Variétés et mélanges, 4e trim. 1829/01

Anonyme
Variétés et mélanges, 4e trim. 1829
Revue des Deux Mondes, période initialetome 2 (p. 101-132).


VARIÉTÉS


ET MÉLANGES.




TERRE DE VAN-DIÉMEN.




TABLEAU DE LA COLONIE EN 1829.


Les progrès des colonies anglaises de l’Asie méridionale dans les arts, les sciences et le commerce, excitent une vive surprise. Dans la terre de Van-Diémen, ou Tasmanie, pays qui n’est encore que d’une importance secondaire, si on le compare avec les vastes contrées voisines, les améliorations dont nous parlons ne sont pas moins remarquables qu’à la Nouvelle-Galles du sud. Nous avons sous les yeux un Almanach, d’Hobart-Town pour l’année 1829, la première production de ce genre qui soit sortie des presses de la Tasmanie. C’est un élégant volume orné de planches, digne émule, nous ne disons pas encore rival heureux, des publications annuelles les plus recherchées en ce genre. Cet ouvrage, loin d’être un simple calendrier, contient un itinéraire complet de l’île ; il détaille à la fois les villes et les villages, les rivières et les ruisseaux, tout enfin, depuis l’habitation des notabilités coloniales jusqu’à la ferme de l’agriculteur.

Découverte par Abel Tasman le 1er décembre 1643, cette colonie fut visitée pour la première fois par un Anglais le 9 mars 1773, reconnue pour une île en février 1798, et déclarée indépendante de la Nouvelle-Galles du sud le 24 novembre 1825. La population, au 1er janvier 1829, s’élevait déjà a 20,000 ames, non compris 600 indigènes qui vivent dans les bois. Dans ce nombre on compte 12,000 adultes, 4,800 femmes nubiles, et 3,200 enfans au-dessous de dix ans. Hobart-Town, la capitale, contient 5,700 ames. En 1828, il y eut 180 mariages, 500 décès et 650 naissances. Dans le cours de cette même année, 1,500 nouveaux habitans sont venus s’établir sur cette terre hospitalière. La superficie totale de l’île est de 23,437 ½ milles carrés, ou 15 millions d’acres, dont 6 millions et demi en prés, 10 millions et demi en terres de labour, et le reste en collines rocailleuses garnies de bois épais. Le nombre des acres déjà concédés est de 1,121,548. La terre mise en valeur consiste en 30,150 acres, dont 22,950 sont ensemencés en orge, en avoine, pois, fèves et surtout en froment, 3,200 acres en pommes de terre et en navets, et 4,000 en gazon anglais. On y compte 2,100 chevaux, 70,000 bêtes à cornes, 500,000 moutons, 2,000 chèvres, 10,000 porcs et 20,000 têtes de volailles. En 1828, le revenu total s’est élevé a 40,000 livres sterling, dont la moitié provenait des droits sur les liqueurs spiritueuses. Les frais du gouvernement ont été juste le triple des recettes, ou 120,000 liv. st. Les importations dans cette même année furent de 300,000 liv. st., et les exportations de 100,000 liv. st. Le total des valeurs en circulation dans l’île est de 100,000 liv. st., dont 60,000 en papier et en billets de 1, 5, 10 et 20 liv. L’intérêt colonial est de 10 pour 100.

Tels sont les détails statistiques contenus dans l’almanach d’Hobart-Town. Sans garantir la rigoureuse exactitude de ces chiffres, il est cependant hors de doute qu’ils se rapprochent beaucoup de la vérité ; ils démontrent à quel haut degré de prospérité est parvenue cette colonie depuis la visite d’une commission d’enquête en 1821. Dans ce court intervalle de temps, la population, les recettes, les produits de toute nature ont plus que quadruplé.

La lettre suivante, écrite d’Hobart-Town le 26 mars 1829, donne également des renseignemens fort curieux sur la situation de l’île au commencement de cette année, quoique empreints peut-être d’un peu d’exagération[1].

« La terre de Van-Diémen, dit l’auteur de cette lettre, est un pays délicieux. Prenez le climat de l’Italie, les scènes pittoresques des montagnes du pays de Galles, joignez-y le sol fécond de l’Angleterre, et vous aurez une idée de cette belle contrée.

» Les fruits et les autres productions de la terre s’y succèdent constamment ; car ici l’hiver est presque inconnu, à moins qu’on ne donne ce nom aux mois de juin et de juillet, saison des pluies et du vent.

» Les céréales et les végétaux y ont une saveur plus douce, et réussissent mieux qu’en Angleterre. Le bétail que les premiers colons y ont apporté s’est promptement multiplié. Le bois de construction pour les vaisseaux est magnifique, et paraît inépuisable. On y trouve en abondance des arbres de toute espèce. La menthe, le chèvrefeuille, le géranium, le myrte, le camphre, etc., y croissent spontanément. Une promenade dans les bois est ravissante ; seulement on court risque d’être percé d’un coup de lance par un naturel, ou d’être attaqué par des serpens.

» On ne rencontre dans les forêts qu’un seul animal sauvage indigène ; c’est une espèce de panthère extrêmement timide qui fuit à l’approche de l’homme. Les insectes et les reptiles sont les animaux les plus formidables.

» Comme il y a beaucoup de bêtes à cornes, le prix en est moins élevé à Hobart-Town qu’à Londres. En effet, on peut avoir pour 5 livres sterling un bœuf, ou une vache et un veau. Quant aux kangaroos qui valent le gibier, il suffit de se donner la peine de les tirer. On peut, dans cinq minutes, remplir une corbeille d’huîtres et de coquillages. J’ai pris dernièrement, avec deux de mes compagnons, dix-sept écrevisses pesant de 2 à 4 livres. Je dois ajouter que le bœuf et le mouton paraissent d’un goût plus agréable qu’en Angleterre ; cette différence provient sans doute de la qualité des herbages, et du repos dont ces animaux jouissent continuellement. La farine coûte environ 1 penny ½, la livre (5 sous) ; les pêches sont à 1 penny la douzaine.

» Je voudrais que vous pussiez venir visiter le jardin de votre ami à New-Town. Les arbres plient sous les fruits dont ils sont chargés ; il n’y a ni assez de bouches pour les manger, ni assez de mains pour les cueillir. Les raisins sont beaux et abondans ; mais la culture de la vigne n’est pas encore très-avancée. Nous pouvons nous procurer des vins français excellens à un prix très-modéré. Le houblon croît en abondance, et l’on commence à faire de la drèche. Il n’y a point de lois sur la chasse. Pour pouvoir chasser en tous lieux et quand on veut, il suffit d’être habile et d’avoir un fusil. Le pays possède presque toutes les variétés d’oiseaux. Les canards sauvages s’y trouvent en si grand nombre, que j’en ai vu tuer vingt-quatre en un seul coup de fusil. On les rencontre en grandes masses dans les marécages couverts de joncs et de roseaux. Les perruches et les perroquets semblent apprivoisés ; j’en ai vu voltiger autour de moi plus de cinquante qui brillaient sous les feux du soleil comme des pierres précieuses.

