Une nouvelle figure du monde. Les Théories d’Einstein/1

CHAPITRE PREMIER

EXPOSÉ ÉLÉMENTAIRE ET VUE D’ENSEMBLE DES THÉORIES D’EINSTEIN

Un grand problème a préoccupé les savants à la fin du siècle dernier et au début du siècle présent : celui de mettre en évidence par des moyens quelconques, optiques ou électromagnétiques, le mouvement absolu de la terre dans l’espace. De ce que, d’une part, on croyait pouvoir affirmer l’existence d’un milieu immobile, l’éther, et de ce que, d’autre part, nulle expérience ne parvenait à rendre sensible le mouvement de la terre par rapport à ce milieu, un certain nombre de savants avaient conclu à une contradiction due à une cause indiscernable.

Le grand physicien hollandais Lorentz, créateur d’une théorie électronique demeurée en faveur jusqu’à Einstein, analysa l’une des expériences vainement tentées (celle de Michelson et Morlay dont nous reparlerons). Admettre qu’on ne pouvait manifester le mouvement de la terre, cela revenait à dire que tout se passait, au point de vue mathématique, c’est-à-dire fictivement, uniquement pour le calcul, comme si les dimensions des corps n’étaient pas absolues et variaient avec leur orientation. Cette conséquence eût paru, à la considérer comme réelle, tellement contraire au sens commun que les savants conclurent : « Si l’on n’a pas réussi à mettre en évidence le mouvement de la terre, c’est par défaut d’ingéniosité ou par la faute d’erreurs ou de vices cachés de la méthode ; mais on réussira quelque jour. »

C’est sur ces entrefaites qu’en 1906, Einstein, un physicien né à Ulm, mais d’origine juive et professant en Suisse, totalement inconnu et d’ailleurs âgé de moins de trente ans, publia un mémoire extrêmement hardi. Il y déclarait que si on n’avait pas réussi, c’est qu’on ne pouvait pas réussir ; les suppositions de Lorentz et leurs conséquences sur la relativité du temps ne devaient pas être envisagées comme une démonstration par l’absurde, mais comme l’expression du réel.

Ces théories constituent maintenant un ensemble de critique et de construction unique, dans l’histoire de la science, par son étendue, son élévation et les horizons qu’il nous permet de découvrir.

Mais on n’en peut tirer tout l’enseignement que par l’étude bien conduite et bien méditée de sa genèse, des conceptions qui l’ont préparé depuis Newton jusqu’à Lorentz, de sa logique interne et du mode de conquête qui lui est propre, enfin des travaux mathématiques qui en sont les moyens. C’est cette étude que j’ai essayé de mener à bien dans le présent ouvrage.

En écrivant ce premier chapitre je désire donner à chacun, avec les humbles ressources du langage ordinaire, quelques idées très claires, très assurées et qu’on n’a pas, jusqu’à ce jour, dégagées de façon nette. Elles l’aideront à faire une représentation sinon absolument exacte et complète, du moins suffisante pour lui permettre d’accueillir avec sérénité bien des divagations.

Puisse-t-il ne plus subir avec un sourire égaré les fantaisies de tant d’ignorants qui exploitent les ténèbres de la métaphysique et de l’analyse et bravent sans crainte l’impuissant courroux de ces déesses muettes !



Le premier caractère des théories d’Einstein considérées, non pas même dans les équations auxquelles elles aboutissent, mais seulement dans la figure qu’elles donnent du réel, est que ces théories ne sont pas traduisibles avec exactitude en langage non mathématique. Ce caractère leur est propre, à l’exclusion de toutes les autres théories générales et, en particulier, des systèmes du monde de Copernic, Laplace, etc.

C’est que notre langage concret est le fruit de conventions basées sur une interprétation communément adoptée des données de l’expérience. Il suppose certains postulats admis une fois pour toutes sur l’espace, le mouvement et le temps. Ni Copernic, ni Newton ni les autres fondateurs de systèmes universels n’ont tenté d’ébranler ces postulats qui leur paraissaient exprimer l’évidence ; l’évidence, suprême critère de la vérité selon Descartes ! Or les théories einsteiniennes bouleversent ces notions. Le lecteur comprendra facilement qu’il soit impossible à notre langage habituel de révéler des phénomènes qui se passent dans un autre monde que le sien.

