Une statue (bourgeois) (Verhaeren)


UNE STATUE


Un bloc de bronze où son nom luit sur une plaque.

Ventre riche, mâchoire ardente et menton gourd ;
Haine et terreur murant son gros front lourd
Et poing taillé à fendre en deux toutes attaques.

Le carrefour, solennisé de palais froids,
D’où ses regards têtus et violents encore
Scrutent quels feux d’éveil bougent dans telle aurore,
Comme sa volonté, se carre en angles droits.

Il fut celui de l’heure et des hasards bizarres,

Mais textuel, sitôt qu’il tint la force en main
Et qu’il put étouffer dans hier le lendemain
Déjà sonore et plein de cassantes fanfares.

Sa colère fit loi durant ces jours bâtés,
Où toutes voix montaient vers ses panégyriques,
Où son rêve d’état strict et géométrique
Tranquillisait l’aboi plaintif des lâchetés.

Il se sentait la force étroite et qui déprime,
Tantôt sournois, tantôt cruel et contempteur,
Et quand il se dressait de toute sa hauteur
Il n’arrivait jamais qu’à la hauteur d’un crime.

Massif devant la vie, il l’obstrua, depuis
Qu’il s’imposa sauveur des rois et de lui-même
Et qu’il utilisa la peur et l’affre blême
En des complots fictifs qu’il étranglait, la nuit.

Si bien qu’il apparaît sur la place publique
Féroce et rancunier, autoritaire et fort,
Et défendant encor, d’un geste hyperbolique,
Son piédestal bâti comme son coffre-fort.