Utilisateur:Acélan/en cours2


donc, mal blanchi ! je vous défends de parler à ma femme !

FANCHETTE.
SAINT-GEORGES.

Qu’est-ce que tu as ? je l’embrasse sans lui

Là !…

parler !

Sapristi !

(Il l’embrasse.)

JULIEN, furieux.
SAINT-GEORGES, l’embrassant encore.

Je ne lui dirai pas un mot !…

JULIEN, jetant sa cuillière.

J’écume de rage !

FANCHETTE, se débattant.

Laissez-moi donc !

LE BARON, à part.

Il va se faire une querelle !

JULIEN, faisant passer sa femme de côté.

C’est trop fort… ! (Saisissant l’épée d’un chasseur.) Je suis du régiment de Picardie, moi !…

SAINT-GEORGES.

C’est donc ça que tu nous donnes du vin de ton régiment !… du vrai cidre !

JULIEN, hors de lui.

Insulter mon vin et embrasser ma femme !… défendez-vous… ou je vous embroche comme un poulet.

FANCHETTE.

Ils vont se battre !…

TOUS, faisant cercle.

Bravo !… le mari !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|ramassant la cuillière-à-pot. Peste… j’ai affaire à forte partie !…

JULIEN, lui poussant des bottes.

Séducteur !

SAINT-GEORGES, parant.

C’est Ménélas… en tablier de cuisine !…

JULIEN.

Scélérat !…

SAINT-GEORGES.

Prenez garde… vous allez vous blesser…

JULIEN, furieux.

(Il le touche.)

Je te ferai mettre de l’eau dans ton vin !

SAINT-GEORGES, parant.

Je ne veux pas aller sur vos brisées…

Oh !…

(Il le touche.)

JULIEN.

(Il reçoit un autre botte.)

SAINT-GEORGES.

C’est malgré moi… (Autre botte.) Vous m’y forcez…

Oh ! oh !…

(Il le touche plusieurs fois.)

JULIEN.
SAINT-GEORGES.

Je vous dis que vous vous ferez mal… vous ne savez pas seulement tenir votre épée.

(Il lui donne un coup sur les doigts et lui fait sauter l’épée de la main.)

JULIEN.

Ouf !… quel poignet !

{{personnageD|TOUS|c|se moquant de Julien.

Bien touché !

-pol.

Duche.)

uche.)

botte.]

= my

fois.)

as ne

auter

LE BARON.

Diable !… je ne choisirai pas l’épée.

JULIEN, montrant son tablier marqueté de laches

faites par les bolles qu’il a reçues. Quelle horreur ! j’ai l’air d’une écumoiré !

SAINT-GEORGES, secouant ses gants.

C’est votre faute !… vous m’obligez à me salir les doigts, pour l’honneur d’un misérable bouchon !

JULIEN, reprenant sa colère.

Un bouchon ! s’il n’y a pas de quoi sauter !… mais ce n’est pas fini là… (À Saint-Georges.) L’épée, je ne dis pas… c’n'est pas ma partie… mais j’ai-l-été dragon…(Criant à la porte de son cabaret.) Jean ! mes pistolets !…

(Il entre les chercher.)

FANCHETTE.

Des pistolets !… (Courant à Saint-Georges.) Ah ! monsieur, je vous en prie !

SAINT-GEORGES, riant.

Ne craignez rien, mon enfant.

FANCHETTE, désolée.

C’est que vous ne le connaissez pas… quand une fois il a la tête montée !…

JULIEN, entrant avec des pistolets.

Je veux satisfaction… à mort !

FANCHETTE, voulant l’arrêter.

Y songes-tu ?

JULIEN.

Ça ne vous regarde pas !… c’est entre zhommes !…(Montrant ies chasseurs.) Ces messieurs seront nos témoins !

TOUS, riant.

Volontiers !

SAINT-GEORGES.

Allons… il veut que je lui casse la tête, à présent….. en vérité, j’y mets une complaisance !…

JULIEN.

Oui… oui… nous allons voir… (À Saint-Georges.) Tenez… ils sont chargés…et voilà les balles…

SAINT-GEORGES, en prenant un.

Des balles !… oh ! non… je pourrais vous tuer… (H regarde à terre, comme s’il cherchait quelque chose.)

JULIEN.

Qu’est-ce que vous cherchez donc ?

SAINT-GEORGES.

Oh ! mon Dieu… la moindre des choses… (Ramassant un clou.) Ah ! voici mon affaire !… un clou de cheval. [blocks in formation]

SAINT-GEORGES, le mettant dans son pistolet.
C’est tout ce qu’il faut pour vous crever un œil…
JULIEN.

Un œil !…

SAINT-GEORGES.

Pour vous apprendre à y voir plus clair !

FANCHETTE, se récriant.

Eh bien ! il sera joli garçon.

SAINT-GEORGES, reculant de quelques pas.

Voyons quel est celui auquel vous tenez le moins !… [ocr errors][merged small][merged small][merged small]

À cinquante pas… je suis sûr de mon coup !… choisissez !

JULIEN, effrayé et se bouchant les yeux. Que je choisisse !…

SAINT-GEORGES.

C’est un avantage que je veux vous faire !… ou plutôt… non… vous n’avez pas d’enseigne ! (Lui prenant son bonnet de coton.) Ne bougez pas ! (Il lance le bonnet en l’air, l’ajuste, tire et le cloue sur l’enseigne à fond noir.) Voilà ton enseigne !

TOUS LES CHASSEURS.

Bravo ! admirable !…

Au vol !…

JULIEN.
LE BARON, à part.

Diable !… je ne choisirai pas le pistolet !

Mme DE PRESLE, paraissant à la fenêtre de l’auberge.

Quel bruit ! qu’y a-t-il done ? (Apercevant Saint-Georges.) Ah ! c’est lui !

SAINT-GEORGES, à part, la voyant.

La voilà ! je savais bien que je la forcerais à se montrer.

(Mme de Presle qui n’a été vue que de Saint-Georges, disparaît aussitôt.)

JULIEN, stupéfait.

J’en ai la sueur froide ! dieux ! si j’avais eu la tête près du bonnet !

SAINT-GEORGES.

Et maintenant tu peux écrire au-dessous : À l’aubergiste décoiffé ou coiffé… Fanchette se chargera de l’inscription.

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

JULIEN, à part, et furieux.

Et je ne puis me venger !… (Une pause.) Je vais battre ma femme… ce sera toujours ça !…(La faisant rentrer.) Rentrez donc, mame Julien… j’ai deux mots à vous dire !

FANCHETTE, se sauvant.

Ab ! oui… je sais bien ! cela va recommencer.

JULIEN.

Rentrez donc !

(Il la suit dans la maison.)

LE BARON, à part.

Je prendrai encore quelques leçons de La Boessière… il ne s’agit pas de se faite tuer comme un sot.

SAINT-GEORGES, se retournant vers le baron.

Quant à vous, baron, vous vouliez me dire ?…

LE BARON, embarrassé.

Rien… rien… une misère… je ne suis pas pressé… c’était pour ce cheval… lord Dumbletton… parce que moi, d’ailleurs… si par hasard, vous vous en dégoûtiez… nous en causerons plus tard… (On entend les cors.) Voici la chasse qui se rapproche… et les chevaux de la comtesse qui n’arrivent pas ! je cours m’informer.

(Il sort par la droite.) SAINT-GEORGES, à ses amis. Quel amphigouri ! si c’est pour me conter ça qu’il a attendu une heure !

PREMIER PIQUEUR, criant au fond.

Messieurs… messieurs !… le cerf qui débouche sur la chaussée !

LA MORLIÈRE.

Vite, les chevaux !

TOUS.

AIR Le tambour nous appelle (Colonel d’autrefois). [blocks in formation]

Quel passe-temps royal !

À cheval ! à cheval !

(Ils sortent en désordre par la gauche, au milieu du bruit des cors qui s’affaiblit peu-à-peu.)


{{acteurs|SAINT-GEORGES, puis Mme DE PRESLE.

SAINT-GEORGES, regardant la fenêtre.

Allez… courez… moi, je me garderai bien de quitter la place ; car, si j’en crois mon pressentiment… (Voyant Me de Presle.) Je ne m’étais pas trompé… la voici.

(Il remonte vers le fond.) Mme DE PRESLE, en amazone du temps, et sorlant de l’auberge.

Une querelle… un accident, peut-être. (S’arrêtant en le voyant.) Non… il est seul !

SAINT-GEORGES, s’approchant.

Mon Dieu ! madame, que je vous dois d’excuses ! je vous ai effrayée, je le vois…

Mme DE PRESLE, émue.

Oui… je l’avoue, monsieur, ce bruit soudain… ces cris…

SAINT-GEORGES.

Ce n’est rien… une arme que j’essayais ! si j’avais su… Je donnerais tout au monde pour vous faire oublier une pareille maladresse… et si vous daigniez accepter mes services.

Mme DE PRESLE, le regardant.

Monsieur… (À part.) Ah ! ce ne peut être lui….. SAINT-GEORGES, à part.

Comme elle me regarde !… (Haut.) Vous alliez suivre la chasse ?… Voulez-vous que j’appelle vos gens…

Mme DE PRESLE, souriant.

C’est inutile !… de deux cavaliers qui devaient m’accompagner, je n’en vois plus un seul… SAINT-GEORGES, vivement.

Je serais fier de les remplacer, parlez, disposez de moi, madame… (Se reprenant avec respect.) Ne craignez rien, je suis de la maison de son altesse, madame… et ce titre seul vous répond de mon respect… lors même que votre vue ne le commanderait pas.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à part.

Jusqu’au son de sa voix… (Haut.) Si je ne m’abuse, c’est au chevalier de Saint-Georges que j’ai l’honneur ?…

SAINT-GEORGES.

Oui, madame… (En souriant.) Je suis assez reconnaissable pour qu’on ne s’y trompe pas !… un cachet tout particulier.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|confuse.

Ah ! ce n’est pas cela !

SAINT-GEORGES.

Ne vous en défendez pas… (Avec grâce.) C’est toujours un bonheur d’attirer l’attention des dames, et je bénirai cet heureux privilége s’il m’a valu un regard de la plus jolie femme de la cour ! Mme DE PRESLE, à part.

C’est qu’il s’exprime fort bien.

SAINT-GEORGES.

AIR de l’Ermite de Saint-Avelle. On dit qu’en un lointain rivage,

(Montrant sa figure.)

Cette sombre et triste couleur, Est le signe de l’esclavage

Ah ! pour toujours j’y consens de grand cœur. Près de l’esprit, des grâces qu’on admire,


Dans ce pays où règne la beauté… Est-il possible qu’on désire De retrouver sa liberté. Est-il possible qu’on désire De retrouver jamais sa liberté.

Mme DE PRESLE.

En vérite, monsieur, voilà des complimens !… (Avec intention.) Vous n’êtes pas né en France ? SAINT-GEORGES, vivement.

Non… non, madame… je suis d’une famille portugaise, établie au Pérou… et qui lors de l’avénement du vice-roi…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à part.

Allons… je suis folle !…

SAINT-GEORGES.

Mais à quoi bon vous entretenir des hauts-faits des mes aïeux ?… il s’agit de rejoindre la chasse….. je me mets à vos ordres…

Mme DE PRESLE.

Pour la première fois que nous nous rencontrons…

SAINT-GEORGES.

Mon Dieu ! en France, on se connait sans s’être jamais vu… et si vous acceptez ?…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|souriant. J’aurais peur de me brouiller avec trop de belles dames !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec feu.

En est-il une seule, auprès de la charmante comtesse de Presle.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|vivement.

Vous me connaissez ? [ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|se remellant.

Votre nom que j’ai entendu prononcer…… du moment qu’on vous à vue… chacun doit s’informer… Mme DE PRESLE, à parl.

Oh ! il y a quelque chose !… et je saurai… (Haut.) Mais je ne vois pas mes chevaux ?

SAINT-GEORGES.

Qu’à cela ne tienne… les miens sont là… (Montrant la gauche.) J’ai justement une petite bête délicieuse… que je destinais à la duchesse de Praslin… (Allant vers la gauche. Voyez, elle est tout équipée… je vous réponds d’elle… D’ailleurs, je ne vous quitterai pas !

Mme DE PRESLE.

Cela me décide !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à lui-même.

O bonheur ! (Parlant à la coulisse et faisant signe d’approcher les chevaux.) Télémaque !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à part, le suivant des yeuxX. Ah ! je veux percer ce mystère… avec un peu d’adresse et de coquetterie ce sera la première fois… mais il faut bien se mettre à la mode du pays que l’on habite !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Deux heures… auprès d’elle !… (Lui offrant la main.) Madame…

(En ce moment, un exempt en manteau, qui a paru au fond, et qui observait le chevalier, s’approche.) L’EXEMPT.

Monsieur le chevalier ?…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|sans quitter la main de Mme de

Que voulez-vous ?

Presle.

Un mot ?…

L’EXEMPT.

SAINT-GEORGES.

Je n’ai pas le temps !

L’EXEMPT.

C’est de la part du prince !

SAINT-GEORGES.

De son allesse ?… (À Mme de Presle.) Mille pardons, madame ; le service… des ordres à donner, sans doute !… le marquis de Langeac, mon ami, que j’aperçois, voudra bien vous escorter !

Mme DE PRESLE.

Mais, vous me rejoindrez ?…

SAINT-GEORGES.

À l’instant… Je vais toujours vous tenir l’étrier… (À l’exempt.) Je suis à vous, monsieur. [blocks in formation]

(Saint-Georges sort avec Mme de Presle par la gauche.)



Scène XI.

{{acteurs|L’EXEMPT, SES GENS, puis JULIEN.

L’EXEMPT.

