivarais, en résidence à Tournon ; le troisième fut notre chanoine. Il obtint dans le Chapitre de N.-D. le canonicat prébende, désigné sous le nom de Marcellin Ponchon, depuis la transaction passée, en 1519, entre l’évêque Antoine de Chabannes et le Chapitre, et dont la nomination appartenait au chanoine en tour de semaine[20]. Dans ce corps qui comptait tant de sujets distingués, Bienvenu sut se faire remarquer autant par la correction de ses mœurs, que par la facilité de sa parole et ses connaissances variées. Le Chapitre eut à soutenir, dans le XVIIIe siècle, une foule de procès. Bienvenu fut chargé, dans maints d’entre eux, par ses confrères, de recherches sur les privilèges et droits du Chapitre. Ces recherches touchaient éminemment à l’histoire de notre pays. Elles lui donnèrent l’idée de recueillir et de dresser des recueils des notes et des documents qu’il s’empressait de communiquer libéralement aux savants[21]. Ces recueils, qui seraient bien précieux aujourd’hui, sont sans doute malheureusement perdus ; ils ne sont pas cependant probablement détruits, et un heureux hasard les fera découvrir, tôt ou tard, à l’un de nos érudits chercheurs.

Syndic du Chapitre en 1779, Bienvenu fut l’un des commissaires chargés de surveiller les travaux de restauration de la cathédrale confiés à l’architecte Jean-Claude Portal, travaux trop sévèrement peut-être anathématisés par les démolisseurs de nos jours. Il fut encore l’un des commissaires désignés, avec MM. de Laval, prévôt, Jerphanion, Chastel de Servières, de Labastie et Lobeyrac, par délibération du 23 mars 1780, pour dresser, sous la présidence de Mgr de Galard, l’inventaire des reliques conservées dans l’église cathédrale et vérifier leur authenticité[22].

On possède de ce chanoine la plaquette suivante :

Panégyrique de sainte Jeanne-Françoise de Chantal, fondatrice de l’ordre de la Visitation, par M. l’abbé Bienvenu, chanoine de l’église cathédrale du Puy. s. n. n. l. 1769, 44 pp. in-18.

Bienvenu mourut dans les premiers jours de l’année 1783.


LE CHÂTEAU DU THIOLENT ET SES POSSESSEURS


Le château du Thiolent qui s’élève flanqué de ses quatre tours carrées, au milieu du vaste plateau de Loudes, passe, à juste titre, pour l’une des demeures les plus remarquables de nos contrées. Son parc, d’une superficie de dix hectares et dont les ormes, les frênes, les peupliers et les tilleuls séculaires forment une masse némorale fort imposante, est entièrement clos de murs, et offre un spécimen curieux, quoique bien affaibli, de l’art dont Le Nôtre a été le créateur. Ses allées aux larges perspectives, ses pelouses si bien encadrées, ses quinconces rappellent Versailles et contrastent agréablement avec les campagnes voisines où les arbres sont des plus rares.

S’il a perdu en partie l’aspect sévère d’autrefois, si ses fossés jadis remplis d’eau ont été transformés en parterre fleuri, si ses écuries voûtées pouvant contenir cent chevaux sont aujourd’hui désertes, ce château n’en conserve pas moins un caractère de réelle grandeur.

Simple manoir à l’origine, sans fossés, comme il convenait à un fief noble, il est vrai, mais ne possédant pas les droits seigneuriaux permettant d’élever un château avec tours et donjon, le Thiolent se fortifia au XVe siècle et finit au XVIIIe siècle par se transformer en cet élégant château plus en rapport avec les exigences d’une civilisation raffinée.

Personne n’a encore, croyons-nous, recherché les noms des divers possesseurs du Thiolent. Situé dans la paroisse de Saint-Rémy, dans la vassalité de Jalavoux, le Thiolent appartint d’abord à une famille Saunier[23], qui finit par n’être plus désignée que sous le nom de son fief.

Noble Guigon du Thiolent, aliàs Saunier, possédait le Thiolent dès 1408. Ce fut lui qui, à la requête des habitants, obtint, le 21 avril 1445, de noble Dragonnet de la Tour, seigneur de Saint-Vidal et de Jalavoux[24], la permission, sous la réserve de l’hommage, d’ériger sa maison du Thiolent en maison forte, avec fossés tout autour, à l’effet de se mettre, lui et les habitants, à couvert des incursions des gens de guerre et des voleurs, Le même jour, ces mêmes habitants cédèrent à Guigon, en échange d’un pré, une partie de leur « coudert » pour l’établissement des fossés. De plus, ils l’autorisèrent à construire un « pezadis » destiné à alimenter d’eau ces fossés.

L’arrière-petit-fils de Guigon, Claude du Thiolent, écuyer, fut convoqué au ban de 1543 ; et de Jeanne des Atges qu’il avait épousée en 1552, il laissa, entre autres enfants, Christophe du Thiolent, marié, en 1561, avec Dauphine de Giorand. Christophe testa le 15 décembre 1574 en faveur de son fils aîné François et fonda une grand’messe dans l’église de Saint-Rémy. Ce fils mourut jeune, laissant le Thiolent à son frère Louis. Ce dernier épousa, le 6 octobre 1597, Charlotte d’Aureille, dite d’Alleret, alors veuve de François de Bertrand, seigneur baron de Prades, du Pradel et de Pomperan. De cette union naquit une fille unique. Dauphine, dame du Thiolent. Par son testament du 21 février 1615, elle donna tous ses biens à son frère utérin Gabriel de Bertrand.

Peu après cette donation, Gabriel épousa Marguerite de Genestoux de la Bastide. Ce mariage ne fut pas fécond et, lorsque Gabriel mourait vers 1646, il institua pour héritière universelle sa jeune veuve.

Par un second mariage contracté le 4 novembre 1648, Marguerite de Genestoux allait faire passer le Thiolent dans les mains de l’une des familles les plus anciennes de l’Auvergne, la famille de Rochefort d’Ally, établie dans le Velay depuis le mariage — 1er août 1582 — de Claire de la Tour de Saint-Vidal, la fille unique du terrible et peu sympathique gouverneur du Velay, Antoine de Saint-Vidal, avec Claude de Rochefort d’Ally.

Ce mari, Pierre-Antoine, troisième fils de Claire de la Tour de Saint-Vidal et de Claude de Rochefort, était lui-même déjà veuf de Marguerite de Châteauneuf de Rochebonne qui lui avait donné cinq enfants, dont l’aîné Hugues-Joseph fit la branche des barons de Saint-Vidal. De Marguerite de Genestoux[25], qui devait lui survivre près d’un demi-siècle, puisqu’elle ne mourut qu’en 1706 à l’âge de près de cent ans, il n’eut qu’un fils : Claude-Vidal de Rochefort d’Ally qui eut en partage les biens maternels, — Prades, le Pradel, Pomperan et le Thiolent.

Pierre, son fils, allié en 1707 avec une Vogué, fille d’un grand bailli du Vivarais et d’une Motier-Champetières, institua pour héritier universel, par son testament du 20 janvier 1724, son fils aîné Pierre-Joseph, lui substituant, s’il venait à décéder sans postérité mâle, ses autres fils dans l’ordre de primogéniture.

Pierre-Joseph de la Tour de Rochefort, marquis d’Ally, seigneur de Prades, du Thiolent, etc., puis baron de Saint-Vidal par l’acquisition qu’il fit de cette baronnie le 22 juillet 1748 de Pierre de Dienne, seigneur de Chavagnac, héritier du dernier baron de Saint-Vidal décédé sans enfants, ne laissait que des filles à sa mort arrivée au Puy le 7 avril en 1766. En vertu de la substitution précitée, ses frères possédèrent alors tour à tour le Thiolent[26].

Le premier, Louis-Henri de Rochefort d’Ally, était né au Thiolent le 16 février 1701. Après de solides études faites à Paris, il entra à Saint-Sulpice et fut chanoine comte de Saint-Julien-de-Brioude, puis de Saint-Claude. Désigné bientôt par l’évêque de Saint-Claude, — l’auvergnat Claude-Joseph Méallet de Fargues, — pour son grand vicaire, il fut enfin nommé à l’évêché de Châlons, siège dont il prit possession le 18 avril 1754.

Le deuxième, Charles de Rochefort d’Ally, dit le chevalier d’Ally, né au Thiolent le 12 septembre 1713, suivit le parti des armes.

Successivement cadet à Perpignan le 13 janvier 1728, enseigne au régiment de la Couronne le 4 septembre suivant, lieutenant d’infanterie le 13 août 1729, capitaine le 10 novembre 1733, et aide-major général de l’armée d’Italie le 1er juin 1743, avec rang de colonel le 15 décembre suivant, colonel réformé à la suite du régiment des grenadiers royaux le 16 février 1757, régiment dont il ne tarda pas à devenir colonel en remplacement du colonel de Prugue, mort le 23 mai 1757, il fut créé brigadier d’infanterie le 10 février 1759, sous les ordres du maréchal de Belle-Isle. En 1759 et 1760, il passa à l’armée du Rhin sous le maréchal de Soubise et, par commission du 23 juillet 1762, fut fait maréchal de camp. Dans la promotion du 20 mars 1780, il fut compris comme lieutenant-général.

Au moment où Pierre-Joseph de Rochefort[27] était devenu possesseur du Thiolent, l’on était déjà loin du temps où les maisons de campagnes devaient être assez fortes pour protéger leurs habitants contre les entreprises des bandes armées ou des batteurs d’estrade répandus dans les provinces. Il voulut ajuster sa demeure au goût du jour et en faire une habitation largement éclairée et confortable comme il convenait à un homme de sa condition et de sa fortune. Il entreprit donc de grosses réparations dans le château bien négligé par ses prédécesseurs.

Non seulement il fit refaire à neuf tous les plafonds, planchers, portes et fenêtres, mais il fit construire une vaste galerie sur toute la façade du château. Lorsqu’il mourut, il avait dépensé pour l’exécution de ces différents travaux plus de 25, 000 fr. Il restait encore beaucoup à faire. Pour mener à bien l’achèvement de l’œuvre entreprise par leur frère aîné, l’évêque de Châlons et le chevalier d’Ally s’adressèrent à Jean-Claude Portal, architecte du Puy, alors en vogue par des restaurations du même genre exécutées pour les maréchaux de Latour-Maubourg et de Vaux et pour le baron de Vachères. Portal se mit à l’œuvre vers 1768, et il paraît avoir achevé l’ensemble des plus gros travaux du château vers la fin de 1770. À cette époque, il ne restait plus qu’à terminer les décorations intérieures, celles de la nouvelle chapelle, du nouvel escalier, des appartements du troisième étage et à poser la porte en fer du cabinet des nouvelles archives sous la grande tour[28]. Le parc était presque entièrement clos de murs et les plantations bien avancées.

L’évêque de Châlons vit à peine la terminaison de tous ces embellissements. Il mourut le 13 juin 1772[29]. Son frère — il ne mourut que le 11 février 1782 — vécut encore assez pour faire planter et voir croître bon nombre d’arbres qui devaient contribuer aux agréments du Thiolent. Au reste, en exécutant tous ces travaux, les deux frères avaient moins songé à eux qu’à leur nièce, Henriette de Rochefort d’Ally, la fille de leur frère aîné, mariée avec Jean-Joseph Randon de Châteauneuf, marquis d’Apchier. Elle fut leur héritière et ses descendants possèdent encore le Thiolent.


TIMOTHÉE DE CHILLAC ET GABRIEL RANQUET
POÈTES VELLAVIENS


Parmi les écrivains du Velay oubliés, ou dédaignés, par presque tous les biographes, et dont le souvenir semble même être perdu dans leur propre pays, on peut citer, en première ligne, Timothée de Chillac et Gabriel Ranquet[30]. Ces deux poètes de la ville du Puy vivaient à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe siècle.

Les renseignements biographiques font complètement défaut sur le premier. Nous ne le connaissons que par ses œuvres, dont voici le titre :

Les œuvres de Timothée de Chillac, à Lyon, par Thibaud Ancelin, imprimeur ordinaire du Roy. M.DC.XCIX. in-12.

Ce volume est divisé en trois parties.

La première est dédiée aux dames. Dans les feuillets préliminaires, elle renferme de nombreux vers en français, en latin, en grec même, à l’honneur de Chillac. À la page 14, se trouve un portrait finement gravé qui représente notre poète dans sa vingtième année, la chevelure relevée par une couronne de lauriers, la moustache et la barbiche naissantes. À l’examen de ce portrait, on doit présumer que notre Chillac dut embraser bien des cœurs. Aussi, à l’exemple de Ronsard et des poètes de la Pléiade, dont il est un disciple attardé, il chante, de la page 15 à la page 72, ses amours avec « Angéline » : sonnets, stances, chansons, odes, élégies, voilà l’hommage qu’il lui offre. De la page 73 à la page 96, il chante son autre maîtresse « Lauriphile » en prose et en vers.

La seconde partie, publiée chez le même imprimeur, à la même date, mais sous une nouvelle pagination, porte le titre de : La Liliade Françoise. Henri IV est le sujet principal. La dédicace est à l’adresse d’un personnage, dont le nom se retrouve dans nos chroniqueurs et qui contribua puissamment à remettre la ville du Puy sous l’autorité royale, de M. de Roqueplam (sic), « receveur pour le roy au païs du Velay et conteroleur provincial de l’artillerie au païs du Languedoc, etc. » Elle contient des vers à son adresse, ainsi qu’à celle de divers personnages du temps.

Enfin, la troisième, qui continue sous la même pagination que la seconde, comprend plusieurs pièces de vers à l’adresse de morts plus ou moins illustres et désignés sous le nom de tombeaux.

Sans le criminel incendie qui, dans la nuit du 23 au 24 mai 1871, dévora la bibliothèque du Louvre, nous serions plus heureux relativement à Gabriel Ranquet[31]. En effet, Guillaume Colletet avait consacré a cet écrivain une notice dans son célèbre recueil composé à la gloire de la poésie française, recueil qui, avec tous les autres trésors de la bibliothèque du Louvre, a été anéanti dans cette fatale nuit. Mais personne n’avait songé à relever cette notice ; elle est, sans doute, perdue sans retour, et la même obscurité qui règne sur Chillac règne également sur Ranquet.

Cependant nous savons qu’il fut introduit à la cour de la reine Marguerite, à Usson, par son ami et compatriote Claude François, l’un des secrétaires de cette princesse qui s’honora par son amour pour les lettres. Ranquet a chanté, dans ses vers, sa protectrice et son introducteur auprès d’elle. Plus tard, lorsque la reine eut quitté l’Auvergne, Ranquet « jura divorce avec le monde », et entra chez les Jacobins. En août 1615, il fut élevé à la dignité de prieur du couvent de cet ordre à Toulouse. Il le redevint de nouveau, en 1626, et mourut vers 1639. Il laissait une si bonne odeur auprès de ces moines que son frère cadet, sans doute en souvenir de lui, fut élevé à la même dignité.

Avant sa retraite, il avait publié, à Lyon, dans le format in-12, chez Claude Morillon, ses Diverses œuvres poétiques, en plusieurs parties et sous différents titres.

Les deux volumes que nous venons de décrire sont de la plus grande rareté. Les exemplaires que j’ai consultés à Paris sont probablement uniques. Je les ai copiés ou fait copier presque entièrement avec l’espoir de les rééditer un jour, moins sans doute à cause du mérite, certes très contestable, des vers de nos compatriotes, que parce qu’ils contiennent l’expression du mouvement littéraire prononcé qui régnait alors dans nos contrées, mouvement qui a sûrement passé inaperçu jusqu’à ce jour. En attendant cette résurrection de nos deux poètes — résurrection qui se fera peut-être encore un peu attendre, — voilà un échantillon, je n’ose dire de leur poésie, mais de leurs vers.

Et d’abord Chillac.

Voici l’odelete qu’il adresse à Antoine de Roqueplan, « donneur du lys au Puy » :

Parmi la foudre et les esclairs,
On voyoit mourir les lis verts,
Lors qu’alumé de sainte flame,

Pour les garentir des fureurs,
Dedans le jardin de vostre ame
Vous les arrousiez de vos pleurs.


Ores que le printemps commence,
Vous formez un lis en la France,
Qui naist plus beau que les lauriers :
Roqueplam, il faut donc poursuivre
Et garder d’hyver les liliers,
Pour les faire au printemps revivre,


Ce lis que vous donnez au Puy,
Gauchit vostre gloire d’oubli
Et rend vos larmes honorées,
Et je croy (pour merveille) encor
Que vos pleurs se changeoient en or
D’où naissent ses feuilles dorées.


Au tour de Ranquet maintenant :

À Mademoiselle de La Roche Saint-Paulien.
sonnet

Bel astre des amans, belle nymphette blonde,
Bel astre des amours, beau soleil des beautez,
Vostre poil tient les cœurs arrestez,
Vostre front des amours la troupe vagabonde.


Beaux sourcils, mais beaux arcs en double voûte ronde,
Beaux yeux, mais beaux flambeaux, que de mille clartez
Lancez mille rayons, dont les traits indomptez
Font d’amour et d’amants foisonner tout ce monde.


Belle joue, des fleurs le printannier séjour,
Belle lèvre, prison des appas de l’amour.
Beau menton peint au vif d’un amoureux yvoire ;


Vous formez doucement un miracle en nos jours,
Et ravissez nos yeux aux rais de vostre gloire
Donnant vie aux beautez et naissance aux amours.


À Mademoiselle Marie de La Roche Saint-Paulien.
stances

Vostre rare beauté est du tout toute extrême,
Et vostre bel esprit n’est rien qu’à soy pareil :
L’un se peut esgaller seulement à soy même
Et l’autre en esgallant les beautés du soleil.


Vos belles actions sont seules sans pareilles,
Et vos jours de l’honneur sont toujour revestus :
L’un produit à nos yeux les trésors des merveilles,
Et l’autre esgalement les trésors des vertus.


Le ciel, dans le berceau, versa sur vous la grâce,
La vertu sagement au berceau vous apprit :
Si la grâce se voit aux traits de vostre face,
La vertu se fait voir aux traits de vostre esprit.



VOYAGE DE JEAN-MARIE ROLAND[32], AU PUY
En 1778



Tous ceux qui lisent savent l’étroite intimité qui régna pendant de longues années entre Roland, le célèbre ministre Girondin, sa femme, Marie-Jeanne Phlipon, et le conventionnel Lanthenas. « Lanthenas, dit Mme Roland, devint notre ami particulier, il convenait beaucoup à mon mari ; il s’attacha beaucoup à nous deux ; je l’aimai, le traitai comme mon frère, je lui en donnai le nom[33].

Ç’avait été pendant les années 1776 et 1777, que Roland, voyageant en Italie, avait connu notre compatriote. François-Xavier Lanthenas était né au Puy, le 18 avril 1754[34] ; il était le douzième enfant d’un honorable négociant et dès son bas âge il avait été destiné au commerce. Après des études au collège du Puy, qui s’arrêtèrent à la philosophie, il fut conduit pour faire son apprentissage à Lyon, au commencement de l’année 1770, et entra dans une importante maison moyennant le versement d’une somme d’usage de 1,200 livres et d’un louis d’étrennes. Ses débuts furent longs et pénibles ; car, en outre de ses journées laborieusement occupées à auner des toiles, à plier des dentelles de Flandres, à déballer des marchandises, à copier des lettres commerciales, à négocier des opérations de commissions et de banque, le soir il suivait encore les leçons de divers maîtres : maître d’écriture, change, maître d’allemand, d’italien et d’anglais.

Malgré les fatigues matérielles de son métier, il trouvait toujours le temps pour toutes ces études que comportait alors le commerce lyonnais. Un mal aux yeux qui le forçait de porter lunettes, d’autres infirmités plus graves qui étaient venues le prendre presque au sortir de la maison paternelle, ne diminuaient en rien son ardeur pour l’étude ; ardeur déjà même si grande que, sur ses bien modestes ressources, — 800 livres de pension que lui servait son père et avec lesquelles il devait se nourrir et s’entretenir, — il avait le talent de prélever encore le prix de quelques ouvrages spéciaux tels que le Parfait négociant, etc., ou bien même quelques nouveautés philosophiques qui le tentaient.

Après quatre années d’assiduité au travail, il entra, en 1774, dans la maison d’Huicque et Bouvard où il toucha enfin un traitement.

Quelque temps après, ses patrons, appréciant son esprit et ses connaissances, lui confièrent leur tournée commerciale en Allemagne et en Hollande. Il se tira assez habilement de cette première mission pour obtenir d’être chargé de la même tournée en Italie. Ce voyage l’intéressait doublement. S’il avait à traiter pour sa maison les différentes parties du commerce propre de Lyon, il désirait aussi trouver de nouveaux débouchés pour les dentelles de fil du Puy que la mode semblait vouloir délaisser pour les blondes. Son père l’y avait sans doute engagé, en considération du grand trafic qui, de tout temps, s’était fait entre le Puy et l’Italie.

