Page Brouillon, voir plutôt là : Girart de Roussillon (Manuscrit d’Oxford) avec traduction Paul Meyer - 1
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Se met onte enmacort ne mel ci fai
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1. Ce fut à la Pentecôte, au gai printemps ; Charles tenait sa cour à Reims. Il y avait maintes personnes au cœur franc ; le Pape y fut et prêcha. La messe dite, Charles monte au palais jonché de fleurs[1] ; au dehors Girart et sa mesnie bâtissent des quintaines[2], et se livrent à maint exercice. Le roi l’apprend et le leur défend : il craint que des jeux on en vienne aux disputes, et jure par la sainte croix qu’il n’y a si puissant homme à qui il ne fasse arracher les yeux, s’il fait scandale en sa cour. Charles est le meilleur justicier que je sache. De la mer jusqu’ici il n’y a si riche baron qui ne tremble lorsque le roi s’irrite. |
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2. Quand le roi a suivi la procession, on monte au palais qui est tel qu’on n’en vit jamais : arbalète ni arc ne sauraient lancer un trait aussi loin qu’il s’étend en tout sens. Les murs et les boiseries disparaissent sous les étoffes[3]. Chambellans et huissiers sont à leurs postes ; ils étaient plus de cent fiers et farouches. Chacun a vêtu une pelisse vairée et tient lance ou guisarme, hache ou bâton. Il n’entre au palais damoisel ni jeune homme, s’il n’est personne de haut rang ou riche baron. Les archevêques y viennent de leur province ; évêques et abbés sont plus de mille, et Drogon y a mené trois cent comtes et ducs... Drogon donna terre à Girart, Odilon à Fouque[4]. Le Pape prend la parole : |
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3. « Seigneurs, dit le Pape, entendez-moi tous : Je ne suis venu ici ni pour mon profit ni pour mon plaisir, mais pour faire le service de Dieu... et à cause de la gent païenne qui nous détruit. Barons, pour Dieu je vous prie, allez-y tous, guidez là les barons... |
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4. « Au-delà de Constantinople, devers Tyr, l’empereur est engagé dans une guerre dont il ne peut se délivrer. En même temps il a Rome à gouverner[5]. De sa première femme il n’a que deux filles. J’ai vu Drogon demander l’une pour vous. Charles, et engager l’autre pour vous, son fils Girart. Et moi je suis venu ici pour vous appeler au secours du fief saint Pierre que les païens ravagent. Barons, allez-y tous pour le service de Dieu ! |
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5. « Si l’empereur a guerre par devers Nicée, à Rome sont venus les païens d’Afrique, où réside le serviteur de saint Pierre, qui vous prêche. Allez-y tous, puissants barons ! » Et Charles dit à tous : « Qu’en cette cour aucun prudhomme n’abandonne Dieu ! » |
Fui enconſtantinoble ere adous anz
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6. Drogon le sage parla en sa langue : « Seigneurs, j’ai passé la mer, j’ai été à Constantinople il y a deux ans. Le roi me fit guider par ses drogmans ; j’allai au saint Sépulcre avec de nombreux compagnons, muni de sauf-conduits de marchands. Puis je revins auprès de l’empereur. Il me conta ses guerres et ses tribulations : comment les païens félons, et du côté de Rome les Africains, lui ont enlevé es ravagé sa terre. Il me montra ses deux filles (oncques homme ne vit si belles ni si semblables) et les engagea à toi et à mon fils. Après sa mort, il laisse Rome à ses enfants. Pour la terre que tu en auras, qui est grande, tu as octroyé à Girart Flandre et Brabant. Voici que de là (de Constantinople) te vient le mandement : garde-toi, par par crainte de peine, de refuser[6]. » Et Charles répondit sans feinte : « Je veux et la femme et la terre et la peine ; et j’enverrai de puissants et dignes messagers. » Et il ôta son gant et en fit le serment. |
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7. Drogon et Odilon s’en retournent devers Espagne pour guerroyer païens, la gent étrangère. Et Charles et Girart et leur compagnie, Français, Normands, Bretons, Bourguignons, Lorrains, Allemands passent le Jura et Monjoux[7], la haute montagne ; là ils livrent une fière bataille et tuent deux rois d’outre Cerdagne ; [ceux-ci] avaient si complètement dévasté.....[8], la Calabre, la Pouille, la Romagne, qu’on n’y pouvait plus labourer. Désormais la terre restera en paix. |
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8. Et quand la bataille fut finie, on prit cent messagers dans l’armée royale : cinquante étaient clercs, les autres de puissants comtes. On choisit [pour les accompagner] dix mille hommes d’élite ; le pire était hardi guerrier, et ils avaient hauberts et heaumes et bons chevaux. De Brindes ils passèrent à Duras sur des navires. Pendant que Charles revient sur ses pas, ils chevauchent tant par monts et par plaines qu’ils arrivent aux portes de Constantinople. Dehors, dans la prairie, ils tendent leurs pavillons, et envoient dans la ville deux cardinaux et avec eux Foucher le maréchal. |
Com ſunt mort arrabit e aufricant.