Nous le tenons !… (À ses gens qui sont masquée par la haie.) Vous êtes là, vous autres ?… (Ils passent leurs létes.) Bien, ne vous montrez pas ! (Ils disparaissent. Appelant du côté de la poste.) Postillon !… postillon !

{{personnageD|JULIEN|c|paraissant.

Qu’est-ce que c’est ?

L’EXEMPT, montrant la voiture du fond. Des chevaux, à cette chaise…

JULIEN.

C’est à monsieur de Boulogne.

L’EXEMPT, lui donnant un papier.

Il me la prête ! voilà un mot de lui.

Ah ! bah !

JULIEN.

L’EXEMPT.

Et dépêchons ! c’est pour une arrestation de par Je roi… [blocks in formation]

Ne tremble donc pas ! on croirait que tu fais ton vin !… il ne s’agit que du chevalier de Saint-Gcorgcs !

{{personnageD|JULIEN|c|avec joie.

Le chevalier de Saint-Georges ?… le moricaud ! Oh ! que c’est bien fait ! Ah ! le grand roi ! le bon roi ! l’excellentissime… Vive le roi !… Mes meilleurs chevaux ! et je conduis moi-même !… L’EXEMPT, s’approchant de la voiture avec une clé el ouvrant la portière.

Va mettre tes bottes !

JULIEN.

Tout de suite !… Ah ! je t’apprendrai, face de pruneaux enfarinés, à molester le régiment de Picardie !… Ohé ! ma grise, mon porteur… mes bottes et mon fouet.

(Il disparait sous le hangard.)

L’EXEMPT.

Il y a une serrure… une clé… très-bien… chut !…



Scène XII.

{{acteurs|L’EXEMPT, SES GENS, cachés ; SAINT-GEORGES, reparaissant à gauche et saluant de la main.

SAINT-GEORGES.

Dans la minute, belle dame !… (À lui-même.) La voilà partie !… Elle se tient comme un ange !…… Ah ! qu’il me tarde !… (Se tournant brusquement vers l’exempt.) Voyons, monsieur, de quoi s’agit-il ?

L’EXEMPT.

De me suivre sur-le-champ.

SAINT-GEORGES.

Vous suivre ?… où donc ? [blocks in formation]

SAINT-GEORGES.

Ce n’est pas possible… il y a erreur !… Savezvous qui je suis ?…

L’EXEMPT.

Le chevalier de Saint-Georges, capitaine des chasses de monseigneur le duc d’Orléans.


SAINT-GEORGES.

Et vous avez ordre de me conduire ?…

L’EXEMPT, montrant sa lettre.

À la Bastille !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|s’emportant.

Morbleu !

L’EXEMPT, faisant un signe à ses gens qui parais

sent.

Pas de résistance, monsieur le chevalier ! j’ai tout prévu, et ces messieurs…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|souriant.

Oh ! fussent-ils le double, monsieur l’exempt, je serais encore homme à les frotter… et vous par-dessus le marché, si je me le mettais en tête !… mais la maison de son altesse doit l’exemple du respect pour le nom du roi ! J’obéis !

L’EXEMPT, remontant vers la voiture.

Je n’attendais pas moins de votre courtoisie ! SAINT-GEORGES, à part.

Et la comtesse qui m’attend ! C’est une fatalité ! L’EXEMPT, lui montrant le marche-pied. Passez donc, monsieur le chevalier.

SAINT-GEORGES.

Après vous, je vous en prie…

L’EXEMPT.

Je sais trop ce que je vous dois…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|montant.

Il est impossible d’arrêter avec plus de grâce… Je vous recommanderai à mes amis. (Voyant qu’il ferme la portière à clé.) Qu’est-ce que vous faites donc ?

L’EXEMPT.

Oh ! rien… une petite précaution ! je ferme à clé… On met les chevaux… et dans cinq minutes…



Scène XIII.

{{acteurs|LES MÊMES, LA MORLIÈRE el Deux autres Chas

SEURS.

LA MORLIÈRE.

Hé ! chevalier ?… où es-tu ?

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|passant sa tête à la portière. Qui est-ce qui appelle ?

LA MORLIÈRE.

Comment ! que

diable fais-tu là ?….. Où vas-tu

donc ?

SAINT-GEORGES.

À la Bastille, mon cher !

LA MORLIÈRE.

À la Bastille ?

SAINT-GEORGES.

Oui… Si tu veux une place ?… c’est une occasion, une voiture de retour.

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|à l’exempt.

Qu’est-ce que cela signifie ?… Un officier du prince à la Bastille !…

L’EXEMPT.

Nous avons des ordres.

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|s’échauffant.

Ça ne se peut pas !… Vous êtes des faquins !… L’EXEMPT.

Monsieur !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|dans la voiture.

La Morlière !…

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|s’emportant.

Mais non, c’est quelque piége… quelque vengeance particulière… mais je ne souffrirai pas… (Aux chasseurs.) À moi, mes amis… tombons sur. celte canaille !

(Ils mettent l’épée à la main. L’exempt, en se mettant en défense, laisse tomber la clé de la portière.)

L’EXEMPT, se défendant ainsi que ses gens. Rébellion messieurs, prenez-y garde !

La Morlière !

SAINT-GEORGES.

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|les chargeant. Ah ! bélitres ! je vous apprendrai !

(Ils disparaissent par la gauche.)



Scène XIV.

{{acteurs|SAINT-GEORGES, seul, dans la voiture, criant. Quelle folie !… La Morlière !… Messieurs !… Tu vas t’attirer une mauvaise affaire !…Il ne m’entend pas !… Il est capable de tuer toute la maréchaussée !… C’est un de mes élèves !… Mais, au fait, il a raison… si c’était une vengeance particulière… (Essayant d’ouvrir.) Impossible !… c’est fermé !… et personne !… Je vous demande un peu à quoi je ressemble ainsi !… J’ai l’air d’une enseigne d’épicier… À la Tête noire !… Morbleu !… (Regardant à terre.) Qu’est-ce que je vois donc briller dans la poussière ? La clé de la portière… que, dans son trouble, notre brave exempt aura laissé tomber !… (Sortant le bras.) Ah bien ! oui… je n’ai pas le bras assez long ! (Regardant à gauche.) Qui vient là ? Le baron de Tourvel !… Oh ! si je pouvais… Il n’est pas fort !…

{{personnageD|LE BARON|c|traversant le théâtre vivement et entrant dans l’auberge.

Enfin, ces maudits chevaux sont arrivés… Voyons si la comtesse est prête !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

(Il disparaît.)

La comtesse !… Est-ce qu’il s’en occuperait aussi ?… Raison de plus !… Le voici !…



Scène X.

{{acteurs|V.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|dans la voiture ; LE BARON, ressortant de l’auberge.

{{personnageD|LE BARON|c|à lui-même et frappant du pied. Partie !… comment ? par où ? Ces choses-là sont faites pour moi !

SAINT-GEOorges.

Attention ! (Haut, et se demenant dans la voiture.) Oui, c’est un tour infâme ! un guet-apens abominable !…

{{personnageD|LE BARON|c|avec ironie.

Hé ! monsieur de Saint-Georges ! Comment, chevalier, vous quittez déjà la chasse ?… vous retournez à Paris.

SAINT-GEORGES.

Bien malgré moi, je vous jure, mon cher baron. [blocks in formation]

À la lettre !… Une aventure affreuse !…

Quelque rival ?

LE BARON.
SAINT-GEORGES.

Du tout… C’est bien plus drôle, mon cher !….. une femme qui me fait enlever !

LE BARON.

Une femme !… (À part.) Le fat !… ça ne m’est jamais arrivé… (Haut.) Comment diable ?…

SAINT-GEORGES.

Venez donc par ici… que je vous conte… Vous connaissez peut-être la petite Guimard ?

Parbleu !…

{{personnageD|LE BARON|c|à lui-même.

SAINT-GEORGES.

Figurez-vous que la petite folle s’est prise d’une passion pour moi !…

{{personnageD|LE BARON|c|à part.

Dont j’enrage !…

SAINT-GEORGES.

Que je suis loin de partager !… Je la trouve longue, maigre, jaune."

{{personnageD|LE BARON|c|à part.

Insolent ! Il lui sied bien de me dire du jaune…

SAINT-GEORGES.

Elle m’a fait inviter vingt fois à souper tête-àtête avec elle, dans sa petite maison de la rue des Marais… J’ai toujours refusé !… et, dans son désespoir, elle m’a fait saisir par des misérables !….. et prétend me forcer… [blocks in formation]

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|riant.

Je l’attraperai bien… je… je ne mangerai pas ! LE BARON, à part.

Est-il bête !

SAINT-GEORGES.

N’est-ce pas que c’est une infamie ?

LE BARON.

C’est charmant ! Et si j’étais à votre place !…

SAINT-GEORGES.

Parbleu ! je voudrais vous y voir.

LE BARON.

Vous me la céderiez ?…

SAINT-GEORGES.

Avec le plus grand plaisir…


LE BARON.

Délicieux ! Mais comment faire ?

SAINT-GEORGES.

Rien de plus facile… Tenez… ramassez cette petite clé que mes ravisseurs ont laissé tomber… en courant commander les chevaux… Bien ! c’est cela… elle doit ouvrir la portière…

{{personnageD|LE BARON|c|ouvrant.

Parfaitement !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|sautant à terre.

En vous remerciant.

LE BARON.

Il n’y a pas de quoi !

SAINT-GEORGES.

Maintenant, prenez vite ma place.

LE BARON.

Avec transport ! Oh ! la Guimard !… (S’arrêtant encore.) Ah ! mon Dieu… en me voyant, elle s’apercevra de la différence du blanc au noir.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|le poussant toujours.

Du tout… elle m’attend… dans un petit boudoir… obscur… au fond de son jardin !

{{personnageD|LE BARON|c|montant.

Oh ! farouche Guimard ! je pourrai donc te dire…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|rapidement.

Vous lui direz tout ce que vous voudrez… mais baissez les stores… car on vient !… Et le plus profond silence, pour qu’on ne se doute pas de la substitution ! Bon voyage !… (À part, et se glissant de côté derrière la charmille.) Il était temps ! (Il disparait un moment par la gauche.)



Scène XVI.

{{acteurs|LES MÊMES, L’EXEMPT, JULIEN ; puis, successivement, M. DE BOULOGNE, à droite, Mme DE PRESLE, LA MORLIÈRE, LANGEAC, CHASSEURS, à gauche ; PIQUEURS.

(On entend le cor qui se rapproche peu-à-peu et qui sonne l’halali.)

L’EXEMPT, tout échauffé.

Hé vite !… Ces enragés sont allés chercher du renfort !… et la chasse qui revient… (Appelant.) Postillon !… postillon !…

Voilà !…

{{personnageD|JULIEN|c|en dehors.

L’EXEMPT, regardant les stores.

Les stores sont baissés… Mon prisonnier a pris le parti de s’endormir… Très-bien !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|paraissant à la fenêtre de l’auberge.

À merveille ! il est coffré !… J’ai recommandé de le tenir au secret… jusqu’au mariage de mon fils !…

(Cors et entrée de chasseurs.) L’EXEMPT.

Allons, postillon, à cheval !

{{personnageD|JULIEN|c|à qui l’on verse à boire, à droite. Rondement !… Vous allez entendre le coup de fouet de satisfaction.

FINAL.

CHŒUR DE CHASSEURS.

AIR:Sonne sonne, bon piqueur (LAC DES FÉES). Sonne, sonne, bon chasseur !…

Ah ! pour nous tous, quel jour de gloire ! Sonne, sonne, la victoire

Et proclame le vainqueur.

(Ils se rangent de côté.)

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|traversant le théâtre, et courant à Mme de Presle et aux chasseurs qui arrivent par la gauche.

Ce pauvre chevalier…

(Montrant la voiture.)

Le voilà prisonnier !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à part et parlant. Ciel !

LA MORLIÈRE.

Pour la Bastille, il part…

TOUS.

Empêchons son départ…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|derrière Mme de Presle et masqué par le groupe des chasseurs, à mi-voix. Ne craignez rien… me voici !…

Mme DE PRESLE.

Comment… mais qui donc ?…

SAINT-GEORGES.

Un ami qui a pris ma place….. Chut !…….

REPRISE DU CHŒUR.

Sonne, sonne, etc

L’EXEMPT, sur le siége, au postillon.

Partez !…

{{personnageD|JULIEN|c|montant à cheval, faisant claquer son fouel. Hu !…

REPRISE DE CHŒUR.

(La voiture traverse le théâtre au galop.) FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE II.

Le théâtre représente un joli salon à la Louis XVI, orné de meubles de l’époque. Porte de fond et portes latérales. À droite du spectateur, sur le devant de la scène, un clavecin, sur lequel on voit de la musique et un violon. À gauche, une toilette, près de laquelle est assise, au lever du rideau, Mmede Presle, qu’une femme de chambre achève de coiffer.

SCENE Ire.

Mme DE PRESLE, à sa toilette, M. DE BOULOGNE, UNE Femme de chambre.

Mme DE PRESLE.

Ce soir, le contrat !

M. DE BOULOGNE.

Le notaire est prévenu !…et dans deux heures…

Mme DE PRESLE.

Impossible ! vous savez que j’ai du monde ! nous faisons de la musique.

M. DE BOULOGNE.

Raison de plus !… personne ne se doutera qu’au milieu d’une réunion… et puisque vous avez désiré que ce fût secret…

Mme DE PRESLE.

Mais, du tout… c’est vous qui m’avez demandé !

M. DE BOULOGNE.

Oui… dans votre intérêt… une jeune veuve !… les propos… (À part.) Et puis les renseignemens qui seraient venus en foule sur mon fils…

Mme DE PRESLE.

N’importe, mon cher contrôleur… on ne marie pas ainsi une pauvre femme !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à part.