De plus l’imagination d’Einstein, contrairement à celle de Newton ou de Copernic, n’est pas surtout plastique mais mathématique. Il ne procède pas dans ses déductions en suscitant des images qu’il rattacherait par les liens du raisonnement ordinaire. Sa démarche est d’ordre purement mathématique. Inachevées, ses théories n’auraient pas de sens. On ne peut en confronter avec le réel que les conclusions. D’où une nouvelle impossibilité : celle de faire suivre au lecteur, par la voie habituelle, l’enchaînement des raisonnements d’Einstein qui obéissent, en général, à la logique mathématique, pour laquelle il est extrêmement difficile de donner une représentation concrète, et, le reste du temps, à la logique interne du calcul, celle-ci vraiment tout à fait rebelle au langage ordinaire.

Ces constatations nous tracent notre voie : nous devons nous borner à essayer de marquer, avec le plus de clarté possible, quelques points de repère singuliers.



Les principes placés à la base des théories mécaniques ne sont que l’énoncé généralisé de quelques faits très simples.

L’un de ces principes les plus importants est implicitement postulé, plus souvent qu’énoncé explicitement. C’est le principe classique de la relativité. Il part de l’affirmation suivante :

Il n’est pas possible, par des expériences mécaniques effectuées sur la terre, de rendre manifeste le mouvement absolu à vitesse constante de cette planète. Seul son mouvement relatif par rapport à un autre astre supposé fixe, au soleil par exemple, peut être mesuré.

Et, par généralisation, ce même principe peut se formuler :

Les lois de la mécanique sont indépendantes de la vitesse absolue du système dans lequel elles s’exercent, aussi longtemps que cette vitesse reste constante.

Un exemple va éclairer le lecteur.

Asseyons-nous dans la nacelle close d’un dirigeable se mouvant par rapport au sol sans trépidation et à vitesse constante au milieu des nuages. Nos sens ne nous avertiront pas du mouvement. Tentons une expérience : faisons choir un corps ou osciller un pendule par exemple. Les résultats des mesures que nous effectuerons seront les mêmes qu’au repos et par conséquent ne décèleront pas davantage le mouvement. Bien plus : si nous croisons un autre dirigeable, immobile celui-là par rapport à la terre, il pourra aussi bien nous paraître en mouvement. Et, puisque tout mouvement est relatif à quelque corps supposé fixe, de quel droit disons-nous que tel corps est fixe et tel autre en mouvement ? Chacun a pu faire dans des gares des expériences analogues sur le mouvement relatif de deux trains : ce qu’on appelle l’illusion ne se dissipe que par l’apparition subite d’un corps (un arbre, une maison) dont la perception habituelle s’accompagne toujours et essentiellement d’une idée de fixité et s’impose comme repère aux constructions de l’esprit dans l’espace. Mais qui nous assure de la fixité de ces objets ou plutôt ne savons-nous pas qu’ils sont mobiles par rapport au train supposé fixe et que nos définitions du mouvement sont de simples commodités du langage ?

Or, s’il est impossible de déterminer le mouvement uniforme d’un corps par des expériences mécaniques, ne peut-on le faire par d’autres expériences, des expériences optiques par exemple ? Les physiciens démontrent que la lumière est un mouvement vibratoire et donnent comme véhicule à ce mouvement un fluide impondérable qu’ils appellent l’éther. Une expérience extrêmement précise de Fizeau prouve que cet éther dans lequel se déplace la terre est, s’il existe, immobile par rapport à tous les astres. Ne peut-on, grâce à la lumière, autrement dit par une expérience optique, mesurer la vitesse de la terre par rapport à cet éther au repos, c’est-à-dire sa vitesse absolue ? Si nous faisons parcourir à la lumière un trajet dans un sens tel que sa vitesse doive s’ajouter à celle de la terre, la raison nous suggère qu’elle devra le parcourir plus vite que dans le sens opposé, où la vitesse de la terre viendra en déduction de la sienne.

