V
LA VIE SEXUELLE MORBIDE DEVANT
LES TRIBUNAUX[1]
Dangers des délits sexuels pour le salut public. – Augmentation du nombre de ces délits. – Causes probables. – Recherches cliniques. – Les juristes en tiennent peu de compte. – Points d’appui pour juger les délits sexuels. – Conditions de l’irresponsabilité. – Indications pour comprendre la signification psycho-pathologique des délits sexuels. – Les délits sexuels. – Exhibitionnistes ;
fricatores ; souilleurs de statues. – Viol ; assassinat par volupté. – Coups et blessures, dégâts, mauvais traitements sur des animaux par sadisme. – Masochisme et servitude sexuelle. – Coups et blessures ; vol par fétichisme. – Débauche avec des enfants au-dessous de quatorze ans. – Prostitution. – Débauche contre nature. – Souillure d’animaux. – Débauche avec des personnes du même sexe. – Pédérastie. – La pédérastie examinée au point de vue de l’inversion sexuelle. – Différence entre la pédérastie morbide et non morbide. – Appréciation judiciaire de l’inversion sexuelle congénitale et de l’inversion acquise. – Mémoire d’un uraniste. – Raisons pour mettre hors des poursuites judiciaires les faits d’amour homosexuel. – Origine de ce vice. – Vie sociale des pédérastes. – Un bal de mysogines à Berlin. – Forme de l’instinct sexuel dans les diverses catégories de l’inversion sexuelle. –
Pædicatio mulierum.[ws 1] – L’amour lesbien. – Nécrophilie. – Inceste. – Actes immoraux avec des pupilles.
Les codes de toutes les nations civilisées frappent celui qui commet des actes contraires aux bonnes mœurs. Comme le maintien des bonnes mœurs et de la moralité est une des conditions d’existence les plus importantes pour la communauté publique, l’État ne peut jamais faire trop quand il s’agit de protéger la moralité dans sa lutte contre la sensualité. Mais cette lutte est menée avec des armes inégales ; seuls un certain nombre d’excès sexuels peuvent être poursuivis par la loi ; la menace du châtiment n’a pas grande action sur les exubérances d’un instinct naturel si puissant ; enfin il est certain qu’une partie seulement des délits sexuels parvient à la connaissance des autorités. L’action de ces dernières est appuyée par l’opinion publique qui considère ce genre de délits comme infamant.
La statistique criminelle montre ce triste fait que, dans notre civilisation moderne, les délits sexuels ont un accroissement progressif, et particulièrement les actes de débauche avec des individus âgés de moins de quatorze ans[2].
Le moraliste ne voit dans ces tristes faits qu’une décadence des mœurs générales et, selon les circonstances, il arrive à la conclusion que la trop grande douceur du législateur dans le châtiment des délits sexuels, comparée avec la rigueur des siècles passés, est en partie la cause de l’augmentation de ce genre de délits.
Mais pour le médecin observateur l’idée s’impose que ce phénomène vital de notre civilisation moderne est en connexité avec la nervosité croissante des dernières générations, car cette nervosité crée des individus chargés de tares névropathiques, elle excite la sphère sexuelle, pousse aux abus sexuels et, étant donné que la lubricité continue à subsister même quand la puissance sexuelle est diminuée, elle conduit aux actes sexuels pervers.
On verra plus loin combien est justifiée cette manière de voir, surtout quand il s’agit d’expliquer la raison de l’accroissement remarquable du nombre des délits de mœurs commis sur des enfants.
Il ressort de ce que nous avons expliqué jusqu’ici que, en ce qui concerne l’acte des délits sexuels, ce sont souvent les conditions névropathiques et même psychopathiques de l’individu qui sont décisives. Cela posé, la responsabilité de beaucoup de gens accusés de délits de mœurs se trouve mise en doute.
On ne peut contester à la psychiatrie le mérite d’avoir reconnu et démontré la signification psychiquement morbide de nombreux actes sexuels monstrueux et paradoxaux.
Jusqu’ici la jurisprudence, législature et magistrature, n’a tenu compte que dans une mesure très restreinte de tous ces faits d’observation psycho-pathologique. Elle se met par là en contradiction avec la science médicale et risque de prononcer des condamnations et des peines contre des hommes que la science jugerait comme irresponsables de leurs actes.
Par suite de cette considération superficielle de ces délits qui compromettent gravement l’intérêt et le salut de la société, il arrive facilement que la loi condamne, à une peine déterminée, un criminel de beaucoup plus dangereux pour le public qu’un assassin ou une bête sauvage et le rende à la société après qu’il a purgé sa condamnation, tandis que l’examen scientifique démontre que l’auteur était un individu originairement dégénéré psychiquement et sexuellement, individu qui ne doit pas être puni, mais mis hors d’état de nuire pendant toute sa vie.
Une justice qui n’apprécie que l’acte, et non l’auteur de l’acte, court toujours le risque de léser les intérêts importants de la société (moralité publique et sécurité) et ceux de l’individu (l’honneur).
Sur aucun terrain du droit criminel il n’est aussi nécessaire que sur ce terrain des délits sexuels que les études du magistrat et du médecin légiste se complètent ; seul l’examen anthropologico-clinique peut faire la lumière.
La forme du délit ne peut jamais par elle-même éclairer sur la question de savoir s’il s’agit d’un acte psychopathique, ou d’un acte commis dans la sphère normale de la vie psychique. L’acte pervers n’est pas toujours une preuve de la perversion du sentiment.
Les actes sexuels les plus pervers et les plus monstrueux ont déjà été observés chez des personnes saines d’esprit. Mais il faut démontrer que la perversion du sentiment est morbide. Cette preuve est fournie par l’étude du développement de l’individu et des conditions de son origine, ou par la constatation que cette perversion est le phénomène partiel d’un état général névropathique ou psychopathique.
Les species facti[ws 2] sont très importants, bien que leur analyse ne donne lieu qu’à des suppositions, car suivant que le même acte sexuel est commis, par exemple, par un épileptique, par un paralytique[ws 3] ou par un homme sain d’esprit, il présente un caractère différent ou des particularités dans la manière de procéder.
Le retour périodique de l’acte sous des modalités identiques, la forme impulsive de l’exécution fournissent des indices importants pour son caractère pathologique. Mais la question ne peut être tranchée définitivement qu’après qu’on a ramené l’acte à des mobiles psychologiques (anomalies des représentations et des sentiments) et après qu’on a établi que ces anomalies élémentaires sont des phénomènes partiels d’un état général névro-psychopathique, ou d’un arrêt du développement psychique ou d’un état de dégénérescence psychique ou d’une psychose.
Les observations citées dans la partie générale et pathologique de ce livre, pourront fournir des indications précieuses au médecin légiste pour la découverte des impulsivités de l’acte.
Ces faits indispensables pour trancher la question de savoir s’il s’agit de simple immoralité ou de psychopathie, ne peuvent être établis que par un examen médico-légal fait selon les règles de la science, qui étudie et apprécie toute la personnalité au point de vue anamnestique, anthropologique et clinique.
La preuve de l’origine congénitale d’une anomalie de la vie sexuelle est importante, et il est nécessaire, pour l’établir, de rechercher les états de dégénérescence psychique.
Une aberration acquise, pour pouvoir être reconnue comme morbide, doit être ramenée à une névropathie ou à une psychopathie.
Dans la pratique, il faut, quand pareil cas se présente, avant tout songer à l’existence d’une dementia paralytica[ws 4] et à l’épilepsie.
En ce qui concerne la responsabilité, on doit principalement s’appuyer sur la preuve d’un état psychopathique chez l’individu accusé d’un délit sexuel.
Cette preuve est indispensable pour éviter le danger que la simple immoralité se couvre du prétexte de la maladie.
Des états psychopathiques peuvent amener à des crimes contre les mœurs, et en même temps supprimer les conditions de la responsabilité :
1) Quand aucune contre-représentation de nature morale ou légale ne s’oppose à l’instinct sexuel normal et éventuellement accentué ; encore faut-il dans ce cas : alpha) que les considérations morales ou légales n’aient été jamais acquises (faiblesse mentale congénitale), ou, bêta) que le sens moral et juridique soit perdu (faiblesse mentale acquise) ;
2) Quand l’instinct génital est renforcé (état d’exaltation psychique), en même temps que la conscience est voilée, et que le mécanisme psychique est trop troublé pour laisser entrer en action les contre-représentations qui virtuellement existent dans l’individu ;
3) Quand l’instinct sexuel est pervers (état de dégénérescence psychique), il peut être en même temps exalté et irrésistible.
Les délits sexuels qui ne se commettent pas dans un état de défectuosité, de dégénérescence ou de maladie psychiques, ne doivent jamais bénéficier de l’excuse de l’irresponsabilité.
Dans de nombreux cas on rencontrera, au lieu d’un état psychiquement morbide, une névrose locale ou générale. Comme la ligne de démarcation entre la névrose et la psychose est incertaine, que les troubles élémentaires psychiques sont fréquents dans la première et se retrouvent presque toujours dans la perversion profonde de la vie sexuelle, et comme une affection nerveuse telle que, par exemple, l’impuissance, la faiblesse irritable, etc., exerce toujours une influence sur la perpétration de l’acte criminel, une juridiction équitable conclura toujours à des circonstances atténuantes, bien que l’irresponsabilité ne puisse être admise que lorsque une défectuosité psychique ou une maladie a été constatée.
Le jurisconsulte pratique évitera, pour diverses raisons, d’avoir, dans tous les cas de délits sexuels, recours à des médecins légistes pour provoquer une enquête psychiatrique.
Quand il se voit dans la nécessité de recourir à ce moyen de défense, c’est affaire avec sa conscience et son jugement. Des indices sur la nature pathologique pourront être fournis par les circonstances suivantes :
L’auteur du délit est un vieillard. Le délit sexuel a été commis en public et avec un cynisme étonnant. Le mode de satisfaction sexuelle est puéril (exhibition), ou cruel (mutilation, assassinat par volupté), ou pervers (nécrophilie), etc.
D’après l’expérience acquise, on peut dire que, parmi les délits sexuels qu’on peut rencontrer, le viol, l’outrage aux mœurs, la pédérastie[ws 5], l’amor lesbicus[ws 6], la bestialité, sont ceux qui peuvent avoir une origine psycho-pathologique.
Dans le viol compliqué d’assassinat, en tant qu’il vise encore un autre but que l’assassinat, de même dans le viol des cadavres, l’existence d’un état psychopathique est probable.
L’exhibition, ainsi que la masturbation mutuelle, feront présumer comme très vraisemblable des conditions pathologiques. L’onanisation d’un autre, de même que l’onanisme passif peut se rencontrer dans la dementia senilis, dans l’inversion sexuelle, mais aussi chez de simples débauchés.
Le cunnilingus de même que le fellare[ws 7] (penem in os mulieris arrigere[ws 8]) n’ont pas présenté jusqu’ici des symptômes psycho-pathologiques.
Ces horreurs sexuelles ne semblent se rencontrer que chez les débauchés qui, rassasiés des jouissances sexuelles naturelles, ont vu en même temps s’affaiblir leur puissance. La pædicatio mulierum[ws 9] ne paraît pas être de nature psychopathique, mais une pratique d’époux d’un niveau moral très bas qui ont peur de faire des enfants, ou, en dehors du mariage, de cyniques rassasiés de jouissances sexuelles.
L’importance pratique du sujet nous oblige à examiner de plus près, au point de vue médico-légal, les actes sexuels qui ont été déclarés par le législateur punissables comme délits de mœurs. Ce qui nous aidera dans cet examen, c’est que les actes psycho-pathologiques qui dans certaines circonstances sont tout à fait similaires à ceux qui appartiennent à la catégorie physio-psychologique, seront mis dans leur vrai jour par la comparaison avec ces derniers.
1o Outrage aux mœurs par exhibitionnisme
(Autriche, art. 516 ; Projet de loi, art. 195 ; Code allemand, art. 183.)
La pudeur est dans la vie civilisée de l’homme moderne un trait de caractère et un principe tellement enracinés par l’éducation des siècles qu’il faut bien supposer de prime abord l’existence d’un état psycho-pathologique chez ceux qui outragent grossièrement la décence publique.
On supposera, avec juste raison, qu’un individu qui blesse d’une telle façon le sentiment moral des hommes et en même temps sa propre dignité, n’a jamais pu acquérir de principes moraux (idiots), ou les a perdus (faiblesse mentale acquise), ou qu’il a agi dans un moment de trouble de sa conscience (folie transitoire, troubles de l’esprit).
Un acte très singulier et qui rentre dans cette catégorie est l’exhibitionnisme.
Les cas observés jusqu’ici nous montrent que ce sont exclusivement des hommes qui découvrent avec ostentation leurs parties génitales devant des personnes de l’autre sexe, et qui ont éventuellement poursuivi ces dernières, mais sans devenir agressifs.
La forme puérile de cet acte sexuel ou plutôt de cette manifestation sexuelle indique une idiotie intellectuelle ou morale, ou du moins une entrave temporaire aux fonctions intellectuelles et éthiques, en même temps que le libido reçoit une excitation due à un trouble considérable de la conscience (inconscience morbide, trouble des sens) ; elle met en doute aussi la puissance de ces individus. Il y a donc diverses catégories d’exhibitionnistes.
La première comprend les individus atteints de faiblesse mentale acquise, chez lesquels la conscience a été troublée par une maladie du cerveau ou de la moelle épinière ; les fonctions éthiques et intellectuelles ont été lésées et ne peuvent former aucun contre-poids contre le libido qui a toujours été puissant ou qui a été excité par la maladie ; de plus, ces individus sont impuissants et ne peuvent plus manifester leur impulsion sexuelle par des actes violents (éventuellement le viol) mais seulement par des actes puérils.
C’est dans cette catégorie que rentrent la plupart des cas rapportés[3].
Il s’agit d’individus tombés dans la dementia senilis, dans l’idiotie paralytique[ws 10], ou qui, par abus de l’alcool, par suite d’épilepsie, etc., sont devenus malades au point de vue intellectuel.
Observation 165. – Z…, fonctionnaire supérieur, soixante ans, veuf, père de famille, a provoqué un scandale parce que pendant une période de quinze jours, à plusieurs reprises, genitalia sua de fenestra ostendit[ws 11] à une fille qui habitait en face de lui. Plusieurs mois après, cet homme a répété dans des circonstances analogues son acte inconvenant. Dans l’interrogatoire il reconnaît lui-même le caractère abominable de son procédé, mais il ne peut en donner aucune explication. Une année après, il est mort d’une affection cérébrale. (Lasègue, op. cit.)
Observation 166. – Z…, soixante-dix-huit ans, marin, a plusieurs fois exhibé dans des préaux où jouent les enfants ou dans la proximité des écoles de filles. C’était son seul procédé d’activité sexuelle. Z…, marié, père de dix enfants, a eu, il y a douze ans, à la tête, une grave blessure dont il porte encore une cicatrice osseuse très profonde. Une pression sur cette cicatrice lui cause de la douleur, en même temps que la figure devient rouge et qu’il a l’air comme pétrifié. Le malade paraît somnolent ; il a souvent des convulsions dans l’extrémité supérieure à droite (évidemment des états épileptoïdes en connexité avec une maladie de l’écorce cérébrale). Du reste, constatation d’une démence sénile et d’un senium[ws 12] très avancé. On ne sait pas si les exhibitions ont coïncidé avec des accès épileptoïdes. Preuve d’une dementia senilis. Acquittement. (Dr Schuchardt, op. cit.)
Pelanda (op. cit.) m’a communiqué une série de cas qui rentrent dans cette catégorie.
1. Paralytique, soixante ans. À l’âge de cinquante-huit ans, il a commencé à exhiber devant des femmes et des enfants. Il a gardé à l’asile d’aliénés (Verona) pendant longtemps encore son caractère lascif et a essayé aussi de la fellatio.
2. Vieux potator[ws 13], soixante-six ans, très taré, atteint de folie circulaire. Son exhibitionnisme a été remarqué pour la première fois à l’église, pendant l’office. Son frère aussi était exhibitionniste.
3. Homme de quarante-neuf ans, taré, potator, de tout temps très excitable sexuellement, interné à l’asile pour alcoolisme chronique, exhibe toutes les fois qu’il aperçoit un être féminin.
4. Homme de soixante-quatre ans, marié, père de quatorze enfants. Chargé de lourdes tares. Rachitique, crâne microcéphale. Est exhibitionniste depuis des années, malgré les condamnations réitérées qu’il s’est attirées.
Observation 167. – X…, négociant, né en 1833, célibataire, a exhibé devant des enfants à plusieurs reprises : parfois il urinait devant eux ; une fois, pendant qu’il se trouvait dans cette situation, il a embrassé une petite fille. Il y a vingt ans, X… a eu une grave maladie mentale qui a duré deux ans et pendant laquelle il aurait eu une attaque d’apoplexie.
Plus tard, ayant perdu sa fortune, il se livra à la boisson et, dans les dernières années, il semblait souvent avoir des absences d’esprit.
Le status præsens[ws 14] a amené la constatation d’alcoolisme, de senium præcox[ws 15], de faiblesse mentale. Pénis petit, phimosis, testicules atrophiés. Preuves de maladie mentale. Acquittement. (Dr Schuchardt, op. cit.)
Ces cas d’exhibitionnisme rappellent l’habitude des jeunes gens plus ou moins âgés et en excitation sexuelle, habitude qui se retrouve aussi chez certains adultes cyniques d’une moralité très abaissée, qui s’amusent à salir les murs des lieux d’aisance publics de dessins de parties génitales masculines et féminines. C’est une sorte d’exhibitionnisme idéal mais qui est encore très loin de l’exhibitionnisme réel.
Les épileptiques forment une autre catégorie d’exhibitionnistes.
Cette catégorie se distingue de la précédente par le fait essentiel qu’il y a absence de mobile conscient pour l’exhibition. Celle-ci semble plutôt un acte impulsif dont l’exécution s’impose à l’individu sans égards pour les circonstances extérieures, par suite d’une contrainte morbide et organique.
Il y a toujours tempore delicti[ws 16] une obnubilation de l’esprit. Cela explique aussi pourquoi le malheureux, sans avoir conscience de la portée de son acte, dans tous les cas sans cynisme, commet sous l’influence d’une obsession aveugle un acte qu’il regrette et abhorre quand il a repris ses sens, à moins qu’il ne soit déjà arrivé à un état permanent de faiblesse mentale.
Dans cet état d’esprit embrouillé, le primum movens[ws 17] est, comme dans les autres actes impulsifs, un sentiment d’oppression anxieuse. S’il s’y joint un sentiment sexuel, l’idée obsédante reçoit une ligne de direction déterminée dans le sens d’un acte correspondant (sexuel).
On trouvera ailleurs l’explication du fait que, chez les épileptiques, ce sont précisément les représentations sexuelles qui surgissent avec une facilité particulière tempore insultus[ws 18].
Si une pareille association d’idées s’est faite et que, dans un accès, un acte déterminé ait lieu, cette association se reproduit dans tous les accès suivants avec d’autant plus de facilité qu’il s’est formé, pour ainsi dire, un sentier battu dans la voie de la motivation.
L’état d’angoisse pendant que la conscience est voilée, fait paraître l’impulsion sexuelle associée, comme un ordre, une contrainte intérieure, qui est exécutée impulsivement et avec une suppression absolue du libre arbitre.
Observation 168. – K…, fonctionnaire subalterne, vingt-neuf ans, de famille névropathique, vivant heureux en ménage, père d’un enfant, a plusieurs fois, au crépuscule, s’était exhibé devant des bonnes. Il est grand, svelte, pâle, nerveux, précipité dans ses allures. Il n’a qu’un souvenir sommaire de ses délits. Depuis son enfance, il a eu de fréquents états congestifs, avec rougeur vive à la figure, pouls accéléré et tendu, regard fixe et comme dénotant une absence d’esprit. Par ci, par là, il y avait dans ces accès, abolition des sens et vertige. Dans cet état exceptionnel (épileptique), K… ne répondait que lorsqu’on avait crié plusieurs fois ; alors il revenait à lui, comme s’il sortait d’un rêve. K… prétend que, pendant les quelques heures qui précédaient les actes incriminés, il se sentait toujours excité et inquiet, qu’il éprouvait une angoisse avec oppression et fluxion vers la tête. Arrivé au summum de cet état, il sortait sans but de la maison et exhibait quelque part ses parties génitales. Rentré à la maison, il n’avait gardé de ces incidents que comme un souvenir de rêve : il se sentait très fatigué et très déprimé. Il est aussi à remarquer que, pendant l’exhibition, il allumait des allumettes pour éclairer ses parties génitales. L’avis des médecins légistes concluait que les actes incriminés s’étaient produits sous l’action d’une contrainte due à l’état épileptique. Toutefois il fut condamné, avec admission de circonstances atténuantes. (Dr Schuchardt, op. cit.)
Observation 169. – L…, trente-neuf ans, célibataire, tailleur, né d’un père qui probablement était adonné à la boisson, avait deux frères épileptiques et un qui était aliéné. Lui-même présente des crises épileptiques plus légères ; il a de temps en temps l’esprit voilé ; dans cet état il erre sans but et ne sait plus après où il a été. Il passait pour un homme convenable ; il est maintenant accusé d’avoir dans une maison étrangère exhibé quatre à six fois ses parties génitales et joué avec. Le souvenir de ces actes était très vague chez lui.
L… avait déjà subi une grave condamnation pour avoir déserté plusieurs fois pendant qu’il était au régiment (probablement ces désertions ont eu lieu dans un état de trouble épileptique) ; en prison, il fut atteint d’une maladie mentale et on le transporta pour cause de « folie épileptique » à la Charité, d’où il fut plus tard renvoyé comme guéri. En ce qui concerne les actes incriminés, il faut exclure l’idée de cynisme ou d’exubérance. Il est probable qu’ils ont été commis dans un état d’obnubilation intellectuelle, ce qui ressort entre autres du fait que cet homme paraissait étrange au point de vue psychique, même aux agents qui l’arrêtaient, et qui l’appelaient l’idiot. (Liman, Vierteljahrsschr. f. ger. Med., N. F., XXXVIII, fascicule 2.)
Observation 170. – L…, trente-sept ans, s’est rendu coupable d’avoir, du 15 octobre jusqu’au 2 novembre 1889, fait un grand nombre d’exhibitions devant des filles ; il avait commis ces actes en plein jour, dans la rue, et même dans des écoles où il pénétrait. À l’occasion il arrivait qu’il demandait aux filles la masturbation ou le coït, et comme cela lui était refusé, il se masturbait devant elles. À G…, se trouvant dans un cabaret, il frappa avec son pénis, mis à nu, sur les vitres, de sorte que les servantes et les enfants qui étaient dans la cuisine le virent.
Après son arrestation, on constata que, depuis 1870, L… avait déjà nombre de fois provoqué du scandale par ses exhibitions, mais qu’il avait toujours échappé à une condamnation, grâce aux preuves d’une maladie mentale établies par les médecins. En revanche, il avait subi, pendant son service militaire, des condamnations pour désertion et vol, et une fois, comme civil, pour vol de cigares. À plusieurs reprises il a été interné dans un asile d’aliénés pour maladie mentale (accès de folie). Du reste il s’était fait remarquer par son caractère changeant et querelleur, par son excitation périodique et son inconstance.
Le frère de L… est mort paralysé. Lui-même ne présente aucun stigmate de dégénérescence ni d’antécédents épileptiques. Pendant la période d’observation il n’est ni malade d’esprit, ni mentalement affaibli.
Il se comporte d’une manière très décente et exprime une profonde horreur pour ses délits sexuels.
Il les explique de la façon suivante. D’habitude il n’est pas buveur, et par moments il a pourtant une impulsion à boire. Aussitôt qu’il a commencé à boire, il se produit un afflux de sang à la tête, des vertiges, de l’inquiétude, de l’angoisse, de l’oppression. Alors il tombe dans une sorte d’état de rêve. Un charme irrésistible le contraint à se découvrir, ce qui lui procure du soulagement et de la liberté pour respirer.
Une fois découvert il ne sait plus ce qu’il fait. Comme signes précurseurs de ces accès il a des scintillements devant les yeux et du vertige.
Il n’a qu’un souvenir très vague et semblable à un rêve lointain de sa période d’obnubilation.
Ce n’est qu’avec le temps que des représentations et des impulsions sexuelles se sont associées à ses états d’obnubilation pleins d’angoisse. Déjà, plusieurs années auparavant, en proie à cet état, il avait déserté sans motif et en s’exposant aux plus grands dangers ; une fois il a sauté par une fenêtre du deuxième étage : une autre fois il a quitté une bonne place et est allé sans projet dans un pays voisin où il fut bientôt arrêté pour exhibitionnisme.