Ah ! diable, est-ce que ce maudit chevalier aurait déjà fait impression ?

Mme DE PRESLE.

Nous verrons ! demain… après-demain !… rien ne presse !

M. DE BOULOGNE.

Je le vondrais !… mais il n’y a plus moyen de reculer !

Mme DE PRESLE.

Comment ?

(La femme de chambre sort.)

M. DE BOULOGNE.

Vous allez me gronder ! le roi, que j’avais instruit de cette alliance, veut absolument signer votre contrat, ce soir même, à son petit coucher !

Ce soir !

Mme DE PRESLE.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|d’un air indifférent. Oui… en même temps que celui du chevalier de Saint-Georges.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|frappée et se levant. Le chevalier ! le chevalier se marie ?

M. DE BOULOGNE.

On le dit… (À part.) Il est sous les verroux; il ne me démentira pas.

Mme DE PRESLE.

Ah !… et avec qui ?

M. DE BOULOGNE.

Une anglaise, je crois… une riche héritière… (À part.) Ce n’est pas maladroit de jeter ça par terre… le ramassera qui voudra !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|plus émue.

Et sa future, est-elle jolie ?

M. DE BOULOGNE.

Ma foi, je n’en sais rien… cela m’intéresse si peu !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|vivement.

Oh !… et moi donc… car, en vérité, je ne sais qu’elle rage on a de ne parler, de ne s’occuper que du chevalier de Saint-Georges !… du reste, Vous avez raison, contrôleur… il n’y a pas moyen de retarder…le roi…un tel honneur…el puis, vous avez ma parole… un ancien ami de ma mère…..je signerai ce soir… tout de suite… je suis prête.. M. DE BOULOGNE, à part. Victoire !… (Lui baisant la main.) Aussi bonne que jolie !


{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|souriani.

Mais que je voie donc mon mari !… depuis la chasse de ce matin…

M. DE BOULOGNE.

Je vais vous l’envoyer… (À part.) Si je le rattrape… où diable se fourre-t-il ? je ne l’ai pas revu !… (Haut.) Il court sans doute pour la corbeille, les présens… (À part.) Heureusement que j’y ai pensé… car il se pendrait plutôt… (Haut.) Vous verrez quel goût délicieux ! adieu, adieu, ma

chère bru !

AIR Rifelet sans qu’il sans doute.

Je cours chez notre notaire…

Inviter quelques amis…

(À part.) Quel sort que celui d’un père Qui fait la cour pour son fils ! Pour lui, c’est qu’il me faut être Aimable, ardent, accompli… Puis, il me faudra peut-être L’épouser aussi pour lui ! ENSEMBLE.

M. DE BOULOGNE, haut. Je cours chez notre notaire, Inviter quelques amis… Bientôt, je serai le père Le plus heureux de Paris.

Mme DE PRESLE.

Oui, prévenez le notaire… Tous vos vœux seront remplis; Car je crois vraiment le père Plus amoureux que le fils.

(M. de Boulogne sort.)



Scène II.

{{acteurs|Mme DE PRESLE, seul, après un moment de si

lence.

Il se marie !… (Avec vivacité.) Qu’est-ce que cela [ocr errors]

me fait un homme que je n’ai rencontré qu’une fois, et que des souvenirs trompeurs !… que m’importe !… (Changeant de ton.) Eh bien ! si, cela m’agite, cela me tourmente malgré moi !… quand je le compare au baron ?… tant de grâce, d’esprit, de courage !… jusqu’à cette physionomie originale… enfin, on a beau dire… ce n’est pas la figure de tout le monde ! et je voudrais à tout prix…



Scène III.

{{acteurs|Mme DE PRESLE, LA FEMME DE CHAMBRE. [blocks in formation]

Ce valet de monsieur de Saint-Georges que vous aviez fait demander.

Mme DE PRESLE.

Ah ! c’est inntile, maintenant !… (Se reprenant.) Ou plutôt… si ! qu’il vienne !… puisque le hasard me l’a fait reconnaître… il pourra m’instruire… (La femme de chambre fait entrer Platon.) C’est bien !… si quelqu’un montait… avertis-moi. (La femme de chambre sort.)



Scène IV.

{{acteurs|Mme DE PRESLE, PLATON.

PLATON, regardant l’appartement.

Peste beaux meubles ! c’est au moins une du

chesse… ou une danseuse !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|assise à droite. Approchez, mon ami."

PLATON, à part.

C’est agréable d’être au service d’un homme à la mode ! on ne voit que le grand monde !

Mme DE PRESLE.

Vous êtes au chevalier de Saint-Georges.

PLATON.

Son valet de chambre… intime.

Mme DE PRESLE.

Vous ne me connaissez pas ?

PLATON.

Non, madame.

Mme DE PRESLE.

Mais, moi, je vous connais !… Vous vous nonmez Platon ?

C’est vrai.

PLATON, élonné.

Mme DE PRESLE.

Vous étiez chef des noirs… et commandeur, à Saint-Domingue… chez la marquise de Sassenaye, ma mère.

PLATON, ému.

Votre mère !… la marquise… Quoi ! madame, c’est vous !… (S’approchant pour la regarder.) Oui… oui ! voilà bien ces traits délicats et fins… ce sourire de bonté.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|lui tendant la main qu’il baise. Oui… oui… mon ami ! Tu vois que je ne t’avais pas oublié.

PLATON, s’essugant les yeux.

Ah ! je me crois encore au domaine de la Rose… à l’époque de ma gloire ! Voilà une habitation où j’avais de l’agrément ! Quatre cents nègres que je maniais… et à qui j’administrais régulièrement.

(Geste expressif. Soupirant.) C’était le bon temps, J’en avais quelquefois le bras brisé !… d’autant que, pour que la besogne fût bien faite, je ne m’en rapportais qu’à moi !…… (Avec tendresse.) Ces pauvres amis ! ils ont bien dû me regretter ! Mme DE PRESLE, souriant.

Mais non, pas trop !

PLATON.

Oh ! si !… Je suis sûr que ça n’allait plus ! parce qu’avec ce bétail-là, voyez-vous, il faut ça pour le conserver !… À présent, ils ont des systèmes de ménagemens !… Aussi, ça produit de jolis effets !… Tout est bouleversé…maintenant ce sont les blancs qui servent les noirs ! les nègres sont dans la voiture… et moi, je vais derrière ! moi, Platon… mais je suis philosophe !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec intérêt.

Est-ce donc pour ton maître que tu dis cela ? Et le chevalier serait-il, lui-même ?…

PLATON.

Oh ! non ! je parle en général. Lui ! Sainte-Vierge !… Quelle apparence qu’un nègre, un esclave eût osé se faufiler à la cour….. Il y aurait de quoi le hacher menu, menu comme… Non !…

AR : Vaudeville de l’Homme vert.

D’un mulâtre, il n’a que la mine… Il n’est ni gourmand, ni menteur. Avec ses gens, qu’on l’examine, Il est toujours d’une douceur !… Or, c’est bien facile à comprendre, Comme noir, s’il avait vécu,

Aux blancs, il aimerait à rendre, Tout ce qu’il en aurait reçu.

Et je serais là tout porté… pour recevoir…

Mme DE PRESLE.

Ah ! il est bon maître ?

PLATON.

C’est la meilleure pâte ! et d’une patience, d’une douceur… Enfin, quand il m’arrivait une maladresse !… vous savez, quoique blanc pur sang, on n’est pas à l’abri… une porcelaine brisée ou un coup de peigne en le coiffant, il se contentait de me dire en souriant : « Platon, combien au<< rais-tu donné de fouet à un nègre pour cela ? » Moi, je le lui disais… parce que là conscience

avant tout !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|souriant.

C’est juste !…

PLATON.

Au bout du mois, madame, il me présente un petit compte de 3,780 coups de fouet qui me revenaient ! Il me les aurait donnés, je n’avais rien à dire je me les serais donnés moi-même, s’il l’avait exigé. Eh bien au lieu de ça, il me glissa dix louis dans la main, en ajoutant seulement : << Mon pauvre Platon, tu es bien heureux que « <les nègres ne tiennent pas le fouet, il t’en cui « rait. » Voilà-t-il un maître ! Je me jeterais au feu pour lui ! [blocks in formation]

Comme un prince ! Il jette l’argent à droite et à


gauche… il en envoie même souvent aux colonies, par le gouverneur de Saint-Domingue ! Mme DE PRESLE, à part.

À Saint-Domingue ! ce serait donc… mais non, ce mariage… (Haut.) Connais-tu sa future ? [blocks in formation]

Mme DE PRESLE.

Ne fais donc pas le discret !… c’est lui-même qui me l’a dit… Le roi doit signer le contrat… Tu vois que je suis au courant.

PLATON, comme frappé d’un souvenir.

Ah ! c’est donc ça que tous les soirs il regarde un petit portrait…

Un portrait ?

Mme DE PRESLE.

PLATON.

Avec un trouble, un plaisir… qu’il en a toujours les larmes aux yeux !…

Mme DE PRESLE.

Un portrait de femme ? [blocks in formation]

Mme DE PRELE, vivement.

Que tu as remarqué ?… Si tu pouvais le prendre, me l’apporter en secret !…

PLATON.

Ce portrait, le prendre ?

Mme DE PRESLE.

Pour un instant, il ne le saura pas…

PLATON.

Trahir mon maître !… abuser !… Ah bien !… c’est pour le coup qu’il pourrait me présenter une petite note de trois mille sept cent quatrevingt coups…

Mme DE PRESLE.

Mais non… c’est une plaisanterie, un simple mouvement de curiosité… (Avec trouble et s’efforçant de sourire.) Parce que, vois-tu… il n’a pas voulu me nommer sa future… Alors, moi, j’ai parié que je la devinerais, et je tiens beaucoup à gagner mon pari… d’autant que c’est dans son intérêt… On prétend que ce mariage… la famille !… son bonheur… tu comprends ?… (D’un ton caressant.) Et puis, je le veux… Non… non… je le désire… Je t’en prie… et tu ne voudrais pas me refuser… mon bon Platon… moi, la petite maîtresse, qui t’aimais tant !

PLATON, enchanté.

Je n’y comprends rien… Mais vous me diriez. de sauter par-dessus les tours de Notre-Dame !… que j’irais tout de suite…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec joie.

Cent louis pour toi, si tu me l’apportes… PLATON, décidé.

Le bonheur de mon maître ! et cent louis ; c’est un marché d’or… un imbécile de noir refuserait… moi, j’accepte !



Scène V.

{{acteurs|LES MÊMES, LA FEMME DE CHAMBRE

précipitamment.

LA FEMWE, à la comtesse.

revenant

Monsieur de Saint-Georges qui monte le grand escalier.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à part.

Le chevalier !… (Haut.) Une visite, mon ami, je suis obligée de te renvoyer. (À la femme de chambre.) Fais le passer de ce côté… (Elle montre la porte à droite. À Platon.) Si tu découvre quelque chose, viens sur-le-champ, n’importe à quelle heure… Si j’avais du monde, je chargerais quelqu’un de te recevoir… Vas… vas vite.

(La femme fait sortir Platon, par la porte de droite.) [blocks in formation]

Mme DE PRESLE ; puis SAINT-GEORGES, en riche habit de cour.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|d’abord scule.

Je la connaîtrai !… (Avec humeur.) Mais lui, que me veut-il ?… pourquoi venir ?…

UN LAQUAIS, annonçant et se retirant ensuile. Monsieur le chevalier de Saint-Georges.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|le saluant froidement. C’est vous, monsieur ?…

SAINT-GEORGES.

Pardon, madame la comtesse… je suis bien indiscret, sans avoir obtenu l’agrément… je venais précisément vous demander la permission de me présenter chez vous…

Ah !

Mme DE PRESLE.
SAINT-GEORGES.

Et vous offrir, de la part de madame de Mon

tesson, cette invitation… pour son bal de demain, que vous ne refuserez pas, j’espère…

(Il lui donne un billet cacheté.) Mme DE PRESLE, à part, et jetant le billet sur la toilelle à gauche.

C’est un prétexte !

SAINT-GEORGES.

Et puis, le désir d’avoir de vos nouvelles… Vous paraissez souffrante ?

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|très-froide et s’asseyant.

Oui… un peu de migraine !… de fatigue… je crains d’être fort mauvaise compagnie, monsieur ; et vous ferez bien mieux de vous rendre… où l’on vous attend sans doute avec impatience !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|étonné.

Où l’on m’attend !… où donc, madame ?

Mme DE PRESLE.

Eh ! mais, chez votre fiancée… lorsqu’on doit se marier…

SAINT-GEORGES.

Me marier ! moi ? qui vous a dit ?…

Mme DE PRESLE.

C’est le bruit général !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|souriant.

C’est singulier… on n’a pas daigné m’en faire part !… il est probable que je recevrai un billet. Mme DE PRESLE, se levant.

Comment, monsieur !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|sérieusement.

On vous a trompée, madame, je ne me marie pas, et je ne me marierai sans doute jamais ! Mme DE PRESLE, d’un air aimable. Ah !… Asseyez-vous donc, je vous en prie……

SAINT-GEORGES.

Je craindrais d’abuser… votre santé…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|souriant.

Non ; cela va beaucoup mieux.

Saint-Georges, la regardant tendrement. Oui… voilà vos couleurs qui reviennent… et avec elles, ce regard si doux !

Mme DE PRESLE.

Oui, la migraine… un rien suffit pour dissiper… (Le faisant asseoir.) Mettez-vous donc là, chevalier, je serai enchantée de causer…..j’ai mille choses à vous dire… et puis, un service à vous demander. SAINT-GEORGES, s’asseyant près d’elle.