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9. Ils trouvèrent l’empereur dans le grand palais ; devant lui des rois païens et des émirs qu’il avait fait prisonniers quelques jours avant dans un combat. Les messagers lui annoncent les nouvelles : que les Français vont délivrant sa terre, qu’Arabes et Africains sont détruits ; ce qui lui causa grand plaisir. Il monte sur un mulet amblant et se rend au-devant de l’ambassade. Chemin faisant, il s’enquérait de Girart et de Charles. |
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10. « Dites-moi quel homme est Charles Martel ? — Sire, adroit aux armes, et bon et beau, hardi, sûr, et jeune homme ; il a le regard plus vif qu’un oiseau. Aussi a-t-il déjà conquis cent châteaux, trois comtes preux et riches dont il est le guide, et mille autres personnes, ses fidèles, à qui il donne crosses et bons anneaux[9]. Aussi loin que la terre s’étend et que le ciel la recouvre, il n’est roi dont la personne et le sceau soient aussi redoutés. |
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11. — « Et quel homme est Girart, ce bourguignon ? — Sire, il n’y a pas d’homme plus vaillant ni meilleur à l’attaque. Sa terre occupe trente journées ; il conduit en guerre cent mille chevaliers. À lui sont les Provençaux et les Gascons, et il a dans le poing assez de prouesse et de valeur pour ne pas craindre qu’on lui rogne son fief. » |
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12. En approchant du camp français ils virent les pommes et les aigles d’or espagnol, les pavillons de soie grecque, et tant de chevaux de prix, et tant de riches harnachements ! Le roi loua grandement tout ce qu’il vit : jamais on ne vit tant de courtoisie chez un roi aussi puissant. Il descendit au pavillon du pape. Là entrèrent aussi Girart, qu’il avait mandé, les comtes, les riches marquis, les évêques qui l’ont délivré de ses ennemis ; il les baisa et les remercia, puis il leur apprit l’honneur que Dieu lui avait fait en le rendant victorieux de ses ennemis[10]. |
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13. « Sire, » dit le pape, « vos affaires sont en bon train, mais pour cela, ne brisez pas notre convention. Charles m’a juré qu’il prendrait ta[11] fille Berte si tu y consentais ; l’autre, tu ne peux la donner à un plus vaillant que Girart, ce duc à qui je l’offre[12]. — À ta volonté, » reprend l’empereur en riant. « Mais d’abord, vous, évêques, abbés et barons, viendrez en ma cité et prendrez logement avec moi ; ensuite, je ferai tout ce qu’il vous plaira. » |
Giraz preie acaſcun que plaz nontars.
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14. Les cent barons montent sur les mulets ; chacun n’ayant à sa suite que trois personnes : le chambellan, le cuisinier, le garçon. En tête marchent le pape et le duc Girart, et les docteurs savants en tous les arts. Girart prie chacun de se hâter. Puisque l’empereur est en paix de tous côtés, le hardi ne vaut pas plus ici que le couart. Un Longobard[13] les guide dans la cité, où ils trouvent nobles gens aux sentiments généreux. |
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15. Dans le bourg Sainte-Sophie, près du moutier, l’empereur fait héberger chacun en riche demeure. Là, vous auriez vu les étoffes neuves de soie étendues sur le sol, et tant d’épices répandre une bonne odeur ; c’est du baume qu’il fait brûler partout[14]. Aucun autre roi ne serait assez riche pour l’acheter. La nuit, il les fait servir à leur volonté, et le jour siéger au palais avec lui. Ils commencent à parler de leur mission ; lui, cependant, leur fait voir ses jeux étranges. Par son ordre, ses magiciens excitent la pluie et la tempête et font apparaître des signes éclatants[15]. Et quand il les a remplis de terreur, il leur présente par artifice d’autres merveilles, des tours ingénieux et plaisants à voir ; si bien qu’ils s’y oublièrent jusqu’au lendemain soir. Mais c’étaient de grands et sages personnages, qui ne voulurent point se laisser amuser plus longtemps ; et lorsque l’empereur vit qu’il ne les pouvait retenir davantage, il fit bonnement à leur volonté. |