Quand par hasard L… s’enivrait, en dehors de sa période de maladie, il n’exhibait jamais. À l’état lucide ses sentiments et ses rapports sexuels sont tout à fait normaux. (Dr Holzen, Friedreichs Blætter, 1890, fascicule 6.) Comme autres cas voir les observations 153, 155.
Un groupe qui, au point de vue clinique, est très voisin de celui des exhibitionnistes épileptiques, est représenté par certains neurasthéniques, chez lesquels il se produit aussi par accès des états d’obnubilation[4] (épileptoïde ?) avec une oppression anxieuse. Les impulsions sexuelles qui s’associent à ces états peuvent amener impulsivement à des actes d’exhibitionnisme.
Observation 171. – Dr S…, professeur de lycée, a provoqué un scandale public par le fait qu’il a été vu, à plusieurs reprises, genitalibus denudatis[ws 19] devant des dames et des enfants. S… en convient, mais il nie avoir eu ni l’intention ni la conscience d’avoir provoqué par là un scandale public ; il allègue comme excuse qu’en courant rapidement avec les parties génitales découvertes, il soulage son émotion nerveuse. Son grand-père du côté maternel était hypocondriaque et a fini par le suicide, sa mère était de constitution névropathique, avait du somnambulisme (se promenait pendant son sommeil) et fut passagèrement atteinte d’une dépression mélancolique. L’inculpé est névropathe ; il était somnambule, eut de tout temps une aversion pour les rapports sexuels avec les femmes, pratiqua pendant sa jeunesse l’onanisme. C’est un homme timide, sans énergie, qui s’embarrasse facilement et tombe en confusion ; il est neurasthénique. Il était toujours très excité sexuellement. Il rêvait souvent qu’il courait mentula denudata[ws 20] ou qu’étant en chemise, il était suspendu sur la barre d’une salle de gymnastique, ayant la tête en bas, de sorte que la chemise retombait et que le membre en érection se trouvait découvert. Ces rêves lui donnaient des pollutions, et il était alors calmé pour toute une semaine.
Même quand il est éveillé, il a souvent, comme dans ses rêves, une impulsion à courir, avec son membre découvert. Quand il se met à découvrir son membre, il sent une chaleur ardente ; il court alors à tort et à travers, son membre devient moite, mais il n’arrive pas à la pollution. Enfin il y a relaxatio membri[ws 21], il le remet dans son pantalon, il recouvre ses sens et est très heureux quand personne n’a vu ce manège. Dans cet état d’excitation il se sent comme en rêve, comme ivre. Il n’a jamais eu, dans ces circonstances, l’intention de provoquer des femmes. S… n’est pas épileptique. Ses assertions sont empreintes d’un cachet de vérité. En effet, se trouvant dans cet état, il n’a jamais poursuivi de femmes, il ne leur a même jamais adressé la parole. La brutalité et la frivolité semblent être absentes dans son cas. De toutes façons les actes de S… sont dus à un sentiment et à une idée morbides et il se trouvait, au moment de les commettre, dans un état de trouble morbide des fonctions mentales. (Liman, Vierteljahrschrift für gerichtl. Med. N. F XXX, VIII, fascicule 2.)
Observation 172. – X…, trente-huit ans, marié, père d’un enfant. De tout temps d’un caractère sombre, taciturne ; souffrant souvent de maux de tête ; gravement neurasthénique, mais pas malade au physique, très tourmenté par des pollutions nocturnes ; a plusieurs fois suivi dans la rue des filles de magasin qu’il avait guettées dans un urinoir ; en les suivant il exhibait ses parties génitales et manipulait son pénis. Dans un cas il avait même poursuivi une fille jusque dans le magasin. (Trochon, Arch. de l’anthropologie criminelle, III, p. 256.)
Dans l’observation suivante l’exhibition n’apparaît que comme un accessoire à côté d’un penchant impulsif à satisfaire par la masturbation un libido violent qui se manifeste subitement.
Observation 173. – R…, cocher, quarante-neuf ans, marié à Vienne depuis 1866, sans enfants, est né d’un père névropathe exalté sexuellement et qui est mort d’une maladie cérébrale. Il ne présente aucun stigmate de dégénérescence.
À l’âge de vingt-cinq ans il a eu une commotio grave à la suite d’une chute d’un lieu élevé. Jusque-là sa vita sexualis était normale. Depuis il tombe tous les trois ou quatre mois dans un état d’excitation sexuelle très pénible, avec une impulsion à la masturbation. Comme signes précurseurs de ces accès, il éprouve un sentiment de grande fatigue et de malaise avec le besoin de prendre des boissons alcooliques. Dans les intervalles il est froid sexuellement, et il n’a eu que rarement le besoin de faire le coït avec sa femme qui, du reste, est depuis cinq ans malade et inapte à la cohabitation.
Il affirme ne s’être jamais masturbé pendant qu’il était jeune homme ; il n’a pas songé davantage, dans les intervalles de ses accès, à ce genre de satisfaction sexuelle.
Pendant la période dangereuse, l’impulsion à la masturbation surgit toujours à la vue de certains charmes féminins, tels que jupon court, beau pied et beaux jarrets, apparition élégante. L’âge n’y fait rien. Des petites filles même peuvent exercer une impression excitante. L’impulsion est subite, irrésistible. R… donne la description des états et des symptômes d’un acte impulsif. Il a souvent essayé de résister, mais alors il se sent brûlé par une chaleur et il a des angoisses terribles ; il sent comme une chaleur d’ébullition qui lui monte à la tête ; il est comme dans un brouillard ; il ne perd pas tout à fait conscience, c’est vrai, mais il est comme hors de ses sens. En même temps il a des douleurs et des lancements violents dans les testicules et dans les cordons spermatiques. Il regrette d’être obligé d’avouer que l’impulsion est plus forte que sa volonté. Dans cette situation il se sent contraint de se masturber, n’importe dans quel endroit où il se trouve. Aussitôt que l’éjaculation s’est produite, il se sent soulagé et il retrouve son empire sur lui-même. C’est une chose terrible et fatale. Son avocat m’apprend que R… a déjà été condamné six fois pour le même délit : exhibition et masturbation sur la voie publique. Toutes les fois il a demandé que l’état mental de son client fût soumis à un examen médical et le tribunal a toujours refusé, alléguant que dans le dossier de la cause on ne trouvait exprimé aucun doute concernant la responsabilité de l’accusé.
Le 4 novembre 1889, R… étant dans sa période dangereuse, se trouvait dans la rue au moment où un groupe de petites filles de l’école passait devant lui. Son impulsion indomptable se réveilla. Il n’eut pas le temps d’aller dans un cabinet d’aisances, il était trop excité. Aussitôt il procéda à l’exhibition, se masturba sous une porte-cochère : immense scandale, arrestation. R… n’est pas idiot ni défectueux éthiquement. Il gémit sur son sort, éprouve une honte profonde de son acte, craint de nouveaux accès, mais considère ses accès comme morbides, comme une fatalité en présence de laquelle il se trouve impuissant.
Il se croit encore sexuellement puissant. Le pénis est d’une grandeur anormale. Existence du réflexe crémastérien ; réflexe patellaire accentué. Depuis quelques années, faiblesse du sphincter vésical. Divers symptômes neurasthéniques.
Le rapport médical a démontré que R… avait agi sous l’influence de conditions morbides et d’une manière impulsive. Pas de condamnation. Le malade a été interné dans une maison de santé d’où il fut relaxé quelques mois plus tard.
Dans l’observation précédente, le point clinique principal n’est pas dans la névrose existante, mais plutôt dans le caractère impulsif de l’acte (exhibition pour la masturbation).
Il est évident qu’en établissant des catégories entre les exhibitionnistes imbéciles, entre ceux qui sont mentalement affaiblis et ceux qui se trouvent sous l’influence d’un trouble névrosique des sens (épileptique ou neurasthénique), le côté médico-légal de ce phénomène n’est pas encore épuisé. On peut ajouter aux groupes précédents un autre groupe dont les représentants sont, par suite de lourdes tares (héréditaires, névrose dégénérative), poussés périodiquement et d’une manière impulsive à l’exhibition.
Dans ces états de psychopathia sexualis periodica l’impulsion à l’exhibition éveillée par hasard, n’est qu’un phénomène partiel d’un ensemble clinique, de même que dans la dipsomania periodica[ws 22]. Magnan, à qui j’emprunte les deux cas instructifs suivants, attribue, avec raison, une grande importance au caractère impulsif et périodique de ces penchants morbides, ainsi qu’au fait que souvent ils sont accompagnés d’une angoisse pénible qui fait place à un sentiment de grand soulagement aussitôt que les désirs sont réalisés.
Ces faits – et, dans une mesure non moins grande, toute l’histoire
clinique de la dégénérescence psychique, qu’on peut dans la plupart
des cas ramener à des influences héréditaires ou à des conditions
qui, dans les premières années de la vie, ont nui au développement du cerveau (rachitis, etc.), – sont, au point de vue médico-légal, d’une signification décisive.
Observation 174. – G…, vingt-neuf ans, garçon de café, a, en 1888, exhibé sous la porte d’une église en face de plusieurs filles qui travaillaient dans un magasin. Il avoue le fait, et même que plusieurs fois déjà au même endroit et à la même heure, il s’était rendu coupable du même délit, ce qui, l’année passée, lui avait valu une peine d’un mois de prison.
G… a des parents très nerveux. Son père est mal équilibré psychiquement, d’un caractère très emporté. Sa mère est de temps en temps malade psychiquement et atteinte d’une grave maladie de nerfs.
G… eut de tout temps un tic nerveux de la face ; variations continuelles entre une dépression sans motif avec tædium vitæ[ws 23] et des périodes de gaieté. À l’âge de dix ans et de quinze ans, il a voulu se suicider pour des raisons futiles.
Quand il est émotionné, il a des convulsions dans les extrémités. Il présente constamment de l’analgésie générale. En prison il fut tout d’abord hors de lui à cause de la honte et du déshonneur qu’il causait à sa famille ; il s’accusait d’être le plus mauvais des hommes et de mériter la punition la plus grave.
Jusqu’à l’âge de dix-neuf ans, G… s’est satisfait par l’auto-masturbation et la masturbation mutuelle : il a aussi une fois onanisé une fille. À partir de cette époque, employé dans un café, il était à la vue de la clientèle féminine tellement excité qu’il en avait souvent de l’éjaculation. Il souffrait presque continuellement de priapisme et, comme l’affirmait sa femme, il en perdait le sommeil, malgré le coït. Depuis sept ans, il avait, à plusieurs reprises, exhibé et s’était exposé nudatus[ws 24] en présence de feminis vicinis[ws 25].
En 1883, il a conclu son mariage par amour. Les devoirs conjugaux ne suffisaient pas à ses besoins excessifs. Par moments, son excitation sexuelle devenait si violente qu’il en avait des maux de tête, qu’il paraissait troublé, comme s’il était ivre, étrange, et incapable de faire son service.
Se trouvant dans cet état le 12 mai 1887, il avait deux fois, à de courts intervalles, exhibitionné devant des dames dans les rues de Paris. Depuis, il livre un combat désespéré contre ses penchants morbides qui l’obsèdent presque constamment ; à la fin de cet état il était toujours sombre, consterné, et il pleurait alors des nuits entières. Toutefois, il recommençait toujours. Rapport médical : preuve de dégénérescence héréditaire avec idées obsédantes et impulsions irrésistibles (perversion délirante du sens génital). Acquittement. (Magnan, Arch. de l’anthropologie criminelle, T. V, no 28).
Observation 175. – Br…, vingt-sept ans, de mère névropathe et de père alcoolique, a un frère qui est ivrogne et une sœur qui est hystérique. Quatre parents proches du côté paternel sont des ivrognes ; une cousine est hystérique.
Il pratiqua, à partir de onze ans, l’onanisme, tantôt solitaire, tantôt mutuel. À partir de l’âge de treize ans il eut un penchant à exhibitionner. Il essaya dans l’urinoir d’une rue, en éprouva un bien-être voluptueux, mais eut des remords bientôt après. Quand il essayait de combattre son penchant, il sentait une angoisse violente et un serrement à la poitrine. Étant soldat, il avait souvent l’obsession de montrer, sous divers prétextes, sa mentulam[ws 26] aux camarades.
À partir de l’âge de dix-sept ans, il eut des rapports sexuels avec des femmes. Il avait un grand plaisir à se montrer nu devant elles. Il continuait ses exhibitions dans les rues. Mais comme dans les urinoirs il ne pouvait compter que rarement sur des spectateurs féminins, il choisit pour théâtre de ses délits les églises. Pour pouvoir s'exhiber dans ces endroits, il était toujours obligé de se remonter le courage par quelques verres.
Sous l’influence des boissons alcooliques, l’impulsion qu’il pouvait ordinairement assez bien maîtriser, devenait irrésistible. Br… n’a pas été condamné, il perdit sa place et depuis il boit encore davantage. Peu de temps après, nouvelle arrestation pour exhibition et masturbation dans une église. (Magnan, idem.)
Observation 176. – X…, garçon coiffeur, trente-cinq ans, plusieurs fois condamné pour délits de mœurs, a été de nouveau arrêté parce que depuis trois semaines il rôdait autour d’une école de filles, il cherchait à attirer sur lui l’attention des filles, et quand il y réussissait il s’exhibait immédiatement. À l’occasion, il leur avait aussi promis de l’argent en leur disant : Habeo mentulam pulcherrimam, venite ad me ut eam lambatis[ws 27].
X… avoue tout au magistrat, mais, dit-il, il ne sait pas comment il a pu arriver à commettre de pareils actes. D’habitude c’est un homme de fort bon sens, mais il a un penchant à commettre ce délit, et il ne peut pas le réprimer.
Déjà, en 1879, étant soldat, il a quitté le service pour rôder dans la ville et s’exhiber devant des enfants. Un an de prison. En 1881, même délit. Il courait après les enfants et s’arrêtait fixe. Un an et trois mois de prison. Deux jours après avoir été rendu à la liberté il disait à deux petites filles : « Si mentulam meam videre vultis, mecum in hanc tabernam veniatis. »[ws 28] Il nia ces paroles et prétendit qu’il était ivre. Trois mois de prison.
En 1883, nouvelle exhibition. Il ne prononça pas une parole ; pendant son interrogatoire, il prétendit que depuis une maladie grave qu’il avait eue, il y a huit ans, il souffrait de ces excitations morbides. Un mois de prison. En 1884, exhibition devant des filles dans un cimetière ; en 1885, idem. Il déclara : « Je reconnais mon tort, mais c’est une maladie ; quand cela me prend, je ne puis pas m’empêcher de faire ces actes. Parfois il se passe un plus long laps de temps pendant lequel ces penchants ne me viennent pas. » Six mois de prison.
Relaxé le 12 août 1885, il récidive le 13 août. Même excuse. Cette fois on le soumet à un examen médical qui ne put constater aucun trouble mental. Trois ans de travaux forcés.
Après avoir purgé cette peine, série de nouvelles exhibitions.
Cette fois, l’examen a donné les résultats suivants.
Le père a souffert d’alcoolisme chronique et, dit-on, avait commis le même genre d’actes d’impudicité. La mère et une sœur sont atteintes d’une maladie de nerfs ; toute la famille était d’un tempérament violent.
X… souffrit de crises épileptiques à partir de sept ans jusqu’à dix-huit ans. À l’âge de seize ans, premier coït. Plus tard, gonorrhée et prétendue syphilis. Dans la période suivante, rapports sexuels normaux jusqu’à l’âge de vingt et un ans. À cette époque il était souvent obligé de passer devant un préau ; à l’occasion il satisfaisait son besoin d’uriner et il arrivait que des enfants poussés par la curiosité le regardaient.
Incidemment, il s’aperçut que ces regards curieux l’excitaient sexuellement et lui donnaient de l’érection et même de l’éjaculation. Il trouva alors plus de plaisir à ce genre de satisfaction sexuelle, devint de plus en plus indifférent au coït ; il ne se satisfaisait que par l’exhibition qui envahissait toutes ses pensées et dont il rêvait même dans ses pollutions. Il lutta contre ce penchant mais en vain ; sa résistance devint de plus en plus faible. Il était pris avec une telle puissance qu’il n’avait plus d’égards pour rien, qu’il ne voyait ni n’entendait plus rien autour de lui, qu’il était complètement « sans raison, comme un taureau qui veut de sa tête enfoncer un mur ».
X… a un crâne d’une largeur anormale ; pénis petit ; le testicule gauche est atrophié. Le réflexe patellaire manque. Symptômes de neurasthénie, surtout neuro-cérébrale. Pollutions fréquentes. Les rêves ont la plupart pour sujet le coït normal, et rarement l’exhibition devant des petites filles.
Quant à ses actes sexuels anormaux, il affirme que le penchant à chercher et à attirer des filles vient chez lui en première ligne, et ce n’est que lorsqu’il a réussi, earum intentionem in sua genitalia nudata transferre, erectionem et ejaculationem fieri[ws 29] ; pendant l’acte il ne perd pas conscience. Après il est toujours mécontent de l’avoir commis et il se dit, quand il n’a pas été pris en flagrant délit, « qu’il a encore une fois échappé au procureur ».
En prison il n’a plus ce penchant ; là il n’est tourmenté que par des rêves et des pollutions. Quand il est en liberté il cherche chaque jour l’occasion de se satisfaire par l’exhibition. Il donnerait dix années de sa vie, s’il pouvait se débarrasser de sa manie ; « cette vie d’angoisse continuelle, cette alternative entre la liberté et la prison est insupportable ».
Le rapport médical supposa une perversité congénitale du sens sexuel en même temps qu’il constatait une tare héréditaire manifeste, une constitution névropathique, une asymétrie du crâne, un développement défectueux des parties génitales.
Il est à remarquer aussi que l’exhibitionnisme s’est déclaré à partir de l’époque où la maladie épileptique a cessé, de sorte qu’on pourrait penser à un phénomène vicariant.
La perversion sexuelle s’est développée sur la base d’une prédisposition existante et par le concours d’une association d’idées amenée par le hasard (regards curieux des enfants lorsqu’il urinait), à la suite d’un acte insignifiant en lui-même.
Le malade n’a pas été condamné, mais transféré dans un asile d’aliénés. (Dr Freyer, Zeitschr. f. Medicinalbeamte, 3e année no 8.)
Observation 177. – Par une soirée du printemps de 1891, vers les neuf heures, une dame venait toute consternée au poste de police du Stadtpark raconter l’incident suivant. Pendant qu’elle se promenait, un homme complètement nu par devant était sorti subitement d’un bosquet et s’était approché d’elle ; épouvantée, elle avait pris la fuite. L’agent de police se rendit immédiatement à l’endroit désigné et y trouva un homme qui exposait aux regards ventrem et genitalia nuda[ws 30]. Il essaya de se sauver, mais il fut rejoint et arrêté. Il déclara avoir été, par suite d’une forte consommation d’alcool, excité sexuellement et sur le point de se mettre en quête d’une prostituée. En traversant le parc il s’était souvenu que l’exhibition lui procurait beaucoup plus de jouissance que le coït qu’il ne pratique que rarement et à défaut d’un autre genre de satisfaction. Après avoir retiré sa chemise et déboutonné la partie supérieure de son pantalon, il s’était posté dans un bosquet et quum duæ feminæ advenissent nudatis genitalibus iis occurrisse[ws 31]. Dans cette situation il sent une chaleur agréable et le sang lui monte à la tête.
L’inculpé est un ouvrier d’un établissement industriel ; son contremaître le dépeint comme un homme consciencieux dans ses devoirs, laborieux, rangé, sobre et intelligent.
Déjà en 1886 B… a été condamné pour avoir deux fois exhibé sur la voie publique : la première fois en plein jour, et la seconde fois, le soir, étant assis sous une lanterne.
B…, âgé de trente-sept ans, célibataire, fait une impression étrange par sa mise de gommeux, son langage et ses manières affectés. Son œil a une expression névropathique et romanesque ; autour de sa bouche se dessine toujours un sourire d’infatuation. Il prétend être né de parents sains. Une sœur de son père et une sœur de sa mère eurent une maladie mentale. D’autres sœurs de sa mère passaient pour des dévotes excentriques.
B… n’a jamais eu de maladies graves. Dès son enfance il était excentrique, fantasque, aimait les romans de chevalerie et autres, s’absorbait tout entier dans ces sortes d’histoires et finissait par s’identifier, dans son imagination surchauffée, avec les héros du roman. Il croyait toujours être quelqu’un de supérieur aux autres, attachait une grande valeur à une mise élégante et aux bijoux ; et lorsque les dimanches il se pavanait, il croyait dans son imagination être un fonctionnaire supérieur. B… n’a jamais présenté de symptômes d’épilepsie. Dans sa première jeunesse, il a pratiqué un onanisme modéré, plus tard le coït d’une façon modérée. Il n’a jamais eu avant des sentiments ou des impulsions sexuelles perverses. Il vivait d’une vie retirée et employait ses loisirs à la lecture (ouvrages populaires et histoires de chevalerie, Dumas entre autres). B… n’était pas buveur. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’il se préparait une sorte de bowle et en la buvant il se sentait excité sexuellement.
Depuis quelques années son libido ayant considérablement diminué, il avait conçu pendant ses libations alcooliques « l’idée bête en diable » et le désir genitalia adspectui feminarum publice exhibere[ws 32].
Quand il est dans cet état, il s’échauffe ; le cœur lui bat violemment, le sang lui monte à la tête, et alors il ne peut se défendre contre son penchant. Il ne voit ni n’entend plus autre chose, et il est alors tout à fait absorbé par son désir. Après il a souvent frappé à coups de poing sa tête folle et pris la ferme résolution de ne plus faire de pareilles choses, mais les idées folles lui sont toujours revenues.
Pendant ces exhibitions, son pénis n’a qu’une demi-érection et jamais il n’y a éjaculation, celle-ci d’ailleurs ne se produit que tardivement quand il fait le coït. Il lui suffit, lorsqu’il exhibe, genitalia adspicere[ws 33], et il a alors l’idée soulignée par une sensation voluptueuse que cet aspect doit être très agréable aux femmes, de même que lui regarde genitalia feminarum[ws 34]. Il n’est capable de faire le coït que lorsque la puella se montre très prévenante. Sinon il préfère payer et s’en aller sans avoir rien fait. Dans ses rêves érotiques, il s’exhibe devant des femmes jeunes et plantureuses.
Le rapport médico-légal a démontré la personnalité héréditairement psychopathique de l’inculpé, la tendance perverse et impulsive aux délits incriminés et a fourni encore la preuve, digne d’être remarquée, que les impulsions à la consommation de l’alcool, chez cet homme d’habitude sobre et économe, doivent être attribuées à une contrainte morbide qui revient périodiquement. Il ressort à l’évidence des species facti[ws 35] que pendant ses accès B… se trouvait dans un état d’exception psychique, dans une sorte de trouble des sens, tout à fait plongé dans ses fantaisies sexuelles perverses. C’est ainsi que s’explique aussi le fait qu’il ne s’est aperçu de l’approche de l’agent de police que lorsqu’il était déjà trop tard pour prendre la fuite. Ce qui est intéressant dans cet exhibitionnisme héréditaire, dégénératif et impulsif, c’est que le penchant sexuel pervers a été réveillé de son état latent par l’influence de l’alcool.
Les frotteurs représentent une espèce d’exhibitionnistes remarquables au point de vue médico-légal. Leur perversion repose sur un fondement névrotico-dégénératif et clinique qui est analogue à celui des autres exhibitionnistes ; mais le procédé qui les caractérise particulièrement est provoqué par un libido violent (hyperæsthesia sexualis) qui existe en même temps qu’une puissance sexuelle fort entamée.
Les trois observations suivantes, empruntées à Magnan (op. cit.), sont typiques.
Observation 178. – D…, quarante-quatre ans, taré, alcoolique et atteint de saturnisme, s’était beaucoup masturbé jusqu’à il y a un an ; il avait aussi dessiné beaucoup d’images pornographiques et les avait montrées à ses amis. À plusieurs reprises, se trouvant seul chez lui, il s’était habillé en femme.
Depuis deux ans, étant devenu impuissant, il éprouvait le besoin d’aller dans la foule à l’heure du crépuscule et mentulam denudare eamque ad nates mulieris crassissimæ terere[ws 36].
Pris un jour en flagrant délit, il fut condamné à quatre mois de prison.