Un service ! moi ? Ah ! madame… je n’aurais osé prétendre à une telle faveur… ordonnez, je vous en conjure !

Mme DE PRESLE.

À propos !… (Gaiment.) Et votre aventure de ce matin, dont vous ne parlez pas… cet ami qui a été coucher, à la bastille, pour vous ! Savez-vous que c’est d’un dévouement…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|souriant.

Il faut lui rendre justice ! il ne savait pas bien positivement où il allait.

Vraiment !

Mme DE PRESLE.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|de même.

Il croyait courir à une bonne fortune.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|riant.

Ah ! ah ! ah !… c’est atroce… Chevalier… mais vous êtes un homme affreux !… et quel est le malheureux ? est-ce que je le connais ?

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|gravement.

Ah ! je ne puis le nommer… les devoirs de l’amitié.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|riant toujours.

Vous les remplissez très-bien !… Oh ! vous me


le direz, n’est-ce pas ? Mais, avant tout, parlons du service que je réclame de vous… et songez que nous sommes pas encore asses amis pour me traiter comme celui de ce matin !

SAINT-GEORGES.

Ah ! madame !… Je vous écoute.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|suivant tous ses mouvemens. Vous m’avez dit que vous étiez né…..

Au Brésil…

SAINT-GEORGES.
Mme DE PRESLE.

Non… non… Vous m’aviez dit… d’une famille portugaise, établie au Pérou.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|un peu troublé.

Oui… oui, le Brésil, le Pérou !… Nous avons des biens dans l’un et l’autre pays… et puis, la proximité… naturellement…

Mme DE PRESLE.

N’importe ! Vous êtes lié, dit-on, avec le gouverneur de Saint-Domingue… et je voudrais avoir, par lui, des renseignemens sur le sort d’un malheureux jeune homme… que j’ai connu enfant. [blocks in formation]

Il a tressailli !… (Haut.) Esclave chez ma mère, il avait fui notre habitation… pour an outrage, qui m’a coûté bien des larmes.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Il serait vrai !

Mme DE PRESLE.

Car, moi, je ue l’ai jamais oublié… je l’aimais.

tant !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec un mouvement.

Vous l’aimiez ? Quoi, la brillante comtesse !… (Reprenant sa gaîté.) Oh ! vous l’aimiez ; oui, sans doute… comme un jouet, un caprice, un épagneul, qui amuse un instant, et fait place bientôt à un autre favori !

Mme DE PRESLE.

Oui… d’abord !… c’est possible, mais plus tard… (Secouant la tête en souriant.) Hum… je ne sais pas trop ce que cela serait devenu.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec joie.

Que dites-vous ?

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à part.

C’est un piége bien innocent… mais si c’est lui, il faudra qu’il se trahisse !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec anxiélė.

Vous pensiez que plus tard !…

Mme DE PRESLE.

Écoutez donc, chevalier… j’ai des idées bizarres, singulières, moi !… le dédain, l’humiliation dont on accable un malheureux… au cœur noble et fier… Eh bien ! cela me touche, cela m’attache à un point… (L’observant.) Je crains seulement que ce pauvre Camille…

Camille !

LE CHEVALIER, à part

Mme DE PRESLE.

Seul, abandonné à lui-même, ne se soit laissé entraîner à quelque action…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec force et se levant. Une bassesse !… lui !… Jamais !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|vivement et se levant aussi. Qu’en savez-vous ?

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|se remellant.

Je le suppose… celui qui avait mérité votre estime n’a jamais pu l’oublier et se déshonorer. Mme DE PRESLE, à part.

Oh ! c’est lui !

AIR : Loin de nous, à l’enrichir (Bérat). Je le pense comme vous…

Et, de notre heureux enfance, Je retrouve, en souvenance, Les jours si beaux et si doux ?

(Le regardant.)

Cet amis que je regrette, Je le crois là… je le voi !… Ma bouche en vain lui répète :

(Tendrement.)

Te souvient-il plus de moi ?

ENSEMBLE.

Du tourment qui me déchire, Qu’il me délivre aujourd’hui ! Qu’un regard vienne me dire : Que c’est lui… c’est toujours lui ! {{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Au tourment qui me déchire, Comment échapper ici ?… Ah ! que ne puis-je lui dire : Oui, c’est lui, c’est toujours lui !

Mme DE PRESLE, vivement. Chevalier, vous êtes ému !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|ému.

Je l’avoue, madame… car, moi aussi, j’avais une amie d’enfance ! une sœur… qui m’était bien chère !… Mon rêve était de pouvoir lui dire un jour combien je l’aimais… combien son regard seul animait ma vie d’espérance et d’orgeuil…

Même air.

Je crois encor la revoir ; C’est sa grâce séduisanté…

J’entends cette voix touchante, Dont j’adorais le pouvoir !… D’un prestige, ô doux empire… Oui, je la vois, près de moi… Qui semble toujours me dire : Ami, je veille sur toi !

(Reprise de l’Ensemble.) SAINT-GEORGES, se détournant pour essuyer une larme.

Pardon !… ces souvenirs !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|courant à lui. Plus de doute… c’est lui ! Camille !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|se remellant.

Hé ! quoi ?

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|éperdue.

Oui… oui… cette émotion… ces traits… par grâce, par pitié ! vous voyez ce que je souffre ! un mot ! (Avec explosion.) Un seul mot ! dites-moi…Oh ! mon Dieu… mais dites-moi donc que c’est vous. SAINT-GEORGES, se remellant.

Camille ? moi, madame !…

Mme DE PRESLE.

Oui… et cette amie d’enfance que vous regrettez…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec un mouvement. Hélas !… je l’ai perdue, elle est morte ! Mme DE PRESLE, accablée.

Morte ! (Se laissant tomber sur un fauteuil près de la toilette.) O mes rêves !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|voulant la soutenir.

Dieu ! qu’avez-vous ?…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|après un silence.

Rien… rien… pardonnez, chevalier… un moment de folie !… tout ce que je vous demande maintenant, c’est de faire passer au pauvre Camille, s’il existe encore, ce dernier gage de mon souvenir…

(Elle lui donne un papier qu’elle prend sur la toilette.)

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|intrigué.

Ce papier ?…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec un soupir.

Il est signé depuis la mort de ma mère !… il verra du moins que je ne l’avais point oublié. SAINT-GEORGES, qui a déployé le papier, et y jetant les yeux.

Qu’ai-je lu ? juste ciet ! un si grand bienfait !…

Mme DE PRESLE.

Il n’y sera plus sensible !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec joie.

Que dites-vous ?… le bien le plus cher, le plus précieux ! et c’est à vous, madame, c’est à vous !… (11 se jette à ses pieds.)

Mme DE PRESLE.

Que faites-vous ?

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec désordre.

Je rends hommage à l’âme la plus élevée, au cœur le plus noble… que ces traits m’avaient déjà révélés… Oui, tant de générosité triomphe de ma raison… et à vous, à vous seule, je dirai…



Scène VII.

{{acteurs|LES MÊMES, M. DE BOULOGNE, paraissant au fond.

Que vois-je ?

Ah !

M. DE BOULOGNE.
Mme DE PRESLE.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|se relevant.

Monsieur de Boulogne !… Peste soit de l’importun !…

M. DE BOULOGNE.

Le chevalier ! (À part.) Lui que je croyais entre quatre murailles !


{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part, et reprenant son enjoú

ment.

Ah ! ah ! c’est le père de mon ami !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|troublée et s’efforçant de sourire. Le chevalier de Saint-Georges, monsieur ?

M. DE BOULOGNE.

Oh ! je l’ai parfaitement vu… il était même… Mme DE PRESLE, avec un sourire forcé. À mes pieds… c’est vrai !… il m’avait apporté… (Prenant le billet sur la table.) Cette invitation de madame de Montesson… et me suppliait d’accepter… avec sa grâce accoutumée… Vous êtes arrivé comme un mari…… et cela m’a troublée…… j’ai eu peur !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec doute. Hum ! et c’est à genoux… oui… ordinaire

ment…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part, et suivant les regards de Mme de Presle.

Très-bien ! j’ai le mot d’ordre ! (Haut.) J’espère que monsieur le contrôleur-général se joindra à moi pour décider madame…

M. DE BOULOGNE.

Comment donc !… Mais je suis étonné… je croyais…c’est-à-dire, on m’avait assuré que monsieur le chevalier devait faire une petite absence. SAINT-GEORGES, à part.

Ah ! bien… c’est à lui que je dois… je l’aime mieux… ça me met à mon aise !… (Haut.) C’est exact, je ne voulais pas le dire. (Riant.) Mais ce diable de contrôleur a une perspicacité….. on croirait qu’il a des lettres de cachets dans sa manche… Eh bien ! oui… tel que vous me voyez, je devais coucher à la Bastille…

Ah ! bah !

M. DE BOULOGNE.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à M. de Boulogne. C’est très-vrai !

M. DE BOULOGNE.

Et qui donc avait osé ?…..

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|riant.

Si j’avais encore mon père… je croirais que c’est lui… ce bon père… Mais non, quelqu’àme charitable… qui aura voulu préserver mon teint des ardeurs du soleil !…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|intrigué.

Et comment avez-vous fait ?

SAINT-GEORGES.

Oh ! heureusement qu’on a des amis !…

Des amis ?

M. DE BOULOGNE.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à M. de Boulogne. Une histoire ravissante !… Un autre qui s’y est rendu à sa place.

Bon !…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|riant malgré lui.

Sans doute !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|riant.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|riant plus fort.

Ah ! ah ! ah !… délicieux.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|riant aussi.

N’est-ce pas !… Voyez-vous d’ici sa figure… M. DE BOULOGNE, riant plus fort encore. Oui… oui… l’imbécile !… (À part.) Où diable est donc mon fils ! ça l’amuserait !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|riant toujours.

Sans compter que l’on avait fait sans doute des recommandations toutes particulières pour moi ! M. DE BOULOGNE, éclatant.

Parbleu !… ça se fait toujours, et le pauvre sot va hériter de tout cela… il n’y a pas de mal !… Ah ! ah ! ah !… (Ils rient tous les trois. À part.) Ma

foi… il n’y a pas moyen de se fâcher… Mais cù diable est donc mon fils !… Ce chevalier qui s’établit ici !… (Haut.) Je vous dirai, comtesse, que vos salons sont déjà remplis d’une société charmante… (À part.) J’espère que ça va le faire en aller.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part, le devinant. ὰ C’est ingénieux !… mais je ne lui donnerai pas ce plaisir-là.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|voyant le chavalier immobile. Il ne comprend pas ! (Haut.) Nous ne retenons pas monsieur le chevalier !… ses affaires… son service…

Mme DE PRESLE.

Je n’oserais l’engager. (Bas au chevalier à sa droite.) Restez !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

À merveille !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|haut.

À moins qu’il n’ait rien de mieux à faire. {{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec empressement.

J’avais consacré ma soirée à madame la comtesse, et je serai trop heureux… (Se tournant vers M. de Boulogne, et d’un air goguenard.) Et puis, les instances si aimables de monsieur le contrôleur-général, auxquelles il est impossible de résister !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à part.

Que le ciel le confonde ! (Bas à Mme de Presle.) Comment, vous le retenez ?

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|bas.

Ce serait impoli !… D’ailleurs, il nous faut des cavaliers pour nous dédommager du baron… que je ne vois pas !

M. DE BOULOGNE.

Il me suit ! (À part.) Qu’est-ce qu’il est devenu ?

Je suis sûr qu’il est dans les coulisses, pendu aux jupes de Flore ou de Pomone ! Cet enfant-là me fera mourir de chagrin.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Ce pauvre contrôleur !… il étouffe !… je lui devais bien cela !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|voyant la porte s’ouvrir. Ah ! voici tout notre monde !…



Scène VIII.

{{acteurs|LES MÊMES, DAMES et CAVALIERS, en toilette du temps.

(Pendant le chœur, Mme de Presle va au-devant des dames, les fait asseoir, salue les hommes ; des laquais approchent des siéges, remplacent la toilette par une table. M. de Boulogne et le chevalier circulent au milieu des groupes.)

CHŒUR.

AIR Réveillons, réveillons l’hymen et les belles (Domino Noir).

Au signal du plaisir,

La foule s’empresse,

Tout Paris en ces lieux voudrait accourir !

Sur vos pas, le plaisir,

Se montre sans cesse ; Dès qu’il s’offre, il faut le saisir.

Mme DE PRESLE.

Asseyez-vous donc, mesdames ! que je vous

dois de remercimens !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à part, et suivant le chevalier des yeux.

Il rôde, pour tâcher de lui parler ; mais j’empêcherai bien !…

(II se campe dans un fauteuil au milieu du théâtre.) SAINT-GEORGES, à part.

Il me fait des yeux !…

Si des regards, on pouvait mordre, Il m’aurait déjà dévoré !… »

M. DE BOULOGNE.

Eh bien ! eh bien ! mesdames, qu’est-ce que l’on dit à Versailles ?… les petits soupers… le ballet de Galathée… Est-ce qu’il n’y a pas quelque bonne nouvelle scandaleuse ?

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|près des dames.

Si fait, parbleu… On parle beaucoup des folies du fils d’un riche financier, pour une jeune nymphe de l’Opéra ; et je vais vous conter…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|toussant et l’interrompant. Ah ! ah !… c’est connu ; très-bien, très-drôle !… hum….. Si nous faisions un peu de musique… (À part.) Ça donnera au baron le temps d’arriver… UNE DAME, ȧ Mme de Presle.

Ah ! oui, madame la comtesse.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|ouvrant le clavecin. On nous a vanté votre talent.

Mme DE PRESLE.

Mon Dieu ! cela ne vaut pas la peine de se faire prier… et j’y consentirais de grand cœur… (À M. de Boulogne.) Mais, votre fils qui devait m’accompagner…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|montrant un violon sur le clavecin.

