Utilisateur:Reptilien.19831209BE1/Delaite/I

CHAPITRE PREMIER.

Modes de simplification de la conjugaison wallonne.


On sait que le français est la langue romane qui a le moins étymologiquement emprunté de ses formes à la conjugaison latine. Les temps latins disparus sont : le plus que parfait de l’indicatif, les deux futurs, l’imparfait et le parfait du subjonctif, le passé de l’infinitif, le futur du participe (le supin)[1]. Soit huit temps sur les dix-sept du latin.

Le wallon est exactement dans le même cas.

En français, la simplification de la conjugaison porte sur trois groupes de phénomènes bien tranchés :

1o Les terminaisons personnelles sont uniformisées, du moins quant à la prononciation ; je chante, tu chantes, il chante, que je chante, etc. ; je chantais, tu chantais, il chantait, se prononcent respectivement de la même façon.

2o Les trois conjugaisons tendent à se réduire à une seule. Ex. : je chant-ais, je vend-ais, je finiss-ais, nous chant-ons, nous vend-ons, nous finiss-ons, etc.

3o La flexion forte se restreint au fur et à mesure du développement de la langue. Diez[2] signale, en effet, quatre-vingt verbes forts environ en ancien français, tandis qu’il n’en donne que quarante pour le français moderne.

J. Stürzinger[3] a rappelé ces trois modes de simplification dans ses remarques sur la conjugaison du dialecte wallon.

Mais cette simplification est plus caractéristique et plus accusée encore dans ce dernier dialecte.

Il doit en être nécessairement ainsi. Car ce dialecte n’a pas eu, comme le français, de codes grammaticaux, immobilisant pour ainsi dire certaines formes pour un laps de temps plus ou moins long. Abandonné à lui-même, sans règles écrites et fixes, le wallon a évolué plus rapidement, et, dans ses avatars successifs et libres de toute contrainte, il a été un terrain plus favorable à cette tendance de simplification observée dans toutes les langues.

Nous avons dressé un tableau de conjugaison, permettant de saisir d’un simple coup d’œil les progrès de la simplification dans le wallon comparativement aux progrès de la simplification française. Nous avons naturellement employé la notation phonétique, la seule capable de bien rendre notre pensée.

Conjugaison.
Wallonne. Française. Wallonne. Française.
INDICATIF.
Présent. Imparfait.
ĕ̀f, īf ĕ̀
ã õ ī
ĕ́, ī ĕ́ yĕ́
ĕ̀
Futur. Parfait.
rĕ̀ rĕ̀ ă ĭ
ă
ām īm
rĕ́ rĕ́ āt īt
ḕr īr

SUBJONCTIF.
Présent. Imparfait.
ăh ăs ĭs
ā ī
ãs ăhī ăsyõ ĭsyõ
ḗs yĕ́ ăsyĕ́ ĭsyĕ́
ḕs
CONDITIONNEL. IMPÉRATIF.
Présent. Présent.
rœ̄́ rĕ̀
ã õ
ryõ INFINITIF.
ryĕ̀
ĕ̀, ī, ĭ ĕ̀, īr, r
PARTICIPE.
Passé. Présent.
Masc. ĕ́, ī, ꭒ̆, ĭ ĕ́, ĭ, ŭ ã ã
Fém. ḕy, ĕ̀y, ŏ̀w , ī, ū
Remarques sur ce tableau.

Nous y comptons 43 désinences flexionnelles françaises et 33 wallonnes seulement ; soit donc 10 désinences de moins en wallon.

Mais si nous examinons de plus près, nous voyons, qu’en mettant de côté le parfait de l’indicatif, nous arrivons au chiffre de 34 désinences françaises, et de 32 wallonnes.

D’où ce fait intéressant que la grande simplification de la conjugaison wallonne consiste dans la réduction à une des six formes flexionnelles du parfait de l’indicatif, en d’autres termes dans la disparition progressive de ce temps. En effet, les trois personnes du pluriel ont déjà disparu. Elles se confondent avec les mêmes formes de l’imparfait de l’indicatif.

En outre (et cette tendance se retrouve en français également), le passé défini trouve un emploi plus fréquent dans la bouche des Wallons, que le parfait de l’indicatif. C’est ainsi que j’a stu s’emploiera mieux que ji fouri ou j’èsta ; j’a magnî que ji magna ; j’a rèscontré que ji rèscontra, etc., etc. (En français : j’ai été, au lieu de je fus ; j’ai mangé au lieu de je mangeai ; j’ai rencontré, au lieu de je rencontrai, etc.)

Il ne faut pas oublier qu’il s’agit surtout ici de la langue parlée ; avec un peu d’attention, le fait s’observe facilement.

On peut aussi ramener à cette disparition du parfait l’absence des verbes forts en wallon, absence que Stürzinger[4] signale comme un mode de simplification (voir plus haut).

En effet, il ne faut pas oublier que le parfait est, pour ainsi dire, le seul temps qui permette de différencier les verbes forts des verbes faibles (voir plus loin, chap. II).

Quant à la disparition des terminaisons personnelles, ce tableau en montre également la tendance. Ex. au pluriel de l’imparfait, les 3 pers. sing, et les 3 pers. plur. du subj. imp., le plur. du conditionnel, le sing. du futur, etc.

Par contre, cette disparition est contrebalancée par la présence de terminaisons spéciales là où le français a uniformisé.

Ex. plur. de l’indic. présent, plur. du futur, plur. du subj. présent.

Ici pourra s’élever une objection : Que fait-on dans ce système des e muets et des consonnes terminales (s, t) de la flexion française ?

La réponse à cette objection expliquera en même temps pourquoi l’orthographe phonétique nous était indispensable.

C’est que, nous occupant scientifiquement d’un dialecte sans règles fixes et sans orthographe établie, nous devons nécessairement travailler sur la langue parlée. Nous ne tablons sur la langue écrite que lorsque la langue parlée nous fait défaut, par exemple lors des citations de vieilles formes recueillies dans les anciens textes (chartres, etc ). Et encore, le grand soin de la science philologique moderne est-il d’attribuer à ces graphies anciennes la valeur phonétique qu’elle les suppose avoir possédée et qui, dans bien des cas, est très difficile à déterminer.

Or, en langage parlé, ni l’e muet, ni les consonnes finales (s, t) ne se prononcent ; aussi la graphie phonétique omet-elle ces lettres.

Pour nous résumer, nous admettrons donc que le fait de la plus grande simplification de la conjugaison wallonne consiste presqu’exclusivement dans l’immense résorption du parfait de l’indicatif.

Cette résorption a eu pour contre-coup : 1o la disparition des verbes dits forts, et 2o l’unification des trois conjugaisons.

Quant à la disparition des terminaisons personnelles, elle est beaucoup moins forte que Stürzinger veut bien l’admettre ; nous croyons même qu’elle n’existe pas.

En effet, nous devons écarter de notre statistique : 1o le parfait, puisque c’est sur lui que se base notre mode de simplification ; car, la résorption du parfait étant admise, comme mode de simplification, la disparition de ses désinences personnelles ne peut plus entrer en ligne de compte ;

2o l’imparfait du subjonctif, dont la simplification a suivi celle du parfait.

En écartant ces deux temps, et en faisant le compte des autres temps à flexion, nous avons 19 désinences personnelles wallonnes et 16 françaises seulement. D’où l’on voit que les désinences sont restées plus nombreuses en wallon, et que, par conséquent, il n’y a pas à proprement parler, quant à elles, de tendance à simplification plus accusée en wallon qu’en français.

CHAPITRE II.

Division en conjugaisons.


En wallon, il n’est pas possible, comme dans les autres langues romanes, de diviser les verbes en deux flexions, c’est-à-dire en flexion forte et en flexion faible.

On sait, en effet, que ce qui différencie ces deux flexions, c’est l’accent tonique qui tombe, au parfait de l’indicatif, sur la terminaison (je chantai) dans la flexion faible, et sur le radical (je pris) dans la forte.

Or, le wallon, comme on vient de le voir et comme on le verra mieux encore plus loin, a simplifié le parfait au point de ne lui laisser qu’une désinence personnelle, la même pour toutes les conjugaisons.

Nous n’avons plus un seul parfait fort, même pour les verbes auxiliaires aveûr et èsse, qui, à côté des formes ji fous (je fus) et j’eus (j’eus) très rares, possèdent j’èsta et j’ava qui sont des formes faibles.

Nous divisons les verbes wallons en quatre conjugaisons, différentes des conjugaisons françaises.

La première comprend deux classes : 1o les verbes en er et 2o les verbes en î long. Les modèles sont chanter et magnî.

La seconde renferme les verbes en e muet. Nous la divisons en deux classes également, suivant que les verbes ont ou n’ont pas e muet à l’indicatif présent. Modèles : vinde (sans e) et batte (avec e).

La troisième comprend les verbes en i bref. Nous y comptons deux classes : 1o La 3e conjugaison simple qui comprend même deux subdivisions : a) les verbes qui ont un e muet au présent de l’indicatif, modèle doirmi ; b) les verbes qui n’en ont pas au même temps, modèle sinti. 2o La 3e conjugaison mixte qui intercale ih entre le radical et la terminaison, modèle fini.

La quatrième conjugaison renferme les verbes dont l’infinitif se termine par r ou re, terminaisons qui se prononcent de même en wallon. Modèle : beûre.

1re Conjugaison. La première conjugaison wallonne comprend les verbes qui proviennent de la première conjugaison latine (en are).

Elle se subdivise, comme nous l’avons dit, en deux classes, suivant que l’infinitif présent se termine en er (ĕ́) ou en î (ī).

Ces deux classes, qui paraissent si tranchées, possèdent cependant des affinités intimes provenant d’une identité d’origine.

Remarquons d’abord que le phonème î wallon correspond au phonème ier français (cf. anc. franç. mangier, wallon magnî ; anc. franç. aidier, wall. aidî ; franç. mod. pommier, wall. poumî ; franç. mod. premier, wall. prumî, etc.).

L’ancien français possédait même les deux formes à côté l’une de l’autre : eir ou er coexistent, pour le même mot, avec ier. Le français moderne a perdu ier. Le wallon l’a conservé sous forme de î.

Le vieux wallon possède des formes de transition. Ex. aidir, à côté de aidier, laisir à côté des formes ordinaires guarder, demandeir, demander[5]. Je trouve même les formes intéressantes, où la transition est des mieux marquées dans la moralité de 1623[6] : aydyî, spargnyî, waagnyî, louquyî.

Le phénomène dans son ensemble a été interprété par Bartsch et Mussafia, qui ont formulé la loi suivante, connue sous le nom de loi de Bartsch :

« ier (î wallon) se produit : 1o après ç, ch, g, de même qu’après l et n mouillées ; 2o après d, t, n, r, s, ss en tant que la syllabe précédente contient un i ou une diphtongue formée au moyen de cette voyelle. »

L. Micheels, dans sa grammaire wallonne, n’a pas su constater l’identité de conjugaison des verbes en er et des verbes en î long. Il a rattaché ceux-ci à la seconde conjugaison qu’il avait établie d’après le français, et les a réunis aux verbes en i bref, qui possèdent une tout autre origine.

Deuxième conjugaison. — La deuxième conjugaison, en e muet, correspond à la deuxième française en re (et à la 3e latine en ĕre). On sait, en effet, qu’une règle générale en wallon veut que « lorsqu’un mot se termine par e muet, précédé d’une ou de plusieurs consonnes, la première seule se prononce[7]. » La syncope de l’r provient d’une paresse de prononciation, tout simplement ; cette lettre réapparaît au futur (ji vindrè) qui n’est, comme on sait, qu’un temps composé de l’infinitif et de l’indicatif présent de l’auxiliaire avoir.

L’r terminal de l’infinitif, à la première conjugaison, ne se prononce pas non plus. Le phénomène étant différent, nous en reparlerons au chapitre de l’infinitif.

Nous avons admis, pour cette conjugaison, une division grammaticale en deux classes, suivant que les verbes qui lui appartiennent ont ou n’ont pas d’e muet à l’indicatif présent.

Troisième conjugaison. — La troisième conjugaison wallonne comprend les verbes en i bref. Ces verbes correspondent à la seconde conjugaison française en ir, et proviennent de la quatrième conjugaison latine en ire.

On la divise en deux classes.

Dans la première classe, troisième conjugaison simple, la flexion s’ajoute directement au radical du verbe. (Ex. : doirmi, ji doirm-éve.)

Nous l’avons subdivisée en deux, suivant qu’elle a ou non un e muet à l’indicatif présent.

Dans la seconde classe, troisième conjugaison mixte, la flexion se lie au radical au moyen de la syllabe intercalaire ih. (Ex. : fini, ji fin-ih-éve.)

Cette syllabe représente la syllabe inchoative isc latine, d’où elle provient. En français, isc latin a donné iss (je finissais).

En wallon, h aspiré provient soit de s spirante (ss + palatale, ex. cantassem : chantahe), soit de sc + voyelle (ex. scopare : hover, scutella : hièle).

Dans le chapitre suivant, nous proposons une quatrième conjugaison wallonne.

CHAPITRE III.

Quatrième conjugaison wallonne.
Répartition des verbes forts.


Parmi les verbes forts, pris surtout dans l’ancienne langue, où ils sont plus nombreux, quatre sont passés dans la première conjugaison. Ce sont :

Fer (facere), affligî (affligere), mouwer (movere) et viquer (vivere, anc. franç., vesqui et vescu au parfait ; franç. moderne vécus).