Sa femme tient une crèmerie. Iterum iterumque sibi temperare non potuit quia genitalia in ollam lacte completam mergeret[ws 37]. Il éprouvait alors une sensation de volupté « comme s’il y avait contact avec du velours ».
Il était assez cynique pour se servir de cette huile pour lui et pour ses clients.
En prison il s’est développé chez lui une monomanie alcoolique de persécution.
Observation 179. – M…, trente et un ans, marié depuis six ans, père de quatre enfants, lourdement taré, souffrant épisodiquement de mélancolie, a été il y a trois ans surpris par sa femme au moment où, revêtu d’une robe de soie, il se masturbait. Un jour il fut surpris dans un magasin au moment où il se frottait contre une dame. Il fut profondément confondu et demanda une punition sévère pour son penchant qui d’ailleurs était irrésistible.
Observation 180. – G…, trente-trois ans, lourdement chargé de tares héréditaires, est surpris à une station d’omnibus au moment où il frottait son membre contre une dame. Profond repentir, mais affirmation qu’à l’aspect des posteriora prononcés d’une dame il se sentait irrésistiblement entraîné à faire du frottage et qu’il est alors troublé au point de ne plus savoir ce qu’il fait.
Internement dans un asile d’aliénés.
Observation 181. – Z…. né en 1850, d’un passé irréprochable, de bonne famille, employé d’une administration privée, bonne situation matérielle, sans tare, veuf depuis 1873, après un ménage de courte durée, s’était depuis longtemps fait remarquer dans les églises par sa manie de se presser par derrière contre les femmes, jeunes ou vieilles, et de manipuler leurs tournures. On le guetta et un jour on réussit à l’arrêter en flagrant délit. Il fut consterné au plus haut degré ; désespérant de sa situation, il pria, en faisant un aveu complet, qu’on le ménage, sinon il ne lui resterait qu’à se suicider.
Depuis deux ans, il était obsédé par le penchant funeste, quand il se trouvait au milieu d’une foule, à l’église ou au théâtre, à se frotter par derrière contre les femmes et de manipuler leurs robes bouffantes, ce qui lui donnait de l’orgasme et de l’éjaculation.
Z… affirme n’avoir jamais été adonné à la masturbation et n’avoir dans aucun sens de tendance sexuelle perverse. Depuis la mort prématurée de sa femme, il avait satisfait ses puissants besoins sexuels dans des amourettes temporaires, mais il avait toujours eu de la répugnance pour les bordels et les prostituées. Le penchant au frottage lui est venu subitement, il y a deux ans ; il stationnait par hasard dans une église. Bien qu’il se rendît compte que c’était inconvenant, il n’a pu s’empêcher de céder immédiatement à cette impulsion. Depuis il est devenu si excité par les postérieurs des femmes qu’il se sent poussé à chercher des occasions de frottage. Chez la femme il n’y a que la tournure qui l’excite ; tout le reste du corps ou la toilette lui est absolument indifférent, de même que l’âge de la femme, sa beauté ou sa laideur. Depuis il n’a plus d’inclination pour la satisfaction naturelle. Ces derniers temps des scènes de frottage apparaissaient aussi dans ses rêves érotiques.
Pendant le frottage il se rend parfaitement compte de sa situation et de la portée de son acte, et il s’efforce de procéder autant que possible de manière à n’être pas aperçu. Après il éprouve toujours de la honte d’avoir commis une pareille action.
L’examen médico-légal n’a relevé aucun symptôme de maladie mentale ou de faiblesse intellectuelle, mais bien des symptômes de neurasthenia sexualis – ex abstinentia libidinosi[ws 38], ce qui est indiqué aussi par le fait que le seul contact du fétiche avec les parties génitales non exhibées suffisait à produire une éjaculation. Il est évident que le libidineux Z… qui était sexuellement très affaibli et qui se méfiait de sa puissance, a été amené au frottage par une coïncidence accidentelle : la vue de posteriora feminæ avec une émotion sexuelle. C’est cette liaison associative d’une perception avec une sensation qui a donné au postérieur féminin le caractère d’un fétiche.
Comme actes offensant la moralité publique et, par conséquent, tombant sous le coup de la loi, on peut encore ajouter aux précédents les cas d’outrages à des statues dont Moreau (op. cit.) a recueilli toute une série, dans les temps antiques et modernes. Malheureusement ils ne sont rapportés que dans des récits ayant trop le caractère anecdotique pour pouvoir être analysés et jugés avec certitude. Ils produisent toujours l’impression de faits de nature pathologique. Ainsi, par exemple, l’histoire de ce jeune homme (racontée par Lucianus et saint Clément d’Alexandrie) qui se servait d’une Vénus de Praxitèle pour assouvir ses désirs ; ensuite le cas de Clisyphus qui, au temple de Samos, a souillé la statue d’une déesse après avoir apposé un morceau de viande à un certain endroit de cette œuvre sculpturale.
À une époque plus récente, le journal l’Évènement du 4 mars 1877 publie l’histoire d’un jardinier qui, étant tombé amoureux de la statue de la Vénus de Milo, fut pris en flagrant délit au moment où il faisait des essais de coït sur cette statue. Ces cas sont cependant en rapports étiologiques avec un libido anormalement fort qui subsiste en même temps qu’une puissance défectueuse ou bien un manque de courage ou d’occasions pour une satisfaction sexuelle normale.
Il faut faire la même supposition, en ce qui concerne les soi disant « voyeurs[5] », c’est-à-dire ces hommes qui sont assez cyniques pour chercher à voir faire le coït afin de stimuler leur puissance, ou bien qui, à l’aspect d’une femme excitée, sont pris d’orgasme et d’éjaculation.
En ce qui concerne ce genre d’aberration morale que nous ne voulons pas ici traiter plus amplement, pour diverses raisons, il suffirait de renvoyer au livre de Coffignon : La Corruption à Paris. Les révélations faites dans ce livre sur le domaine de la perversité
et aussi de la perversion sexuelle, sont de nature à inspirer de
l’horreur.
2o Viol et assassinat par volupté
Code autrichien § 125, 127 ; Projet de Code autrichien § 192 ;
Code allemand § 117.
Le législateur entend par viol le fait qu’une personne adulte est forcée à subir le coït devant une menace dangereuse, ou par un acte de violence, ou quand elle est mise hors d’état de se défendre, ou qu’elle a perdu conscience d’elle-même, et enfin, le coït hors du mariage entrepris sur une fille au-dessous de dix-sept ans. Pour que le viol ait lieu, il faut au moins la conjunctio membrorum[ws 39] (Schütze). À notre époque, le viol commis sur des enfants est d’une fréquence surprenante. Hoffmann (Geri. Med., I., p. 188) et Tardieu (Attentats) rapportent des cas épouvantables.
Le dernier constate le fait que, dans la période de 1851 à 1875, on a jugé en France 22 017 délits de viol dont 17 657 avaient été commis sur des enfants.
Le crime de viol suppose un penchant sexuel, temporairement très puissamment excité, soit par l’alcool, soit par d’autres moyens. Il est fort improbable qu’un homme sain au moral commette un crime d’une telle brutalité. Lombroso (Goltdammers Archiv) croit que la majorité des violateurs sont des dégénérés, ce qui est surtout le cas quand le viol a été commis sur des enfants ou des vieilles femmes. Il prétend avoir trouvé des stigmates de dégénérescence chez beaucoup d’hommes de cette catégorie.
En effet, souvent le viol est un acte impulsif d’hommes tarés, d’imbéciles[6] qui, selon les circonstances, ne respectent pas même les liens consanguins de la plus proche parenté.
On peut supposer que des viols aient lieu au milieu d’un accès de folie furieuse, par suite de satyriasis, ou par suite d’épilepsie ; en effet on a constaté déjà plusieurs crimes de viol commis dans une des circonstances que nous venons d’énumérer.
Parfois l’acte du viol est suivi d’égorgement de la victime[7]. Il peut alors s’agir d’un homicide commis sans intention préalable ou d’un assassinat commis dans le but de faire taire pour jamais le seul témoin de la forfaiture ou enfin d’un assassinat par volupté. On devrait employer, pour ces derniers cas seulement, le terme Lustmord (assassinat par volupté)[8].
Nous avons déjà parlé dans ce livre des mobiles de l’assassinat commis par volupté. Les exemples que nous avons cités à ce propos sont bien caractéristiques par la façon de procéder de l’auteur. On peut toujours soupçonner un assassinat par volupté dans le cas où l’on constate aux parties génitales des lésions d’un tel caractère et d’une telle dimension qu’elles ne peuvent pas être attribuées uniquement à la brutalité de l’acte du coït même. Cette supposition est encore de beaucoup plus fondée quand on trouve des plaies sur le corps, des parties du corps (intestins, parties génitales) arrachées, ou quand celles-ci manquent et qu’elles ont été enlevées par le violateur.
L’assassin par volupté, qui commet son acte dans des conditions psychopathiques, n’a vraisemblablement jamais de complices.
Observation 182. (Imbécillité. Épilepsie. Tentative de viol. Mort de la victime.)[9] – Le 27 mai 1888, au soir, le petit Blaise, garçon de huit ans, jouait avec d’autres enfants près du village de S… Un homme inconnu arriva par la chaussée et attira l’enfant dans le bois.
Le lendemain on trouva dans une ravine le cadavre du garçon, le ventre ouvert, une large blessure du côté du cœur et deux blessures par coups de couteau dans le cou.
On supposa un assassinat par volupté ; un homme du signalement de l’assassin du petit garçon avait déjà, le 21 mai, essayé de traiter de la même façon une fille de six ans, et il n’en fut empêché que par l’effet du hasard.
Il fut constaté que le cadavre avait été trouvé dans une position accroupie et n’ayant comme vêtement que la chemise et un gilet de flanelle : on a trouvé une longue incision sur le scrotum.
Les soupçons d’assassinat portèrent sur le valet de ferme E…, mais à la confrontation les enfants n’ont pu démontrer son identité avec l’inconnu qui avait attiré le garçon dans le bois. De plus, avec l’aide de sa sœur, E… établit un alibi.
La gendarmerie, infatigable, réussit cependant à recueillir de nouveaux indices et enfin E… fit des aveux complets.
Il avait attiré la fillette dans le bois, l’avait terrassée, lui avait dénudé les parties génitales et avait voulu en abuser. Mais comme elle avait la teigne et qu’elle criait beaucoup, il avait perdu l’envie de commettre son acte et s’était enfui.
Après avoir attiré le garçon dans le bois sous prétexte de prendre des nids d’oiseaux, il eut une envie subite d’abuser de lui. Mais comme l’enfant refusait de défaire son pantalon, il le lui avait enlevé de force, et comme il criait, il lui avait donné deux coups de couteau dans la gorge. Il avait alors fait une incision sur le pubis pour avoir un semblant de parties génitales féminines et pour assouvir son désir par cette fente. Mais le corps étant devenu tout de suite froid, il avait perdu l’envie de commettre l’acte, il s’était empressé de laver ses mains et son couteau et de prendre la fuite.
En voyant le garçon mort, il avait pris peur et son membre était tout de suite devenu flasque.
Pendant son interrogatoire E… jouait avec son chapelet, comme si l’affaire ne le regardait pas. Il a agi par faiblesse mentale. Il ne peut pas comprendre, ajoute-t-il, comment il a pu commettre une pareille action. C’est peut-être dans le sang, car souvent il devient abruti à en tomber par terre. Ses anciens maîtres affirment qu’il avait des moments où il était comme en absence d’esprit, récalcitrant, qu’alors il ne travaillait pas pendant des journées et qu’il fuyait la société des hommes.
Son père dépose que E… apprenait difficilement à l’école, qu’il était maladroit au travail et souvent si hébété qu’on n’osait pas le punir. Alors il ne mangeait rien, quittait à l’occasion la maison et restait absent pendant plusieurs jours.
Dans ces périodes, il paraissait tout à fait absorbé par ses pensées, faisait des grimaces singulières et tenait des propos incohérents.
Étant jeune homme, il pissait encore au lit, et lorsqu’il fréquentait l’école il est souvent revenu de la classe avec ses vêtements mouillés ou souillés. Son sommeil était très agité, de sorte qu’on ne pouvait pas dormir à côté de lui. Il n’a jamais eu de camarades ; il n’a jamais été ni cruel, ni méchant, ni immoral.
La mère fait une déposition analogue ; elle dit encore que E… eut à l’âge de cinq ans, pour la première fois, des convulsions et qu’il perdit la parole pendant sept jours. À l’âge de sept ans environ il a eu pendant quarante jours des accès de convulsions et a été aussi hydropique. Plus tard encore il avait souvent pendant son sommeil des mouvements convulsifs ; il parlait pendant son sommeil et quelquefois après de pareilles nuits on trouvait le matin le lit tout mouillé.
Parfois on ne pouvait rien obtenir de ce garçon. Comme la mère ne savait pas si c’était à cause de sa méchanceté ou par maladie, elle n’osait pas le punir.
Depuis ses accès convulsifs à l’âge de sept ans, il avait tellement rétrogradé intellectuellement, qu’il ne put même pas apprendre les prières ordinaires ; de plus il est devenu d’un caractère très emporté.
Les voisins, les autorités de la commune, les maîtres d’écoles, confirment que E… était un homme faible d’esprit, emporté, parfois très bizarre, et se trouvant naturellement dans un état d’exception psychique.
Voici ce qui ressort de l’examen des médecins légistes. E… est grand, svelte, maigre, son crâne a une circonférence d’à peine 53 centimètres ; il est rhombiquement déformé et la partie postérieure est abrupte.
L’air est inintelligent, le regard fixe, sans expression, le maintien du corps négligé, penché en avant ; les mouvements sont lents et lourds. Les parties génitales sont normalement développées. Tout l’extérieur de E… indique la torpeur et la débilité mentale.
Pas de stigmates de dégénérescence, ni anomalie des organes végétatifs, pas de troubles du côté de la motilité ni de la sensibilité. E… est né d’une famille tout à fait saine. Il ne se rappelle pas avoir eu des convulsions dans son enfance ni avoir mouillé son lit la nuit, mais il raconte que ces années dernières il a eu des accès de vertige et de « lourdeur » dans la tête.
De prime abord il nie carrément son assassinat. Plus tard il avoue tout avec un grand repentir et expose clairement devant le juge d’instruction les mobiles de son crime. Jamais auparavant une pareille idée ne lui était venue.
E… s’est adonné depuis des années à l’onanisme. Il le pratiquait jusqu’à deux fois par jour. Il prétend que par manque de courage il n’a jamais osé demander le coït à une femme, bien que, dans ses rêves érotiques, c’étaient toujours des scènes avec des femmes qui planaient devant son imagination. Ni dans ses rêves ni à l’état de veille il n’a jamais eu de tendances perverses et en particulier pas d’idées d’inversion sexuelle ni de sadisme. La vue de l’abatage des animaux ne l’aurait jamais intéressé non plus. Quand il attira la fille dans le bois, il a, sans doute, voulu assouvir son désir ; mais il ne saurait pas expliquer comment il a pu en arriver à s’attaquer au petit garçon. Il a dû être alors hors de lui-même. La nuit qui suivit l’assassinat, il n’a pu dormir de peur ; aussi a-t-il déjà deux fois confessé son crime pour apaiser ses remords. Il ne craint que d’être pendu. Il prie qu’on lui épargne seulement ce genre de châtiment, puisqu’il n’a agi que par débilité d’esprit.
Il ne saurait dire pourquoi il a ouvert le ventre du garçon. Il n’a pas eu l’idée de fouiller dans les entrailles, ni de les renifler, etc. Il prétend que le lendemain de son attentat sur la fille et la nuit qui suivit l’assassinat du garçon, il avait eu son accès de convulsions. Au moment de ses actes, il avait pleine conscience, mais il n’a pas réfléchi à ce qu’il faisait.
Il souffre beaucoup de maux de tête, ne supporte pas la chaleur, ni la soif, ni les boissons alcooliques ; il a des heures où sa tête est tout à fait troublée. L’examen de ses facultés intellectuelles fait constater un degré très avancé d’imbécillité.
Le rapport médico-légal (Dr Kautzner, à Gratz) montre l’imbécillité et la névrose épileptique de l’accusé et admet comme vraisemblable que ses crimes dont il n’a d’ailleurs qu’un souvenir sommaire, ont été commis dans un état d’exception psychique, préépileptique, occasionné par la névrose. En tout cas, E… est un danger pour la sécurité publique et il a besoin d’être interné probablement à perpétuité dans un asile d’aliénés.
Observation 183.[10] (Viol commis par un idiot sur une petite fille. Mort de la victime.) – Le soir du 3 septembre 1889, Anna, petite fille d’ouvriers, âgée de dix ans, alla à l’église du village éloignée de trois quarts d’heure de marche de sa demeure, elle n’en revint pas. Le lendemain on trouva son cadavre à cinquante pas de la chaussée, dans un bosquet ; la face était tournée vers le sol, la bouche était bouchée avec de la mousse ; à l’anus il y avait trace de viol.
Les soupçons se portèrent sur le journalier K…, âgé de dix- sept ans, car celui-ci avait déjà, le 3 septembre, essayé d’attirer l’enfant dans le bois comme elle rentrait de l’église.
K…, mis en état d’arrestation, nie d’abord, mais bientôt après il fait des aveux complets. Il avait tué l’enfant en l’étouffant et, quand elle ne « remua » plus, actum sodomiticum in ano infantis perpetravit[ws 40].
Pendant la première enquête judiciaire, personne n’avait soulevé la question de savoir quel était l’état mental de ce criminel monstrueux ; la demande de l’avocat auquel la défense avait été confiée d’office peu de temps avant les débats judiciaires, que l’état mental de l’accusé fût soumis à un examen médical, avait été repoussée « parce qu’il n’y avait dans le dossier aucun fait mentionné qui pût faire supposer un trouble cérébral ».
Par hasard le vaillant avocat réussit à faire constater que l’aïeul et la tante du côté paternel de l’accusé étaient des aliénés ; que son père était depuis son enfance un buveur d’eau-de-vie et estropié d’un côté. Le défenseur a pu faire confirmer ces faits au cours de la séance publique.
Ces constatations n’eurent pas d’effet non plus. Enfin l’avocat décida le médecin légiste à proposer qu’on envoyât K… pour six semaines dans une maison de santé pour y être observé.
Le rapport des médecins aliénistes de l’asile présenta K… comme un idiot qu’on ne pouvait pas rendre responsable de son acte.
Il paraissait indifférent, abruti, apathique ; il avait oublié presque tout ce qu’il avait appris à l’école : il ne manifestait jamais dans ses paroles ou dans ses gestes le moindre mouvement de pitié, de repentir, de honte, d’espoir ou de crainte pour l’avenir. Sa figure était immobile comme un masque.
Le crâne est tout à fait anormal et a la forme d’une boule : preuve que le cerveau était déjà malade dans la période fœtale ou du moins dans les premières années du développement.
Sur cet avis, K… a été interné pour toujours dans un asile d’aliénés.
Grâce à un brave avocat et à son sentiment infatigable du devoir, la magistrature a pu dans ce cas éviter de commettre un assassinat judiciaire, et la société humaine a pu sauver son honneur.
Observation 184. (Assassinat par volupté. Imbécillité morale.) – Homme d’un âge moyen, né en Algérie, prétendant descendre de race arabe. Il servit quelques années dans les troupes coloniales, voyagea ensuite comme matelot entre l’Algérie et le Brésil et est parti plus tard pour l’Amérique du Nord, attiré par l’espoir d’y pouvoir plus facilement gagner sa vie. Il était connu dans son entourage comme un homme paresseux, lâche et brutal. Il a été plusieurs fois condamné pour vagabondage ; on disait que c’était un voleur du plus bas étage, qu’il se promenait avec des femmes de la plus vile espèce et qu’il faisait cause commune avec elles. On connaissait aussi ses rapports sexuels pervers et ses pratiques dans ce sens. Il avait à plusieurs reprises mordu et battu des femmes avec lesquelles il avait eu des rapports sexuels. D’après son signalement, on croyait tenir en sa personne cet inconnu qui, pendant la nuit, effrayait dans la rue les femmes en les enlaçant de ses bras et en les embrassant et qu’on désignait sous le nom de Jack the Kisser (Jacques l’embrasseur).
Il était de haute taille (plus de 6 pieds), un peu voûté. Le front bas, les pommettes très saillantes, les mâchoires massives, les yeux petits, rapprochés l’un de l’autre, rouges ; le regard perçant, de grands pieds, des mains comme des serres d’oiseau de proie ; en marchant il lançait les pieds. Ses bras et ses mains étaient couverts de nombreux tatouages, entre autres l’image coloriée d’une femme autour de laquelle se trouvait inscrit le nom de « Fatima », fait digne d’être remarqué, car, chez les Arabes des troupes algériennes, le tatouage d’un portrait de femme est une marque de déshonneur, et les prostituées de ce pays ont une croix tatouée sur le corps. Son extérieur faisait l’impression d’un être d’une intelligence très inférieure.
N… fut convaincu d’avoir assassiné une femme d’un âge mûr avec laquelle il avait passé la nuit. Le cadavre avait plusieurs blessures, remarquables par leur longueur ; le ventre était ouvert, des morceaux de boyaux coupés, de même qu’un ovaire ; d’autres parties se trouvaient éparses autour du cadavre. Plusieurs des blessures avaient la forme d’une croix, et une celle d’un croissant. L’assassin avait étranglé sa victime. N… nie l’assassinat de même que tout penchant à de pareils actes. (Dr Mac-Donald, Clark University Mass.)
3o Coups et blessures, détérioration d’objets, mauvais traitements
sur des animaux, par suite de sadisme
Autriche, § 152, 411 ; Allemagne, § 223 ; Autriche, § 85, 468 ; Allemagne, § 303 ;
Ordonnance de police autrichienne ; Allemagne, Code pénal, § 300 ; mauvais
traitements sur les animaux.
À côté de l’assassinat par volupté, que nous avons traité dans le chapitre précédent, on rencontre aussi des manifestations plus atténuées des penchants sadistes, telles que les piqûres jusqu’au sang, la flagellation, la souillure des femmes, la flagellation des garçons, les mauvais traitements sur des animaux, etc. La signification lourdement dégénérative de ces cas ressort clairement des observations analysées dans le chapitre de la pathologie générale de ce livre. Les dégénérés intellectuels de ce genre, s’ils sont incapables de dompter leurs envies perverses, ne peuvent être que l’objet d’un internement dans un asile d’aliénés.
Observation 185. – X…, vingt-quatre ans, parents sains, deux frères morts de la tuberculose, une sœur souffre de crises périodiques. À l’âge de huit ans, X… éprouvait déjà une singulière sensation de volupté avec érection toutes les fois qu’à l’école il pressait son abdomen contre le banc.
Il se procura souvent ce plaisir. Plus tard masturbation mutuelle avec un camarade d’école. La première éjaculation a eu lieu à l’âge de treize ans. Au premier essai de coït qu’il fit à l’âge de dix-huit ans, il fut impuissant. Il continue l’auto-masturbation ; il est atteint d’une neurasthénie grave, après la lecture d’un ouvrage populaire qui décrivait les suites funestes de l’onanisme. Il s’améliore par l’hydrothérapie. En renouvelant un essai de coït, il est de nouveau impuissant. Retour à la masturbation. Celle-ci échoue avec le temps. Alors X… saisit des oiseaux vivants par le bec et les agite en l’air. L’aspect de l’animal torturé produit l’érection tant désirée. Aussitôt que l’animal touche avec la pointe de ses ailes le pénis, il y a éjaculation avec grande volupté. (Dr Wuchholtz, Friedreichs Blætter f. ger. Med., 1892, fasc. 6, p. 136.)
Observation 186 (Sadisme commis sur des garçons et des filles par par un idiot moral.) – K…, quatorze ans et cinq mois, tue un petit garçon d’une manière cruelle. L’enquête constate, outre deux cas d’homicide, une série de sept cas dans lesquels K… a cruellement torturé des petits garçons. Tous ces enfants avaient entre sept et dix ans. K… les attirait dans un endroit désert, les déshabillait complètement, leur liait les mains et les pieds, les attachait solidement à un objet quelconque, leur bâillonnait la bouche avec un mouchoir et les battait avec un bâton, une courroie ou un bout de corde, en donnant des coups mesurés, laissant des intervalles d’une minute entre chaque coup et « souriant » pendant ce temps, sans prononcer une seule parole. Il força en le menaçant de mort un de ces garçons de dire deux fois le Pater noster, de jurer de garder le silence et ensuite de répéter des blasphèmes qu’il lui dictait. Dans un autre fait, qui a eu lieu plus tard, il donne des coups d’épingle à la joue du garçon, joue avec les parties génitales de cet enfant et lui fait aussi des piqûres dans cet endroit du corps et autour ; il le fait coucher sur le ventre, piétine sur lui, le pique et le mord aux nates[ws 41]. Un autre garçon est mordu au nez, et reçoit plusieurs coups de couteau. La huitième de ses victimes est une petite fille qu’il attire dans le magasin de sa mère. Là il l’assaille par derrière, lui ferme la bouche d’une main tandis que de l’autre il lui coupe la gorge.
