Une sacrée noce/01
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En voiture
Vrai, il passa un petit frisson sur l’échine de l’exquise Josépha, lorsque le vieux prêtre paterne lui enfila l’alliance à l’annulaire. Sur l’échine s’entend, et ailleurs. Pourtant, bien entendu, elle se contint. Nul des assistants ne devina l’effet symbolique d’un geste, en somme innocent, et bientôt tout le monde se dirigea, cérémonie terminée, vers le dehors.
Josépha donnait le bras à son mari. Car, cette fois, ils étaient positivement époux. Le maire, sanglé de tricolore, y avait passé ainsi que le prêtre en surplis. Époux ! Ils étaient époux ! Ainsi donc, à partir de cette minute, Josépha ne pouvait plus, ne devait plus rien refuser à Hector. (Il se nommait Hector.) Qu’il lui demandât de marcher à quatre pattes ou de se mettre en tenue d’Ève, de jouer les Messaline, les Sapho ou les prudes, elle lui devait obéissance. Ce n’est pas rien de se trouver ainsi réduite en esclavage par quatre paroles latines et le geste d’un adjoint bedonnant sous un drapeau. C’est même énorme, effrayant et redoutable… Et Josépha, en avançant dans la nef, regardait Hector à la dérobée. Saurait-il ce mari, se tenir dans les limites honnêtes et justes, durant l’exercice de son souverain pouvoir ? Cruelle et atroce énigme ! Bah ! songea Josépha, s’il n’y met pas un peu de savoir-vivre, je le ferai cocu… Et soulagée par cette promesse intime, elle osa mieux prendre conscience de son autorité cachée. Le code ne reconnaît point cette autorité de la femme, et il la tiendrait presque pour sacrilège.
Mais le code n’est pas de mise partout. Il existe d’autres circonstances, d’autres armes et d’autres tactiques de combat que celles de la pure légalité maritale, fort heureusement.
Josépha songea alors d’un coup aux luttes qui se déroulent avec le lit comme champ de Mars. Elles permettent à une épouse experte de prendre sur son maître, ce que je nommerai une bonne avance. Avec ça, comme dans les courses de six jours, on peut plus tard, durer sur l’acquis du début et décrocher la timbale. Que dis-je, la timbale ? Il faudrait imaginer les cent mille timbales de la vie, figurant la cohorte quotidienne des liesses, des joies et des petits bonheurs…
À ce point de ses réflexions, Josépha franchit la porte de l’église Sainte-Nafisse où on venait de consacrer son union avec le doux Hector. Devant les époux, tout pareil à un dragon dévorant et irrité de vase chinois, se dressait le photographe, armé de son appareil.
Il dit à Hector :
— Souriez, voyons !
Et à Josépha.
— Ne laissez pas pendre votre main gauche sur le ventre.
Elle enleva sa main en rougissant. C’est vrai. Dans sa songerie, elle se croyait nue, et d’instinct voulait protéger une pudeur, que d’ailleurs personne ne voulait, en ce moment, outrager.
Une femme obligeante, qui regardait la scène en connaisseuse, s’approcha avant que Josépha fut incarcérée sur la plaque au bromure du photographe augural. Elle murmura à l’oreille de la timide épousée.
— Je vais arranger votre robe !
Et, en professionnelle de la couture, elle drapa la soie blanche, fit ressortir la cuisse gauche qui tendit l’étoffe mince pour accuser le pli central. Cela délimitait utilement chaque jambe, et c’était prometteur.
— Là ! vous êtes chic.
L’obligation de Josépha lui fit murmurer :
— Merci !
Et le photographe opéra aussitôt, heureux d’en finir pour aller déjeuner.
Ensuite, les néo-mariés furent conduits à leur voiture. Une jeune fillette portait la queue immaculée de la robe gonflée par les appas de Josépha. Elle introduisit le tissu replié dans le taxi et murmura d’un air fûté en s’adressant au mari.
— À votre tour !
— Qu’est-ce qu’elle veut dire ? demanda Hector à sa femme.
— Je ne sais pas, répondit la douce et chaste épouse.
Et elle rougit encore, comme une aube intimidée.
— Ma chérie, murmura alors Hector tout ému. Et il se pencha pour embrasser sa femme sur les lèvres.
Elle le repoussa.
— Voyons, mon ami, attendez ce soir !
Lui, mécontent, se mit à rire.
— Nous attendrons ce soir pour le principal, mais les détails nous appartiennent déjà.
Et comme le taxi se mettait en route, il en profita pour glisser une main exploratrice sous la robe de satin blanc.
Josépha aggrava sa rougeur et ne se défendit qu’à moitié. Quoi, elle avait accepté de se marier : c’était pour subir la loi du mariage.
Au demeurant, sa combinaison-culotte était étanche comme le compartimentage d’un cuirassé. Et madame sa mère l’avait, en sus, avertie la veille :
— Josépha n’oublie point qu’un époux a des droits sur sa femme. Il les tient du code, du sacrement, de l’usage, des coutumes et de sa qualité de mâle. Il pourra t’advenir, disait-elle encore à sa fille, de ne pas goûter ses façons. Toutefois, n’en laisse rien voir. Si tu veux t’entendre avec ton mari, il faut apprendre à ne refuser ce qu’il désire qu’avec précaution et prudence. Le mieux est qu’il ne sente pas le refus.
Josépha se demandait avec angoisse comment on peut refuser sans que la partie adverse s’en aperçoive ? En tout cas, elle laissait en ce moment aller…
Butant à un grillage infranchissable, Hector comprit qu’il serait mauvais d’utiliser des moyens de conquête plus brutaux que sa douce visite légère. Il stoppa. Il voulut pourtant que sa femme comprit sa propre dépendance. Il murmura donc :
— Josépha, ma chérie, comme vous avez les jambes bien faites.
— Vous croyez ? demanda la jeune femme avec ingénuité.
— Certainement. Et je vous en aime follement.
Puis, sous semblant de démontrer les vertus esthétiques de Josépha, il releva la robe blanche sur les genoux dont la peau luisante transparaissait à travers la soie candide des bas.
— Vos genoux sont adorables.
— Ah !
— Oui ! Et plus haut, quelle merveille !
Et il tenta de nouveau un examen faussement naïf.
— Dites, Josépha, pourquoi avez-vous mis une culotte si épaisse et collante ?
— Mais, répondit la nouvelle mariée avec un délicat incarnat sur les joues, c’est ma combinaison de noces…
— De noces, soupira Hector !… Mais croyez-vous vraiment qu’il la fallait, à cette occasion-là, pareille à une cuirasse ?…
Josépha ne sut que répondre. Elle sourit un peu niaisement, comme il convenait, et le digne Hector, ayant une fois de plus constaté la vanité de ses travaux d’approches, retira une dextre indignée. Aussi bien, il était temps, et la morale, si Josépha n’avait pas été si bien défendue, courait un grand danger, car la voiture s’arrêtait et des badauds déjà en examinaient curieusement les occupants…