Une voix dans la foule/Le Paon blanc

Une voix dans la fouleMercure de France (p. 25-27).

LE PAON BLANC

À Tristan Klingsor.

Le paon blanc criant dans la nuit bleue
Où la brise éparpille les fleurs
Des cerisiers pâles sur sa queue,

Au fond du parc vaporeux les pleurs
De l’eau qui s’écoule des fontaines
Dans des marbres de maintes couleurs,


Exhalé des venelles lointaines
Ce vent d’amour qui frôle les fronts
D’un souffle de lèvres incertaines,

Et le parfum des orangers ronds
Qui, dans leurs jarres de terre cuite,
Bordent les balustres des perrons.

Et puis ces susurrements sans suite,
Frissons de feuilles, rêves d’oiseaux
Ou soupirs d’une amoureuse en fuite,

Tout ce qui, des rameaux aux roseaux,
Court comme une chanson sans paroles
De fileuses aux légers fuseaux,

Tout me dit que, parmi les corolles
Qui sont blanches dans le gazon noir,
Je verrai la princesse aux mains folles

Venir comme un fantôme s’asseoir
Au pied de la vétuste statue
Qui figure l’Amour et l’Espoir,


Et comme une qui se prostitue
Arracher brocarts d’or et bijoux
Dont elle s’était, ce soir, vêtue,

Pour les jeter d’un geste jaloux,
Nue au milieu de sa robe à queue
Et pâle parmi ses cheveux roux,

Au paon blanc criant dans la nuit bleue !