On retrouve le cadavre dans un coin, couvert de cendres et de fumier ; la tête est séparée du corps, la chair détachée des os, le corps couvert de nombreuses blessures et d’incisions. La plus grande incision, blessure béante, se trouve du côté intérieur de la cuisse gauche, traversant les parties génitales jusqu’à la cavité du ventre. Une autre incision s’étend de la fosse iliaque en sens oblique à travers l’abdomen. Les vêtements et le linge sont coupés en morceaux et déchirés.
Le cadavre de la neuvième victime avait la gorge coupée, le sang avait coulé des yeux, le cœur était transpercé de coups nombreux. Nombre de coups de couteau avaient pénétré dans la cavité du ventre. Le scrotum était ouvert, les testicules étaient coupés de même que le pénis.
K.… avait attiré le garçon de la même manière que la fille ; il lui avait coupé d’abord la gorge et ensuite porté les coups de couteau.
K…, sur les antécédents duquel on n’a aucun renseignement, fut gravement malade pendant toute la première année de sa vie ; il était alors maigre comme un squelette. Dans la deuxième année de sa vie, il se remit peu à peu, sauf qu’il se plaignait souvent de maux de tête et d’yeux, de vertiges ; il aurait été bien portant jusqu’à l’âge de onze ans, alors il eut une « maladie grave » avec délire. Parfois, les maux de tête le prenaient subitement, de telle sorte qu’il interrompait brusquement ses jeux, et qu’il n’y pouvait retourner qu’après un certain laps de temps. Quand on l’interrogeait dans ces moments, il ne répondait qu’à voix basse et lente : « Oh, ma tête ! ma tête ! »
C’était un enfant indocile, peu obéissant et réfractaire à toute éducation. Il montrait des changements brusques dans son état d’esprit, ses désirs et ses idées. À l’âge de trois ans, on le surprit un jour, au moment où il torturait, à coups de couteau un petit poulet. Il raconte des fables avec l’air d’une véracité parfaite. À l’école il dérange les autres, fait des grimaces, murmure sans cesse, est récalcitrant et manque de respect au maître. Il considère toute correction comme une injustice. Mis à l’école de correction, il se tient à l’écart des autres élèves, s’occupe de lui-même, est méfiant, détesté par ses camarades, n’a pas d’amis. Ses facultés intellectuelles sont bonnes ; on convient qu’il a une intelligence claire, de la perspicacité et une bonne mémoire. Au point de vue éthique, cependant, il se montre très défectueux. Il ne manifeste pas la moindre douleur, ni le moindre repentir de ses actes ; il n’a aucune conscience de la responsabilité. Pour sa mère seule, il a quelque chose comme une velléité de tendresse. Il n’attache aucune importance particulière à ses crimes. Il pèse froidement ses chances et se dit qu’on ne pourra pas le condamner à mort puisqu’il n’a que quatorze ans ; il sait que jusqu’ici ce n’est pas l’usage de pendre des garçons de quatorze ans, et, ajoute-t-il, ce n’est pas avec lui qu’on commencera à rompre avec la tradition. Quant au mobile de ses actes on ne peut obtenir aucune explication de K… Une fois, il prétend qu’à la suite de la lecture de récits sur les tortures que les prisonniers des Peaux-Rouges avaient à subir, il s’enquit de ces cruautés et fut poussé à les imiter. Il avait même, pour cette raison, voulu un jour s’enfuir et aller chez les Indiens de l’Amérique. Quand il se désignait une victime il avait toujours l’imagination remplie de scènes et d’actes de cruauté.
Le matin de ces jours-là, il s’était toujours réveillé avec du vertige et la tête lourde, et cela durait toute la journée.
Comme anomalies physiques, il n’y a que le volume considérable du pénis et des testicules. Le mons Veneris[ws 42] montre un système pileux complet ; toutes les parties génitales ont les proportions et le développement de celles d’un homme adulte. On ne peut trouver des symptômes indiquant l’existence de l’épilepsie. (Dr Mac-Donald, Clark University Mass.)
Observation 187 (Assassinat par sadisme.) — Homme marié, âgé de trente ans à l’époque de son dernier crime, c’est-à-dire au moment de la découverte. Il avait attiré une fille dans un clocher de l’église dont il était sacristain et l’y avait tuée. Devant les preuves et les indices, il avoua avoir commis encore un autre assassinat, analogue à celui-ci.
Les deux cadavres avaient de nombreuses blessures sur les parties molles de la tête, blessures causées par un instrument contondant, des enfoncements des os du crâne, des effusions de sang sous la dure-mère et dans le cerveau. Les deux cadavres n’avaient pas de blessures sur les autres parties du corps ; les parties génitales particulièrement étaient intactes.
Sur le linge du criminel, qui a été arrêté bientôt après le crime, on a trouvé des taches de sperme. On décrit L… comme ayant un extérieur sympathique ; il est brun, imberbe. On n’a aucun renseignement sur ses conditions héréditaires, ni sur ses antécédents, ni sur sa vita sexualis ante acta[ws 43], etc.
Il donne comme mobile : « volupté de la forme la plus cruelle et la plus abominable. » (Dr Mac-Donald, Clark University Mass.)
4o Masochisme et servitude sexuelle
Le masochisme[11] aussi, peut, dans certaines circonstances, avoir une portée médico-légale, car le droit criminel moderne ne reconnaît plus le principe du volenti non fit injuria[ws 44] et le Code pénal autrichien, actuellement en vigueur, dit expressément dans son article 4 : « Des délits sont commis aussi sur des personnes qui demandent elles-mêmes à être endommagées par l’acte du délit. »
Au point de vue psychologique et médico-légal les faits de servitude sexuelle offrent un intérêt beaucoup plus grand. Quand la sexualité est trop puissante, éventuellement captivée par un charme fétichiste et que la force morale de résistance est minime, une femme rancunière ou rapace, au pouvoir de laquelle l’homme est tombé par passion amoureuse, peut pousser son amant aux crimes les plus graves. Le cas suivant en est un exemple digne d’être retenu.
Observation 188 (Assassinat de sa propre famille par servitude sexuelle.) – N…, fabricant de savons à Catane, âgé de trente-quatre ans, autrefois de bonne réputation, a, dans la nuit du 21 décembre 1886, tué à coups de poignard sa femme, qui dormait à côté de lui, et étranglé ses deux filles, dont l’aînée avait sept ans et la cadette six semaines. N… nia d’abord, et essaya de détourner les soupçons sur un autre ; ensuite il fit des aveux complets et pria les magistrats de le faire exécuter.
N…, issu d’une famille tout à fait saine, autrefois bien portant, négociant respecté et très capable, vivant en bon ménage, se trouvait, depuis des années, sous l’influence fascinatrice d’une maîtresse qui savait l’attirer à elle, et qui le dominait entièrement.
Il a pu tenir secrets ces rapports et devant le monde et devant sa femme.
En provoquant sa jalousie et en lui déclarant qu’il ne pourrait conserver la possession de ses faveurs qu’en l’épousant, ce monstre de femme a su pousser son amant, faible de caractère et fou d’amour, à assassiner son épouse et ses enfants. Après l’acte, N… força son petit neveu à le ligoter comme si lui-même avait été victime des assassins, et il imposa le silence au petit garçon en le menaçant de le tuer. Quand les gens arrivèrent, il joua le rôle d’un père de famille malheureux et victime d’un guet-apens.
Après ses aveux, il manifesta un profond repentir. Pendant les deux années de l’instruction judiciaire et à l’audience publique, N… ne présenta jamais de symptômes de troubles mentaux.
Il ne pouvait s’expliquer que par une sorte de fascination sa passion folle pour la catin en question. Il n’a jamais eu à se plaindre de sa femme. On ne trouva aucune trace d’un instinct génital anormalement fort, ni d’une tendance perverse chez ce criminel passionnel et exceptionnel. Son repentir et sa mortification prouvaient qu’il n’était pas non plus défectueux moralement. Preuve de facultés mentales intactes. Exclusion de toute impulsion irrésistible. (Mandalari, Il Morgagni, 1890, février.)
Il va de soi que la responsabilité, dans ce cas horrible et dans beaucoup d’autres analogues, ne peut pas être contestée. Dans l’ordre actuel des choses, l’analyse plus subtile des motifs d’un acte est hors de la portée des profanes et les juristes se tiennent systématiquement à l’écart de toute psychologie en raison d’un formalisme logique. Il n’y a pas lieu de supposer que la servitude sexuelle soit appréciée par des magistrats et des jurés, d’autant moins que dans ce cas le mobile de l’acte criminel n’est pas de nature morbide et que l’intensité d’un mobile en elle-même ne saurait être prise en considération.
Toutefois on devrait, dans de pareils cas, examiner et peser s’il y a encore sensibilité aux contre-motifs moraux ou si cet élément a été éliminé, ce qui indiquerait un déséquilibrement de l’état psychique.
Sans doute, dans ces cas, il s’est produit une sorte de faiblesse morale acquise qui influe sur la responsabilité. Dans les délits d’instigation, la servitude sexuelle devrait toujours être comptée comme une raison pour l’admission des circonstances atténuantes.
5o Coups et blessures, vol à main armée, vol par fétichisme
Autriche, § 190 ; Allemagne, § 219 (vol à main armée) ;
Autriche, § 171 et 460 ; Allemagne, § 212 (vol).
Il ressort du chapitre de pathologie générale qui est consacré au fétichisme, que le fétichisme pathologique peut devenir quelquefois la cause de délits. Jusqu’ici on connaît, comme délits de ce genre : le fait de couper les nattes de cheveux (observations 78, 79, 80) ; le vol à main armée ou le simple vol de linges de femmes, mouchoirs, tabliers (observations 82, 83, 85, 86), souliers de femmes (observations 67, 87, 88), étoffes de soie (observation 93). Il n’y a pas à douter que les auteurs de ces actes soient psychiquement tarés. Mais pour pouvoir admettre le manque de libre arbitre et, par conséquent, l’irresponsabilité, il est absolument nécessaire de fournir la preuve qu’il y a une contrainte irrésistible soit dans le sens d’un acte impulsif, soit par une débilité d’esprit qui a mis l’individu dans
l’impossibilité de dompter son penchant pervers et criminel.
Toutefois, ces délits, ainsi que la forme singulière de leur exécution qui diffère sensiblement d’un vulgaire vol ou vol à main armée, exigent une enquête médico-légale. D’autre part, ils n’ont pas toujours pour cause originaire des circonstances psycho-pathologiques, ainsi que nous le montrent les cas très rares où le coupeur de nattes[12] est poussé uniquement par l’âpreté au gain.
Observation 189 (Fétichisme du mouchoir. Vols continuels de mouchoirs de femmes.) – D…, quarante-deux ans, valet de ferme, célibataire, a été envoyé par les autorités, le 1er mars 1892, à l’asile du district de Deggendorff (Bavière) pour que son état mental y soit soumis à l’observation médicale.
D… est un homme de grande taille, 1m,82, fort et gras. Le crâne est sub-microcéphale, l’expression de la figure fate. L’expression des yeux est névropathique. Les organes génitaux sont tout à fait normaux. Sauf un degré modéré de neurasthénie et d’accentuation du réflexe patellaire, on ne trouve rien d’anormal physiquement du côté du système nerveux.
En 1878, D… a été pour la première fois condamné par la Cour d’assises de Straubing à une peine d’un an et demi de prison pour avoir volé des mouchoirs.
En 1880, il vola dans la cour d’une ferme le mouchoir d’une marchande de volailles ; il fut condamné à quinze jours de prison.
En 1882, il essaya, sur la route publique, d’arracher à une fille de paysan le mouchoir que celle-ci tenait à la main. Accusé d’acte de brigandage il fut acquitté sur l’avis du médecin légiste, qui constata une débilité mentale d’un degré très avancé et un trouble morbide des fonctions intellectuelles tempore delicti[ws 45].
En 1884, la Cour d’assises le condamna à quatre ans de prison pour vol d’un mouchoir commis avec violence et dans les mêmes circonstances que le délit précédent.
En 1888 il tira, dans un marché public, un mouchoir de la poche d’une femme. Il fut condamné à quatre mois de prison.
En 1889 il fut condamné pour un délit de ce genre à neuf mois de prison.
En 1891, idem, dix mois. Pour le reste, la liste de ses condamnations fait mention encore de quelques contraventions et détentions pour port d’armes prohibées et pour vagabondage.
Tous les vols de mouchoirs avaient été sans exception commis au détriment de jeunes femmes ou de filles et, dans la plupart des cas, en plein jour, en présence d’autres personnes, et avec tant de maladresse et si peu de ménagement que le voleur fut toujours immédiatement pris et arrêté. Nulle part, dans les dossiers, on ne trouve d’indice que D… aurait jamais volé d’autres objets, même les plus insignifiants.
Le 9 décembre 1891, D… venait une fois de plus de sortir de prison. Le 14, il fut pris en flagrant délit, au moment où, dans la bousculade d’une foire, il tirait un mouchoir de la poche d’une fille de paysans.
Il fut arrêté sur place et l’on trouva sur lui encore deux mouchoirs blancs de femmes.
Lors de ses arrestations précédentes, on avait aussi trouvé sur D… des collections de mouchoirs de femmes. En 1880, on en a trouvé 32 ; en 1882, on en a trouvé 17 ; il en portait 9 autour du corps ; une autre fois 25. Lors de son arrestation en 1891, on a trouvé en le fouillant et en visitant son corps 7 mouchoirs blancs.
Dans ses interrogatoires, D… invoquait toujours comme mobile de ses vols qu’il se trouvait dans un état d’ébriété prononcée, et qu’il n’avait voulu faire qu’une plaisanterie.
Quant aux mouchoirs qu’on trouva sur lui, il prétendit les avoir en partie achetés, en partie troqués contre d’autres objets, ou les avoir reçus en cadeau des filles avec lesquelles il avait eu des rapports.
Pendant la période d’observation D… paraît intellectuellement très borné, en même temps qu’il y a chez lui une déchéance due au vagabondage, à l’ivrognerie et à la masturbation : mais au fond il est de bon caractère, docile et pas du tout réfractaire au travail.
Il ne sait rien de ses parents ; il a grandi sans aucune éducation ni aucune surveillance ; étant enfant, il subvenait à sa vie en mendiant ; à l’âge de treize ans, il est devenu valet d’écurie et, à l’âge de quatorze ans, on abusa de lui pour des actes de pédérastie. Il affirme avoir senti son instinct génital très tôt et d’une manière puissante ; il a commencé très tôt à faire le coït et il pratiquait en outre la masturbation. À l’âge de quinze ans, un cocher lui apprit qu’on pourrait se procurer un grand plaisir avec des mouchoirs de jeunes femmes en se les appliquant ad genitalia[ws 46]. Il essaya et trouva que le dire du cocher s’était pleinement confirmé ; à partir de ce moment il essaya par tous les moyens de se procurer de ces mouchoirs. Son penchant devenait si puissant qu’aussitôt qu’il apercevait une femme qui lui était sympathique et qui tenait un mouchoir à la main ou assez visiblement dans sa poche, il était, en sentant une violente émotion sexuelle, saisi par l’impulsion de se presser contre cette personne et de lui voler son mouchoir.
À jeun il lui était presque toujours possible de résister à ce penchant, par la crainte d’encourir une condamnation. Mais, quand il avait bu, sa force de résistance disparaissait. Déjà pendant son service militaire, il s’était fait donner des mouchoirs par des jeunes filles ou des femmes qui lui plaisaient et il les avait troqués contre d’autres après s’en être servi pendant quelque temps.
Quand il passait la nuit chez une fille, il échangeait toujours son mouchoir avec elle. À plusieurs reprises il avait acheté des mouchoirs pour les échanger chez des femmes.
Tant que les mouchoirs étaient neufs et n’avaient pas encore servi, ils ne produisaient sur lui aucun effet. Ils ne l’excitaient sexuellement qu’après qu’ils avaient été portés par des filles.
Il ressort du dossier de son procès que souvent, pour mettre des mouchoirs neufs en contact avec des femmes, il en avait à plusieurs reprises mis sur le chemin où des femmes devaient passer et avait essayé de les forcer à marcher dessus. Une fois il assaillit une fille, lui pressa son mouchoir sur le cou et se sauva ensuite.
Quand il était en possession d’un mouchoir qui avait été touché par une femme, il se produisait chez lui de l’érection et de l’orgasme. Il passait alors le mouchoir ad corpus nudum[ws 47], de préférence ad genitalia, et obtenait alors une éjaculation satisfaisante.
Il n’a jamais demandé le coït aux femmes ; d’une part parce qu’il « craignait un refus, mais surtout parce qu’il aimait mieux le mouchoir que la femme ».
D… ne fait ces aveux qu’avec beaucoup de réticences et par petits morceaux. Plusieurs fois il se met à pleurer et déclare qu’il ne veut pas continuer à parler, parce que cela le fait rougir. Ce n’est pas un voleur ; il n’a jamais volé, pas même pour la valeur d’un sou, même quand il se trouvait dans la plus grande misère. Il n’a jamais pu se décider à vendre les mouchoirs.
Il affirme avec un accent très sincère et parti du cœur : « Je ne suis pas méchant garçon. Seulement quand je fais de ces bêtises-là, je suis tout sens dessus dessous. »
L’excellent rapport fait par l’administration de l’asile appuie sur le fait que les délits ont été commis sous l’influence d’une impulsion morbide et irrésistible qui repose sur la prédisposition anormale du sujet ; il constate aussi une débilité mentale peu prononcée. Acquittement sur l’accusation de vol.
6o Débauche avec des individus de moins de quatorze ans.
Outrage (autriche)
Code autrichien, § 128, 132 ; Projet autrichien, § 189, 191 ;
Code allemand, § 114, 176.
Par débauche (souillure, outrage) avec des individus non encore mûrs sexuellement, le législateur comprend toutes sortes d’actes d’impudicité commis sur des personnes au-dessous de quatorze ans, et qu’on ne peut pas qualifier comme des viols. L’expression « débauche », dans le sens juridique du mot, réunit toutes les aberrations désolantes et toutes les plus grandes abominations dont un homme embrasé par la volupté, d’une morale faible et souvent aussi d’une
puissance sexuelle faible, est seul capable.
Un caractère commun à ces délits de mœurs commis sur des individus qui appartiennent plus ou moins encore à l’enfance, c’est leur manque de virilité, leur caractère de friponnerie et souvent d’ineptie. En effet, à part les êtres pathologiques, représentés par les imbéciles paralytiques[ws 48], et les individus tombés dans l’imbécillité sénile, ce genre de délits est commis presque exclusivement par des gens très jeunes qui n’ont pas encore confiance dans leur courage et leur puissance, ou par des débauchés qui sont devenus plus ou moins impuissants. Il est absolument inimaginable qu’un adulte, en pleine possession de sa puissance sexuelle et de ses facultés mentales, puisse trouver plaisir à la débauche avec des enfants.
L’imagination du débauché, dans la mise en scène active ou passive des actes d’impudicité, est excessivement féconde, et l’on peut se demander si, par l’énumération suivante des actes parvenus jusqu’ici à la connaissance des hommes de loi, on ait épuisé tous les cas possibles capables de se produire dans ce domaine.
Dans la plupart des cas, l’impudicité consiste en attouchements voluptueux (selon les circonstances, flagellation[13]), manustupration active, entraînement des enfants à la débauche en se servant d’eux pour la masturbation ou pour l’attouchement voluptueux.
Parmi les délits plus rares sont le cunnilingus, irrumare[ws 49] sur des garçons ou des filles, pædicatio puellarum[ws 50], coitus inter femora[ws 51], exhibition.
Dans un cas rapporté par Maschka (Handb., III, p. 174), un jeune homme fit danser dans sa chambre des petites filles nues, de huit à douze ans, il les fit sauter, uriner devant lui jusqu’à ce qu’il en eût de l’éjaculation.
L’abus des garçons par des femmes voluptueuses n’est pas rare non plus ; ces femmes procèdent avec les enfants à une conjunctio membrorum[ws 52] pour se satisfaire par la friction, ou bien elles cherchent à se procurer de la satisfaction en se faisant masturber[14].
Un des exemples les plus abominables a été observé par Tardieu. Des servantes, d’accord avec leurs amants, ont masturbé des enfants qui leur avaient été confiés, ont fait le cunnilingus avec une fille de sept ans, lui ont introduit des carottes et des pommes de terre in vaginam et aussi dans l’anus d’un garçon de deux ans.
Observation 190. – L…, soixante-deux ans, lourdement taré, masturbateur, prétend n’avoir jamais fait le coït, mais avoir souvent pratiqué la fellatio. Il est à l’asile d’aliénés pour paranoia. Son plus grand plaisir était d’attirer chez lui des filles de dix à quatorze ans et de pratiquer sur elles le cunnilingus et d’autres horreurs. Il éjaculait alors avec orgasme.
La masturbation ne lui procurait pas une satisfaction aussi grande et ne lui donnait de l’éjaculation que fort difficilement. Faute de mieux il était aussi fellator virorum[ws 53] et occasionnellement exhibitionniste. Phimosis. Crâne asymétrique. (Pélanda, Arch. di Psichiatria, X, fascic. 3.)
Observation 191. – X…, prêtre, quarante ans, fut accusé d’avoir attiré à lui des filles de dix à treize ans, de les avoir déshabillées, d’avoir fait sur elles des attouchements voluptueux et de s’être, après ces procédés, finalement masturbé.
Il est taré, onaniste dès son enfance, imbécile moralement ; de tout temps il fut sexuellement très excitable. Le crâne est un peu petit. Pénis d’une grandeur extraordinaire ; symptômes d’hypospadias. (Idem.)
Observation 192. – K…, vingt-trois ans, joueur d’orgue de Barbarie, est accusé et convaincu d’avoir à plusieurs reprises attiré des garçons, parfois aussi des petites filles, et d’avoir, dans un lieu écarté, pratiqué avec ces enfants des actes d’impudicité (masturbation mutuelle, fellatio puerorum[ws 54], attouchements des parties génitales des petites filles).
K… est un imbécile ; il est aussi rabougri au physique, il a à peine 1m,5 de taille ; crâne rachitique, hydrocéphale, avec des dents écartées l’une de l’autre, défectueuses, irrégulières.
Des lèvres épaisses, une mine abêtie, un langage bègue, des attitudes maladroites complètent l’image de la dégénérescence physique et intellectuelle. K… se comporte comme un enfant qui a été surpris pour une gaminerie.
Barbe à peine perceptible. Parties génitales bien et normalement développées.
Il a une idée vague d’avoir commis quelque chose d’inconvenant, mais il ne se rend pas compte de la portée morale, sociale et judiciaire de ses actes.
K… est né d’un père adonné à l’ivrognerie et d’une mère qui est devenue folle par suite des mauvais traitements qu’elle dut subir de la part de son mari ; elle est morte à l’asile d’aliénés.
Dans les premières années de sa vie, K… devint presque complètement aveugle à la suite d’abcès de la cornée ; à partir de l’âge de six ans, il fut mis chez une femme subventionnée par l’Assistance publique ; devenu plus grand, il gagnait pauvrement sa vie comme joueur d’orgue de Barbarie.
Son frère est un vaurien ; lui-même passait pour un homme grincheux, querelleur, méchant, capricieux et irritable.
Le rapport releva particulièrement l’arrêt de développement intellectuel, moral et physique de l’inculpé.
Malheureusement, il faut convenir que les plus abominables de ces délits de mœurs sont précisément commis par des personnes saines d’esprit, qui, trop rassasiées des plaisirs sexuels, ou par lubricité et brutalité, souvent aussi pendant l’ivresse, oublient à ce point leur dignité d’hommes.
Mais une grande partie de ces faits procèdent d’un fondement morbide. C’est surtout le cas chez les vieillards[15] qui deviennent séducteurs de la jeunesse.
Je me rallie absolument à l’avis de Kirn qui, pour ces cas, croit dans toute circonstance une exploratio mentalis nécessaire ; car souvent on peut établir le réveil d’un instinct génital pervers d’une violence morbide et indomptable, réveil d’instinct qui peut être le phénomène partiel d’une dementia senilis.
