Vacheries patronales
VACHERIES PATRONALES
Les singes en viennent à ne considérer que les prolos qu’ils exploitent comme un bétail dont ils peuvent user et abuser à leur gré.
L’autre semaine, une garce de patronne fleuriste, sous prétexte qu’on lui avait chapardé une chaîne de montre, a forcé ses prolos à se couper une mèche de cheveux et elle a porté le paquet de tiffes à la somnambule pour dénicher le chapardeur.
Turellement, la somnambule a trouvé moyen de chaparder quelques pièces blanches à son imbécile consulteuse… mais, foutre, ce n’est pas de ça qu’il s’agit !
Ce qui est abominable, c’est les exigences de la patronne vis-à-vis de ses prolos : non contente de les exploiter jusqu’à la gauche – de les tondre au figuré – voici qu’elle se permet de les tondre réellement.
Et ça, parce qu’on lui a choppé une chaîne de montre !
Mais, cré tonnerre, si tous les pauvres bougres qu’elle a volé lui avaient coupé une mèche de tiffes, il y a belle lurette que la toupie aurait le crâne aussi luisant qu’un genou d’académicien.
La Chambre syndicale de l’industrie florale a rouspété, en apprenant la salopise de cette charogne d’exploiteuse, et donné la note exacte ; après avoir protesté contre ces procédés,
« Elle regrette qu’il ne se soit point trouvé une bonne bougresse ou un bon bougre pour faire sentir à cette exploiteuse l’incorrection de son procédé. Elle félicite les cinq ouvrières et les ouvriers qui refusèrent de se prêter à cette petite comédie ».
Les gars de la Syndicale ont trouvé le vrai joint ; aux exigences de la garce en question, il n’y avait à opposer que des arguments touchants ; une riche correction eut corrigé son incorrection mieux qu’une trifouillée de protestations.
Une bonne fessée, à pleins battoirs, à défaut de paquet d’orties, y a rien de tel pour faire comprendre à un exploiteur que les prolos sont des êtres humains.
La chamellerie de cette garce n’est pas un fait isolé et tout à fait extraordinaire.
Foutre non !
Il y a quelques semaines, un grand couturier qui harnache les putains de la haute, et dont le bagne perche à deux pas de la place de l’Opéra a fait pire.
Ce sale pasquin, qui mériterait qu’on lui foute des gifles trois cent soixante-dix jours par an, s’aperçut un matin qu’on lui avait rousti une bague.
Le porc prétendit qu’un des mannequins avait fait seul pu faire le coup.
Dans la couture, on surnomme mannequin de girondes bougresses que le patron frusque chiquement et qui se trimballent ainsi parées dans des salons où s’amènent les clientes. Quand une pouffiasse de la haute veut se rendre compte de l’effet d’une toilette, c’est le mannequin qu’on harnache ; et la pauvrette doit virevolter, au gré de la richarde, sans jamais manifester de fatigue.
Ce métier semble une babiole – il est pourtant rudement dur ! Le mannequin se serre dans son corset, à tour de bras, kif-kif dans un étau, car il faut qu’elle ait la taille fine ; que la malheureuse étouffe, ne puisse ni respirer, ni manger, le patron s’en bat l’œil.
Il faut que ses mannequins aient la fine taille !
Si les pauvrettes en attrapent la crève, tumeurs dans le ventre ou autres maladies, elles iront à l’hospice.
Il ne manque pas de jolies filles dans le populo pour remplacer celles qui clampsent sur le champ de bataille du travail
Pour en revenir à notre couturier, le porc accusa ses mannequins d’avoir chapardé sa bague et, sous prétexte de dégotter la coupable, il les réunit dans son bureau et leur ordonne de se foutre à poil, afin de palper toutes les coutures de leurs frusques, pour dénicher la fameuse bague.
Les pauvrettes subirent l’affront !
Et l’œil crapuleux de leur singe – jouant les pachas – les investigua sous tous les joints !
Il faut véritablement que les malheureuses n’aient que du pissat de richard dans les veines pour s’être ainsi soumises à la visite.
Nom de dieu, il me semble que si elles avaient eu du poil – ailleurs que dans le creux de la main – elles auraient sauté sur le porc qui leur imposait pareille ignominie et lui auraient administré la plus mémorable tatouille qu’on puisse servir à un mec.
Ce qui est encore plus triste, c’est qu’une si abominable pasquinade reste à peu près ignorée ; un seul quotidien, La Libre Parole, en a dit quelques mots – simplement parce que le singe est youpin.
Qui est responsable de ce silence ?
Un peu tous, nom de dieu !
Si les quotidiens n’ont pas pipé mot, c’est peut-être bien parce que le singe est un honorable commerçant dont la caisse s’entrebâille facilement aux chieurs d’encre.
Et peut être bien aussi, n’en faut-il faire remonter la responsabilité qu’à la nigauderie des victimes et des autres ouvrières de ce grand bagne de la couture ; on aurait cousu le bec aux pauvres bougresses qu’elles ne seraient pas davantage muettes. Journellement, elles sont témoins des vacheries que commettent sans vergogne, leurs crapuleux exploiteurs, et elles ne pipent pas mot ! Elles subissent tout, assistent à tout, sans protester.
Pauvres chiffes vivantes, elles n’ont pas conscience de leur personnalité ; engrenées toutes petiotes dans les rouages de l’exploitation, elles trouvent naturelles les pires horreurs.
Et c’est justement parce que les pauvrettes sont farcies d’esprit de soumission que les patrons se permettent toutes les ignominies ; à preuve l’infâme pasquinade que je viens de raconter !
Et c’est encore ce maudit esprit de soumission qui ferme le bec aux esclaves et les empêche de gueuler aux quatre coins de Paris les vacheries qu’elles endurent.
Il serait temps que ça change, nom de dieu !