Éditions Prima (Collection gauloise ; no 86p. 24-29).

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Apéritif nuptial



On se fatigue de tout, même de comprendre, quoiqu’en dise je ne sais plus qui. On se lasse même de faire l’amour au Bois de Boulogne. Non pas que l’air y manque de pureté, le paysage d’agréments bucoliques, la verdure de charme et les passants de discrétion. Point du tout !

Mais enfin, malgré la naturelle déférence des gardes envers ceux qui pratiquent le geste repopulateur, malgré l’odeur délicate des menthes écrasées et l’entrain qui vous vient spontanément pendant ces communions avec la grande nature, il y a quelques petits cheveux au plaisir…

D’abord, on salit ses vêtements, et les teinturiers-dégraisseurs prennent fort cher pour les remettre en état. Ensuite, le sommier terrestre manque de ressorts. Enfin, on a beau avoir confiance dans son étoile et les circonstances, lorsqu’on trousse en public une moukère douée du nécessaire pour réjouir un honnête homme, on sait bien commettre un délit. Et cette idée du procès-verbal possible, nous coupe toujours un peu la chique, de sorte qu’il serait, malgré tout, plus agréable de se trouver au lit…

Et puis, la fatigue vient. Dame ! l’homme n’est pas d’acier trempé. Il subit la conséquence de ses efforts, et celle-ci, se manifeste par un abandon de ses énergies, un relâchement de sa tension naturelle qui rendent bien ironique tous efforts nouveaux vers la volupté…



Cunéphine faisait la cabriole (page 23).

Voilà pourquoi tout le monde finit par en avoir assez du Bois. Le soir tombait, d’ailleurs, apportant quelque mélancolie dans les âmes. Le ciel était semé de feuilles de rose, touchant symbole qu’évoquèrent, avec un intime frisson, toutes les belles filles mal agrafées qui s’étiraient dans le silence crépusculaire. Au nord-est, une lune fine et mince, incurvée et aquiline, se levait avec tendresse.

Un oisillon pépiait quelque part, et très loin une auto peut-être ministérielle grondait comme un bull-dog qui court après un os à moelle.

Douceur infinie de tant de soirs, depuis l’origine du temps, où l’homme repu de délices sent à la fois la tristesse et la fringale le posséder, vous remplissiez à cette minute les cœurs fragiles de Lerousti, écarlate et de Finboudin-Canepête, exquise poulette à peau mate. Cunéphine Lampader reboutonnait, avec une pudeur toute neuve, la fermeture de sa chemise enveloppe. Le potard tentait de mettre un rien d’ordre dans sa chevelure débraillée. Lerondufess, encore tout ému d’être amoureux, serrait sur son cœur, en une tardive sentimentalité, sa belle amie à peau virginale. Et tous, participaient à l’émotion ambiante, y compris Hector et Josépha.

Chère Josépha ! Elle avait dû déployer toute son énergie pour ne pas abandonner avant le dîner nuptial, sa rose à son époux. Il l’avait pressée, retroussée, renversée, étreinte avec un allant si héroïque, un entrain si galant que peu s’en était fallu de voir avant l’heure, le lis de la jeune épouse se faner.

Dans un hallier touffu, il avait, le timide Hector, trouvé l’audace de mettre à nu les charmes de sa femme légitime, mais qui ne se voulait consacrée qu’à une autre heure et plus commodément… C’était un gaillard Hector. Les protestations de Josépha crurent ne point l’émouvoir et peu s’en fallut qu’il n’accomplit sur-le-champ, l’œuvre charnelle…

Mais Josépha n’était pas ce qu’on peut nommer une novice. Elle avait bien pris son parti : cela ne se passerait pas au Bois. D’un tour de main, elle détourna donc la flèche d’amour et d’une souple acrobatie sut se dérober à l’effort cyclopéen…

Hector fut quinaud. Il n’en tira aucune vanité, au contraire. Tandis que sa femme remettait de la grâce dans une robe remontée jusqu’aux aisselles, retendait une jarretelle qu’Hector avait prise pour le blount du paradis, et retendait sur ses appas aux courbes savantes, une jupe réduite en surface et en épaisseur, l’époux congestionné sentait sa défaite plus cuisante et se tenait penaud à deux pas.

Ainsi va le monde que les perceptions philosophiques touchent surtout les humains à la fin des journées chargées en agapes et en cérémonies sociales, lorsqu’un rien de lubricité leur servit surtout de liant et de condiment…

L’on courut après les taxis. Ils attendaient très sages, en admirant leurs compteurs aux additions satisfaisantes. On s’engouffra dans les carrosseries en poussant des petits cris charmants. Cunéphine, criarde comme toujours, prétendait qu’on lui eut mis du poil à gratter dans sa culotte. Le potard rêvait de courir tout à l’heure jusqu’à sa pharmacie pour user à la fois de pommade au calomel, et d’un tonique propre à le rendre vigoureux pour la nuit proche. Car il était scrupuleux à la fois en hygiène et en galanterie…

Quant à Lerondufess, abandonné, sans que personne s’aperçut de sa disparition, il courait le bois à la recherche de son mouchoir, perdu il ne savait où ni quand. Il ignorait que Mme Lovepin, la tout aimable sage-femme, l’ayant ramassé par hasard, s’en était servi comme éponge de toilette.

Les taxis reparurent donc au Pâté-en-Croûte. Le glorieux restaurant ronflait alors de toutes ses rôtissoires et de tous ses moulins à café. Le dîner serait bon !

Et on se rua sur les apéritifs.

Le temps de dire ouf, et les bouteilles d’anis, de gentiane de picon et de pernod (un pernod pour jouvencelles) furent asséchées et cadaverisées. On avait à se remettre des émotions du Bois, des voyages en auto et de secrètes pâmoisons obtenues à force d’art ou d’industrie amoureuse. On atteignit enfin neuf heures moins dix, et déjà la société se levait pour aller dîner, lorsque Lerondufess parut. Il avait dû frêter une voiture à lui seul, après une heure de recherches vaines au clair de lune. Son mouchoir était décidément perdu. Il enrageait et faillit donner un coup de poing au garçon qui voulait lui servir un anis del Conos au lieu de l’anis del Balos, qui était sa consommation favorite. Enfin, il rattrapa tout le monde à table où l’on commençait de s’installer.

Le parcours du bois au Pâté-en-Croûte avait une fois de plus failli être mortel aux pudeurs de Josépha. Hector aurait voulu venger des récents déboires. Le taxi ne permettait pas à sa femme une défense aussi active que sur les herbes folles du Bois. Il poussa donc sa pointe hardiment, Josépha vit à nouveau sa robe nuptiale mise au pillage. Pauvre robe, dont le blanc symbole est la pureté, elle en voyait de toutes les couleurs depuis l’aube ! Bien plus que de garder soigneusement les trésors physiques de sa propriétaire, on eut dit qu’elle ne cherchait qu’à les exhiber… À tout bout de champ le satin immaculé livrait passage à des entrevisions dont le moins à dire, c’est qu’elles résignaient délibérément toute chasteté.

Mais Hector ne vint point au bout de son dessein. Le taxi ne fut pas témoin d’une scène propre à témoigner contre les mœurs nuptiales contemporaines. Josépha, qui avait de géniales tactiques et des stratégies de grand capitaine, fit semblant de se laisser investir, puis, au moment de l’assaut, elle leva le pont-levis. Et Hector resta en panne…