7o Immoralité contre nature (sodomie[16])
Code autrichien, § 129, Projet, § 190 ; code allemand, § 175.
La bestialité, quelque monstrueuse et répugnante qu’elle puisse paraître à tout homme honnête, ne tire pas toujours non plus son origine de conditions psycho-pathologiques. Une moralité tombée à un niveau très bas, une forte impulsion sexuelle qui se butte à des obstacles pour la satisfaction naturelle, sont peut-être les principales raisons de cette satisfaction contre nature qu’on rencontre aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
Nous savons par Polak qu’en Perse elle tire souvent son origine de l’idée fixe qu’on peut, par l’acte sodomique, se débarrasser de la gonorrhée ; de même qu’en Europe, cette croyance est encore très répandue qu’on peut, en faisant le coït avec une petite fille, se guérir du mal vénérien.
L’expérience nous a montré que la bestialité n’est pas un fait rare dans les étables de vaches et les écuries de chevaux. À l’occasion, un individu peut s’en prendre aussi aux chèvres, aux chiennes, et même aux poules, comme nous l’apprennent un cas rapporté par Tardieu et un autre par Schauenstein (Lehrb., p. 125).
On connaît l’ordre donné par Frédéric le Grand au sujet d’un cavalier qui avait sodomisé une jument : « Ce gaillard est un cochon, il faut le mettre dans un régiment d’infanterie. »
Les rapports des individus féminins avec des animaux se bornent aux relations avec des chiens. Un exemple monstrueux de la dépravation morale dans les grandes villes, est le cas rapporté par Maschka (Handb. III) d’une femme qui, à Paris, en petit comité, contre une entrée payée, se montrait devant des débauchés et se laissait couvrir par un bulldogue dressé à cette fonction !
Les tribunaux jusqu’ici n’ont pas prêté attention à l’état mental des sodomistes et n’en ont guère tenu compte.
Dans plusieurs cas, parvenus à la connaissance de l’auteur, il s’agissait de gens débiles d’esprit.
Le sodomiste de Schauenstein aussi était un aliéné. Le cas de bestialité suivant est évidemment dû à des conditions morbides. Il s’agit d’un épileptique. Le penchant sexuel pour les animaux apparaît ici comme un équivalent de l’instinct génital normal.
Observation 193. – X…, paysan, quarante ans, grec orthodoxe. Le père et la mère étaient de forts buveurs. À partir de l’âge de cinq ans, le malade a eu des accès épileptiques : il tombe par terre et perd conscience ; il reste immobile pendant deux ou trois minutes ; alors il se relève et se met à courir sans savoir où, les yeux grands ouverts. À l’âge de dix-sept ans, réveil de l’instinct génital. Le malade n’a de penchants sexuels ni pour les femmes, ni pour les hommes, mais bien pour les animaux (oiseaux, chevaux, etc.). Il fait le coït avec des poules, des canards, plus tard avec des chevaux, des vaches. Ne s’est jamais masturbé.
Le malade est peintre d’images religieuses, très borné d’esprit. Depuis des années, paranoïa religieuse avec états d’extase. Il a un amour « inexplicable » pour la Sainte Vierge, pour laquelle il donnerait sa vie. Reçu à la clinique, le malade ne présente pas de tares organiques ni de stigmates de dégénérescence anatomique.
Il a eu de tout temps de l’aversion pour les femmes. Ayant essayé une fois le coït avec une femme, il resta impuissant ; en présence des animaux il est toujours puissant. Vis-à-vis des femmes il est toujours pudique. Le coït avec des femmes lui semble presque comme un péché. (Kowalewsky, Jahrb. f. Psychiatrie, VII, fascic. 3.)
Observation 194. – Le 23 septembre 1889, à midi, l’apprenti cordonnier W…, âgé de seize ans, attrapa dans le jardin d’un voisin une oie et fit sur cet animal des actes de bestialité, jusqu’à l’arrivée du voisin. À ses reproches il répondit : « Eh bien ! est-ce que l’oie en est malade ? » et il s’éloigna sur cette réponse. À l’interrogatoire devant le juge, il avoua le fait, mais il s’excusa en alléguant une absence d’esprit temporaire. Depuis une grave maladie qu’il a eue à l’âge de douze ans, il a plusieurs fois par mois des accès accompagnés de chaleurs à la tête ; alors il est très excité sexuellement, ne sait comment se soulager ni ce qu’il fait. C’est dans un de ces accès qu’il a commis l’acte. Il se défendit de la même façon à l’audience publique et prétendit n’avoir appris les species facti[ws 55] que par les assertions du voisin. Le père déclare que W… est originaire d’une famille saine, mais que, depuis qu’il a eu, à l’âge de cinq ans, la scarlatine, il a toujours été maladif et que, à l’âge de douze ans, il a eu une maladie cérébrale avec fièvre. W… avait de bons antécédents ; il avait bien appris à l’école et plus tard avait aidé son père dans les travaux de son métier. Il n’était pas adonné à la masturbation.
L’examen médical n’a amené la constatation d’aucune défectuosité morale ou intellectuelle. L’examen du corps a permis de constater que les parties génitales étaient normales. Pénis relativement très développé, augmentation considérable du réflexe du tendon du genou. Pour le reste, constatations négatives.
Il a été établi que l’amnésie tempore delicti[ws 56] n’a pas existé. On n’a pu constater des accès de troubles mentaux à une époque antérieure, et on n’a rien remarqué pendant la période d’observation qui a duré six semaines. Il n’y avait pas de perversion de la vita sexualis. Le rapport médical admit la possibilité d’états organiques provenant d’une maladie du cerveau (fluxion à la tête) ayant pu exercer une influence sur la perpétration de l’acte incriminé. (Puisé dans un rapport médical de M. le docteur Fritsch, à Vienne.)
Observation 195 (Sodomie impulsive.) – A…, seize ans, garçon jardinier ; enfant illégitime ; père inconnu ; mère lourdement tarée, hystéro-épileptique. A… a le crâne et la face difformes, asymétriques ; il en est de même du squelette. Il est de petite taille ; masturbateur depuis son enfance ; toujours morose, apathique, aimant la solitude, très irascible. Ses passions réagissaient d’une façon pour ainsi dire pathologique. C’est un imbécile ; au physique, il a beaucoup dépéri, probablement par suite de la masturbation ; il est neurasthénique. De plus, il présente des symptômes hystéropathiques (diminution du champ visuel, dyschromatopsie, diminution du sens olfactif et du sens auditif du côté droit, anaesthesia testiculi dextr.[ws 57]).
A… est convaincu d’avoir en partie masturbé, en partie sodomisé des chiens et des lapins. À l’âge de douze ans, il a vu des garçons masturber un chien. Il les imita et ne put, par la suite, s’empêcher de tourmenter de cette façon abominable les chiens, les chats et les lapins qu’il rencontrait. Il sodomisait beaucoup plus fréquemment des lapins femelles, les seuls animaux qui avaient quelque charme pour lui. La nuit tombante, il allait à l’étable à lapins de son maître pour assouvir son horrible passion. On a plusieurs fois trouvé des lapins avec le rectum déchiré. Ses actes de bestialité avaient toujours lieu de la même façon. Il s’agissait de véritables accès qui se produisaient périodiquement, environ toutes les huit semaines, le soir, et toujours avec les mêmes symptômes. A… éprouvait d’abord un grand malaise, une sensation de coups de marteau tombant sur sa tête. Il lui semblait qu’il perdait la raison. Il luttait contre l’idée obsédante qui surgissait et le poussait à sodomiser des lapins, il éprouvait une angoisse croissante et une augmentation des maux de tête au point de ne pouvoir plus les supporter. Arrivé au plus haut degré de cet état, il avait des bourdonnements, une sueur froide lui perlait à la peau, les genoux tremblaient, enfin toute force de résistance s’évanouissait, et il y avait exécution impulsive de l’acte.
L’acte consommé, il est délivré de son angoisse. La crise nerveuse disparaît, il reprend son empire sur lui-même, éprouve une honte profonde de ce qui vient de se passer et redoute le retour de cet état. A… affirme que si, dans cette situation, on le plaçait dans l’alternative de choisir entre une femme et une lapine, il ne pourrait se décider que pour cette dernière. Dans les intervalles aussi, parmi les animaux domestiques, ce sont les lapins seuls qui lui plaisent. Dans ses états d’exception, il lui suffit, pour avoir une satisfaction sexuelle, de presser, d’embrasser, etc., le lapin ; mais parfois il tombe dans une telle furor sexualis qu’il lui faut impétueusement sodomiser l’animal.
Ces actes de bestialité, sont les seuls qui puissent le satisfaire sexuellement et c’est pour lui la seule forme possible d’activité sexuelle. A… affirme qu’il n’a jamais eu de sensations voluptueuses ; la satisfaction consiste seulement en ce que, par ce moyen, il se délivre de la situation pénible que lui crée une contrainte impulsive.
L’examen médical a pu facilement démontrer que ce monstre était un dégénéré psychique, un malade privé de son libre arbitre, mais non un criminel. (Boeteau, la France médicale, 38e année, no 38.)
Le cas suivant ne paraît pas être de nature psycho-pathologique.
Observation 196 (Sodomie.) – Dans une ville de province, un homme de classe supérieure, âgé de trente ans, a été surpris en rapport sodomique avec une poule. Depuis longtemps, on recherchait le malfaiteur, car les poules de la maison dépérissaient l’une après l’autre.
Le président du tribunal demanda à l’accusé comment il avait pu s’aviser de commettre une action aussi dégoûtante ; il se défendit en invoquant la petitesse de ses parties génitales qui lui rendait impossible tout rapport avec des femmes. L’examen médical a, en effet, constaté une exiguïté extraordinaire des parties génitales. Cet individu était tout à fait normal au point de vue intellectuel.
Pas de renseignements ni sur les tares éventuelles, ni sur l’époque du réveil de l’instinct génital, etc. (Gyurkovechky, Männl. Impotenz, 1889, p. 82)
b) Actes d’impudicité avec des personnes de même sexe (Pédérastie. Sodomia sensu strictori[ws 58])
Le Code allemand ne connaît que l’acte d’impudicité entre des personnes masculines. La loi autrichienne va plus loin et vise les actes de ce genre commis entre personnes appartenant au même sexe ; par conséquent, l’impudicité entre femmes peut aussi tomber sous le coup de la loi.
Parmi les actes immoraux commis entre individus masculins, la pédérastie (immissio penis in anum[ws 59]) tient le premier rang comme intérêt. La législation a évidemment pensé exclusivement à ce genre de perversité des actes sexuels ; d’après les développements des commentateurs les plus autorisés du Code (Oppenhoff, Stgsb, Berlin, 1872, p. 324 et Rudolf et Stenglein, D. Strafgesb f. das Deutsche Reich, 1881, p. 423), l’immissio penis in corpus vivum[ws 60] est un fait requis pour pouvoir établir le crime prévu dans l’article 175.
D’après cette manière de voir, il n’y a pas lieu de poursuivre les autres actes d’impudicité commis entre hommes, à moins que ces actes ne soient compliqués d’une offense publique à la pudeur, ou de l’emploi de la violence, ou du fait qu’ils ont été accomplis sur des garçons au-dessous de quatorze ans. On est revenu ces temps derniers sur cette manière de voir, et on considère que le fait de délit contre nature entre individus de sexe masculin existe quand même il n’y aurait que des actes similaires du coït[18].
Les études sur l’inversion sexuelle ont mis l’amour homosexuel entre hommes sous un jour tout autre que celui sous lequel se présentaient les délits de mœurs dus à l’inversion, et particulièrement la pédérastie, à l’époque où l’on a élaboré les Codes. Le fait que beaucoup de cas d’inversion sexuelle sont causés par un état psychopathologique, permet d’admettre sans aucun doute que la pédérastie aussi peut être l’acte d’un irresponsable, et c’est pour cette raison qu’on devrait dorénavant, in foro[ws 61], apprécier non seulement l’acte en lui-même mais aussi tenir compte de l’état mental de l’accusé.
Les idées données au début de ce chapitre peuvent servir ici de
règles. Ce n’est pas l’acte, mais seulement le jugement sur l’état
anthropologico-clinique de l’auteur qui doit trancher la question
de savoir s’il y a perversité criminelle ou perversion morbide de
l’esprit et de l’instinct qui, dans certaines circonstances, pourrait
exclure toute condamnation.
La première question in foro[ws 62] doit être posée dans ce sens : le penchant sexuel pour les personnes de son propre sexe est-il congénital ou acquis ? Et, dans ce dernier cas, il faut examiner si cette tendance représente une perversion morbide ou seulement une aberration morale (perversité).
L’inversion sexuelle congénitale ne se rencontre que chez des individus doués d’une prédisposition morbide (tarés), comme phénomène partiel d’une tare caractérisée par des anomalies anatomiques ou fonctionnelles ou par des anomalies de ces deux genres à la fois. Le cas se dessinera d’autant plus nettement, et le diagnostic sera d’autant plus sûr, que le caractère et la totalité des sentiments de l’individu paraîtront peu conformes à sa singularité sexuelle ; qu’il y aura chez lui absence complète d’affection pour l’autre sexe ou même horror[ws 63] pour les rapports hétérosexuels ; que cet individu présentera encore dans son impulsion à satisfaire son inversion sexuelle des symptômes d’autres anomalies de la vie sexuelle ainsi qu’une dégénérescence profonde caractérisée par la périodicité de l’impulsion et des actes impulsifs, qu’enfin ce sera un névropathe et un psychopathe.
L’autre question concerne l’état mental de l’uraniste. Si cet état est tel que les conditions de la responsabilité manquent absolument, le pédéraste n’est pas un criminel, mais un aliéné irresponsable.
Ce cas est plus rare chez les uranistes congénitaux. Ordinairement ils présentent tout au plus des troubles psychiques élémentaires qui ne suppriment pas la responsabilité en elle-même
Malgré cela, la question médico-légale de la responsabilité de l’uraniste n’est pas encore tranchée. L’instinct génital est un des besoins organiques les plus puissants. Aucune législation ne trouve répréhensible en elle-même la satisfaction sexuelle en dehors du mariage ; si l’uraniste a un sentiment pervers, ce n’est pas sa faute, mais celle d’une prédisposition anormale. Son désir sexuel peut être très répugnant au point de vue esthétique ; mais, envisagé au point de vue morbide de l’uraniste, c’est un désir naturel. Au surplus, chez la majorité de ces malheureux, l’instinct sexuel pervers se manifeste avec une force anormale, et leur conscience ne considère pas leur
instinct pervers comme une tendance contre nature. Ils n’ont donc point de contrepoids moraux et esthétiques pour contrebalancer leur impulsion.
Bien des hommes d’une constitution normale sont capables de renoncer à la satisfaction de leur libido sans être atteints dans leur santé par cette abstinence forcée. Beaucoup de névropathes – et les uranistes le sont tous – deviennent malades, quand ils ne peuvent satisfaire leur instinct naturel ou quand cette satisfaction a lieu d’une manière qu’ils considèrent comme perverse.
La plupart des uranistes se trouvent dans une situation pénible. D’un côté, ils ont un penchant anormalement fort pour leur propre sexe, penchant qu’ils sentent comme une loi naturelle et dont la satisfaction leur paraît bienfaisante ; d’autre part, il y a l’opinion publique qui flétrit leurs procédés, et la loi qui les menace de condamnations infamantes. D’un côté, des états d’âme tourmentants pouvant aller jusqu’à l’hypocondrie et au suicide, ou au moins conduire à des maladies de nerfs ; de l’autre côté, la honte, la perte de leur position sociale, etc. On ne peut contester que cette malheureuse prédisposition morbide crée des cas de contrainte et de force majeure. La société et la loi devraient tenir compte de ces faits : la première, en plaignant ces malheureux au lieu de les mépriser ; la dernière, en ne les punissant pas, tant qu’ils restent dans les limites tracées en général pour la manifestation de l’instinct génital.
Comme confirmation de ces vues et de ces réclamations en faveur de ces enfants mal partagés de la nature, nous nous permettons de reproduire ici un mémoire adressé par un uraniste à l’auteur de ce livre ; celui qui a écrit les lignes suivantes est un personnage qui occupe une haute position sociale à Londres.
Vous n’avez pas une idée des luttes terribles et continuelles que nous tous, surtout les penseurs et les délicats, avons à soutenir encore aujourd’hui, et combien nous avons à souffrir de l’opinion erronée et presque générale sur notre compte et sur notre prétendue « immoralité ».
Votre opinion que ce phénomène doit, dans la plupart des cas, être attribué à une prédisposition morbide congénitale comme cause originaire, pourra peut-être vaincre bientôt les préjugés existants et éveiller de la compassion pour nous autres « malades », en place de l’horreur et du mépris dont nous sommes encore l’objet.
Quelque profondément que je sois convaincu que l’idée que vous défendez est pour nous très avantageuse, je ne puis, dans l’intérêt de la science, accepter sans réserve le mot « morbide », et je me permettrai de vous donner à ce sujet encore quelques explications.
Le phénomène est en tout cas anormal ; mais le terme « morbide » a encore une autre signification que je ne trouve pas exacte, du moins dans les nombreux cas que j’ai eu l’occasion d’observer personnellement. Je conviens a priori que, chez les uranistes, les cas de troubles mentaux, de surexcitation nerveuse, etc., peuvent être constatés dans une proportion beaucoup plus considérable que chez les individus normaux. Cette nervosité aiguë est-elle en connexité nécessaire avec la nature de l’uranisme ou ne doit-elle pas, dans la plupart des cas, être attribuée à ce que l’uraniste, par suite de la législation actuelle et des préjugés sociaux, ne peut arriver, comme les autres hommes, à satisfaire, d’une manière simple et aisée, ses penchants sexuels ou génitaux.
Le jeune uraniste, dès qu’il sent les premières émotions sexuelles et qu’il en fait naïvement part à ses camarades, s’aperçoit bientôt que les autres ne le comprennent pas. Il se replie donc sur lui-même. Confie-t-il à son professeur ou à ses parents ce qui l’émeut, on lui représente comme criminel ce mouvement qui lui paraît aussi naturel que la natation pour le poisson : et on lui dit qu’il faut combattre et supprimer à tout prix ce penchant. Voilà que commence une lutte intérieure, une suppression violente de l’instinct sexuel ; et plus on en supprime la satisfaction naturelle, plus l’imagination s’échauffe et travaille, plus elle fait surgir, comme par enchantement, précisément ces images qu’on voudrait bannir. Plus le caractère qui soutient ce combat est énergique, plus le système nerveux doit fatalement en souffrir. C’est, à mon avis, cette suppression violente d’un instinct si profondément enraciné chez nous, qui développe les symptômes morbides que nous pouvons observer chez beaucoup d’uranistes, mais ces symptômes ne sont pas nécessairement en connexité avec les prédispositions uranistes.
Les uns continuent pendant une période plus ou moins longue ce combat intérieur, sans trêve, et finissent par s’user complètement ; les autres arrivent finalement à la conviction que cet instinct puissant qui leur est congénital ne peut pas être un péché ; ils cessent de tenter l’impossible, c’est-à-dire la suppression de leur penchant. Mais alors commence en réalité une série de souffrances et d’excitations permanentes. Le Dioning[ws 64], quand il cherche la satisfaction de son instinct génital, sait toujours la trouver facilement ; tel n’est pas le cas de l’Urning[ws 65]. Il voit des hommes qui le charment, mais il ne lui est pas permis d’en rien dire, pas même de laisser voir ce qui l’émeut. Il croit que lui seul au monde a ces sentiments anormaux. Naturellement, il recherche la compagnie des jeunes gens, mais il n’ose pas se confier à eux. Ainsi il est amené à se procurer une compensation de la satisfaction qu’il ne peut pas obtenir. L’onanisme est pratiqué sur une vaste échelle, et toutes les conséquences de ce vice se font bientôt sentir. Si alors, après un certain laps de temps, il se produit un délabrement du système nerveux, le phénomène morbide n’est pas occasionné par l’uranisme même, mais il a pris naissance parce que, par suite de l’opinion régnante à notre époque, l’uraniste n’a pu trouver la satisfaction sexuelle qui lui est normale et naturelle, et que, par conséquent, il a dû tomber dans l’onanisme.
Admettons que l’uraniste a eu la chance rare de rencontrer une âme qui sente comme lui, ou qu’il a été renseigné par un ami expérimenté sur les choses du monde uraniste ; bien des combats intérieurs lui sont épargnés, mais une longue série de soucis troublants, de craintes, suit tous ses pas. Il sait maintenant qu’il n’est plus le seul au monde qui ait ces sentiments anormaux ; il ouvre les yeux, et il est étonné de trouver tant de compagnons dans toutes les couches sociales et dans toutes les professions ; il apprend que, de même que chez les Dioning, il y a aussi chez les uranistes une prostitution, et qu’on peut avoir des hommes vénaux, de même qu’on achète des filles. L’occasion de satisfaire l’instinct sexuel ne fait donc plus défaut. Et pourtant, combien différent est ici le cours des choses, comparé à ce qui se passe chez les Dioning !
Prenons le cas le plus heureux. L’ami de même tendance après lequel on a langui toute sa vie, est trouvé. Mais il n’est pas permis de se livrer franchement à lui comme le jeune homme s’abandonne à la fille qu’il aime. Au milieu d’une angoisse continuelle, tous deux doivent cacher leur liaison, même une trop grande intimité qui pourrait facilement éveiller les soupçons doit rester cachée devant le monde, surtout si tous les deux ne sont pas de même âge ou s’ils n’appartiennent pas à la même classe sociale. Ainsi commence, avec la liaison même, une série d’agitations ; la crainte que leur secret peut être trahi ou deviné, ne permet pas au malheureux de jouir en toute gaieté de cœur. Un incident insignifiant pour tout autre le fait trembler, car il craint que les soupçons soient éveillés, son secret percé à jour, ce qui compromettrait complètement sa position sociale et lui ferait perdre son poste et son métier. Cette agitation continuelle, ces craintes et ces soucis permanents, ne laisseraient-ils aucune trace et ne retentiraient-ils pas sur tout le système nerveux ?
Un autre, moins heureux, n’a pas trouvé l’ami de sentiments similaires, mais il est tombé entre les mains d’un beau jeune homme qui d’abord a été complaisant pour lui jusqu’à ce qu’il ait pu surprendre les secrets les plus intimes de l’uraniste. Alors il se met à pratiquer le chantage le plus raffiné. La malheureuse victime, placée entre l’alternative de payer ou de se rendre impossible dans la société, de perdre une situation respectée, de se voir couvert de honte, lui et sa famille, paient ; et plus il paie, plus devient avide le vampire qui le suce jusqu’à ce que finalement le pauvre jeune homme n’ait plus le choix qu’entre la ruine matérielle ou le déshonneur. Qui s’étonnera que les nerfs ne soient pas toujours assez forts pour tenir tête à cette lutte terrible ? Chez les uns, les nerfs succombent complètement, le trouble mental se produit, et le malheureux trouve enfin dans une maison de santé le repos qu’il n’avait pu trouver dans la vie. Un autre, poussé au désespoir, met fin par le suicide à cet état insupportable. Combien de suicides mystérieux de jeunes gens doivent être attribués à cette circonstance ! Voilà ce qu’on ne peut même s’imaginer !
Je ne crois pas me tromper en affirmant que, au moins la moitié des suicides de jeunes gens doivent être ramenés à de pareilles causes. Même dans les cas, où il n’y a pas un maître-chanteur inexorable qui poursuit l’uraniste, mais seulement une liaison entre les deux hommes, liaison qui en soi-même suit un cours satisfaisant, la découverte ou seulement la crainte de la divulgation pousse souvent au suicide. Que d’officiers qui avaient une liaison avec un de leurs subordonnés, que de soldats qui en entretenaient une avec un camarade, ont, au moment où ils se croyaient découverts, essayé d’échapper à la honte en se logeant une balle dans la tête ! Il en est de même dans toutes les professions.
Si donc, en réalité, il faut convenir qu’on observe chez les uranistes plus d’anomalies intellectuelles et peut-être aussi des troubles mentaux en plus grand nombre, cela ne prouve pas encore que ces dérangements intellectuels soient fatalement en connexité avec l’uranisme et que l’un suppose l’autre. Ma ferme conviction est que, dans l’immense majorité, les cas de troubles mentaux qu’on a observés chez les uranistes, que leurs prédispositions morbides, ne doivent pas être mis sur le compte de leur anomalie sexuelle, mais qu’ils ont été provoqués par l’opinion erronée actuellement régnante sur l’uranisme et par la législation existante.
