Henri Laurens, éditeur (Les Grands Artistes) (p. 96-100).


XII. — Les dernières années.

Van Dyck, suivant tous ses historiographes, fut tué par les excès du plaisir et du travail. Sur ses aventures aucun renseignement précis ; sur sa production inlassable mille indications sûres. En 1634, le maître revit Bruxelles ainsi qu’Anvers où la gilde de Saint-Luc l’acclama comme doyen. Rentré à Londres, il y institua une corporation semblable. Van Dyck fondant une « société », n’est-ce pas un trait bien flamand de son caractère ?

Chargé de représenter l’ordre de la Jarretière pour l’une des salles de White-Hall, l’artiste exécuta la maquette d’un des panneaux. Le mauvais état des finances royales ne permit pas la réalisation de cette entreprise. À en juger d’après le dessin qui nous est resté, l’imagination de Van Dyck manquait vraiment de l’élan nécessaire. Après une courte apparition en Flandre et en Hollande, en 1640, nous le retrouvons à Paris, au commencement de 1641, quelques mois avant sa mort, malade déjà, épuisé, mais ne désespérant point d’obtenir de la Cour de France, comme autrefois son maître Rubens, la commande de quelque décoration gigantesque. Ses démarches n’eurent aucun succès. On lui opposait un nom écrasant : le Poussin.


WILLIAM VILLIERS, VICOMTE GRANDISON
(Collection Jacob Herzog, Vienne.)

Van Dyck avait épousé à Londres, en 1639 ou 1640, une jeune fille de haute famille, Marie Ruthven, attachée à la reine, petite-fille de lord Ruthven, comte de Gowrie. Une aimable personne appelée Marguerite Lemon, à qui ce mariage déplaisait, aurait conçu le dessein de couper le poignet à Van Dyck, « afin qu’il ne pût plus exercer son art ». Le projet fut découvert. Marguerite Lemon passa en Flandre, y perdit l’ami qui avait remplacé Van Dyck et se tua d’un coup de pistolet. Et c’est ainsi que la vie du grand portraitiste se dramatise jusqu’au dernier jour d’anecdotes empruntées, dirait-on, au répertoire alors en vogue, de Calderon et de Lope de Vega.

L’artiste, en tout cas, ne survécut pas longtemps à son mariage. Une maladie sourde, dont les causes sont inconnues, le minait depuis quelque temps. L’excès du travail surtout avait détruit avant l’heure sa constitution délicate. Pendant les dernières années de sa vie, il consacrait, dit-on, des journées et une partie de ses nuits à l’étude de l’alchimie. J. Lievens visita l’artiste en Angleterre et le trouva penché sur son creuset, « faible et décharné ». Descamps renchérit. « Il fit bâtir un laboratoire à grands frais, écrit-il, et vit en peu de temps s’évanouir par le creuset, l’or qu’il avait créé avec son pinceau. »

Les historiens modernes ont nécessairement mis ces témoignages en doute. Mais faut-il tant s’étonner de voir Van Dyck partager une croyance générale de son temps ? Il est certain que l’amour de la science ne le transforma pas en un Balthazar Claes, sacrifiant ses richesses à sa chimère. Il légua une fortune considérable à ses héritiers et son testament, publié par Carpenter, est un démenti préventif à l’adresse des chroniqueurs du XVIIIe siècle. Il est impossible de ne pas être frappé du ton digne et grave de ce document. Jamais on n’a vu un dissipateur et un débauché partager avec autant d’équité entre ses héritiers, des trésors acquis par un labeur incessant.

On a dit aussi que Van Dyck avait cherché à quitter l’Angleterre sans esprit de retour, en 1641, parce que ses tableaux restaient impayés et qu’un vent de révolution menaçait le trône des Stuarts ! Pure calomnie. Charles Ier n’aurait point pardonné cette ingratitude qui eût été une trahison. Profondément affligé de la maladie du peintre, le monarque promit trois cents livres à son médecin (physician) s’il pouvait sauver l’artiste. Ce fut en vain.

Van Dyck mourut à Blackfriars, en décembre 1641. Il fut enterré dans l’ancienne église de Saint-Paul, à côté du tombeau de John de Gaunt. L’Angleterre entoura ses funérailles d’une pompe magnifique. Solennellement elle s’engageait à ne point oublier la merveilleuse leçon de son premier maître et, dès ce jour, exprimait une admiration et une gratitude pieuses à l’illustre fondateur de sa grande école de peinture.