Prenons une source lumineuse dans l’éther et un point sur la terre situé à mille kilomètres. Si la terre était immobile par rapport à l’éther, le rayon mettrait un trois centième de seconde pour y parvenir. Si la terre se meut par rapport à la source, le temps de propagation sera supérieur ou inférieur à un trois centième de seconde suivant que le point récepteur va vers la source ou s’en éloigne. L’expérience a été tentée par Michelson et Morlay et donne, quels que soient le point choisi et la direction du rayon lumineux par rapport à celle du mouvement, toujours la même durée de propagation ; c’est ce qu’on appelle le principe de la constance de la vitesse de la lumière dans toutes les directions. Tout se passe donc comme si la terre était immobile par rapport à l’éther, c’est-à-dire comme si elle entraînait complètement l’éther. Or, l’expérience de Fizeau démontre le contraire.

Comment résoudre cette contradiction ?



C’est ici qu’Einstein intervient.

Il faut s’en tenir purement aux faits tels qu’ils sont. Il est nécessaire, il est du devoir du savant de donner la signification physique de ce phénomène incompréhensible. Il le traduit en langage mathématique et interprète les opérations mathématiques dont je donnerai plus loin le détail, en disant que tout se passe comme si l’écoulement du temps n’était pas le même toujours. Autrement dit : le temps va plus vite, on vieillit plus vite en un lieu qu’en un autre ; il est possible par exemple de se déplacer dans le temps qui est relatif comme l’espace avec une plus ou moins grande rapidité. Einstein est ainsi conduit à analyser notre définition effective du temps.

Pour l’étude d’une entité scientifique, on commence toujours par la définition de cette entité ; puis on donne la définition de deux entités égales. Dans le cas du temps, cela revient à définir la simultanéité.

Considérons, dit Einstein, deux points A et B, deux villes, Paris et Pékin. Comment définir théoriquement la simultanéité de deux événements se produisant dans ces deux villes, par exemple deux coups de canon ? C’est bien simple ; imaginons qu’un observateur se trouve au point qui marque exactement le milieu de la distance Paris-Pékin, et que nous appellerons Milieu ; supposons que la lueur des coups de canon soit visible en ce point. Par un procédé optique facile à imaginer, on peut recevoir et faire coïncider les images de ces lueurs en ce point exactement milieu. On dira que les deux phénomènes sont simultanés quand l’observateur n’aperçoit pas dans son miroir deux images successives, mais une seule image.

Imaginons maintenant une planète au voisinage immédiat de la terre. Supposons-la immobile : sur les verticales de Paris et de Pékin, en des lieux de la planète que nous appellerons Paris-prime et Pékin-prime, se trouvent des canons. Un observateur, sur la verticale de notre observateur terrestre, à Milieu-prime, se fera, pour sa planète, une définition de la simultanéité exactement la même que la nôtre. Mieux : si on tire à un signal unique les quatre canons, les deux observateurs constateront que la simultanéité est incontestablement une notion première, que le temps est bien une chose de même signification universelle ; et ils s’en réjouiront si leur cœur est pur.

Ayant ainsi fait leur expérience, ils se sépareront. La planète partira au moment exact où Paris et Pékin, à cet unique signal de départ, tireront leur nouveau coup de canon. L’observateur de Milieu constatera avec satisfaction la simultanéité l’instant d’après. Mais celui de Milieu-prime ne sera plus exactement au-dessus de Milieu en cet instant ; il se sera déplacé. Il sera, par exemple, au-dessus d’un point plus voisin de Pékin que de Paris. Et, pour lui, la lueur de Pékin arrivera avant celle de Paris. Donc les deux phénomènes, simultanés pour l’observateur terrestre, ne le sont pas pour l’observateur planétaire ; la simultanéité est relative ; le temps n’est pas quelque chose d’absolu.



Prévenons les divagations et les vertiges. Je me représente avec une merveilleuse aisance un certain nombre de cuistres trouvant là matière à philosopher et tirant des théories d’Einstein des armes contre Kant ou contre Leibnitz ou saint Thomas. La « théorie kantienne du jugement », par exemple, est une chose ; la science en est une autre. La première établit la définition, la provenance et la critique des idées de temps et d’espace ; la deuxième traite des manifestations empiriques. La réflexion nous donne ici l’occasion de voir une fois de plus combien nos impressions premières sont fausses et que le sens commun est trompeur.

Qu’est en effet le temps scientifique sinon une monstruosité conventionnelle ? Les définitions classiques nous le présentent en dernière analyse comme absolu, infini, uniforme et vide.