Celui qui n’a qu’une idée approximative de la somme de souffrances morales et intellectuelles, des craintes et des soucis qu’un uraniste doit supporter, des hypocrisies et des cachoteries continuelles dont il est obligé de faire usage pour dissimuler son penchant, des difficultés immenses qui s’opposent à la satisfaction naturelle de son instinct sexuel, celui-là ne peut que s’étonner qu’il n’y ait pas encore plus de troubles mentaux et de maladies nerveuses parmi eux. La plus grande partie de ces états morbides n’arriveraient certainement pas à se développer, si l’uraniste, à l’exemple du Dioning, pouvait trouver d’une manière simple et aisée une satisfaction sexuelle, s’il n’était plus exposé à la torture de ses craintes éternelles.
De lege lata[ws 66] on devrait avoir des ménagements pour l’uraniste en tant que le paragraphe en question n’est interprété que dans le sens d’une pédérastie effective et qu’il faut tenir compte et de l’anomalie psychico-somatique établie par une expertise exacte et de l’examen individuel de la question de culpabilité.
De lege ferenda[ws 67] les uranistes désirent avant tout la suppression de ce paragraphe. La législateur n’y consentira pas facilement, car il pense que la pédérastie est plus souvent un vice abominable que la suite d’une infirmité physique et mentale, que beaucoup d’uranistes, bien que contraints à pratiquer des actes sexuels sur des personnes de leur propre sexe, ne sont nullement forcés de se livrer à la vraie pédérastie, acte sexuel que l’on a considéré de tout temps comme cynique et dégoûtant et même nuisible, quand elle est passive. Mais le législateur de l’avenir devrait cependant mûrement peser si, pour des raisons d’utilité (difficultés d’établir la culpabilité, prétextes aux chantages les plus vils, etc.), il ne serait pas opportun de supprimer dans les Codes les poursuites judiciaires contre l’amour entre hommes.
Les raisons que j’invoque moi-même pour la suppression de ce paragraphe du Code sont les suivantes :
1o Les délits prévus dans la législation prennent d’habitude leur origine dans une prédisposition morbide de l’âme.
2o Seul un examen médical très minutieux peut différencier les cas de simple perversité de ceux de perversion morbide. Mais du moment où l’on requiert judiciairement contre l’individu, celui-ci est déjà perdu au point de vue social.
3o La plupart de ces uranistes sont non seulement atteints de perversion, mais ont encore le malheur d’avoir un instinct développé avec une vigueur anormale. En cédant à leur instinct génital, ils se trouvent donc directement sous le coup d’une contrainte physique.
4o Pour beaucoup d’entre eux, ce genre de satisfaction ne paraît nullement contre nature ; au contraire, pour eux, c’est la façon naturelle, et celle qui est admise par la loi, qui est contre nature. Ils manquent donc de tous les correctifs moraux qui pourraient les empêcher de commettre leur délit sexuel.
5o À défaut d’une définition exacte de ce qu’il faut entendre par impudicité contre nature, on a laissé une trop grande latitude à l’arbitraire personnel du juge. L’interprétation de plus en plus subtile du § 175, en Allemagne, nous montre combien la manière d’envisager juridiquement le cas varie et est peu fixe. Le fait objectif est décisif pour le jugement. (En général on ne s’inquiète jamais du fait subjectif.) Comment peut-on établir le premier ? Le délit est toujours commis sans témoins.
6o On ne peut invoquer aucune raison théorique ou juridique pour le maintien de l’article du Code. Il n’a que rarement pour effet d’empêcher le délit par crainte de la punition ; son application ne corrige jamais, car des phénomènes naturels morbides ne peuvent pas être détruits par une punition ; comme châtiment d’un acte punissable qui ne l’est que dans certaines conditions souvent erronées, l’application de cet article peut amener les injustices les plus formidables. Qu’on n’oublie pas que, dans divers pays civilisés, cet article du Code n’existe pas, et qu’en Allemagne il ne représente qu’une concession faite au sentiment de la morale publique qui cependant part d’une supposition fausse et confond la perversion avec la perversité.
7o À mon avis, la jeunesse et la moralité publique sont suffisamment protégées en Allemagne par d’autres articles du Code ; l’article 175 fait plus de mal que de bien, car il favorise une des infamies les plus abominables : le chantage.
Il est vrai qu’on punit aussi le maître-chanteur qui a dénoncé le fait, mais il a pour lui la chance énorme que sa victime ne laissera pas venir les choses à l’extrême, c’est-à-dire jusqu’à la dénonciation au parquet. Dans les plus mauvais cas, un coquin de cette espèce se laisse nourrir en prison pendant quelque temps, sans qu’il soit compromis dans son existence honteuse, tandis que sa victime est déshonorée, ruinée, et finit souvent par le suicide.
8º Dans le cas où le législateur allemand croirait que la suppression de l’article 175 compromettrait la protection de la jeunesse, il suffirait d’étendre l’article 176, alinéa 1, aux individus en général, car l’article, dans sa rédaction actuelle, ne punit que les actes d’impudicité commis sur les femmes par violence ou menaces. Le Code pénal français a un paragraphe dans ce sens. Éventuellement, on pourrait songer encore à modifier l’article 176, alinéa 3, en fixant une limite d’âge plus élevée que dix-sept ans, limite à partir de laquelle les actes d’impudicité commis sur de jeunes individus ne seraient plus poursuivables. Cette extension profiterait aussi à bien des individus féminins qui, à l’âge de quinze ans, n’ont qu’exceptionnellement la maturité d’esprit nécessaire et la capacité pour se diriger elles-mêmes et pouvoir se protéger suffisamment. Par là on offrirait aussi aux jeunes individus du sexe masculin (environ jusqu’à l’âge de seize ans) une protection plus efficace que ne saurait le faire l’article 175 qui, comme on sait, ne vise que la pédérastie (et, d’après de nouvelles interprétations, d’autres actes similaires du coït), mais qui laisse impunis l’onanisme et les autres actes d’impudicité. C’est précisément par ces actes d’impudicité que les uranistes deviennent dangereux pour les jeunes gens, et exceptionnellement par la pédérastie. Le législateur n’a ni le droit ni le devoir de menacer de peines des actes immoraux inter mares[ws 68] qui ont lieu portis clausis[ws 69] et avec consentement mutuel, quand les personnes dont il s’agit ont atteint au moins leur seizième année, âge où l’individu dispose déjà d’une somme suffisante de maturité morale et intellectuelle ; ces choses sont l’affaire personnelle de chacun, car aucun intérêt public ou privé n’est lésé.
Ce qui a été dit de lege lata, relativement à l’inversion congénitale, pourrait s’appliquer à l’inversion acquise. La névrose ou psychose qui l’accompagne pèsera beaucoup, au point de vue médico-légal, dans la balance, quand il s’agira de trancher la question de la culpabilité.
Un fait d’un très grand intérêt psychopathologique et, selon les circonstances, médico-légal, c’est que, dans le cas où ces invertis éprouvent un refus dans leur amour ou même une infidélité de la part de leur amant, ils deviennent capables de toutes ces réactions psychiques, jalousie et vengeance, que nous pouvons si souvent observer dans l’amour entre homme et femme et qui fréquemment poussent l’individu outragé dans ses sentiments les plus chers à des actes de violences contre l’objet de son amour ou contre celui qui lui a volé son bonheur.
Rien ne prouve mieux combien l’inversion sexuelle est enracinée dans la constitution, combien elle domine tous les sentiments, les pensées et les efforts de l’individu, et combien elle se substitue complètement à la manière normale de sentir et de se développer des hétérosexuels. Un exemple qui montre de quels actes est capable cet amour repoussé ou trahi, nous est fourni par le cas suivant, très instructif, et qui a été emprunté à la chronique judiciaire américaine. Je suis particulièrement obligé à M. le Dr Boeck, de Vienne, qui s’est donné la peine de recueillir les documents de cette cause célèbre dans les journaux et dans les comptes rendus des débats judiciaires.
Observation 197 (Une fille atteinte d’inversion sexuelle assassine son amante qui n’a pas voulu répondre à son amour.) – À Memphis, aux États-Unis de l’Amérique du Nord, une jeune fille, Alice M…, issue d’une des premières familles de la ville, a assassiné, au mois de janvier 1892, son amie Freda W…, également issue d’une famille du meilleur monde. Elle lui a donné plusieurs coups de rasoir au cou.
L’enquête judiciaire a donné les résultats suivants. Alice est lourdement tarée du côté de son ascendance maternelle : un oncle et plusieurs cousins du premier degré étaient des aliénés, la mère, d’une prédisposition psychopathique, eut après chaque accouchement une période de « folie puerpérale » qui fut plus grave quand elle accoucha de son septième enfant, l’accusée Alice. Plus tard, elle tomba dans un état de débilité mentale, avec idées de persécution.
Un frère de l’accusée eut pendant quelque temps des troubles d’esprit, à la suite d’une insolation, à ce qu’on prétend.
Alice M… a dix-neuf ans ; de taille moyenne, elle n’est pas jolie. La figure est enfantine et « presque trop petite en proportion du corps », asymétrique ; le côté droit de la face est plus développé que le gauche ; le nez est d’une « irrégularité surprenante », le regard perçant. Alice M… est gauchère.
Dès l’entrée en puberté, elle eut fréquemment de grands maux de tête d’une durée assez longue. Une fois par mois elle souffrait d’hémorragies nasales, et souvent même, ces derniers temps, d’accès de tremblement et de tremor[ws 70]. Une fois elle en perdit connaissance.
Alice était une enfant nerveuse, irritable, et en retard dans son développement. Elle n’éprouva jamais de plaisir aux jeux des enfants et pas du tout aux amusements des petites filles. À l’âge de quatre à cinq ans, elle trouvait beaucoup de plaisir à écorcher des chats ou à les suspendre par une patte.
Elle préférait à ses sœurs son frère cadet et ses jeux de garçon ; elle cherchait à le dépasser en fouettant les toupies, dans le base-ball et foot-ball, ensuite au tir à la cible et dans toutes sortes de gamineries. Son exercice favori était de grimper, et elle y avait acquis une grande adresse. Elle aimait particulièrement à s’occuper à l’écurie auprès des mulets. Elle avait six ou sept ans, lorsque son père acheta un cheval ; elle aimait à soigner cet animal, à lui donner à manger, à monter sur lui sans selle, à la façon des garçons, et à se faire mener ainsi dans les champs. Plus tard encore, elle s’occupait à nettoyer le cheval, à lui laver les pieds ; elle le conduisait par la bride à travers les rues, elle lui mettait les harnais, l’attelait ; elle s’entendait très bien à l’attelage des voitures et à les raccommoder.
À l’école, elle ne peut suivre que lentement et incomplètement les cours ; elle est incapable de s’occuper sérieusement de quelque chose ; elle saisit et retient difficilement. On essaie de lui apprendre la musique et le dessin, mais on échoue complètement ; il est impossible de lui faire faire des ouvrages féminins. Plus tard, elle n’a pas non plus de goût à la lecture ; elle ne lit ni livres, ni journaux. Elle est entêtée et capricieuse ; ses professeurs et les gens de sa connaissance croient qu’elle n’est pas normale.
Étant enfant, elle ne se commet pas avec les garçons, n’a pas de camarades parmi eux ; plus tard, elle n’a pas d’intérêt pour les jeunes gens ; elle n’a personne qui lui fasse la cour. Elle se comporte toujours avec indifférence envers les jeunes gens, quelquefois avec brusquerie, et elle passe pour « folle » parmi eux.
Elle éprouva une affection extraordinaire, « aussi haut que ses souvenirs remontent », pour Freda W…, fille du même âge qu’elle et enfant d’une famille amie. Fr. était délicate et pleine de sentiment ; elle avait un caractère de fille ; l’affection existait des deux côtés, mais elle était beaucoup plus violente chez Alice ; elle s’accrut avec les années au point de devenir une passion. Un an avant la catastrophe, la famille W… transporta son domicile dans une autre ville. Al. resta plongée dans le chagrin le plus profond. Il s’engagea alors une correspondance tendre et amoureuse.
Deux fois Al. va faire une visite à la famille de Fr. ; alors les deux jeunes filles ont des rapports « d’une tendresse dégoûtante », comme l’affirment les témoins. On les voit des heures entières, couchées dans le même hamac, se pressant l’une contre l’autre et s’embrassant. « C’étaient des pressions et des baisers entre les deux filles à en avoir le dégoût ». Al. a honte de faire de pareilles choses en public ; elle en est blâmée par Fr.
Pendant une contre-visite de Freda, Alice essaie de la tuer ; elle veut, pendant que son amie dort, lui verser du laudanum dans la bouche ; la tentative échoua, car Fr. se réveilla.
Al. prend alors devant Fr. le poison et en est longtemps malade. Voici le mobile de la tentative d’assassinat et de suicide : Fr. avait manifesté de l’intérêt pour deux jeunes gens ; Al. déclara ne pouvoir vivre sans l’amour de Fr. ; « ensuite elle a voulu se suicider pour se délivrer de ses souffrances et rendre à Fr. sa liberté. » Après la guérison d’Al., la correspondance entre les deux amies reprend son cours et elle est plus que jamais remplie de protestations d’un amour passionné.
Bientôt après, Al. commence à développer à son amante son projet de l’épouser. Elle lui envoie une bague de fiançailles ; elle menace de la tuer en cas de rupture de promesse. Toutes les deux devaient prendre un pseudonyme et fuir ensemble à Saint-Louis. Al. voulait s’habiller en homme et chercher de l’ouvrage pour toutes les deux ; elle voulait aussi, si Fr. le désirait, se faire pousser des moustaches ; elle espérait obtenir ce résultat en se rasant.
Peu de temps avant la mise à exécution de la fuite de Fr., le plan est dévoilé ; la fuite est empêchée ; on renvoie à la mère d’Al. la bague de fiancée et d’autres reliques d’amour, et l’on interdit tout rapport entre les deux jeunes filles.
Al. est complètement abattue. Elle perd le sommeil, ne prend que peu de nourriture et à contre-cœur ; elle est apathique, distraite (elle met sur les comptes de ménage le nom de son amante au lieu du sien). Elle cache la bague et les autres reliques d’amour, entre autres un dé de Fr. qu’elle avait rempli du sang de l’amie, dans un coin de la cuisine où elle passe des heures entières en contemplant ces objets, tantôt riant, tantôt éclatant en sanglots.
Elle maigrit ; sa figure prend une expression craintive, les yeux ont « une lueur étrange et sinistre ». À cette époque, elle apprend la prochaine visite de Fr. à Memphis ; elle conçoit alors le projet de tuer Fr. puisqu’elle ne peut la posséder. Elle s’empare d’un rasoir de son père et le garde soigneusement.
Elle entame avec l’amoureux de Fr., en feignant de l’intérêt pour lui, une correspondance, afin de pouvoir jeter un coup d’œil dans leurs relations et pour se tenir au courant du développement que prendrait cette liaison.
Pendant le séjour de Fr. à Memphis, toutes les tentatives d’Al. pour se rapprocher d’elle ou entrer en correspondance avec elle, échouent. Elle guette Fr. dans la rue, tente une fois déjà d’exécuter son projet ; mais elle en est empêchée par un hasard. Ce n’est que le jour du départ de Fr. qu’elle réussit à s’approcher d’elle sur la route qui va au paquebot.
Profondément froissée de ce que Fr., dans toute la route qu’elle suit dans une petite voiture à côté d’elle, n’a pas une parole pour elle, pas seulement un regard, Al. saute de sa voiture, attaque Fr. et lui porte un coup profond avec un rasoir. Battue et insultée par la sœur de Fr., elle entre dans une rage folle et coupe aveuglément la gorge de Fr. à coups de rasoir vigoureux et profonds ; une des blessures s’étend d’une oreille à l’autre. Pendant que tout le monde s’occupe autour de Fr., Al. part dans sa voiture à bride abattue et parcourt à tort et à travers la ville avant de rentrer à la maison. À peine rentrée, elle raconte à sa mère ce qu’elle vient de faire. Elle ne comprend pas ce que cet acte a d’horrible ; les blâmes, l’évocation des conséquences graves la laissent absolument froide et ne l’émeuvent pas ; c’est seulement lorsqu’elle apprend la mort et l’enterrement de Fr. qu’elle se rend compte de la perte de sa bien-aimée ; elle éclate en sanglots et en pleurs passionnés ; elle embrasse toutes les photographies qu’elle possède de Fr. et leur parle comme si Fr. vivait encore.
Pendant l’audience publique, elle se fait remarquer aussi par son indifférence pour les membres profondément affligés de sa famille et par son insensibilité pour tous les rapports éthiques de son action.
Seulement, quand on évoque les souvenirs de son amour pour Fr. et de sa jalousie, elle est émue et excessivement agitée. Fr. « lui a manqué de fidélité, elle l’a tuée parce qu’elle l’avait aimée ». Tous les experts dépeignent le développement intellectuel de l’accusée comme étant au niveau de celui d’une fille de treize à quatorze ans. Elle comprend que des enfants n’auraient pu naître de son union avec Fr., mais elle ne veut pas convenir que son « mariage » aurait été une chose insensée. Elle repousse la supposition d’avoir eu avec Fr. des rapports sexuels (peut-être masturbation). Sur ce point, de même que sur sa vita sexualis peracta[ws 71], on n’apprend absolument rien ; on n’a pas procédé non plus à un examen gynécologique.
Le procès se termine par un verdict constatant l’aliénation mentale de l’accusée. (The Memphis Medical Monthly, 1892.)
La pédérastie représente une des pages les plus épouvantables de l’histoire des débauches humaines.
Les motifs qui amènent à la pédérastie un homme qui primitivement a des sentiments sexuels normaux et qui est sain d’esprit, peuvent être très divers. Elle peut temporairement servir de moyen de satisfaction sexuelle, à défaut du moyen normal, de même que, dans des cas rares, il y a bestialité à la suite d’une abstinence forcée des jouissances sexuelles normales[20].
Ce fait se produit à bord des navires à longue course, dans les prisons, les bagnes, etc. Il est fort probable que, dans ces réunions d’individus, il y en a qui sont d’une moralité très basse et d’une sensualité très puissante, ou bien qu’il y a de véritables uranistes qui deviennent les séducteurs des autres. La volupté, l’instinct d’imitation, la rapacité font le reste.
Toutefois, preuve bien caractéristique de la puissance de l’instinct génital, ces mobiles suffisent pour vaincre l’horreur de l’acte contre nature.
Une autre catégorie de pédérastes est représentée par ces vieux roués qui sont saturés des jouissances sexuelles normales et qui trouvent dans la pédérastie un moyen de ranimer leur volupté, l’acte ayant pour eux le charme de la nouveauté. Ils stimulent temporairement par ce moyen leur puissance psychique et somatique abaissée. Cette nouvelle situation sexuelle les rend, pour ainsi dire, relativement puissants, et leur donne des jouissances que les rapports sexuels avec la femme ne peuvent plus leur offrir. Avec le temps la puissance pour l’acte pédéraste disparaît aussi. Alors ces individus peuvent en venir à la pédérastie passive comme à un stimulant passager qui les met dans la possibilité d’accomplir la pédérastie active, de même qu’ils ont occasionnellement recours à la flagellation, à la contemplation de scènes lascives. (Cas de bestialité cité par Maschka.)
La fin de l’activité sexuelle chez les individus atteints d’une telle dégradation morale, consiste en faits d’impudicité de toutes sortes avec des enfants, cunnilingus, fellare et autres horreurs.
Cette sorte de pédérastie est la plus dangereuse, car les individus de ce genre poursuivent avant tout et dans la plupart des cas les jeunes garçons, et leur corrompent l’âme et le corps.
Les observations que Tarnowsky (op. cit., p. 53, etc.) a recueillies à ce sujet dans la Société de Saint-Pétersbourg sont horribles. Ce sont les pensionnats qui sont le théâtre et les foyers de la pédérastie. De vieux roués et des uranistes jouent le rôle de séducteurs. Au commencement il en coûte à celui qu’on séduit d’accomplir cet acte dégoûtant. Il a d’abord recours à son imagination et évoque l’image d’une femme. Peu à peu il s’habitue à cette abomination. Finalement, semblable à l’homme détraqué sexuellement par la masturbation, il devient relativement impuissant en présence de la femme et en même temps assez libidineux pour se plaire à l’acte pervers. Suivant les circonstances, cet individu devient un cynède vénal.
Ces faits ne sont pas rares dans les grandes villes ainsi que nous l’apprennent les observations recueillies par Tardieu, Hoffmann, Liman et Taylor. Il ressort de nombreuses communications que j’ai reçues de la part d’uranistes, qu’il existe une prostitution professionnelle, de véritables maisons de prostitution pour l’amour entre individus masculins.
Ce qui est encore digne d’être remarqué, ce sont les artifices de la coquetterie que ces mérétrices mâles déploient sous forme de toilettes de luxe, de parfums et de vêtements de coupe féminine, pour attirer les pédérastes et les uranistes. Cette imitation intentionnelle des particularités de la femme se retrouve d’ailleurs spontanément et inconsciemment chez les invertis congénitaux et parfois dans les cas d’inversion sexuelle (morbide) acquise.
Les lignes suivantes fournissent des renseignements intéressants et précieux pour le psychologue et surtout pour les fonctionnaires de la police, sur la vie sociale et les menées des pédérastes.
Coffignon, La Corruption à Paris, p. 327, divise les pédérastes actifs en amateurs, entreteneurs et souteneurs.
Les amateurs (rivettes) sont des gens débauchés, mais souvent des invertis congénitaux, appartenant au monde, ayant de la fortune et qui ont des raisons de bien se garder que la satisfaction de leurs désirs homosexuels soit connue. À cet effet, ils vont dans les lupanars, les maisons de passe ou dans les appartements particuliers des prostituées féminines qui ont l’habitude d’être en bons termes avec les prostitués masculins. C’est ainsi qu’ils se mettent à l’abri du chantage.
D’aucuns de ces amateurs ont assez d’audace pour se livrer dans des lieux publics à leurs désirs abominables. Ils risquent d’être arrêtés, mais moins facilement (dans les grandes villes) le chantage. On dit que le danger augmente leur jouissance secrète.
Les entreteneurs sont de vieux pécheurs qui ne peuvent s’empêcher, même au risque de tomber entre les mains des maîtres-chanteurs, d’entretenir une maîtresse masculine.
Les souteneurs sont des pédérastes qui ont subi des condamnations, qui soutiennent un petit « jésus », qui l’envoient en expédition pour attirer des clients (faire chanter les rivettes), et qui, autant que possible, surviennent au moment psychologique pour plumer la victime.
Souvent ils vivent ensemble par bandes ; chacun remplit selon ses goûts actifs ou passifs le rôle d’homme ou de femme. Dans ces bandes, il y a de véritables noces, des mariages, des bénédictions nuptiales, avec banquets et accompagnement des nouveaux mariés dans leurs chambres.
Ces souteneurs élèvent leurs petits jésus. Les pédérastes passifs sont des « petits jésus », des « jésus », ou des « tantes ».
Les petits « jésus » sont des enfants abandonnés et dévoyés que le hasard amène dans les mains d’un pédéraste actif qui les séduit et leur ouvre alors une carrière horrible pour gagner leur vie, soit comme entretenus, soit comme les hétaïres masculines des rues avec ou sans souteneur.
Les petits jésus les plus rusés et les plus recherchés sont élevés et dressés par ceux qui enseignent à ces enfants l’art d’une mise et d’un maintien féminins.
Peu à peu ils cherchent à se débarrasser de leurs professeurs et exploiteurs pour devenir « femmes entretenues » ; souvent ils arrivent à cette émancipation par une dénonciation anonyme du souteneur à la police.
La préoccupation du souteneur et du petit jésus est que ce dernier garde, par toutes sortes d’artifices de toilette, son air juvénile aussi longtemps que possible.
L’extrême limite d’âge est probablement la 25e année. Alors il devient « jésus » et « femme entretenue » ; dans ce cas, il est souvent entretenu par plusieurs individus à la fois. Les « jésus » se divisent en « filles galantes », c’est-à-dire ceux qui sont de nouveau tombés en la possession d’un souteneur, et en « pierreuses » (coureurs ordinaires des rues comme leurs collègues féminines), et enfin en « domestiques ».
Ces derniers prennent une place de domestique chez des pédérastes actifs pour servir à leurs désirs ou parfois aussi pour leur amener des « petits jésus ».
Une subdivision de cette catégorie de domestiques est composée par ceux qui se placent comme femme de chambre petit jésus. Le but principal de ces domestiques est de se procurer, étant en place, des documents compromettants à l’aide desquels ils pourront faire plus tard du chantage et se procurer, par cette extorsion, une existence assurée pour leurs vieux jours.