Sont passés dans la seconde conjugaison directement du latin, et en suivent toutes les règles :

Jonde (jungere), mètte (mittere), ponde (pingere), plainde (plangere), prinde (prendere), rèsponde (respondere), distinde (exstinguere), strinde (stringere), crainde (tremere), crèhe (crescere), kinohe (cognoscere), parètte (parere), ripahe (pascere) et toide (torquere).

Déjà, d’ailleurs, en français moderne, sept de ces verbes étaient devenus faibles ; ce sont :

Joindre, peindre, plaindre, répondre, éteindre, étreindre et craindre.

D’autres verbes des secondes et troisièmes conjugaisons latines étaient forts dans l’ancienne langue ; ils sont devenus faibles en wallon. Mais au lieu de perdre l’r à l’infinitif, comme les autres verbes wallons provenant de ces conjugaisons latines, ils sont caractérisés par le fait de la persistance de cet r à l’infinitif ; chez eux, c’est la consonne finale du radical verbal qui est tombée. Je reparlerai de ces verbes un peu plus loin. Ce sont :

Clôre (claudere), dire (dicere), dûre (ducere)[8], rire (ridere), scrire (scribere), distrûre (distruere), beûre (bibere), creûre (credere), lére (legere), plaire (placere), taire (tacere).

Le français moderne avait rendu faibles… duire, écrire et détruire.

Sont passés dans la 3e conjugaison faible les verbes suivants :

Tini (tenere), vini (venire), dimani (manere), qwèri (querere), cori (currere), mori (moriri).

Restent les verbes qui composent la troisième conjugaison en oir du français moderne, conjugaison admise dans l’enseignement de la langue.

Nous avons dit plus haut que le français range ses verbes en deux flexions, la flexion forte et la flexion faible.

Or, il se fait que les verbes en oir appartiennent tous à la flexion forte.

Mais d’un autre côté, en wallon, la flexion forte a complètement disparu. Et les verbes wallons, correspondant aux verbes français en oir, ne peuvent rentrer dans aucune des trois conjugaisons signalées plus haut. Aussi nous proposons d’admettre, en wallon, une quatrième conjugaison, faible nécessairement, dans laquelle se rangeraient les verbes en eûr, îr, ûr, oûr (franç. oir).

Nous proposons en outre de faire rentrer dans cette conjugaison, les verbes en re, que nous avons signalés plus haut.

La quatrième conjugaison wallonne comprendrait donc les verbes : veûr (videre), assîr (sedere), chêr (chîr) (cadere), riçur (… capere), diveûr (debere), aveur (habere), plour (plueve), poleur (polere, posse), saveûr ou sèpeur (sapère), soleur (solere), valeur (valere), voleur (volere, velle).

Ainsi que les verbes cités ci-dessus : clôre (claudere), dire (dicere), dûre (ducere), rire (ridere), scrire (scribere), distrûre (distruere), beûre (bibere), creûre (credere), lére (legere), plaire (placere), taire (tacere).

Le wallon ne fait d’ailleurs pas de différence entre ces verbes et les premiers. Il en a été de même en français, car c’est plutôt une habitude graphique contractée très tôt, il est vrai, et non une différenciation consciente qui fait écrire à côté de croire (vieux normand crere et aussi creer), voir qui s’est écrit d’ailleurs et qui s’écrit encore voire.

Cette quatrième conjugaison nous paraît donc devoir rendre quelque service. Elle permet de rassembler des verbes qu’il serait bien difficile de classer sans elle.

CHAPITRE IV.

Tableau de la conjugaison. Formation des temps.
Règles de flexion. Forme interrogative.


Conjugaison de l’auxiliaire aveur (avoir).

INDICATIF.
Présent. Passé indéfini.
J’a. J’a aou[9].
T’a. T’a aou.
Il a. Il a aou.
Nos avans. Nos avans aou.
Vos avez. Vos avez
Is ont ou is avèt. Is ont
Imparfait. Plus-que-parfait.
J’aveûs. J’aveus aou.
T’aveûs. T’aveus
Il aveût. Il aveut
Nos avîs. Nos avîs
Vos avîz. Vos avîz
Is avît ou avint. Il avît
Passé défini. Passé antérieur.
J’ava, j’eus[10], j’euris. J’ava[11] aou.
T’ava, t’eus, t’euris. T’ava
Il ava, il eut, il eurit. Il ava
Nos eurîs. Nos eurîs
Vos eurîz. Vos eurîz
Is eurît. Is eurît

Futur. Futur antérieur.
J’ârè. J’ârè aou.
T’ârè. T’ârè
Il ârè. Il ârè
Nos ârans. Nos ârans aou.
Vos ârez. Vos ârez
Is âront. Il âront
SUBJONCTIF.
Présent. Parfait.
J’âye. J’âye aou.
T’âye. T’âye
Il âye. Il âye
Nos âyanse ou avanse. Nos âyanse ou avanse aou.
Vos âyésse ou avésse. Vos âyésse ou avésse
Is âyèsse ou avèsse. Il âyèsse ou avèsse
Imparfait. Plus-que-parfait.
J’avahe, eurihe, avasse, ou euhe. J’avahe, etc. aou.
T’avahe, eurihe, avasse, ou euhe. T’avahe, etc. aou.
Il avahe, eurihe, avasse, ou euhe. Il avahe, etc. aou.
Nos avahîs, eurihîs, ou euhîs. Nos avahîs, etc. aou.
Vos avahîz, eurihîz, ou euhîz. Vos avahîz, etc. aou.
Is avahît, eurihît, ou euhît. Is avahît, etc. aou.
CONDITIONNEL.
Présent. Passé.
J’âreûs. J’âreûs aou.
T’âreûs. T’âreûs
Il âreût. Il âreût
Nos ârîs. Nos ârîs
Vos ârîz. Vos ârîz
Is ârît. Is ârît
IMPÉRATIF. INFINITIF. PARTICIPE.
Présent. Présent.
Âye. Aveur. Âvant ou âyant.
Âyans. Passé. Passé.
Âyîz. Aveur aou. Awou, avu, avou ou oyou.

Conjugaison du verbe èsse (être).

INDICATIF.
Présent. Passé indéfini.
Ji sos. J’a stu.
T’ès. T’a
Il èst[12]. Il a
Nos èstans. Nos avans stu.
Vos èstez. Vos avez
Is sont. Is ont
Imparfait. Plus-que-parfait.
J’èsteûs. J’aveûs stu.
T’èsteûs. T’aveûs
Il èsteût. Il aveût
Nos èstîs. Nos avîs stu.
Vos èstîz. Vos avîz
Is èstît. Is avît
Passé défini. Passé antérieur.
Ji fouris, fourus, fous ou èsta. J’euris stu.
Ti fouris, fourus, fous ou èsta. T’euris
I fourit, fourut, fout ou èsta. Il eurit
Nos fourîs. Nos eurîs
Vos fourîz. Vos eurîz
Is fourît (rarement fourivèt). Is eurît

Futur. Futur antérieur.
Ji sèrè. J’ârè stu.
Ti sèrè. T’ârè
I sèrè. Il ârè
Nos sèrans. Nos ârans stu.
Vos sèrez. Vos ârez
Is sèront. Is âront
SUBJONCTIF.
Présent. Parfait.
Ji seûye. J’âye situ.
Ti seûye. T’âye
I seûye. Il âye
Nos sèyanse. Nos âyanse situ.
Vos sèyîsse. Vos âyîsse
Is sèyèsse. Is âyèsse
Imparfait. Plus-que-parfait.
Ji fourihe, fouhe, sèyahe, sèyasse, èstahe, èstasse. J’avahe, etc. situ.
Ti fourihe, fouhe, sèyahe, sèyasse, èstahe, èstasse. T’avahe, etc.
I fourihe, fouhe, sèyahe, sèyasse, èstahe, èstasse. Il avahe, etc.
Nos fourihîs, fouhîs, sèyahîs, èstahîs, sèyîsse. Nos avahîs, etc. stu.
Vos fourihîz, fouhîz, sèyahîz, èstahîz, sèyîsse. Vos avahîz, etc.
Is fourihît, fouhît, sèyahît, èstahît. Is avahît, etc.
IMPÉRATIF.
Seûye. Sèyans. Sèyîz.
INFINITIF.
Esse.
PARTICIPE.
Stu ou situ (i intercalaire).
Tableau de la conjugaison.
INDICATIF.
Temps simples.
TEMPS. 1re CONJUGAISON. 2de CONJUGAISON. 3me CONJUGAISON. 4me CONJ.
Temps principaux. Présent. Ji chante. Ji magne. Ji vind. Ji batte. Ji sint. Ji doime. Ji fin-ih-e. Ji beûs.
Ti chante. Ti magne. Ti vind. Ti batte. Ti sint. Ti doime. Ti fin-ih-e. Ti beûs.
I chante. I magne. I vind. I batte. I sint. I doime. I fin-ih-e. Ti beût.
Nos chantans. Nos magnans. Nos vindans. Nos battans. Nos sintans. Nos doirmans. Nos fin-ih-ans. Nos buvans.
Vos chantez. Vos magnîz. Vos vindez. Vos battez. Vos sintez. Vos doirmez. Vos fin-ih-ez. Vos buvez.
Is chantèt. Is magnèt. Is vindèt. Is battèt. Is sintèt. Is doirmèt. Is fin-ih-èt. Is buvèt.
Futur. Ji chant’. Ji magn’. Ji vind. Ji batt. Ji sint’. Ji doim’. Ji fin-ih-rè. Ji beû.
Ti chant’. Ti magn’. Ti vind. Ti batt. Ti sint’. Ti doim’. Ti fin-ih-rè. Ti beû.
I chant’. I magn’. I vind. I batt. I sint’. I doim’. I fin-ih-rè. Ti beû.
Nos chant’rans. Nos magn’rans. Nos vindrans. Nos battrans. Nos sint’rans. Nos doim’rans. Nos fin-ih-rans. Nos beûrans.
Vos chant’rez. Vos magn’rez. Vos vindrez. Vos battrez. Vos sint’rez. Vos doim’rez. Vos fin-ih-rez. Nos beûrez.
Is chant’ront. Is magn’ront. Is vindront. Is battront. Is sint’ront. Is doim’ront. Is fin-ih-ront. Nos beûront.
Temps secondaires. Imparfait. Ji chantéve. Ji magnîve. Ji vindéve. Ji battéve. Ji sintéve. Ji doirméve. Ji fin-ih-éve. Ji buvéve.
Ti chantéve. Ti magnîve. Ti vindéve. Ti battéve. Ti sintéve. Ti doimréve. Ti fin-ih-éve. Ti buvéve.
I chantéve. I magnîve. I vindéve. I battéve. I sintéve. I doirméve. I fin-ih-éve. Ti buvéve.
Nos chantîs. Nos magnîs. Nos vindîs. Nos battîs. Nos sintîs. Nos doirmîs. Nos fin-ih-îs. Nos buvîs.
Vos chantîz. Vos magnîz. Vos vindîz. Vos battîz. Vos sintîz. Vos doirmîz. Vos fin-ih-îz. Vos buvîz.
Is chantît. Is magnît. Is vindît. Is battît. Is sintît. Is doirmît. Is fin-ih-ît. Is buvît.
Passé défini. Ji chanta. Ji magna. Ji vinda. Ji batta. Ji sinta. Ji doimra. Ji fin-ih-a. Ji buva.
Ti chanta. Ti magna. Ti vinda. Ti batta. Ti sinta. Ti doimra. Ti fin-ih-a. Ti buva.
I chanta. I magna. I vinda. I batta. I sinta. I doimra. I fin-ih-a. Ti buva.
Pluriel, voir imparfait.