Lanthenas quitta Lyon en octobre 1776 et gagna l’Italie par la Suisse. Dès les premiers jours, il rencontra Roland qui visitait alors les mêmes pays. Le futur inspecteur général des manufactures et du commerce apprécia notre novice négociant qui, sans trahir les intérêts sérieux qu’il avait à servir, mettait dans les connaissances de goût une activité que rarement l’on conserve dans le négoce « où s’anéantissent, pour l’ordinaire, toutes les facultés qui ne se rapportent pas à lui »[35]. Roland, alors âgé de 45 ans, se prit d’affection pour ce jeune homme ; et lorsque le premier, Lanthenas regagna la France, ce ne fut pas sans promesse réciproque de se revoir à Lyon qu’eut lieu la séparation.

Lanthenas revenait d’Italie tout transformé ; il n’avait eu qu’un goût médiocre pour le commerce, carrière où il avait été poussé, sans être consulté, par la volonté inflexible d’un père de l’ancien régime. La faiblesse de sa constitution qui ne se prêtait pas aux longs voyages et aux grandes fatigues, et plus encore ce qu’il avait vu et entendu, achevèrent de l’en détourner. Il revenait, souffrant, chargé de livres, d’estampes, avec une curiosité qu’il ne se connaissait encore pas et une inclination singulière pour les sciences naturelles. Prétextant son état de santé, il quitta ses patrons et il se mit à suivre avec assiduité les leçons de mathématiques et de physique de Charles-Joseph Devilliers, membre de l’académie des sciences de Lyon. Un riche banquier, ami des lettres, M. Nicolau de Montribloud[36] lui ménagea la connaissance particulière du savant. Ce dernier le reçut chez lui avec amitié ; et le dédommageant, en quelque sorte, de ce qu’il avait perdu en ne faisant pas sa philosophie, il lui rendit la science si aisée qu’il parut à Lanthenas, ainsi qu’il nous l’apprend, « impossible de ne pas aimer son maître autant que celui-ci savait rendre les sciences aimables et intéressantes ». Les conseils de Devilliers, joints à ceux de tous ses autres amis lyonnais, Roland, de retour d’Italie, en tête, contribuèrent beaucoup à pousser Lanthenas hors du commerce et à le tourner vers la médecine. D’un caractère timide, accoutumé à plier devant les volontés paternelles, il n’aurait sans doute jamais eu, à lui seul, le courage d’aborder une telle voie et surtout d’en faire part à son père dont il dépendait entièrement ; car il ne suffisait pas seulement d’obtenir de lui la permission d’embrasser cette nouvelle carrière, il fallait surtout l’assurance de conserver cette bien modeste pension de 800 livres, sans laquelle cette permission aurait été illusoire.

Lanthenas choisit Roland pour négociateur. Un voyage au Puy fut arrêté. Roland, en effet, avait déjà une certaine notoriété et tout faisait espérer qu’il réussirait dans cette tâche difficile. Les deux amis partirent donc pour le Puy dans les premiers jours d’octobre 1778 et vinrent débarquer au Collet, ce pittoresque ermitage que les Lanthenas possédaient depuis plusieurs siècles aux portes de la ville[37].

Roland avait noté toutes les impressions de son grand voyage dans une série de lettres qu’il avait adressées à celle qui devait être sa femme, à Mlle Phlipon. Il lui envoya également la description de son voyage[38]. Ce qui donne quelque intérêt à ce récit assez écourté, du reste, c’est que Roland puisa dans cette excursion des connaissances positives sur l’importance de notre commerce local de dentelles et sur la fabrication de ces élégants tissus, connaissance qu’il devait utiliser dans le Dictionnaire des manufactures et métiers qu’il publia, en 1785, dans l’Encyclopédie méthodique (t. I, p. 243, 244).

Après avoir visité tour à tour Givors, Saint-Chamond, Saint-Étienne, les deux amis abordèrent enfin le Velay à Monistrol.

Mais cédons la parole à Roland :

« Monistrol, autre petite ville à cinq lieues de Saint-Étienne, plus encore dans les montagnes, sur une hauteur d’où l’on voit une grande étendue de la Loire, est la première du Velay. La maison de campagne de l’évêque y est située. On y fait, d’ailleurs, beaucoup de blondes et de dentelles, dont le grand commerce et les principales fabriques sont au Puy. Les humains, ainsi que dans tous ces environs, y paraissent de bonnes gens, serviables, pourvu qu’on se montre sans fierté.

L’Étoile d’or est une bonne auberge. Avant d’arriver à Monistrol, on passe la Sumène, petite rivière qui sépare le Forez du Velay et dont les rives sont abondantes en pâturages.

De Monistrol au Puy, on passe à l’embouchure, dans la Loire, du Lignon, chanté par nos anciens poètes[39] : il s’en faut que ses rivages soient charmants dans cette partie où

Amore e studio
Beata un tempo ; or’infelice, e vile.

On ne voit que des rochers, souvent nus, et non moins escarpés. Il est plus poissonneux qu’aucune des petites rivières des environs.

Le saumon remonte jusques près d’ici, dans la Loire, où on l’arrête par des digues[40] et des filets. Ce fleuve n’est navigable qu’à cinq lieues au-dessous de Saint-Rambert où l’on embarque le charbon et les vins du canton et où se fabriquent les bateaux qui descendent à Briare, Orléans, Paris, etc., plus grands et plus légers que ceux employés à la navigation du Rhône ; aussi en remonte-t-il rarement, si ce n’est peut-être pour voiturer les sucres à Orléans et répandre le poisson salé dans toutes les parties de la France, entre Nantes et Roanne.

Le pays est un peu aride ; les récoltes sont tardives, le principal revenu est en bétail, moutons, cochons et bœufs ; quelques élèves de chevaux qui deviennent vigoureux pour la selle.

Les moutons se vendent en mai, avant ou après la tonte, aux gens de la montagne qui engraissent jusqu’en septembre, que les bouchers les vont acheter chez eux, ou qu’on les tonde : on carde la laine, on la file, on y fabrique des étoffes pour s’habiller.

Un mouton rend 50 fr.[41], prix commun aux gens du pays de culture, non compris l’engrais, qui est un objet essentiel. On trouve aussi de grandes ressources dans l’éducation des autres bestiaux, des cochons et des veaux principalement. La montagne fait des élèves en tout genre ; c’est son commerce capital : On y nourrit et engraisse les cochons avec de l’avoine et des pommes de terres, dont mangent beaucoup aussi les hommes[42]. On y fait beaucoup de beurre et de fromage, cette dernière denrée se vend en gros dans les foires du pays, et s’exporte au loin. On mène les bœufs en état de servir dans le pays de culture, d’où l’on ramène les veaux pour les engraisser. On tue sur les lieux tout ce qu’on consomme ; chaque particulier, à tour de rôle, partage et s’arrange avec ses voisins : on ne mange que du pain de seigle, mais aussi blanc et aussi bon que celui de froment ; les eaux y sont légères, l’air y est excellent ; il y a peu de fruits. Le pin et le frêne dominent parmi les arbres et l’on ne voit point de vignes depuis Saint-Chamond jusqu’aux environs du Puy.

Yssingeaux est encore sur cette route, à trois lieues de Monistrol et quatre du Puy : lieues comme les précédentes dont une en vaut deux de Paris. Il s’y fabrique également des blondes en quantité, pour le compte des marchands du Puy.

Aux approches de cette capitale, on traverse la Loire sur un long et beau pont neuf qui indique le projet d’y faire passer une grande route. Là, s’ouvre un vaste bassin, dont le bas en prairies ou terres en bonne culture, et les coteaux couverts de vignes, d’arbres fruitiers, de maisons de plaisance et autres, annoncent un pays où l’argent circule et donnent des points de vue agréables.

La ville, cachée de ce côté par un monticule, ne se découvre que lorsqu’on y entre : elle est bâtie comme d’autres petites villes du fond de la province, et très en pente, mais peuplée d’environ vingt-cinq mille âmes[43].

Son commerce est tout en blondes et en dentelles communes, branche sur laquelle la première s’élève tous les jours d’une manière triomphante. Les soies se tirent de Lyon et sont connues sous le nom de grenades et grenadines : il y en a du pays et du Piémont, ces dernières coûtent le moins.

Le Puy, déjà riche, le deviendra davantage par les routes qu’on y coupe : déjà le transport des sels pour l’Auvergne se fait par cette voie et beaucoup de voituriers la préfèrent à d’autres.

Les fonds des environs de la ville sont très chers ; ils abondent en légumes, parmi lesquels les lentilles sont fort renommées. On y récolte un petit vin blanc mousseux, qui voudrait singer le champagne ; le rouge y est bien médiocre.

Il était foire au Puy, le jour que j’y suis arrivé : les bestiaux et beaucoup de cuirs verts en formaient le principal objet. Le champ de foire, belle prairie devant la ville, appartient à la commune, après que l’évêque en a récolté la première herbe[44].

Après, en avant les rochers de Corneille et de Saint-Michel, le premier appuyant la cathédrale et la ville d’un côté, l’autre, absolument isolé, très escarpé, et tous les deux fort élevés, il faut voir la cathédrale, l’édifice le plus et le seul remarquable, célèbre par sa fondation, sa construction et sa noire Madone, qui, de même que le Christ de Saint-Paul, à Rome, fait des miracles assaissimo. Je viens, pour notre édification commune, de me procurer le recueil de ces merveilles, fait par un hermite et approuvé de plusieurs docteurs, intitulé : Histoire de l’église angélique de N.-D. du Puy[45].

On y arrive par une montée fort rapide, d’un très grand nombre de marches, et l’on entre par le milieu même de la nef, comme par un escalier de cave dont la trappe aboutit au milieu d’une chambre.

Elle a aussi des portes latérales vers le haut, ce qui fait dire qu’on y entre par le ventre et qu’on en sort par les oreilles. Il est facile de juger du goût du monument, d’après cet échantillon. Entre autres choses curieuses, on y trouve des peintures très grotesques ; telles les vices personnalisés, tourmentés par des diables d’une figure plaisante, principalement la Gola, etc., des figures d’hommes couverts d’armures, des figures de cheval et de cerf, sur lesquelles des contes, dont je pourrai vous entretenir ailleurs, si j’en trouve le moment. Le chapitre m’a paru nombreux, les chanoines portent l’aumusse à larges bandes de velours cramoisi.

Les fameux rochers dont j’ai parlé, plusieurs autres isolés dans la campagne et sur la route d’Yssingeaux, ceux des environs du château de Polignac, ceux du château même, sont tous volcanisés et la pouzzolane y est très commune.

Sur le résultat, ou plutôt sur le résidu des volcans de ces cantons, et sur quelques autres parties de l’histoire naturelle, vous verrez des choses très intéressantes dans les recherches de M. Faujas de Saint-Fond[46]. Il me resterait bien des regrets si j’avais eu plus de temps de m’en occuper.

Ce château que j’ai été visiter, à une lieue du Puy, sur un rocher élevé qui domine la campagne au loin, célèbre par les seigneurs ses maîtres, les sièges et les révolutions des guerres féodales, qui inondèrent la France après les Croisades, ce château n’est plus qu’un tas de ruines au milieu desquelles on cultive à peine quelques grains[47].

Retournés sur nos pas, nous sommes arrivés à Lyon par une autre route d’où l’on découvre la plus belle partie du Dauphiné, couronnée par ses montagnes et au delà encore par les Alpes. En approchant, on a, comme à vue d’oiseau, les travaux de Perrache et le plan de tous ses projets.

« Lyon, 20 octobre, 1778 ».



MICHEL BOYER
peintre né en velay


Le secrétaire perpétuel de l’Académie royale des arts de peinture et sculpture, Guérin, dans un volume assez rare, publié en 1715, consacré à la description des objets d’art exposés dans les appartements du Louvre accordés par le roi à cette Académie, nous apprend que Michel Boyer, peintre en architecture, était né au Puy en Velay.

Arnaud, notre sage et consciencieux historien, donne la même origine à ce peintre (t. II, pag. 235).

Cependant un écrivain spécial bien connu, mort malheureusement avant d’avoir mis la dernière main à ses travaux, E. Bellier de la Chavignerie, dans une note envoyée à ma sollicitation à l’Intermédiaire, journal des chercheurs et curieux (no du 20 décembre 1864), déclare que, « s’étant adressé au maire de la ville du Puy pour obtenir l’acte de baptême de Michel Boyer, ce magistrat l’a obligeamment informé que, de 1662 à 1672 (période durant laquelle naquit notre compatriote, puisqu’au moment de sa mort, arrivée en 1724, il était âgé d’environ 56 ans), il n’existait aux archives de l’état civil du Puy aucun acte de naissance aux prénom et nom de Michel Boyer. » C’est ce que j’ai pu également constater moi-même.

Toutefois, je n’en continuerai pas moins à regarder Boyer comme notre compatriote. S’il n’est pas né au Puy, il naquit dans les environs de cette ville ; et, plus tard, arrivé à Paris, il fit comme beaucoup de provinciaux de nos jours, qui, originaires, par exemple, de Brives ou de Vorey, localités peu connues de la contrée, se disent natifs de la capitale de leur province.

Ce nom de Boyer était et est encore très répandu dans nos quartiers et notamment au Puy. Au XVe siècle plusieurs orfèvres de ce nom exercèrent au Puy leur art avec succès. L’un d’entre eux, James Boyer, en décembre 1446, vendit au roi Charles VII « une grande tablete de dyamant, assise en un petit fermaillet d’or ». Le roi donna ce bijou, payé 2,062 livres, à Mme la duchesse de Bourbon (Chronique de Mathieu d’Escouchy, publiée par M. Fresne de Beaucourt ; Pièces justificatives, t. III, pag. 256. — Voy. également pag. 264).

Médicis et Burel, nos chroniqueurs, nous ont conservé le souvenir d’autres Boyer vivant au XVIe siècle.

Au XVIIe siècle, nous rencontrons d’autres Boyer exerçant, au Puy, une profession, disparue depuis longtemps de cette ville, celle de lapidaires. François Boyer, maître lapidaire, vivait en 1645. Jacques Boyer, également maître lapidaire, s’était marié avant 1634 à Gabrielle Layreloup.

Quelques années plus tard, nous trouvons Antoine et Jean Boyer, peintres du Puy, qui pourraient bien être les fils de l’un de ces lapidaires.

Jean Boyer est le seul qui soit un peu connu par le tableau qu’il avait exécuté en 1674 et qui orne encore le maître-autel de l’église paroissiale d’Aurec. Il était mort avant 1688, époque à laquelle son fils Jean, alors âgé de vingt-sept ans, épousa, à Monistrol-l’Évêque, Marguerite Jerphanion. D’après le relevé des registres de Saint-Jean-des-Fonts-baptismaux de la ville du Puy, de Anne Roche, il laissait :

1o Jean-Antoine Boyer, né le 23 juin 1656, baptisé le 9 décembre 1659 ;

2o Jeanne-Pierrette Boyer, née le 5 et baptisée le 6 juillet 1658. Par son testament du 30 août 1710, reçu Guillaume Faure, elle ordonna sa sépulture dans l’église des RR. PP. Cordeliers, au tombeau où est enterrée sa défunte mère, et reconnut pour héritière sa sœur Marguerite ;

3o Marguerite Boyer, baptisée le 9 janvier 1660. Elle épousa, par contrat du 24 janvier 1711, Claude Brun, procureur en la cour du sénéchal et siège présidial du Puy ;

4o Jean Boyer, baptisé le 3 décembre 1660, marié en 1688 à Marguerite Jerphanion ;

5o Antoine Boyer, baptisé le 30 septembre 1670 ;

6o Jeanne Boyer, baptisée le 18 mai 1673, morte le 7 septembre 1694.

Dans cette énumération ne figure pas, il est vrai, Michel, mais je n’en persiste pas moins à le regarder comme l’un des fils de Jean. S’il n’est pas né au Puy, il est né dans les environs, à Lavoulte peut-être, où son père aurait transporté momentanément son atelier. Entre les naissances de Jean et d’Antoine, il y a assez de marge pour la venue de plusieurs enfants.

Michel Boyer était donc fils d’un peintre, et cela explique sa vocation. En venant au monde, il avait trouvé, comme jouets, dans son berceau, des crayons et des pinceaux. Plus tard, lui furent donnés, dans sa famille, les premiers enseignements pour se servir de ces outils. Des années de son enfance, de son apprentissage, de ses voyages, que savons-nous ? Rien ou presque rien. Cependant d’après des documents qui ont jadis passé sous mes yeux et dont malheureusement je n’ai pas pris note, l’abbé de Polignac, depuis cardinal, aîné de Boyer de quelques années, aurait été son premier protecteur. Melchior de Polignac, dont il est inutile de rappeler le goût éclairé pour les arts, l’avait-il connu au Puy, l’avait-il rencontré ou entraîné à Rome lors de son premier voyage dans cette ville, en 1689, à la suite du cardinal de Bouillon ? ou bien, plus tard, le fit-il venir à Paris ? Ce sont autant de questions auxquelles je ne puis répondre faute de documents.

Nous ne retrouvons Michel que le 30 avril 1701, date de son entrée à l’Académie royale de peinture sur la présentation « d’un tableau de quatre pieds sur trois, représentant en perspective différents édifices bâtis en mer à la vénitienne avec quelques figures qui se promènent sur les bords » (Guérin, loc. cit., p. 115). C’est probablement le tableau de Boyer qui se voit à Trianon.

Trois ans plus tard, il exposa, au Salon, cinq tableaux d’architecture, sans autre désignation (Collection des livrets, etc., réimp. Guiffrey, salon de 1704).

La collection de l’Almanach royal nous fournit encore quelques dates.

En 1713, Boyer habitait au coin des rues Richelieu et des Petits-Champs. Il eut son logement au Louvre, en 1715, et, en 1716, il fut élu conseiller de l’Académie. Il mourut le 15 janvier 1724 et voici la notice que lui consacra le Mercure de France (janvier 1724) :

« Michel Boyer, peintre ordinaire du roi pour l’architecture et la perspective, pensionnaire de Sa Majesté, demeurant aux galeries du Louvre, conseiller de l’Académie royale de peinture et de sculpture, mourut à Paris, le 15 de ce mois, âgé de 56 ans, dans de grands sentiments de piété et de religion ; outre son rare talent, il était très bon et fidèle ami, ce qui le faisait estimer de tous ceux qui le connaissaient.

La pension de 600 livres qu’avait M. Boyer a été donnée à M. de Chavanes, fils d’un notaire de Paris, peintre du Roy, excellent paysagiste aux Gobelins. »

En terminant, je rappellerai que ces notes n’ont d’autre prétention que d’offrir quelques faits et quelques dates aux curieux de notre histoire locale ; aussi, comme dans les articles précédents, me suis-je attaché à les dégager de toute appréciation personnelle et de tout développement sortant du cadre étroit d’un simple renseignement. Cependant, en me relisant, je ne puis m’empêcher d’exprimer un vœu. Bien que Boyer ne soit pas un talent de premier ordre, il est, je crois — laissant ici de côté les temps modernes, — le seul peintre d’un vrai et réel talent, né en Velay, dont la renommée ait dépassé les limites de la province. Aucune de ses œuvres ne figure au Musée du Puy, tandis que plusieurs d’entre elles peut-être gisent ignorées sous la poussière des magasins de nos musées nationaux à Paris : ne conviendrait-il pas que le Conseil général, le Conseil municipal et la Société scientifique du Puy unissent leurs efforts pour solliciter de la direction des Beaux-Arts le don d’une des toiles de Boyer ? Elle deviendrait l’un des ornements les plus appréciés du Musée Crozatier.



LE MARÉCHAL DE CAMP DE LORMET


Jusqu’à ce jour, le maréchal de camp de Lormet, notre compatriote, connu parmi ses contemporains sous le nom de Catinat d’Auvergne, n’a pas été plus heureux que les deux poètes vellaviens dont j’ai parlé plus haut. Les biographies locales ont oublié et son nom et ses services. Avant de parler de lui, il est juste de commencer par dire un mot de sa famille.

Les Cheminades, de bonne et ancienne noblesse, sont sortis du diocèse de Mende. Jean de Cheminades, sieur de Lormet, fut le premier de cette race qui vint se fixer en Auvergne par son mariage, vers 1487, avec Catherine Aymar, fille de noble Jean Aymar, sieur de ce petit manoir d’Aubaron que l’on aperçoit, quelques minutes avant de pénétrer dans le tunnel de Fix, lorsque l’on se dirige de Brioude vers le Puy.

Ses fils et petits-fils s’allièrent à de vieilles maisons de nos contrées, aux Roquelaure, aux Vergezac du Thiolenc, aux Bertrand de Prades et de Pompéran, aux Lachassaigne de Sereys, etc.

Jacques de Cheminades, le cinquième descendant direct de Jean, servit avec distinction pendant plus de trente ans. Ce fut lui qui acheta, par acte du 11 décembre 1671, d’Amable de Méalet, seigneur baron de Fargues et de Roffiac dans la Haute-Auvergne, le château et fief de Courbières, près Allègre, que ce dernier avait lui-même acquis, il y avait à peine un an, de Louise de La Roque, veuve de noble Robert de Béraud, vivant seigneur de Courbières, et de Gabriel de Lentillac, chevalier, seigneur de Gimel, son gendre. À partir de cette époque, Courbières devint la résidence des Cheminades.