La catégorie la plus détestable des pédérastes passifs est bien celle des « tantes », c’est-à-dire des souteneurs de prostituées féminines, qui ont une vie sexuelle normale, mais qui, monstres au moral, pratiquent la pédérastie passive par âpreté au gain ou dans le but de faire du chantage.
Les amateurs riches ont leurs réunions, leurs locaux où les passifs apparaissent vêtus en femmes et où l’on fait les orgies les plus horribles. Les garçons de service, les musiciens de ces soirées sont tous pédérastes. Les filles galantes n’osent pas, sauf en temps de carnaval, se montrer vêtus en femmes dans les rues, mais ils savent afficher leur métier honteux par certaines marques dans leur extérieur, dans la coupe féminine de leur mise, etc.
Ils attirent par gestes, par attouchements, etc. ; ils mènent leurs conquêtes dans les hôtels, les bains ou les bordels.
Ce que l’auteur dit du chantage est généralement connu. Il y a des cas où des pédérastes se laissent extorquer toute leur fortune.
La note suivante coupée dans une feuille berlinoise (National-Zeitung) du mois de février 1881, qui m’est tombée par hasard entre les mains, paraît de nature à bien caractériser la vie et les menées des uranistes.
Le bal des mysogines. Presque tous les éléments de la société de Berlin ont leurs réunions : les gros, les chauves, les célibataires, les veufs. Pourquoi les ennemis du sexe féminin n’auraient-ils pas la leur ? Cette espèce d’hommes, très curieuse au point de vue psychologique, mais peu édifiante au point de vue social, donnait ces jours derniers un bal. L’affiche annonça : « Grand bal masqué viennois$2 » On procédait avec une sévérité extrême à la vente et à la distribution des billets : ces messieurs veulent être entre eux. Leur rendez-vous est un grand local de danse bien connu. Nous entrons dans la salle vers minuit. On danse ferme aux sons d’un orchestre très bien tenu. L’épaisse fumée qui voile les becs de gaz ne permet pas de voir ressortir assez nettement les détails des mouvements du public. Ce n’est que pendant l’entr’acte que nous pouvons passer une revue plus minutieuse. Les masques sont en immense majorité ; on ne voit qu’isolément l’habit noir et la robe de soirée.
Mais qu’est-ce que c’est que cela ? Une dame en tarlatane rose qui passe près de nous avec un grand bruit de froufrou, tient dans le coin de sa bouche un cigare allumé et lance des bouffées de fumée comme un cuirassier. Elle porte une petite barbe blonde à peine dissimulée par le maquillage. Maintenant elle cause avec un « ange » fortement décolleté qui est planté là, les bras nus derrière le dos et qui fume aussi. Ce sont deux voix d’hommes et le sujet d’entretien est aussi très masculin ; il s’agit de ce « fichu tabac qui ne tire pas ». Voilà donc deux hommes en toilettes de femmes.
Un clown, comme on en voit tant, est là-bas près d’une colonne en conversation très affectueuse avec une ballerine et enlace d’un bras la taille irréprochable de cette dernière. Elle a une coiffure à la Titus blonde, un profil très accentué et à ce qu’il paraît des formes plantureuses. Les boucles d’oreilles étincelantes, le collier avec le médaillon autour du cou, les épaules et les bras pleins et arrondis ne laissent aucun doute sur son authenticité jusqu’à ce que, avec un mouvement brusque, elle se détache du bras qui la tient et en bâillant dise d’une voix du plus bas creux : « Émile tu es aujourd’hui trop ennuyeux. » Le professeur en croit à peine ses yeux : la ballerine aussi est du sexe masculin !
Plein de méfiance nous continuons notre examen. Nous sommes près de supposer qu’ici on joue « au monde renversé », car voilà que nous voyons marcher ou plutôt trottiner un homme, – non décidément cela n’en est pas un, bien qu’il porte une petite moustache bien soignée. Ces cheveux bouclés et bien soignés, cette figure maquillée et poudrée, avec des sourcils fortement dessinés à l’encre de Chine, ces boucles d’oreilles d’or, ce bouquet de fleurs qui couvre la partie comprise entre l’épaule gauche et la poitrine et qui orne l’élégant smocking noir, ces bracelets d’or aux poignets et cet éventail élégant à la main gantée de blanc : ce ne sont point les attributs d’un homme. Et avec quelle coquetterie il manie son éventail, comme il se dandine et se tourne, comme il trottine et chuchotte ! Et pourtant ! Et pourtant la nature si bonne a créé homme cette poupée ! Il est vendeur dans une maison de confection de notre capitale, et la ballerine que nous venions de voir à l’instant est son « collègue ».
Là bas, à une table de coin, on semble tenir grand cercle. Plusieurs messieurs d’un âge mûr se pressent autour d’un groupe de dames fort décolletées qui sont assises devant des bouteilles de vin et qui, à en juger par leur hilarité bruyante, ne lancent pas des plaisanteries très discrètes. Qui sont ces trois dames ? « Dames », dit en souriant mon guide expérimenté ; celle à droite, aux cheveux bruns et en costume de fantaisie à demi-long, c’est la « marchande de beurre », de son métier garçon coiffeur ; la seconde, la blonde, en costume de chanteuse de café-concert, avec un collier de perles, est ici connue sous le nom de « Miss Ella sur la Corde », de son métier un ouvrier tailleur pour dames ; la troisième c’est la fameuse « Lotte », si connue et si célèbre.
Mais il est impossible que cela soit un homme ! Voyez cette taille, ce buste, ces bras classiques, tout cet air et ces manières ont un caractère décidément féminin !
On m’apprend que « Lotte » était autrefois comptable. Aujourd’hui elle ou plutôt il est exclusivement « Lotte » et il trouve son plaisir à tenir les hommes aussi longtemps que possible en erreur sur son sexe. Lotte est en train de chanter un couplet qui n’est pas tout à fait conforme à l’étiquette d’une Cour impériale ; elle fait entendre, grâce à un entraînement et à un exercice de longues années, une voix d’alto que bien des cantatrices pourraient lui envier. « Lotte » a aussi très souvent « travaillé » dans la spécialité d’« actrice comique ». Aujourd’hui l’ancien comptable s’est tellement absorbé dans son rôle de dame que, même quand il sort dans la rue, il paraît toujours en toilette de femme, et les gens chez lesquels il est logé, racontent qu’il se sert même d’une robe de nuit de dame joliment brodée.
En examinant de plus près les assistants, j’ai découvert, à ma grande surprise, plusieurs personnes de ma connaissance : mon cordonnier que j’aurais pris pour tout autre chose plutôt que pour un ennemi du beau sexe ; il est aujourd’hui déguisé en « Trouvère » avec épée et chapeau à plumes et sa « Léonore » en costume de fiancée me donne habituellement au bureau de tabac les « Havanne » et les « Upmann ». Je reconnais bien distinctement la « Léonore » qui pendant l’entr’acte s’est dégantée : voilà bien ses grandes mains couvertes d’engelures. Tiens ! voilà aussi mon fournisseur de cravates ! Il court dans un costume bien risqué ; il est en « Bacchus » et le céladon d’une dame attifée d’une manière déplaisante, dame qui, à d’autres heures, sert comme garçon de brasserie. Les « vraies » dames qu’on rencontre ne sauraient faire le sujet d’une description destinée à la publicité. Dans tous les cas celles-ci n’ont de rapports qu’entre elles et évitent tout rapprochement avec les hommes mysogines, pendant que ceux-ci restent et s’amusent entre eux, et ne prennent aucun souci du sexe féminin.
Ces faits méritent l’attention pleine et entière des autorités policières qui devraient être à même d’avoir légalement le même pouvoir d’agir contre la prostitution masculine, que contre la prostitution féminine.
Dans tous les cas, la prostitution masculine est de beaucoup plus dangereuse pour la société que la prostitution féminine : c’est la plus grande des hontes dans l’histoire de l’humanité.
Je sais par les renseignements d’un fonctionnaire supérieur de la police de Berlin que celle-ci connaît jusque dans ses moindres détails le demi-monde masculin de la capitale allemande et qu’elle fait tout son possible pour combattre le chantage chez les pédérastes, car souvent les maîtres-chanteurs ne craignent pas de commettre même un assassinat.
Les faits que nous venons de citer justifient notre désir de voir le législateur de l’avenir renoncer, du moins pour des raisons d’utilité, aux poursuites judiciaires contre la pédérastie.
Il est à remarquer à ce sujet que le Code français laisse la pédérastie impunie tant qu’elle ne constitue pas en même temps un outrage public à la pudeur. Peut-être pour des raisons politiques et sociales le nouveau Code italien aussi passe sous silence le délit d’impudicité contre nature, de même que la législation hollandaise, et autant que je sache les législations belge et espagnole.
Nous laissons de côté la question de savoir dans quelle mesure les pédérastes d’élevage peuvent être considérés encore comme normaux au physique et au moral. Il est probable que la plupart d’entre eux souffrent de névroses génitales. Dans tous les cas, on trouve des transitions qui se confondent presque avec l’inversion sexuelle acquise. On ne peut pas, en général, mettre en doute la responsabilité de ces individus qui sont encore bien au-dessous de la prostituée.
En ce qui concerne la forme de la satisfaction sexuelle, on peut, en somme, caractériser les diverses catégories des hommes aimant l’homme par ce trait que l’uraniste congénital ne devient qu’exceptionnellement pédéraste, et qu’il y est amené éventuellement après avoir essayé et épuisé tous les autres actes d’impudicité possibles entre des individus de sexe masculin.
La pédérastie passive est idéalement et pratiquement la forme qui correspond à l’acte sexuel. L’uraniste accomplit la pédérastie active par complaisance. L’important est son inversion congénitale et inaltérable. Il n’en est pas de même avec le pédéraste qui l’est devenu par éducation. Il s’est comporté sexuellement d’une façon normale ou du moins il a senti ainsi ; et épisodiquement, à ses heures de liberté, il a encore des rapports avec l’autre sexe.
Sa perversité sexuelle n’est ni primitive ni inaltérable. Il commence par la pédérastie et finit éventuellement par d’autres pratiques sexuelles qui sont encore possibles malgré la faiblesse du centre d’érection ou du centre d’éjaculation. Son désir sexuel, quand il est à l’apogée de la puissance, n’est pas pour la pédérastie passive, mais pour l’active. Toutefois il consent, par complaisance ou par rapacité d’hétaïre masculin, à se prêter à la pédérastie passive ; parfois c’est aussi un moyen de stimuler sa puissance en voie d’extinction afin de pouvoir de temps en temps encore accomplir la pédérastie active.
Une chose bien dégoûtante que nous devrions mentionner encore c’est la pædicatio mulierum[ws 73] et même uxorum[ws 74][21], selon les circonstances.
Des débauchés accomplissent ces actes d’un goût particulier sur des filles vénales ou même sur leurs épouses. Tardieu cite des exemples d’hommes qui, en dehors du coït régulier avec leurs épouses, faisaient de temps en temps la pédication. Parfois la crainte de provoquer une nouvelle grossesse peut pousser l’homme à cet acte et décider la femme à le tolérer.
Observation 193 (Pédérastie imputée mais non prouvée. Renseignements puisés dans le dossier.) – Le 30 mai 1888 le docteur chimiste S… a été dénoncé par une lettre anonyme adressée à son beau-père comme entretenant des rapports immoraux avec le fils du boucher G…, jeune homme âgé de dix-neuf ans. On remit au docteur S… la lettre. Indigné du contenu de cette missive, il alla trouver son supérieur hiérarchique qui lui promit de procéder discrètement dans cette affaire, de s’informer auprès de la police des propos qui couraient dans le public et de ce qu’on en disait en général.
Le 31 mai au matin, la police arrêta le jeune G…, qui était atteint de blennorragie avec orchite et qui était couché dans l’appartement du docteur S… où on le soignait. Le docteur S… fit auprès du procureur des démarches pour obtenir la mise en liberté de G… ; il offrit même un cautionnement, ce qui fut refusé. Dans sa requête adressée au tribunal, le docteur S… prétend qu’il y a trois ans il fit dans la rue la connaissance du jeune G…, que depuis il l’avait perdu de vue, et qu’il ne l’aurait retrouvé qu’à l’automne de 1887 dans le magasin de son père. Depuis novembre 1887, c’est G… qui était chargé de fournir la viande nécessaire pour la cuisine du docteur ; il venait le soir pour prendre la commande et le matin pour livrer la marchandise. C’est ainsi que le docteur S… fit une connaissance plus étroite de G…, et peu à peu il eut des sentiments amicaux pour ce jeune homme. Le docteur S… tomba malade et resta la plupart du temps au lit jusqu’au 15 mai 1888 ; G… eut tant d’attentions pour lui que S… ainsi que sa femme le prirent en affection à cause de son attitude gaie, innocente et toute filiale. Le docteur S… lui montrait sa collection d’antiquités, et tous deux passaient souvent ensemble des soirées pendant lesquelles Mme S… leur tenait compagnie. S… prétend encore avoir fait avec G… des essais de fabrication de saucisses et de gelées, etc. Vers la fin du mois de février, G… fut atteint de blennorragie. Comme le docteur S… l’estimait comme un ami, qu’il aimait beaucoup à soigner les malades et qu’il avait étudié la médecine pendant plusieurs semestres, il s’occupa de G… et lui donna des médicaments, etc. Comme G… était encore malade au mois de mai et que, pour bien des raisons, il aurait été désirable qu’il quittât la maison paternelle, M. et Mme S… le prirent chez eux pour le soigner.
S… repousse avec indignation toutes les suspicions auxquelles ces faits ont donné lieu ; il invoque son passé honorable, sa bonne éducation, la circonstance qu’à cette époque G… était atteint d’une maladie dégoûtante et contagieuse et que lui-même S… souffre d’une maladie douloureuse (calculs néphrétiques avec coliques temporaires).
En face de cette version bien inoffensive du docteur S…, il faut cependant tenir compte des faits suivants qui ont été établis par l’enquête judiciaire et sur lesquels s’est appuyée la sentence du tribunal de première instance.
La liaison de S… et G… a provoqué, par son caractère choquant, bien des commentaires chez les particuliers et dans les cabarets. G… passait la plupart de ses soirées dans le cercle de la famille de S… dont il est devenu pour ainsi dire un familier. Tous deux faisaient souvent des promenades ensemble. Pendant une de ces promenades S… dit à G… qu’il était joli garçon et qu’il l’aimait beaucoup. S… prétend n’avoir touché ce sujet que pour avertir G… de certains dangers. Quant à leurs rapports dans la maison, il est établi que S… assis sur le canapé, avait parfois enlacé de ses bras G… et l’avait embrassé. Cette marque d’affection lui fut donnée aussi en présence de Mme S… et de la bonne de la maison. Lorsque G… fut atteint de blennorragie, S… lui montrait comment il fallait faire les injections et, à cette occasion, il prenait dans sa main le membrum[ws 75] du jeune homme. G… déclare qu’en demandant à S… pourquoi il l’aimait tant, celui-ci aurait répondu : « Je ne le sais pas moi-même ». Quand G… restait quelques jours sans venir, S… s’en plaignait avec des larmes dans les yeux aussitôt que G… faisait sa réapparition. S… lui disait aussi que son ménage n’était pas heureux et, les larmes aux yeux, priait G.… de ne pas l’abandonner, car il était l’ami qui devait remplacer sa femme.
L’acte d’accusation conclut de tous ces faits que la liaison entre les deux accusés avait une tournure sexuelle. Si tout se passait en public et de façon à être remarqué par tout le monde, c’est une circonstance qui, selon l’acte d’accusation, ne vient point à l’appui du caractère inoffensif de la liaison, mais c’est plutôt une preuve de l’intensité de la passion de S… On convient que l’accusé a des antécédents sans tache, une conduite honorable et un cœur tendre. Il est probable que la vie conjugale de S… n’était pas heureuse et qu’il avait des disposions naturelles très sensuelles.
Au cours de l’instruction judiciaire, on a plusieurs fois soumis G… à un examen médico-légal. Il est d’une taille moyenne, avec un teint pâle, une constitution robuste. Le pénis et les testicules sont très fortement développés.
On a constaté d’un unanime accord que l’anus, par suite du manque de plis à son pourtour et du relâchement du sphincter, était altéré pathologiquement, et que ces changements permettaient avec une certaine probabilité de conclure à la pratique de la pédérastie passive.
C’est sur ces faits que fut basée la sentence du tribunal. L’arrêt a reconnu que la liaison existant entre les deux accusés n’indiquait pas d’une manière certaine l’impudicité contre nature, les constatations faites sur le corps de G… ne suffisant pas en elles-mêmes à en fournir la preuve.
Mais, prenant dans son ensemble ces deux circonstances, le tribunal s’est fait la conviction que les deux accusés étaient coupables, et considéra comme établi que : « l’état anormal de l’anus de G… n’a pu se produire qu’à la suite de l’introduction réitérée du membre de l’accusé S… dans cette partie du corps, et que G… s’est prêté complaisamment à ces pratiques et a toléré l’exécution sur lui de ces actes immoraux ».
Ainsi le cas prévu par l’article 175 du R. St. G. semble être établi. En fixant les peines on a tenu compte du degré d’instruction de S…, du fait que c’est lui qui a évidemment séduit G… ; pour ce dernier on a pris en considération qu’il avait été séduit et qu’il était encore très jeune ; pour tous les deux, on admit comme circonstance atténuante leurs bons antécédents, et, conformément à ces conditions, le Dr S… a été condamné à huit mois de prison, le jeune G… à quatre mois.
Les accusés se sont pourvus en cassation auprès du tribunal de l’empire à Leipzig et se préparaient, dans le cas où la cassation serait rejeté, à recueillir des documents afin de pouvoir demander la révision du procès.
Ils se soumirent à l’examen et à l’observation de spécialistes célèbres. Ceux-ci déclarèrent que, d’après les constatations faites sur l’anus de G…, il n’y avait aucun indice d’actes de pédérastie passive.
Comme les parties intéressées attachaient aussi une grande importance au côté psychologique du cas, dont on ne s’était pas du tout occupé pendant l’audience, l’auteur de ce livre reçut la mission d’examiner et d’observer le Dr S… et son coaccusé G…
Résultats de mon examen personnel fait du 11 au 18 décembre 1888, à Gratz. – Le Dr S…, trente-sept ans, marié depuis deux ans, sans enfants, autrefois chef du laboratoire municipal à H…, est né d’un père qui, à ce qu’on dit, est devenu nerveux à la suite de surmenage. À l’âge de cinquante-sept ans il a été atteint d’une attaque d’apoplexie ; à l’âge de soixante-sept ans, il est mort à la suite d’une nouvelle attaque d’apoplexie. La mère vit encore : on la dépeint comme une femme vigoureuse, mais qui depuis des années souffre des nerfs. La mère de cette dernière est morte à un âge assez avancé et, prétend-on, à la suite d’un abcès du cervelet. Un frère du père de la mère aurait été buveur. Le grand-père de l’accusé du côté paternel est mort prématurément à la suite d’un ramollissement du cerveau.
Le Dr S… a deux frères qui jouissent d’une bonne santé.
Lui-même déclare qu’il est d’un tempérament nerveux et d’une constitution robuste. Il prétend qu’après avoir eu, à l’âge de quatorze ans, un rhumatisme articulaire aigu, il a souffert pendant plusieurs mois d’une grande nervosité. À la suite, il souffrait souvent de rhumatismes, ainsi que de battements de cœur et de suffocations. Ces malaises disparurent peu à peu sous l’influence de l’usage des bains de mer. Il y a sept ans, il a attrapé une blennorragie. Cette blennorragie est devenue chronique et lui a causé pendant longtemps des douleurs de vessie.
En 1887, le docteur S… a subi son premier accès de colique néphrétique. Ces accès se répétèrent plusieurs fois au cours de l’hiver 1887-1888, jusqu’au 10 mai 1888 où un gros calcul néphrétique se dégagea. Depuis ce moment, son état de santé a été assez satisfaisant. Il prétend que, à l’époque où il souffrait de la pierre, il avait pendant le coït, au moment de l’éjaculation, une douleur aiguë dans l’urètre, de même quand il urinait.
Quant à son curriculum vitæ, S… déclare qu’il a, jusqu’à l’âge de quatorze ans fréquenté le lycée ; mais, à partir de cette époque, il a dû, à la suite d’une maladie grave, continuer ses études sous la direction d’un maître particulier. Ensuite, il a passé quatre ans dans l’officine d’un droguiste ; plus tard, il a, pendant six semestres, suivi les cours de la Faculté de médecine ; et, pendant la guerre de 1870, il a servi comme aide-volontaire de lazaret. N’ayant pas son baccalauréat, il a abandonné l’étude de la médecine ; il a acquis le diplôme de docteur en philosophie ; ensuite il a servi comme assistant au musée minéralogique à K…, plus tard à H…, et puis il s’est livré à des études spéciales de chimie alimentaire et, il y a cinq ans, il a pris le poste de chef de laboratoire municipal.
S… fait toutes ces dépositions d’une manière sûre et précise. Il ne cherche pas à rappeler ses souvenirs en faisant ses réponses ; de sorte qu’on a de plus en plus l’impression d’avoir affaire à un homme qui aime et qui dit la vérité, d’autant plus que, dans les examens des jours suivants, les dépositions furent toujours les mêmes. En ce qui concerne sa vita sexualis, S. déclare avec modestie, décence et franchise, que, à partir de l’âge de onze ans, il s’est rendu compte de la différence des sexes, que jusqu’à l’âge de quatorze ans il fut pendant quelque temps adonné à l’onanisme, qu’il a fait son premier coït à l’âge de dix-huit ans, et qu’il l’a pratiqué avec modération les années suivantes. Ses désirs sexuels n’ont jamais été très grands, l’acte sexuel était normal à tous les points de vue jusqu’à ces derniers temps ; il avait la puissance nécessaire et une sensation voluptueuse satisfaisante. Depuis son mariage, conclu il y a deux ans, il n’a coïté qu’avec sa femme qu’il a épousée par inclination et qu’il aime encore beaucoup ; il faisait l’acte plusieurs fois par semaine.
Mme S…, qui a dû être entendue, confirme pleinement ces dépositions.
À toutes les questions contradictoires au sujet d’un sentiment sexuel pervers pour l’homme, le docteur S… répondit, dans les examens réitérés, par la négative, toujours d’accord avec ses dépositions et sans avoir la moindre hésitation dans ses réponses ; même lorsqu’on veut lui tendre un piège en lui représentant que la preuve d’un sentiment sexuel pervers serait fort utile pour le but qu’il veut atteindre avec le nouvel examen médical, il persiste dans ses dépositions antérieures. On fait cette constatation très précieuse que S… ne sait rien des faits établis par la science sur l’amour homosexuel. Ainsi on apprend que ses rêves accompagnés de pollutions, n’ont jamais pour objet des individus du sexe masculin, que les nudités féminines seules l’intéressent, qu’aux bals il aime à danser avec des femmes, etc. On ne peut découvrir chez S… aucune trace de quelque inclination sexuelle pour son propre sexe. En ce qui concerne ses relations avec G…, il fait exactement les mêmes déclarations qu’il a faites devant le juge d’instruction. Il ne saurait expliquer son affection pour G… que par le fait qu’il est un homme nerveux, sentimental, d’un cœur facile à toucher, et très sensible aux prévenances aimables. Dans sa maladie, il se sentait isolé et déprimé ; sa femme était souvent absente, en visite chez ses parents, et c’est ainsi qu’il est arrivé à conclure une amitié avec G…, jeune homme très poli et bon garçon. Maintenant encore, il a un faible pour lui, et se sent dans sa compagnie très rassuré et heureux.
Il eut déjà deux fois auparavant des amitiés de ce genre : quand il était étudiant, pour un confrère du même corps d’étudiants, un docteur A…, qu’il a souvent enlacé de ses bras et embrassé ; plus tard pour un baron M… Quand il le perdait de vue pendant quelques jours, il était inconsolable jusqu’aux larmes.
Il a la même tendresse et le même attachement pour les bêtes. Ainsi il a eu un chien qui est mort il y a quelque temps, et qu’il a pleuré comme si c’était un membre de sa famille ; il embrassait souvent cet animal. (En évoquant ce souvenir, S… a les larmes aux yeux.) Ces dépositions sont confirmées par le frère du docteur, avec cette remarque que, en ce qui concerne l’amitié de son frère avec A. et M., le moindre soupçon d’une tendance sexuelle paraît exclu d’avance. Les interrogatoires les plus prudents et les plus insistants, les procédés les plus insinuants avec le docteur S. ne fournissent pas le moindre point d’appui pour des suppositions de ce genre.