» Nous avons ici deux espèces d’hommes, l’une blanche et l’autre noire. Les blancs sont à peu près les mêmes qu’en Angleterre, seulement ils sont moins sociables et tout aussi méchans. Ils se subdivisent en colons ou planteurs libres, et en convicts ou déportés. Les déportés sont bien nourris, bien habillés, mais très-indolens. Ils trafiquent, ils dupent, mentent, prient, jurent, et mènent une vie fort dissipée. En un mot, ils sont tout, excepté ce qu’ils devraient être dans cette terre d’abondance, c’est-à-dire heureux et vertueux. Le besoin est presque inconnu ici ; on n’y voit point de ces visages pâles, soucieux et chagrins, comme on en rencontre dans chaque rue de Londres. La misère n’est jamais que le résultat de l’oisiveté, de la débauche et des fausses spéculations.

» La population noire est peu nombreuse, et se montre complètement insensible aux avantages de la civilisation. Les noirs sont assez stupides pour préférer de marcher nus dans un climat où les vêtemens ne sont pas nécessaires, plutôt que de se charger d’habits de laine qu’on leur donnerait en échange de leur liberté, et ils aiment mieux vivre dans l’aisance et dans l’indépendance, que de travailler et de s’imposer des privations.

» Les blancs, irrités d’une pareille folie, argumentent contre eux le mousquet à la main, et les noirs répondent à cet appel fait à leur intelligence, en perçant les blancs de coups de lance toutes les fois qu’ils en trouvent l’occasion[2].

» Les noirs jouissent d’une grande force musculaire : c’est la race la plus difforme et la plus hideuse qu’on puisse imaginer, du moins d’après l’opinion des blancs. Ils marchent en troupes, mais ils manquent de chefs, et n’ont pas la moindre idée de gouvernement. On a essayé d’en élever quelques-uns pour leur faire connaître les douceurs de la vie sociale ; mais à l’âge de puberté, ils se sont sauvés dans leurs bois.

» Tout ce qui a été débité en Angleterre relativement à l’amélioration des mœurs des déportés de cette colonie, est entièrement faux. Ils sont aussi débauchés et aussi oisifs que les voleurs et les vagabonds du Royaume-Uni.

» Le fruit de mes observations et des renseignemens que j’ai pu me procurer, se réduit à ceci :

» L’attrait du crime diminue par l’absence relative du besoin ; des réglemens locaux en rendent l’exécution plus difficile ; la peine est plus sévère et plus assurée. Voilà pourquoi il y a moins de crimes dans la terre de Van-Diémen qu’en Angleterre… »

Nous ajouterons à ce tableau animé une description topographique de la colonie. Elle est tirée de l’itinéraire dont nous avons parlé plus haut, et qui fait partie de l’almanach d’Hobert-Town pour 1829.

Cet itinéraire a fréquemment excité notre surprise. Les noms bizarres donnés par les Anglais aux contrées nouvellement découvertes, sont devenus le texte d’une foule de plaisanteries en Angleterre comme à l’étranger. Il serait peut-être nécessaire d’adopter quelques dispositions propres à prévenir le retour de ces dénominations triviales qui quelquefois défigurent les mappemondes. Les noms rudes et anti-poétiques que les premiers colons imposèrent à leurs établissemens dans l’Amérique, doivent singulièrement embarrasser les bardes de ce pays. Le même inconvénient se présentera à la terre de Van-Diémen quand la poésie commencera à y naître. Combien de fois un Byron tasmanien ne devra-t-il pas ronger sa plume avant de faire entrer dans ses vers des noms aussi rebelles et sauvages que le Buisson de l’arbre à thé, la Colline au chapeau retroussé, les Plaines bourbeuses, la Rivière du point du jour, les Prairies salées, les Rives du serpent noir, la Route de l’arbre creux, le Mont casse-cou, et le Lac de la terre de pipe ?

Nous allons parcourir une page ou deux de cet itinéraire pour montrer quelle étrange union présentent quelques-unes de ces délimitations.

À 16 milles environ de la capitale se trouve Brighton, « où il y a un hôtel, ou plutôt une cabane de ville ». De là on est tout étonné de tomber sur la route de Richmond, à laquelle on n’arrive qu’après avoir traversé Jérusalem (plaines de vastes pâturages) et Jéricho, encore baignée, comme autrefois, par le Jourdain ». À quelque distance de Brighton, « le voyageur, dit notre auteur, entre dans le riche et fertile district de Bagdad, » qui, loin d’être situé sur les bords du Tigre, comme le prétendent les anciens géographes, « s’étend dans un espace de près de 8 milles au pied de la montagne de la Constitution. »

Derrière cette montagne apparaissent les rives de la Clyde, qui semble couler côte à côte avec le Jourdain auprès de Mont-Vernon. À la 42e borne milliaire, on traverse sur un pont de bois de deux arches cette célèbre rivière, qui prend sa source dans un lac couvert de roseaux, « où mistress Gough et son enfant furent assassinés par les naturels. » À 12 milles plus loin est Oatlands qui, comme on a soin de nous en prévenir, n’est plus un hameau, « mais un village avec une église et une prison en construction. » Quelques heures de marche transportent le voyageur aux pieds du Ben-Lomond, d’où tombe l’Esk méridional, dans lequel viennent se jeter le Tamar et le Nil, que notre auteur appelle avec raison « une belle rivière. »

Sur les bords d’un vaste lac, à quelques milles, s’élève la ville de Lincoln et la montagne du Vinaigre, qui est aux portes des Perth, et non loin de Launceston, « capitale du comté de Cornwall. » On passe ensuite le Shannon, belle et limpide rivière, sur laquelle est bâti le village de Crécy, où un prince noir peut avoir souvent combattu, mais « où maintenant M. Dutton élève trois superbes chevaux appelés Buffalo, Bolivar et Waterloo. »

Une autre excursion nous transporte des bords de la Clyde en Abyssinie, « vaste contrée verdoyante », où se trouvent, non les cataractes du Nil, mais celles de la Clyde. De là nous tombons dans le Styx, « fleuve large et rapide », et bien différent de la lente rivière de l’antiquité. On le passe, non dans la barque de Caron, mais sur un pont de bois construit par les propriétaires riverains, qui, sans doute, jurent souvent par le Styx. Après un trajet de quelques milles, le voyageur découvre le Shannon, dans lequel, par un prodige inouï, l’Ouse vient se jeter. Non loin des pâturages de Basan, célèbres par la beauté des taureaux, on aperçoit le Dee, qui, comme la Tamise « petit ruisseau, » et une multitude d’autres affluens, est englouti par le Derwent, quelque temps avant que le voyageur surpris n’entre dans la Transylvanie.

Tel est cet itinéraire. Le mélange confus des villes et des comtés doit singulièrement embarrasser un colon novice. Les montagnes de Surrey et du Hampshire, accolées les unes aux autres, sont placées dans le comté de Cornwall, à côté des plaines de Norfolk. Là gisent les ruines de l’ancienne ville d’York, que des arbres, nés parmi les décombres, couvrent maintenant de leurs larges branches. L’époque de la fondation de cette ancienne ville remonte à l’année 1804 !…



Autriche.