Temps composés.
Temps principaux. Passé
indéfini
.
J’a, t’a, etc.
chanté.
J’a, t’a, etc.
magnî.
J’a, t’a, etc.
vindou.
J’a, t’a, etc.
battou.
J’a, t’a, etc.
sintou.
J’a, t’a, etc.
doirmou.
J’a, t’a, etc.
fini.
J’a, t’a, etc.
bu.
Futur
antér
.
J’ârè, etc.
chanté.
J’ârè, etc.
magnî.
J’ârè, etc.
vindou.
J’ârè, etc.
battou.
J’ârè, etc.
sintou.
J’ârè, etc.
doirmou.
J’ârè, etc.
fini.
J’ârè, etc.
bu.
Temps secondres. Plus-
que-parf
.
J’aveûs, etc.
chanté.
J’aveûs, etc.
magnî.
J’aveûs, etc.
vindou.
J’aveûs, etc.
battou.
J’aveûs, etc.
sintou.
J’aveûs, etc.
doirmou.
J’aveûs, etc.
fini.
J’aveûs, etc.
bu.
Passé
antér
.
J’ava, etc.
chanté.
J’ava, etc.
magnî.
J’ava, etc.
vindou.
J’ava, etc.
battou.
J’ava, etc.
sintou.
J’ava, etc.
doirmou.
J’ava, etc.
fini.
J’ava, etc.
bu.
SUBJONCTIF.
Temps simples.
Temps principal. Présent. Ji chante. Ji magne. Ji vinse. Ji batte. Ji sinse. Ji doime. Ji fin-ih-e. Ji beûsse.
Ti chante. Ti magne. Ti vinse. Ti batte. Ti sinse. Ti doime. Ti fin-ih-e. Ji beûsse.
I chante. I magne. I vinse. I batte. I sinse. I doime. I fin-ih-e. Ji beûsse.
Nos chantanse. Nos magnanse. Nos vindanse. Nos battanse. Nos sintanse. Nos doirmanse. Nos fin-ih-anse. Nos buvanse.
Vos chantésse. Vos magnîsse. Vos vindésse. Vos battésse. Vos sintésse. Vos doirmésse. Vos fin-ih-ésse. Nos buvésse.
Is chantèsse. Is magnèsse. Is vindèsse. Is battèsse. Is sintèsse. Is doirmèsse. Is fin-ih-èsse. Nos buvèsse.
Temps secondaire. Imparfait. Ji chantahe. Ji magnahe. Ji vindahe. Ji battahe. Ji sintahe. Ji doirmahe. Ji fin-ih-ahe. Ji buvahe.
Ti chantahe. Ti magnahe. Ti vindahe. Ti battahe. Ti sintahe. Ti doirmahe. Ti fin-ih-ahe. Ti buvahe.
I chantahe. I magnahe. I vindahe. I battahe. I sintahe. I doirmahe. I fin-ih-ahe. I buvahe.
Nos chantahîs. Nos magnahîs. Nos vindahîs. Nos battahîs. Nos sintahîs. Nos doirmahîs. Nos fin-ih-ahîs. Nos buvahîs.
Vos chantahîz. Vos magnahîz. Vos vindahîz. Vos battahîz. Vos sintahîz. Vos doirmahîz. Vos fin-ih-ahîz. Vos buvahîz
Is chantahît. Is magnahît. Is vindahît. Is battahît. Is sintahît. Is doirmahît. Is fin-ih-ahît. Is buvahît.

Temps composés.
Temps
principal
.
Parfait. J’âye, etc.
chanté.
J’âye, etc.
magnî.
J’âye, etc.
vindou.
J’âye, etc.
battou.
J’âye, etc.
sintou.
J’âye, etc.
doirmou.
J’âye, etc.
fini.
J’âye, etc.
bu.
Temps
seconds
.
P-q-parf. J’avahe, etc.
chanté.
J’avahe, etc.
magnî.
J’avahe, etc.
vindou.
J’avahe, etc.
battou.
J’avahe, etc.
sintou.
J’avahe, etc.
doirmou.
J’avahe, etc.
fini.
J’avahe, etc.
bu.
CONDITIONNEL.
Simple. Conditionnel
Présent
.
Ji chant’reûs. Ji magn’reûs. Ji vindreûs. Ji battreûs. Ji sint’reûs. Ji doim’reûs. Ji fin-ih-reûs. Ji beûreûs.
Ti chant’reûs. Ti magn’reûs. Ti vindreûs. Ti battreûs. Ti sint’reûs. Ti doim’reûs. Ti fin-ih-reûs. Ji beûreûs.
I chant’reût. I magn’reût. I vindreût. I battreût. I sint’reût. I doim’reût. I fin-ih-reût. Ji beûreût.
Nos chant’rîs. Nos magn’rîs. Nos vindrîs. Nos battrîs. Nos sint’rîs. Nos doim’rîs. Nos fin-ih-rîs. Nos beûrîs.
Vos chant’rîz. Vos magn’rîz. Vos vindrîz. Vos battrîz. Vos sint’rîz. Vos doim’rîz. Vos fin-ih-rîz. Nos beûrîz.
Is chant’rît. Is magn’rît. Is vindrît. Is battrîte. Is sint’rît. Is doim’rît. Is fin-ih-rît. Nos beûrît.
Composé. Passé. J’âreûs, etc.
chanté.
J’âreûs, etc.
magnî.
J’âreûs, etc.
vindou.
J’âreûs, etc.
battou.
J’âreûs, etc.
sintou.
J’âreûs, etc.
doirmou.
J’âreûs, etc.
fini.
J’âreûs, etc.
bu.

IMPÉRATIF.
Présent. Chante. Magne. Vind. Batte. Sint. Doime. Finihe. Beûs.
Chantans. Magnans. Vind. Battans. Sintans. Doirmans. Finihans. Buvans.
Chantez. Magnîz. Vind. Battez. Sintez. Doirmez. Finihez. Buvez.
Passé. Aye, etc.
chanté.
Aye, etc.
magnî.
Aye, etc.
vindou.
Aye, etc.
battou.
Aye, etc.
sintou.
Aye, etc.
doirmou.
Aye, etc.
fini.
Aye, etc.
fini. Aye, etc.
bu.
INFINITIF.
Présent. Ji Chanter. Magnî. Vinde. Batte. Sintt. Doimri. Fini. Beûre.
Cantare. Manducare. Vendere. Batuere, battere. Sentire. Dormire. Finire. Bibere.
Passé. Aveûr chanté. Aveûr magnî. Aveûr vindou. Aveûr battou. Aveûr sintou. Aveûr doirmou. Aveûr fini. Aveûr bu.
PARTICIPE.
Présent. Ji Chantant. Magnant. Vindant. Battant. Sintant. Doirmant. Finihant. Buvant.
Passé. Ayant chanté,
êye.
Ayant magnî,
êye.
Ayant vindou,
owe.
Ayant battou,
owe.
Ayant sintou,
owe.
Ayant doirmou,
owe.
Ayant fini,
èye.
Ayant bu,
bèvowe (?).

Formation des temps.

A. Le présent de l’indicatif forme :

1o L’impératif, en retranchant le pronom. La première personne du présent donne le singulier de l’impératif, et les deux 1res personnes du pluriel du présent, le pluriel de l’impératif. Ji chante, chante ; ji sint, sint ; nos vindans, vindans ; vos buvez, buvez.

2o Le futur simple, en ajoutant les terminaisons de ce temps (, rans, rez, ront) au singulier du présent privé de sa terminaison. Ji chant(e), ji chant’rè ; ti vind, ti vindrè ; il ach’têy(e) forme spéciale, il ach’têyrè ; ji finih(e), ji finihrè ; ti beûs, ti beurè, etc.

3o Le conditionnel présent de la même façon que le futur, mais en ajoutant les terminaisons reûs, reût, rîs, rîz, rît.

B. Au singulier du passé défini on ajoute les suffixes he, hîs, hîz, hît, pour former l’imparfait du subjonctif.

C. Le participe présent forme :

1o Les trois personnes du pluriel de l’indicatif présent, en changeant ant en ans, ez, èt.

Ex. chantant, nos chantans ; finihant, vos flnihez, etc.

2o L’imparfait de l’indicatif en changeant ant en éve ou îve, etc. Ex. chantant, chantéve ; magnant, magnîve.

3o Le passé défini en changeant ant en a. Ex. vindant, ji vinda ; finihant, ji finiha, etc.

D. Le participe passé forme les temps composés.

Règles de flexion.

Singulier.

Les trois personnes du singulier sont identiques à tous les temps et à toutes les conjugaisons, sauf au conditionnel des 4 conjugaisons où les deux premières personnes se terminent par une s et la 3e par un t, et à l’indicatif et à l’impératif présents de la 4e conjugaison où elles suivent les règles de l’orthographe analogique[13].

Pluriel.

1re et 2e personne. Se terminent en ans, ez (ou îz, 1er conjugaison) à l’indicatif présent et futur et à l’impératif ; en îs et îz, à l’imparfait de l’indicatif et du subjonctif, et au conditionnel présent ; en anse, ésse (ou îsse) au subjonctif présent.

3e personne. Se termine en èt au présent de l’indicatif, en ont au futur ; en ît, à l’imparfait de l’indicatif et du subjonctif, et au conditionnel ; en èsse au subjonctif présent.

Forme interrogative.

Le wallon, comme le français, interroge en plaçant le pronom personnel après le verbe.

Nous ne nous occuperons pas ici des changements de forme de ce pronom, nous proposant d’y revenir dans un travail spécial.

Le t intercalaire d’analogie existe à toutes les conjugaisons aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel qui ne se terminent pas par cette consonne et à toutes les conjugaisons, comme en français. Ex. chante-t-i, magne-t-i, vind-t-i, chantèt-is, buvèt-is, etc.

La seconde personne du singulier offre une particularité remarquable pour les formes qui ne sont pas terminées par e muet. Ces formes, en effet, intercalent une s qui nous paraît être directement étymologique, et provenir de l’s générale à la seconde personne du singulier des verbes latins. L’interrogation latine la plus commune étant faite avec ne, l’s, consonne sifflante bien caractéristique (cf. l’s du subjonctif) s’est transmise en wallon.

Nous trouvons, en wallon, les formes :

Prinse ? (prendis-ne ?) prends-tu ? Beûsse ? (bibisne ?) bois-tu ? Sinse ? (sentis-ne ?) sens-tu ? Sicrîsse ? (scribis-ne ?) écris-tu ? Sésse ? (sapis-ne ?) sais-tu ? Asse ? (habes-ne ?) as-tu ? Vasse ? (vadis-ne ?) vas-tu ? Vousse ? (vis-ne ?) veux-tu ? Esse ? (Es-ne ?) Aîm’rèsse ? (amare-habes-ne ?) aimeras-tu ? Aimasse ? (amasti-ne ?) aimas-tu ? etc. etc.

CHAPITRE V.

Présent de l’indicatif.


Le présent de l’indicatif est certainement le temps le plus intéressant en wallon : c’est, en tous cas, celui qui présente le plus de particularités remarquables, celui, en un mot, qui s’est le moins simplifié.

Le fait, d’ailleurs, n’a rien qui doive étonner, si l’on songe que ce temps est le plus employé dans la conversation. Les formes s’en présentent souvent à l’esprit et gardent donc, mieux que d’autres, le caractère étymologique qui leur est propre.

À la première conjugaison, aux trois personnes du singulier, nous rencontrons, outre la forme ordinaire en e muet (ji chante), une autre forme en êye (ḕy). Ex. : j’arrèstêye, j’arrête ; j’ach’têye, j’achète, etc.

Disons tout d’abord que cette forme ne doit pas être confondue avec une forme analogue, mais en è bref (ji prèye, je prie, de priyî, par ex.). La différenciation est facile à faire puisqu’il ne s’agit pas dans le dernier cas d’une terminaison, mais d’une modification du radical. Nous avons cependant cru devoir la signaler, parce que souvent la forme êye (terminaison) se prononce parfois très bref (ḕy) même à Liége, et que la prononciation de êye (radical) tend parfois aussi à se rapprocher de celle de êye (ḕy) y terminaison.

Nous ne pouvons accepter l’explication trop générale, mais vraie en partie, de L. Micheels[14] disant que cette forme provient de la difficulté qu’ont les Wallons de prononcer deux consonnes de suite. On dirait j’abot’nêye, pour ne pas dire j’abotne ; j’ach’têye, pour ne pas dire j’achte. Mais rien n’empêcherait les Wallons de dire j’abotène, ou j’achète ; puisqu’ils disent bien j’ad’vène, je devine, et il ajètte, il jette de mon côté. L’explication de Micheels n’est donc pas suffisante.

Remarquons aussi qu’il existe une grande liberté dans l’emploi de cette terminaison êye en wallon.

Son emploi ou son rejet sont pour ainsi dire de l’ordre de la diversité des dialectes et dépendent même des individus qui les parlent.

Il est une foule de verbes qui, à côté de la forme en êye, possèdent la forme ordinaire en e muet. Ex. : ènonder (j’ènonde et j’ènondêye) ; rimeûbler (ji r’meûbèle et ji r’meublêye) ; pruster (prusse et prustêye) ; masquer (masse et masquèye) etc., etc.

Cette forme en êye me paraît tout simplement être une particularité dialectologique, permettant d’éviter certaines cacophonies ou duretés de prononciation, et provenant, pour un grand nombre de verbes qui ne peuvent invoquer cette raison d’esthétique, de la grande loi d’analogie si puissante en wallon.

En outre, elle constitue encore un mode particulier de simplification, en ce sens qu’elle permet de conserver à un grand nombre de verbes, leur physionomie générale au cours de leur flexion. Si elle n’était pas en usage, il faudrait soit modifier la voyelle du radical verbal, comme dans ji m’acalène (de s’acaliner), soit réintercaler une voyelle disparue, comme dans achète (de ach’ter), soit réintroduire une voyelle qui a disparu dans l’évolution romane rimeûbèle (de r’meûbler) ou qui n’a même pas existé en latin, comme dans soffèle (de soffler, sufflare)[15], soit enfin remanier la texture d’un mot comme dans l’expression (Nord de Liége-Visé) ji cheweure (chĕ̀wœ̆̀r) = je laboure, de (chèrwer), chĕ́rwĕ́, carrucare).

L’analogie a même fait s’introduire dans la 3e conjugaison, en ĭ bref, cette forme en êye, appartenant à la 1re. Nous citerons les verbes pârti (partiri, partager) qui possède les deux formes ji pârtihe et ji pârtêye ; pâstri (faire la pâte), ji pâstrêye et ji pâstrihe, etc.

Cela dit, voici le tableau de l’indicatif présent des quatre conjugaisons, tableau qui sera suivi de quelques remarques.

Nous employons l’orthographe phonétique. Voir le tableau complet de la conjugaison en orthographe analogique.

Nous avons choisi les mêmes exemples que dans ce tableau :

1re conj. tꞓãtĕ́, (cantare), măn̮ī (manducare), ătꞓtĕ́ (accaptare).