Claude-Dominique de Cheminades, petit-fils de Jacques, de son mariage avec Catherine de Lescure-Saint-Denis, laissa onze enfants dont cinq moururent en bas âge ou sans établissement. Les six autres furent : deux filles religieuses, dont l’une, Marie-Anne-Amable, après avoir fait profession aux Chazes, devint prieure de Vorey[48] ; quatre fils : un chanoine de Notre-Dame du Puy, Claude-Dominique-Germain de Cheminades ; un officier de marine tué dans un combat naval en 1759 ; un brigadier d’infanterie, de la formation du 1er mars 1780, le chevalier Jacques de Lormet, mort à Brioude le 8 mars de l’année suivante. Je passe rapidement, réservant toute la place dont je puis disposer ici, sans être trop indiscret, à l’aîné de la famille qui fait l’objet de cette note.

J’avais résumé, en quelques phrases plus ou moins cadencées, la vie du comte de Lormet ; mais en réfléchissant qu’après tout ce ne sont que des matériaux que je livre à ceux qui auront assez de loisirs et de persistance pour mener à bonne fin le livre d’or des illustrations du pays, je préfère publier tout simplement, sous forme de tableau, les états de service de ce brave officier. Dressées comme une colonne de livre de négoce, ces lignes bien sèches, mais précises, au bout de chacune desquelles se trouvent des chiffres — une date — seront aussi éloquentes que toutes les amplifications d’usage en pareil cas.

On y verra qu’entré au service à l’âge de 13 ans, de Lormet servit sans interruption pendant 39 ans, de 1740 à 1779, et que plus tard, retiré à Brioude et à Courbières, il fut encore appelé à rendre d’autres services ni sans grandeur ni sans mérite.

Louis-Philibert de Cheminades, comte de Lormet, seigneur de Courbières, né à Courbières, le 
23 novembre 1725
Entré au service en qualité d’enseigne au régiment d’Orléans-Infanterie 
3 mai 1740

Fait toutes les campagnes de guerre depuis 1741 jusqu’en 1748, assiste au siège de Prague, à la suite duquel il est fait lieutenant 
1742
Est blessé, au poste des Cinq-Étoiles, en Flandre, d’un coup de feu qui lui fracasse le poignet gauche et dont il reste estropié 
1er août 1746
Capitaine 
1747
Fait toutes les campagnes de la guerre qui a recommencé en 
1757 jusqu’en 1762
Reçoit, sur les bords du Meser, un autre coup de feu qui lui fait une forte contusion à la cuisse droite 
1757
Chevalier de Saint-Louis 
1757
Capitaine de grenadiers 
1760
Major en 
1764
Lieutenant-Colonel par brevet 
1766
Et titulaire du régiment de Chartres 
1768
Fait sa retraite en 
1779
Brigadier des armées 
1er mars 1780
Choisi par l’ordre de la noblesse de la sénéchaussée de Riom pour l’un des commissaires rédacteurs de ses cahiers, quelques jours plus tard, il est sur le point d’être nommé député aux États-Généraux, M. de Mascon ne l’emportant sur lui que de quelques voix 
mars 1789
Maréchal de camp par brevet du roi en qualité de commissaire chargé de la formation du département de la Haute-Loire en 
1790
Membre et président du Conseil général d’administration de ce département 
1790

Pendant la terreur, M. de Lormet fut incarcéré, avec sa femme, dans la maison de réclusion de Brioude. Il n’en sortit qu’après le 9 thermidor. Il se retira alors au château de Courbières où il mourut le 15 frimaire an XIII (6 décembre 1804).

De Marie-Magdelaine Talemandier, décédée avant lui, et qu’il avait épousée par contrat du 17 février 1765, il ne laissait point d’enfants.



STATUTS
de la
COMMUNAUTÉ DES CHAUDRONNIERS DU PUY
(1623)


Sans avoir autant d’habileté que les chaudronniers d’Italie, qui, pendant longtemps, possédèrent seuls la spécialité de poser la pièce sans clous, les chaudronniers de la Haute-Auvergne jouissaient jadis d’une certaine réputation qui s’étendait même hors de leur pays. La plupart de ces industriels auvergnats, habitués à vivre de peu et très modérés dans leurs prix, se contentaient généralement d’exploiter les villages où ils vendaient quelques chaudrons neufs, et où surtout ils réparaient les vieilles batteries de cuivre et les ustensiles endommagés par un long usage. Ils fondaient encore des cuillères, des tasses et autres menues vaisselles d’étain, dont les moules faisaient partie de leur modeste outillage. Courant la campagne, leur petite boutique et leur bagage sur le dos, d’habitude ils avertissaient les populations de leur arrivée en modulant sur un sifflet à l’antique ou flûte de Pan, une ritournelle bien connue de toutes les ménagères.

Dans nos campagnes, l’on croyait que leur présence attirait la pluie. Par suite de ce singulier préjugé, dont on ne pourrait expliquer l’origine, nos peyrolliers étaient souvent menacés d’être reçus à coup de balai. Sans s’alarmer de cette peu riante perspective, bravement ils installaient, en plein air, à la porte du four banal, ce lieu consacré des réunions villageoises, leur atelier primitif. Durant ces préliminaires, la vue des chaudrons bossués et troués calmait les bonnes femmes qui s’empressaient de mettre leurs balais derrière la porte et d’aller porter leurs vaisselles hors d’usage à l’homme au sifflet. Des plus endommagées, ils savaient artistement boucher les trous. La paix était faite jusqu’au prochain voyage.

D’autres auvergnats, plus ambitieux, plus industrieux et plus riches, possédaient des chevaux de somme ou des mulets chargés de grands paniers d’osier remplis de belles marchandises neuves, telles que : chaudrons, marmites, coquemars, poêlons, bassins, fontaines, chaufferettes, bassinoires, etc., etc., en cuivre jaune et en cuivre rouge. Ces derniers ustensiles, désignés dans les vieux inventaires sous le nom « d’échauffe-lit », présentaient ordinairement une ornementation dont la variété des motifs faisait honneur à l’invention des chaudronniers auvergnats. Les couvercles, ajourés simplement, ou travaillés au repoussé, étaient décorés de corbeilles de fleurs, de fruits, de têtes d’hommes, de médaillons, d’animaux emblématiques, d’armoiries et d’une infinité d’arabesques et de dessins fort divertissants ; aussi, de nos jours ces vieilles bassinoires sont-elles recherchées avec passion par certains amateurs qui ne reculent pas devant l’originalité d’une telle collection[49].

Comme les simples raccommodeurs-étameurs dont nous venons de parler, ces chaudronniers s’annonçaient aussi avec un sifflet ; mais ils ne se contentaient pas de parcourir les villages, ils cherchaient principalement à exploiter les centres les plus populeux, même ceux qui possédaient des chaudronniers en boutique. À Paris et dans les autres villes du royaume, où le métier était formé en corps de jurande, les maîtres, jaloux de leurs privilèges, étaient parvenus à faire interdire aux chaudronniers ambulants de siffler et de raccommoder les ouvrages de chaudronnerie dans l’intérieur de ces cités. Ceux d’entre eux qui vendaient du neuf étaient traités comme marchands forains. Ils ne pouvaient étaler leurs marchandises que les jours de foires et de marchés, sous l’acquittement de certains droits.

Le Puy, ville fort industrieuse, compta certainement de tout temps de très nombreux chaudronniers. Ils durent même, très anciennement, être organisés en corps de métier. Dans une fête qui eut lieu au Puy en juillet 1530, on voit, au milieu des autres communautés ouvrières, marcher les peyrolliers, enseigne de taffetas jaune et gris en tête, sous la conduite de leurs bailles : Antoine Bodet et Jehan de la Johanya[50]. Cette communauté laissa-t-elle, durant les troubles du XVIe siècle, tomber en désuétude ses statuts ? Nul document n’est venu nous l’apprendre ; mais, au commencement du siècle suivant, les chaudronniers du Puy, pour parer à la rude concurrence que venaient leur faire jusque dans l’enceinte de la ville les chaudronniers au sifflet de l’Auvergne, se virent dans la nécessité de reconstituer leur communauté et de renouveler leurs statuts. Ces statuts sont inédits, je crois, et ils présentent quelque intérêt pour l’histoire de l’industrie locale ; c’est ce qui m’engage à les publier. À un autre titre, ce document est encore curieux. Parmi ses signataires figurent trois membres de la famille François, et je crois pouvoir rappeler que c’est à cette famille qu’appartiennent deux personnages dont l’importance peut être bien diversement appréciée ; Guy François, le peintre bien connu, et Claude François, cet enfant de chœur de la cathédrale du Puy, que son talent de chanteur mit dans les bonnes grâces de Marguerite de Valois, alors retirée à Usson, et qui, plus tard, enrichi et annobli par cette reine sans couronne, mourut seigneur des Grèzes, près Brioude.

« Du mercredi huictiesme jour du mois d’apvril 1693, pardevant M. de Fillere, juge mage, premier président,

S’est présenté Mes Charles Morel, procureur pour Louis Fornier, et Gabriel Jean, bailles et gardes des maîtres chauderoniers de la presente ville, tant pour eux que pour les autres chauderoniers dudict Puy, pour la validité de leurs estatuts du 26 février 1623, et pour obvier aux fraudes et malversations qui se peuvent arriver en la fabrique et débit des marchandises de leur art et mestier de chauderonier, a requict la publication et enregistrement de leurs dicts estatuts pour le contenu d’iceux estre gardé et observé suivant leur forme et teneur et aux peines y portées.

M. Sahuc, avocat du Roi pour le procureur du Roi, n’empêche la publication et enregistrement desdicts estatuts pour tout le contenu d’iceux estre gardé et observé aux peines y portées.

« Sahuc, pr avocat du Roy. »

Monsieur, suivant la réquisition de Morel, procureur desdicts Fornier et Jean, bailles et gardes des maîtres chauderoniers de cette ville, et consentement presté par M. Sahuc, avocat du Roy pour le procureur du Roy, a ordonné que lesdicts estatuts seront enregistrés ès actes et registres de cette cour pour servir et valoir à ce que de raison et teneur, et le tout estre gardé suivant sa forme, lesquels sont de teneur comme s’ensuit :

Articles des estatuts.

L’an mil six cens vingt trois, et le dimanche 26 du mois de février, pardevant moi notaire royal, du nombre de trente réduit dans la ville du Puy, soubsigné et tesmoins bas nommés, dans le grand réfectoire des Carmes, y estans assemblés sieur Armand François, vieux, Jacques-Claude et Armand François jeune, Jean et Estienne de la Junye, frères, sieur Jean Jamon, marchand mercier, beau-fils de Me Pierre de la Junye, maître chauderonier d’icelle présente ville et au nom d’iceluy de la Junye, tous maîtres chauderoniers, habitants de la présente ville du Puy, lesquels s’estans assemblés pour revoir entre eux les articles qu’ils avaient préparés pour le reglement de leur mestier, en l’assemblée qui fust faicte en l’année mil six cens unze, suivant la permission à eux donnée par Messieurs les officiers de la cour commune de la présente ville, ont agrée et passé entre eux les articles pour les statuts et reglement en leur mestier comme s’ensuit :

Premièrement, que doresnavant sera faicte leur confrairie en l’église du dévot couvent Nostre-Dame des Carmes et la grand’messe y célébrée le jour et feste Mr Saint Eloy, et la procession faicte à l’entour du cloistre, et en temps qu’il y auroit de l’empêchement ce jour là, pour faire le divin service, sera renvoyé au dimanche ensuivant et pour icelluy sera fourni le luminaire necessaire. Comme aussi pour l’enterrement quand quelcun des maîtres chauderoniers, ou leurs femmes, décèderont, sera baillé quatre cierges avec les escussons que seront faits, tant pour le divin service que pour accompagner le corps.

Et outre, sera dit et célébré une messe basse au grand autel du couvent, chacun premier dimanche les mois de l’année, où lesdicts maîtres seront tenus adsister ou y auroit legitime empêchement et autre messe basse le dimanche de Saint-André que ont célèbre avec feste Saint-Eloy.

Que quand lesdicts maîtres ou l’un d’eux auraient prins quelque apprentif, iceluy apprentif sera tenu dans ung mois apprès son entrée payer dix livres cire que sera employée au service divin.

Si quelcun dudict estat de chauderonier veut venir rester en cette ville, sera tenu de faire un chef-d’œuvre, et outre ce payer la somme de trente livres, qui sera employée audict service divin, avant pouvoir travailler et lever boutique. Ce qui n’aura point lieu pour les enfants des maîtres que seront libres et entièrement quittes et exempts de cela.

Et d’autant que plusieurs estrangiers viennent en cette ville du Puy les jours de foires et apportent des chauderons et autres marchandises de l’estat de chauderoniers, qu’il sera faict vérification si ladite marchandise est de la qualité requise, bonne, valable et marchande ; et tout ce qui se trouvera avoir fraude sera permis auxdicts maîtres chauderoniers la faire saisir et mettre entre les mains de la justice pour estre, ceux qui les exposeront en vente, punis comme ce fait le requiert.

Neanmoings, attendu aussi que cesdicts estrangiers, puis peu de temps en ça, entreprenent ordinairement de venir en ceste ville vendre pourtant parmi les rues de la marchandise contrefaicte, ce qu’est au préjudice du publicq et des susdicts chauderoniers qui font leur actuelle résidence en ladicte ville et y supportent les charges, Messieurs les officiers de la cour commune seront priés d’ordonner qu’il leur sera faict inhibitions et défenses de venir pour débiter auculne marchandise neufve par les rues de la présente ville ni ailleurs dans icelle, hors les jours de foires, rière foires et veilles d’icelles, et ordonner qu’au cas de contravention sera permis auxdicts maîtres de faire saisir leurs marchandises pour y estre après faict et ordonné comme sera advisé par lesdicts officiers.

Et, afin que ledict ordre et reglement soit mieux gardé et observé, et que quelcun en aye soin plus particulièrement, sera faict et nommé chacun an un baille qui en aura la charge pour en repondre et en donner raisons audict mestier. Et tout ainsin que dessus contenu chacun des susdicts nommés l’ont promis et juré par serment par eux prété sur les saincts évangiles et soubs soummission de leurs biens aux rigueurs des cours de sénéchaussée, conventions, bailliage et cour commune du Puy. Dequoi ont voulu estre faict et reçu par moi notaire royal soussigné.

Acte et instrument faict et stipulé, conclu et délibéré dans le réfectoire des Carmes, présents : sire André Barthélémy, marchand bourgeois, et Jean de la Junye, maître cordonnier, André Lashermes, tanneur, Artaut Faure, clerc, habitants du Puy, soussignés avec lesdicts Armand et Claude François, ensemble ledict Jean de la Junye, Jamon et lesdicts Estienne de la Junye et Jacques François n’ont sceu signer et le notaire royal soussigné recevant. J. Le Blanc. — Expédié lesdictes présentes auxdicts maîtres chauderoniers ce requérant duement colationées.

J’ai reçu copie ce 4 mars 1623. Bonnot. — J’ai rendu copie ce 4 mars 1623. Bonnot syndic.

N’empechons l’autorisation desdicts articles. Brunel, procureur du Roy.

Le syndic de la ville du Puy n’empêche l’autorisation des susdicts articles, sauf que pour interrompre le négoce dans ladicte ville et remedier aux abus que se pourraient commettre à la verification pour le sixiesme article que la marchandise dudict mestier, portée en ceste ville les jours de foire, ne soit subjecte à aucune vérification. — Ce 6 mars 1623. Bonnot, syndic.

Duquel enregistrement mond-sieur a octroyé acte.

« Fillere, président et juge-mage. »

Archives départementales. — Registre des insinuations, B. 33.



JEAN CHASSANION


Jean Chassanion, très connu dans l’histoire du protestantisme sous le nom de La Chame et plus encore de La Chasse, né à Monistrol-l’Évêque, dans la première moitié du XVIe siècle, fut l’un des plus actifs propagateurs et l’un des écrivains les plus féconds de la Réforme. Et cependant c’est à peine si la bibliothèque publique de la ville du Puy possède l’un de ses écrits ; l’Histoire des Albigeois (Genève, 1595, in-8o), le plus coûteux, sans doute, à cause de son titre, et cependant celui qui passe le plus souvent dans les ventes, par exemple à celle du célèbre bibliophile lyonnais Coste, où un exemplaire en maroquin rouge fut adjugé au prix de 39 fr. 50 c., chiffre que nos amateurs ponots actuels doubleraient sans hésitation, tant ils sont devenus ardents au pourchas des livres bons et curieux. C’est que les œuvres de notre compatriote ayant été, toutes ou presque toutes, imprimées en Allemagne ou en Suisse, ne se rencontrent pas communément en France.

Chassanion, d’après la France protestante des frères Haag, aurait débuté à Meaux, en 1556, dans la propagande de la religion réformée ; mais bientôt forcé de quitter cette ville, il vint s’établir dans nos provinces méridionales. Ce fut à Montpellier qu’il prêcha secrètement d’abord, puis bientôt plus ouvertement, car Chassanion ne reculait devant aucun danger. Mal lui en prit, car la police intervint et Chassanion fut obligé de s’enfuir à Genève. La jeunesse de Montpellier, séduite par sa parole persuasive et entraînante, ne tarda pas à le rappeler. En mai 1560, « il prêcha et enseigna occultement par la crainte de la justice, mais le nombre de ceux qui croyaient à sa doctrine, tant de la ville que des environs, ayant augmenté considérablement, les partisans de Chassanion commencèrent à se montrer et le firent prêcher et administrer les sacrements de jour et publiquement ». L’Évêque et les chanoines, redoutant une sédition, se retirèrent dans la cathédrale de Saint-Pierre, sous la protection d’une garnison qu’ils y mirent. Bientôt, le lieutenant-général du roi, en Languedoc, arriva avec deux compagnies de cavalerie pour remettre tout dans l’ordre. Les protestants cessèrent momentanément leurs exercices, (Mis d’Aubais, Pièces fugitives, tom, I. 2e partie, Histoire de la guerre civile en Languedoc, pag. 2, 3.)

Ils recommencèrent au carême de 1561, et avec tant de succès, que vers la fin de l’année 1562, leur nombre s’était tellement accru, que Chassanion et Formy, son collègue, ne pouvant plus suffire à leur tâche, demandèrent à Genève deux nouveaux pasteurs. Voici la lettre qu’ils écrivirent à cet effet aux ministres de l’Église genevoise, lettre que j’ai copiée dans une intéressante réunion de documents manuscrits sur l’histoire de la Réformation en France, conservée dans la bibliothèque de Genève (197aa cart. II) :

« Très chers Seigneurs et Pères, nous avons eu notre part des afflictions communes de cette guerre tant cruelle jusqu’à présent ; mais le Seigneur notre Dieu a tellement tempéré le tout que nos ennemys n’ont point eu grand avantage et il nous a donné des victoires, si notables en ces cartiers, qu’elles nous sont autant de miracles devant nos yeux pour nous conserver en la fiance que nous devons toujours avoir de luy. Ce bon Dieu nous donne aujourd’huy le relasche de rassembler ce qui a esté abbattu par les adversaires, de poursuivre à réformer ce qui reste en cette œuvre ; mais, pour ce que nous ne sommes icy que deux, ne pouvant suffire à une telle charge, vous supplions au nom de Dieu, suyvant la réquisition de nos Srs consuls, nous ayder sur la promesse faite de monsieur d’Anduze, et aussi nous ordonner deux compaignons, tels que votre prudence jugera estre propres pour nous soulager encore en cette Église : chose qui reviendra au grand profit et accroissement de toute l’Église de Dieu en cette province, qui nous fait redoubler la supplication après nous estre recommandés à vos bonnes grâces et sainctes prières et prie le Seigneur,

Messires et très honorés Pères, vous conduire tousiours par son esprit et vous maintenir en bonne prospérité. Amen.

De Montpelier, ce 29 janvier 1563.