STATISTIQUE[3].


Tous les états soumis à l’empereur d’Autriche, y compris le royaume Lombardo-Vénitien ont une étendue de 12,153 milles géographiques carrés, dont les états allemands n’occupent que 3,548. Ils sont habités par sept nations principales, savoir : les Allemands, les Slaves, les Magyares, les Italiens, les Wallaques, les Grecs et les Juifs. La population totale était, en 1828, de 31,944,000, ce qui fait un peu moins du septième de toute la population de l’Europe. Depuis plusieurs années, le nombre des habitans de cette partie du monde augmente de 2 millions par an. En Autriche, cette augmentation est annuellement d’un tiers pour cent, c’est-à-dire de plus de 425,000 habitans. La tolérance religieuse y est complète ; les dissidens sont admissibles à tous les emplois civils et militaires, et l’instruction primaire et populaire n’y est guère moins favorisée par le gouvernement que dans les autres états de l’Allemagne. Si l’enseignement mutuel a trouvé peu de partisans dans cette contrée, ce n’est pas en haine des lumières, mais parce qu’on y regarde la méthode à la fois individuelle et simultanée, comme de beaucoup supérieure à la méthode lancastrienne, dont toutefois on ne conteste pas l’utilité pour des pays où il y a peu d’écoles, où le gouvernement n’accorde pas aux maîtres des traitemens suffisans, et où tous les encouragemens sont réservés à l’instruction supérieure. Vienne, Linz, Prague, Milan, Waizen, possèdent des établissemens pour les sourds et muets ; les deux premières seulement ont des écoles pour les aveugles-nés.

Quatre cinquièmes du sol sont cultivés ou utilisés. L’Autriche possède une route en fer qui joint la Moldava au Danube, de Budweis à Linz. Les mines produisent 45,000 marcs d’or, et 100,000 marcs d’argent. Les revenus sont de 120 millions de florins ou 270 millions de francs. La contribution moyenne de chaque individu est d’environ 4 florins et demi, ou environ 10 francs 12 centimes. La dette publique était, en 1827, de 610 millions de florins. La caisse d’amortissement, fondée en 1818, a retiré, jusqu’en 1828, pour plus de 170 millions d’effets. Quant aux forces militaires de la monarchie autrichienne, elles s’élèvent, en temps de guerre, à 750,000 hommes, y compris la réserve et la Landwehr (milice du pays), qui se composent ensemble de 474,000 hommes. Le chiffre de l’armée permanente est à celui de la population comme un est à cent, etc., etc.…



ÉTATS-UNIS.




DETTE NATIONALE.


La dette des États-Unis provient des emprunts volontaires et forcés, négociés pendant la guerre de la révolution, et du papier-monnaie émis en 1783. La dette particulière, contractée à la même époque par les treize états, fut incorporée par le congrès dans la dette nationale, et par ses actes du mois de mai 1792 et du 5 mars 1795, il appliqua à son extinction les produits de la vente des domaines nationaux, et l’intérêt provenant de différentes sortes de fonds, fut confié pour cet effet aux commissaires de la caisse d’amortissement.

dollars[4].
En 1791 , la dette était de 75,463,476
1796 83,762,172

La dette s’est accrue progressivement durant ces six années, à l’exception de 1794, où elle éprouva une légère diminution.

dollars.
En 1799 , la dette était de 78,408,669
1801 83,038,050
1803 77,054,686

Les préparatifs militaires contre la France qui se firent jusqu’en 1801, époque à laquelle commença l’administration de Jefferson, produisirent une nouvelle augmentation de la dette en 1800 et 1801.

dollars.
En 1804 , la dette était de 86,427,120
1809 57,023,192

La dette augmenta en 1804, par suite de l’acquisition de la Louisiane. L’administration de Jefferson finit le 4 mars 1809.

dollars.
En 1810 , la dette était de 53,172,302
1812 45,211,981

La dette fut à son taux le plus bas en 1812, sous l’administration de M. Madison, et avant la guerre contre l’Angleterre.

dollars.
En 1813 , la dette était de 55,965,070
1816 123,016,375

Guerre et dettes de la guerre. Maximum en 1816.

dollars.
En 1817 , la dette était de 115,807,805
1820 91,015,566

Administration de M. Monroe. Les recettes de la douane et autres étant considérables, il en résulta une réduction rapide de la dette, à partir de 1816.


dollars.
En 1821 , la dette était de 89,987,427
1822 93,546,676
1825 83,788,432

Augmentation à cause de l’achat des Florides fait à l’Espagne, et de la diminution des recettes de la douane, en 1820 et 1821. Fin de l’administration de M. Monroe.


dollars.
En 1826 , la dette était de 81,054,059
1828 67,475,622
1829 58,562, 135

L’administration de M. Adams commence le 4 mars 1825, et finit le 5 mars 1829.

Pendant les quatre dernières années, le trésor paya pour la dette publique, savoir :


dollars.
Intérêt 14,930,464
Principal 30,373,188
TOTAL 45,303,652 ou 11,325,910 par an

L’affectation régulière pour le paiement du principal et de l’intérêt est de 10 millions seulement par an ; mais à la fin de l’administration de M. Monroe, le trésor s’était arriéré avec la caisse d’amortissement, ses opérations ayant été suspendues par suite des embarras financiers de 1820 et 1821.

Il a été payé, terme moyen, pendant les quatre dernières années, savoir :

dollars.
Intérêts 3,732,500
Principal 7,593,250

La réduction de l’intérêt provenant de l’extinction du capital dans ces quatre années, donnera, pour les quatre suivantes, une somme annuelle moyenne de 2 millions en plus pour le remboursement du principal ; et comme 30,373,188 de principal furent acquittés en 1825, 1826, 1827 et 1828, rien n’empêche qu’on en amortisse pour 38 millions en 1829, 1830, 1831 et 1832. Toutefois il n’est pas probable qu’on soit obligé d’employer une somme aussi considérable.

Voici l’état de la dette au 1er janvier 1829.

dollars
Rentes 5 pour cent (dette de la révolution) rachetables à volonté. 13,296,249
6 pour cent, de 1814 et 1815, id. 16,279,822
5 pour cent placés dans la banque des États-Unis, id. 7,000,000 [5]
Id. de 1820, rachetables en 1832. 999,999
Id. de 1821, rachetables en 1835. 4,735,296
Id. échangés, rachetables en 1832. 56,704
4 et demi pour cent de 1824, rachetables en 1832 10,000,000
Id. échangés de 1824, rachetables en 1833 et 1834 4,454,727

Id. (4½ %) échangés de 1825, rachetables en 1829 et 1830. 1,539,338
TOTAL 58,362,135


RÉCAPITULATION.
Total des rentes à 3 pour cent 13,296,249
Id. à 4 et demi pour cent 15,994,064
Id. à 5 pour cent 12,792,000
Id. à 6 pour cent 16,279,822
TOTAL 58,362,135
Déduction faite des 5 pour cent payables
en 1835
4,755,296 doll.