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16. Tandis qu’il les recrée de la sorte, honorant par dessus tous le duc Girart, le roi fait conduire à l’ost un si grand convoi qu’on ne pourrait sans ennui en conter ou entendre le détail. Il leur fit donner des besants, de l’or cuit, des étoffes de soie et des pailes[16] neufs en telle abondance que les plus avides en eurent assez. Cependant Girart ne veut pas demeurer plus longtemps : on presse la conclusion de l’affaire, et l’empereur fait amener ses filles ; Berthe d’abord, au clair visage, au doux regard. Son père lui a fait apprendre les arts ; elle sait mettre en roman le chaldéen[17] et le grec, et connaît à fond le latin et l’hébreu ; pour le sens, la beauté, le gent parler, on ne saurait au monde trouver sa pareille. Et disent comtes et ducs et évêques et pairs : « Voici celle qui doit porter la couronne, nous sommes prêts à nous porter garants, par notre serment, que le roi de France la prendra pour femme. » On fait apporter les reliques, et on commence à faire le compte de son oscle[18] : cent châteaux et cités, vingt sur mer. De tous les cent, pas un, si puissant fût-il, ne s’est refusé à prêter le serment. |
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17. Le pape parle, qui a subtil sens : « Sire, maintenant, avec l’autre [de tes filles], fais ton fils de Girart. Je ne sais plus riche homme ni de plus haute naissance. — À ta volonté, » répond l’empereur. Alors l’amènent ses Grecs...[19] Elle a un corps charmant et tout virginal et un maintien si digne que les plus sages restaient silencieux, émerveillés de sa beauté. Pour elle, Charles méprisa celle qui lui avait été donnée, et par suite, la guerre dévasta les royaumes. |
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19. Girart, l’empereur et le pape entrèrent au moutier du Capitole. Le roi les emmena dans la crypte où gisent les apôtres.... Il fait appeler son évêque Flore, qui garde les reliques et lit l’histoire. Ils se recommandent à ses prières, afin que Dieu leur accorde honneur, vertu et gloire, puis ils veulent aller au Bras Saint-Georges[22] ; mais avant, l’empereur leur donna de chères épices et de la mandragore[23]. |
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20. Et quand il leur eut montré les fils de Dieu[24], il les mena en sa chambre voûtée, dont le sol était jonché de pierres précieuses, et dit à chacun : « Prends-en à ta volonté. » Il leur met au cou des peaux zibelines et leur donne des anneaux et des boutons, des étoffes neuves de pourpre, de samit, de soie ; il leur remplit leurs sacs de thériaque et de baume. Celui qui moins en emporta fut le plus mal avisé, et cependant son don valait en France cent mille sous[25]. |
E donet lor lions rechamz preiſanz.
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21. L’empereur à la tête chenue. Jamais je n’ai vu, jamais je ne verrai si beau vieillard[26]. Il a sens, largesse et abord agréable. Lorsqu’il eut accompli tous les désirs des barons, lorsqu’il leur eut fait montrer par ses magiciens de tels jeux que le plus savant en était émerveillé, il donna à ses filles abondance d’or, de besants, de drap de soie, de pailes... ; deux mille chameaux chargés et amblants ; à chacune quatre éléphants chargés de vaisseaux ciselés d’or massif ; il leur donna des lions..., des dragons enchaînés fiers et volants, des alérions[27] mués... Puis les Français relèvent les pavillons... et s’en retournent à petites journées. Pendant la route, la tristesse et les querelles furent bannies ; l’enthousiasme, l’allégresse, la joie, les chants régnèrent jusqu’à la mer, qu’on repassa dans les chalants. |
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22. Avant que les deux femmes soient à mi-chemin, Girart envoie en France des messagers. Ils étaient vingt, munis de chevaux..., de palefrois, de chameaux, de mulets coursiers. Les trois premiers, Foucherant, Artaut et Ponsenier, se présentèrent au roi qu’ils trouvèrent à Saint-Denis au moutier. Charles s’empresse d’interroger les messagers : Que pas un ne s’avise de le tromper ! — « Sire, nous vous dirons la vérité. Jamais on n’a vu tel avoir ni tant de deniers. L’empereur vous envoie des lions et des dragons enchaînés, avec leurs gardiens, de brillantes escarboucles... des aigles de montagne (?) qui ont des ailes plus tranchantes qu’acier... » Et Charles les traite de fous hableurs : ce qu’il voudrait savoir d’abord, « vous le mettez à la fin. C’est des femmes que vous devriez parler en premier ! — Personne ne dira qu’aucun chevalier ait jamais vu si belles... » |
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23. Charles prend les messagers à part. « Dites-moi laquelle vous tenez pour la plus belle. Si vous m’en disiez mensonge, que j’en aie la preuve, je vous ferais mourir. — Sire, c’est l’aînée qu’on t’a par serment engagée ; et tes comtes et comtors[28], disent qu’ils n’avaient jamais vue plus belle. Puis, ils ont donné à Girart la cadette, et si la première est belle, la seconde l’est plus encore. L’homme le plus farouche, le plus triste, ne peut la regarder en face qu’il ne se sente radouci. — Je choisirai la meilleure, » dit Charles, et sans plus tarder il monte à cheval. |
E intret elmoſter ꝑ marbre bis.