Il prétend n’avoir jamais eu non plus en présence de G…, la moindre émotion sexuelle, et encore moins une érection ou un désir sexuel. Quant à son affection pour G…, poussée jusqu’à la jalousie, il l’explique simplement par son tempérament sentimental et par son amitié exaltée. G… lui est encore cher aujourd’hui comme s’il était son fils.
Un fait bien caractéristique, c’est que S… déclare que lorsque G… lui racontait ses bonnes fortunes auprès des femmes, il ne se sentait péniblement touché que parce qu’il craignait que G… courût risque de se rendre malade par ses excès et de ruiner sa santé. Mais il n’a jamais éprouvé un sentiment de froissement personnel. Si aujourd’hui il connaissait pour G… une brave fille, il souhaiterait de bon cœur de les marier, et il aiderait à arranger ce mariage.
S… dit que ce n’est qu’au cours de l’enquête judiciaire qu’il a reconnu avoir agi avec imprudence dans ses rapports sociaux avec G… en donnant lieu aux cancans des gens. Il déclare que ses relations d’amitié étaient publiques, parce qu’elles avaient un caractère tout à fait innocent.
Il est à relever que Mme S… n’a jamais remarqué rien de suspect dans les rapports de son mari avec G…, tandis que la femme la plus simple, guidée par son instinct, se serait doutée de quelque chose. Mme S… n’a non plus fait aucune objection à ce que G… fut reçu à la maison.
Elle fait valoir, à ce sujet, que la chambre dans laquelle G… était couché pendant sa maladie, se trouve au premier étage, tandis que l’appartement de la famille est au troisième ; que, de plus, S… ne restait jamais seul avec G…, pendant que celui-ci était à la maison. Elle déclare être convaincue de l’innocence de son mari, et l’aimer toujours comme auparavant.
Le docteur S… avoue sans réticence avoir autrefois souvent embrassé G… et avoir parlé avec lui de questions sexuelles. G… est très ardent pour les femmes, et, étant donnée cette circonstance, S…, l’a souvent, par amitié, exhorté à ne pas se livrer à ces excès, surtout quand G…, comme c’était souvent le cas, avait mauvaise mine à la suite de ses débauches sexuelles.
Il est vrai qu’il a dit une fois que G… était un joli garçon ; mais cette remarque n’avait qu’un intérêt bien inoffensif.
C’est dans un débordement d’amitié qu’il a embrassé G…, alors que celui-ci avait fait preuve d’une attention particulière ou lui avait fait un plaisir. Mais jamais il n’y avait éprouvé aucune sensation sexuelle. Aussi quand il rêvait par-ci par-là de G…, c’était d’une façon bien innocente.
L’auteur de ce livre crut d’une grande importance d’étudier aussi le caractère de G… L’occasion s’en est offerte le 12 décembre de l’année courante, et il en a largement profité.
G… est un jeune homme au corps délicat, développé normalement pour son âge ; il a vingt ans ; il a une apparence névropathique et sensuelle. Les parties génitales sont normales et fortement développées. L’auteur croit devoir passer sur les constatations faites sur l’anus de ce jeune homme, car il ne se croit pas autorisé à émettre un jugement sur le rapport médical. Quand on s’entretient quelque temps avec G…, celui-ci fait l’impression d’un jeune homme inoffensif, bon, dénué d’astuce, léger, mais pas du tout corrompu moralement. Rien dans sa mise, ni dans son attitude n’indique un sentiment sexuel pervers. On ne peut concevoir le moindre soupçon d’avoir affaire à une courtisane du sexe masculin.
G…, amené in medias res[ws 76], déclare que S… et lui ont innocemment dit les choses qu’on leur reproche, et c’est là-dessus qu’on a échafaudé tout le procès.
Au début l’amitié et surtout les embrassements de S… lui ont paru étranges. Plus tard il s’est convaincu que c’était de la pure amitié, et il ne s’en est plus étonné.
G… reconnut dans S… comme un ami paternel, et il l’aima parce que ce dernier lui était agréable sans arrière-pensée.
Le mot « joli garçon » a été prononcé un jour que G… avait une amourette et qu’il exprimait ses doutes sur son bonheur à venir. C’est alors que S… l’avait consolé en lui disant : « Vous avez une jolie tournure, vous ne manquerez pas de faire un bon parti. »
Une fois S… s’est plaint à lui que sa femme avait un penchant pour la boisson, et, en lui faisant cette confidence, il avait les larmes aux yeux. Alors G… fut touché du malheur de son ami. C’est à cette occasion que S… l’avait embrassé et l’avait prié de lui conserver son amitié et de venir souvent le voir.
S… n’a jamais spontanément amené la conversation sur les choses sexuelles. Comme G… lui demandait un jour ce que c’était que la pédérastie, dont il prétendait avoir entendu beaucoup parler en Angleterre, S… lui en avait donné l’explication.
G… convient qu’il est homme de prédispositions sensuelles. À l’âge de douze ans, il a été initié à la vie sexuelle en entendant les propos des apprentis. Il ne s’est jamais masturbé ; à l’âge de dix-huit ans, il a fait le coït pour la première fois, et depuis il a beaucoup fréquenté le bordel. Il n’a jamais éprouvé une inclination pour son propre sexe, ni aucune sensation sexuelle quand S… l’embrassait. Il a toujours fait le coït d’une façon normale et avec volupté. Ses pollutions dans ses rêves étaient toujours accompagnées d’images lascives concernant des femmes. Il repousse avec indignation l’insinuation qu’il s’est livré à la pédérastie passive, et invoque à ce propos qu’il descend d’une famille saine et honnête.
Avant que le bruit relatif à ces soupçons eût éclaté, il ne se doutait de rien et ne pensait nullement à mal. Il donne sur les anomalies de son anus, les mêmes essais d’explication qu’on trouve dans le dossier de l’affaire. Il nie avoir fait de l’auto-masturbation in ano[ws 77].
Il est bon de remarquer que J. S…, en entendant parler du prétendu amour homosexuel de son frère, n’en aurait pas été moins étonné que les autres personnes qui connaissaient celui-ci de plus près. Il est vrai qu’il n’a pu comprendre lui non plus ce qui attachait son frère à G…, et que toutes les représentations qu’il lui avait faites sur son attitude étaient restées inutiles.
L’expert s’est donné la peine d’observer sans qu’on s’en aperçût le docteur S… et G… pendant qu’ils soupaient à Gratz, en compagnie du frère de S… et de Mme S… Cette observation n’a pas fourni le moindre indice dans le sens d’une amitié illicite.
L’impression générale que m’a faite le docteur S… fut celle d’un individu nerveux, sanguin, un peu exalté, mais en même temps de bon caractère, franc, et avant tout un homme sentimental.
Le docteur S…, est au physique, vigoureux, un peu replet ; il a une tête régulière et légèrement brachycéphale. Les parties génitales sont très développées, le pénis est un peu gros, le prépuce un peu hypertrophié.
Conclusions. – La pédérastie est une forme insolite, perverse, et l’on peut même dire monstrueuse, de la satisfaction sexuelle, qui, dans la vie moderne, n’est malheureusement pas rare, mais toutefois exceptionnelle parmi les populations européennes Elle suppose une perversion congénitale ou acquise du sens sexuel en même temps qu’une défectuosité du sens moral acquise par des influences héréditaires ou morbides.
La science médico-légale connaît exactement les conditions physiques et psychiques sur la base desquelles se produit cette aberration de la vie sexuelle et, dans un cas concret, surtout lorsqu’il est douteux, il paraît nécessaire d’examiner si ces conditions empiriques et subjectives existent aussi pour la pédérastie.
À ce sujet, il faut bien distinguer entre la pédérastie active et la passive. La pédérastie active se rencontre :
I. Comme phénomène non morbide :
1o Comme moyen de satisfaction sexuelle dans le cas d’une abstinence forcée des jouissances sexuelles normales, quand en même temps l’individu a de grands besoins sexuels ;
2o Chez de vieux débauchés qui, rassasiés des jouissances sexuelles normales, et devenus plus ou moins impuissants, et de plus dépravés moralement, ont recours à la pédérastie pour stimuler leur volupté par ce charme d’un nouveau genre, et remonter un peu leur impuissance psychique et somatique tombée très bas ;
3o Traditionnel chez certains peuples à un niveau très bas de civilisation et dont ni la moralité ni les mœurs ne sont développées.
II. Comme phénomène morbide :
1
o Sur la base d’une inversion sexuelle congénitale avec horreur des rapports sexuels avec la femme, inversion qui va jusqu’à l’impuissance à accomplir l’acte normal. Ainsi que l’a déjà remarqué Casper, la pédérastie est très rare dans ce cas. L’uraniste se satisfait avec l’homme par la masturbation passive ou mutuelle ou par des actes similaires du coït (par exemple
coitus inter femora[ws 78]) et n’arrive qu’exceptionnellement à la pédérastie, par rut sexuel ou par complaisance, quand le sens moral est chez lui très diminué ;
2o Sur la base de l’inversion morbide acquise :
a. À la suite de l’onanisme pratiqué pendant des années et ayant rendu l’individu impuissant en présence de la femme, et quand en même temps un vif désir sexuel continue à subsister ;
b. À la suite d’une grave maladie psychique (imbécillité sénile, ramollissement du cerveau chez les aliénés, etc.) ; dans ce cas,
ainsi que l’a démontré l’expérience, l’inversion sexuelle peut se produire facilement.
La pédérastie passive se rencontre :
I. Comme phénomène non morbide :
1o Chez des individus de la lie du peuple, qui ont eu le malheur d’être séduits dès l’enfance par des roués et dont la douleur et le dégoût ont été vaincus par l’argent ; il faut encore que ces individus, moralement dégradés, soient tombés assez bas, quand ils arrivent à l’âge adulte, pour se plaire dans ce rôle d’hétaïres masculins ;
2o Dans des circonstances analogues à celle du paragraphe I, pour récompenser un consentement à la pédérastie active.
II. Comme phénomène morbide :
1o Chez des individus atteints d’inversion sexuelle, comme compensation de services d’amour rendus et en surmontant la douleur et le dégoût ;
2
o Chez des uranistes qui se sentent femmes, en face de l’homme ; les mobiles sont la volupté et leur penchant. Chez ces hommes-femmes il y a
horror feminæ[ws 79] et incapacité absolue pour les rapports sexuels avec la femme. Le caractère et les inclinations sont féminins.
Telles sont les observations recueillies par la science médico-légale et la psychiatrie. La science médicale exige la preuve qu’un homme appartient à une des catégories susénumérées, pour qu’elle puisse croire que cet individu est pédéraste.
C’est en vain qu’on chercherait, dans les antécédents et dans l’extérieur du docteur S…, des symptômes permettant de le classer dans une des catégories de la pédérastie active établies par la science. Ce n’est ni un individu astreint à l’abstinence sexuelle, ni un individu devenu impuissant en face des femmes par suite de débauches, ni un homosexuel, ni un individu devenu par suite d’une masturbation continuelle indifférent pour la femme et poussé vers l’homme, ni un individu devenu, par suite d’une grave maladie mentale, sexuellement pervers.
Il n’a pas même les caractères généraux de la pédérastie : imbécillité morale ou dépravation d’un côté, et trop grands besoins sexuels de l’autre.
Il est aussi impossible de classer son complice G…, dans une des catégories de la pédérastie passive ; car il n’a ni les attributs d’une hétaïre masculine, ni les stigmates cliniques de l’homme-femme. Il est tout le contraire de cela.
Pour rendre plausible du point de vue médico-légal une liaison pédéraste entre ces deux hommes, il faudrait alors que le docteur S…, présentât les antécédents et les symptômes du pédéraste actif mentionnés (I al. 2) et G…, ceux du pédéraste passif cités (II al. 1 ou 2).
La supposition sur laquelle se fonde le verdict est, au point de vue de la psychologie légale, insoutenable.
On pourrait, pour la même raison, prendre tout homme pour un pédéraste. Reste encore à examiner si, au point de vue psychologique, les explications fournies par S…, et G…, sur leur amitié au moins étrange, tiennent debout.
Au point de vue psychologique, ce n’est pas un fait sans analogie qu’un homme excentrique et sentimental comme S…, conclue une amitié transcendante sans aucune émotion sexuelle.
Il suffit de rappeler à ce propos les amitiés intimes qui se lient dans les pensionnats de filles, l’amitié pleine de dévouement de jeunes gens sentimentaux en général, la tendresse que l’homme de cœur sensible montre même envers un animal domestique, sans que personne l’interprète comme une tendance sodomiste.
Étant donnée la particularité psychologique du docteur S., une amitié exaltée pour le jeune G…, est très compréhensible. La franchise avec laquelle se montrait cette amitié devant le public laisse plutôt supposer le caractère innocent de cette affection qu’une passion sensuelle.
Les condamnés réussirent à obtenir une révision de la procédure judiciaire. Le 7 mars 1890 eurent lieu les nouveaux débats contradictoires. Les dépositions des témoins fournirent en faveur des accusés des faits qui les disculpaient entièrement.
Tous reconnurent la conduite morale de S…, antérieurement. La sœur de charité qui a soigné G…, pendant que celui-ci se trouvait malade à la maison de S…, n’a jamais remarqué rien de suspect dans leurs rapports. Les anciens amis de S…, témoignèrent de sa moralité, de son amitié très tendre et de son habitude de les embrasser à l’arrivée et avant le départ. Les modifications qu’on avait autrefois constatées à l’anus de G…, n’existaient plus. Un des experts convoqués par le tribunal admit la possibilité que ces anomalies de l’anus aient été occasionnées par des manipulations digitales. Leur valeur diagnostique a été contestée par le médecin-expert convoqué par le défenseur.
Le tribunal a reconnu que la preuve du délit présumé n’existait pas, et il a prononcé l’acquittement des accusés.
AMOR LESBICUS[ws 80][22].
Son importance médico-légale est bien minime quand il s’agit de rapports entre adultes. En Autriche seulement, il pourrait avoir une importance pratique. Mais, comme pendant de l’uranisme, il a une importance anthropologique et clinique. L’amor lesbicus ne paraît pas être moins rare que l’uranisme. La grande majorité des uranistes féminins ne cèdent pas à un penchant congénital, mais ils se développent dans des conditions analogues à celles de l’uranisme artificiel.
Cette « amitié défendue » fleurit surtout dans les prisons de femmes.
Krausold (op. cit.) dit : « Les prisonnières lient souvent entre elles ce genre d’amitié dans laquelle, il est vrai, on aboutit autant que possible à la manustupration mutuelle. »
Mais le but de ces amitiés ne consiste pas seulement dans une passagère satisfaction manuelle. Elles sont aussi liées pour ainsi dire systématiquement et pour une époque plus longue pendant laquelle se développent une jalousie féroce et un amour ardent d’une violence qu’on ne trouve guère plus intense parmi les personnes de sexe différent. Si l’amie d’une prisonnière s’aperçoit d’un sourire pour une autre, il y a des scènes violentes de jalousie et des crêpages de chignon.
Si la prisonnière qui s’est laissée aller aux voies de fait, a été, selon le règlement, punie et mise aux fers, elle dit que « son amie lui a fait un enfant ».
Nous devons aussi à Parent-Duchâtelet (De la prostitution, 1857) des renseignements très intéressants sur l’amor lesbicus artificiellement créé.
Le dégoût provoqué par les actes les plus abominables et les plus pervers (coitus in axilla, inter mammas[ws 81], etc.) que les hommes commettent sur des prostituées, poussent souvent ces malheureuses, dit l’auteur cité, à l’amour lesbien. Il ressort de ses recherches que ce sont particulièrement les prostituées de grande sensualité qui, non satisfaites par les rapports avec des impuissants ou des pervers, et dégoûtées de leurs pratiques, sont amenées à cette aberration.
De plus, les prostituées qui se font remarquer comme tribades, sont toujours des personnes qui ont fait plusieurs années de prison et qui ont contracté cette aberration dans ces foyers d’amour lesbien ex abstinentia[ws 82].
Il est bien intéressant de constater que les prostituées méprisent les tribades, de même que l’homme méprise le pédéraste, tandis que les prisonnières femmes ne considèrent point ce vice comme choquant.
Parent cite le cas d’une prostituée qui, en état d’ivresse, a voulu en violer une autre à la manière lesbienne. Là-dessus les autres filles du bordel furent prises d’une telle indignation qu’elles dénoncèrent cette pervertie à la police. Taxil (op. cit. pp. 166, 170) cite des faits analogues.
Mantegazza également (Études d’anthropologie et d’histoire de la civilisation) trouve que les rapports sexuels entre femmes ont surtout la signification d’un vice qui s’est développé à la suite d’une hyperæsthesia sexualis non satisfaite.
Nombre de cas de ce genre – abstraction faite de l’inversion sexuelle congénitale – sont tout à fait analogues aux cas masculins dans lesquels le vice s’est artificiellement développé, est devenu peu à peu de l’inversion sexuelle acquise avec horreur des rapports sexuels avec les individus de l’autre sexe.
Il est probable qu’il s’agit de cas de ce genre dans les correspondances que nous rapporte Parent entre amantes, correspondances aussi débordantes et aussi sentimentales que celles entre des amoureux de sexe différent ; l’infidélité et la séparation mettaient hors d’elle l’abandonnée ; la jalousie était féroce et amenait souvent à des vengeances sanglantes. Les cas suivants d’amor lesbicus cités par Mantegazza sont certainement morbides et peut-être des faits d’inversion congénitale.
1o Le 5 juillet 1877 a comparu devant le tribunal, à Londres, une femme qui, déguisée en homme, s’était déjà mariée trois fois avec diverses femmes. Elle a été reconnue femme devant tout le monde et condamnée à six mois de prison.
2o En 1773, une autre femme, déguisée en homme, fit la cour à une jeune fille, demanda sa main, mais sa tentative audacieuse ne réussit pas.
3o Deux femmes vécurent ensemble pendant trente ans, comme mari et femme. Ce n’est qu’en mourant que l’« épouse » a révélé le secret aux personnes qui entouraient son lit.
Coffignon (op. cit., p. 301) cite de nouveaux faits remarquables.
Il rapporte que cette aberration est maintenant très à la mode, en partie à cause des romans qui traitent de ce sujet, en partie aussi par suite de l’excitation des parties génitales par un travail excessif avec les machines à coudre, et aussi par le fait que les domestiques féminins couchent souvent dans le même lit, puis par les séductions qui se font dans les pensions par des élèves perverties ou par la séduction des filles de famille par des servantes perverses.
L’auteur prétend que ce vice (saphisme) se rencontre de préférence chez les dames de l’aristocratie et chez les prostituées. Mais il ne distingue pas entre les cas physiologiques et pathologiques, et parmi ces derniers il ne fait pas non plus la distinction entre les cas acquis et les cas congénitaux. Certains détails concernant des cas sûrement pathologiques correspondent complètement aux faits qu’on a pu recueillir sur les hommes atteints d’inversion sexuelle.
Les saphistes ont leurs lieux de réunion à Paris, se reconnaissent par le regard, les gestes, etc. Des couples saphistes aiment à s’habiller et à se parer de la même façon. On les appelle alors « petites sœurs ».
(Code autrichien, § 306).
Cette forme horrible de la satisfaction sexuelle est si monstrueuse que la supposition d’un état psychopathique est justifiée dans tous les cas ; Maschka exige que dans ces cas on examine toujours l’état mental du sujet. Cette exigence est parfaitement fondée. Il faut une sensualité morbide assurément perverse pour surmonter l’horreur naturelle que l’homme éprouve devant les cadavres, et pour trouver du plaisir à la conjonction sexuelle avec un cadavre.
Malheureusement, dans la plupart des cas qui ont été rapportés dans les publications spéciales, l’état mental de l’individu n’a pas été examiné, de sorte que la question de savoir si la nécrophilie est compatible avec l’intégrité mentale, n’est pas tranchée. Celui qui connaît les aberrations horribles de la vie sexuelle n’oserait pas répondre à cette question par la négative.
9° Inceste
(Code autr., § 122 ; Projet, § 189 ; Code allemand, § 174).
La conservation de la pureté morale de la vie de famille est due au développement de la civilisation ; chez l’homme civilisé qui est encore intact au point de vue éthique, un sentiment pénible se fait toujours sentir quand il lui vient une idée libidineuse concernant un membre de sa famille. Une sensualité très puissante jointe à des idées morales et juridiques très défectueuses est seule capable d’amener un individu à l’inceste.
Ces deux conditions peuvent se rencontrer dans des familles chargées de tares. L’ivrognerie et l’ivresse chez les individus du sexe masculin, l’idiotie qui a arrêté le développement de la pudeur et qui, selon les circonstances, se trouve alliée à l’érotisme chez des individus de sexe féminin, sont les éléments qui facilitent les actes incestueux. Les conditions extérieures qui facilitent le développement de cette aberration sont la promiscuité des sexes dans les familles prolétaires.
Nous avons rencontré l’inceste comme phénomène certainement pathologique dans des cas de débilité mentale congénitale ou acquises, puis dans des cas isolés d’épilepsie et de paranoïa.
Dans un grand nombre de cas, la majorité peut-être, on ne peut cependant pas montrer les causes pathologiques d’un acte qui non seulement offense les liens du sang, mais aussi les sentiments de toute population civilisée. Dans bien des cas pourtant, qui sont rapportés dans les publications spéciales, on peut, pour l’honneur de l’humanité, supposer un fondement psychopathique.
Dans le cas de Feldtmann (Marc-Ideber, I, p. 15) un père a commis des attentats aux mœurs répétés sur sa fille adulte, et finalement l’a tuée. Ce père dénaturé était atteint d’imbécillité et probablement aussi de troubles cérébraux périodiques. Dans un autre cas d’inceste entre père et fille (loc. cit., p. 244), c’était cette dernière qui était idiote. Lombroso (Archiv. di Psichiatria, VIII, p. 519) rapporte le cas d’un paysan âgé de quarante-deux ans qui fit l’inceste avec ses filles âgées de vingt-deux ans, de dix-neuf et de onze ans, qui força même sa fille de onze ans à la prostitution, et la visitait au bordel. L’examen médico-légal a fait constater des tares, de l’imbécillité intellectuelle et morale, du potatorium[ws 83].
Les cas comme celui qui a été rapproché par Schuermayer (Deutsche Zeitschr. für Staatsarzneikunde, XXII, fasc. 1) n’ont pas été analysés au point de vue psychique. Dans le cas en question, une femme a mis sur son ventre son fils âgé de cinq ans et demi et l’a violé. Dans un autre cas rapporté par Lafarque (Journ. de méd. de Bordeaux, 1877), une fille de dix-sept ans a pris sur elle son frère âgé de treize ans, a procédé à la membrorum conjunctionem[ws 84] et l’a masturbé.
Les cas suivants concernent des individus chargés de tares. Magnan (Ann. méd.-psych., 1885) fait mention d’une demoiselle de vingt-neuf ans qui, indifférente aux autres enfants et aux hommes, souffrait beaucoup à la vue de ses neveux, et ne pouvait résister à l’impulsion de cohabiter avec eux. Mais cette pica[ws 85] sexuelle ne subsista que tant que ses neveux furent tout jeunes.
Legrand (Ann. méd.-psych., 1876, mai) fait mention d’une jeune fille de quinze ans qui avait entraîné son frère à toutes sortes d’excès sexuels ; quand après deux années de rapports incestueux le frère est mort, elle fit une tentative d’assassinat sur un parent. Dans le même endroit on trouve rapporté le cas d’une femme mariée, âgée de trente-six ans, qui laissait pendre par la fenêtre ses seins nus et qui faisait de l’inceste avec son frère âgé de dix-huit ans ; il cite ensuite une mère âgée de trente-neuf ans qui faisait de l’inceste avec son fils dont elle était amoureuse à en mourir et qui, devenue enceinte de lui, provoqua un avortement.
Nous savons par Casper que, dans les grandes villes, des mères perverties éduquent leurs petites filles d’une façon abominable pour les préparer aux usages sexuels des débauchés. Cet acte criminel rentre dans une autre catégorie.
11o Actes immoraux commis avec des pupilles. Séduction
(Code autrichien, § 121 ; Projet, § 183 ; Code allemand, § 173).
Ce qui se rapproche de l’inceste mais sans blesser aussi profondément les sentiments moraux, ce sont les cas où un individu cherche à accomplir ou tolère des actes immoraux sur une personne dont l’éducation, la surveillance lui ont été confiées et qui par conséquent se trouve plus ou moins sous sa dépendance. Ces actes immoraux qui sont particulièrement définis par les codes, ne paraissent avoir qu’exceptionnellement une signification psychopathique.