Une poignée de vérités/Les raisons d’espérer

Imprimerie Gagnon, éditeur (p. 110-115).


XVII

LES RAISONS D’ESPÉRER.


Le rôle des Canadiens-français est magnifique ! qu’ils continuent à vivre leur vie en montrant plus d’optimisme. Ils ont tant de raisons d’espérer ! Qu’ils regardent en arrière, qu’ils se rendent compte du chemin parcouru !

Aujourd’hui, on est obligé de compter avec eux. Ils montent toujours ! À Québec où n’existait pas une seule banque canadienne-française, on en compte aujourd’hui plusieurs. De grosses maisons de commerce, de gigantesques entreprises ont surgi, çà et là. Dans les États-Unis, des Maires de grandes villes, même un gouverneur d’État ont été choisis parmi des Canadiens-français.

Dans les sciences médicales un essor nouveau, incroyable vient d’être donné. En politique, en littérature, ils surpassent leurs rivaux. Les voici qui commencent à s’occuper sérieusement de musique, de peinture, de sculpture. Les Noël, les Paquet, les Darche, les Parizeau, les Dubé, les Falardeau, les Normand, les Rousseau sont des médecins aussi habiles que nos plus habiles ; les Routhier, les Lamothe, les Dorion, les Lemieux sont des juges intègres, respectés, pour lesquels les procédures anciennes et nouvelles n’ont plus de secrets ; les Rivard, les Omer Héroux, les Arthur Lemont, les Monseigneur Paquet, les Camille Roy sont d’incontestables maîtres dans l’art si difficile d’écrire en français ; les Garneau, les Thomas Chapais, les Groulx sont des historiens comparables à nos Duruy ou à nos Henri Martin ; les Lomer Gouin, les Montpetit, les Bourassa sont, en même temps que des sociologues très avertis, des orateurs qui enthousiasmeraient notre Parlement ; des poètes, voire même des poétesses d’un très grand talent se sont révélés ; des peintres, des sculpteurs ont fait revivre la vieille vie canadienne ; des orateurs sacrés comme Mgr  Gauthier, le Père Louis Lalande, l’abbé Labelle, font retentir de leur parole ardente et châtiée les voûtes des églises… Mais je m’arrête, il m’est impossible de les nommer tous, qu’ils me pardonnent.

Ce modeste ouvrage n’a pas la prétention d’être un livre d’or, il ne veut pas non plus prendre l’allure d’un palmarès. Constatons seulement que presque tous ces hommes ont été élevés chez eux, dans leurs écoles et dans leur Université : ils feraient en France comme en Angleterre excellente figure. Qu’ils n’oublient pas que « noblesse oblige », qu’ils doivent se montrer plus dignes que d’autres, que leur rôle civilisateur est tout tracé.

Qu’ils ne se laissent jamais envahir par l’appât immoral de la fortune, qu’ils travaillent, qu’ils cherchent. Que la Foi les sauve de l’effroyable abîme d’égoïsme dans lequel leurs voisins semblent vouloir s’enfoncer.

Qu’ils donnent l’exemple à ce Nouveau Monde qui n’a pas d’idéal, qui le cherche en vain, qui se rue à la course du dollar sans s’arrêter en chemin, sans entrevoir le paysage et qui marche si vite vers la corruption !

Ah ! l’abominable fièvre de l’or ! comme je l’ai vue de près, perçue, sentie, pendant mon dernier séjour à New York.

Depuis un an, je n’avais pas revu cette ville : mais quels progrès inouïs elle a fait dans le luxe, la sensualité, la volonté de jouir, de jouir vite de cette vie trop courte ! J’ai vu à Broadway, à la porte des théâtres et des cinémas des queues interminables de gens pressés de s’amuser, des femmes se promenant les bras nus, avec des toilettes et des robes d’un prix fou.

Je me suis amusé à dévisager dans la rue les « businessmen » courant à leurs affaires. Tout le monde est « business » à New York. Tous ont les traits tirés, la physionomie soucieuse, le regard vague. Ils sont comme hallucinés par le roulement de tonnerre du chemin de fer élevé, le fracas des tramways, les trompes des automobiles. La population semble toute entière neurasthénique. On ne vit là que pour soi, on ne pense qu’au dollar : plus de morale, plus d’amour du prochain, plus d’aspirations artistiques. N’ai-je pas vu la reproduction en or (!) de l’admirable Vénus de Milo, dans la maison d’un financier ? Ce dernier avait fait adapter aux bras coupés de la célèbre statue mutilée, deux splendides ampoules électriques qui éclairaient son escalier !

La confiance dans les amis a même disparu. Madame de V… m’avait un jour gracieusement invité à passer la soirée chez elle. C’est une personne charmante, très connue à New York et de la meilleure société. Elle possède une très intéressante collection de bibelots d’arts, rangés dans une vitrine. Quand elle donne une soirée, cette vitrine est transportée dans sa chambre à coucher « pour ne pas, dit-elle, tenter le diable ». Le diable ce sont les invités, les amis. On lui a déjà volé un soir, une statuette de Tanagra à laquelle elle tenait beaucoup.

Voilà où l’on en est rendu !

Tout le monde veut posséder à n’importe quel prix, tout le monde veut aller en auto, tout le monde veut être un « monsieur » depuis les perruquiers jusqu’aux chauffeurs de taxis.

À l’un de ceux-ci je dis un jour : « Conduisez-moi à la salle des bagages, nous y prendrons ma malle en passant. » Il me conduisit. Contre mon reçu, on lui remit ma malle, une toute petite malle de rien du tout qu’un enfant eût portée. Pour transporter cette malle du bureau jusqu’à la porte où stationnait son taxi, c’est-à-dire l’espace de dix mètres, Monsieur mon chauffeur s’en alla réquisitionner un porteur, ce qui lui prit trois fois plus de temps. Il fallut naturellement que je paye ce porteur. Cette petite histoire n’est-elle pas symbolique ?

Dans le Québec, ces nouvelles idées n’ont pas pénétré : tout le monde à l’occasion, met la main à l’ouvrage. Les vieux principes de morale, de religion se retrouvent là, purs et intacts.

Au milieu des races si diverses, si nombreuses qui peuplent le Nord du Nouveau Continent, la race Canadienne-française est restée normale. Elle a compris le sens de la vie, elle garde son idéal, elle tient le flambeau de la Charité, de l’Honnêteté, de la Beauté vraie, de tout ce qui fait la raison d’être de l’humanité.

C’est elle qui éclairera la route un jour, et qui plus tard, fatalement, logiquement, mathématiquement, sera imitée par les races qui la jalousent et la calomnient aujourd’hui.

Pendant que toutes les nations du monde, y compris les États-Unis, tremblent sous la menace terrifiante du bolchévisme envahissant, le Québec garde sa sereine tranquillité, son éternel bon sens. Cette dégradante théorie ne peut avoir de prise sur des traditionalistes comme ceux-là.