2e conj. vĩd (vendere) et băt (batuere-battere).

3e conj. fĭnĭ (finire), sĩtĭ (sentira), dwĕ̀rmĭ (dormire).

4e conj. bœ̄́r (bibere).

Présent de l’indicatif
Première
conjugaison.
2de
conjug.
Troisième
conjugaison.
4e
conj.
Singulier.
1re pers. tꞓãt măn̮ ătꞓt-ḕy băt fĭn-ĭh dwĕ̀m bœ̆́
2e » tꞓãt măn̮ ătꞓt-ḕy băt fĭn-ĭh dwĕ̀m bœ̆́
3e » tꞓãt măn̮ ătꞓt-ḕy băt fĭn-ĭh dwĕ̀m bœ̆́
Pluriel.
1re pers. tꞓãt-ã[16] măn̮-ã ătꞓt-ã vĩd-ã băt-ã fĭn-ĭh-ã sĩt-ã dwĕ̀rm-ã bŭv-ã
2e » tꞓãt-ĕ́[17] măn̮-ī ătꞓt-ĕ́ vĩd-ĕ́ băt-ĕ́ fĭn-ĭh-ĕ́ sĩt-ĕ́ dwĕ̀rm-ĕ́ bŭv-ĕ́
3e » tꞓãt-ĕ̀[18] măn̮-ĕ̀ ătꞓt-ĕ̀ vĩd-ĕ̀ băt-ĕ̀ fĭn-ĭh-ĕ̀ sĩt-ĕ̀ dwĕ̀rm-ĕ̀ bŭv-ĕ̀
INFINITIF. tꞓãtĕ́ măn̮ī ătꞓtĕ́ vĩd băt fĭnĭ sĩtĭ dwĕ̀rmĭ bœ̄́r
cantare manducare accaptare vendere battere finire sentire dormire bibere
Remarques sur ce tableau.

Nous observons tout d’abord que les trois personnes du singulier sont identiques ; ce fait s’applique aux quatre conjgaisons.

Les trois personnes du pluriel se terminent respectivement en ã, ĕ́[19] et ĕ̀ (ans, ez-oz, èt). La seule exception est la seconde personne des verbes en ī (îz) à la seconde personne du pluriel. Le phénomène yĕ́=ī est général en wallon. (Voir plus haut.)

Dans sa grammaire des langues romanes, Diez fait observer que le wallon n’a pas laissé s’introduire, à la première personne du pluriel l’o, dominant en vieux français et en français moderne (omes, om, ons). Cette observation est trop générale. Le fait est vrai en dialecte liégeois. Mais d’autres dialectes, le nivellois, entre autres, possèdent l’o. Ex. nŏ̀ stõ (stons), etc. Nous le rencontrons encore dans la Pasquêye de Piron et Pentecosse[20] (1617). Ex. Nos prindrons, nos vorons, etc.

Remarquons encore, comme tendance à simplification, que ans existe partout, dans les quatre conjugaisons, malgré l’étymologie latine différente amus, imus, emus.

La troisième personne du pluriel possède une terminaison ouverte, à l’encontre de ce qui existe en français. Ex. ĭ tꞓãtĕ̀ (is chantès), ils chantent.

Le fait se retrouve en Provençal qui a ã (an) et õ (on).

À l’ouest wallon (Namur), le phénomène s’accentue encore. La troisième personne du pluriel se termine en . Ex. : ĭ tꞓãtnŭ, ĭ măn̮nŭ, etc.

Dans l’ancien français aussi, d’ailleurs, la terminaison ent, sourde dans le français moderne, s’est prononcée, car elle a formé, pendant un certains temps, une rime masculine en poésie.

Signalons encore une tendance à la simplification par analogie observée dans les formes băt (batte) et dwĕ̀m (doime) des deuxièmes et troisièmes conjugaisons. Le français a bats et dors. Il est évident que l’e muet des formes wallonnes simplifie la flexion de ces verbes et de leurs analogues, puisqu’ils les rapprochent des verbes de la 1re conjugaison.

Verbes irréguliers.

Nous diviserons les verbes irréguliers wallons, au présent de l’indicatif, en quatre classes :

1o Verbes qui éprouvent certains changements du radical de l’infinitif lorsque l’accent tonique tombe sur leur pénultième (aux trois personnes du singulier).

2o Verbes qui, suivant une règle général du wallon, modifie le groupement de deux consonnes, lorsque ce groupement, dans la flexion, précède immédiatement e muet.

3o Verbes irréguliers de la quatrième conjugaison, qui intercalent dans leur flexion une consonne étymologique ou parasite.

4o Verbes anomaux proprement dits.

première classe.

1o a bref (ă) s’allonge en â long (ā et à Liège).

Ex. : payî, payer, ji pâye ; sayî, essayer, ji sâye.

2o è ouvert bref (ĕ̀) s’allonge tantôt en long (œ̄́) : comme dans pèser, peser, ji peûse.

Tantôt en î long (ī), comme dans qwèri, chercher, ji qwîre ; lèver, lever, ji lîve ; crèver, crever, ji vrîve[21]

Tantôt en é fermé et long (), comme dans hèrer, pousser, ji hére ; sèrrer, serrer, ji sérre ; ètèrrer, enterrer, j’ètérre ; rèser, raser, ji rése.

3o i bref (ĭ) se transforme tantôt en è bref comme dans clignî, fermer les yeux, ji clègne ; rilignî, dégeler, i r’lègne ; hiner, jeter, ji hène ; priyî, prier, ji prèye ; si fiyî, se fier, ji m’fèye ; adviner, deviner, j’advène, etc.

Tantôt en o (ŏ̀) comme dans dinner, donner, ji donne[22].

Tantôt en ô long () qui se nasalise parfois comme dans miner, mener, ji mône, (mṓn ou mō̃n).

4o o ouvert bref (ŏ̀) s’allonge tantôt en ô fermé long () comme dans s’annoyî, s’ennuyer, ji m’annôye ; loyî, lier, ji lôye ; èvoyî, envoyer, j’èvôye ; coyî, cueillir, ji côye, et tous les infinitifs en oyî. Citons encore dorer, dorer, ji dôre ; forer, forer, ji fôre[23] et quelques autres.

Tantôt il se transforme en long, (œ̄́) comme dans cover, couver, ji keûve ; dimorer, demeurer, ji d’meûre ; hover, balayer, ji heûve ; plorer, pleurer, ji pleûre.

Tantôt il se transforme en long (ꭒ̄) comme dans prover, prouver, ji prouve ; trover, trouver, ji trouve ; mori, mourir, ji moûr ; cori, courir, ji coûr.

5o D’autres fois, au contraire, le son ou (ꭒ̆) se transforme en o bref (ŏ̀), comme dans bouwer, lessiver, ji bowe ; louwer, louer, ji lowe, et d’autres verbes en ouwer ; toumer, tomber, ji tome, foumer, fumer, ji fome et d’autres verbes en oumer ; babouyî, balbutier, ji baboye ; mouyî, mouiller, ji moye ; cafougnî, chiffonner, ji cafogne, et d’autres verbes en ouyî et ougnî.

6o u bref (ŭ) se transforme tantôt en eu bref (œ̆̀) comme dans juner, jeuner, ji jeune ; sitrumer, étrenner, ji streume ; lumer, (pour limer) limer, ji leume[24].

Tantôt en long (œ̄́), devant r, comme dans hurer, écurer, ji heûre ; durer, durer, ji deûre ; mèsurer ou mès’rer, ji mèseûre.

Deuxième classe.

Lorsqu’un groupement de deux consonnes vient, dans la flexion, à précéder immédiatement e muet, le walon

1o Syncope la première consonne, lorsque celle-ci est un r. Ex. : chèrgî, charger, ji chège ; doirmi, dormir, ji doime[25] ; boirder, border, ji boide ; wârder, garder, ji wâde ; bourder, mentir, ji boûde, etc.

Exception sôrti, sortir, ji sôrte (peu employé).

2o Il syncope la seconde consonne, lorsque le mot ainsi obtenu ne peut donner lieu à équivoque et sonne bien à l’oreille. (Sinon il emploie le suffixe êye, ḕy. (Voir p. 43.)

Ex. Goster, goûter, ji gosse, plus souvent ji gostêye ; coster, coûter, ji cosse ou ji costêye ; accepter, accepter, j’accèpe ou j’accèptêye ; ajuster, ajuster, j’ajusse ou j’ajustêye ; etc, etc.

3o Il intercale un son voyelle entre les deux consonnes, lorsque la seconde est l ou r. Ce son intercalé est è (ĕ̀) ou (œ̄́)[26]. Ex. : infler, enfler, j’infèle ; gonfler, gonfler, ji gonfèle ; sât’ler, sautiller, sauter, sâtèle ; si mâv’ler, se fâcher, ji m’mâvèle ; tripler, écraser avec le pied, ji tripèle ; intrer, entrer, j’inteûre ; mostrer, montrer, ji mosteûre ; ovrer, travailler, ouvrer, j’ouveûre.

Exception dovri, ouvrir, qui fait ji doûve et covri, couvrir, qui fait ji coûve. Certains dialectes ont cependant ji douveûre.

Dans parler, parler, ji parole, l’o est plutôt une persistance (cf. l’ancien franç. parole).

Troisième Classe.

La quatrième conjugaison est, nous le répétons, la conjugaison des formes irrégulières, une sorte d’adoucissement de la conjugaison forte, si nous osons nous exprimer ainsi.

Nous diviserons ses verbes en quatre catégories :

1o la catégorie, qui au pluriel de l’indicatif présent et d’autres temps (imparfait, parfait, etc.) possède un h étymologique. Cet h est peut-être un peu moins aspiré que l’h initial de certains mots. Il correspond à s + voyelle ou à voyelle c + e, i[27]. Ce dernier traitement est surtout appliqué aux verbes qui vont suivre.

Ces verbes sont : dîre, dire, nos d’hans (di(c)imus) ; dûre, plaire à, anc. franç, duire, nos dûhans (du(c)imus) ; distrûre, détruire, nos distrûhans (struimus stru(x)i, stu(c)tum) ; lére, lire, nos léhans, (le(g)imus) ; plaire, plaire, nos plaihans, (pla(c)emus) ; taire, taire, nos taihans (tai(c)emus) ; cure, cuire, nos cûhans (co(qu)imus) ; lûre, luire, nos lûhans (lu(c)emus).

On voit que cet h wallon correspond au français s (z).

2o La catégorie qui possède, dans le même cas, un v étymologique, lettre qui peut avoir disparu dans la contraction du radical, mais qui se retrouve parfois dans l’ancienne langue et dan la nouvelle. Ce sont beûre (boire, anc. franc. boivre), nos buvans (bibimus) ; riçûr (recevoir, on trouve rechoivre), nos r’çûvans (recipimus) ; plour, pleuvoir, pluere (plui ou pluvi cf. pluvia), part. prés, plovant (pleuvant) ; sûre, suivre, nos sûvans, on trouve en anc. franç., sevre, suivre ; dans la 3e chartre, citée par M. Wilmotte[28] on a aussi porsiwre.

Les trois verbes diveûr (devoir), aveûr (avoir) et saveûr (savoir) n’ont pas contracté à l’infinitif, mais bien au sing. du présent ; voir plus loin aux verbes anomaux

3o La catégorie des verbes qui ont conservé l’l étymologique, boûr, bouillir = nos bolans (bullimus) ; moûre (moudre, vieux français moldre, molre) nos molans (molimus).

Voir plus loin poleûr (pouvoir), valeûr (valoir) et voleur (vouloir), qui contractent au singulier.

4o La catégorie des verbes qui, d’après une caractéristique du wallon, ont intercalé y entre deux sons voyelles pour éviter l’hiatus. Ce sont clôre, clore, nos cloyans ; scrire, écrire, nos scriyans ; creûre, croire, nos crèyans ; veûr, voir, nos vèyans ; s’assîr, asseoir, nos nos assyans ; hére, haïr, nos hèyans ; heûr, secouer, nos hoyans ; keûre, être content de ce qui arrive à un autre, nos hèyans ; braire, crier, braire, nos brèyans ; ôr, ouïr, écouter, nos oyans.

Voir plus loin rire, rire et chîr.

Quatrième Classe.

Verbes anomaux proprement dits.

Ce sont : fer, faire. Ce verbe a conservé au singulier du présent, la forme contractée de la conjugaison forte, (fa(c)ere, ital. fare) ; ji fais, je fais ; au pluriel régulièrement fans, fez, fèt, et quelquefois par analogie française font.

Les verbes oyî, vèyî, entendre, voir, qui donnent j’ôs, ji veûs, ne sont pas anomaux en ce sens que leur forme infinitive normale est ôr (au(d)ire) et veûr (vi(d)ere), qui existent dans le wallon actuel, et les rangent dans notre 4e conjugaison. (Voir 3o classe des verbes irréguliers.)

Lèyî (anc. franc, laier) laisser, donne ji lais aux 3 pers. du sing. Cette forme vient d’un infinitif d’analogie laire. Le plur. est régulier (v. au chapitre Infinitif la remarque à ce propos).

Aller, aller, emprunte, comme le français, une partie de ses temps à vadere, une autre à ambulare et à ire. Nous parlerons plus loin de la part contributive de chacun de ces verbes à la conjugaison entière de aller. Au singulier, les trois personnes ont va (cf. franc, vais, vas, va). Au pluriel allans, allez, allèt (et aussi par analogie française vont).