Oui, son violon est là !

Mme DE PRESLE.

Cela ne suffit pas, et je ne puis toute seule…

LA DAME.

Ah ! quel dommage !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|s’approchant.

Mon Dieu ! madame, je suis un bien mauvais musicien ; mais, pour vous faire briller et ne pas priver ces dames du plaisir de vous entendre !…

Mme DE PRESLE.

Vous m’accompagneriez ?


SAINT-GEORGES.

Le moins mal que je pourrai !

(Il va chercher le violon.) UNE DAME.

Ah ! qu’il est aimable !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à part.

Bon ! moi qui avais arrangé ça pour faire briller mon fils… et c’est lui qui va profiter !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|s’asseyant au clavecin. C’est un morceau d’Armide.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|causant tout en accordant son violon.

Tout ce que voudrez, madame !…(À M. de Boulogne.) C’est le violon de votre fils, contrôleur ?

M. DE BOULOGNE.

Certainement… un Amati…

SAINT-GEORGES.

Ma foi… ce n’est pas pour lui faire un compliment… mais c’est un fier sabot…

Hein ?…

M. DE BOULOGNE.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|de même.

Je parle du violon… enfin, c’est égal… (Pinçant la chanterelle.) À propos, contrôleur… qu’estce qu’il devient donc votre fils ?… Diable de chanterelle ! Pourquoi n’est-il pas là, ce n’est pas bien, au moins, on ne manque pas ainsi de parole aux dames, mon cher, c’est très-léger !…

M. DE BOULOGNE.

Hé ! morbleu, monsieur !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|de même.

Vous verrez que la Guimard lui fera faire quelque faux pas !…

(En préludant, Saint-Georges fait un trait brillant.)

TOUS.

Ah ! charmant !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à Mme de Presle.

À vos ordres, madame.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à part.

C’est pour causer avec elle !… Mais, corbleu ! j’y mettrai bon ordre… (Se plaçant entre eux, et prenant la musique que Mme de Presle tend à SaintGeorges.) Pardon, chevalier ; je vais vous tenir la musique.

C’est inutile.

SAINT-GEORGES.
M. DE BOULOGNE.

Si fait… si fait ! il faut bien que chacun fasse sa partie !…

UNE DAME.

Silence donc, monsieur de Boulogne !

(Mme de Presle joue la ritournelle du menuet d’Armide.-Saint-Georges fait un accompagnement doux et brillant ; puis le chœur prend et suit le morceau.) CHŒUR, à mi-voix.

Quelle tendre harmonie, Que ces accords sont doux Pour nous !

Non, jamais l’Italie N’eut de talens

Plus ravissans. [ocr errors]

(Pendant le milieu de l’air, Saint-Georges parle en continuant de jouer.)

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à M. de Boulogne qui le pousse. Prenez donc garde, contrôleur… vous me tombez sur les bras… bien !… voilà que vous vous mettez dans ma poche !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|parlant.

C’est que je suis un peu sourd… et j’aime tant la musique !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|jouant toujours.

Il paraît que vous êtes aveugle aussi ! vous me tenez le papier à l’envers…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|le retournant.

Oh ! l’enthousiasme !

SAINT-GEORGES.

Oh ! c’est égal !… je ne le regarde pas… je fais un accompagnement…

(Sur le point d’orgue il fait un nouveau trait plus brillant qui ramène le motif.

vif.) [ocr errors]

Reprise du chœur plus

TOUT LE MONDE, se levant et applaudissant. Bravo ! délicieux !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|au chevalier.

Une légèreté !… une expression….. M. DE BOULOGNE, avec dépit.

Oui… oui… charmant ! admirable ! divin ! mais la musique… bah !… les sonates !… pouh ! j’ai idée que la danse plairait mieux à ces dames… (On entend un air de danse dans la pièce voisine.) Hé ! justement… (À Mme de Presle.) Ce joli menuet de l’autre jour ?…

Mme DE PRESLE.

Je ne demanderais pas mieux… mais votre fils m’avait invitée, et sans cavalier…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|s’approchant.

Mon Dieu ! madame, je suis bien mauvais dan

seur…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à part.

Oh ! le bourreau ! je le vois venir !

SAINT-GEORGES.

Mais pour ne pas faire manquer le quadrille.

Mme DE PRESLE.

Vous dansez aussi, chevalier ?

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec humeur.

Parbleu ! je le crois bien, le menuet est de lui… il le danse comme un ange !…{À part.)Oh ! qu’estce que je fais là !… et mon scélérat de fils qui ne paraît pas !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|mellant ses gants et offrant la main

Madame !…

à Mme de Presle.

{{personnageD|LE BARON|c|en dehors.

C’est une horreur !… une indigne trahison. M. DE BOULOGNE, avec joie.

Ah ! le voilà ! c’est heureux !



Scène IX.

{{acteurs|LES MÊMES, LE BARON, en désordre dans le costume de chasse du premier acte et le fouet à la main. LE BARON, qui entend le dernier mot. Oui, c’est heureux ! j’ai cru que je n’en sortirais pas !

{{personnageD|TOUS|c|Ah ! bon Dieu !

le regardant. [blocks in formation]

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|étouffant un éclat de rire qui le surprend.

Quoi, comment, c’était vous ! (Bas.) Maladroit ! Mme DE PRESLE, riant aux éclats.

Quoi, baron, c’était vous ! [merged small][ocr errors]

Oui… oui, c’était moi ! ils ont une manière de prendre part à mon accident, qui me met en fureur !… (Avec dépit.)Oui… la Bastille… c’est trèsgai !… j’avais beau leur dire : mais, regardez-moi donc !… voyez le signalement !… c’est le jour et la nuit !… ils prétendaient que ça ne prouvait rien, que tous les signalemens se ressemblaient… témoin les passe-ports !… j’aurais donné mille louis… pour les faire jeter dans un cul de basse-fosse !… et maintenant que le gouverneur m’a délivré, j’en donnerais dix mille pour retrouver le traître… (Il lève les yeux et aperçoit le chevalier qui rit avec Mme de Presle.) Ah ! le voilà !

SAINT-GEORGES.

Bonsoir, baron !

LE BARON.

Ah ! c’est vous, monsieur…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|d’un air goguenard.

Vous avez fait un bon voyage ?

{{personnageD|LE BARON|c|s’emportant.

Monsieur !… je vous ferai rougir ! {{personnageD|SAINT-GEORGES|c|riant.

Ah ! vous me rendrez service ! [blocks in formation]

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|bas.

Vous allez vous faire une querelle !


LE BARON.

Tant micux…


{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|raillant.

Allons, allons, baron, vous êtes un ingrat. Moi, qui y ai mis tant de bonne grâce… Demandez à votre père… Je suis sûr qu’au fond du cœur il

m’excuse. [blocks in formation]

LE BARON.

Qu’est-ce que ça me fait, qu’il vous excuse ?… J’en fais juge toute la société !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|de même.

Ah ! volontiers… J’y consens, parce que moi, d’abord, je ne suis pas entêté… Si j’ai tort, j’en conviendrai… Voyons, baron, racontez la chose.

Certainement.

LE BARON.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|bas.

Mais, taisez-vous donc !

{{personnageD|LE BARON|c|avec feu.

Non pas… Figurez-vous, mesdames, que monsieur était dans une voiture…Il s’en vient me conter qu’il va à un rendez-vous avec une certaine personne… pour qui j’ai précisément… (Il rencontre le regard de Mme de Presle qui l’écoute et s’arrête. Oh !…c’est fini… je suis un homme noyé. M. DE BOULOGNE, à part.

De mieux en mieux.

SAINT-GEORGES.

Eh bien !… vous vous arrêtez à moitié chemin ? Mme DE PRESLE.

Continuez donc… Une personne pour qui vous aviez…

{{personnageD|LE BARON|c|balbuliant.

Non… non, au contraire… c’était lui, parce que, moi… Ah bien ! oui… j’ai tourné les talons… pst ! Voilà le fait.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|riant aux éclats. Et c’est pour cela qu’on vous a conduit à la Bas

tille ?…

SAINT-GEORGES.

Ce n’est pas ça du tout !… Vous ne voulez pas conter l’histoire, baron ?… alors, je vais la conter, moi ! Figurez-vous, mesdames…

LE BARON.

Non… non… c’est inutile, vous dis-je !… (Avec dépit.) Je suis content…

SAINT-GEORGES.

Ah !. si vous êtes content…

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{{personnageD|LE BARON|c|avec dépit.

C’était une gageure… Je reconnais que monsieur l’a gagnée… (Entre ses dents.) Et je la lui paierai à la première occasion !

On entend l’air de danse qui reprend.)

M. DE BOULOGNE.

Très-bien… très-bien… d’autant que le menuet vous réclame.

{{personnageD|LE BARON|c|posant son fouet sur le clavecin el metlant ses gants.

Le menuet ! malepeste… j’arrive à temps… Comtesse, vous savez que le premier m’appartient… SAINT-GEORGES, se mettant devant lui. Non… non… non…… pardon…..

Comment ?…

LE BARON.
Mme DE PRESLE.

Vous n’étiez pas là, baron ; et, en votre absence, j’ai invité monsieur.

Encore lui ?…..

LE BARON.
SAINT-GEORGES.

Oui… Vous avez besoin de repos… Quand on a couru la poste !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec malice, et donnant la main au chevalier.

D’ailleurs, vous aviez pris sa place, ce matin ; il peut bien prendre la vôtre, ce soir.

CHŒUR.

AIR Ah ! c’est nous faire outrage (Plastron). Courons tous prendre place Pour admirer sa grâce ! L’archet joyeux du bal, À donné le signal. Mais le baron enrage. Voyez donc quel visage. Ah ! c’est charmant, C’est amusant,

Oui, c’est charmant.

LE BARON.
M. DE BOULOGNE.

Voyez donc quelle audace ! Voyez donc quelle audace !

Comment, il prend ma pla

ce ?

Et va montrer, au bal, Son talent sans égal. Ah ! de bon cœur, j’enrage ; Mais, d’un pareil outrage, L’impertinent

Aura, vraiment, Le châtiment.

Mais qu’il aille, avec grâce, Déployer, à ce bal, Son talent sans égal ! Leur prochain mariage Vengera čet outrage. L’impertinent Aura, vraiment, Son châtiment.

(Tout le monde sort excepté le baron et M. de Boulogne.)



Scène X.

{{acteurs|LE BARON, M. DE BOULOGNE.

LE BARON.

Ceci a parfaitement l’air d’une mystification. Qu’est-ce que tout cela signifie ?

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|revenant sur ses pas. Que vous avez donné dans un piége que je tendais au chevalier ; et que, si vous n’y prenez garde, il vous supplantera de toutes les manières !

LE BARON.

Mais, c’est donc une guerre acharnée….. une guerre à mort ! Ah ! tête bleu !

M. DE BOULOGNE.

Heureusement, elle m’a donné sa parole ; guettez l’arrivée du nolaire, qui devrait être ici…et, une fois le contrat signė…

{{personnageD|LE BARON|c|regardant de côté.

Le contrat… le contrat… En attendant, il danse avec ma femme.

M. DE BOULOGNE.

J’y cours… car il faut que je sois toujours là….. pour réparer vos bévues. Vous, tâchez de réparer le désordre de votre toilette, et… (Regardant à gauche.) Ah ! mon Dieu ! il lui prend la main !… C’est terrible d’être amoureux… à la suite, et jaloux par procuration… J’en sue à grosses gouttes. (Il sort par la gauche.)



Scène XI.

{{acteurs|LE BARON, seul.

Que je répare le désordre de ma toilette… (Regardant à gauche.) Et pendant ce temps-là… ce maudit visage de safran va encore faire des siennes ! Oh ! cette fois, quelle que soit son adresse… l’épée ou le pistolet !… et dût-il me tuer ; il faut que j’en ai vengeance !…



Scène XII.

{{acteurs|LE BARON, PLATON, paraissant à la petite porte dérobée, à droite, et entrant avec précaution. PLATON, à part.

C’est bien par là… que je suis sorti…

{{personnageD|LE BARON|c|le voyant et s’arrêtant au fond. Quelle est cette figure ?…

PLATON, regardant de tous côtés.

Il s’agit de ne pas faire de bêtises !… (Aperce

vant le baron.) Ah ! voici quelqu’un… l’intendant peut-être… où un valet de pied…… (Lui faisant signe, à mi-voix.) Pst ! pst !…

{{personnageD|LE BARON|c|à part.

Qu’est-ce qu’il a donc ?… cet air de mystère ?… Un gaillard qui m’est suspect !… [blocks in formation]

PLATON, d’un air d’intelligence. Oui… quelque chose touchant le chevalier de Saint-Georges…

LE BARON,

à part.

Il y a des intelligences !… (Haut.) Pas possible… elle a du monde dans ce moment.

PLATON.

Je sais bien !… mais elle n’avait dit que si elle ne pouvait me recevoir, elle chargerait quelqu’un. LE BARON, avec empressement. Oui, oui… parbleu !… c’est moi… me voilà… je vous attendais.

(Il va fermer la porte à gauche.)

PLATON, souriant.

Je m’en doutais ! ce que c’est que d’avoir du tact !… (D’un air de satisfaction.) Un imbécile de noir aurait fait mille gaucheries… tandis que moi, je tombe tout de suite sur l’homme qu’il me faut !… (Au baron qui revient à lui.) C’est donc vous qui devez me compter les cent louis ?

LE BARON.

Les cent… (À part.) Ah ! diable… (Haut et lui

donnant une bourse.) Oui… je n’en ai là que vingtcinq ! mais le reste vous attend chez moi.

PLATON.

Très-bien !…(Baissant la voix.) Je tiens l’affaire.