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24. Dès ce moment le roi la désira : il envoie chercher sa mesnie. Il quitte Paris, passe le Mont-Cenis, et rencontre à Bénévent la cour qu’il cherchait. Il descend au bas des degrés taillés au ciseau, entre au moutier par les escaliers de marbre bis, et fait une courte prière aux pieds du crucifix ; puis il entre au cloître par le parvis. Les dames n’en surent rien jusqu’à tant qu’on leur dit : « Damoiselles, c’est le roi, celui qui a le visage fier. » Berte, à sa vue, prit peur, l’autre se leva, rougit et s’inclina profondément. Lui la prit, l’embrassa une fois et l’assit près de soi. Jamais il n’avait vu beauté en laquelle il n’eût trouvé défaut ou prétexte à raillerie, mais celle-ci valait tant, qu’il en eut le cœur touché, et rit. — « Sire, dit l’abbé de Saint-Denis, cette autre est ta femme, tu es engagé avec elle ; nous l’avons juré dans son pays. — Par mon chef », dit Charles, « c’est moi qui décide. Si là-bas Girart a fait les parts, ici je choisis. » Et l’abbé répondit : « Sire, vous avez dit une malheureuse parole. » |
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25. Girart et le pape et les barons étaient allés dehors, dans la campagne, pour parler. Lorsqu’ils apprennent l’arrivée du roi, ils reviennent, descendent au perron et entrent au petit pas. Le roi baisa Girart le fils de Drogon, le pape, et [parmi les barons] le seul don Gace. L’abbé de Saint-Denis, mandé par l’évêque de Soissons, commença le débat ; il avait entendu les paroles du roi et les répéta : « Sire, Charles nous fait une folle demande, quand il veut qu’on lui donne la femme de Girart. — Je la demande, en effet, sire, » répond Charles. Le pape en jure par Jésus du ciel : « Tu n’y gagnerais pas le prix d’un bouton pour le sens, la beauté, les manières ; mais, va, prends ta femme, et que Dieu t’en donne joie ! » Tel fut le sentiment de tous ceux qui étaient présents, mais, dise oui qui voudra, Charles dit non. |
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26. Le pape le prie de ne plus parler ainsi : « Devant le moûtier Sainte-Sophie, cent l’ont juré, dont pas un ne voudrait manquer à son serment ; mais, va, prends la femme à qui tu es engagé, et laisse au comte Girart sa mie. — Par mon chef, » dit Charles, « d’abord elle est mienne ; quant à celle qu’on m’a donnée, qu’elle soit à Girart, et qu’encore il prenne tout l’avoir qu’on m’envoie ! » Et Girart était courroucé et ne pensait pas à rire. Pour un peu il eût défié le roi, si le respect du clergé ne l’eût retenu. Ce débat occupa pendant un jour sans qu’on parvînt à l’arranger. |
Non aſoin de ſolaz tan uol ſoltiue.
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27. Berte entend la cour en dispute, elle se voit dédaignée, évitée par le roi ; elle ne songe plus à la joie... ; elle s’éloigne en pleurant sous un olivier ; à ses pieds est assise sa gouvernante grecque ; on ne saurait trouver plus savante ni qui sache mieux écrire. La damoiselle s’écrie souvent : « Chétive ! maudite soit de Dieu la mer... et le port et le navire qui m’a fait aborder ici ! Mieux aimerais-je mourir là-bas, que vivre ici. » |
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28. On passa la nuit à réfléchir. Le matin, au point du jour, le pape réunit tout le monde en conseil dans le moutier de Bénévent. Il fit asseoir Girart auprès de lui, et, le prenant par la main ! « Sire, nous sommes tous bien attristés à cause de ce débat ; il n’y a personne, si bien apprise soit-elle, qui sache se contenir. Tout cela pour un fou roi, félon, à la tête légère qui envoie demander une femme et ne la prend pas. Si on la renvoie si follement, ce sera le plus fol présent dont j’aie jamais ouï parler, et vous et les cent autres deviendrez parjures ! Jamais je n’ai vu damoiselle parler si bien ni se comporter avec tant de simplicité. Son air est loyal et prévenant, son teint et ses yeux sont clairs, son visage riant. Par la foi que je dois au Dieu tout-puissant, je préfère Berte à Elissent. Comte, va, prends la femme et tout l’argent, les chevaux, les pailes, les ornements. Si tu veux en avoir fief, terre ou accroissement [de fief], Charles en fera à ta volonté, selon ce qu’il m’a dit, s’il ne m’a pas menti. » Là-dessus Girart est entouré de ses parents : il sera honni s’il consent à prendre de l’avoir [29] : que simplement Charles le tienne quite de son fief, de façon que le comte ne relève plus de lui en rien. À ces mots, Girart s’enflamme, |
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29. Le pape était un clerc qui savait beaucoup ; il parla avec sagesse et à-propos : « Girart, fais cela pour moi, homme courtois, et parce que je te porte amitié et te veux du bien, et pour l’amour du père (l’empereur de C.-P.) qui est si vaillant, qui nous fait tant d’honneur et de si riches présents. — Mais ce serait pour moi l’avilissement, la honte et le mépris de tous ! — Non, sire, mais un acte généreux, et notre salut à tous, et notre sauvegarde. » |
Non pois mudar ꝑ rin nimen ſoplei