Id. des 4 et demi
payables en 1833
et 1834
4,454,727 doll.
9,190,023
Il restera 49,172,112


Le gouvernement attendra, pour rembourser les trois pour cent, qu’il y ait un excédant de fonds dans le trésor, lors même que les impôts auraient subi une réduction considérable. Les placemens dans la banque des États-Unis ne devraient pas figurer comme dette, attendu que leur valeur dépasse aujourd’hui de plus d’un million le montant des actions prises pour le compte du gouvernement. Le principal des 3 pour cent et celui des actions de la banque réunis font un total de 20,296,249 dollars, ce qui laisse, pour les opérations présumées des quatre années suivantes, un peu moins de 29,000,000 à rembourser, et il y aura, pour racheter ce capital au taux des quatre dernières années, 38,000,000 de dollars environ, ou un excédant de 9,000,000 (plus de 45 millions de francs).


SAINT-PÉTERSBOURG.


Mai 1829.




L’ERMITAGE.


Je visitai l’Ermitage, l’un des nombreux palais qui bordent la Néva, et je suis encore à savoir pourquoi la résidence de Sa Majesté a été ainsi appelée. Au surplus, l’Ermitage n’a aucun point de ressemblance avec ce genre de demeures dont il a pris le nom. On m’avait beaucoup parlé des tableaux : mais, je l’avoue, je ne m’attendais pas au magnifique spectacle qu’offre ce palais. J’ai vu bien des collections, et nulle ne peut être comparée à celle-ci pour le nombre de tableaux dont elle se compose. Ils sont, il est vrai, mieux choisis au Louvre ; car à l’Ermitage on en trouve beaucoup qui paraissent peu remarquables, et qui, probablement, seront mis de côté lorsqu’on pourra les remplacer par de meilleurs ouvrages. L’école hollandaise y domine, et je ne vis jamais réunis dans un seul endroit tant de tableaux de Paul Potter, Téniers, Wouvermans et Van Dyck. L’école française s’y distingue par quelques belles productions de Claude, et un grand nombre de celles de Vernet ; mais ces dernières ne sont pas les chefs-d’œuvre de leur auteur, et la plupart datent évidemment de sa jeunesse. J’y ai aperçu une douzaine d’animaux peints dans la perfection par Schneider. Les tableaux sont distribués dans une série de pièces et de galeries. On me montra ensuite une salle magnifique et spacieuse, où s’assemblent les chevaliers de Saint-Georges, et d’où je passai dans une longue et étroite galerie, consacrée exclusivement aux ouvrages de M. Daw, célèbre artiste anglais. Ce gentleman a été chargé par le gouvernement d’exécuter, moitié de grandeur naturelle, les portraits de tous les généraux russes qui ont servi pendant la guerre contre la France. Cette tâche herculéenne est aujourd’hui presque accomplie, et 350 tableaux sont disposés le long des murs de la galerie qui porte le nom de l’artiste, et qui, pour les proportions et les ornemens, est une miniature complète du Louvre. Quelques intervalles ont été laissés pour y recevoir les portraits en pied de plusieurs généraux de distinction, au nombre desquels sera celui du duc de Wellington. La ressemblance de ces portraits est parfaite, et si, dans quelques-uns, l’exécution n’y répond pas tout-à-fait, la promptitude que le peintre mit dans son travail suffit seule pour l’excuser. J’en remarquai deux qui ressemblent fort à Bonaparte et au duc d’York. Cette entreprise extraordinaire a déjà assuré une grande fortune à M. Daw ; 1000 roubles lui sont alloués pour chaque original, et j’apprends qu’on lui en a demandé de nombreuses copies qu’il porte chacune au taux de 2,000 roubles.

Je visitai également ce que l’on doit appeler, depuis l’importation récente de mots français, l’atelier de cet infatigable artiste ; et, en y entrant, mes yeux furent particulièrement frappés de deux portraits, grandeur naturelle, de Wellington et Kutusoff Le premier est abrité par le chêne britannique, et le second se tient sous un sapin couvert de neige, emblème du pays pour lequel il a combattu si long-temps. Mais le chef-d’œuvre de M. Daw est un portrait, grandeur naturelle, de l’Impératrice, avec le costume qu’elle avait le jour de son couronnement. Ce tableau me parut admirable. La jeune et belle souveraine n’a d’autre ornement sur sa tête que le diadème impérial, qui est petit, et tout enrichi de diamans et de perles ; ses cheveux bouclés flottent sur ses épaules. La ressemblance ne laisse rien à désirer. L’atelier de M. Daw est le lieu favori des récréations des jeunes membres de la famille impériale, qui se trouvaient dans la galerie en même temps que moi. Les princesses sont jolies, mais, comme tous les enfans russes, elles sont faibles et délicates, et je les compare aux plantes venues dans des serres chaudes. L’Ermitage ne renferme que peu de statues ; mais il a, en revanche, une belle collection d’énormes vases de jaspe de Sibérie et de porphyre. L’un d’eux est surtout précieux pour sa grandeur ; sa largeur est de 5 pieds, et il est composé entièrement de malachite, dont les divers morceaux sont si admirablement joints les uns aux autres, qu’ils semblent former une masse solide. On y voit aussi une horloge musicale d’une dimension extraordinaire, et qui ressemble plus à un orgue d’église qu’à un ornement de palais. L’histoire de cette horloge est assez singulière ; elle fut faite par spéculation, mais le prix en ayant été fixé à 200,000 roubles (environ deux cent mille francs), il ne se présenta pas d’acheteur. On la mit alors en loterie, et le gagnant fut une pauvre femme qui la vendit à l’empereur pour une somme considérable, et une rente viagère. Comme il serait impossible de détailler toutes les merveilles de l’Ermitage, je passerai à la chambre où sont conservés quelques uns des objets précieux appartenant à l’état ; et le coup d’œil en est si beau, qu’il semble avoir été opéré par la lampe magique d’Aladin. Là, se trouvent le célèbre diamant, le plus grand et le plus pur de tous ceux qui aient jamais été découverts, deux bouquets composés de différentes pierres très-grosses et d’un admirable éclat, enfin une petite commode garnie de perles aussi volumineuses que des noix. Beaucoup de joyaux, je n’en doute nullement, ont été reçus à titre de présens de la part des monarques orientaux ; une case seule est remplie de joaillerie chinoise. Il y a également plusieurs services d’argenterie de cette contrée, du travail le plus achevé. On garde dans cette chambre les soucoupes et les salières en or dans lesquelles une députation des habitans de St-Pétersbourg offre un tribut de pain et de sel, à l’avénement au trône d’un empereur. Je remarquai, en outre, une vaste collection de tabatières d’une grande valeur, mais je ne pourrais dire si elles ont été envoyées en présent, ou si l’on doit les distribuer comme tels. Entr’autres curiosités, on remarque une horloge renfermée dans un cadre en verre de 8 pieds carrés. Quantité de mouvemens sont ménagés dans cette mécanique étonnante. À de certains momens, un paon, de grosseur et grandeur naturelles, agite ses ailes et fait la roue, un hibou sonne les heures, etc. Le paon est abrité par les rameaux étendus d’un arbre, et un melon de grosseur naturelle ajoute encore à la bizarrerie de cette mécanique, qui est toute en argent doré. Une chambre renferme une collection considérable de camées, pierres gravées, etc. D’autres plus petites contiennent des dessins et gravures ; enfin, on n’a rien omis de ce qui peut augmenter la valeur de ce véritable Musée impérial. Les chambres sont meublées d’un grand nombre de pendules en or moulu et d’ornemens français ; mais, du reste, elles ne sont pas richement décorées, etc.…




LE PALAIS DE MARBRE.