Vos humbles frères et serviteurs,
J. Chassaignon,
Formy. »

Une autre lettre, adressée le 8 juin suivant, de Chalencon en Vivarais, aux mêmes ministres de Genève, par le capitaine J. de Chambaud, les consuls et principaux habitants de cette communauté, nous apprend que Chassanion jouissait, auprès des religionnaires, d’une grande influence. Ç’avait été sur son avis que le Ministre, envoyé l’année précédente à Chalencon, avait été « mys en un autre lieu près Villeneufve de Berg. » Il n’avait pas autant de crédit dans son propre pays, car la même lettre constate qu’il « n’y avoit encore aucun ministre dans le Velay. » (M. de Genève, id.) Ce n’est pas que le parti religionnaire n’y comptât des adhérents. Grâce très probablement à Chassanion, il y avait même fait une importante conquête dans la personne de Claude de Polignac, fils de François-Armand de Polignac et de Anne de Beaufort, sa première femme. Chabron, l’historien domestique de la maison de Polignac, nous fait connaître, en détail, les tristesses de l’existence de ce malheureux jeune homme que la seconde femme du vicomte, Philiberte de Clermont-Tallard, voulait faire exhéréder par son père au profit de ses propres enfants, sous le prétexte « que Claude était un peu mal fait de sa personne, ayant le col un peu tord. » Pour complaire à sa femme, le vicomte s’efforça, bien que Claude n’en eut la vocation, « de le rendre homme d’église ». Après l’avoir retiré de Paris où il se conduisait mal, le vicomte l’envoya continuer ses études à l’Université de Valence. « C’était, ajoute Chabron, le faire tomber de fièvre en chaud mal, et de fait, il trouva dans cette Université, non-seulement autant de compagnons débauchés qu’à celle de Paris, mais ce qui fut le pire, des débauchés de religion qui, au lieu de le porter à prendre bréviaire et se faire ecclésiastique, le rendirent tout-à-fait religionnaire, luy firent prendre l’épée et le menèrent à Montpellier pour le rendre chef des religionnaires. » Ce fut probablement au commencement de 1561 que Claude se rendit à Montpellier. Il y était conduit par l’un de ses vassaux, religionnaire convaincu, François de Chambaud, seigneur de Vacherolles en Velay. Il avait pris un tel empire sur l’esprit du jeune vicomte que ce dernier ne faisait rien que par son avis et conseil. Introduit dans les conciliabules des huguenots, la parole ardente de Chassanion acheva d’entraîner Claude de Polignac dans sa révolte. On en sait les terribles conséquences.

Chassanion dut s’éloigner de Montpellier vers la fin de l’année 1563 ou au commencement de 1564, et l’on perd sa trace jusqu’en juillet 1576, époque à laquelle les réformés de Metz qui avaient fait « bastir promptement un temple au milieu de la ville » adjoignirent à un ministre venu de Bâle « un autre nommé Jean de la Chasse, qui se faisait surnommer, dit Meurisse (Histoire de l’hérésie à Metz, pag. 395), par je ne scay quelle espèce de galenterie reformée, Chassanion ».

C’est le contraire qu’aurait dû dire cet historien, puisque Chassanion était le véritable nom de ce ministre.

Cependant, l’exercice du culte ayant été de nouveau interdit dans cette ville par Henri III, lorsque la guerre se ralluma, Chassanion se retira, vers 1582, à Montoy, village où les réformés Messins avaient leur temple[51].

L’on venait alors, à Metz, de condamner au feu, pour blasphèmes, un malheureux nommé « Noël Journet de Sézame, près d’Athigny en Retellois, homme graille et rousseau, âgé de 28 ans ».

Chassanion fit imprimer une « Réfutation des blasphèmes de cet abominable athéiste de peur qu’à cause qu’il avait été calviniste, on ne crût que les calvinistes n’eussent les mêmes sentiments que luy ». (Meurisse, loc. cit., pag. 408).

Voici le titre de cette publication d’après l’exemplaire de la bibliothèque de Grenoble :

La réfutation des erreurs estranges et blasphèmes horribles contre Dieu et l’escriture saincte : et les saincts prophetes et apôtres, d’un certain malheureux, qui pour telles impiétés a esté justement condamné à mourir et estre bruslé en la cité de Metz, le 29 de juin, l’an de nostre seigneur m.d.lxxxii.

Avec un avertissement en quelle manière on se doit appliquer à la lecture des escritures sainctes pour en bien user. Par Iean Chassanion, ministre de l’église reformée de Metz.

À Strasbourg, par Nicolas Wyriot, 1583, in-4, non chiffr.

Chassanion, vers ces temps, semble s’être moins livré à la prédication, pour s’adonner plus spécialement à la composition de nombreux traités de controverse religieuse et historique.

Déjà, en 1580, il avait fait imprimer, à Bâle[52], son traité De gigantibus, etc., in-8, réimprimé à Spire, en 1587, dans le même format. Ce livre fut suivi, en 1581, des Histoires mémorables des grans et merveilleux jugements et punitions de Dieu, etc. (Morges, in-8), ouvrage que Brunet dit avoir été traduit en anglais[53].

Après la réfutation des erreurs de Journet, vint, en 1586, la réimpression, à Genève, du livre précédent. Chassanion s’était alors réfugié à Heidelberg[54].

Neuf ans après cette réimpression, nous retrouvons Chassanion avec son Histoire des Albigeois, 1595[55]. Était-il resté tout ce temps sans écrire ? Ce n’est pas probable et c’est sans doute dans cet espace de temps qu’il publia le traité De monstris, signalé sans autre indication par le bibliographe allemand Jœcher.

Nous compléterons ces indications, que nous avons rendues d’autant plus sommaires que ces énumérations de livres n’ont d’intérêt que pour un nombre très restreint de lecteurs, en citant les deux dernières publications de notre auteur :

Loci aliquot communes, etc. Apud Jacobum Chouët, 1598, in-8, l’Excellent traité de la marchandise des prestres (Hanau, 1603, in-12), le seul des ouvrages de Chassanion, avec son traité De monstris, que nous n’ayons point vu.

Les frères Haag citent encore une Réponse au président du parlement touchant la célébration du mariage des protestants, qui est signée par les pasteurs : de Combles, Buffet et J. Chassanion[56].

Après de nombreuses pérégrinations à l’étranger, Chassanion reparut à Metz, où il recommença à prêcher le 15 février 1586. Il y mourut le 26 juin 1598. « Le dit jour M. de la Chasse, notre ancien pasteur, home docte et grand observateur de la discipline ecclésiastique, ayant longtemps esté tourmenté de goutes et autres maladies, Dieu l’ayant retiré à soy le jour de devant, fut ensepulturé au grant regret de toute l’église se complaignant de la mort d’un sy bon pasteur[57] ».



LES PIERRES PRÉCIEUSES DU RIOU-PEZOULIOU


L’historien de Notre-Dame du Puy, Odo de Gissey, a conservé le quatrain suivant que l’on lisait de son temps « en un vieil escriteau » de la cathédrale :

Lapides ut in Indiâ
Pretiosi in Vellaviâ,
Fluunt in abundantiâ,
Virtus quorum probata.

quatrain qu’il traduit naïvement ainsi :

Parmy le sol Velaunois
Brillent aussi bien qu’en l’Indois
À foison tes pierreries.
Ez monts, ès champs, ès prairies ;
Dont l’esclatante lueur
Faict preuve de leur valeur[58].

On pourrait peut-être taxer le versificateur anonyme et son traducteur de quelque exagération ; mais que ne doit-on pas pardonner aux poètes alors surtout qu’ils se contentent d’embellir la vérité ? Le sol du Velay renferme, en effet, une sorte de mine inépuisable de pierres fines, telles que : saphirs, grenats, péridots, etc., et de temps immémorial les gens de ce pays se sont livrés à leur recherche. Parmi les gisements les plus anciennement connus que l’on puisse citer, il faut placer, en première ligne, les sables du Riou-Pezouliou, ce ruisseau, presque toujours à sec, qui coule, non loin du Puy, au pied du volcan de Croustet. Nos orfèvres, si habiles, de Velay et de l’Auvergne ne pouvaient manquer d’utiliser ces richesses locales. Ils en ornaient les bijoux de leur fabrication, bijoux qui se répandaient un peu partout. Les inventaires des joyaux des rois, des princes, des grands personnages du moyen-âge et de la Renaissance témoignent, en effet, de l’emploi de nos gemmes. Le roi Charles VI, notamment, possédait quelques bijoux qui en étaient ornés[59].

Vers le commencement du XVIIe siècle plusieurs même de ces orfèvres se qualifiaient de « maîtres lapidaires ». Nous citerons : Pierre Blanc en 1601, et Guyot Delicques en 1626. Ne serait-on pas en droit d’affirmer, sans s’éloigner de la vérité, que ces artisans recherchaient nos pierres fines et les mettaient en état d’être montées ?

Cependant il faut bien le reconnaître, comme ces pierres, malgré ce qu’en dit le quatrain de N.-D., ne pouvaient se comparer par leur limpidité, par leur éclat avec celles de l’Orient, et qu’elles leur étaient de tout point inférieures, elles n’eurent jamais une grande valeur. Une dimension au-dessus de l’ordinaire les rendait pourtant parfois de bonne défaite, sans cependant leur donner cette valeur idéale des pierres de l’Orient avec lesquelles on voulait les comparer. En première ligne venait le saphir, cette pierre inestimable qui a, si l’on en croit le marchand orfèvre parisien, Robert de Berquem, le pouvoir de « concilier à celui qui la porte les bonnes grâces et la faveur de tout le monde ». Malgré ce privilège inappréciable, le saphir, dans sa perfection extrême, ne vaut que le quart d’un rubis du même poids. D’après le même connaisseur, le saphir du Puy « d’une grosse couleur tirant sur le vert » ne pouvait se comparer à celui de l’Orient « à la couleur bleu céleste, c’est-à-dire, d’un azur excellemment beau[60] ».

Un autre écrivain, également fort expert en ces matières, est encore plus explicite. D’après lui, le saphir du Puy « est fort léger, d’une couleur blanchâtre, mêlée de bleu, fort changeante et peu agréable à la vue ». Toute l’estime qu’on en peut faire est de mettre celui d’un carat à trois livres, tandis que le prix du carat du saphir oriental ou de l’œil-de-chat est de douze livres. Au-dessous d’un carat, il n’y a pas lieu d’employer le saphir du Puy[61] ».

À la vérité, quelques autres auteurs sont moins sévères pour nos saphirs indigènes. Mais ce ne sont plus des gens de pratique et d’expérience, connaissant le commerce des pierres fines, leur valeur vénale, les procédés de leur taille. Ils se bornent le plus souvent, à dire où on les trouve. C’est d’abord Laurent Catelan, le crédule historien « de la nature, chasse, vertus, propriétés et usages de la Lycorne[62] ». Il assure que le saphir du Puy a la beauté et la solidité de celui de l’île de Ceylan. Puis, c’est la célèbre baronne de Beausoleil qui, dans l’inventaire des richesses minérales de la France dressé par elle en 1640, rapporte qu’en Velay il existe une mine de saphir bleus et blancs très bons[63].

Quoi qu’il en soit de ce débat que nous ne pourrions trancher, le saphir du Puy est la seule pierre de nos contrées que l’on trouve, croyons-nous, mentionnée dans les inventaires.

Au second rang, nous trouvons le grenat. Cette pierre d’un rouge de vin, penchant tantôt sur le violet et tantôt sur l’orange, se tire de tout pays, la France comprise. Nos grenats désignés sous le nom de jargon, de jacinthe du Puy ou d’Auvergne, avaient, d’après Catelan, la lucidité de ceux du Levant, mais manquaient de solidité. Cependant simplement polis, ils furent assez fréquemment employés par nos orfèvres locaux à la décoration des croix, des roses et de cet ornement de cou connu sous le nom de Saint-Esprit, qui, après avoir été de mode dans le beau monde de toute la France, continua, presque jusqu’à nos jours, de jouir d’une grande vogue auprès des paysannes de l’Auvergne et du Velay. Mais plus souvent même, ils étaient remplacés par des verres colorés que leur prix plus modeste rendait accessible à tout le monde[64]. La valeur des grenats en tant que pierreries employées à l’ornementation des bijoux, ne fut jamais bien élevée ; et si ceux du Puy eurent jadis quelque célébrité, ils le durent à un autre emploi dont nous allons bientôt parler.

Venait en troisième ordre le péridot : d’après Pierre de Rosnel, qui, dit-il, « a creu qu’il n’y avait pas lieu de se mettre beaucoup en peine de faire la recherche de sa provenance », cette pierre, d’une couleur tirant sur le verdâtre, est très difficile à tailler et son usage est fort rare, à cause de sa dureté. « Son poliment, ajoute-il, est assez vif, mais néanmoins elle n’est estimée que lorsqu’elle surpasse le poids de huit à dix carats, et encore quoique extraordinairement grande elle ne vaut pas plus de trois à quatre livres le carat. Aussi entre marchands dit-on communément, que qui en a deux en a trop[65] ».

Mais, si nos pierres fines n’étaient pas en grande réputation auprès des joaillers ou même des riches connaisseurs, le commerce ne laissait pas encore de les rechercher. Les horlogers du pays de Vaud employaient les saphirs et les hyacinthes du Riou-Pezouliou pour décorer le centre du coq de leurs montres. Enfin mélangées toutes entre elles, même celles qui étaient petites comme des têtes d’épingle, nos gemmes étaient vendues, sous le nom générique de hyacinthes, de jargons, de fausses hyacinthes du Puy et d’Auvergue, aux droguistes et aux apothicaires[66]. Ceux-ci après les avoir broyées sur le porphyre, pour les réduire en poudre impalpable, en composaient un électuaire fort recherché sous le nom de confection d’hyacinthe, parce que le grenat en était la base et qu’il en avait la couleur. C’était un mélange, comme l’on en trouve tant dans les vieilles pharmacopées et où il entrait de tout un peu. Voici la liste des autres substances employées pour sa préparation : corail rouge, bol d’Arménie, terre sigillée, semence de citron, d’oseille, de pourprier, racines de dictame, tous les sautaux, myrrhe, grains de kermès, roses rouges, safran, râpures, os du cœur du cerf, corne de cerf brûlée, saphir, topaze, émeraude, perles fines, soie crue, feuilles d’or et d’argent, camphre, musc et ambre gris. La liste est longue et encore ne sommes-nous pas certain de n’avoir pas oublié quelque chose d’essentiel, tant l’imagination des apothicaires de ce bon vieux temps était fertile.

Cette préparation était souveraine pour les yeux, les fièvres et les contusions. Elle fortifiait le cœur, résistait au venin, excitait la joie, apaisait le mouvement convulsif, guérissait enfin une infinité de maux. Léméry, qui nous apprend tout cela, remarque fort doctement que toute la vertu de cet électuaire consiste en ce qu’étant alcaline elle adoucit et amortit les acides du corps[67]. Il aurait pu ajouter qu’une drogue plus simple et moins coûteuse aurait produit le même résultat ; mais Léméry, tout membre de l’Académie des sciences qu’il était, ne voulait pas se brouiller avec les apothicaires de son temps, gens irascibles et à la langue bien pendue. Au reste, il n’aurait converti personne. Ce fumeux électuaire, par son prix élevé, faisait bien mieux l’affaire de tous ceux qui pouvaient le payer ; mais son règne était sur le point de finir.

Le profit, que l’on pouvait tirer des pierres qui servaient à cette préparation, engageait les habitants d’Espaly à les rechercher. Plusieurs en faisaient une véritable industrie. Au moment où la médecine allait rejeter toutes ces préparations merveilleuses, un savant antiquaire, Pasumot, qui avait beaucoup voyagé dans l’Auvergne et le Velay, consacrait à nos chercheurs de pierres fines la note suivante peu connue, perdue qu’elle est dans le volumineux recueil du Journal de physique fondé par l’abbé Rozier[68].

« Manière dont on ramasse le grenat dans le ruisseau d’Espaly, près du Puy-en-Velay, par M. Pasumot.

Parmi les singularités de l’histoire naturelle des environs du Puy, le ruisseau d’Espaly mérite une attention particulière à cause de son sable dans lequel on ramasse du grenat. Ce ruisseau, qui reçoit son nom du village qu’il arrose, coule dans un vallon assez dégagé. Son cours n’a pas plus d’un bon quart de lieue. C’est moins un ruisseau qu’un torrent, dont la chute est assez rapide, et qui ne fournit de l’eau avec abondance que lors de la fonte des neiges ou à l’occasion des pluies ; ordinairement il y a très peu d’eau. Son lit est abondamment rempli de fragments plus ou moins gros de pierres volcanisées. Le sable est un débris de ces pierres mêlé de beaucoup de terre noire et brûlée. Jamais on ne soupçonnerait qu’il contînt du grenat, que quelques familles du village d’Espaly vont y chercher. Ils dégagent d’abord les pierres avec un pic, parce qu’elles sont trop ensablées ; avec un cueiller de fer, ils amassent le sable gros et petit, avec toute la terre qui y est mêlée ; ils examinent ce sable et le rejettent quand il leur paraît ne contenir que trop peu ou point de grenat ; quand il leur paraît qu’il en contient assez, ils en remplissent une petite auge d’environ quinze pouces de long sur dix de large, et dont les bords n’ont tout au plus que deux pouces et demi à trois pouces de hauteur ; alors ils lavent à l’eau du ruisseau qu’ils retiennent à cet effet ; ils en séparent ensuite toutes les pierres qu’ils rejettent, et après plusieurs lotions réitérées, le grenat reste au fond de l’auge mêlé avec un fer fondu, comminué en grains plus ou moins irréguliers et qui est très attirable à l’aimant ; ils mettent le tout dans un petit sac qu’ils emportent chez eux ; ils font ensuite le triage des grenats ; ils négligent tous les plus petits et séparent les plus gros pour les vendre à part, le plus qu’ils peuvent, selon leur grosseur et leur beauté. Le reste se vend au poids à raison de dix sols l’once à des Genevois qui viennent exprès les acheter. Les grenats les plus gros sont prismatiques et terminés par deux pyramides ; les autres sont tout roulés et ont perdu leur forme ; tous sont d’un rouge rose assez pâle. Outre le grenat, ce sable contient encore quelques cristaux d’améthistes et d’hyacinthe. Des circonstances particulières m’empêchèrent de remonter jusqu’à la source du ruisseau et d’examiner les deux pentes qui forment le vallon ; j’observai seulement que les hauteurs sont couronnées de matières volcanisées et on m’assura qu’on tirait de la pierre à chaux à mi-côte.

Jusqu’ici on nous a peu fait connaître les ruisseaux de France qui roulent des pierres précieuses. Il est à désirer que toutes les personnes qui les connaissent veuillent bien les indiquer. Les naturalistes pourraient faire des recherches en conséquence et nous enrichir des découvertes nouvelles, intéressantes et utiles. »



LES ORIGINES DE LA CHARTREUSE DE VILLENEUVE
près le puy (1626-1628)


La Chartreuse de Bonnefoy était située vers les limites du Velay et du Vivarais, au-dessous des hauts sommets du Mezenc et de l’Ambre, à une altitude de 1,400 mètres. Ces deux montagnes, par les neiges dont elles sont couvertes pendant près de huit mois de l’année, contribuent à augmenter encore l’âpreté de ce climat si rude que la rose n’y forme son bouton qu’au mois d’août et ne peut jamais, même à la meilleure exposition, s’y épanouir complètement[69].

L’homme lui-même se montrait presque aussi rude que le climat. Chargés d’impôts et de redevances seigneuriales, les habitants, obligés de vivre de privations journalières, étaient généralement sombres et mélancoliques, et leur sauvage énergie se faisait jour dans les terribles luttes qui se terminaient trop fréquemment dans le sang.

C’est sous ce climat et dans un tel lieu que les Chartreux posèrent, vers le milieu du XIIe siècle, leur retraite de prière. Successivement, suivant la prospérité et la fortune croissante du couvent, les constructions s’élevèrent et devinrent considérables ; mais l’emplacement qui avait été choisi était si mauvais, que les Chartreux ne purent jamais, malgré de coûteux efforts, garantir complètement leur maison des eaux pendantes de la montagne où elle était adossée.

Les Chartreux, sous les mains de puissants protecteurs, confiants d’ailleurs dans la ceinture de fortes murailles et de fossés profonds qui entouraient leur demeure, passèrent tranquilles les années troublées du moyen âge ; vivant autant en pasteurs qu’en religieux, ils étaient en paix avec les populations voisines qui se mouvaient plus à l’aise sous leur juridiction que sous le joug des seigneurs laïques, plus lourd à porter. Il fallait les idées nouvelles, qui éclatèrent au XVIe siècle, pour troubler cette paix profonde. Ces idées trouvèrent, dans le pays, des natures ardentes, exaltées, amies des luttes, et elles germèrent dans leurs âmes comme en un sol préparé à l’avance. Puisant un point d’appui et de résistance dans le Vivarais, protestant dès les premiers jours de la Réforme, et oubliant qu’en maintes circonstances il n’avait pas frappé en vain à la porte de la Chartreuse, le peuple du Mezenc se réveilla un matin en lutte avec les religieux de Bonnefoy.

Vers le mois d’août 1569, sur un signe du seigneur de Culant[70], qui commandait les protestants des Cévennes, une troupe de religionnaires, qui alla grossissant, en route, de tout ce qui voulait piller, s’empara, soit par ruse, soit par force, de la Chartreuse de Bonnefoy. Culant y laissa massacrer le prieur et trois religieux et commettre de grands désordres, et repartit après y avoir placé cinquante hommes, sous les ordres du capitaine Trialet. Le poste était important, car il ouvrait une porte sur le Velay. Aussi, aussitôt que la nouvelle fut parvenue au Puy, le sénéchal Pierre de Châteauneuf de Rochebonne et l’évêque Antoine de Senecterre s’empressèrent-ils de se mettre en campagne. Devant leurs forces imposantes « la garnison huguenote capitula ; mais, sans égard pour cette capitulation, les catholiques les firent passer par le fil de l’épée, n’épargnant que le capitaine Trialet[71] », sans doute parce qu’il était le seul à pouvoir payer rançon.