LE BARON.

Ah !… (À part.) Qu’est-ce que c’est ?

Vous savez ?…

PLATON.

LE BARON.

Parfaitement !… (À part.) Du diable si je me doute…

PLATON.

J’ai eu du mal ; mais enfin, j’ai mis la main dessus. LE BARON, souriant.

Ce n’est pas malheureux…

PLATON.

Mais je n’ai pas pu ouvrir la boîte…

LE BARON.

Ab ! c’est dommage !…

PLATON.

Alors… j’ai pris le portrait….

{{personnageD|LE BARON|c|à part.

Elle lui aurait donné son portrait !

PLATON.

Et je l’ai apporté !… comme ça, nous connaltrons sa future…

LE BARON.

Sa future !… (À part.) Je n’y suis plus !… Il doit donc se marier ?… (Haut.) Et ce portrait ?

PLATON, lui donnant une petite boîte de chagrin. La voici !… je n’ai pas vu… parce qu’il y a un

secret…

{{personnageD|LE BARON|c|tournant la boîte.

Oh ! je l’aurai bien vite découvert, j’ai la grande habitude de ces sortes de… (Il l’ouvre.) Hé….. tenez… que vois-je ? une négresse !…

Une négresse !…

PLATON.

{{personnageD|LE BARON|c|riant.

Eh bien ! qu’il l’épouse !… Parbleu, qui se ressemble… Elle n’est pas mal, cette femme-là ! PLATON, regardant.

Une femme superbe !… Attendez donc….. Ah ! mon Dieu !… c’est elle !… (À part.) Noémi ! la mère de ce petit Camille.

Tu la connais ?…

LE BARON.

PLATON.

Sans doute !… Mais, alors, mon maître serait… LE BARON, vivement.

Cela le touche donc ?…

PLATON.

Parbleu !… si on savait !… cela pourrait le perdre !…

LE BARON.

Le perdre ?… (À part.) Oh ! cette fois, je crois que je liens ma vengeance !…

PLATON, voulant reprendre le portrail. Il faut que je coure le prévenir…..

{{personnageD|LE BARON|c|le mettant dans sa poche. Du tout… tu ne me quitteras pas…

Cependant…

PLATON.

LE BARON.

On vient… (L’entrainant par la droite.) Hė ! vite… suis-moi… de ce côté… [blocks in formation]

{{personnageD|LE BARON|c|rapidement.

À mon hôtel… à deux pas… pour recevoir lon argent… les cent louis, les mille louis… tout ce que tu voudras.

Mais !…

PLATON.

{{personnageD|LE BARON|c|le poussant.

Eh ! viens donc, malheureux !

(Ils disparaissent tous deux.)



Scène XIII.

{{acteurs|SAINT-GEORGES, M. DE BOULOGNE, TOUTE LA SOCIÉTÉ ; puis LE NOTAIRE, Mme DE PRESLE ; LES DAMES, qui arrivent successivement. (On entend un brouhaha de bravos et d’applaudissemens, qui est censé terminer le menuet.)

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|seul sur le devant de la scène. Impossible de lui dire un mot !… ce maudit contrôleur était toujours là… derrière nous… à épier nos moindres paroles… Je ne sais, mais, j’ai idée qu’il se rame quelque chose de fatal… (Apercevant Mme de Presle.) Ah ! la voici.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|venant à lui.

Ah ! ce menuet est de vous, chevalier ?… il est charmant ! et… (À mi-voix.) Vous aviez commencé tantôt une confidence…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|bas.

Oui, je voulais…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|entre eux el présentant l’éventail à Mme de Presle.

Pardon, comtesse, votre éventail que vous avez oublié !… hé ! hé ! hé !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|sèchement.

Merci, monsieur !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Voilà bien l’être le plus insupportable !… M. DE BOULOGNE, à Mme de Presle.

Le notaire est là !

(11 le lui montre à gauche qui se place à la table.) SAINT-GEORGES, à part.

Un notaire !… [ocr errors]

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|à part.

Déjà !… Et ma parole qui est engagée ! M. DE BOULOGNE, d’un air riant. Qu’est-ce que vous disiez donc au chevalier… Mme DE PRESLE, embarrassée.

Oh ! rien… je lui parlais…

SAINT GEORGES, gaîment.

Parbleu, mon cher, vous remplissez votre charge à merveille… vous contrôlez tout !… Madame me parlait de mon menuet, qu’elle a la bonté de trouver agréable et elle me priait de fui en donner la musique.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|saisissant son idée. Ah ! oui, chevalier, je tiens beaucoup à l’avoir, noté de votre main.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|montrant le clavecin. C’est facile… il y a là tout ce qu’il faut. SAINT-GEORGES, y courant.

À l’instant, comtesse… (À part.) Si je pouvais lui écrire quelques lignes…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à Mme de Presle. Et pendant ce temps, nous autres, nous allons siguer le contrat…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Le contrat !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|agitée et à part. Que faire ? et le roi qui désire ce mariage !… qui pourrait s’offenser…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Ah ! je devine !… Comment empêcher… M. DE BOULOGNE, à Mme de Presle, et signant. Je signe le premier… et mon fils qui est là, brûlant d’impatience… (Il se retourne, et ne le voit pas.) Eh bien ! où est-il donc ?

Mme DE PRESLE.

Comment, il est parti ?

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à part, à Mme de Presle. Non, il est là, dans l’autre salon… (À part.) II ne peut pas tenir en place !… (L’apercevant.) Ah ! le voici !…

Mme DE PRESLE.

Plus d’espoir !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

C’est fait de nous !…



Scène XIV.

{{acteurs|LES MÈMES, LE BARON, en habit de cour.

LE BARON,

à parl.

J’en sais assez !… mais épousons, d’abord. (Il s’approche des dames qui sont au fond.) {{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|poussant son fils du côté de Mme de Presle. Bas.

Vous ferez le galant une autre fois !… Signez vite… Elle est à nous !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part, et jouant machinalement du clavecin.

Que faire ?… J’en perdrai la tête !

{{personnageD|LE BARON|c|à Mme de Presle.

Comment, belle dame… il serait possible ?…

(Il se dirige vers la table.)

SAINT-GEORGES.

Elle va signer !…

{{personnageD|LE BARON|c|qui a signé.

Je triomphe !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Ah ! peut-être ce souvenir…

(L’orchestre joue la ritournelle.)

{{personnageD|LE BARON|c|qui présente la plume à Mme de Presle. À vous, belle dame.

(Saint-Georges prend le petit air créole du 1er acle.)

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|s’arrêtant.

Qu’entends-je ?…


{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|chantant à mi-voix. Adieu ! toi… jeune maîtresse, Aimable et doux souvenir…

(En regardant Mme de Presle.)

Pour te prouver ma tendresse, Adieu ! foin de toi, je vais languir, Adieu ! vais languir… Et puis mourir !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|très-agilée et parlant pendant les derniers vers.

Je ne me trompe pas !… Oui, ce chant qu’autrefois… Oh ! mon Dieu ! c’est lui !… c’est bien lui !… (Avec force, et rejetant la plume qu’elle tenail.) Je ne signerai pas !

Quoi, madame ?…

LE BARON.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|accourant près d’elle. Que dites-vous, comtesse ?…

(Tout le monde se rapproche.)

Mme DE PRESLE.

Je ne signerai pas ; non, monsieur, j’y suis résolue… et personne, je pense, n’a le droit de me contraindre…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Je respire !…

{{personnageD|LE BARON|c|s’animant.

Un pareil éclat !……..

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|troublé.

Quand nous avons votre parole… rompre ainsi un mariage convenu !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec trouble et regardant SaintGeorges.

Oui, sans doute… ma parole !… mais j’ignorais alors… j’ai réfléchi…… j’ai vu que monsieur votre fils… sa conduite… son caractère… enfin, je suis maîtresse de mes volontés… et je vous le répète, je ne signerai pas. (Silence.)

{{personnageD|LE BARON|c|à part, et suivant ses regards.

C’est encore lui ! leurs regards !… et cet air de triomphe… (D’un ton concentré.) À Dieu ne plaise, madame, que nous cherchions à vous contraindre en rien… Mais avant de vous quitter, il me sera permis de faire connaître le neble rival auquel vous me sacrifiez !

(Il montre Saint-Georges.) SAINT-GEORGES, par’un mouvement involontaire saisissant le fouet qui est sur le clavecin. Monsieur !…

{{personnageD|LE BARON|c|avec ironie.

Ah ! je sais que vous maniez très-bien le fouet ! quand on a été élevé avec cela !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|inquiète.

Ah ! baron…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|laissant échapper le fouct.

Dieu !…

Comment ?

TOUS.

{{personnageD|LE BARON|c|élevant le ton.

Oui, mesdames… Que diriez-vous d’un misé rable esclave, échappé de nos colonies, à la suited’une correction méritée ; et qui, sous un nom d’emprunt, sous un titre usurpé, a osé s’introduire dans nos salons, à la cour… tromper la noblesse, les princes, la France entière !… Eh bien ! ce misérable… (Montrant Saint-Georges.) Le voilà !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec un mouvement terrible et contenu par ses amis qui l’entourent.

Infâme !…

Mon fils !…

M. DE BOULOGNE.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|tremblante.

Chez moi, inessieurs ! Au nom du ciel !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|au baron, d’une voix étouffée. Vous me rendrez raison !…

J.E BARON, élevant la voix encore plus.

À un nègre ?….. à un esclave ?… fi donc !… Je n’ai pas de préjugés… Je me bats avec tout le monde… et si vous étiez un homme libre, je ne dis pas. (Appuyant.) Mais le mulâtre Camille ! le fils de Noémi !…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|frappé.

Le fils de Noémi !… O mon Dieu !… lui !…

(Il tombe accablé dans un fauteuil.) LE BARON, fait le geste de le souffleter de son gant. Allons donc !… Voilà tout ce que vous méri

tez !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|s’élançant. Malheureux !… Ah ! ma vengeance !…

(On se met entre eux.)

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec un cri.

Par pitié !…

{{personnageD|LE BARON|c|fièrement et regardant Saint-Georges. Osez me démentir !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|d’une voix allérée.

Non, je l’avoue… j’en fais gloire, car je ne dois rien qu’à moi, qu’à moi seul… entendez-vous baron !… Mais ce Camille, ce fils de Noémi, que vous voulez flétrir, fouler aux pieds… cet homme est libre, monsieur !… (Montrant le papier que Mme de Presle lui a remis.) En voici l’acte que je dois à la main la plus généreuse… (Avec force.) Et à un homme libre, vous ne refuserez pas raison de vos outrages, vous l’avez dit ! (À mi-voix, et lui serrant la main.) Je vous défie à mort ! [blocks in formation]

Au point du jour.

LE BARON.

M. DE BOULOGNE el Mme DE PRESLE.

Arrêtez !…

ENSEMBLE.

AIR Fils ingrat, fils rebelle (Maurice).

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|LE BARON. DE BOULOGNE, DE PRESLE. Pardonner cet outrage ! Son mépris, son langage ? Non jamais, et ma rage Va bientôt le frapper ! Non, non, plus de clémence, Et celui qui m’offense, À ma juste vengeance Ne saurait échapper.

Rétractez cet outrage, Ecoutez mon langage, Et calmez une rage Qui viendrait me frapper ! Ah ! je perds l’espérance ! Une pareille offense, À sa juste vengeance, Ne saurait échapper.

CHŒUR.

Ah ! calmez cette rage, Ecoutez mon langage, Oubliez un outrage

Qui ne peut vous frapper ! Ah ! je perds l’espérance, Une pareille offense

À sa juste vengeance

Ne saurait échapper.

(À la fin de l’ensemble, Mme de Presle tombe évanouie sur un fauteuil à droite ; tout le monde s’empresse autour d’elle. M. de Boulogne seul, à droite, regarde avec effroi, son fils et le chevalier, qui se serrent la main.)

FIN DU DEUXIÈME ACTE.

ACTE III.

Le théâtre représente l’appartement de Saint-Georges. Porte au fond et portes de côté. Dans les angles, deux croisées. À droite, une cheminée. On voit. çà et là, des fleurets, des tableaux, de la musique, des porcelaines pêle-mêle sur une toilette. À

droite, une table et des siéges. À gauche, une cau

seuse.

SCENE Ire.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|UN LAQUAIS, qui parail lorsque Saint-Georges a sonné.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|assis près de la table.

Ces lettres à leur adresse… (Le laquais sort.) Six heures !… et personne !… Un duel !… Moi, qui croyais m’être placé à l’abri de toute insulte !… qui avais juré que mon bras ne se lèverait jamais. dans une lutte sérieuse !… Mais, cette fois, il le faut ! L’insolent qui m’a déshonoré aux yeux de la femme que j’aimais, aux yeux du monde entier, ne peut vivre un jour de plus !… (Se jetant dans un fauteuil.) Et elle, mon Dieu ! que penset-elle de moi !… (Ecoutant.) Quelqu’un… ah ! c’est toi, Platon.



Scène II.

{{acteurs|SAINT-GEORGES, PLATON. PLATON, désolé.

Oui, monsieur le chevalier… c’est-à-dire… non… je ne sais plus comment l’appeler… vous voyez un homme désespéré, furieux !

SAINT-GEORGES.

Furieux !… et contre qui ?

PLATON.

Contre qui ? contre moi ! qui suis cause… Avec les meilleures intentions, je ne fais que des sottises… Un imbécile de noir aurait eu mille fois plus d’esprit !… Aussi, à présent, c’est fini… je méprise les blancs… dans ina personne.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec impatience.

As-tu remis ma lettre au baron ?

PLATON.