En quittant l’Ermitage, nous continuâmes notre route vers le Palais de marbre, ainsi nommé parce que les murs sont incrustés d’une variété de beaux marbres, et que les piliers, ainsi que les ornemens d’architecture, sont composés de la même matière. Le style est corinthien, mais il est lourd ; ce qui, probablement, vient du sombre caractère du coloris, lorsqu’on le compare avec l’éclat et la somptuosité des bâtimens adjacens. Nous n’avions pas l’occasion de visiter l’intérieur, qui, sans nul doute, répond à la splendeur générale des résidences impériales ; mais nous fûmes attirés de ce côté par le muséum de M. Orlofsky, qui a une suite d’appartemens attenant au palais, et occupe un emploi à la cour. Après nous être engagés dans plusieurs passages obscurs, et avoir monté des escaliers encore plus noirs, nous atteignîmes une espèce de grenier. La porte fut ouverte par un homme d’une stature et de proportions herculéennes, habillé comme l’est un paysan en été ; il portait une tunique ou froc, en calicot léger et à différens dessins, retenu au milieu du corps par une ceinture de cuir. Sa cravate était déchirée, et il n’y avait sur lui aucun vestige de chemise ; son cou nu faisait ressortir encore sa terrible barbe noire ; enfin, sa tête était couverte d’un bonnet en peau de mouton, et une touffe de laine, pendant de chaque côté, le rendait semblable à une furie. Cet être extraordinaire n’était rien moins que le propriétaire lui-même, qui nous introduisit dans son atelier, où il était occupé à une peinture descriptive des usages et coutumes russes. Le muséum de M. Orlofsky est regardé à juste titre comme la meilleure collection particulière qui soit à Saint-Pétersbourg, et il est bien digne de l’attention du voyageur. On n’y voit que peu de tableaux. M. Orlofsky s’est judicieusement abstenu de chercher à rivaliser avec l’Ermitage ; mais il s’est attaché surtout à rassembler chez lui ce qui manque dans le Musée impérial. Les armures qu’il possède sont excessivement riches, particulièrement celles des Géorgiens, des Circassiens, des Tartares et des Turcs du moyen âge. On nous montra l’épée de Sigismond, dont le fourreau, en nacre de perle, est enrichi de pierres précieuses. Il s’y trouve aussi quelques armes romaines, et un bouclier en fer en parfait état de conservation, sur lequel le pillage de Troie est admirablement exécuté. Une autre partie du palais contient plusieurs meubles magnifiques du siècle de François Ier. Il est impossible de détailler toute cette collection, qui a coûté à M. Orlofsky 26 ans de travaux. Entre autres objets, il en est deux auxquels il attache un grand prix : ce sont les empreintes ou masques de Pierre-le-Grand et de Charles xii. Le contraste qu’offrent les traits de ces deux grands hommes me frappa. La contenance de Pierre est composée et pleine de dignité, comme celle d’un homme qui méditerait encore. Le visage de Charles indique le caractère bouillant de cet infatigable guerrier. Il me parut tellement animé, que je n’aurais jamais cru que le masque en eût été pris après sa mort, si le front ne portait la marque profonde de la fatale blessure…



ESPAGNE.




MOUVEMENT DES SCIENCES ET DE L’INDUSTRIE.


On nous transmet les renseignemens suivans sur l’état des sciences et de l’industrie en Espagne. Nous ferons observer qu’il ne s’agit ici que de l’année 1828, et pour quelques villes seulement. Les années antérieures n’entrent presque point dans cet exposé.

On publie, à Barcelone, un ouvrage périodique fort utile, intitulé : Annales des nouvelles Découvertes ; il est spécialement consacré à l’économie rurale et domestique.

La junte de commerce de Madrid imprime tous les ans un Guide commercial, qui renferme des documens fort importans pour la prospérité générale.

Le gouvernement a déjà fait paraître la Balance du commerce de la nation espagnole pendant l’année 1826, et il prépare un tableau semblable pour 1827 et 1828.

On vient de fonder à Pampelune des chaires de mathématiques, de chirurgie et d’anatomie ; à Murcie, une chaire de mécanique appliquée aux arts, et, à Madrid, don Jose Luis Casaceca professe avec distinction la chimie, également appliquée aux arts.

Une collection complète des ouvrages dramatiques des meilleurs poètes espagnols, tant anciens que modernes, enrichie de notes, se publie dans ce moment ; et le Romancero, ou recueil de romances moresques et espagnoles, a été imprimé avec le plus grand soin, sur l’édition de 1614.

Les travaux de l’Académie royale d’histoire, présidée par le savant don Martin Fernandez de Navarrette, ont été si multipliés et si importans, pendant la dernière année, qu’il serait trop long d’en donner ici un détail circonstancié. Nous dirons seulement que l’impression des Chroniques du roi Ferdinand IV, de l’Histoire générale des Indes par Gonzalo Fernandez Oviedo, du Code royal d’Alphonse X, et du Miroir des Lois, est déjà fort avancée.

Bermudez a écrit la vie du célèbre Jean de Herrera, et traduit en espagnol l’Art de juger dans les Arts du Dessin.

Le professeur Frias a donné les Mémoires de Luis de Léon.

M. Lista a composé un mémoire fort lumineux sur le caractère de la Féodalité en Espagne, et une dissertation sur l’Histoire de la Littérature nationale.

Le Code de procédure criminelle, et les réglemens concernant les corrégidors et les geoliers, où l’on remarquera plusieurs améliorations, ne tardera pas à paraître.

Le Musée de Madrid, que le Roi a enrichi de plusieurs objets d’art qui décoraient son palais, est ouvert deux fois la semaine aux Espagnols, et tous les jours aux voyageurs. Ce précieux dépôt offre déjà une des plus belles collections de tableaux qu’il y ait en Europe. Les salles, qui contiennent les chefs-d’œuvre des écoles espagnole, italienne, allemande et française, sont livrées au public, et l’on en prépare deux autres pour la réception des ouvrages des écoles flamande et hollandaise. Les bustes en marbre des architectes, des sculpteurs et des peintres espagnols les plus célèbres doivent orner la façade extérieure du Musée. Le roi a accordé la croix de Charles III aux peintres D. Vicente Lopez et Madrazo. Le premier a exécuté avec un rare talent les fresques du plafond de la grande salle du palais royal, et M. Madrazo dirige, avec non moins de succès, un bel établissement de lithographie. Les gravures sorties des ateliers de ce dernier, ne le cèdent pas pour la beauté de l’exécution, aux meilleurs ouvrages de ce genre, dessinés par les premiers artistes de France et d’Angleterre.

