Une visite au champ de bataille de Pyeng-Yang trois semaines après la bataille

Une visite au champ de bataille de Pyeng-Yang, trois semaines après la bataille. (récit d’un résident de Seoul)

Le 1 octobre j’ai quitté Seoul pour me rendre à Pyeng-Yang (Seoul fut entre les mains des Japonais, et les Chinois s’en allaient à toutes jambes en Chine) pour faire ce trajet je me suis servi de vélocipède ce que je trouve le meilleur moyen de locomotion en Corée. "Le Pays du Calme Matinal" est toujours dur à traverser, mais le vélocipède fatigue moins que le poney où il faut s’asseoir de manière à laisser se balancer les pieds de chaque côté du cou de l’animal. Une fois arrivé à Pyeng-Yang, j’ai traversé le fleuve sur un ponton fait de bateaux coréens et bâti par les Chinois, qui dans leur empressement de s’en aller avaient oublié de le détruire.

Pyeng-Yang est une ville entourée d’une muraille et très bien située pour être défendue. Devant la ville se trouve le fleuve le Ya Yong qui est trop large et trop profond pour être traversé à la face d’un ennemi implacable. Au nord, dans l’enclos de la muraille, se trouve une colline de quelques centaines de pieds de hauteur ; nul ennemie pourrait prendre Pyeng-Yang avant de chasser un adversaire de cette colline. L’armée chinoise avait été 40 jours dans Pyeng-Yang quand les Japonais y sont arrivés ; on aurait eu donc bien le temps de faire des retranchements autour de la ville. Les Chinois attendaient l’attaque du fleuve et de ce côté-là ils furent prets ; mais ce n’est pas de ce côté-là que les Japonais ont livré bataille. Pendant deux jours les Japonais ont tiré au canon du côté du fleuve ; et pendant que les Chinois y faisaient attention, deux divisions de l’armée Japonaise ont marché derrière la ville où elles s’apprêtaient à donner l’attaque en temps utile.

Le 15 septembre tout fut pret ; et l’attaque fut donnée de trois côtés simultanément, et avant le soir les Japonaises furent en possession de tous les remparts extérieurs. Les Chinois tenaient encore la colline, et de là dépendait leur sort. Le soir du 15 les Japonais firent une grande charge contre les Chinois ; ça c’était courageux, et la charge fut faite avec une telle energie que la colline fut prise d’assaut. Alors les Chinois n’avaient qu’à se battre en retraite, et ça encore ne fut pas chose facile, car les Japonais entouraient la ville. Les Chinois furent donc forcés d’attendre la nuit, et sous la pluie ils s’en allèrent par la porte du Sud marchant les uns sur les autres. Une fois en dehors de la ville ce fut un sauve qui peut général, sur la route pendant des milles j’ai vu des vêtements jettés par les fugitifs. Parmi les vêtements j’ai remarqué les ombrelles en papier et les éventails ; ce détail fait voir la différence énorme qui existe entre l’armée japonaises et celle de la Chine. Les peuples de l’Occident se figurent assez difficilement ses soldats emportant avec eux dans une guerre ses ombrelles (les anglais cependant n’ont aucune difficulté à se figurer un [tel] maréchal qui porte un parapluie ; car le duc de Cambridge chef de l’armée anglais est un cousin de notre gracieuse [Luece], en traîne une partout avec lui. On a même fabriqué ses jouets qui caricature la manie qu’il a de porter toujours un parapluie. Ce n'est certes pas de lui qui m'aurait fais dire « il n'a pas de parapluie ») et des éventails ; ce qui n’empêche pas que les soldats japonais le faisaient encore il y a à peu près 30 ans. Les canons ne manquèrent pas aux Chinois ; mais il portèrent aussi des armes absolument inutiles entre les armes modernes des Japonais. J’ai ramassé un sabre avec une lame de 2 pieds de longueur, et un manche de 4 pieds ; j’ai vu aussi des quantités de piques en bambou avec une pointe en fer. Ces armes-là étaient bonnes aux [léups] d’éventails et d’ombrelles.

J’ai vu naturellement des choses horribles. On avaient répandu un peu de terre sur les corps de ceux qui sont morts près de la ville ; mais les autres sont restées étendues sur la terre. Dans un endroit j’ai compté jusqu’à 20 corps amoncelés les uns sur les autres. Plus loin, où une division de cavalerie manchourienne est tombée dans une ambuscade de Japonais, le carnage fut terrible. Des corps des hommes et ses chevaux faisaient une ligne d’un quart de mille en longeur et de plusieurs mètres de largeur ; trois semaines après la bataille ces corps n’avaient pas encore été molestés par les chiens ; on peut s’imaginer ce qu’a dû être la puanteur de ce lieu dans les premiers jours

On prétend que la cavalerie manchourienne, dont j’ai parlé plus haut, chargeait l’infanterie japonaise ; mais moi je pense qu’elle s’enfuyait ; car j’ai trouvé deux monceaux d’[opierre] de 7 ou 8 livres chacune ; ses soldats allant à la charge en emporteraient pas de telles quantités d’opium avec eux ; puis la position de leurs fusils fait penser que les Manchouriens l’esquivaient.

Tout le nombre a entendu parler des fameuses mines préparées par les Chinois et ayant pour but l’annihilation de l’armée japonaise à Pyeng-Yang. Au sud-ouest de la ville nous avons renvoyées les restes d’une batterie électrique ; en cherchant nous avons découvert les bouts de 5 fils électriques. Ils n’avaient pas été profondément placés ; ils étaient donc faciles à suivre ; après une manche d’un quart d’une mille nous avons découvert, ce qu’a vrai dire nous ne pensions pas exister, les ruines terribles (?) Les cinq fils électriques s’attachaient à 5 bombes dont 3 furent posées à 50 pieds de distance l’une de l’autre ; à 150 pieds plus il y en avaient 2 autres également à 50 pieds l’une de l’autre. Toutes les 5 avaient fait explosion et chacune d’eux avait fait un trou de tout au plus 6 pieds de profondeur. On ne peut comprendre ce que pensaient faire les Chinois avec ces mines. Si les Japonais avaient pris leur position au-dessus de ces mines, quelques hommes auraient été blessés, mais c’est tout. Puis les mines furent posées dans un champ de blé, ce qui l’aurait rendu bien difficile à l’homme en charge de la batterie de savoir au juste quand il fallait tirer. Puisque les Japonais ont donné l’attaque d’ailleurs, l’homme en charge a pu tirer avant de s’enfuir ; mais ce sont probablement les Japonais qui ont éventé les mines.

Les comptes-rendus des coréens sur la bataille sont très intéressants ; non seulement à cause de l’imagination dont ils font preuve, mais aussi parce qu’ils démontrent la haine enracinée entre les Japonais et l’estime innée pour les Chinois et pour tout ce qui touche à la Chine. Voici une histoire typique, raconté naturellement par les Coréens. Le général Mah, général chinois, dégoûté de la manière dont se battaient des soldats, et ayant justement reçu lui-même une blessure à la cheville se fâcha. S’en allant à sa tente, il prit son armure et empoignant un canon (sic) de la main, alla tout seul vers les Japonais et de ses propres main en tua 200 !