Pardi ! c’est ce qui m’a fait sortir des gonds !…


quand j’ai reconnu le sournois qui m’avait tiré les vers du nez… Je n’étais plus un homme civilisé. Je l’aurais étranglé…… s’il ne m’avait jeté à la porte.

SAINT-GEORGES.

Il a bien fait. De quoi te mêlais-tu ?

PLATON.

De quoi je me mêlais !… O dieux !… un si bon maître… (À genoux.) Tenez, monsieur, accablezmoi… tuez-moi… assommez-moi… vous me ferez plaisir… vous m’ôterez un poids énorme… SAINT-GEORGES, passant à gauche. Finissons !… PLATON, d’un air suppliant.

Rien qu’un peu, monsieur, je vous en prie !…

SAINT-GEORGES.

Finissons, te dis-je !…… Qu’a répondu le baron ? PLATON, se relevant.

Dans une heure, il viendra vous prendre avec son témoin.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à lui-même. Encore une heure d’attente !… (À Platon.) Astu averti La Morlière ?

PLATON.

Il dormait comme un bienheureux… En apprenant de quoi il était question, il s’est mis à rire aux éclats… et s’est vile habillé comme pour une partie de plaisir.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à lui-même.

C’en est une aussi !… Se venger !…

PLATON.

Oui… et si, par malheur…

SAINT-GEORGES.

Allons, tu trembles !…… Est-ce que tu n’as plus confiance en moi ?

PLATON.

Si fait ! mais vous avez affaire au plus grand ignorant !… et un coup de maladroit est sitôt fait !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|écoutant.

Je l’entends… c’est lui.

PLATON, à part.

C’est égal, je serai en bas… Si l’autre ose se présenter, je le traiterai comme un nègre.



Scène III.

{{acteurs|LES MÊMES LA MORLIÈRE, en uniforme. LA MORLIÈRE.

Hé !… le voilà ! [ocr errors]

SAINT-GEORGES lui serrant la main. Merci, La Morlière, merci !…

LA MORLIÈRE.

Parbleu ! il ne fallait rien moins pour me faire lever… Je me suis couché à quatre heures du matin….. Ah ! ça, c’est donc sérieux ?…..

Très-sérieux !

SAINT-GEORGES.
LA MORLIÈRE.

À la bonne heure !… il y a longtemps que tu ne m’as donné de leçon….. cela m’en servira. (S’étendant sur le canapé.) À propos… tu n’es pas venu, hier, chez la petite duchesse de Villequier… Une soirée délicieuse !… Est-ce l’épée ou le pistolet ?

SAINT-GEORGES.

Je ne sais encore.

LA MORLIÈRE.

Le souper était magnifique… un jeu d’enfer !… Avec qui te bats-tu ?

SAINT-GEORGES.

Avec le baron de Tourvel.

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|riant, et se levant.

L’homme à la chaise de poste ! ah ! ah ! ah ! ah ! ma bête d’aversion !… Est-ce qu’il a eu la sottise de se piquer ?…

SAINT-GEORGES.

Non, non… c’est plus grave !

LA MORLIÈRE.

Eh bien ça ne m’étonne pas. Il y a comme ça de ces figures antipathiques ! On a beau faire, vois-tu, il faut finir pas les tuer. C’est désagréable, mais c’est comme ça !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|pensif.

Oui !… c’est une destinée !

LA MORLIÈRE.

Après tout… ce ne sera qu’un baron de moins… Il y en aura toujours assez !

AIR :

Devons-nous aller le prendre ?

SAINT-GEORGES.

Non, il va venir.

(Souriant.)

LA MORLIÈRE.

C’est bon.

Nous pourrons un peu l’attendre ; Car, le malheureux baron, S’il a quelque prévoyance, Doit dicter son testament, Et faire imprimer d’avance Ses billets d’enterrement. Il fait imprimer d’avance Ses billets d’enterrement.

PLATON, revenant mystérieusement.

Monsieur…

Qu’est-ce donc ?…

SAINT-GEORGES.

PLATON, à mi-voix.

Une visite ! une dame voilée !…

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|se rapprochant.

Une dame !

PLATON.

Qui veut absolument vous parler.

SAINT-GEORGES.

À six heures du matin !

LA MORLIÈRE.

Ah ! ah ! autre genre de rendez-vous… mais qui ne demande pas de témoins…

(Il veut sortir.)

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|l’arrêtant.

Reste donc !… je te jure que j’ignore…

{{personnageD|LA MORLIÈRE|c|gagnant la droite.

C’est bien ! c’est bien… Je n’ai pas déjeuné… je vais m’installer dans ta salle à manger ; et quant à ta belle inconnue…

La voici !

PLATON.



Scène IV.

{{acteurs|LES MÊMES, Mme DE PRESLE, voilée et en costume très-simple. Elle entre précipilamment el s’arrête tout-à-coup.

ENSEMBLE, à mi-voix, à part.

AIR Observons bien.

SAINT-GEORGES.

Qui, la voilà ! Je sens déjà Battre mon cœur. Est-ce une erreur ? Ne disons rien Et cachons bien

Un tel secret.

Soyons discret.

Mme DE PRESLE.

Ah ! le voilà ! Je sens déjà

Céder mon cœur À la frayeur ! Ne disons rien Et cachons bien, À leur aspect. Un tel secret !

LA MORLIÈRE et PLATON.

Oui, la voilà !

Tous deux déjà

Semblent, d’honneur,

Trembler de peur… Ne disons rien Et gardons bien

Un tel secret… Soyons discret !

PLATON, à part.

Une femme ! il n’y a pas de danger ! 7

(Il se retire par le fond. La Morlière entre dans la chambre à droite, en faisant des signes d’intelligence à Saint-Georges.)



Scène V.

{{acteurs|Mme DE PRESLE, SAINT-GEORGES. Mme DE PRESLE, jetant son voile. Ah ! je craignais d’arriver trop tard !

SAINT-GEORGES.

Qu’ai-je vu ! Vous, madame ! vous, ici !… Mme DE PRESLE, pâle el troublée.

Ne me demandez pas comment j’y suis venue !… je ne sais… je ne me souviens plus… J’ignorais votre demeure… et cependant, je l’ai trouvée….. Me voilà !

SAINT-GEORGES.

Cette pâleur !… ce désordre !… (Voulant la faire asseoir.) Ah ! de grâce…

Mme DE PRESLE.

Non… je n’ai qu’un moment… j’ai laissé ma voiture à quelques pas d’ici !… Je pars… je m’éloigne de Paris pour toujours !

Vous partez ?…

SAINT-GEORGES.
Mme DE PRESLE.

Oui… Je retourne en des lieux que je n’aurais jamais dû quitter….. loin des sots discours des méchans !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec douleur.

Eh quoi ! leurs traits envenimés ont osé s’attaquer…

Mme DE PRESLE.

Eh ! comment les condamner au silence ! cet éclat n’a-t-il pas été public ? N’est-ce pas chez moi qu’il a eu lieu ? N’en ai-je pas été la cause ou le prétexte ? C’est un si grand bonheur, pour vos deseruvrés, qu’une réputation de femme à perdre,


à immoler… Je ne me sens pas la force de bra ver leurs atteintes !… Mais, avant de partir, j’ai voulu vous voir une dernière fois, chevalier… vous supplier, au nom de ce que vous avez de plus cher, de ne donner aucune suite…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec un mouvement. Moi, madame ! laisser impuni l’outrage le plus sanglant !

Mme DE PRESLE.

Ne vous y trompez pas, Saint-Georges, un duel, quelle que soit son issue, ne peut rien réparer !… je ne vous parle pas de moi, de mon nom, compromis dans une lutte, où l’existence de deux personnes est engagée… du malheur d’une femme, sur qui pèse la mort d’un homme, fût-elle méritée….. je ne veux vous parler que de vous… de vous seul !… ce duel, si vous êtes vainqueur, vous perd à jamais ! votre carrière, votre avenir !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|amèrement.

Hé ! madame ! tout cela n’est-il pas perdu par la folie d’un fat ? respect, honneur, estime !… ne m’a-t-il pa tout enlevé !… Aux yeux de ce monde qui m’entourait hier de ses acclamations, je no suis plus rien qu’un misérable esclave, que le dernier blanc peut couvrir de son mépris !

Mme DE PRESLE.

Ah ! ne le croyez pas…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec chaleur.

Et savez-vous ce que je lui dois, à cet homme que vous voulez que j’épargne !…… savez-vous qu’il a détruit mes espérances de quinze années !… oui, dans ce moment où je vous parle, peut-être pour la dernière fois, j’aurai le courage de vous dire… ce secret de ma vie, que nul autre n’a jamais pénétré !… Sous le soleil dévorant de Saint-Domingue, sous les chaînes qui me saisirent en naissan !…

eh bien ! j’avais osé réver pour moi, un autre sort, un autre monde !… car, sous ma couleur d’esclave, je sentais une âme libre, et la force de briser mes fers !… Dès mes premiers pas, un enfant, un ange, m’était apparu comme une providence…qui devint le guide, l’âme de toutes mes actions !… c’était pour elle que je connaissais l’orgueil, pour elle que je cherchais à m’élever au-dessus des autres !… pour un de ses sourires, j’aurais sacrifié ma vie avec joie… et vous savez, madame, si ce dévouement s’est jamais démenti !

Oh ! jamais !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|émue.

SAINT-GEORGES.

Forcé de fuir… son souvenir ne m’a plus quitté… et pendant quinze ans, cet amour, ce culte, le seul vrai, le seul profond que jaie jamais éprouvė, est devenu ma vie ! je voulais à force de succès, m’élever jusqu’à elle… je ne sais quel instinct secret me disait que cette couleur, cette empreinte même de l’esclavage, servirait à ma fortune ! je ne m’étais pas trompé !…….l’étrangeté de ces traits… ces talens futiles que je n’avais acquis que pour attirer l’attention de ceux auxquels il faut d’abord des hochets !…Tout servit à m’aplanir le chemin !… mais ce n’était pas assez pour moi ! il me fallait ma place parmi les hommes !… je la voulais, je l’aurais eue !… Et quand les honneurs, les dignités, que je n’aurais dus qu’à moi seul, auraient lavé le tort de ma naissance, l’opprobre dont le fouet avait jadis marqué mon front ! Quand ces hommes si fiers m’auraient tendu la main, comme à leur égal… Alors, j’aurais tourné mes regards vers vous… alors, je vous aurais dit : voilà votre ouvrage… c’est à vous seule que je dois ce que je

sais !… ce que j’ai fait ! parlez… suis-je enfin digne de vous, ou faut-il que je fasse encore plus ! Mme DE PRESLE, avec élan.

Ah ! Camille !… mon cœur vous avait deviné ! SAINT-GEORGES, avec désespoir.

Et ce rêve de quinze ans, cet homine l’a détruit, brisé !… et vous voulez que je lui pardonne !… non ! non… tout son sang me doit compte du bonheur qu’il m’enlève !…

vement.

Mme DE PRESLE.

Oh ! ne dites point cela ! au nom du ciel ! écoutez-moi ! N’y a-t-il pas plus de courage à mépriser l’insulte, à se vaincre soi-même !… Et que vous donnerait, mon Dieu ! cette triste victoire ? avezvous besoin d’un succès de plus ?… Et un hsard fatal ne peut-il pas trahir la meilleur cause !… (Avec tendresse.) Camille !… hier encore, vous m’apparteniez… vous étiez mon bien… je pouvais d’un seul mot empêcher ce combat !… et la liberté que je vous ai reudue…(Saint-Georges fait un mouContinuant.) Je ne m’en repens pas… vous en étiez digne… vous l’aviez conquise depuis longtemps, par votre seul mérite !… mais enfin, ce pouvoir que j’avais sur vous… l’ai-je donc perdu sans retour ?… Ne puis-je plus disposer de vous comme autrefois !… (Plus vivement, et comme pour l’empêcher de répondre.) Ne me répondez pas… mais rappelez-vous notre enfance, Camille… votre désir de me complaire en tout… votre soumission à mes moindres volontés !….. Oh ! alors, si je vous eusse demandé le sacrifice d’un ressentiment, l’oubli d’une offense… la vie même de votre ennemi mortel… vous n’eussiez point hésité !…….. et aujourd’hui que je vous la demande pour vous, pour moi-même… aujourd’hui que je ne commande plus… mais que je supplie, obtiendrai-je moins…

et me punirez-vous d’avoir été bonne et géné

reuse !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|frappé d’une idée.

Ah ! je devine…

Comment ?

Mme DE PRESLE.
SAINT-GEORGES.

Le baron de Tourvel… que vous deviez épouser ?…

Mme DE PRESLE.

Eh bien ?

SAINT-GEORGES.

Vous tremblez pour lui ?

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec abandon. Pour lui !… et si c’était pour vous !… SAINT-GEORGES, avec transport.

Pour moi, grand Dieu !… qu’avez-vous dit ?

Mme DE PRESLE.

Ce que mes pleurs et mon effroi auraient dû vous apprendre !… oui, puisque votre danger, votre injustice m’ont arraché cet aveu… Eh bien ! oui… c’est vous seul que j’aime, c’est vous seul que je tremble de perdre !…

SAINT-GEORGES.

L’ai-je bien entendu !… quoi, ce bonheur que je n’osais espérer…..

Mme DE PRESLE.

Et maintenant qu’il y va de mes jours, de mon repos ! vous renoncerez à ce combat… je le lis dans vos yeux, vous oublierez l’outrage d’un rival. SAINT-GEORGES, avec force.

Moi, madame ! ah ! moins que jamais !… Vous venez de prononcer son arrêt !… l’homme que vous aimez, ne peut vivre déshonoré.

Mme DE PRESLE.

Ciel !

SAINT-GEORGES.

Et nulle puissance au monde ne saurait l’arracher…

M. DE BOULOGNE, en dehors. Je vous dis que je veux lui parler.

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|effrayée.