L’évêque et le sénéchal rendirent le couvent aux Chartreux ; mais à partir de ce jour, placés au milieu d’ennemis et d’amis qui ne valaient pas mieux, ils vécurent sans sécurité. Ils ne jouirent même point du calme qui succéda aux guerres de religion et de la ligue. Par une sorte de fatalité, Bonnefoy se trouvait sur le chemin que suivaient, par des intérêts divers, tous ceux qui guerroyaient encore dans le pays. Vers les premières années du XVIIe siècle « cette [maison de Bonnefoy] était devenue comme une prison, veu les grands dangers qui se trouvent des voleurs et vendeurs de chrestiens. Il ne se parle plus en ces montaignes de prendre des places, ny du bestail, mais bien de se vendre les uns aux autres, les huguenots vendent leurs confraires aux catholiques et semblablement iceux aux autres[72] ».

Les bâtiments tombaient en ruine ; n’avait-il pas fallu pourvoir à d’autres frais, ne serait-ce que la solde des hommes d’armes chargés de protéger les religieux et le nombreux bétail du couvent ? La population était devenue en grande partie huguenote. Pouvait-on même compter, comme autrefois, sur la fidélité des frères lais et des nombreux serviteurs ? Leur fréquentation constante avec les soldats pillards et débauchés qui fréquentaient ces parages, avec cette population inquiète et hostile, ne présentait-elle pas le plus grand danger au point de vue de la discipline et de la régularité monastique ? Tout se réunissait pour engager les Chartreux à quitter Bonnefoy et à aller chercher un climat plus hospitalier, un asile plus sûr. Le général de l’ordre, le R. P. Dom Bruno d’Affringues[73], effrayé pour ses religieux, non-seulement donnait les mains à ce transfert de la Chartreuse, mais le sollicitait.

Ce n’était pourtant pas sans difficulté que ce transfert pouvait avoir lieu. Dès 1623, les Chartreux, forts de la protection de Henri de Bourbon, prince de Condé, avaient acquis, aux faubourgs de la ville de Moulins, un emplacement convenable pour un monastère. À la demande du prince, qui avait payé la portion la plus considérable de cette acquisition, Louis XIII avait accordé aux Chartreux des lettres patentes transportant à un nouvel établissement tous les privilèges accordés à celui de Bonnefoy par les rois ses prédécesseurs ; mais dès que l’évêque de Viviers, L.-F. de la Baume de Suze eut connaissance de ce projet, il écrivit « au prieur et à ses religieux leur remontrant que transporter, dans un autre diocèse que celui de Viviers, le service divin, leurs biens et leur rentes sous le prétexte des persécutions et pillage des huguenots, ce serait méconnaître les volontés des fondateurs et des bienfaiteurs qui ne leur avaient donné ces grands biens que pour qu’ils fissent le service divin dans ce diocèse et non ailleurs, leur déclarant que, s’ils persistaient. il s’y opposerait formellement[74] ».

Pendant que se poursuivaient ces négociations, une autre combinaison se présenta aux Chartreux : c’était de transporter leur couvent aux portes du Puy. Ils pouvaient compter dans cette ville sur l’appui puissant de l’évêque Just de Serres et de son beau-frère Guillaume de Bertrand, juge-mage et lieutenant-général en la sénéchaussée du Puy. Pour engager encore plus avant le juge-mage dans leurs intérêts, les Chartreux lui vendirent le 18 novembre 1624, la terre et seigneurie du Mezenc[75]. Ce projet semblait marcher à souhait. Les habitants et l’évêque du Puy avaient offert à titre gracieux, à D. Bruno d’Affringues la maladrerie de Saint-Lazare de Brives[76] ; mais il échoua encore devant les résistances de l’évêque de Viviers.

Peut-être aussi les religieux comprirent-ils qu’il serait plus glorieux pour eux de braver l’orage et de rester au milieu de ces populations qu’il ne fallait pas désespérer de ramener à des sentiments meilleurs.

La Chartreuse de Bonnefoy demeura donc comme le boulevard du catholicisme dans le pays des Boutières ; mais au lieu de se déplacer, elle essaima de deux autres couvents ; celui de Villeneuve et celui de Moulins.

Le premier vit ses commencements dans le local de la maladrerie de Brives. Quelques années plus tard, la famille de Polignac ayant vendu aux Chartreux le château de Villeneuve, situé au confluent de la Loire et de la Borne, ils optèrent pour ce nouvel emplacement et s’y installèrent le 23 novembre 1695[77].

Les six lettres suivantes que nous publions se rapportent aux négociations entre D. Bruno d’Affringues et l’évêque Just de Serres. Elles font partie de la correspondance manuscrite de ce général de l’ordre des Chartreux, conservée maintenant à la bibliothèque de la ville de Grenoble[78].


No 387. — À Monsieur l’évêque du Puy.

« Nostre Dieu pardonne à ceux qui ont destourné le désir que j’avois de transférer la Chartreuse de Bonnefoy dans votre ville du Puy, tant pour la commodité du voisinage que pour la dévotion que je porte à la sainteté du lieu renommé et honoré de toute la chrétienté ; mais puisque l’affaire a passé autrement, je crois que Dieu l’a redressée pour sa plus grande gloire. J’ay veu M. Bertrand, prevost de votre église[79] et entendu le subject de son voyage lequel aussi vous a pleu de me marquer par la votre. Ce sont de fortes et charitables raisons que tous deux apportez pour me persuader d’accepter le lieu et la place que votre reverendissime seigneurie et les principaux des habitans de la ville du Puy, offrez gracieusement à notre ordre, pour y loger, de ses religieux et preferent à beaucoup d’autres, qui sont après d’obtenir ceste grace : laquelle je recognoy estre grande, et vous remercie très humblement et de toutes les forces de mon âme pour la charité et saincte affection qu’il vous plaist de montrer envers notre sainct ordre, vous assurant que l’obligation que j’en ressens est si grande qu’elle m’a mis dans l’impuissance de vous en pouvoir dignement remercier, et sera Dieu, que je prie vous en vouloir estre la digne recompense. Quant à l’acceptation de lad. place, je ne puis pour maintenant respondre autre chose, sinon que j’honore vos sainctes intentions et le sentiment honorable qu’il vous plaist d’avoir de notre religion, pour à quoy correspondre j’envoiroi au premier jour quelques pères pour voir led. lieu et vous donner toute la satisfaction que vous pouvez esperer de celui qui desirera en toutes occurences qu’il est de cœur et en vérité, monsieur, en votre revme et illme seigneurie, le très humble et très obéissant serviteur. »

« Ce 21 décembre 1626. »


No 388. — À Monsieur Bertrand, juge-mage de la ville du Puy, en Velay.

« Monsieur, j’ay veu fort volontiers M. le prevost de l’eglise cathédrale de Nostre Dame du Puy, votre frère, tant pour sa modestie et autres belles qualités que pour appartenir à une personne que j’honore beaucoup. J’ay entendu les puissantes raisons qu’il m’a advancées pour me faire accepter le lieu que M. l’evesque de lad. ville et les principaux d’icelle offrent gratuitement à l’ordre pour y loger nos religieux ; et parce que je sçay que vous avez la meilleure en l’entreprise de ce bon œuvre, je vous en remercie particulièrement, avec toute l’humilité et affection que je doibs à vos merites, et à la charité chretienne que vous avez tousjours démontrée au bien de notre ordre, de laquelle nous avons ressenti les effets si signalés qui m’obligent à en conserver une perpétuelle souvenance de recognoissance envers vous. Je vous la tesmoigneray en toutes les occurences que je cognoistray au bien de votre service. Quant à l’acceptation de cestre offre gracieuse, je m’en rends au rapport que vous en faira led, sieur prevost, vous assurant que je n’obmettrai rien de ce qui se pourra faire pour donner du contentement aux sainctes intentions de ceux qui procurent le bien et honneur de notre sainct ordre. Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir continuer l’honneur de votre bienveillance et vous assurer de la gratitude que j’en auray. En attendant les occasions de la montrer, je prie Dieu de vous donner, Monsieur, en une longue prospérité les bénédictions de sa grâce.

Votre bien humble et très affectionné serviteur.

« Ce 21 décembre 1626. »


No467. — À Monsieur le premier consul de la ville du Puy[80].

« Monsieur, je ne puis que vous [dire] que je demeure infiniment obligé avec tout cest ordre de l’affection que nous tesmoignez au glorieux sentiment que vous en avez qui est ung tesmoignage de votre piété que merite toute votre devote et entière ville à semblable devotion. Je rescris amplement à M. le revme [evesque] les causes et raisons du retardement de l’effect de vos désirs. Je m’assure que les trouverez tres justes et raisonnables et que, ainsi vous conserverez cette bonne volonté, à laquelle je desire de tout possible, de coopérer en toutes choses qui vous seront agréables.

Celui qui veust estre à jamais, Monsieur, le votre.

« Ce 5 mai 1627. »


No 468. — À Monsieur Bertrand, juge-mage.

« Monsieur, vous me pardonnerez, s’il vous plaist, si au milieu d’ung monde d’affaires qui m’accablent, je vous faict ceste response en peu de parolles. Je m’assure que votre bonté qui vous porte à ceste affection hereditaire envers cest ordre aura agreable les raisons que deduits à M. le revme [evesque] sur le delay de l’execution de vos desirs, et puisque nous aimez si tendrement, vous aurez agréable que nous ne facions rien en ce grand et important affaire qu’avec toutes les circonspections que nos constitutions veulent et nous commandent. Croies, je vous supplie, Monsieur, que je desire vous donner tout le contentement qu’il me sera possible et à tous ces messieurs vos patriotes, veu mesmes qu’il s’agit de chose qui est pour la plus grande gloire de Dieu que je prie, Monsieur, etc.

« Ce 5 mars 1627. »


No 469. — À Monsieur revme du Puy.

« Monsieur, c’est à mon très grand regret que je ne puis pour encore satisfaire au sainct desir que votre seigneurie reverendissime a que nous acceptions presentement le lieu qu’il vous plaist designer pour le logement de quelques personnes de cest ordre, et y pouvoir enfin dresser une maison entière. Le grand desir qu’il vous plaist de m’en tesmoigner est ce qui m’afflige le plus, puisque je ne puis vous y donner si promptement la satisfaction que je recognois vous debvoir pour tant de bien que vous voulez à cest ordre et le sentiment et estime que vous en faictes. Car le R. P. visiteur que nous avons envoyé vers votre seigneurie reverendissime pour prendre mieux vos intentions et recognoistre les choses pour y parvenir, estant envoyé par notre chapitre general en la province du royaulme de Naples et en Calabre, il est necessaire que le visiteur moderne s’instruise en cest affaire ; et comme il vous plaist, Monsieur, nous tesmoigner tant d’affection, je vous supplie très humblement d’avoir à gré qu’en ung affaire de si grand importance nous suivions nos constitutions ordonnées en telles affaire. Je ne manqueray donc, Monsieur, au plustot d’envoyer, au R. P. visiteur de la province d’Aquitaine, ce que son predecesseur a veu et traité avec votre seigneurie reverendissime, pour après vous donner toute la satisfaction qui nous sera possible ; et bien que la grande affection qu’il vous plaist de nous tesmoigner en cest œuvre vous faira trouver toute la diligence qui se pourra apporter trop longue, vous considererez pourtant que les choses qui doibvent durer comme à perpetuité ne peuvent estre faictes avec trop de circonspection et considération ; et comme vous aimez et cherissez tendrement, je m’assure qu’approuverez ce petit retardement, puisque je n’ay rien plus en desir que de cooperer en tout mon possible à vos sainctes intentions comme estant, Monsieur, de votre seigneurie reverendissime, le très humble et très obeissant serviteur. »

« 5 may 1627. »


No 674. — À Monsieur l’evesque du Puy.

« Monsieur, j’ay receu les actes et contracts qui concernent l’affaire de Brives, et veu par nous même la peine et le zele que vous avez apporté pour disposer ceux qui y ont intérêt à ung heureux succès et conforme à vos sainctes intentions, et qu’aussi les RR. PP. commissaires m’ont rapporté avec beaucoup de louange de votre diligence et saincte affection qu’il vous plaist de montrer au bien de notre ordre, l’aiant préféré à tous ceux qui pretendaient d’obtenir ladite faveur ; de quoy je me ressens obligé fort estroitement, et nous aurons des actions de graces aussi humbles et aussi larges que l’estendue de mes affections peut concevoir. Quant à la rectification, je vous prie très humblement de trouver bon que je la differe jusques à ce que je seroi certain, par le moien desd. peres, de certains articles couchés ausd. contracts, et aussi que j’ai receu le consentement de Messieurs de la ville du Puy, et sur ce j’auroy soing de vous tesmoigner ma gratitude de par toutes sortes de services très humble et de demeurer à jamais de cœur, et, Monsieur, votre tres humble et très obéissant serviteur. »

« Ce 1er juillet 1628. »


Achept de la terre et seigneurie de Mezenc, pour noble Guillaume de Bertrand, sgr d’Ours, Pleyne, Chanteloube et autres places, conseiller du Roy, juge-Maige et lieutenant general en la sénéchaussée du Puy[81].

« Au nom de Dieu soict, et à tous presans et advenir chose notoire, que l’an, à l’incarnation nostre seigneur Jesus-Christ, mil six cens vingt quatre et le dix huictiesme jour du mois de novembre, après midy, au regne de très chrestien prince Louis, par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre, par devant moy, notaire royal de la ville du Puy soubssigné, et en presence des tesmoingts bas nommés, ont esté establis en leurs personnes reverends pères en Dieu Dom Anthoine de Bretanges, prieur du couvent des Chartreux du Port Sainte-Marie, et Dom Pierre Maignet, aussi prieur du couvent des Chartreux de Bonnefoy, procureurs spécialement fondés et ayant charge expresse pour la passation des présentes du reverendissime père en Dieu, Dom Bruno d’Affringues, très reverend père général dudict ordre des Chartreux, ainsin que du pouvoir à eulx donné ont faict aparoir par lettres missives du secrétaire de l’ordre, en datte des xje juing et xxiiie julhet dernier, lesquels, de leur gré pure et franche et libre volonté et audict nom de procureur susdict, ont vendu, quicté, ceddé, remis et transporté purement et à perpetuité et par tiltre de vente pure, perpetuelle et à jamais irrevocable, vendent, quictent, ceddent, remetent et transportent à noble Guilhaume de Bertrand, seigneur d’Ours, Pleyne, Chanteloube, et autres places, conseiller du Roy, juge maige et lieutenant general en la sénéchaussée du Puy, present, et pour soy, ses hoirs et successeurs à l’advenir, acceptant, scavoir est la toutelle terre et seigneurie du Mezenc, Bonnefont et le peage du Maulpas, estant ladicte terre et seigneurie en toute justice haulte, moyenne et basse, mixte, mère et impère, avec leurs servis, lods, milods, droicts et debvoirs de fiefs, rière fiefs et les domaines en dependans consistans en terre, bois, pasqueyrages et autres fonds et heritaiges et tout ce qu’a esté et comme il a esté acquis cy devant par Dom François de Lingendes, religieux et procureur dudict couvent de Bonnefoy, de messire Christofle de Charmazel l’Hermite de la Faye, seigneur de la Faye, Fressonnet, Mezenc et autres places, par contrat du cinquiesme decembre mil six cens dix sept ratiffié par autre contrat subsequant du vingt-cinquiesme d’octobre mil six cens dix huict receu par Me Plaignes notaire royal de Montbrison, et tout ainsin que ladicte terre et seigneurie s’estend et comporte et que, tant ledict seigneur de Charmazel ses predecesseurs, que après ladicte acquisition lesdicts sieurs religieux Chartreux dudict couvent de Bonnefoy l’ont jouye et possedée avec toutes ses appartenances et dépendances et comme si elles estoient icy especiffiées designées et confinées par le menu, sans aulcune chose s’y retenir, ny reserver que seulement la haulte justice des lieux et villaiges des Estables, Vacheresses, les Effruictz, Choumene, le Mas et les Esgaux qui sont du mandement et seigneurie desdictes Estables, avec les droits appartenans et depandans de ladicte haulte justice : laquelle haulte justice desdicts lieux et villaiges n’est comprinse en la présente vente, ains apartiendra audict couvent de Bonnefoy comme reservée et non comprinse comme dict est en la presante vente ; et tout le surplus du contenu au susdict contract d’acquisition, du cinquiesme decembre mil six cens dix sept, sera et appartiendra audict sieur juge maige acquereur. La presente vente faicte et passée par lesdicts sieurs vendeurs audict sieur acquereur pour et moyenant le prix et somme de douze mil deux cens quarante livres tournois qu’ils ont dict estre juste et raisonnable suivant la vraye valeur de la chose vendue et commune estimation d’icelle, en déduction duquel prix ledict sieur de Bertrand achepteur a payé reallement et contant la somme de huict mil deux cens quarante livres tournois ou escus sol, doublons d’Hespanie, pistolets, quatruples et doublons d’Italie, quarts d’escus, testons, pièces de dix sols et autres monnayes ayant cours au presant Royaume de France comptées et nombrées et par lesdict sieurs Dom de Bretanges et Dom Maignet, procureurs, et au nom que dessus receue et emboursée en presence de nousdict notaire et tesmoingts dont se sont contentés et en ont quicté et quictent ledict sieur acquereur et les siens à l’advenir avec promesse de ne leur en rien plus demander ; et les quatre mil livres restans pour parfaire l’entier prix de lad. vente led. sieur juge maige, acquereur, a promis et promect payer audict sieur de Bretanges, prieur susdict, l’ung desdicts vendeurs, et au nom susdict à la prouchaine venant feste de Nohel rendre et faire tenir lad. somme en la ville de Clairmont en Auvernhe en la maison de discret homme et saige… Chardon, advocat en la sénéchaussée et siege presidial dud. Clairmont, en laquelle lesdicts sieurs vendeurs ont esleu domicile audict effect, et pour la reception de ladicte somme, à peyne de tous despans domaiges et intherestz. Et si de presant ou pour l’advenir lesdictes terre, seigneurie et domaines sus vendus estoient de plus grande valleur que ladicte somme de douze mil deux cens quarante livres, toute la plus value quelle qu’elle soict lesdicts sieurs vendeurs, audict nom qu’ils precedent, ont quicté et quictent par ces presantes audict sieur juge maige, acquereur et se sont despoulhié, devestent et despoulhent desdictes terre et seigneurie, domaines, leurs appartenances et dépendances et autres choses sus specifiées par eulx cy dessus vendues et non réservées et en ont investi led. sieur acquereur et ces hoirs et successeurs à l’advenir et par le baille et tradition de la pleume de moy dict notaire entre ses mains, voulant et consantant qu’il en puisse prendre incontinant et quand bon luy semblera la vraye, reelle et actuelle possession et jouissance et jusques à l’avoir prinse, confesser la tenir dudict seigneur acquereur au nom de constitut et précaire ; et en signe de vraye vente pour le garentaige d’icelle et choses vendues lesdicts sieurs vendeurs, audict nom que dessus, ont remis et presentement deslivré audict sieur acquereur tant les susdictes deux lettres missives que les susdicts contrats d’acquisition et de ratification d’icelle, ausquels lesdicts sieurs vendeurs ont subrogés et subrogent ledict sieur acquereur en leurs droictes actions et yppotheques et de ladicte maison de Bonnefoy, et de tout l’ordre, à l’effect de ladicte vente pour jouir par icelluy sieur acquereur de l’effect desdicts contracts, tout ainsin que lesdicts sieurs vendeurs, les religieux de la Chartreuse de Bonnefoy et tout l’ordre, auroient cy devant peu faire en vertu d’iceulx sans en rien reserver que la haulte justice desdictes Estables et autres villaiges susdicts en despendants sus reservés, et excepté comme dict est ; et de plus icelles choses vendues garantir de leur faict et afaire et de leur dict ordre seulement. Ont aussy deslivré audict sieur acquereur les tiltres et papiers concernant ladicte terre et seigneurie designés et especifiés en l’inventaire particulier qu’en a esté faict et signé par moy dict notaire. Et ainsin que dessus est contenu lesdictes parties respectivement comme chescune d’elles concerne l’ont promis et juré attendre, garder et observer et n’y contrevenir par serrement presté scavoir par ledict sieur vendeur la main mise sur la poictrine à la forme des prebtres et par ledict sieur acquereur sur les saincts evangilles, et obligation ledict sieur acquereur de tous et chescun ces biens presans et advenir, les ungs respondans solidairement pour les autres et par exprès de ladicte terre et choses vendues par preferance et lesdicts sieurs vendeurs des biens temporels tant dudict couvent de Bonnefoy que aultres appartenans audict ordre des Chartreux qu’ils ont respectivement soumis aulx contraintes et rigueurs de ladicte cour de sénéchaussée et conventions du Puy et autres du presant royaume de France ; et chescune d’elles si ont renoncé et renoncent à tous droicts et exceptions par lesquels ils se pourraient ayder et servir contre la forme et teneur de ce contract et a celluy disant la generale renonciation ne valloir s’il ne s’ensuict ou precede l’especiale. De quoy à la requisition dudict sieur juge maige acquereur, et du vouloir et consentement des dicts sieurs de Bretanges et Maignet, vendeurs au nom susdict, a esté faict et retenu acte et instrument publiq par moy dit notaire. Faict et stipulé au Puy, maison dudict sieur juge maige, acquereur, en presance de Mr Me Anthoine Royet, recepveur des decimes et greffier des insinuations ecclesiastiques du diocèse du Puy et Me Anthoine Vincent, praticien dudict Puy, soubzsignés avec les parties et moy notaire royal soubzsigné recepvant.