Le gouvernement a aboli la dîme des agneaux, qui sont destinés à l’amélioration des races ; il ne prélève plus de droits d’accise ou autres sur la vente des chevaux, mais il a cru devoir rétablir la taxe sur celle des mulets, et il a réduit les contributions des artisans du Nava del Rey, de la Seca, Rueda et de Rodolana dans la Vieille Castille.

Dans la Sierra Morena, on vient de former des colonies sur les propriétés d’un riche particulier, et la moderne ville de San Calixto est destinée à en devenir le chef-lieu.

Le gouvernement accorde des primes considérables pour encourager la salaison du poisson, et a chargé le consul espagnol, à Londres, d’acheter des moutons à laine longue, pour les distribuer gratis aux propriétaires de troupeaux, afin d’améliorer les races indigènes.

Tous les objets dont l’exportation en Amérique était naguère prohibée, sont aujourd’hui livrés au commerce.

On a établi depuis peu de nouvelles diligences à Barcelone, où il en existait déjà qui faisaient le service avec Valence, Sarragosse, Ignalada, Vich, Tarragone, Gerone, et Perpignan. Il y en a d’autres qui vont directement de Séville à Bayonne.

Une machine à draguer, mue par la vapeur, est actuellement en pleine activité dans le port de Barcelone.

À Séville, on va ouvrir un asile pour le soulagement des pauvres.

On a établi depuis peu à Murcie, une verrerie où l’on fabrique divers objets de goût et à bas prix, et des bouteilles d’une aussi bonne qualité que celles importées de l’étranger. À Lictor, il y a une manufacture de poterie de terre et de pierre.

Enfin on vient de réunir des fonds pour la construction d’une route de Burgos à Villarcayo, qui doit communiquer avec celle de Castro-de-Urdiales, et aboutir à la ville de Laredo. La grande route qui conduit de Gijon, dans les Asturies, à Léon, est entièrement achevée, et le transport des marchandises, entre ces villes, coûte actuellement moitié moins qu’auparavant. À Lugo, dans la Galice, on travaille avec activité à plusieurs ponts et routes de péages. On s’occupe aussi de terminer le canal de Compas. Un officier du Génie étudie en ce moment le cours du Douro, pour aviser au moyen de le rendre navigable, et une commission d’hommes intelligens et actifs a entrepris d’améliorer la navigation du Tage, etc.



PERSE.




PILLAGE DE LA VILLE DE BUSHIRE[6].


La ville de Bushire a été attaquée et pillée, il y a quelque temps, par 1,500 hommes sous les ordres du cheïkh Ahmed et de deux autres chefs de tribus agissant sous la direction du prince Timour, petit-fils du shah de Perse. La ville, qui est mal défendue, ayant été assaillie pendant la nuit, ne pouvait opposer qu’une faible résistance. Abdu-Rècoul, le cheïkh héréditaire, s’échappa dans un vaisseau arabe avec son frère et son fils. La factorerie britannique ne reçut aucune atteinte ; les assaillans avaient l’ordre de respecter la personne et les propriétés des Anglais.

Les blessés de part et d’autre furent transportés à la factorerie et parfaitement accueillis ; les femmes de la ville ne furent point insultées, et les femmes du cheïkh se réfugièrent dans la maison du magistrat suprême. Avant le retour de l’aurore, tous les objets de quelque valeur furent empaquetés et envoyés sous bonne escorte aux lieux d’où les brigands étaient venus.

Ce pillage, au milieu d’une paix profonde, de la première ville de commerce de la Perse, d’une ville d’où le prince qui gouverne les provinces méridionales du royaume, tire d’immenses revenus, a lieu d’étonner, lorsqu’on réfléchit que c’est le fils même de ce prince qui en est l’auteur. Toutefois on prétend que celui-ci est complètement étranger à cette atrocité.

On croit que les sujets anglais ou les individus que protège ce gouvernement de l’Inde, auront beaucoup à souffrir de cet événement. Bushire est l’entrepôt général du commerce de la Perse avec l’Inde.

Le prince Timour eut l’audace de venir dans la ville, après le pillage ; une foule d’individus l’entourèrent, et lui demandèrent la restitution des valeurs qu’on leur avait enlevées. Il leur fit à tous de belles promesses : quelques-uns des principaux marchands voulaient aller s’établir à Chiraz, mais le prince déclara que personne ne sortirait de Bushire. On rédigea à la hâte une adresse, dans laquelle il était dit que les signataires étaient charmés de la présence du prince, et que la ville n’avait éprouvé ni dommage ni injure. Cette circonstance répand un grand jour sur le caractère du peuple et du gouvernement dans ce pays.

Une semaine après l’assaut, Cheïkh-Ahmed étant allé faire sa prière dans la principale mosquée, s’adressa ainsi au peuple : « Il y a deux ans environ que j’ai été chassé de Bushire par les amis de Cheïkh-Abdul-Rèçoul, que vous avez secondé ; je viens de leur rendre la pareille, en sorte que nous sommes quittes. Toutefois, je ne garde rancune à personne, et je jure sur le Coran que nul ne sera jamais inquiété pour le passé ; mais jurez aussi, vous, que vous n’inquiéterez ni moi, ni les miens. Si les affaires prospèrent, je resterai ici, sinon je m’en retournerai dans mon pays de Tchâb. »

Ce discours vraiment caractéristique fut bien accueilli ; le serment a été prêté, sauf à l’enfreindre quand on jugera le moment opportun[7].



ÉGYPTE.




POPULATION, IMPÔTS ET REVENUS.


La basse Égypte forme avec le Delta, un triangle de terres cultivables jusqu’au Caire, où commence le Kattan, à l’est, et la chaîne Lybique, à l’ouest. Là, les terres renfermées entre ces montagnes présentent, jusqu’au tropique, une vallée étroite qui, dans sa plus grande largeur, n’a guère que cinq lieues communes. Ces montagnes se resserrant de plus en plus, terminent cette vallée à Syene, où elles ne laissent entre elles que le passage du Nil, et c’est là que se trouve la grande cataracte.

On peut hardiment évaluer à dix millions de feddans actuels les terres de l’Égypte susceptibles d’être inondées périodiquement par le Nil, d’après le cadastre qui en fit Sélim le Conquérant, en 1517 ou 1518, et qui donna pour résultat sept millions deux cent mille feddans. Le feddan avait alors 400 perches, et la perche contenait 12 pieds ; aujourd’hui il est réduit à 333 perches et un tiers, et la perche à 10 pieds. Les révolutions qui déchirèrent ce beau pays, jointes à l’ineptie et au despotisme dévorant des divers gouvernemens qui s’y sont succédés, ont dû nécessairement obliger les habitans des campagnes à se retirer dans les villes, ou à émigrer en Syrie, tant pour leur propre sûreté que pour se soustraire aux vexations auxquelles ils étaient journellement exposés. Ainsi, la plus grande partie des terres cultivables fut abandonnée, et les traces de toute végétation ayant disparu, on confondit par la suite ces terres avec les déserts. Aujourd’hui, à peine quatre millions de feddans sont cultivés, tandis qu’un gouvernement qui, dans son propre intérêt autant que dans celui des habitans, accorderait une protection puissante à l’agriculture, mettrait aisément en valeur dix millions de feddans, en creusant de nouveau les anciens canaux qui répandaient partout autrefois les eaux bienfaisantes du Nil.