À côté de ces formes, s’en trouvent deux autres, que nous sommes tentés de rapporter à ire ; d’abord le jans, wallon qui s’emploie dans une foule de cas dans le même sens que allons ! français. Cette même forme se retrouve, surtout en Ardenne et dans le pays de Namur, accompagnée du pronom personnel : nos n’jans mâye (nous n’allons jamais). Citons encore jez ! que les enfants emploient très souvent dans le sens du français vulgaire v’lan. Ne serait-ce pas la seconde personne du-pluriel ? Nous n’avons en tous cas pas de matériaux suffisants pour nous prononcer.

Nous avons rencontré depuis lors à Moirtrou, près de Dalhem, la forme jont, 3e pers. plur. is jont bin, ils vont bien. Nous ne croyons pas qu’il faille, avec Grangagnage, rapporter notre jans ! au flamand gaen.

Esse (être). Singulier régulièrement étymologique ji sos, t’ès, il èst. Le pluriel emprunte déjà deux de ses formes à stare = èstans, èstez, sont (Cf. l’anc. franç. ester, bourguignon asteir).

Cet exemple de l’e prosthétique dans èstans est à remarquer en wallon. Elle n’est d’ailleurs pas générale (nos stons, à Nivelles).

Aveûr (avoir). Au singulier a aux trois personnes ; au pluriel, avans, avez, ont (parfois avèt).

Parmi les autres verbes vraiment anormaux de la 4e conj. nous citerons : diveûr (devoir) : deûs, deûs, deût au sing. ; divans, divez, divèt au plur. ;

saveur (savoir), sés, sés, sét au sing. ; savans, savez, savèt au plur. ;

rire (rire) sing., rèye ; plur., riyans, riyez, riyèt ;

chîr (cadere (?)), sing. chêye ; plur. chiyans, etc. ;

poleûr (pouvoir), sing. pous, pous, pout ; plur. polans, etc ;

valeûr (valoir) sing. vâs, vâs, vât, plur. valans, etc. ;

voleur (vouloir), sing. vous, vous, vout, plur. volans, volez, volèt.

CHAPITRE VI.

Imparfait de l’indicatif.


L’imparfait wallon a conservé le v (ou f) primitif (b latin, abam) ; éve (ĕ́v ou ĕ́f) et îve (īv ou īf) sont les terminaisons caractéristiques de ce temps au singulier des quatre conjugaisons. Le v s’est même parfois transmis à la 3e pers. du plur. dans certains dialectes.

Le wallon n’est pas le seul dialecte qui ait conservé le b (f, v) à l’imparfait. Cette lettre se présente 1o dans l’ancien bourguignon, qui a eve, eves, evet, 3e pers. plur. event ; 2o dans l’italien ava, etc ; 3o dans l’espagnol qui possède la consonne pure = aba, etc. ; 4o dans le portugais, ava, etc ; et 5o dans le provençal : ava.

Il est toutefois à remarquer que ces différentes langues ne possèdent en général le v qu’à la première conjugaison, alors que le wallon a étendu son usage aux quatre conjugaisons. Nouvelle preuve, s’il le fallait, de la simplification wallonne.

Ci-après le tableau de ce temps.

Imparfait.
Première conjugaison. 2de conjug. Troisième conjugaison. 4me conjug.
Singulier. 1re pers. tꞓãt-ĕ́v măn̮-īv vĩd-ĕ́v fĭn-ĭh-ĕ́v sĩt-ĕ́v bŭv-ĕ́v
2e  » tꞓãt-ĕ́v măn̮-īv vĩd-ĕ́v fĭn-ĭh-ĕ́v sĩt-ĕ́v bŭv-ĕ́v
3e  » tꞓãt-ĕ́v măn̮-īv vĩd-ĕ́v fĭn-ĭh-ĕ́v sĩt-ĕ́v bŭv-ĕ́v
Pluriel. 1re pers. tꞓãt-ī măn̮-ī vĩd-ī fĭn-ĭh-ī sĩt-ī bŭv-ī
2e  » tꞓãt-ī măn̮-ī vĩd-ī fĭn-ĭh-ī sĩt-ī bŭv-ī
3e  » tꞓãt-ī
ou bien īvĕ̀
măn̮-ī
ou bien īvĕ̀
vĩd-ī
ou bien īvĕ̀
fĭn-ĭh-ī sĩt-ī
ou bien īvĕ̀
bŭv-ī
INFINITIF. tꞓãt-ĕ́ măn̮ī vĩd fĭnĭ sĩtī bœ̄́r
cantare manducare vendere finire sentire bibere
Remarques sur ce tableau.

Tout d’abord, nous devons remarquer que les formes ĕ́v et īv permutent très souvent suivant les dialectes wallons. On a aussi bien chantîve (à Roclenge sur Geer, notamment), que magnéve (à Malmedy).

L’observation de Stürzinger[29], qui s’étonne de ne pas rencontrer la forme en īv dans les verbes en ī = ier tombe par là même.

Dans les anciennes chartres, on trouve cet éve, à côté de la forme en oit prédominante (avenoit, estoit, pooit, etc.).

Au pluriel, la forme primitive n’est pas îs (ī). Mais (ĩ) ins (dans les chartres iens et iemes). Cette forme ins s’est conservée jusqu’à la fin du siècle dernier à Liège. Elle se retrouve encore de temps à autre à Liège au commencement de ce siècle et elle existe encore actuellement en Hesbaye et dans le Condroz. Toutefois les deux formes se sont confondues, car nous remarquons dans l’ode de 1620[30] sçâris ; dans le sonnet liégeois au ministre (1622) frî et euxhî ; dans la moralité de 1623, voirrin et vorîs ; dans la Désolation des pauvres paysans liégeois (1635), happin. En admettant qu’il ne s’agisse pas là de fautes de copiste, on pourrait en conclure que l’emploi des formes îs et ins en wallon dépend de la diversité même des dialectes. Mais il nous semble prouvé que, pour Liège au moins, la forme en ĩ (ins) a prévalu jusqu’au commencement de ce siècle.

Le phénomène iez = îs (ī) est connu.

La forme en ivèt (īvĕ̀) employée dans certains dialectes, correspond à celle de l’ancien bourguignon : event, dont l’ent a dû se prononcer (v. plus haut à propos du présent de l’indicatif). La forme en ît (ī) 3e pers. plur. est analogique.

Verbes irréguliers.

La quatrième conjugaison présente les mêmes particularités à l’imparfait qu’au pluriel du présent. Nous distinguerons donc également ici les verbes qui ont h, v, et l étymologiques ou l’y de liaison.

Fer donne régulièrement féve ; signalons la forme ji f’zéve, copiée sur le français je faisais.

Aller donne alléve.

Èsse (être) emprunte son imparfait à ester (stare), mais sa terminaison est particulière. La forme du singulier est èsteûs (ĕ̀stœ̄̀). La terminaison eûs, eût correspond au vieux normand eie et au vieux picard et vieux bourguignon oie (plus tard ais). Et cela d’après une règle phonétique qui veut que e long latin ou roman hors de position donne ois, ais, en français actuel et eûs (œ̄́) en wallon. Ex. : tres = trois, treûs (trœ̄́) ; seta = soie, seûye (sœ̄́y) ; debere = devoir, diveûr (divœ̄́r) ; volere = vouloir, voleûr (volœ̄́r), etc.

Aveûr, avoir, fait également exception ; il possède aveûs, aveûs, aveût ; au sing. et avîs, avis, avît, au pluriel. Cet a la même origine que le eûs de esteûs (habebam, anc. franc, avoie et aveie).

CHAPITRE VII.

Parfait de l’indicatif.


Le parfait est remarquable en wallon. Comme nous l’avons dit plus haut, sa disparition progressive et son uniformité dans les quatre conjugaisons rendent compte de la simplification de la conjugaison wallonne.

La disparition du pluriel de ce temps, ou du moins la confusion de ce pluriel avec le pluriel de l’imparfait, est un phénomène plus ancien qu’on ne le croit.

Déjà au XVIIIe siècle, comme le fait remarquer M. Wilmotte[31], on rencontre une forme de conjugaison très intéressante, i(e)ns pour imes (fesins, presiens, oiens, duiens, etc.), qui, d’après le texte, doit se rapporter au parfait. Or, nous savons que l’imparfait possède aussi cet ins et iens. Il devait donc, déjà à cet époque, y avoir une certaine confusion entre le parfait et l’imparfait, temps très voisin syntaxiquement parlant. Cette confusion s’est accentuée et est devenue générale dans notre dialecte actuel.

Au singulier, la terminaison ă s’est étendue à toutes les conjugaisons. Elle s’ajoute directement au radical.

Nous croyons inutile de donner le tableau de ce temps. Nous nous contenterons d’en citer les formes : tꞓãtă, măn̮ă, vĩdă, fĭnĭhă, sĩtă et bŭvă.

Verbes irréguliers.

Les quatre catégories de la quatrième conjugaison, v. p. 179. persistant encore ici : ji léha (je lus), ji buva (je bus), i plova (il plut), ji brèya (je criai).

Le verbe dire (dicere) possède, outre la forme d’ha, une forme particulière dèri (dĕ̀rĭ) que l’on peut expliquer d’après la loi d’analogie, comme nous le faisons ci-après pour les verbes èsse et aveûr. Cette forme aurait été produite par la 3e pers. du pluriel du parfait dicerunt.

Parmi les verbes anomaux, fer redevient régulier = ji fa ; aller aussi = j’alla. Signalons la forme f’za, copiée, comme l’imparfait f’zéve, sur le français fesais.

Esse (être). Ce verbe dont la conjugaison est très variable, suivant les dialectes, possède de nombreuses formes, dont nous allons passer quelques-unes en revue.

On trouve d’abord une forme absolument régulière : èsta, empruntée à ester (stare). Pour l’e prosthétique, voir la forme estans (p. 181). Puis une forme analogue à la forme française. Peut-être est-elle étymologique, peut-être analogique, c’est : fous (fui), (u franc. = ou () wallon : nudus, nu = nou, etc.).

Puis la forme fouri ou bien fouru que Stürzinger, ne l’appliquant qu’au pluriel, explique par fuerunt (furent). Par analogie, la forme se serait étendue aux deux autres personnes. Nous ajouterons qu’elle aurait ensuite gagné le singulier.

Le fait est assez probable, surtout si l’on remarque que ce verbe, avec le verbe avoir, sont les deux seuls où le pluriel du parfait est bien différencié. Il est tellement bien caractérisé que certains dialectes ont fourivèt (fꭒ̆rīvĕ̀) à la 3e pers. plur.

Nous signalerons sans autre commentaire, la forme furet du vieux franc, que l’on a rapporté au plus-que-parfait de l’indicatif.

Aveûr (avoir), de même que être, présente plusieurs formes. L’une régulière j’ava. Une autre j’eus (œ̆̀) relativement peu employée à Liège. À Malmedy elle serait unique, d’après Sturzinger, sous la forme ou (ꭒ̆), (habui).

La forme j’euri (œ̆̀rĭ) (ouri ꭒ̆rĭ à Malmedy), procède de même que ji fouri.

CHAPITRE VIII.

Futur et conditionnel.


A. Futur.

On sait que le futur est un véritable temps composé de l’infinitif et de la flexion de l’auxiliaire avoir (chanter-ai, partir-ai, etc.) Le wallon n’a pas échappé à la règle générale ; toutefois les lois phonétiques ont agi sur la flexion de l’auxiliaire aveûr.

Les trois personnes du singulier se terminent en è (ĕ̀) tandis que aveûr donne ă. On sait, en effet, que a tonique latin, hors de position, se déprime en e ouvert ou fermé. (Ex. : sal = sel, sĕ́ ; aratrum = ĕ̀rĕ́ ; talis = tel, tĕ́ ; faba = féve, fĕ́v, etc.)

Le pluriel du futur possède rans () rez (rĕ́) et ront () ; cette dernière forme reproduit exactement la 3e pers. plur. du prés. de l’ind. de avoir (ont = õ).

Nous donnons ci-après le tableau de ce temps.

Futur.
Première conjugaison. 2e conj. Troisième conjugaison. 4e conj.
Singulier. 1re pers. tꞓãt-rĕ̀ măn̮-rĕ̀ ătꞓt-ḕy-rĕ̀
ou ătꞓtrĕ̀
vĩd-rĕ̀ fĭn-ĭh-rĕ̀ sĩt-īrĕ̀
ou sĩt-rĕ̀
dwĕ̀m-rĕ̀ bœ̄́-rĕ̀
2e » tꞓãt-rĕ̀ măn̮-rĕ̀ ătꞓt-ḕy-rĕ̀ vĩd-rĕ̀ fĭn-ĭh-rĕ̀ sĩt-īrĕ̀ dwĕ̀m-rĕ̀ bœ̄́-rĕ̀
3e » tꞓãt-rĕ̀ măn̮-rĕ̀ ătꞓt-ḕy-rĕ̀ vĩd-rĕ̀ fĭn-ĭh-rĕ̀ sĩt-īrĕ̀ dwĕ̀m-rĕ̀ bœ̄́-rĕ̀
Pluriel. 1re pers. tꞓãt-rã măn̮-rã ătꞓt-ḕy-rã
ou ătꞓtrã
vĩd-rã fĭn-ĭh-rã sĩt-īrã
ou sĩt-rã
dwĕ̀m-rã bœ̄́-rã
2e » tꞓãt-rĕ́ măn̮-rĕ́ ătꞓt-ḕy-rĕ́ vĩd-rĕ́ fĭn-ĭh-rĕ́ sĩt-īrĕ́ dwĕ̀m-rĕ́ bœ̄́-rĕ́
3e » tꞓãt-rõ măn̮-rõ ătꞓt-ḕy-rõ vĩd-rõ fĭn-ĭh-rõ sĩt-īrõ dwĕ̀rm-rõ bœ̄́-rõ
tꞓãt-ĕ́ măn̮ī ătꞓtĕ́ vĩd fĭnĭ sĩtĭ dwĕ̀rmĭ bœ̄́r
cantare manducare accaptare vendere finire sentire dormire bibere
Remarques sur ce tableau.

