J.-P. Massin (p. 11-26).

VÉNUS ET MINERVE

étude antique




Alma Venus !
Glaukopis Athènè.


Quand du sein de la mer Aphrodite la blonde
Sortit comme d’un vase un grand lys argenté,
Et, ruisselante encor des pleurs nacrés de l’onde,
Marbre vivant, marcha vers le monde enchanté,

De chacun de ses pas empreints sur le rivage
Une rose pourprée en souriant jaillit,
Et du fond de l’abîme à la forêt sauvage
D’un long frisson d’amour la terre tressaillit.


Quand de ses cheveux d’or aux molles avalanches
Le nuage odorant, par ses bras écarté,
Laissa voir le contour de ses formes plus blanches
Que la neige où du jour scintille la clarté,

L’Aurore, à son aspect, d’étonnement saisie,
Derrière ses rideaux cacha son front charmant ;
Au souffle de sa bouche un parfum d’ambroisie
Répandit dans les airs un vaste enivrement.


La reine des frimas, Orythie, interdite,
S’enfuit avec Borée à l’horizon lointain :
Un sourire effleura les lèvres d’Aphrodite,
Et le printemps naquit dans l’or pur du matin.

Éveillée au doux bruit des eaux, la jeune Flore,
Accostant la déesse et lui tendant la main,
Sur les riants tapis qui s’empressaient d’éclore,
De ses temples futurs lui montra le chemin.

Et mille oiseaux chanteurs, zéphyrs que l’aube éveille,
Frais ruisseaux, chœur immense aux sons mélodieux,
Célébraient à l’envi l’éclatante merveille,
Vénus, la volupté des hommes et des dieux.


En la voyant passer, la Nayade surprise
Rendit plus doux le cours de ses flots fugitifs,
Et, plus molle en parfums, la Dryade à la brise
Livra ses verts cheveux dans les sentiers furtifs ;

Et le pampre, aux tissus du lierre et des acanthes
Mêlant sous les ormeaux ses larges frondaisons,
Pour les thyrses futurs des légères Bacchantes,
S’éleva triomphant parmi les frais gazons.

Les cygnes sur le lac se disaient : qu’elle est belle !
Un vertige magique étourdissait les fleurs,
Et le rocher lui-même, aux tendresses rebelle,
Mollissait à sa vue et répandait des pleurs,


Et Pan, sous les grands bois pleins d’odeurs langoureuses
Qu’épandait la Déesse au beau corps chaste et nu,
Écartant pour la voir les branches amoureuses,
Tressaillait, fasciné par un charme inconnu.

Alors, comme elle errait au milieu des pelouses,
Éblouissant le monde à ses pas radieux,
Les Heures dans leur char l’emportèrent jalouses,
Au sommet de l’Olympe où séjournent les Dieux.

Comme tout l’Océan s’emplit de doux murmures,
Et scintille joyeux dans son gouffre écumant,
Comme aux flancs de l’Ida résonnent les ramures,
Quand le char d’Hélios remonte au firmament,


Ainsi, lorsqu’aux regards de l’auguste assemblée,
Souriante et sans voile, Aphrodite apparut,
Parmi les immortels, qu’elle conquit d’emblée,
Un long chuchotement de triomphe courut.

En la voyant, la grande et superbe matrone,
Junon pâlit d’envie ; et Zeus à son côté,
Zeus lui-même ne put, du sommet de son trône,
Se garder de sourire à la jeune Beauté.

Et Mars le Dieu cruel qui se plaît aux alarmes,
Au bruit des chars fauchant par milliers les humains,
Quand passa la Déesse, ébloui par ses charmes,
Laissa choir en tremblant les armes de ses mains.


Et Phœbus-Apollon, le maître de la lyre,
Le conducteur du jour, de son char descendu,
Au milieu des neuf sœurs que charmait son délire,
Et devant tout l’Olympe à sa voix suspendu.

Chantait :
Chantait :« Gloire à Vénus, la Beauté souveraine !
» Comme un hymne à deux voix et de moëlleux accords,
» La clarté plus joyeuse, et l’ombre plus sereine
» Glissent avec amour le long de son beau corps.

» L’Océan monstrueux, quand son pied les caresse,
» De ses flots soulevés aplanit le courroux,
» Le vent de ses cheveux fait pleurer de tendresse
» Les tigres indomptés et les grands lions roux !


» À son aspect les cœurs les plus durs s’amollissent ;
» Sa démarche royale enivre et fait aimer ;
» Devant ses yeux charmants les astres d’or pâlissent,
» Et le profond Chaos sent ses gouffres germer !

» Le parfum de la rose est fait de son haleine ;
» Les ruisseaux à sa voix rêvent silencieux ;
» Le Rhythme universel, avec son urne pleine,
» Baigne à flots cadencés tous ses pas gracieux.

» À toi, Vénus, à toi, sur la cime éthérée,
» Le trône le plus haut et le plus éclatant ;
» C’est toi, chez les mortels, divine Cythérée,
» Qu’aux temples les plus beaux tout l’avenir attend !


» Mortels aimés des Dieux, Phidias, Cléomène,
» Qui verrez fuir un jour sa conque sur les eaux,
» Pour fixer à jamais sa forme surhumaine,
» Les grands blocs de Paros attendent vos ciseaux.

» Amathonte, Paphos, Lesbos, Gnide, Cythère,
» Dans vos bosquets sacrés, chéris des Immortels,
» Nuit et jour, on verra tout l’encens de la terre,
» En l’honneur de Cypris, fumer sur vos autels.

» Car la force et la grâce, en elle sont unies,
» Versant aux cœurs la joie et la sérénité ;
» Le flot mélodieux des saintes Harmonies,
» De tous ses mouvements suit l’essor enchanté ;


» Et le globe superbe et la ligne candide
» Enfermant ses contours purs et délicieux,
» Des artistes épris de l’idéal splendide
» Toujours dans l’avenir fascineront les yeux.

» La Beauté régnera ; de la laideur immonde
» Les noirs Pythons d’accord en vain tordront leurs nœuds ;
» Tous les peuples futurs qu’enfantera le monde
» Resteront prosternés sous ses pieds lumineux. »

Tel, Apollon-Phœbus, le puissant musagète. —
Sur l’aile des Zéphyrs, de l’Olympe à l’Athos,
Du Pinde à l’Hélicon, de l’Hymette au Taygète,
Des caps d’Hellas aux prés qu’arrose le Xanthos,


Par les monts, par les bois, de ravine en ravine,
L’écho porta son hymne au monde rajeuni,
Et l’applaudissement de la troupe divine
De soleil en soleil, roula dans l’infini.

Or, pendant qu’il chantait et que sa voix sonore,
Charmait dieux et mortels, rois et peuples rampants,
Des bords de l’Eurotas aux rives de l’Anaure,
D’Ithaque à Ténédos, l’île aux vastes serpents,

La fille du grand Zeus, la vierge invulnérable
Qui sait tous les secrets du cerveau paternel,
Minerve, dont la vue, à tous impénétrable,
Scrute l’azur céleste et l’Érèbe éternel,


Sans incliner l’oreille à la voix du prophète
Qu’invoque la prêtresse auprès des saints trépieds,
Indifférente et calme au milieu de la fête,
La chouette pensive immobile à ses pieds,

Pallas, debout, l’égide au bras, au poing la lance,
Sous son casque d’airain que rien ne peut ternir,
Se tenait à l’écart et gardait le silence,
Ses deux grands yeux fixés sur le vaste avenir.