Bretanges, prieur du Port Sainte-Marie ; Maignet, prieur de Bonnefoy ; Bertrand ; Royet ; Vincent ; et moy Claude Mareschal, notaire royal soubzsigné recepvant.
Mareschal.
Et le vingtiesme jour du susdict mois de novembre mil six

cens vingt quatre, lesdicts sieurs Dora Bretanges et Dom Maignet, prieurs susdicts, ont rendu et deslivré aud. seigneur de Bertrand, juge maige susdict, le pouvoir à eulx donné pour la passation du susdit contract de vente par le Révérend Pere general de l’ordre des Chartreux, donné en Chartreuse, séant le chapitre général, l’année presante mil six cens vingt quatre. Signé F. Bruno, general de l’ordre des Chartreux, et plus bas Juste Perrot, scribe.



LE CARDINAL DE POLIGNAC
poète français[82]


Tous les bibliophiles ou bibliomanes de notre département se croiraient déshonorés s’ils n’alignaient, sur l’un des rayons les plus en évidence de leur bibliothèque, un et même plusieurs exemplaires plus ou moins richement reliés de l’Anti-Lucrèce, ce poème du cardinal de Polignac, qui eut le singulier privilège d’être célèbre avant d’avoir vu le jour. Je possède aussi l’Anti-Lucrèce. J’ai à cette heure, sous les yeux, non seulement l’édition latine originale de 1747, dans un beau vêtement de ce veau fauve auquel les ans ont donné cette chaude patine, la joie des vrais amateurs, la traduction en prose de l’académicien de Bougainville dans un maroquin vert aux armes du marquis René de Voyer d’Argenson, mais encore la traduction en vers français de l’abbé Bérardier de Bataut[83], celle plus récente de Jeanty Laurans[84], et même enfin, poussant à l’extrême l’amour du complet, la traduction en vers italiens de F.-M. Ricci, publiée à Vérone en 1751[85].

Voilà du patriotisme ou je me trompe fort, car le poème de l’Anti-Lucrèce est bien oublié aujourd’hui et je voudrais connaître, pour le féliciter, le lettré assez courageux pour l’avoir lu en entier.

La réputation de ce poème, commencé par l’abbé de Polignac après son retour de Pologne, durant son exil à l’abbaye de Bonport, et dans la composition duquel étaient entrés la physique, la cosmographie, l’histoire naturelle, les arts mécaniques, la fable, l’histoire, le tout entremêlé de dissertations fort savantes et fort louables à coup sûr, mais très peu poétiques, sur le vide, les atomes, l’espace éternel et infini, etc., — la réputation de ce poème didactique avait devancé le retour de son auteur à la cour. Tous les contemporains, simples lettrés ou gens de qualité, avaient d’avance qualifié de « merveilleuse et de divine » cette œuvre que l’on ne connaissait pourtant que par quelques fragments et qui n’était même point achevée à la mort du cardinal, en 1741.

L’un de nos compatriotes, M. l’abbé Vissac, dans son intéressant travail sur la Poésie latine au siècle de Louis XIV, a très nettement indiqué l’origine et les causes de cet enthousiasme des humanistes du temps pour « ce chef-d’œuvre, disaient-ils, du Virgile revêtu de pourpre, digne d’être imbibé d’huile de cèdre et conservé dans le cyprès ». Mais il est plus difficile d’expliquer l’admiration des personnes d’un rang élevé qui ne connaissaient même pas le latin. Ce fut sans doute affaire de bon ton et de mode. Ils admiraient sur parole, comme plus tard sous Louis XVI, dans une mesure plus étroite, il est vrai, la vogue se porta un instant sur le Carmen seculare d’Horace mis en musique. Parmi ces admirateurs passionnés et irréfléchis, je citerai notamment cette spirituelle et fantasque duchesse du Maine, douée certainement d’un esprit prompt et très cultivé, mais qui n’était rien moins que sérieuse. Elle avait rassemblé à sa cour de Sceaux les derniers disciples du philosophe de Provence, de Gassendi, le fondateur de l’épicurisme en France. Ils étaient tous, comme leur patronne, « sectateurs du luxe, de l’élégance, de la politesse raffinée, de la philosophie, des lettres et de la volupté ».

Ce fut dans ces réunions de Sceaux, où les jours étaient tour à tour consacrés, sous la présidence de l’active duchesse, aux plaisirs, à la poésie, aux représentations théâtrales, que l’abbé de Polignac fut appelé, ainsi que nous l’apprend Mme de Staal, à traduire verbalement en français et à commenter son Anti-Lucrèce, ce poème destiné à battre en brèche les doctrines courantes et affectionnées des habitants de Sceaux.

Le succès du commentateur, j’imagine, fut assez sérieux pour que le duc du Maine, entrant dans les vues de son épouse, mît par écrit et offrît à cette princesse, avec une élégante épître dédicatoire, la traduction du premier livre de l’Anti-Lucrèce.

Tout cela serait certes bien inexplicable, si l’on ne savait que l’abbé de Polignac, « attiré plus par son goût pour les disciples d’Épicure que par les doctrines de leur maître, » était l’hôte le plus assidu et le plus recherché de cette cour en attendant qu’il en devînt l’oracle, et cela ne doit pas surprendre.

À son retour de Bonport, en 1702, Melchior de Polignac, dans toute la plénitude de la jeunesse, « était l’un des hommes du monde les mieux faits et de la plus grande mine ». « Le son de sa voix, la grâce avec laquelle il parlait, mettait dans son entretien une espèce de charme qui allait jusqu’à la séduction. »

Enfin, — ce qui ne gâte rien, même aux yeux des princesses, — il usait libéralement, comme il fit toujours, « de tous les biens de la fortune, sans les compter et sans presque les connaître ».

Il fut donc l’âme des réunions de Sceaux, et tant il fallait d’aliments divers pour satisfaire l’imagination ardente de la duchesse, qu’il fut de son goût de passer des impromptus, un peu fades, de Malézieux, ou du pauvre abbé Genest, aux communications éclatantes de l’abbé de Polignac.

Ce qui lui plaisait dans ce dernier, c’étaient moins, sans doute, les marques de son érudition déposée dans l’Anti-Lucrèce, que sa parole tour à tour puissante et caressante, ses reparties heureuses, ses saillies piquantes partant comme des flèches et comme marquées d’un coup d’œil vif de l’esprit.

C’était surtout lorsque mettant de côté les vers latins héroïque de l’Anti-Lucrèce, l’abbé de Polignac, se délassant de cette fatigue causée par la versification d’une langue morte, quelque familière qu’elle lui fût, laissait tomber de sa verve quelques bons vers français improvisés et sans prétention. Ces vers français — et il n’est pas douteux qu’il en ait fait, — j’ai cherché longtemps sans pouvoir en découvrir. Voici cependant quelques vers tirés du précieux recueil intitulé les Divertissements de Sceaux (Paris, 1712, in-12), qui ne sauraient être que de Melchior de Polignac. Ils ne sont pas signés, il est vrai ; mais le lieu où ils furent improvisés, au commencement de l’année 1703, nous autoriserait déjà, même à défaut d’autres preuves, à les lui attribuer.

C’était à Saint-Ouen, chez sa nièce, cette Marie-Armande de Rambures, dont les Mémoires ne parlent que trop et qui devait si mal finir un an plus tard[86]. S’ils ne sont pas signés, comme le sont les autres pièces au milieu desquelles ils se trouvent, c’est qu’au moment de leur publication Melchior n’était plus un simple abbé : il était devenu un prince de l’Église. Et, ainsi qu’on le voit dans la préface de ce livre, il devait être du nombre de ceux qui avaient opposé beaucoup de difficultés à la publicité donnée à ces Divertissements qui, à vrai dire, n’étaient que « des espèces d’impromptus propres seulement pour les occasions qui les avaient fait naître ».

Voici ces vers :


Couplets qui furent faits à Saint-Ouën, chez Mme de Polignac qui donnait une collation à Mme la duchesse du Maine et à plusieurs autres dames qui étaient venues avec elle.


impromptu.

On dit que sans le clair de lune,
Que sans lumière importune,
Mille feux suivraient ce repas ;
Ma foy, lune, quoi que tu fasses,
Du moins tu n’empêcheras pas
Que nous n’illuminions nos faces.


Est-ce illumine ? Est-ce enlumine ?
La difficulté me chagrine ;
Car je veux suivre la raison.
Que dis-je ? Ce jus délectable,
Qu’ici l’on verse à foison.
Jette la raison sous la table.


Que messieurs de l’Académie
Lamentent comme Jérémie
Sur un mot dit mal à propos ;
Bien parler ne fait point ma gloire,
Je ne veux savoir que ces mots :
« Laquais, que l’on me verse à boire[87]. »

Je donnerais tout l’Anti-Lucrèce pour ces trois strophes que j’ai lues, pour la première fois, en face de ce merveilleux portrait du cardinal de Polignac de la collection Lacaze, au Louvre. Je suis presque certain que la duchesse du Maine était de cet avis.



JEAN VIALLENC, SCULPTEUR


Voici deux documents inédits qui concernent l’un de nos artistes les plus inconnus et qui n’a vraiment pas de chance, car les sculptures, qui font l’objet du prix-fait que l’on va lire, n’existent probablement plus et, dans tous les cas, il serait difficile de dire où elles se trouvent maintenant.

L’église paroissiale de Saint-Jean-Baptiste de Lugeac a disparu complètement après la Révolution[88], et il doit en être de même des boiseries qui la décoraient, il est donc impossible de se prononcer sur le plus ou moins d’habileté de Viallenc ; cependant, il y a lieu de croire que ce tailleur d’images n’était pas dépourvu de tout mérite. L’acte de baptême de sa fille, que nous rapportons, montre qu’il avait ses entrées chez le seigneur de Langeac, et probablement chez d’autres grands seigneurs de la province, seules personnes, en ce temps, qui, avec les fabriques des églises paroissiales ou les communautés religieuses, pouvaient occuper nos artistes.


I

Aujourd’hui 16 octobre 1698, a esté baptisée Marie Viallen, né le 14e dudit moys et an, fille légitime à Jacques Viallen sculpteur, et à Claude Jacme, du lieu et paroisse de Pinolz[89].

Son parrain, noble Jacques-François d’Apchier ; sa marraine, damoiselle Marie-Marguerite de la Rochefoucault, fille à haut et puissant seigneur Jean de la Rochefoucault, marquis de Langeac. Presents : Pierre Chambaron, estudiant, et Antoine Estienne, marguillier de ceste esglise, soubsignés.

Clergue curé[90].


En sa personne, Me Jacques Viallenc, excrupteur, habitant du lieu et paroisse de Pinolz, diocèse de Saint-Flour, lequel promet à messire Claude Raymond, prêtre curé de Lughac, tant pour lui que pour les habitants dudit Lughac, de faire un tabernacle dans ladicte esglise de Lughac de la longueur de la pierre du maistre-autel, avecq sa haulteur à proportion, à quatre figures représentant : s. Jean, s. Barthélemy, une image dans la niche du tabernacle et une résurrection au-dessus de ladicte niche, et à la porte dudict tabernacle, un crucifix, le tout en bonne escruture et bien et duement doré avec du glacis aux endroits nécessaires. De mesme sera tenu ledict Viallenc de faire le pied du tabernacle aussi doré sur l’ornement d’icelluy, et le fond en coral fin, et le tout conforme au dessin qui en a esté fait. Et sera tenu de l’avoir fait à la Nostre-Dame d’aoust prochaine, et le conduire à ses frais dans l’esglise dudict Lughac, à peine de tous despens et même à la somme de six livres de diminution du prix du présent traité, qui a esté fait moyennant la somme de soixante-six livres. En déduction de laquelle ledict Viallenc reconnoit avoir reçu des habitants dudict Lughac celle de vingt-deux livres. Et à l’esgard des quarante-quatre livres restantes, ledict sr Raymond, faisant pour lesdicts habitants, a promis luy payer la somme de vingt-deux livres lorsque le tabernacle sera prêt à dorer, et les autres vingt-deux livres lorsqu’il sera posé dans l’esglise de Lughac.

Fait à Lavaudieu, maison du notaire qui a signé avec les parties, le 1er octobre 1684.

Thomas.



LE SIÈGE DE SAINT-AGRÈVE


Lorsque je publiai dans les Tablettes historiques du Velay (3e année, pag. 451), la rarissime plaquette de La prinse de la ville et chasteau de Solignac, j’espérais pouvoir également reproduire dans le même recueil : Le vray discours du siege, prinse et totale ruyne de la ville de Sainct-Agreve[91]. Malheureusement il me fut impossible de découvrir alors un exemplaire de cette pièce, encore plus rare que la précédente. La Bibliothèque Nationale ne la possède point, et l’exemplaire qui faisait autrefois partie du tome III du célèbre « Recueil vert » de la bibliothèque de Lyon, avait été enlevé, vers 1840, ainsi que nous l’apprend une annotation du catalogue général, probablement par l’un de ces écumeurs de nos dépôts publics, qui ne savent pas respecter l’héritage commun des documents rares et précieux que nos devanciers y ont amassés.

J’avais perdu tout espoir de retrouver cette plaquette, lorsqu’un libraire de Paris, aussi connu par son érudition que par son désintéressement, eut la chance d’en acquérir un exemplaire au poids de l’or. Il voulait comprendre cet opuscule dans le Trésor des pièces rares qu’il prépare depuis longtemps, et dont une bonne partie est déjà imprimée ; mais sachant tout le prix que j’attachais à la connaissance de cette pièce, il s’empressa de me l’envoyer en communication, m’autorisant à la rééditer. Que M. A. Claudin, — tous les bibliophiles l’avaient déjà nommé, — reçoive ici non seulement l’expression de ma reconnaissance, mais encore celle du public lettré de nos régions.

Le Vray Discours nous intéresse vivement. La ville de Saint-Agrève se trouvait l’une des portes du Velay sur le chemin du Vivarais, du Dauphiné et des provinces méridionales. Dès lors, sa possession devait exciter la convoitise de tous les partis. Les protestants s’en étaient rendus maîtres ; par là ils avaient pied dans le Vivarais et le Velay. Profitant d’un édit royal qui leur accordait Saint-Agrève comme un lieu de refuge momentané, ils s’y étaient fortifiés et rendus si redoutables qu’il fut urgent de les en déloger. Vers les premiers jours de septembre 1580, les gouverneurs du Velay et du Vivarais, Saint-Vidal et Tournon, reçurent l’ordre d’en faire le siège. L’investissement commença le 16. Le déploiement des forces catholiques ne permit pas à Jacques de Chambaud, homme de guerre consommé qui commandait les protestants du Vivarais, de rentrer dans la place pour secourir ses coreligionnaires, qui furent contraints, après une vive défense, de sortir furtivement de Saint-Agrève dans la nuit du 25 au 26 septembre[92]. C’est le récit de cette expédition que nous a conservé Charles de Figon et que nous reproduisons en fac-similé.

Il me resterait à donner quelques renseignements sur Charles de Figon, l’auteur du Vray Discours ; mais un spirituel érudit, M. le docteur Charreyre, plus près des lieux que moi, possède, sur ce personnage et ses alliances dans le pays, de nombreux documents inédits ; il me les a, il est vrai, généreusement offerts. Je ne veux pas lui enlever le plaisir de les mettre lui-même en œuvre. Le lecteur n’y perdra rien.