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30. « Girart », dit le pape, « fais cela pour moi. — Sire, » dit le comte, « par la foi que je vous dois, je ne veux pas que le roi gagne à mes dépens ; mais, puisque vous le voulez tous, je ne puis que céder : je la prendrai plutôt que de la voir renvoyer. » Girart prend à part Elissent ; avec lui il mena l’abbé de Saint-Remi et Anchier, un riche comte plein de loyauté. « Qui préférez-vous, damoiselle, moi ou ce roi ? — Si Dieu m’aide, cher sire, j’aime mieux toi. — Si vous m’aviez dit un mot orgueilleux ou déplacé, jamais il ne vous eût tenue à ses côtés. Or le prenez, damoiselle, je te l’octroie ; et je prendrai ta sœur pour l’amour de toi. » |
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31. Girart retourne auprès des barons ; il leur dit sa pensée. « Cet accord m’est pénible et dur ; j’en veux avoir une garantie et un bon gage pour qu’on ne me le reproche point comme honteux et avilissant ; [je veux] que le roi m’octroie, à moi et à mon lignage, mon fief en alleu, sans hommage. » Ces mots sont rapportés à Charles par les messagers, « Il me demande », dit-il, « un grand sacrifice, et pourtant je le ferai, par ce gage[30] » |
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32. Girart vit la damoiselle au corps délicat, à l’air modeste ; il dit que le roi le croyait trop sot, et soupira de cœur pensif. L’archevêque de Reims écrivit le bref[31], et entraîna Charles et le pape sous un tilleul : « Seigneurs (dit-il), Girart se repent, je vous assure ; mais hâtez votre accord avant qu’il ne vaille plus rien. |
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33. — « Sire, » dit le pape, « hâtez cet accord avant que le comte en ait tout à fait regret, et gardez-vous d’orgueil et d’excès et faites au duc[32] toutes ses volontés. — Tout comme il vous plaira », dit Charles. Le roi, accompagné de ses barons, les plus sages et les plus lettrés, va trouver le duc ; on fit entendre à Girart de sages paroles ; tout d’abord, il fut juré que cet accord ne lui serait ni honte ni avilissement, que jamais le roi, si irrité qu’il pût être, ne le lui reprocherait. Il fut relevé de son hommage et reçut son fief en alleu. Mais Charles est malveillant et rusé : « Le bois de Roussillon, les herbages et les prairies, les miens ont coutume d’y chasser en rivière[33]. Je veux que vous me le laissiez. — J’y consens, » répondit Girart. C’est par là que dans la suite le comte fut pris. Le pape, qui est plein de sagesse, prend la parole : « Comte, aujourd’hui la cour et le palais sont vôtres. Prenez, quoique vous en ayez, votre épouse. Elle a tant de sens et de beauté qu’il n’est si riche homme qui n’en fût honoré, et ainsi serez-vous, comte, si vous l’aimez. — Ainsi ferai-je, sire. » Là la conduisent par la main Gui et Daumas. Grand était le baronnage tout à l’entour. Elle se jette aux pieds de Girart, sur un degré, et baisa le soulier dont il était chaussé. Là le comte la releva et la prit entre ses bras, et alors s’éteignit l’ire qu’il avait au cœur. Là, le comte palatin la prit à femme ; et par la suite il en eut bon service et douce consolation, et devint si humble de cœur qu’il demeura fermé à orgueil et malice. |
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34. Lorsque Girart et sa compagne eurent reçu la bénédiction, Charles dit tout haut : « À ce que je vois, chacun a choisi à son gré pour le mieux. » Ne croyez pas que Girart parle follement. « Seigneurs, » dit le comte, « entendez ma parole : puisque Charles est si léger qu’on ne peut se fier à lui, s’il fait tort ou injustice à ma dame[34], je ne manquerai pas de l’aider à défendre son droit. » La cour entière déclare qu’il le doit faire. « J’y consens sur ma foi, » dit Charles ; puis il ajoute à voix basse et à part : « Ce comte Girart m’a tenu trop serré avec cet accord, mais je le lui ferai payer cher, tôt ou tard. » |
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35. La cour s’agrandit et s’accroît, car elle avait été proclamée. Girart épousa sa femme. Plus il la connut et plus il l’aima ; il n’avait jamais vu sa pareille pour la sagesse et le sens. Elle était instruite de tous les bons arts. Le roi vint à Rome qui lui est donnée et lui fut garantie à son gré. Il fut couronné et elle couronnée, ointe, bénie et signée. Ensuite, la cour retourna en France. Girart envoya d’avance en sa contrée, et fit amener sur la route un énorme convoi de vivres. Il y avait tout le gibier qu’on avait pu chasser, du poisson d’eau douce et d’eau de mer. Il en fit servir le roi et sa mesnie à Tournus[35] sur la Saône, en une prairie. Il n’y eut baron en Bourgogne, qui est grande et large, ni chevalier, ni dame de prix, qui n’eût là pavillon, tente ou feuillée[36]. La reine fut honorée par dessus tous. Le lendemain, ils partirent au point du jour. |
E li rendent treut cil darragone