Remarquons tout d’abord que la voyelle de la terminaison infinitive a disparu presque complètement. Si elle n’a pas totalement disparu à la 3e conjugaison des verbes en ĭ, seconde forme (sĩtĭ), elle tend néanmoins à le faire, car on dit aussi bien sĩtrĕ̀ (sintrè) que sĩtīrĕ̀ (sintîrè) et la première de ces formes est même la seule que je connaisse pour certains verbes, minti (mĩtĭ) mentir, par exemple : mĩtrĕ̀.

Le fait provient du phénomène bien connu de l’amuissement des syllabes atones : d’ner pour diner (je donne), j’ fais pour ji fais (je fais), etc.

De même, notons la persistance de la forme inchoative ĭh, jĭ fĭnĭhrĕ̀.

Nous devons ensuite observer la persistance, dans certains cas, de la terminaison êy (ĕ̀y) signalée à l’indicatif, à côté de sa disparition dans d’autres formes, comme dans j’ach’trè, tout aussi employées que les premières. Nous reviendrons plus loin sur ce point en parlant des verbes irréguliers, au nombre desquels, d’ailleurs, (ach’tèyrè) ăchtĕ̀yrĕ̀ et (doim’rè) dwĕ̀mrĕ̀ devraient logiquement être rangés.

Si nous en avons agi autrement, c’est tout simplement dans le but de rendre ce tableau plus complet, en y inscrivant des exemples généraux de cas particuliers. Ces deux exemples sont là, en effet, pour rappeler que les formes signalées à propos de l’indicatif présent se retrouvent au futur. Nous allons revenir sur ce point à propos des verbes irréguliers.

Verbes irréguliers.

Il est ici nécessaire de comparer les remarques qui vont suivre à celles émises au sujet des verbes irréguliers du présent de l’indicatif.

1) a (ă) bref devient â (ā) long dans payî, payer, sayî, essayer, etc. ji pây’rè, ji sây’rè.

2) è (ĕ̀) dans pèser, peser, etc, devient eû (œ̄́) : ji peûs’rè.

Dans lèver, lever, etc., il devient î (ī) : ji lîv’rè, etc.

Dans hèrrer, pousser, sèrrer, serrer, etc., il devient é long () : ji hérr’rè, ji sérr’rè, etc.

3) i (ĭ) bref reste dans clignî, cligner, hiner, jeter, etc., (cf. l’ind. prés.) ji clign’rè, ji hin’rè.

Il devient o bref (ŏ̀) qui se nasalise même en on long (ō̃) dans dinner, donner, miner, mener : ji donrè ou ji donn’rè, ji monrè ou min’rè.

Remarquons cependant que l’o de donrè est peut-être étymologique. En tous cas, l’ancien français assimilait et disait dorrai, merrai.

4) o bref (ŏ̀) s’allonge en ô long (), dans loyî, lier, etc., ji lôy’rè.

Il devient eû (œ̄́) long, dans hover, balayer, dimorer, demeurer, etc., ji heûvrè, ji d’meûr’rè, etc.

Il devient oû (ꭒ̄) long, dans cori, courir, trover, trouver : ji cour’rè, ji trouv’rè.

5) Contrairement à l’ind. prés. ou bref se conserve et ne se transforme pas en o bref, toumer, tomber, ji toum’rè, etc.

6) u (ŭ) bref se conserve également, (cf. ind. prés.) juner, jeûner, ji jun’rè, strumer, étrenner, ji strum’rè.

7) La syncope de l’r + consonne a également lieu au futur. Ex. : chèrgî, charger, ji chèg’rè ; wârder, garder, ji wâdrè.

Dans le cas de consonnes + r du futur : 1o la syncope n’a pas lieu. Ex., goster, goûter, ji gostrè ; 2o Le wallon prend la première personne du présent de l’indicatif (voir ce temps) et y ajoute la terminaison du futur. Ex. ji gostêy’rè, je goûterai ; j’infèl’rè, j’enflerai ; j’inteûr’rè, j’entrerai, ji doûveûr’rè, ou ji douv’rè, j’ouvrirai, etc.

8) Les verbes de la quatrième conjugaison son réguliers. Il est à noter que l’r ne se redouble pas, beûre, boire, ji beûrè, etc., sûre, suivre, ji sûrè, veûr, voir, ji veurè, etc.

Verbes anomaux proprement dits.

Fer (faire) est régulier, ji f’rè.

Aller tient son futur de ire : j’irè.

Èsse (être) a comme futur sèrè aux trois personnes (franç. serai, seras, sera ; en vieux bourguignon serai, serais, serait). Cette forme nous reporte à l’infinitif primitif esser (essere). On trouve en vieux français la forme complète esserai.

Aveûr (avoir) fait ârè (aurai, auras, aura ; en vieux bourguignon aurai ou arai, aurais ou arais, aurait ou arait). Cette forme est contractée de a(v)erai (habere-habeo).

Diveûr (devoir) donne deûrè et divrè ou d’vrè, avec prédominance de ces dernières formes non contractées.

Saveûr (savoir) fait sârè (cf. ârè de aveûr).

Rire (rire) fait riy’rè, rarement rèyrè d’après la remarque c des verbes irréguliers du futur (v. p. 192).

Poleûr (pouvoir) fait pôrrè (po(t)ere-habeo) ou même porrè.

Valeûr (valoir) fait vârè (va(l)ere-habeo).

Voleûr (vouloir) fait vôrè et vorè (vo(l)ere-habeo).

Remarquons ici l’absence du d intercalaire français (voudrai, vaudrai).

Un fait curieux à ce propos, c’est que le Wallon ignorant, voulant parler français, dira je poudrè (je pourrai) avec d intercalaire, alors que ce d n’existe plus ni en wallon, ni en français. Toujours cette grande loi d’analogie si forte dans toute langue sans règles fixes.

B. — Conditionnel présent.

Ce temps est de même formation que le futur. Ses formes sont composées de l’infinitif du verbe et de la flexion de l’imparfait de aveûr (avoir) ; la terminaison est reûs, reût (rœ̄́), aux trois personnes du singulier et rîs, rît, () aux trois personnes du pluriel.

Les différentes remarques que nous avons formulées à propos

du futur s’appliquant à ce temps, nous n’y reviendrons pas.

CHAPITRE IX.

Présent du Subjonctif.


Voici le tableau de ce temps :

Subjonctif présent.
Première conjugaison. 2e conj. Troisième conjugaison. 4e conj.
Singulier. 1re pers. tꞓãt măn̮ ătꞓt-ĕ̀y vĩd est irrégulier, v. plus loin. băt fĭn-ĭh sĩtĭ possède en outre stī̃t qui se
conjuge comme dwĕ̀m, une
forme irrég. ; v. plus loin.
dwĕ̀m bœ̄́s
2e » tꞓãt măn̮ ătꞓt-ĕ̀y băt fĭn-ĭh dwĕ̀m bœ̄́s
3e » tꞓãt măn̮ ătꞓt-ĕ̀y băt fĭn-ĭh dwĕ̀m bœ̄́s
Pluriel. 1re pers. tꞓãt-ā̃s măn̮-ā̃s ătꞓt-ā̃s băt-ā̃s fĭn-ĭh-ā̃s dwĕ̀rm-ā̃s bŭv-ā̃s
2e » tꞓãt-ḗs măn̮-īs ătꞓt-ḗs băt-ḗs fĭn-ĭh-ḗs dwĕ̀rm-ḗs bŭv-ḗs
3e » tꞓãt-ĕ̀s măn̮-ĕ̀s ătꞓt-ĕ̀s băt-ĕ̀s fĭn-ĭh-ĕ̀s dwĕ̀rm-ĕ̀s bŭv-ĕ̀s
tꞓãt-ĕ́ măn̮ī ătꞓtĕ́ băt fĭnĭ dwĕ̀rmĭ bœ̄́r
Remarques sur ce tableau.

Les formes du singulier se rapprochent, pour beaucoup de verbes, des formes du même nombre au présent de l’indicatif. Toutes les formes de la première conjugaison sont dans ce cas, ainsi que celle en e muet du présent de l’indicatif de la seconde et troisième conjugaison.

Pour les autres formes (vinde, sinti et beûre) qui, au présent de l’indicatif, ont respectivement vind, sint et beûs, nous voyons s’introduire une s, caractéristique du subjonctif ; elles deviennent vinse, sinse et beûsse.

Cette s, que l’on trouve dans quelques formes du singulier, devient générale au pluriel, où toutes les conjugaisons la possèdent dans les terminaisons anse, ésse ou îsse, èsse. D’où vient cette sifflante si caractéristique ?

Nous croyons devoir l’expliquer ainsi :

Des quatre temps du subjonctif latin, deux seulement se sont transmis au français, étymologiquement parlant. L’imparfait et le parfait ont disparu.

Des deux autres temps, l’un, le présent, a donné des formes qui se sont peu à peu confondues avec les formes correspondantes du présent de l’indicatif. Et, comme le fait remarquer Burguy[32], cette confusion s’est surtout faite dans la vieille langue. L’établissement des règles fixes du français actuel a permis, par après, de mieux différencier les deux temps.

L’autre, le plus-que-parfait, est donc devenu, de par la disparition du présent comme temps du subjonctif, caractéristique de ce mode. Ce phénomène a été singulièrement facilité par le fait que le plus-que-parfait du subjonctif latin possédait un trait propre, bien saisissable à première audition, trait qui se retrouve dans les quatre conjugaisons ; je veux parler de la sifflante ss.

La preuve de la force de ce trait, c’est qu’il s’est transmis intact dans toutes les langues d’origine romane, à l’imparfait du subjonctif (Ital. cantassi, Esp. cantase, Portug. cantasse, Prov. chantés (seconde pers. chantesse), Valaque cuntasem (pl. q. p. ind.) Franc, chantasse.

Or ce trait, qui, sous l’influence de règles fixes, s’est peu à peu localisé dans l’imparfait du subjonctif de ces différentes langues, a peu à peu envahi, en wallon, le présent du subjonctif et lui a, si je puis m’exprimer ainsi, imprimé la marque caractéristique du mode en cause.

La sifflante a permis d’éviter une confusion, dont la tendance est très marquée en wallon, entre l’indicatif et le subjonctif. En effet, des verbes comme batte (seconde conjugaison) et doirmi (troisième), ainsi que les verbes de la troisième à forme inchoative ih (isc) confondent les deux modes, ce qui n’a pas lieu en français. Nous remarquons en outre qu’au pluriel, l’i caractéristique du subjonctif en ancien et en nouveau français fait complètement défaut en wallon : qui nos chantanse, que nous chant(i)ons ; de là une confusion certaine, inévitable.

Poussant toujours, par analogie, les choses à l’extrême, le wallon a appliqué cette caractéristique à des verbes comme vinde, sinti et beûre, etc., qui eussent pu, sans inconvénient, donner qui ji vinde, qui ji sinte, et qui ji beûve, formes que les deux premiers verbes possèdent aussi d’ailleurs. Mais les formes habituelles de ces verbes sont : qui ji vinse, qui ji sinse et qui ji beûsse.

À côté de la forme en îsse (īs) (2e pers. plur.) des verbes en î (ī (ier) de la première conjugaison du wallon liégeois, se rencontre une forme en ésse (ḗs) fréquente dans d’autres dialectes : qui vos magnésse (que vous mangiez).

Remarquons aussi la forme en èsse (ĕ̀s) de la 3e pers. plur. qui est très caractéristique du temps.

Ce qui me confirme encore dans l’opinion émise ci-dessus, c’est que certains dialectes (Malmedy entre autres) possèdent, au lieu de la sifflante, un h aspiré, provenant, comme on sait, de ss + voy. (cf. ahe de l’imparfait du subj. V. plus loin).

verbes irréguliers.

Nous diviserons les verbes irréguliers, comme au présent de l’indicatif, en :

1o Verbes éprouvant certains changements de la pénultième lorsqu’elle devient accentuée.

2o Verbes anomaux proprement dits.

1o Nous admettons, au subjonctif présent, toutes les catégories proposées au présent l’indicatif (V. p. 176).

1) a (ă) = â (ā ou ).

2) è (ĕ̀) = eû (œ̄́) î (ī), ou é ().

3) i (ĭ) = è (ĕ̀) et o (on) [ŏ̀ (õ)].

4) o (ŏ̀) = ô (), eû (œ̄́), oû (ꭒ̄). ou (ꭒ̆) = o (ŏ̀).

5) u (ŭ) = eu (œ̆̀) et eû (œ̄̀).

6) Cas de deux consonnes.

1o Dans r + cons. = syncope de l’r.