Apres le dernier edict du Roy qui a esté faict sur la pacification des troubles de ce royaume, se presenterent quelques differens à l’execution et acomplissement d’iceluy. Tellement que pour les assoupir et faire entendre clairement le bon vouloir et intention de sa maiesté, et mesmement leuer tous les doutes de desfiance à ceux de la religion pretendue reformée, et autres de leur complicité, la Royne mere du Roy s’achemina au pays de Gascoigne où estoit le Roy de Nauarre tittre de ce party, auec lequel et les plus grans de sa compagnie et du remuement de ces troubles, elle entra en pourparlé et conference. Et en resolution depuis accordez par le Roy, que outre les villes de refuge qui auoiēt esté baillees aux susdits de la religion par ledit edict durant l’espace de six ans, seroient encores à ce mesme effait baillees par l’espace de six mois seulement, autres villes de la France : Entre lesquelles est la ville de Sainct Agreue, qui est assise aux montaignes du pays de Languedoc en vn lieu fort hault et de difficile abord, d’autant qu’elle est sur vn coupeau de montaigne commandant de sa nature et situation à tous les autres lieux des environs, assise encore sur les confins et limites des pays de Vellay et Viuerois, et des dioceses du Puy et de Viuiers qui sont dans les enclaves dudit pays de Languedoc, et communement participante des conditions de l’vn et de l’autre desdits deux pays et dioceses. Car pour le fait de la iustice elle est du pays et bailliage de Vellay et seneschaucée du Puy, ville capitale dudit pays de Vellay. Et pour le regard de l’eglise imposition et contribution des deniers du Roy, aides et subsides pour le faict de la guerre elle est du pays de Viuerois et diocese de Viuiers. Et ne eussent peu ceux deladite religion pretendue tant de l’vn que de l’autre desdits pays et dioceses et qui sont en assez bon nombre, choisir n’eslire lieu qui leur eust esté plus propre et convenable : De maniere qu’ils faisoiēt vn estat asseuré de ladite ville Sainct Agreue pour leur seruir de perpetuelle garde et asseuree deffence. Attendu mesmement que depuis l’occupation d’icelle ils font terriblement fortifiee, remparee, fossoyee, auituillee, munie et garnie de tout ce qu’il fait besoin à vne ville de guerre. Prins et reduit encores à leur deuotion et obeissance plusieurs forts, et chasteaux des enuirons, Mesmement celui de Rochebonne, Clauieres, Truchet, de la Mastre, la Bastie, ayāt bien attempté sur plusieurs autres s’ils les eussent peu surprendre pour s’agrandir et pour estendre leur domination qu’ils menaçoient tousiours iusques aux bords des riuieres de Loyre et du Rosne, ou par tout cependant ils enuoyoiēt leurs mandes et lettres de contribution et leuees de deniers tant de ceux du Roy que des decimes et autres imposez à plaisir et volonté cōme Rois et Princes souuerains. Et combien que l’vn et l’autre des susdits deux pays et dioceses de Vellay et Viuerois ne soient despourueus de gouuerneurs, de grands Seigneurs, gentils hommes, prelats et autres bōs et notables personnages bien zellez et affectionnez au seruice de sa maiesté, repos et tranquillité de la patrie pour s’opposer aux dessusdits et emposcher l’effect de leurs mauuais desseins, neantmoins ils n’auroient en cest endroict rien osé entreprendre, considerans que cela regardoit ou dependoit de l’estat general de la France et du bon plaisir et vouloir de sa maiesté, qui pour quelque temps et pour bonne occasion ou pour en euiter vne plus mauuaise et pernicieuse, s’est accommodé auec lesdits de la religiō leur attermoyāt encores la redition desdites dernieres villes iusques à présent qu’ayāt apertement descouuert leur mauuaise foy et intention : Car en lieu de rendre lesdites villes qui leur estoient baillees par ladite conference estant le terme pour ce faire advenu et expiré, auroient contre la teneur et contenu d’icelle, et mesmes dudit edict de pacification pris et forcé par aguets plusieurs autres villes de la France. Sadite maiesté s’est resolue que puisqu’ils ne vouloient garder et ensuiure le cōtenu de ses edicts et de ladite cōference. Et ce faisant de remettre en son obeissance lesdites villes : De les recouurer par le moyen de la force. Et à ceste fin mande pour le regard dudit sainct Agreue aux sieurs gouuerneurs des susdits pays de Vellay et Viuerois et diocese du Puy et de Viuiers, qui sont quant audit pays de Vellay et diocese du Puy, le sieur de Sainct Vidal vieil guerrier ancien et digne cheualier de l’ordre du Roy et capitaine de cinquante hommes d’armes de ses ordonnāces. Et pour le regard dudit pays de Viuerois, le sieur de Tournō fleur de la noblesse dudit pays et capitaine aussi de cinquante hommes d’armes, de pourueoir au fait de la réduction de ladite ville de Sainct Agreue. A quoi lesdits seigneurs gouverneurs obtemperans tant de l’auctorité à eux cōmise et attribuée par sadite maiesté que des moyēs particuliers de leurs grādeurs. De la noblesse et autres estats des pays où ils commandent, ont satisfait et procedé si vertueusemēt que l’intention du Roy a esté en cest endroict entierement acomplie. Ladite ville Saincte Agreue reduicte en sa vraye obeissance : Lennemy chassé d’icelle et lesdicts pays remis en pure et pleine liberté et asseurance comme il sera cy apres plus amplement declairé. Mais avāt que parler plus auant de ladicte réduction comme de chose qui appartient grandement au faict d’icelle : faut entendre que outre ladite ville de Sainct Agreue lesdits de la religion tenoient et occupoient à deux lieuës d’icelle dans ledit pays de Viuerois vne autre ville appellée Dezany, appartenant audit sieur de Tournon : De laquelle ils ne faisoiēt moins d’estat q de ladite ville Sainct Agreue : Mais ledit sieur de Tournon qui en est seigneur iurisdictiōnel par sa grande vertu et dexterité et d’aucuns autres sieurs gentilshōmes ses vassaux officiers et autres deuots et affectionnez à son service, trouua moyen en plain jour et heure de non defiance de les surprendre et faire faire bresche par dedans la ville. Par laquelle il entra auecques sa troupe embusquee au dehors nōgueres loing de là, et s’en rendre le maistre. L’ayāt depuis bien sceu garder et cōserver, et repousser par plusieurs fois l’ennemy bien marry et desplaisant d’auoir perdu vne telle retraicte qui s’est efforcé par tous les moyens qu’il a peu inuenter de la reprendre sans luy seruir ny proufiter qu’à faire paroistre de plus fort la valleur de ce noble seigneur qui la leur a substraite, et qui n’a cessé depuis de les molester et courir iusques aux portes dudit sainct Agreue : n’osans ceux de dedans sortir ny battre la campagne de ce costé là comme ils auoient accoustumé de faire auparauant. Et cependant que ledict sieur les tenoit en ceruelle, ledit sieur de Sainct Vidal ostoit occupé d’ailleurs aux marches de l’Auuergne et du pays de Lymosin à l’expugnation de plusieurs autres villes et forts chasteaux detenus par lesdits ennemis, où il auroit si bien besongné aussi qu’il en seroit venu victorieux et rendu tous les susdits pays paisibles. De maniere qu’ayant accommodé les forces qu’il y auoit amené et qu’il y auoit retourné sans grand perte ny dommage de quelque peu de refreschissement. Lesdits sieurs gouuerneurs de Vellay et Viuerois auroient pris resolutiō pour la deliurance desdits pays, de l’expedition dudit Sainct Agreue. S’estant à ceste fin trouuez et assemblez en la ville du Puy, fait leur estat à tout ce qui appartenoit à vne affaire de telle importance et consequence. Premierement de leurs compagnies de gēsdarmes d’autre cauallerie des sieurs gentils-hommes desdits pays et autres leurs amis, iusques au nōbre de cinq à six cens bons cheuaux, de cinquante à soixante enseignes de gens de pied, qu’ils ont trouué moyen de leuer de longue main ou retirez par ledit sieur de Sainct Vidal dudit pais d’Auuergne apres l’expedition par luy faicte, et des pays de la Bourgongne et de Forests. Et apres encores de dix à douze pieces d’artillerie, les six qui estoient en la ville du Puy. Deux qui ont esté emmenees de l’arcenat de Lyon. Deux qui furēt ramenees dudit pais d’Auuergne. Et les autres que ledit sieur de Tournon auoit fait conduire et amener de la ville d’Annonay auec tout l’attirail, poudres, boulets et munitions necessaires. Tellement qu’estant le tout preparé à temps, ladicte ville de Sainct Agreue fust assiegee le Vendredi dix-septiesme iour du mois de septēbre mil cinq cens quatre vingts. Et faict approches par les nostres à la portée de l’harquebouse. Il ne faut obmettre cependāt de dire que ce ne fust sans grande peine et difficulté, à cause des grans et impetueux vens qui auoient soufflé plusieurs iours auparauant et d’vne forte et violente pluye qu’il feist apres, et pendant lesdictes approches qui les gardoit de cāper n’ayant couuert ny maison ny buron pour ce loger. Car l’ennemy preuoyant le siege auoit bruslé tout à l’entour. Et encores venant tout frais de la ville et se seruant de l’iniure du temps et de la faueur du lieu qui est en haut, s’efforcoient par tous moyens d’endōmager les nostres. Mais pour cela rien descouragez ils ne prindrēt pas moins leurs cartiers tout à l’entour de ladicte ville. Premierement le sieur de Saint Vidal auquel pour les merites de sa grande valleur et prouesse et plus ancienne experience au fait de la guerre, ledit sieur de Tournon encores que ceste expédition se presentast en son gouuornement ceda l’honneur de cōmander eu icelle, se logea au faux bourg bruslé de l’Estra, ledit sieur de Tournon à l’endroict de la fontaine et de la porte de Galeys. Depuis y arriua messire Antoine de Senectaire, Euesque du Puy et Comte de Vellay, personnage segnallé et de grand pouuoir et auctorité en l’vn et l’autre bras. Le sieur Vicomte de Polignac qui est seigneur en partie de ladicte ville de Sainct Agreue, Lysuar de la tour Maubourg, vieil et ancien guerrier aussi, et vn si bon nombre d’autres seigneurs et gētilshommes desdits pays de Vellay et Viuarois qu’il faisoit très bon veoir vne si grande noblesse et si honorable compagnie.

Le siege arresté Messieurs de dedans faisoient bonne contenance et tiroient tant qu’ils pouuoient de mousquets et harquebouzes à croc, vsoient de plusieurs propos iniurieux et diffamatoires cōtre les sieurs dessusdits et autres de la trouppe à la maniere de gēs assiegez, ausquels comme pauures prisonniers, esclaues et galleriens est permis ou tolleré de dire ce que bon leur semble. Enfin les pieces arrivées conduictes par le sieur de Gondras Lieutenant du sieur de la Guiche, grand maistre de l’artillerie du Roy. En toute assourance poussees et bracquees de deux costez, la batterie auroit esté cōmēcée le Ieudy vingt deuxiesme iour dudict mois de Septembre, et faicte bresche de chacū desdits costez d’ēuiron de douze pas seulement. Laquelle ne se trouuant raisonnable, et d’autant qu’il y auoit encore grāde hauteur de muraille : La batterie fust continuee le lendemain vendredi, et l’artillerie bracquee au milieu des bresches commencees pour dōner à la muraille qui estoit entre deux, laquelle se trouuoit desia bien esbrālee, ce qui retarda pour ce iour là de passer plus outre. Au fait de ladicte batterie fust la nouvelle qui suruint du sieur de Chambaud, gouverneur dudit Sainct Agreue, lequel estant sorty de ladite ville quelques iours auparavant le siege courust et debagua par tous les lieux et endroicts de leur faction pour recouurer gens et donner secours aux assiegez, et apparust le mesme iour enuiron les vnze heures auant midy, vn peu loing de la ville et du camp en nombre de soixante à quatre vingts cheuaux, et de cent à six vingts harquebouziers, qui donna quelque peu de courage aux assiegez, et leur fist renouueller le babil et iazerie pour quelque peu de temps : Mais apres auoir fait par ledict Chabaud quelque semblant de bonne contenance voyant qu’il se dressoit vn escadron de cauallerie pour luy courir sus, se retira et n’a ozé depuis cōparoistre. Tellement que ceux de dedans se voyant priuez dudict secours cesserent de brauer : non toutesfois de se tenir tousiours en deuoir de deffence à l’endroit mesmement d’vn esperon et plate-forme qu’ils auoient fait au dehors de ladicte ville à l’endroict de ladicte fontaine et porte de Galeys : dont ils offensoient le plus souuent les nostres tellement qu’il fut aduisé de dresser de ce costé la nouuelle batterie. Ce que fust faict le samedy. Et le soir dudit iour sans attendre qu’il y eust trop grande bresche fut donné assaut si furieux que ledict esperon fust gagné et ne fut sans quelque perte des nostres, et d’vn bien grand nombre d’offencez et blessez, mesmement des plus grands et segnallez : car ledit sieur de Sainct Vidal a esté aigrement blessé à la teste à l’endroict de l’œil gauche en danger de le perdre. Et ledit sieur Vicomte de Polignac ietté par terre et releué par vn braue soldat, le sieur de Chaste, enseigne de la cōpagnie dudit sieur de Sainct Vidal blessé en vn bras. Ledict sieur de la Tour Maubourg pareillement, et plusieurs autres qui à l’exemple des grās se hazardoient au plus grād peril et dāger auquel ils attribuaiēt le commencement de la victoire. Comme à la verité apres auoir gaigné ledict esperon, et à la faueur d’iceluy, le lendemain Dimenche fut aussi gaigné vn autre esperon et plate-forme, qui estoit et flancquoit l’autre bout de la muraille ou la bresche estoit commencee, et les rebelles contraints d’abandōner leur fossé et cazemates dōt ils faisoient leur principalle deffence, et se retirer dās la ville, en continuant tousiours de faire la meilleure et plus grande résistance qu’ils pouuoient, à quoy ils ne s’espargnoient aucunement faisans tousiours batterie et mosquetterie de plusieurs endroits de ladite ville, offençant les nostres qui estoient campez dans le fossé ausdictes plate-formes. Toutes fois pressez de nostre batterie et du bon et grand deuoir du soldat, incontinent à faire de bien en mieux, et ayāt de leur costé aussi souffert grād perte et dommage, commencerēt de s’abbaisser et perdre courage. Et comme il est vray-semblable et que depuis a esté vérifié d’entrer en confusion et defiance de plus grande resistāce. Tellement que les principaux de ceste faction dissimulans l’entreprise à leurs compaignons : prindrent resolution de quicter et de se sauuer, au peril et hazard de ceux qui ne scauoiēt leur secret : car sans attendre plus grād loisir voyāt qu’on se preparoit à vn assaut general, se sauuerent par une petite et fausse porte du chasteau, ayant au prealable faict trainee de pouldre en plusieurs lieux et endroits de ladite ville ou ils auroiēt mis le feu et tout à coup fait enflamber, cuidans par là se sauuer plus facilement. Toutefois ceste ruse ne leur servit grandement, d’autant qu’vne partie des nostres s’attendans au faict et prise de la ville, les autres se mirent à la suite des fuyarts : et les surprindrent et mirent en pieces comme on fit parreillement à ceux qui se trouuerent dedans. Et d’autant que ladite ville se trouuoit desia enflambee par la ruze et subtilité de ceux de dedans comme on presume ou par le mistere des assiegeans, on laissa continuer le feu, tellement que la ville et le chasteau ont du tout este mis en cēdre comme par fatalité et punition de Dieu. Car aussi à la vérité c’estoit vne vraye spelunque de vollerie et brigandage, et qui tenoit en crainte vn grād climat de pais, et pour oster toute occasion à l’aduenir de s’y percher d’auantaige après le feu, il a esté encores aduisé de razer les murailles et mettre tout par terre. A quoy ledit sieur de Chaste, enseigne de la compagnie dudit sieur de Sainct Vidal, suivant la charge que luy en a esté baillee, faict trauailler par les habitans du plat pays qui ne s’espargnent pas de leur costé, voyant le benefice qu’ils reçoiuent d’vne telle victoire. De laquelle (plusvenant de la main de Dieu) plustost que de la force des hommes, on n’a cessé de tous costez de luy rendre graces et chanter Te Deum laudamus, qui sera pour la fin et conclusion du present Discours.

PERMISSION

Il est permis à Iean d’Ogerolles, maistre Imprimeur, d’imprimer, vendre et distribuer le present discours, et inhibitions et deffences sont faites à tous autres de n’imprimer, vendre ny distribuer sur peine de confiscation de l’impression et d’amende arbitraire. Faict le 18 iour d’octobre 1580.

Signé : DE LANCES.




  1. Histoire du Velay, t. VII, pag. 305.
  2. Registres des Fonds-Baptismaux de Saint-Jean. Arch. municip. de la ville du Puy. De 1720 à 1734 Joseph Michel eut neuf enfants, sept garçons et deux filles. Parmi les parrains et marraines de ces enfants nous noterons, en 1731, le peintre Buffet et, en 1734, Marie Saint-Martin, la seconde femme du sculpteur Mathieu Bonfils chez lequel se trouvait en apprentissage Robert Michel.
  3. Pierre Vaneau naquit à Montpellier, le dernier décembre 1653, et mourut au Puy, le 27 juin 1691, durant une maladie contagieuse qui fit un grand nombre de victimes dans toutes nos contrées.
  4. Arnaud, Hist. du Velay, t. II, p. 257.
  5. J. Le Breton. Notice historique sur la vie et les ouvrages de Pierre Julien, Paris, Baudouin, an XIV (1805), in-8o de 28 pages, p. 5. Cette brochure, rare et peu connue, a été réimprimée dans la Revue universelle des arts. Juin 1863.
  6. Pierre-Antoine-Simon Michel, né le 27 octobre 1728.
  7. Compte-rendu à Mlle Michel, par M. Dupinet, 1 feuillet non classé des Archives départementales.
  8. L’auteur de cette notice commet une erreur, on affirmant que Bonfils avait étudié chez M. Vaneau, à Rome ; mais, si erronée que soit cette affirmation, le renseignement est précieux, parce qu’il établirait que Vaneau avait étudié lui-même à Rome.
  9. Ce qui dut surtout déterminer Michel à se rendre en Espagne, ce fut la fortune que venait d’y faire le français René Fremin. Ce sculpteur qui était passé en Espagne en 1721 fut récompensé si dignement par le roi que lorsqu’il revint en France, en 1738, il était possesseur d’une fortune immense. Le roi lui avait en outre accordé le titre de son premier sculpteur et des lettres de noblesse. V. Mariette. Abecedario, t. II, pag. 272.
  10. L’une de ces eaux-fortes, la seule que l’on connaisse, représente : le Temps découvrant la Vérité. Elle fait partie de l’importante collection de gravures donnée à la bibliothèque royale de Madrid, par M. Carderera, le savant auteur de l’« Iconographia espanola ».
  11. Église paroissiale de Saint-Joseph, à Madrid.
  12. Cette statue est la seule des œuvres de Michel qui ait été reproduite par la gravure : mais cette estampe ne se rencontre pas facilement.
  13. Château-Royal et parc, à deux lieues de Madrid.
  14. Château-Royal et parc, à dix lieues de Madrid.
  15. Monastère et sépulture des rois d’Espagne, à sept lieues de Madrid.
  16. Prades est certainement l’une des communes de la Haute-Loire les plus intéressantes à visiter. En outre des ruines de son château et de son pont sur l’Allier, elle possède une jolie église, de style roman, placée sous le vocable de Saint-André, et qui, avant la Révolution, dépendait du diocèse de Mende.

    Enfin l’on ne quittera point Prades sans jeter un coup d’œil sur les vergers et jardins potagers qui l’entourent. Ils témoignent de l’industrie des habitants. N’ayant à leur disposition qu’une étendue très restreinte de terres cultivables, 92 hectares sur 482, superficie totale du territoire, (Deribier de Cheissac, Descript. statistique du département de la Haute-Loire, pag. 337), de temps immémorial ils se sont livrés à la culture des arbres à fruit et des légumes. La culture maraîchère est surtout importante et répand l’aisance dans le pays. Elle tend cependant, sinon à disparaître, du moins à décroître. Presque toutes les localités, où les jardiniers de Prades portaient eux-mêmes leurs produits à dos de mulet, à plus de 60 kilomètres de distance, ont maintenant des cultures du même genre et plus perfectionnées.

    Dans les temps anciens, Prades possédait quelques autres industries. Nous citerons : la chapellerie, la corderie, etc. Il n’a plus maintenant que ses eaux minérales, que la proximité de la gare de Saint-Julien-des Chazes permet d’expédier au loin, et une savonnerie de récente création.

  17. Prades, quoiqu’en Gévaudan, était du ressort de la sénéchaussée d’Auvergne, comme les autres terres du duché de Mercœur.
  18. Il est décédé à Prades en 1877, à l’âge de soixante-dix-neuf ans. — Que son fils, M. Benjamin Cour, reçoive ici l’expression de tous mes remerciements pour l’empressement qu’il a mis à me faire visiter ce qui reste de la papeterie de Prades. Il m’a surtout vivement intéressé en me montrant quelques-unes des formes à papier datant du dernier siècle, employées alors par ses auteurs, et sur lesquelles se voient, suivant les règlements, la marque du papier et le nom du maître brodés autour de la vergeure par l’entrelacement d’un petit fil de laiton.
  19. Tablettes hist. du Velay, t. IV, pag. 457.

    Le passage suivant du Chanoine, de Vital Bernard. liv. I, pag. 15, semble confirmer cette opinion : « Les chanoines de la saincte Église du Puy ont ainsi longuement vescu [en commun], les offices de sescal, cellarier et panetier, qui subsistent encor parmy eux en donnent une puissante preuve : leur réfectoire et les tables s’y voyent aussi, etc. »

  20. Forma juramentorum, etc. s. l. n. d. (1745). in-4o, pag. 43.
  21. Notamment à l’abbé du Tems l’auteur du Clergé de France. Voy. cet ouvrage, t. III, pag. 402.
  22. Un résumé de cet inventaire fut imprimé, en 1785, à Lyon, chez Périsse, à l’occasion du jubilé de cette année. (Placard, grand in-fol.) En tête, sur la moitié de la feuille, une gravure représente les 43 châsses ou reliquaires, de formes très variées, qui contenaient ces reliques, rangés symétriquement sur la façade d’un retable. Grâce à l’obligeance d’un très aimable bibliophile, mon voisin, M. Antoine Vernière, qui, à l’amour du son pays, joint le goût le plus éclairé pour tout ce qui intéresse son histoire, j’ai sous les yeux un exemplaire de ce curieux placard qu’il a bien voulu me confier.
  23. Une autre famille de ce nom, celle de Saunier, du Saunier, seigneurs de Mercœur, de Bains et de Rochegude, également sur les limites de l’Auvergne et du Velay, fut maintenue en sa noblesse, en Auvergne, le 26 juillet 1667. Elle pourrait avoir la même origine que les Saunier du Thiolent : mais il nous a été impossible de retrouver l’époque de leur séparation.
  24. Jalavoux sortit de la maison de Saint-Vidal pour entrer dans celle d’Apinac, à la suite du mariage de Marie de la Tour, petite-fille de Dragonnet, avec Jean Mareschal, seigneur d’Apinac.
  25. Le 13 mai 1607, elle acheta de Pierre Bernard, baron de Jalavoux, la justice haute, moyenne et basse sur les habitants, maisons, terres et possessions du Thiolent.
  26. Un frère, né le 27 décembre 1709, François-Cyrille de Rochefort était mort avant Pierre-Joseph. Il avait servi avec distinction et au moment de sa mort il était capitaine dans le régiment de la Couronne. Son frère Charles fut son héritier.
  27. Le marquis d’Ally semble avoir été assez mauvais administrateur de ses biens. S’il avait racheté, par acte du 22 juin 1748, la terre de Saint-Vidal à son cousin Pierre de Dienne de Chavagnac, il la revendit à M. Augustin Porral par acte du 21 mai 1765. Il vendit également la terre de Pomperan à M. de Sasselange et celle de Prades au comte d’Apchier.
  28. Ces archives, qui contenaient les titres des maisons de Saint-Vidal, de Rochefort d’Ally, du Thiolent, etc., étaient des plus précieuses pour l’histoire du pays. Consulter sur une partie de ces titres heureusement conservés : Annuaire du Bibliophile pour 1862. Paris, Claudin, 1862, in-18, pag. 54 et seq.

    Cette tour crénelée, qui avait tout l’aspect d’un vieux donjon, fut démolie en 1793.

  29. Voy. Oraison funèbre de Monseigneur Louis-Henry de Rochefort d’Ally, évêque et comte de Châlons, prononcée dans l’église cathédrale de Châlons-sur-Saône, le 18 août 1772, par M. l’abbé Berard. Châlons, Delorme de la Tour, 1772, in-4o, de 28 pag.
  30. V. Abbé Goujet, Bibliothèque française, t. XIII, pag. 418 et sq. et t. XV, pag. 70 et sq.
  31. Nous avons constaté dans les registres de Saint-Jean-des-Fonts-baptismaux de la ville du Puy, la présence fréquente, comme parrain ou comme témoin, d’un Gabriel Ranquet qui doit être notre poète. En outre, nous avons relevé sur le verso de la garde du registre de 1601, les vers suivants que nous lui attribuons :

    Qui trop s’estime, a rien ne vault
    Dans ung celier mettre le fault.

    Ranquet.

    Desjeuner de joye, disner par plaisir,
    Gouster par amour, soupper à loysir.