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36. Charles est logé sur la Saône ; il prit par la gonelle Tibert de Valbeton, Isembert et Brochart et leur parla ainsi : « Grande richesse à Girart, et bonne terre. Du Rhin à Bayonne, tout le pays est à lui ; en Espagne, il s’étend jusqu’à Barcelone, et l’Aragon lui paie tribut. Ah ! bien fol est le roi qui donne un tel fief, et celui qui me le demande en alleu me tient un fâcheux discours[37] ; il démembre et dépeuple le royaume, et moi je n’ai de plus que lui que la couronne ; mais j’entends bien le rogner jusqu’à la Garonne. — Maudit soit, » dit Tibert, « qui ose en souffler mot ! Mais qui a fol désir le cache jusqu’à tant que nous soyons à Sens sur Yonne. » |
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37. Le lendemain, ils se séparèrent au point du jour. Girart prit à part la reine sous un arbre ; avec lui, il mena deux comtes et sa femme. « Que me direz-vous, femme d’empereur, de cet échange que j’ai fait de vous avec eux ? Je sais bien que vous m’en tenez pour méprisable. — Non, sire, mais pour homme de grand prix et de valeur. Vous m’avez faite reine, et ma sœur vous l’avez prise pour l’amour de moi. Bertolais et Gervais, vous deux, riches comtes, soyez-m’en otages, et lui tenant, et vous, ma chère sœur, recevez-en l’aveu, et par dessus tous, Jésus le rédempteur, que je donne par cet anneau mon amour au duc. Je lui donne de mon oscle[38] la fleur parce que je l’aime plus que mon père et mon seigneur ; en me séparant de lui, je ne puis m’empêcher de pleurer. » |
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38. Ainsi dura toujours leur amour pur de tout reproche, sans qu’il y eût autre chose que bon vouloir et entente cachée. Et pourtant, Charles en conçut une telle jalousie que, pour un autre grief dont il chargea le duc, il se montra farouche et irrité. Ils en firent bataille par les plaines herbues ; et il y eut tant de morts que les vivants en demeurèrent sombres, et que jamais plus un mot d’amour ne fut prononcé [entre eux]. |
- ↑ Sur l’usage de joncher de fleurs les appartements on peut voir mon édition de Flamenca, p. 288.
- ↑ Du Cange, dans la septième de ses dissertations sur l’histoire de saint Louis, définit la quintaine « une espèce de bust posé sur un poteau où il tourne sur un pivot, en telle sorte que celui qui avec la lance n’adresse pas au milieu de la poitrine, mais aux extrémitez le fait tourner ; et comme il (le buste) tient dans la main droite un baston ou une épée, et de la gauche un bouclier, il en frappe celui qui a mal porté son coup. » Diez. Etymologisches Wœrterbuch, I, quintana, n’enregistre ce mot que pour dire que l’étymologie n’en a pas encore été trouvée. L’article du Dictionnaire du mobilier, de Viollet le Duc (II, 406), est superficiel et sans précision. On trouvera dans Strutt, The Sports an Pastimes of the People of England, l. III, ch. i (éd. W. Hone, 1834, p. 113 et suiv.), un long article sur la quintaine, avec diverses représentations tirées de mss. du xive siècle.
- ↑ Mot à mot : « les pailes et les ciclatons (deux sortes d’étoffes de soie sur lesquelles on a beaucoup écrit) sont si épais, qu’on ne voit mur, pierre, bois ni charbon » ; charbon semble n’intervenir ici que pour la rime ; cependant il paraît, d’après le vers 4011 du poëme de la croisade albigeoise, que le charbon était employé dans la construction.
- ↑ Drogon et Odilon sont respectivement pères de Girart et de Fouque. « Donner terre » est un équivalent approximatif de casar, anc. fr. chaser ; voy. les exemples cités par Du Cange, au mot chaseati, sous casati.
- ↑ C’est la tradition des premiers temps du moyen âge, alors que
Rome reconnaissait la suzeraineté de l’empereur de Constantinople.
Plus loin on verra Charles se faire couronner à Rome que l’empereur
byzantin lui a donnée. La tradition généralement acceptée dans l’épopée
française est que Rome appartient à Charlemagne ou à ses successeurs.
Ainsi dans le Couronnement de Louis, v. 880 ss. :
Par droit est Rome nostre empereor Karle,
Tote Romaine de si que en Arabe,S. Pere en est et li ponz et li arches,
Et l’apostoiles qui desoz lui le garde.Et plus loin v. 2505-6 ;
Par droit est Rome Karlon de S. Denis,
Et après lui la tendra Looys. - ↑ Il n’est point contraire aux données historiques que l’empereur de Constantinople ait demandé aux puissances de l’Occident du secours contre les Sarrazins, s’il est vrai qu’Alexis Comnène lit une démarche en ce sens, lors du concile tenu à Plaisance en 1095 ; voy. J.-C. Robertson, History of the Christian Church, éd. 1875, IV, 383 n. d. On pourrait aussi invoquer la lettre d’Alexis à Robert de Flandre (1092) pour exciter les chrétiens d’Occident à la croisade, si elle n’était apocryphe ; voy. Riant, Exuviæ sacræ Constantinopolitanæ, I, ccij.
- ↑ Ms. Jur e Mongeu. La seconde de ces deux montagnes, très-fréquemment nommée dans l’ancienne poésie française (voy par ex. Ogier. 221, 262, 273, 284, 3083, 3374, etc.) est le Mons Jovis des documents latins, le Grand Saint-Bernard, voy. Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, I, 70. Jur ne peut être que le Jura qui se trouve en effet avant le Saint-Bernard quand on vient de France.