Le dernier dénombrement fait en 1827, par ordre de Méhémet-Ali, a présenté un total de 780,000 familles. En estimant donc la population au terme moyen de cinq individus par famille, elle serait d’environ quatre millions d’habitans, nombre très-faible comparé à l’étendue et à la fertilité du terrain, et qui pourrait doubler en peu d’années, sous une administration capable de rattacher sa puissance et ses revenus au bien-être des sujets. L’Égypte se trouve aujourd’hui divisée en 14 provinces, ayant chacune 365 villes ou villages. La ville du Caire, la plus grande et la plus peuplée, compte 250 à 260 mille ames.

Les principales maladies qui affligent l’Égypte, sont l’ophtalmie, la peste et la petite vérole. La première n’existe que dans les villes ; les campagnes en sont exemptes, ce qui semble établir qu’avec plus de propreté dans l’intérieur des villes, on diminuerait beaucoup les effets de cette maladie. Contre la peste, il faudrait établir trois lazarets : un à Alexandrie, un à Damiette, le troisième à Catie, dans les déserts qui conduisent en Syrie. On pourrait alors l’empêcher de s’introduire en Égypte ; car il n’y a aucun exemple qu’elle soit venue de l’Arabie, de la Barbarie ou de l’Éthiopie. Ce mal est apporté généralement de la Turquie et de la Syrie. Quant à la petite vérole, la vaccine, répandue par quelques médecins qui seraient chargés de cette mission, et encouragée chez les habitans par le gouvernement qui attacherait dans les commencemens une légère récompense à leur docilité, en arrêterait promptement les ravages.

Le climat en Égypte est sain et agréable. Les vents du nord-ouest qui portent avec eux une douce fraîcheur, y règnent pendant les grandes chaleurs, c’est-à-dire depuis le mois de mai, jusqu’à la fin d’août. Pour être à même de juger de la bonté de ce climat, il faudrait parcourir les campagnes où on verrait que les habitans, presque sans vétemens, et n’ayant qu’une misérable nourriture, jouissent d’une santé brillante et conservent leurs forces jusqu’à l’âge le plus avancé.

Le moyen d’établir les résultats que les améliorations du système administratif pourraient produire en Égypte sous les deux rapports si intimement liés de la culture et des revenus du gouvernement, est de fixer avec autant de précision que possible, leur état actuel. Les évaluations suivantes reposent sur des bases dont la source donne lieu de les croire exactes. On a beaucoup exagéré en plus comme en moins le montant des revenus du vice-roi. On se tromperait si on jugeait de sa richesse par les dépenses énormes qu’il a faites depuis quelques années ; et on se tromperait également en accueillant légèrement le bruit d’un déficit dans la situation du trésor. Au reste, si Mehemet-Ali a pu jusqu’à ce jour couvrir, ou à peu près, en épuisant toutes ses ressources, ce développement fastueux qui appartient presque à un état du premier ordre, il ne pourrait le soutenir long-temps encore sans dépasser de beaucoup ses moyens financiers, tels que nous les estimons aujourd’hui.


Recettes du gouvernement égyptien, calculées année commune.


Droits territoriaux sur 4 millions de feddans, à raison de 2 talaris d’Espagne[8].
10,666,666 tal.
Droit de captation par tête et maison sur 780,000 familles, à raison de 8 tal. par famille.
6,240,000
Droits sur les dattiers, de 20 paras jusqu’à 60, calculés au terme moyen d’une piastre sur 6 millions de pieds d’arbres.
400,000
Douane du Caire, Suez, Cossir, Damiette, Alexandrie, et de l’intérieur.
1,500,000 tal.
Apalthes[9] du Caire et de toute l’Égypte, y compris la pêche des lacs Mouzalet, Broulos, Heckat et du Fayoume[10].
3,333,334
Bénéfice sur la fabrication de la monnaie.
500,000
Id. sur le riz dont la récolte est calculée à 150,000 ardebs[11] à 5 talaris.
750,000
Id. sur 100,000 ardebs, graine de lin, à 3 tal.
300,000
Id. sur le lin fabriqué en toile pour la consommation du pays et l’exportation.
1,000,000
Id. sur le lin en balles pour l’étranger.
250,000

Bénéfices sur les cotons, récolte calculée à 50,000 quint., à 5 tal.
1,500,000
Id. sur la semence dite jugéoline, propre à faire de l’huile, récolte calculée à 50,000 ardebs, à 3 tal.
150,000
Id. sur l’encens, les dents d’éléphant, les gommes, les sucres, les safranums, les laines, la soie, l’indigo, et différens autres produits, environ.
1,000,000
Id. sur les nattes, couffes, et tout ce qui tient à cette branche.
450,000
Id. sur 500,000 ardebs de comestibles, tels que fèves, orge, blés, maïs, etc., qui sortent d’Alexandrie pour l’étranger, au compte du commerce ou celui du vice-roi, en plus ou en moins, suivant les demandes de l’extérieur, à 2 tal.
1,000,000
Id. sur les mêmes comestibles qui sortent de l’Égypte pour l’Arabie, par le port de Cossir, quantité évaluée à 250,000 ardebs, à 5 tal.
1,250,000
Total des recettes
30,290,000 tal.[12]


Les dépenses que le vice-roi doit faire pour réunir et emmagasiner les comestibles, cotons, laines, etc., sont couvertes, et au-delà par le bénéfice de 12 à 15 pour cent, résultant de la manière dont les agens du gouvernement pèsent et mesurent ces divers produits lorsqu’ils leur sont délivrés par les cultivateurs.



CHINE.




MANIFESTE IMPÉRIAL À L’OCCASION DE LA DÉFAITE DE CHANG-KIHUR[13].

Le dixième jour de la dixième lune (1828), on a publié à Pékin un manifeste impérial, afin que le monde entier pût en avoir connaissance, et relatif à la défaite du rebelle Chang-Kihur.

On y fait allusion à l’histoire des ancêtres de ce prince ; on y blâme implicitement la clémence imprudente dont usèrent les empereurs, en ne détruisant point cette race perfide. On y admire la prodigieuse facilité avec laquelle fut réprimée la dernière rebellion, et la conduite des pihkik mahométans, dans le Turkestan, lorsqu’ils prirent le parti des troupes impériales. Viennent ensuite diverses formules exprimant une admiration profonde et une vive reconnaissance envers la nature entière, envers les cercles célestes et la terre carrée, ancêtres sacrés de l’empereur, envers les ponts, qui offrirent un passage aux troupes de Sa Majesté, et les collines qu’elles foulèrent dans leur marche…

Le huitième jour de la onzième lune de la huitième année de Taou-Kwang, continue le manifeste, les rois, les princes, les nobles et les grands officiers de l’état, pour ajouter à l’éclat de cette fête, présentèrent une tablette en pierreries à la mère sacrée du prince, l’impératrice douairière. Cette tablette était couverte de caractères relatifs à ses vertus d’épouse et de mère, son respect pour l’empereur, sa tendresse pour ses enfans, sa chasteté et son affection pour ses peuples.