Qu’entends-je ! cette voix !

SAINT-GEORGES.

Monsieur de Boulogne !

Mme DE PRESLE.

Le contrôleur-général… s’il me voit ici… je suis perdue !…..

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|lui montrant la porte à gauche qu’il ouvre.

Cette porte… un autre escalier qui conduit au jardin, et de là vous pouvez gagner votre voiture… Mme DE PRESLE, reprenant son voile et y courant. Il suffit ! adieu !…

SAINT-GEORGES.

Eh ! quoi… pour toujours ?

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|tenant la porte entr’ouverte. Camille ! vous m’avez entendue ?… malgré ma tendresse… et dussé-je en mourir… je vous l’ai dit, si ce combat a lieu… je pars à l’instant… vous ne me reverrez de la vie…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|comballu.

Un pareil sacrifice !…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec anxiété.

Eh bien ?

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|après un temps et avec effort. Adieu, madame !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec désespoir.

Ah !… adieu !

(Elle disparait et referme la porte.) {{personnageD|SAINT-GEORGES|c|seul.

Séparés séparés pour jamais !…


PLATON, annonçant,

Monsieur de Boulogne. (Il sort.)



Scène VI.

{{acteurs|M. DE BOULOGNE, SAINT-GEORGES. {{personnageD|SAINT-GEORGES|c|froidement.

Je ne puis comprendre, monsieur, le but d’une

visite…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|ému.

Je le conçois… ce n’est pas moi que vous attendiez… mais, j’ai dėvancé l’heure du rendezvous, pour que mon fils ignorât ma démarche. SAINT-GEORGES, avec ironie. Ah ! j’entends… vous venez à son insu, m’apporter ses excuses !…

M. DE BOULOGNE.

Non, monsieur… je viens vous dire… que ce duel est impossible !

SAIN-GEORGES, de même.

Monsieur le contrôleur-général a sans doute encore quelque lettre de cachet dans sa poche !… je sais que ce sont là ses armes ordinaires !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|plus ému.

Non, monsieur… je pouvais m’adresser au roi, pour prévenir le malheur qui me menace, mais je n’ai voulu que vous seul pour juge. (Avec trouble.) Quand vous saurez… quand je vous aurai révélé… le secret que le hasard… m’a fait découvrir hier, et que la fatalité m’avait caché jusqu’à ce jour…vous n’hésiterez plus, j’en suis sûr, à étouffer tout ressentiment, toute haine ; et je n’ai qu’un mot à prononcer… pour faire tomber votre épée.

Moi !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|étonné.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|à lui même.

Ah ! ce n’est qu’en tremblant !… et je ne sais si j’aurai le courage……

Parlez !…

SAINT-GEORGES.
M. DE BOULOGNE.

Eh bien !… Saint-Georges… celui que votre bras menace… le baron de Tourvel… mon fils… SAINT-GEORGES.

Eh bien ?

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec effort.

Il est votre frère !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|reculant.

Mon frère !…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec émotion. Oui… Saint-Georges… votre frère !…

Lui !…

SAINT-GEORGES.
M. DE BOULOGNE.

Epargnez-moi vos reproches. (Baissant la voix avec un peu de confusion.) Votre mère… ah !… son amour pur et dévoué…… méritait sans doute un autre sort !… mais un riche mariage… qui flattait alors mon orgueil… je voulus éloigner toute trace d’un passé qui pouvait le rompre, et oubliant ce que je devais à la pauvre Noémi… (Baissant la voix encore plus et tremblant d’émotion.) Je la fis vendre… au moment où elle allait devenir mère !.. SAINT-GEORGES, avec indignation. Vendre… elle, et son enfant !… [ocr errors][merged small]

Je ne cherche point à excuser une faute, que rien ne saurait justifier !… heureusement l’éclat d’hier est venu m’apprendre la vérité !… Oui, SaintGeorges, vous êtes mon fils, et à la voix d’un père…….

SAINT-GEORGES

Mon père !… je ne connais que la pauvre négresse qui m’a nourri, qui m’a prodigué ses soins et son amour ! voilà ma seule famille !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|allerė.

O ciel !… vous méconnaitriez…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec force.

Ce que vous avez méconnu vous-même… (Avec amertume.) Ah ! vous croyez, monsieur… que ce. titre de père, est un vain nom que l’on peut repudier quand il gène, et réclamer pour imposer ses lois !… qu’on peut en exercer les droits et en trahir les devoirs !… qu’il suffit au bout de vingt-cinq ans, de venir dire à un malheureux, humilié, outragėje n’ai jamais voulu te reconnaître, je ne te reconnaîtrai jamais… je t’ai voué à l’infamie… je t’ai vendu avant la naissance… car ton aspect seul eût été un affront pour moi… mais aujourd’hui, je tremble pour l’héritier de mon nom… de ma fortune… sa vie est dans tes mains !… tu vas me sacrifier ta réputation, ton honneur… je le veux… et tu dois m’obéir… car tu es mon fils ! je suis ton père !…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|d’une voix suppliante. Saint-Georges !

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|amèrement.

Un père !… moi !… et où était-il, quand le fouet d’une maîtresse hautaine sillonnait mon front, et le marquait d’opprobre ?… où étail-il, quand fuyant à travers les sables, je mendiais un peu de pain, pour ranimer mes forces, une goutte d’eau pour étancher ma soif !… était-il là, ce père, pour me tendre la main, quand succombant sous l’excès du travail, j’inondais la terre de mes sueurs !… et plus tard, lorsque mes efforts, ma_persévérance maîtrisèrent la fortune, que je me fis un nom, une existence… était-il là, pour me serrer sur son cœur… et me dire : je suis fier de toi !… Non !… au fils légitime, tous les soins, tout l’amour !… au misérable esclave, l’abandon,

F’oubli et la honte !… vous voyez bien, monsieur, que je n’ai pas de père… que je n’en cus jamais !… M. DE BOULOGNE, avec désordre.

Ah ! j’ai mérité ce traitement… mais vous ne serez point inflexible, Saint-Georges !… Au nom du ciel, oubliez une insulte que je désavoue… renoncez à un combat qui serait un crime !…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|fièrement.

Pour que je le puisse sans déshonneur, monsieur, dites donc tout haut qu’il est mon frère… non pas ici, pour moi seul, en tremblant… mais devant le monde entier ! Vous baissez les yeux… Vous vous taisez !…

AIR : Époux imprudent, fils rebelle.

Oui, je comprends, abjurant ma vengeance, Il faut me perdre aux yeux de tout Parts… Il faut enfin, par mon lâche silence,

Sauver le nom de votre fils…

Dévorer, seul, la honte et le mépris !… (Avec ironie.)

Moi, votre fils ! quand, sous l’affront d’un autre, Vous prétendez que je reste entaché !

(Avec amertume.)

De mon honneur, vuos faites bon marché ; On voit bien qu’il n’est pas le vôtre !

M. DE BOULOGNE.

Oui, je suis injuste, je suis cruel ! mais si le préjugé, si les lois du monde te repoussent de mes bras et enchaînent ma tendresse, s’il ne m’est plus permis de suivre le vœu de mon cœur sans appeler sur moi le dédain et le blame, n’es-tu pas assez généreux pour comprendre mes tourmens et pour y mettre un terme ?… Les jours de mon fils… je te les demande… je te les demande à genoux.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|le relevant vivement. Monsieur !… [blocks in formation]

Laissez-moi, vous dis-je !… (Écoutant.) Écou

tez !… on monte l’escalier !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec effroi el passant à droite. C’est lui. [blocks in formation]

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec force.

Aucune puissance au monde ne m’arracherait de ces lieux je veux connaître mon sort, je saurai tout souffrir… Mais souvenez-vous…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|vivement.

Souvenez-vous, monsieur, que je n’ai rien promis, et que j’ai été déshonoré !…

(M. de Boulogne remonte la scène de manière que le baron ne le voit pas d’abord.)



Scène VII.

{{acteurs|LES MÊMES, LE BARON, en habit du matin ; PLATON, au fond. Puis LA MORLIÈRE, qui rentre au bruit.

PLATON, au fond.

Non, monsieur ! c’est impossible !

{{personnageD|LE BARON|c|à Saint-Georges.

Imposez donc silence à ce valet, monsieur…Ceux qui ne vous connaissent pas croiraient qu’il était apposté pour m’empêcher d’arriver jusqu’à vous.


{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à Platon.

Sortez !

PLATON.

Monsieur ?…

SAINT-GEORGES.

Sortez, vous dis-je… el que ma porte soit fer

mée !

PLATON.

Ah ! malheureux ?…

(Il referme la porte et disparaît.)



Scène VIII.

{{acteurs|LES MÊMES, excepté PLATON.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|troublé et montrant La Morlière. Voici mon témoin, baron ; mais je ne vois pas le vôtre.

LE BARON.

Je me suis lassé de l’attendre… il va venir, sans doute.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|se montrant.

Non, il ne viendra pas !…

LA MORLIÈRE.

Monsieur de Boulogne !…

{{personnageD|LE BARON|c|reculant.

Mon père, !…

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|s’avançant et avec force. Oui, monsieur, c’est moi qui le remplacerai… c’est moi qui vous servirai de témoin !…

LE BARON.

Vous, grand Dieu !…

LA MORLIÈRE et SAINT-Georges.

Impossible !…

M. DE BOULOGNE.

Hé pourquoi donc, messieurs ?… qui de vous aurait le droit de me refuser ?… qui donc serait plus jaloux de l’honneur du baron, que son père ?… (Mouvement des deux jeunes gens.) Oh ! ne

craignez rien… je n’empêcherai point ce combat… (Regardant Saint-Georges.) Il est inévitable maintenant, je le sais !… et puisque mes prières ont été repoussées… puisque la voix d’un père est méconnue… oubliez qui je suis… ne voyez que votre témoin… j’en remplirai les devoirs, j’en aurai le courage.

LE BARON.

Au nom du ciel… épargnez-vous un supplice… M. DE BOULOGNE, avec élan.

Ah ! je souffrirais mille fois plus, si je n’étais pas là…

Monsieur…

TOUS.

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec force.

Je le veux !… c’est un droit que personne ne saurait m’enlever… (À La Morlière.) Voyons, monsieur… réglons les conditions.

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|à part.

Ah ! quelle épreuve !…

LE BARON.

Elles sont réglées, et par le chevalier lui-même… M. DE BOULOGNE et LA MOrlière.

Comment ?

{{personnageD|LE BARON|c|à Saint-Georges.

Oui, monsieur… j’ai reçu votre lettre, et je vous rends grâce de votre loyauté… vous me laissez le choix des armes ?… le pistolet !… le reste va de suite… vous êtes l’offensé, vous tirerez le premier. [ocr errors]

M. DE BOULOGNE avec effroi. Le premier !… lui ?….. [blocks in formation]

LE BARON.

Je ne veux ni faveur, ni pitié… et quel que soit le danger… le soin de mon honneur exige que les lois ordinaires du duel soient suivics… Allons, messieurs, les voitures sont en bas. Marchons ! (La Molière remonte avec le baron, comme pour sortir.)

M. DE BOULOGNE.

Grand Dieu !… (À mi-voix, à Saint-Georges, et avec désespoir.) Ton frère !… ton frère !….. sa vue même ne te désarme pas ? (Musique en sourdine.) SAINT-GEORGES, l’arrêtant el avec amertume.

Ah ! monsieur… vous êtes sans pitié !… Par vous, j’ai tout perdu… il ne me restait que mon honneur… vous voulez que je vous le sacrifie !….. Eh bien ! soil !… que je vous doive donc le comble de l’infamie et de la dégradation !…

{{personnageD|LE BARON|c|étonné et revenant vers Saint-Georges. Eh bien ! monsieur ?…

{{personnageD|SAINT-GEORGES|c|avec trouble et au baron, après un instant d’hésitation.

Vous penserez de moi ce que vous voudrez, monsieur… vous pouvez dire que je suis un homme sans foi, sans honneur… mais ce combat est impossible… je ne me battrai pas avec vous !

LA MORLIÈRE el LE BARON.

Qu’entends-je ?

Ah !

{{personnageD|M. DE BOULOGNE|c|avec joie.

SAINT-GEORGES avec une amertume profonde. Et maintement, allez publier partout que SaintGeorges est un lache !… qu’il s’est humilié devant vous !… qu’il a refusé de se battre… Appelez sur moi, le dédain, la honte et le mépris… j’y consens, je les accepte… (À M. de Boulogne, à mivoix.) Eh bien ! monsieur… êtes-vous content ?… suis-je assez avili ?…..

La Morlière, confondu.

Ah ! chevalier !

{{personnageD|LE BARON|c|étonné.

C’est impossible !… (Regardant son père.) Un pareil langage… que s’est-il donc passé ?… Mon père… vous étiez avec lui… que lui avez vous donc dit ?…

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|ouvrant loul-à-coup la porte de gauche et paraissant.

Ce qu’il lui a dit, monsieur…

TOUS.

Que vois-je !

M. DE BOULOGNE.

La comtesse de Presle !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|émue.

Il lui a dit que vous étiez son frère ! LE BARON el LA MORLIÈRE.

Son frère !

{{personnageD|Mme DE PRESLE|c|avec âme.

Et, maintenant, au plus noble, au plus généreux des hommes, à celui qui est dédaigné, méconnu, repoussé par tous !… moi, comtesse de Presle, je viens dire : Chevalier, je vous supplie d’accepter ma main… je serai fière de vous appartenir !…

(Mouvement. Saint-Georges, transporté de joie, s’incline sur la main de Mine de Presle ; M. de Boulogne est combattu ; le baron ému s’élance dans les bras du chevalier.)

FIN.