- ↑ Vouterne, serait-ce Volterra ? mais il s’agit plutôt d’un nom de pays. Il y a dans Rolant, 199, 931, 1291, un Valterne qu’on identifie avec Valtierra en Navarre (voy. L. Gautier, note sur le v. 199 de ce poëme), et qui, en tout cas, doit être cherché en Espagne ; mais ici il ne peut s’agir que d’un pays d’Italie.
- ↑ C’est-à-dire, peut-être, « à qui il donne des abbayes. »
- ↑ Le texte est ici corrompu et le sens obscur. L’empereur de C. P. fait probablement allusion aux victoires qu’il a de son côté remportées sur les Sarrazins, voy. § 9,
- ↑ Comme beaucoup d’anciens poëmes, celui-ci mêle dans les discours les tu et les vous. J’ai conservé dans ma traduction cette particularité.
- ↑ Par ces mots le pape veut dire tout simplement qu’il se porte garant de l’acceptation de Girart.
- ↑ Du xe siècle au xiiie environ, on trouve le nom de Longobard (Longobardus, anc. fr. Longuebart) appliqué aux habitants de l’Italie méridionale ou de la Sicile ; voir les textes que j’ai rassemblés à cet égard dans une note de ma traduction du poëme de la croisade albigeoise, p. 67-8. Il est assez naturel qu’un italien du sud ait été choisi pour guide à C. P. Le sud de l’Italie, où il y avait de nombreuses colonies grecques, qui actuellement ne sont pas entièrement éteintes, a été au moyen âge en rapports constants avec Byzance.
- ↑ On lit de même dans Flamenca, v. 402 et suiv., que le seigneur Archimbaut, avait rassemblé à Bourbon, à l’occasion d’une fête, tant d’épices qu’il en put faire brûler un plein chaudron à chacun des carrefours de la ville.
- ↑ Ç’a été au moyen âge et depuis les derniers temps de l’antiquité, une superstition très-répandue que de croire à la possibilité d’exciter des tempêtes par des artifices empruntés à la magie. On appelait ceux à qui on attribuait ce pouvoir : tempestarii, immissores tempestatum. voy. Du Cange au mot tempestarii. Les merveilles dont il est question paraissent être un souvenir de ces jeux de l’Hippodrome de Constantinople sur lesquels on a des témoignages qui se rapprochent des faits indiqués dans ce passage de Girart de Roussillon. Voy. Torfæus, Historiæ rerum Norvegicarum, iii, 468 (Hafniæ, 1711) et surtout P. Riant, Expéditions et pélerinages des Scandinaves en Terre Sainte, p. 199-200. — Des récits analogues se rencontrent ailleurs. Ainsi, dans les Enfances Guillaume, autrement dit le Département des Enfants Aimeri, Orable, fiancée contre son gré au sarrazin Tiébaut, profite du banquet de noces pour bafouer son époux par ce qu’elle appelle « les jeux d’Orange. » Il y a là une scène d’enchantements qui n’est pas sans analogie avec les jeux des nécromanciens de l’empereur bysantin. Voy. Guillaume d’Orange, chansons de geste publ. p. Jonckbloet, II, 18.
- ↑ Le paile est une étoffe de soie.
- ↑ Candiu, dans le ms. paraît devoir être corrigé en caudiu, pour
caldiu. Dans le roman d’Alexandre (éd. Michelant. p. 8, v. 27) il est
dit qu’Aristote enseignait à son royal élève :
Griu, ebriu e caldiu et latin ensement.
- ↑ Voir plus loin, p. 17, n. 4.
- ↑ Si Griu e Begoïl. Je n’entends pas Begoïl. Est-ce une forme corrompue de Bogomile ? La secte des Bogomiles était surtout répandue en Thrace ; voy. entre autres C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares, I, 12-3, t. II, 57-62 ; J.-C. Robertson, History of the Christian Church, V, 289-90.
- ↑ Constantinople se glorifiait de posséder les reliques de plusieurs apôtres : notamment le corps entier de saint Paul et le chef de saint Jean-Baptiste ; voy. Du Cange, Constant. Christ., I, IV, v. Le chef de saint Jean fut, après la croisade de 1204, transporté à Amiens, voy. Riant, Exuviæ sacræ Constantinopolitanæ, I, clxvij. II, 97. L’abbaye de Saint-Jean-d’Angély se glorifiait de posséder la même relique : « Caput Baptistæ Dominici cum Constantinopolitani habere se dicant, Angeriacenses monachi idem se habere testantur », Guibert de Nogent, de Pignoribus sanctorum, I, iii, éd. d’Achery, p. 336 i a.
