Une nouvelle figure du monde. Les Théories d’Einstein/Appendice 3

APPENDICE III

J’avais demandé à M. Brillouin, l’éminent professeur au Collège de France que ses « propos sceptiques sur la théorie de la relativité » parus dans la revue « Scientia », avant la guerre, ont fait jusqu’ici considérer par les savants français comme le représentant des idées anti-relativistes, de bien vouloir exposer ses idées à nos lecteurs.

L’éminent savant m’a répondu par la lettre que l’on trouvera ci-dessous :

Rien n’est plus facile que de répondre à votre demande, mais autrement que vous ne supposez.

Je ne connais aucune raison scientifique d’être anti-relativiste ; je ne le suis donc pas. — Et à vrai dire, je ne crois pas avoir jamais été anti-relativiste ; je me suis contenté d’être sceptique, — douter n’est pas nier — en 1911-1912. Déjà au moment où a paru l’article sceptique de Scientia, il dépassait un peu ma pensée. Mais, alors que d’autres voies me paraissaient pouvoir conduire à la coordination des mêmes faits, il me semblait utile de conserver une attitude d’esprit critique, et non d’enthousiasme quasi mystique. À en juger d’après la manière dont j’ai été compris, l’expression a dépassé de beaucoup, dans mon article, mon scepticisme réel ; vous pourrez vous en assurer en vous reportant à une analyse détaillée du livre de Laüe, que j’ai publiée à la même époque dans le Bulletin des sciences mathématiques.

En deux mots, j’ai toujours régardé les équations de la théorie de la relativité restreinte d’Einstein comme représentant exactement les faits que nous connaissons, et je pense que les faits nouveaux qu’on découvrira entreront dans le même moule pendant de nombreuses années. Je pense qu’il n’y a pas une seule contradiction logique dans ce système d’équations. De même je pense que la théorie généralisée (gravitation-inertie), est une admirable construction, dont les équations représentent exactement les relations numériques entre les grandeurs mesurables.

On peut souvent imaginer, pour conduire aux mêmes équations plusieurs langages et représentations symboliques. Il n’est donc pas assuré que le langage d’Einstein doive rester perpétuellement le meilleur ; mais il est actuellement le seul cohérent, il faut l’enseigner, et il n’en faut pas enseigner d’autre ; le comprendre le mieux possible ; le commenter le moins possible, et apprendre à s’en servir.

Sans la guerre, qui nous a donné de bien autres soucis, je n’aurais pas attendu si longtemps pour remettre au point l’interprétation que la plupart des lecteurs ont adoptée — par ma faute évidemment — d’un article où le scepticisme seul était mis en évidence, sans contrepoids.

M. Brillouin,

Au Collège de France,

Le 8 avril 1921.