Utilisateur:Zyephyrus/Bonaventure Desperiers Extrait 1

Langue latine et quantité des syllabes

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« Puisque nostre langage actuel est sans quantité (je diray quelque jour ce que j'y en trouve, s'il plaint à Dieu), quand nous venons à parler les langages estrangers, nous ne gardons la quantité naturelle desdits langages, que nous n'avons pas naturellement, si nous n'y estudions bien à bon escient, et ne l'apprenons de ceux qui ont naturels tels langages. Voyla pourquoy vous ne trouvés aujourdui homme qui, en parlant, garde ceste quantité en grec et latin, parce qu'il n'y a plus de gens qui parlent naturellement ces langages dont on puisse ouïr la vraye prononciation, et qu'ils ne se trouvent qu'aux livres, qui sont muets, comme sçavés. Quand doncques aujourdui je veus faire un vers latin, je vay voir en Virgile quelle quantité ont les syllabes des mots que je veus mettre en mon vers : autrement, ne puis rien faire, et ne congnois que la première syllabe d’arma soit longue et l'autre courte, sinon que Virgile me l'enseigne, ou quelque autre ancien d'authorité. Mais qui a appris à Virgile que telle estoit la quantité de ces deux syllabes? Est-ce point le poète Lucrèce, ou Enne qu'il lisoit tant, ou quelque autre de devant luy? Non, c'est nature (ne me venés icy sophistiquer sur ce mot de nature, je vous prie), car tout le monde à Romme, hommes, femmes, grans et petis, nobles et vilains, parloient le langage que voyés en Virgile et autres autheurs latins, et prononçoient arma, la première syllabe longue, et la seconde courte : et Virgile, incontinant qu'il a esté né, l'a ouï ainsi prononcer à sa nourrice, et estant grand en a ainsi usé pour la mesure de son vers héroïque. Que si quelqu'un doute de ce que je dy, qu'il ailhe lire le troisième livre de l'Orateur de Cicéron, et trouvera vers la fin que si ce grand Domine, alias, grand magister de nostre pays, qui a voulu adroisser un qui a plus d'escus que luy, parloit aujourdui son ramage à Romme, devant les poissonnières qui vendoient les bonnes huistres à Lucule, elles l'appelleroient plus barbare qu'il n'est rébarbatif, quoy qu'il fasse du fin. Et faut que je die icy, que je suis tout estonné de la mervelheuse audace d'un Espagnol, d'un Gaulois, de quelques Alemans et Italiens, qui, en nostre temps, ont osé entreprendre de corriger les vers de Térence. O les grans fols! barbares, qui ne sçavés ni sçaurés jamais prononcer droit la moindre syllabe qui soit en ce latin osés-vous mettre là la main? J'entens bien que les anciens escrivains ont corrompu et gasté ce pauvre poète, et trouverais bon à mervelhes qu'il fût rabilhé : mais qui est celui-là qui aujourdui le pourroit faire, et laudabimus eum? Lessés cela, quenalhe, et vous allés dormir, ni touchés, profanes, à ces saintes reliques et s'il y a quelque chose que trouvés bonne à vostre goust, dites-en, faites-en tels livres que voudrés, mais n'y touchés. Car que sçavés-vous si ce langage coulant et commun de Romme ne passait point des syllabes, que les grans messeres faisaient plus longues et poisantes, comme ils se portoient? Et au contraire, si n'estendoit point quelquefois les courtes? Davantage ne sçavésvous pas, et mesme par plusieurs lieux de Plaute, qu'on faisoit des soloecismes, des fautes, et la prononciation des paroles sotes et nouvelles, tout ainsi que voyés en nos tant plaisans badinages de France, et ce tout à gardefaite pour faire rire les assistans? Je pren le cas que le comique faisant parler un yvroigne qui chancelle, un courroucé jusques à estre hors de sens, une folete chamberiere d'estrange païs, un vielhard tout blanc, tremblant, aie tout exprès pour le personnage mis ou plus ou moins de temps ans vers, de sorte qu'à ton aulne tu trouves un iambe en un trochaïque, ou un trocheee en un iambique, tu me viendras incontinant faire là du corrigeart, et gaster ce qui estoit bien? Mau de pipe te bire. »