2o Syncope de la seconde consonne.

3o On intercale entre les deux consonnes , œ̆́ ou ŏ̀. (On suit aussi la règle de ḕy final).

Dans la seconde conjugaison, nous trouvons la catégorie des verbes qui intercalent une s au singulier. Ce sont les verbes provenant d’un radical latin en nder ou ngere (prendere, scandere, plangere, stringere, etc) qui font ndre en français, et (ĩd) inde en wallon, l’n nasalisant la voyelle précédente.

Ces verbes sont : prinde (prendere), dishinde (discendere), disfinde (disfendere), pinde (pendere), distinde (de exstinguere), finde (findere), vinde (vendere), plainde (plangere), rinde (rendere), strinde (stringere) et tinde (tendere) ; en outre, crainde (tremere).

À ces verbes, nous en ajouterons trois de la 3e conjugaison, ce sont tini (tenere), vini (venire) et sinti (sentire), qui ont également tinse, vinse, sinse (ou sinte).

Verbes anomaux proprement dits.

Fer (faire), intercale l’s caractéristique et donne faîsse aux 3 pers. sing. et est régulier au pluriel, fanse, fésse, fèsse.

Aller (aller) emprunte le singulier de son subjonctif présent à vadere et donne vasse, le pluriel à ambulare : allanse, allésse, allèsse. Le français moderne, lui, emprunte toutes ses formes à ambulare.

La forme vasse correspond à l’ancien français voise (voisse), que l’on rencontre en même temps que aille, ale et même alge et auge.

À côté de cette forme wallonne, s’en rencontre une autre : vâye (vṑy), va(d)am.

Èsse (être). Sa flexion est : seûye (sœ̄́y) au sing. et sèyanse (sĕ̀yãs), sèyésse (sĕ̀yĕ́s), sèyèsse (sĕ̀yĕ̀s), au pluriel (franc, soie, soyons). Cet (œ̆́) wallon correspond au français oi (pois = wall. peûs, mois = meûs, froid = freûd, avoir — aveûr, etc.)

Aveûr (avoir), fait âye (ṑy), âyanse (ṑyãs), âyésse (ṑyĕ́s) et âyîsse (ṑyīs), âyèsse (ṑyĕ̀s), avec l’y euphonique. On trouve aussi avanse (ăvãs), avésse (ăvĕ́s), et surtout avèsse (ăvĕ̀s) à la 3e pers. plur.

Les verbes de la quatrième conjugaison intercalent régulièrement une s devant l’e muet. On pourrait dire qu’ils remplacent l’r terminal de l’infinitif par cette s. Le pluriel observe la règle des consonnes étymologiques (v. p. 178) Ex. : beûre, qui ji beûsse ; qui nos buvanse, etc. Dire (dire) fait dèye (anc. franc. die).

Les verbes diveûr et saveûr gardent la contraction du présent de l’indicatif au singulier et font deûsse et sésse.

Rîre (rire) fait rèye.

Poleûr (pouvoir), valeûr (valoir), voleûr (vouloir) ont, comme quelques-uns des verbes précédents, un subjonctif suffisamment caractérisé par l’y euphonique ou de liaison et par les changements que ce son a apportés à la voyelle radicale.

Ils ont pôye (puisse), vâye et vâsse (vaille) et vôye (veuille).

CHAPITRE X.

Imparfait du subjonctif.


L’imparfait du subjonctif et le parfait de l’indicatif sont deux temps corrélatifs. Ils se sont extraordinairement simplifiés en wallon ; chacun d’eux ne possède plus qu’une terminaison commune aux quatre conjugaisons, terminaison empruntée à la première conjugaison.

La terminaison est ahe (ăh). ([33]). Je signalerai ihe, à Esneux, dans prinde (prendre) prindihe.

On pourrait dire, grammaticalement parlant, que l’imparfait du subjonctif dérive du parfait de l’indicatif en ajoutant à ce temps le suffixe he.

Mais, concurremment avec cette forme ahe, en harmonie avec les règles phonétiques, il existe une seconde forme en asse (ăs), qui n’est pas étymologique, d’après moi, mais qui paraît plutôt être d’introduction française.

Le pluriel est en ahîs, ahît (ăhī) (assions, assiez, assent) ; il n’admet pas la forme en assîs. L’îs correspond à ions, iez (cf. anc. franç. le présent mang(i)ez, magnîz, et l’imparfait et le conditionnel où l’ī a la même valeur).

Je signalerai encore la terminaison îhe, au lieu de ahîs, dans certains sous-dialectes ; Ex. : I fâreût qu’vos magnîhe. Je la considère comme une corruption.

Nous ne tracerons pas le tableau de ce temps, vu sa simplicité. Les quatre conjugaisons font régulièrement :

tꞓãtăh, măn̮ăh, ătꞓtăh.
Vĩdah, bătăh, fĭnĭhăh.
Sĩtăh, dwĕ̀rmăh, bŭvăh.

Remarquons, avant d’aborder les verbes irréguliers, que le wallon n’a pas confondu, comme l’a fait le français, le subjonctif présent et le subjonctif imparfait des verbes à forme inchoative de la troisième conjugaison. En effet, le français a la forme que je finisse pour ces deux temps. MM. Delbœuf et Rœrsch, dans leurs éléments de grammaire de la langue française, semblent admettre que la particule intercalaire inchoative a disparu au futur et au subjonctif imparfait. Ils écrivent, en effet, finirai comme sentirai, en soulignant irai, tandis qu’ils écrivent fin-iss-ais ; puis fin-iss-e au subjonctif présent et finisse au subjonctif imparfait. On pourrait conclure, de la conjugaison wallonne, que cette particule ne disparaît nulle part et que l’i dans finirai et dans finisse lui appartient en propre, puisqu’en wallon on a fin-ih-rè, fin-ih-ahe ([34]).

En est-il de même en français pour finisse (subj. imparfait.), par ex. ; en d’autres termes l’i appartient-il à la particule isc ou à la terminaison isse ? La contraction est si forte que je n’ose répondre à pareille question.

Verbes irréguliers.

Je renvoie, pour ces verbes, aux remarques faites à propos du parfait de l’indicatif.

Èsse (être) donne fouhe, fourihe, èstahe, et aussi sèyahe.

Aveûr (avoir) donne euhe (parfois eûye), eurihe, avahe.

Remarquons, ici comme plus haut, que h peut être remplacé par ss dans les formes précédentes.

Stürzinger signale encore une forme en ahîhe, ex. : vĕ̀yăhīh, qui se trouverait à Malmedy. Je crois qu’elle est assez spéciale et ne se trouve que là.

CHAPITRE XI.

Impératif.


L’impératif emprunte toutes ses formes au présent de l’indicatif. Pour les quatre conjugaisons, le singulier est le même que celui de ce temps.

tꞓãt, măn̮, ătꞓtḕy, , băt, fĭnĭh, , dwĕ̀m, et bœ̆́.

Le pluriel également :

chãtã, chãtĕ́, măn̮ã, măn̮ī, etc.

Verbes irréguliers.

Parmi les verbes irréguliers, toutes les remarques applicables au présent de l’indicatif le sont à l’impératif.

Exceptions.Aller possède à l’impératif singulier la même forme qu’au présent du subjonctif ; il a vasse à côté de la forme normale va. Ce văs est à rapprocher de l’ancienne forme en oi du sud-ouest de Île de France, forme en oi que l’on écrivait presque toujours avec une s pour la distinguer du présent de l’ind. Ex. : vois (du verbe voir). La forme wallonne semble nous indiquer que cette s, dans vois, était prononcée alors pour établir la distinction entre subjonctif et indicatif dans la conversation.

Ne faudrait-il pas plutôt voir dans la forme wallonne la forme interrogative vasse ? (vas-tu ?) introduite par analogie à l’impératif.

Le pluriel fait régulièrement allans, allez.

Signalons encore ici les formes jans et jez (eamus, eatis ?) (voir jont, p. 181) que nous rapprochons de ire et qui rendent les mots français allons ! allez ! employés comme interjection.

(Le mot herbe se prononce en wallon yĕ̀b et jĕ̀b).

Grandgagnage rapporte la forme jans au flamand gaen.

Èsse (être) et aveûr (avoir) ont aussi à l’impératif la même forme qu’au subjonctif présent.

Singulier : seûye et âye.

Pluriel : sèyans et âyans.

Le français n’agit d’ailleurs pas autrement (sois, aie, soyons,

ayez).

CHAPITRE XII.

Participes.


A) Participe présent.

Le participe présent, en wallon comme en français, a pour terminaison ant (ã), représentant tout ensemble le ans et le andum (gerondif) latin. Le sens de ce dernier temps n’est guère resté que dans la forme tot chantant, traduction du français en chantant.

Les formes en ens et endum latines ont complètement disparu en wallon comme en français.

Dans les quatre conjugaisons, cette terminaison ant du participe s’ajoute directement au radical (à l’exception de la forme inchoative de la troisième conjugaison, en ĭh). On a donc : chantant, magnant, ach’tant, vindant, battant, finihant, sintant, doirmant, buvant.

Dans la quatrième conjugaison, nous retrouvons les quatre catégories de verbes établies au présent de l’indicatif (v. p. 179).

Ce sont les verbes qui intercalent : 1o h (cûhant, cuisant) ; 2o v (buvant, buvant) ; 3o l (molant, moulant) et 4o y (riyant, riant).

Fer (faire) et aller (aller) ont régulièrement fant et allant.

Èsse fait èstant (essere, êstre, avec le t intercalaire).

Signalons la forme gérondive (?) d’èstant, employée comme locution prépositive. Ex. : d’estant so l’ soû, de sur le seuil, d’estant chal, d’ici.

Aveûr possède deux formes avant et âyant (ṑyã) (franc., ayant). La première est la forme régularisée (cf. la forme ava du parfait de l’indicatif).

Pour les quelques autres verbes anomaux proprement dits, cf. le pluriel de ces verbes au présent de l’indicatif. Ex. : divant, polant, savant, etc.

B) Participe passé.

Les participes passés latins en atus et itus sont passés en wallon et ont donné é (ĕ́), féminin êy (ḕy) et i (ĭ), féminin èye (ĕ̀y) ; etus n’est pas plus passé en wallon qu’en français ; uitus, par contraction utus l’a remplacé de bonne heure et a donné le français u, ue et le wallon ou (ꭒ̆), féminin owe (ŏ̀w).

Cette dernière forme, par suite sans doute de sa consonnance plus caractéristique, s’est infiltrée dans la troisième conjugaison wallonne où l’on aurait crû trouver i (ĭ), (itus). C’est ainsi que le wallon a doirmou (dormi) et sintou (senti), alors qu’en français l’i étymologique s’est conservé. En français, on a aussi des exemples fréquents de l’u. Exemple : courir = couru, anc. franç. quérir = queru (qwèrou, en wallon).

Il ne reste plus, en wallon, que la flexion mixte de la troisième conjugaison, avec sa particule inchoative intercalaire ih, qui conserve encore l’i (ĭ) au participe passé. Il me paraît évident que c’est la particule inchoative elle-même qui a décidé du sort de cet i. Ex. : fini, bati, etc.

Les formes du participe passé sont donc :

Première conjugaison.
Masc. tꞓãtĕ́, măn̮ī, ătꞓtḗ.
Fém. tꞓãtḕy, măn̮ĕ̀y (ou ḕy), ătꞓtḕy.
Deuxième conjugaison.
Masc. vĩdꭒ̆, bătꭒ̆.
Fém. vĩdŏ̀w, bătŏ̀w.
Troisième conjugaison.
Masc. fĭnĭ, sĩtꭒ̆, dwĕ̀rmꭒ̆.
Fém. fĭnĕ̀y, sĩtŏ̀w dwĕ̀rmŏ̀w.
Quatrième conjugaison.

ꭒ̆ et ŏ̀w ; mais le plus souvent un participe fort, reste de l’ancienne flexion forte (pris, bu, lé). Nous en reparlerons plus loin, à propos des verbes irréguliers.

Remarques sur ce tableau.

La longueur ou la brièveté de l’è ouvert des participes féminins est variable et dépend de la diversité des dialectes. En général (pour le patois de Liége, notamment), é (ĕ́) donne êye (ḕy) long, î (ī) long ou i (ĭ) bref donne èye (ĕ̀y) bref.

L’i (ĭ) bref donnant èy (ĕ̀y) se comprend facilement. Il correspond au français i, féminin ie, (cf. Marie = Marèye, fille = fèye, etc.) Mais dans l’î (ī) long (= ) donnant èye (ĕ̀y) bref, doit-on voir une analogie avec la première forme ?

L’î (ī) long dans magnî s’explique par le trait  = î (yĕ́ = ī) (anc. franc, mangié, wall. magnî) dont nous avons parlé antérieurement. Nous devons cependant remarquer que certains dialectes (Roclenge-sur-Geer, notamment) ne connaissent pas ce phénomène et ont é () (magné), au lieu de î.

Signalons encore une confusion entre les infinitifs en ī long et wa bref, confusion qui a certainement donné lieu à des participes en ou (ꭒ̆), correspondant à des verbes en ī de la première conjugaison. Ex. : ăbăhī, ăbăhꭒ̆, etc.

Les verbes pinser (penser) et vesser (vesser), ont par attraction pinsou et vessou. Le premier possède aussi la forme pinsé, plus usitée.