- ↑ « Qui guarde les vertus e lis lo briu » ; à la tirade suivante « e lis l’estoire ». Ce sont deux variantes d’une même expression qui peut s’entendre en deux sens. Il se peut qu’elle ne désigne rien de plus que l’épithète « lisant » qui, dans l’ancienne littérature française, est si fréquemment le qualificatif des clercs, cf. legendiers dans le poëme de la croisade albigeoise, au vocabulaire de mon édition ; mais un sens plus spécial est possible : « Les églises de l’Orient », dit M. Riant, possédaient toutes des inventaires de leurs trésors respectifs. Ces inventaires se nommaient Βρέϐια ; un certain nombre sont parvenus jusqu’à nous ; » Exuviæ, I, cc. C’est le latin breve au sens d’inventaire, voy. Du Cange, brevis i.
- ↑ Sans doute du monastère de Saint-George, d’où le nom de Bras Saint-George donné au Bosphore, voy. Du Cange, C. P. christiana, p. 124-5.
- ↑ On sait que la mandragore passait pour avoir des vertus très-diverses ; voy. par ex. Du Cange, mandragora, et Le Roux de Lincy Le livre des légendes (1836), p. 135.
- ↑ Los Deu fillols, les saints, les reliques.
- ↑ Les immenses richesses de Constantinople étaient célèbres dans tout l’Occident et n’ont pas peu contribué à faire dévier vers l’empire grec la croisade de 1204. Les historiens occidentaux des croisades racontent avec admiration les traits de largesse des empereurs grecs, voy. par ex. Albert d’Aix II, xviii, xix, Ernoul, éd. de Mas Latrie, p. 59. L’imagination populaire arrivait à peine à dépasser la réalité, voy. dans la Knytlinga saga la scène de l’arrivée de Sigurd à Constantinople, Riant, Scandinaves en Terre-Sainte, p. 197, et les étonnants récits de l’ancien poëme français connu sous le titre de Voyage de Charlemagne à Jérusalem.
- ↑ La note personnelle, très-rare dans les chansons de gestes françaises, est assez fréquente dans Gir. de Roussillon. Ce passage et quelques autres semblent indiquer que le poète avait été à Constantinople et qu’il parle de visu.
- ↑ Ici et plus bas, le texte porte aurion ; alérion, terme qui s’est conservé dans la langue du blason, est une autre forme du même mot. Un exemple de Jean de Salisbury, cité par Du Cange (alario), donne l’idée que l’alerion était une grande espèce d’aigle. Mais le dernier éditeur de Du Cange a déjà remarqué que ce passage de J. de Salisbury paraissait corrompu. M. Littré le croit correct, et de ce qu’alérion est un mot dont l’existence est d’ailleurs prouvée, il conclut qu’alario doit être conservé dans le texte cité. La conclusion n’est pas rigoureuse. J’ajoute que si le texte de J. de Salisbury devait être accepté, la définition qui en résulte serait bien embarrassante, car l’alerion, en blason, n’est nullement un grand aigle, mais au contraire un petit aigle. En outre, on voit ici, et on verra mieux encore au § 45, que l’alerion était un oiseau de chasse, par conséquent une sorte de faucon bien plutôt qu’une sorte d’aigle. Je ne dériverais pas ce nom de aquilario, proposé par M. Littré, mais plutôt de ala, alaris, alario, ce qui désignerait un oiseau particulièrement remarquable par son vol ; et cette explication est en accord avec ce que les textes nous disent de l’aurion ou alérion, voy. notamment ci-dessous le § 45.
- ↑ Comtor, « qualité après celle de vicomte. » Raynouard, Lex. rom. II, 453 ; cf. Du Cange, comitores, et de Gaujal, Études historiques sur le Rouergue (1858), III, 311-31. Ce titre parait n’avoir existé que dans le midi de la France.
- ↑ L’avoir désigne toujours la richesse immobilière, par opposition aux biens fonds ; voy., par ex., plus bas le § 41.
- ↑ Il faut supposer qu’en disant ces mots, le roi présente en effet un gage matériel, qui doit rester comme le témoignage de son engagement.
- ↑ Sens douteux. Le passage est corrompu : j’entends que l’archevêque rédigea l’acte de l’accord dont il va être question.
- ↑ Girart est appelé tantôt duc, tantôt comte ; mais cette dernière qualification est la plus fréquente.
- ↑ C’est la chasse à l’oiseau.
- ↑ « Ma dame », c’est celle que Girart devait épouser.
- ↑ Tros, c’est peut-être Trévoux.
- ↑ Faute de tente, on s’installait sous des abris de feuillage. Voy. Flamenca, p. 269, note 2.
- ↑ Ici commence le ms. de Paris.
- ↑ L’oscle est la donation faite avant le mariage, par l’époux à l’épouse
« interveniente osculo ». Cod. Theod., éd. Ritter. III. v, 5, cf. Du Cange, IV, 742 c. L’anneau remis par la reine à Girart avait
fait partie du don de noces. Il devient ici à la fois un signe d’investiture
et un gage d’amour comme dans maints textes du moyen âge.
Ainsi dans le lai de l’Ombre (Michel, Lais inédits, p. 62) :
Retenez moi par .j. joiel
Ou par çainture ou par anel.Et dans Amadas (v. 1262-5) :
.j. anel oste de sou doi,
Ou sien le mist et dist : « Amis,
Par cest anel d’or vous saisis
De m’amour tous jours loiaument. »