Une voix dans la foule/Auprès de la fontaine

Une voix dans la fouleMercure de France (p. 158-160).

AUPRÈS DE LA FONTAINE

Fille jolie assise au bord de la fontaine.
Le menton appuyé dans le creux de ta main,
Dis-moi, ce jour d’azur, tant que l’ombre est lointaine,
Tous tes regrets d’hier et secrets de demain.

Je te ferai cadeau de lilas et de roses
Et je mettrai, mêlant ton rire à mon baiser,
Pendeloques de fleurs à tes oreilles roses.
Ne faut-il pas en mai s’aimer et s’amuser ?


Vois l’herbe des vergers se joncher de corolles
Sous les coups d’aile drus des oiseaux en amour.
Comprends-tu dans ton cœur le doux sens des paroles
Que la nuit du printemps répète après le jour ?

Ce soir les rossignols vont se plaindre à la lune ;
Tous les lilas sont lourds d’un sourd bourdonnement.
Sous ta guimpe de lin je sens ta gorge brune
Se gonfler du désir des lèvres de l’amant.

Allons donc en chantant turlurette et lanlaire,
Fille jolie, au fond du bois que je connais ;
Une fleur bleue y croît, et le soleil l’éclaire
À travers l’or épars et mouvant des genêts.

Mais voici que, pleurant d’une peine secrète,
Tu me caches tes yeux qui rirent trop souvent.
Jo ne suis qu’un passant qui te conte fleurette.
Serments d’amour ? Autant en emporte le vent !

Ainsi m’as-tu parlé, fille de la fontaine,
Et j’ai senti soudain mon désir s’apaiser ;
Car je vais sans souci vers la ville lointaine
Où j’aurai bientôt fait d’oublier ton baiser.


J’ouvrirai donc les bras. Échappe à mon étreinte,
Et dis-toi que les gens sont fous pour la plupart.
Mais puisque maintenant tu peux me voir sans crainte.
Exauce ma prière et bénis mon départ.

Puise un peu de cette eau rare et froide qui mouille,
Après les prés herbeux, les jardins de jasmins.
Et permets seulement, vois, que je m’agenouille
Pour boire dans le creux rose et blanc de tes mains.