L’y de èye est l’y euphonique ou de liaison, de même que le w, intercalaire de owe que l’on rencontre dans nombre de mots (rowe = rue, crowe = crue, etc.). De là la prononciation française défectueuse, si souvent signalée chez les Wallons, de mari(y)e, aimé(y)e, ru(w)e, ému(w)e, etc.

Verbes irréguliers.

En premier lieu viennent les verbes ayant une forme que l’on pourrait appeler forte, à côté d’une autre forme régulière que possèdent la plupart d’entre eux.

Parmi ces verbes, nous rencontrons fer, de la première conjugaison, dont le participe passé est fait.

Dans la seconde conjugaison, nous ne trouvons plus que prinde, qui a pris à côté de prindou.

La troisième conjugaison possède :

Mori qui donne morou et moirt.

Dovri (ouvrir) = dovrou et doviért ou droviért (deopertus). J’ai rencontré en outre la forme corrompue doviè.

Covri (couvrir) = covrou et coviért (coopertus).

Quant à la quatrième conjugaison, nous l’avons déjà dit, c’est la conjugaison des exceptions.

Nous y voyons :

dire = dit, fém. dite. dire.
dûre = dût et dûhou, f. dûhowe. plaire à.
distrûre = distrût et distrûhou, f. owe. détruire.
lére = et léhou, f. léhowe. lire.
plaire = plait et plaihou. plaire.
taire = tait et taihou. taire.
cûre = cût, f. cûte (parfois cuhou). cuire.
lûre = lût. luir.
beûre = bu et bèvou, f. owe. boire.
riçûr = riçu et riçuvou. recevoir.
plour = ploû et plovou (?) pleuvoir.

sûre = sût et sûvou. suivre.
bour = bolou, f. owe. bouillir.
moure = moû, et molou. moudre.
clôre = clôs et cloyou. clôre.
scrîre = scrit, f. scrite (parfois scrise). écrire.
creûre = crèyou. croire.
veûr = vèyou. voir.
assîr = assis et assiou. asseoir.
hére = hèyou (parfois hayou). haïr.
heûre = hoyou. secouer.
keûre = kèyou. voir d’un bon œil ce qui arrive à quelqu’un.
braire = braît. crier (braire).
ôr = oyou. entendre (ouïr).

Le féminin de tous ces participes est très rarement employé (sauf pour quelques verbes), le wallon n’aimant en général pas la forme passive. Je ne connais pas de féminin à braît, à oyou, à kèyou, à vèyou, à bu, etc., qui sont pourtant des verbes transitifs. Le wallon tourne toujours sa phrase à l’actif, de façon à éviter les féminins.

Parmi les verbes anomaux proprement dits, fer a été traité plus haut ; aller fait régulièrement allé et allêye.

Èsse a comme participe passé stu (ou situ avec ĭ intercalaire, lorsque le mot précédent se termine par un e muet ou par une consonne sonnante). Remarquons l’absence de l’e prosthétique (stare). L’u (ŭ) et ou (ꭒ̆) dans certains dialectes est copié de l’ou (ꭒ̆) du participe des autres conjugaisons. Cet u est néanmoins remarquable, la forme régulière devant être sté (stĕ́) (status), qui existe dans certains dialectes. Le Namurois a sti (stĭ).

Aveûr possède plusieurs formes : avu, d’un radical hab(u)itus et avou ; puis awou, par syncope du v et intercalation du w bien connu ; puis oyou. Nous expliquons cette dernière forme par la syncope de v et par l’intercalation d’un y euphonique, fait connu.

Les autres verbes anomaux donnent :

diveur = divou (d’vou). devoir.
saveûr = savu, savou, sa(w)ou. savoir.
rire = ri (dans qq. dial. (Visé) riyé provenant d’un infinitif riyer). rire.
poleûr = polou. pouvoir.
valeûr = valou. valoir.
voleur = volou. vouloir.
oiseûr = oisou. oser.

CHAPITRE XIII.

Infinitif.


Nous avons déjà déterminé, au commencement de ce travail, les différentes terminaisons de l’infinitif présent et nous en avons déduit la répartition des verbes wallons en quatre conjugaisons.

La conjugaison en are latine a donné er (ĕ́) (ancien wallon eir et er), ou bien î (ī) long correspondant à l’ancienne langue ier ou même ir, comme dans aidir, laisir, et répondant à la loi de Bartsch-Mussafia.

La conjugaison en ere latine a donné en wallon e muet, (re franç.) et re ou r, caractéristique de notre quatrième conjugaison[35].

Celle en ire a donné i (ĭ). Nous avons signalé (p. 155), à propos de la répartition des verbes forts dans les quatre conjugaisons, des exemples de transgression des règles précédentes.

Un cas intéressant est celui de facere donnant le wallon fer. La syncope du c latin est très fréquente dans ces sortes de verbes (comme celle du d, vi(d)ere, pla(c)ere). Lors de la formation romane, a-t-on songé à un primitif latin fare ou bien à un autre, fari (dire)[36] ? En tous cas, le français a quelque chose d’analogue au wallon, puisque le futur de faire est ferai qui semble admettre un infinitif fer.

Il est un certain nombre de verbes wallons qui possèdent plusieurs formes infinitives. La plupart en ont deux, dont l’une appartient à ce que nous avons appelé la quatrième conjugaison wallonne, qui se termine par r ou re.

Ces deux formes d’un même verbe (qui se retrouvent presque toujours dans l’ancienne langue avec d’autres formes inconnues au wallon), ces deux formes, dis-je, prouvent l’hésitation de la romane en formation entre les différentes conjugaisons latines.

Nous observons plusieurs catégories de verbes à deux infinitifs.

1re catégorie.

1o Les verbes pour lesquels l’hésitation de la langue en formation est bien marquée ; on retrouve, en effet, pour presque tous ces verbes, deux ou plusieurs formes dans les anciens textes. Nous diviserons cette 1re catégorie en deux.

a) Verbes qui ont adopté la première (en ī) et la 4e conjugaison wallonne.

Videre (franc, voir) ; ancien français voir et veir, wall. veûr et vèyî.

La première forme wallonne dérive directement de vi(d)ere (cf. pi(s)um, pois, fi(d)es, foi, etc.) On voit que la seconde forme, qui s’est prononcée vè-ir, a intercalé en wallon un y euphonique et a syncopé l’r d’après la règle générale ; vè-y-î(r) (cf. aidir-aidier des anciennes chartres wallonnes citées par Wilmotte (loc. cit.), donnant aidî en wallon moderne). On trouve encore, pour videre, deux autres formes : vèye, par syncope phonétique très facile de l’ī et veûye (vœ̄́y) par idiotisme phonétique.

Audire (ouïr), ancien français oir, ouïr, donne en wallon oyî et ôr d’après les mêmes règles que videre. Il n’y a pas loin, phonétiquement parlant, entre oïr et ṓr.

Laxare (laisser), anc. franc. laier, laisier (chartres wall. laisir) en wallon lèyî et laire. L’r et er infinitif français s’étant anciennement prononcée, on passe facilement de franç. laier à wall. laire. Lèyî s’explique comme vèyî.

b) Verbes qui ont adopté la troisième et la quatrième conjugaisons wallonne.

Currere (courir), anc. franç. et franç. mod. courir et courre, donne également en wallon corri et courre. (Ex. : Vasse courre arègî, litt. vas courre enrager.)

Querere (querir, chercher) anc. franç. querre, quire, querer, en wallon qweri et qwire. (Ex. : Vasse m’èl qwire, vas-t-en me le chercher).

Moriri (mourir) anc. franç. morir, wallon mori ; je ne suis pas absolument sûr que la forme moure existe.

2me catégorie.

Les verbes suivants ont aussi deux formes qu’ils doivent à l’attraction et à l’analogie. Certains d’entre eux pourraient peut être rentrer dans la première catégorie. L’étude attentive des vieux textes wallons élucidera le point.

Nous subdivisons aussi cette seconde catégorie en deux :

a) Verbes qui ont adopté les 1re et 4e conjugaisons wallonnes.

Desviduare (dévider) anc. franç. desvuidier, wallon divôdî et divôr.

Audere-ausare (oser), anc. franç. oser, wallon oiser et oiseûr.

Ridere (rire), wallon riyer (Visé) et rire,

Ponere (pondre), anc. franç. pondre, wallon pouner et ponre.

Minare (mener), anc. franç. mener, wallon miner et monre. (L’attraction est évidente ici.)

b) Verbes qui ont adopté les 3e et 4e conjugaisons wallonnes.

Tenere (tenir), anc. franç. tenir, wallon tini et tinre.

Venire (venir), anc. franç. venir, wall. vini et vinre[37].

3me catégorie.

Nous devons ajouter à cette liste deux verbes à étymologie germanique, ce sont : haïr, en wallon hayi et hér, ainsi que attendre, en wallon rawârder et rawâde (c’est-à-dire regarder si quelqu’un ne vient pas ; ce double sens est bien connu).

Nous avons encore en wallon une série d’autres infinitifs que l’analogie seule, ou mieux la confusion des formes verbales, explique.

Ce sont les verbes remarquables où le participe passé sert d’infinitif.

Deoperire et cooperire (ouvrir, couvrir) wallon dovri, covri ou bien doviért (droviért) et coviért. J’ai aussi trouvé la forme abrégée doviè.

Habere (avoir) = aveûr et avu.

Sapere (savoir) donne en wallon saveûr et savu, et aussi deux autres formes probablement plus primitives : sèpeûr et sèpi.

  1. V. Scheller, etc. Mémoire sur la conjugaison française, p. 13.
  2. Grammaire de la langue romane.
  3. Loc. cit.
  4. Loc. cit.
  5. M. Wilmotte. Chartres liégeoises. Romania, t. XVII, p. 568. Chartre de 1236.
  6. Bull. de la Soc. Liég. de Litt. wall. T. II.
  7. J. Delbœuf. Notes sur le Mâye neur d’à Colas. Bull. Soc. Wall. 10e année p. 63.
  8. Exception (reproducere qui fait riprodui 3e conjugaison).
  9. Le liégeois emploie presque toujours un st ou un t intercalaire euphonique, j’a-st-aou, j’aveus-st-aou. Nous l’omettons partout pour ne pas embrouiller.
  10. Prononcer œ̆̀.
  11. Ou j’eus, j’euris.
  12. Nous écrivons : Il èst-è jardin, la prononciation du st euphonique étant suffisamment indiquée par le trait d’union.
  13. Nous rétablissons le t étymologique au singulier de l’indicatif et de l’impératif présent de sinti : Ji sint, sint.
  14. Grammaire liégeoise. Liège, 1863.
  15. Le wallon n’est cependant pas rebelle à cette dernière introduction. Voir plus loin les verbes en ler.
  16. ons à Nivelles. tꞓãtõ.
  17. ŏ̀ à Malmedy et Ardenne. tꞓãtŏ̀.
  18. à l’Ouest (Namur). tꞓãtnŭ.
  19. ŏ̀ à Malmedy et en Ardenne, tꞓãtŏ̀ (oie franç.)
  20. Bull. Soc. wall.
  21. Comparer l’ancien français : je lief, je crief (e bref latin recevant l’accent se diphtongue en ie).
  22. Remarquons toutefois ici que cet o peut être étymologique (donare, dare)
  23. Ne pas confondre avec fôrer (donner à manger au bétail) qui a fôre également.
  24. Voir la dernière remarque du 3o où la forme en eu de limer s’explique par la forme lumer de ci-dessus.
  25. Bien que rangé parmi nos exceptions, nous avons dû prendre ce verbe faute d’autres comme paradigme. L’exception n’a d’ailleurs rapport qu’au radical.
  26. Ou bien eu bref ouvert (œ̄̀) suivant les prononciations locales.
  27. Ou bien voy. g + e, i ou q(u) + e, i.
  28. Loc. cit.
  29. Loc. cit., p. 208.
  30. Bull. Soc. wall.
  31. Loc. cit.
  32. Grammaire de la langue d’oil, I, p. 237.
  33. Cet h est conforme à la règle phonétique spirante + voyelle = h (ou mieux ss + palatale = h
  34. Cette interprétation contrarierait un peu la théorie de la formation composée du futur. (Infinitif + flexion de avoir). Aussi verrais-je avec plaisir dans fin-ih-rè un idiotisme phonétique wallon.
  35. À ce propos, il est intéressant de constater l’hésitation de l’ancienne langue française entre oir et re d’un côté et entre oir et ir de l’autre, et par suite entre ir et re. Cette hésitation est d’ailleurs bien permise si l’on songe aux fortes contractions auxquelles ont été soumises les terminaisons infinitives latines : 1o pour permettre, par exemple, à certains verbes de changer de conjugaison ; 2o pour donner des terminaisons vocaliques seules, comme er (ĕ́) en français et er (ĕ́) et î (ī) en wallon, l’r latin ayant disparu, et même pour disparaître complètement (2e conj. wallonne) ; 3o pour donner par exemple, d’un côté voir (videre), de l’autre rire (ridere), plaire et plaisir (placere), courre et courir (curerre), etc.

    Nous allons revenir sur ces cas à propos des infinitifs doubles de certains verbes wallons.

  36. Faire dans les anciens textes a aussi le sens de dire, mais Burguy attribue ce sens à facere verba.
  37. Remarquons que ces deux verbes n’intercalent pas de d au futur comme ils le font en français : ji vinrè (je viendrai) et ji tinrè (je tiendrai).