Une voix dans la foule/À une jeune fille

Une voix dans la fouleMercure de France (p. 114-116).

À UNE JEUNE FILLE

Tes mains effeuillant des roses
Dans le silence bleu du soir !
Ta voix me chantant des choses
Que je croyais ne plus savoir !

Tes yeux pâles de princesse
Qu’on vient de ravir au sommeil !
Tes cheveux, cette caresse
De soie éparse en le soleil !


Ta bouche que veut déclore
D’un sourire secret l’Amour !
Tes seins offerts à l’aurore,
N’étant pas mûrs pour le grand jour !

Toi, toute grâce et jeunesse,
Vierge, âme plutôt que chair,
Je t’ai, les soirs de tendresse,
Aimée ainsi qu’un ami cher !

Des roses nous ne cueillîmes
Que les plus blanches du buisson,
Et les mots que nous nous dîmes
Furent d’innocente façon.

Notre amour fut peu de chose.
Un serrement soudain du cœur.
Ton visage à peine rose,
Ma main tremblant de quelque peur.

Si peu de chose fût-elle.
Cette amitié sans bas désir.
Que je la voudrais mortelle
Comme tout terrestre plaisir.


Je voudrais que ton nom même
S’éteignît pour la vie en moi
Et ne vînt qu’au soir suprême
Fleurir ma mémoire en émoi,

Comme une oraison qui pleure
Dans un cœur d’homme et s’y endort,
Et ne s’éveille qu’à l’heure
Du bon sommeil ou de la mort.