Une voix dans la foule/L’Orage

Une voix dans la fouleMercure de France (p. 144-145).

L’ORAGE

À Paul Fort.

Le ciel est violet sur la campagne verte
Et le fleuve terni coule comme du plomb.
Le tonnerre, tremblant au loin, donne l’alerte
Aux piétons qui, penchés, marchent d’un pas plus long.

On n’entend plus là-haut le cri des alouettes.
Rien ne bouge. Le vent même meurt dans le soir.
Sur la route ont cessé de grincer les brouettes
Des femmes rapportant leur linge du lavoir.


Voici l’auberge. Assis près de la porte ouverte,
Je n’entends qu’une mouche au corselet cuivré
Bruire entre le rideau rouge et la vitre verte.
Mon cœur est haletant et mon front enfiévré.

Tout à coup sous le porche un roulement de roue
Vibre. C’est la patache aux chevaux pommelés
Dont le trot a claqué dans les flaques de boue
Tout au long du chemin où jaunissent les blés.

Elle vient de la ville aux luisants toits d’ardoise,
Celle dont on entend les cloches jusqu’ici.
Il en sort un soldat, un prêtre, une bourgeoise,
Des gens en blouse bleue : « Adieu ! pardon ! merci ! »

Puis l’on court, parapluie ouvert, aux maisons proches.
Il tonne. On n’entend plus les poules dans la cour.
Une servante au loin tape de ses galoches.
Voici l’averse. Il fait un jaune demi-jour.

Et je suis toujours là près de la porte ouverte,
Écoutant une mouche au corselet cuivré
Bruire entre le rideau rouge et la vitre verte.
— Ah ! qu’il sent bon, ce soir, le jardin du curé !