    Ranquet.
  32. Roland de la Platière, né à Thizy près Lyon en 1732, mort le 15 novembre 1793.
  33. Mémoires de Mme Roland, éd. Faugère, t. II, pag. 246.
  34. Voici son acte de baptême : « Le dix-neuf avril mil sept cent cinquante-quatre a été baptisé, sous condition, par moy soubsigné, François-Xavier fils à sieur Joseph Lanthenas, négociant, et à demoiselle Marie-Elisabeth Pons, mariés, habitants de la ville du Puy, dans la paroisse de Saint-Pierre-le-Monastier. Il est né le jour précédent à onze heures du soir.

    Son parrain a été sieur Jean-Antoine Lanthenas son frère : sa marraine demoiselle Catherine Duchamp, veufve Pons. Faict en présence du père soubsigné et des soubsignés :

    Brunel vic., Lanthenas père, Duchamp Pons, Lanthenas

    (Arch. municipales, Registres du baptistère de Saint-Jean.)

  35. Roland, Voyage en Italie, t. VI, pag. 117.
  36. M. de Montribloud, qui était en même temps receveur général des deniers communs et octrois de la ville de Lyon, était un ardent collectionneur. Il avait formé un riche cabinet d’histoire naturelle et de physique, fruit de 25 ans de travail pendant lesquels cet amateur n’avait rien épargné pour se procurer les morceaux les plus capitaux et les plus rares. Il y avait fondu les trois plus beaux cabinets de Paris, ceux de Dargenville, de Mme de Boisjourdain et M. Davila. À la suite de spéculations malheureuses, il se vit obligé, en septembre 1781, de suspendre ses payements et de se défaire de son cabinet. M. Devilliers en dressa l’inventaire : Catalogue raisonné d’histoire naturelle et de physique qui compose le cabinet de M. de Montribloud. À Lyon, chez Jacquenod, libraire, rue Mercière, et à Paris, chez Durand. 1782, in-8 de 367 pag.

    La vente de toutes ces richesses eut lieu en 1783. Elle ne pouvait sauver M. de Montribloud. En septembre 1785, il dut faire cession de tous ses biens à ses créanciers. Il mourut le 11 août 1786.

    Quant à M. Devilliers, je renvoie à Dumas, Histoire de l’académie de Lyon, t. I, p. 388.

  37. Cf. Revue critique d’histoire et de littérature, t. XVII de 1884, p. 194.

    À l’occasion de la reproduction d’un fragment du voyage de Roland, je ne puis donner la biographie de notre compatriote, il me suffira de dire que ce voyage n’eut pas tout le résultat désiré. Ce ne fut qu’en 1780 que Lanthenas obtint enfin de son père l’autorisation de se livrer à l’étude de la médecine. Il suivit les cours des plus célèbres professeurs de Paris, et fut reçu docteur à Reims le 13 septembre 1784. Plus tard, élu à la Convention par les départements de la Haute-Loire, de Rhône-et-Loire, il opta pour ce dernier ; il dut à l’intervention de Marat, de n’être pas compris dans la proscription des Girondins et vécut assez pour voir la fin funeste de ses anciens amis, et pour lire le jugement sévère, mais mérité, de Mme Roland sur la faiblesse de son caractère, car il ne mourut que le 2 janvier 1799, à Paris.

  38. Lettres écrites de Suisse, d’Italie, de Sicile et de Malte, par M. [Roland], avocat en parlement, de plusieurs académies en France, et des Arcades de Rome, à Mlle [Phlipon] à Paris, en 1776, 1777 et 1778. Amsterdam, 1780, 6 vol. in-12. — Voir pour le voyage au Puy, t. VI, lettre XLII.
  39. Relevons l’erreur de Roland, erreur au reste partagé par J.-J. Rousseau. Notre Lignon, malgré les beautés incontestables de ses bords, beautés méconnues par Roland, n’est point celui qu’a chanté H. d’Urfé dans l’Astrée. Le vrai Lignon naît et meurt dans l’arrondissement de Montbrison ; après avoir traversé la vallée de Boën, il va se perdre dans la Loire, au-dessus de Feurs. Voyez Aug. Bernard, Magasin Pittoresque, mai 1854.
  40. Pour la description et le plan de ces digues, connues sous le nom d’Avaloirs, voir Alléon Dulac, Mémoires pour servir à l’histoire naturelle des provinces de Lyonnais, Forez et Beaujolais. Lyon, 1765, in-12, 1er vol., pag. 181 et suiv.
  41. En 1778, la valeur d’un mouton flottait entre dix à douze livres ; mais Roland ne veut point sans doute parler du prix de l’animal, mais bien de son rendement. Le chiffre qu’il donne nous semble exagéré. Nous n’oserions pourtant nous inscrire complètement en faux contre l’auteur du Mémoire sur l’éducation des troupeaux et la culture des laines. 1779-83 ; in-4o. — On sait que ce mémoire est de Roland.
  42. La culture de la pomme de terre est relativement ancienne dans nos montagnes. Il y a tout lieu de croire qu’elle s’y introduisit vers la fin du XVIIe siècle. D’après les réponses envoyées en 1760 par les curés du diocèse du Puy à Dom Bourotte chargé par les États du Languedoc de la description géographique et historique de cette province, l’on voit que ces tubercules formaient depuis longtemps la principale nourriture des habitants de la région montagneuse de notre pays. D’après le curé Cavard, « depuis nombre d’années les trufolles sauvaient, à Saint-Front, la vie à la plus grande partie des habitants, à cause de la disette du blé qui y arrive fort souvent. » La pomme de terre était encore cultivée en d’autres lieux : principalement à Chaspinhac, à Saint-Maurice-de-Lignon, à Saint-Victor-Malescours, à Tence, à Dunières, à Freycenet-Lacuche, etc. (Bibliothèque nationale, Fonds de Languedoc, t. XVI.)

    À cette époque, le quintal de pomme de terre pesant 100 livres, poids de Montpellier, valait environ de deux livres à deux livres deux sols.

  43. Cette évaluation est certainement exagérée. Le Puy ne contenait alors que 18,500 habitants environ.
  44. La prairie du Breuil, aujourd’hui la place de ce nom et le Fer-à-Cheval.
  45. C’est l’histoire du frère Théodore, imprimée au Puy par Antoine Delagarde, en 1693, un vol. in-12.
  46. Recherche sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay. 1778, in-fol. avec planches.
  47. Quelle différence entre ces lignes sèches et froides de Roland et celles écrites, quelques années plus tard, par le célèbre agriculteur-voyageur, l’anglais Arthur Young. Je ne puis résister au désir de les citer, au moins par extrait : « Le château de Polignac est bâti sur un énorme rocher, il est presque d’une forme cubique. Il n’y a point de château plus susceptible d’exciter l’orgueil de famille que celui de Polignac ; il n’existe peut-être pas un homme qui ne sentît une certaine vanité d’avoir donné son nom, de la plus grande antiquité, à un rocher si singulier et si dominant ; si j’en portais le nom et si j’en avais la possession, je ne le donnerais pas pour une province. Le bâtiment est si antique et sa situation est si romanesque, que l’imagination se représente à la fois tous les siècles féodaux, par une espèce d’influence magique. On le reconnaît pour la résidence d’un grand baron. » Voyage en France en 1787-88-89 et 90, 2e édit. ; Paris, an II de la République, t. II, pag. 27.
  48. Elle était née le 19 décembre 1724. Après la Révolution elle vint vivre au lieu de sa naissance, au château de Courbières, chez son frère. Elle y mourut le 18 floréal an XII (8 mai 1804).
  49. La collection de bassinoires de Nestor Roqueplan demeurera célèbre. Elle fut dispersée, en juillet 1870, lors de la vente de son mobilier.

    Voici la mention de cette collection, alors unique, extraite du catalogue de cette vente :

    « Curieuse collection de quarante bassinoires anciennes, en cuivre jaune et cuivre rouge repoussé, la plupart des époques Louis XIII et Louis XIV ; elles seront vendues séparément. »

    Depuis, le duc de Mouchy a eu l’idée originale de décorer la salle à manger de son château de Mouchy avec des couvercles de bassinoires encadrés dans des boiseries de vieux chêne.

  50. Médicis, t. I, p. 314.
  51. Lettre de Chassanion à Th. de Bèze, mss. de Genève, id.
  52. Catal. Huzard, no 3939. Cet exempl., relié en veau fauve, doré sur tranches, fut vendu 5 fr.
  53. Manuel du libraire, t. I, 2e partie, col. 1819.
  54. Cette réimpression est dédiée au prince J.-C., comte palatin du Rhin, duc de Bavière, etc., administrateur de l’Électorat. Cette dédicace est datée du 15 août 1586.
  55. Meurisse, loc. cit., pag. 5, 19 et 59, nous apprend que les religionnaires Messins tenaient pour leurs ancêtres les Albigeois nombreux à Metz au XIIIe siècle. Ce fut sans doute cette croyance qui engagea Chassanion à écrire cet ouvrage. En voici le titre : Histoire des Albigeois : touchant leur doctrine et religion, contre les faux bruits qui ont esté semés d’eux, et les écris dont on les a à tort diffamés : et de la cruelle et longue guerre qui leur a esté faite pour ravir les terres et seigneuries d’autrui, sous couleur de vouloir extirper l’Heresie. Le tout recueilli fidèlement de deux vieux exemplaires écris à la main, l’un en langage du Languedoc, l’autre du vieil français, réduits en quatre livres par Iean Chassanion de Monistrol en Velai. (Genève.) Chez Pierre de Saint-André, 1595. pet. in-8.
  56. France protestante, t. III, col. 386, art. François Buffet.
  57. Extrait du registre de l’église de Metz, Id., t. IV, col. 77, art. Jean Chassanion.
  58. Discours historiques de la très-ancienne dévotion de Nostre-Dame du Puy.
    Au Puy, François Varoles, 1644 (3e et dernière édit.), in-8o, pag. 5.
  59. Douet d’Arcq, Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, t. II, pag. 279.
  60. Les Merveilles des Indes, traité des pierres précieuses. Paris, 1661, in-4o, pag. 18 et 20.
  61. Pierre de Rosnel, le Mercure indien, 2e partie. Paris, 1669, in-4o, pag. 9 et 17.
  62. Montpellier, Jean Pech, 1624, pet. in-8o.
  63. La Restitution de Pluton, édit. donnée par Gobet dans les Anciens minéralogistes de France, 1779, in-8o, t. I, pag. 359.
  64. Haudicquer de Blancourt ne se contente pas, dans son traité de l’Art de la verrerie, Paris, 1697, in-12o, d’indiquer la pâte propre à imiter les pierres fines, il enseigne encore l’art de teindre en couleur rouge les jargons d’Auvergne qui sont gris de lin, ainsi que la manière d’en ôter la couleur pour en faire de beaux diamants très durs, pag. 310, 313.
  65. Le Mercure indien, etc., pag. 13 et 30.
  66. Savary, Dictionnaire de commerce, vo Hyacinthe, jargon.
  67. Traité des drogues simples, 2e édit. Paris, 1714, in-4o, pag. 415, la 1re édition avait paru en 1691.
  68. Janvier 1774, t. III, pag. 440. — Comparer avec ce que dit Faujas de Saint-Fond sur le Riou-Pezouliou et ses pierres précieuses : Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay. 1778. in-fol., pag. 185.
  69. Vital Bertrand, Essai sur l’histoire naturelle et sur l’agriculture de l’arrondissement du Puy. Au Puy, J.-B. Lacombe, 1811, in-8o, pag. 73.
  70. Il est assez difficile de déterminer quel est le membre de cette famille, originaire du Berry, qui présida à la prise de Bonnefoy. La généalogie très ample qu’en a donnée le père Anselme : Histoire généalogique et chronologique de la Maison royale de France, etc., t. VII, pag. 77 et sq. ne nous fournit aucun éclaircissement à ce sujet. Le premier de cette famille qui semble être venu dans nos contrées est Gabriel de Culant, chevalier, seigneur de Culant, marié, en deuxièmes noces, avec Françoise de Peyrusse d’Escars, elle-même veuve de Anne d’Apchon. Par acte du 15 mars 1534, il permuta avec Robert de Rochebaron, seigneur de Vals-le-Chastel, la terre seigneurie de Lacoughat, près Paulhaguet, qui appartenait à sa femme. L’Histoire généalogique, qui ne parle pas de cette transaction, dit que Françoise d’Escars ne paraît pas avoir eu d’enfants de Gabriel de Culant. Mais est-ce bien certain ? De son premier mariage avec Marguerite d’Épinay, il avait eu deux fils, dont le premier, Charles, baron de Mirebeau, se maria également dans nos pays, par contrat du 9 février 1529, à Gabrielle d’Apchier, sa cousine, — fille de Jacques d’Apchier, baron d’Apchier, et de Marie de Castelnau, sa seconde femme, — dont il eut trois fils. Nous laissons à de plus habiles que nous le soin d’élucider cette question.
  71. Histoire générale du Languedoc, t. V. pag. 327.
  72. Lettre inédite de Dom Pierre Torrilhon, coadjuteur de Bonnefoy, à son frère. Dernier octobre 1628. Elle est en ma possession.
  73. Général de l’ordre depuis 1600. Il mourut le 5 mars 1631, âgé de 82 ans. Chorier, État politique du Dauphiné, t. II, pag. 283 et sq.
  74. Poncer, Mémoires hist. sur le Vivarais, t. III, pag. 98-99.
  75. Guillaume de Bertrand avait épousé, par contrat du 9 mai 1622, reçu Gaspard d’Avignon et Durand Queyrel, notaires royaux du Puy, Catherine de Serres, sœur de l’évêque Just. Il fut inhumé le 29 juillet 1629. H. d’Avignon, La Velleyade, pag. 140. Son office de juge-mage et lieutenant-général fut vendu par acte du 22 décembre 1629, reçu Parat, notaire royal au Puy, à Hugues de Fillère, seigneur du Charouil et de Bornette, par Alexandre de Bertrand, abbé de Saint-Vosy, et par Christophe de Bertrand, prévôt de la cathédrale de N.-D. du Puy, agissant en qualité de tuteur de leur nièce Anne de Bertrand, fille unique de leur frère.

    Comme mon savant et regretté ami, M. le conseiller Du Molin, — La seigneurie du Mezenc ; le Puy, Marchessou, 1874, in-12o, — n’a parlé de la vente de cette seigneurie que d’après l’Inventaire général des titres, privilèges, etc., de la Chartreuse de Bonnefoy, dressé en 1695, par Jacques Robert, praticien de la ville du Puy, nous reproduisons plus loin ce contrat qui est intimement lié à l’histoire des débuts de la Chartreuse de Brives.

    Cet inventaire fait maintenant partie du cabinet d’un chercheur heureux et rarement mal inspiré, M. Henry Vaschalde, de Vals-les-Bains. Ce savant aimable rendrait un véritable service à l’histoire locale de deux départements, s’il publiait in-extenso cet intéressant document. Jusqu’ici il n’est connu que par les extraits donnés par son premier possesseur, Poncer. V. Mémoires hist. sur le Vivarais, t. III, pag. 54-130.

  76. Cette démarche des habitants du Puy était des plus avantageuses pour les Chartreux ; car, d’après notre ancien droit public, les communautés séculières ne pouvaient s’établir dons une ville ou bien aux faubourgs que du gré et consentement des habitants. Ces derniers étaient toujours recevables en leur opposition. Cf. Henry, Œuvres, 5e édit., t. I, pag. 176 et sq.
  77. Montlezun, Hist. de N.-D. du Puy, 1854, pag. 120.
  78. No d’ordre, 561 ; no des tablettes, 948.
  79. Le Gallia Christiana n’a consacré, t. II, col. 752, qu’une mention de deux lignes, encore fort inexacte, à ce prévôt de N.-D. Il était le fils de Jean Bertrand, juge-mage et lieutenant-général en la sénéchaussée du Puy, et de Anne de Pelissac. Il testa le 16 mai 1644, devant Fornel, notaire royal au Puy, en faveur de la fille de son frère Guillaume, Anne de Bertrand, dame du Mezenc, mariée à Guillaume de Veyny d’Arbouze, seigneur de Fernoel. Christophe ne mourut toutefois qu’en 1659. Un autre de ses frères, dont nous avons déjà parlé, Alexandre de Bertrand, abbé de Saint-Vosy, prieur, seigneur de Saint-Christophe en Gévaudan, mourut vers 1629.
  80. Louis Dublanc, avocat. Arnaud, t. II, pag. 413.
  81. Archives départementales. Minutes de Claude Moreschal, année 1624, fol. cxvij.
  82. Tous les biographes sont d’accord sur la date de la naissance du cardinal : 11 octobre 1661. Mais je crois inédit son acte de baptême, acte qui suppléait alors à l’acte de naissance. Le voici : « Le 8e jour du mois de juin, l’an mil six cents soixante-cinq, a esté baptisé Melchior de Polignac, fils naturel et légitime à très hault et puissant seigneur messire Louis-Armand, vicomte de Polignac, marquis de Chalencon, conte de Randon, Randonnat, Solignac, baron de la Voute, Saint-Paulien, Ceyssac, Craponne, Auzon et autres, chevalier des ordres du Roy et gouverneur de la ville du Puy, et de haute et puissante dame Jacqueline du Roure, dame de Polignac, mariés, et nay (sic) le unsiesme octobre mil six cens soixante-un.

    « Son parrin, hault et puissant seigneur messire Melchior de Polignac, abbé et baron de Montebourg, conte de Rioux, Marssac et autres places, conseiller du Roy et son aumônier ordinaire.

    « Et sa marrene, haute et puissante dame Anne D’Ornane (sic), princesse d’Harcourt, femme à très hault et très puissant seigneur François de Lorraine, prince d’Harcourt, en présence des soubsignés.

    « Obrier ; Obrier, pr ; Verdier, pr ; Pellissier, etc. »

    (Archives municipales de la ville du Puy.)

  83. L’Anti-Lucrèce en vers français par M. l’Abbé Bérardier de Bataut, Licentié en Théologie, et prieur de Notre-Dame de Serqueux. Paris, le truducteur et Ch.-P. Berton, Libraire. 1786, 2 vol. in-12.
  84. L’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac, en vers français, avec le IXe et dernier chant ajoutés à l’original, par M. Jeanty Laurans et la Traduction en vers Latins du IXe chant, par M. l’Abbé G.  Manein. Auch, de l’imp. de J.-P. Duprat. 1813, 1 vol. in-8.
  85. Anti-Lucrezio ovvero di Dio e della natura Libri nove. Opera postuma del cardinale Melchiore di Polignac di Latino trasportata in verso sciolto italiano da don Francesco-Maria Ricci romano abate Benedittino Casinese. In Verona, per Agostino Carattoni. 1751. 2 vol. in-8, port.
  86. Elle mourut en septembre 1706.
  87. Ces vers ne sont pas signés ; mais cette allusion légèrement ironique à l’Académie française, à mes yeux, vaut une signature. Quel autre que le cardinal aurait pu, lui présent, s’exprimer ainsi. Il venait d’entrer dans la docte assemblée. Voici le titre de son discours de réception : Discours prononcé dans l’Académie française, le samedi deuxième aoust MDCCIV, par Monsieur l’Abbé de Polignac lorsqu’il y fut receu à la place de Monsieur Bossuet, Evesque de Meaux. À Paris, chez Jean-Baptiste Coignard, imprimeur et libraire ordinaire du Roi et de l’Académie française. 1704, 38 pag in-8.
  88. Petit village maintenant réuni pour le spirituel et le temporel à la commune de Lavaudieu, près Brioude.

    Voici, d’après une lettre sans date (1791) du curé constitutionnel de Lugeac, quelles étaient les dimensions de cette église : nef, 30 pieds en longueur sur 17 en largeur ; chœur, 16 pieds en profondeur sur 15 en largeur. — Cette paroisse comptait alors 12 feux.

  89. Pinols, chef-lieu de canton de la Haute-Loire.
  90. Registres des Baptêmes de l’église de Saint-Gal de Langeac. Archives municipales de cette ville.
  91. Petit in-8 de 24 pag.
  92. Après ce siège, il semblait que Saint-Agrève eût dû rester aux catholiques ; mais c’était un point stratégique trop important pour que Chambaud ne cherchât pas à le reprendre : en effet, il ne tarda pas à y rentrer. Il rendit la place plus forte qu’auparavant. En 1588, un nouveau siège devint encore plus urgent que le précédent. Ce fut encore Saint-Vidal et Tournon qui se présentèrent devant cette petite malheureuse ville pour l’enlever aux religionnaires. Mais cette fois ils eurent affaire à Chambaud lui-même. Il se défendit avec une vigueur extrême. Après plus d’un mois de siège, (5 sept. — 8 oct.), « Tournon et Saint-Vidal furent contrainctz, voyant les grands fraiz que se faysoient, que aussi pour aultant que le froyt et yver s’approchoyt, de prendre les assiégés à composition. » En conséquence, Chambaud sortit « avec le tambour batant, enseigne despliée, avec l’arquebuse et mèche allumée ». Voir sur ces deux sièges les Mémoires de Jean Burel, pag. 64 et suiv., et 108 et suiv.