Suivent dix-huit formules dans lesquelles on doit exprimer sa reconnaissance aux puissances supérieures et son respect à celles d’un ordre inférieur. Sa Majesté envoie des personnages spécialement désignés, pour offrir des sacrifices aux cinq grandes montagnes et aux quatre rivières principales de la Chine. Les mêmes sacrifices auront lieu dans le culte que l’on rend aux tombeaux des princes des générations précédentes, et à Confucius, dans la province de Shantung, lieu de sa naissance. Les gouverneurs des provinces sont chargés de rechercher et de faire réparer les tombeaux des anciens empereurs et rois. Les parens morts, d’officiers civils et militaires, recevront des titres d’honneur. Un pardon général est accordé pour les délits des généraux et des soldats qui ont versé leur sang au service de la patrie. Les étudians qui suivent les cours du collége national auront des vacances d’un mois de durée. Les soldats qui font le service dans la ville de Pékin jouiront, outre leurs appointemens réguliers, d’un mois de leur paie, qu’ils soient Tartares, Mantchous, Manggous ou Chinois, et la police armée de Pékin partagera la même faveur. Tous les magistrats qui ont mérité quelque reproche à l’époque où la grande armée a traversé les lieux confiés à leur administration, obtiendront leur pardon, pourvu toutefois qu’ils aient respecté les munitions appartenant à l’état. Les troupes de Cachgar, qui doivent payer leur habillement, auront trois années pour s’acquitter. Les soldats blessés ou trop vieux recevront une récompense, et ceux que leurs blessures empêchent de servir encore pourront se faire remplacer par un parent, et jouir toujours de leurs appointemens. Le châtiment de tout délit que la loi ne punit pas de la peine capitale sera commué en une autre moins sévère. Les soldats tartares qui auront quitté les drapeaux avant le terme de leurs engagemens, mais sans avoir emporté leurs armes ou emmené leurs chevaux, obtiendront leur pardon. On réparera, aux frais du gouvernement, les routes principales de l’empire. On accordera une attention toute particulière aux hospices où les femmes veuves, les enfans orphelins et les vieillards sans enfans recevront les soins les plus empressés.

Le manifeste se termine par des félicitations sur tous les heureux événemens qui viennent d’avoir lieu, et qui portent la joie et le bonheur dans l’univers entier. L’empereur ordonne ensuite que ces nouvelles soient publiées de telle manière, que tout ce qui habite sous la voûte des cieux puisse en avoir connaissance.

« Ô combien douce, s’écrie ici l’empereur, combien douce est la jouissance de cette paix, de cette tranquillité que j’ai reçue d’en haut ! Partout dans l’univers, qui réunit dans le nombre sacré neuf tout ce qui existe, s’est répandue la gloire de cet empire. J’hérite de la splendeur à laquelle mes illustres ancêtres ont donné naissance, et j’ai été inondé d’un océan de richesses et d’honneurs par la triade des pouvoirs indivisibles, le ciel, la terre, et la lumière du soleil et de la lune[14].


  1. V. Asiatic Journal.
  2. Des nouvelles récentes annoncent que pour mettre un terme aux excursions des naturels sur les établissemens anglais, le gouverneur a été obligé de proclamer contre eux la loi martiale. Il paraît même que des blancs, probablement des déportés fugitifs, se sont mis à leur tête. « De vives appréhensions, dit le Journal de Tasmanie, existent de l’autre côté du Derwent. La marche des sauvages dans les parties habitées du comté a répandu la terreur, et il paraît » maintenant hors de doute que des blancs sont mêlés à ces barbares. La régularité et la précision de quelques-unes de leurs opérations en fournit la preuve. On suppose que ces blancs ne sont pas entièrement nus, et que les parties de leur corps exposées à l’air sont noircies. L’un d’eux marche nu-tête et un autre porte un bonnet de laine noire. Il est certain que ces misérables, dans toutes les attaques, sont à la tête des indigènes. »
  3. Voyez l’ouvrage du docteur G. N. Schnabel, professeur de statistique a l’université de Prague, intitulé : General-statistik der Europaischen staaten ; Prague, 1829.
  4. Le dollar américain vaut 5 fr. 35 c. de notre monnaie. Tous les chiffres ont été collationnés sur les tables de l’excellent ouvrage de M. Warden, qui ont servi à faire plusieurs rectifications importantes.
  5. La banque des États-Unis fut établie par un acte du congrès du 10 avril 1816. Son capital est de 35 millions de dollars divisés en 350,000 actions de 100 dollars chacune. Le gouvernement en a pris 70,000, ou pour 7 millions de dollars, et les 280,000 autres (28,000,000 de dollars) appartiennent à des individus, compagnies ou corporations. Cette banque, placée sous la surveillance immédiate du président et du sénat des États-Unis, a commencé ses opérations à Philadelphie, le 1er janvier 1817.
  6. Ou Bèndèr-Abou-Chèhir, port du golfe persique, vis-à-vis de l’île de Kharek, et à l’occident de Chiraz, capitale de la province de Fars. Ce port est depuis plus d’un demi-siècle le comptoir principal des Anglais, depuis la chute de Bander-Abassi.
  7. D’après des nouvelles postérieures, Cheïkh-Ahmed a été obligé d’abandonner Bushire une seconde fois, et de s’en retourner dans son pays de Tchâb. Check-Abdul-Rèçoul a été rétabli dans son gouvernement par l’influence du prince vice-roi de Chiraz.
  8. Piastre forte d’Espagne, 5 fr. 30. c.
  9. Les apalthes sont le débit exclusif de certains produits qu’on afferme à des particuliers, moyennant un prix fixe. Cette institution, qui existe dans tout l’empire ottoman, répond exactement à celle des fermes de France, avant la révolution.
  10. Parmi les objets soumis aux apalthes, se trouvent le droit sur les filles publiques, et celui sur les matières fécales pétries en formes de galettes auxquelles on donne le nom de ghille, et séchées au soleil pour faire du feu.
  11. L’ardeb produit en poids 165 oques. L’oque égale 1 ¼ kil. de Paris
  12. Environ 160 millions de francs. — La différence dans le chiffre du bénéfice provenant des exportations par les deux ports résulte de ce que le vice-roi, soit qu’il vende ses comestibles à Alexandrie, soit qu’il les envoie sur les places de la Méditerranée, est obligé de se conformer aux prix variables de ces places, d’où il suit qu’on ne peut évaluer le bénéfice qu’à moyen terme de 2 tal., tandis que pour l’exportation en Arabie, il est le seul maître du marché, et établit un prix qui lui donne un bénéfice net de 5 tal. par ardeb.
  13. Voyez notre première livraison d’août, tome 1, page 124.
  14. Toute cette idée est rendue dans l’original par les mots San Woo, Trois non. Le ciel est non divisible, la terre est non divisible, et la lumière est non divisible.