Nous venons de voir avec quelque étonnement qu’il est relatif et n’est pas uniforme. Était-il besoin d’attendre Einstein pour y songer ? Ne savons-nous pas que tout temps réel est relatif aux mouvements qu’il mesure ? Et dire qu’il est uniforme n’est-ce pas prendre une définition pour une réalité, un postulat pour une certitude ?

Il faudra peut-être qu’Einstein ou un autre nous frappe par un coup d’éclat pour nous montrer également que le temps ne saurait être infini que par un décret de notre volonté, car il ne soumet à notre expérience que des lambeaux et ne saurait être vide puisqu’il ne nous apparaît jamais qu’en fonction du mouvement.

Quelles que soient les merveilleuses conséquences des théories einsteiniennes, n’oublions pas que le savant parle d’un temps abstrait dont il donne des interprétations physiques. L’idée métaphysique du temps est une autre chose et, au dire des philosophes, une tentative en vue de restaurer la réalité du temps expérimental. Il y a là de quoi méditer sérieusement. Je me sens très proche des métaphysiciens dans cette affaire ; mais il faudrait y voir de plus près encore. Pour mon lecteur je me contenterai de donner une certitude :

Il est vain d’emprunter aux théories d’Einstein des armes contre la métaphysique du temps et de l’espace. Il ne s’agit pas des mêmes choses.



Einstein, ayant fait disparaître la contradiction entre l’expérience de Fizeau et le principe de la constance de la vitesse de la lumière grâce aux conséquences qu’il tire de l’énoncé de la relativité du temps, en déduit que l’éther n’existe pas, sans quoi il devrait être à la fois mobile et immobile, ce qui est une impossibilité logique, donc inacceptable.

(Remarquons, en passant, l’admirable équilibre d’Einstein : l’existence du temps relatif qui choque le bon sens est une possibilité logique ; elle est acceptée. Celle de l’éther, qui ne choque pas le bon sens, est une impossibilité logique ; elle est révoquée.)

Nous mettons donc ceci en évidence : L’éther n’existe pas.


Le principe de la relativité tel que l’emploie Einstein ne diffère donc du principe classique que par la substitution du mot optique au mot mécanique. Il est bien évident d’ailleurs que le temps n’est pas relatif pour les phénomènes optiques et absolu pour les phénomènes mécaniques. Nous pouvons donc dire qu’aucune expérience mécanique, optique ou électro-magnétique ne saurait mettre en évidence un mouvement uniforme.

L’application de ce principe donne les résultats les plus étonnants pour notre esprit. Tout devient relatif : l’espace, le mouvement comme le temps. Un chronomètre planétaire n’a pas la même marche qu’un chronomètre terrestre ; la longueur des objets et des instruments de mesure varie avec leur orientation. La vitesse de la lumière est une vitesse limite qui ne saurait être dépassée (ni même atteinte que par un corps infiniment plat). Les vitesses ne s’ajoutent plus suivant la règle du parallélogramme. La masse d’un corps varie suivant ses azimuts avec la direction de la force qui lui imprime son accélération.

On conçoit que de telles propositions, qui bouleversent de fond en comble la mécanique, aient donné à réfléchir aux ingénieurs. Mais il s’agit de quantités qui sont infiniment petites dans la pratique journalière et ne prennent une importance réellement considérable que dans les phénomènes astronomiques. Il faut toutefois se rendre compte d’une chose ; c’est que, si les théories d’Einstein ne détruisent aucune de nos règles pratiques, puisqu’elles se bornent à nous dire : Ce que vous croyez exact n’est qu’approché, il n’en est pas moins certain qu’elles sollicitent l’attention des ingénieurs dès à présent et leur apportent des précisions toutes nouvelles qui leur permettent de poser des problèmes techniques insoupçonnés jusqu’ici.

Je prends un exemple très simple, mais qui me paraît lumineux.

Dans le domaine de la thermodynamique, les théories d’Einstein ont apporté des modifications considérables. La loi de la conservation de la masse se confond avec celle plus générale de la conservation de l’énergie. On va même plus loin ; l’énergie possède une masse : un corps est plus lourd quand il est chaud que quand il est froid, puisqu’il s’est accru d’une certaine quantité de chaleur rayonnante, c’est-à-dire d’énergie. Enfin tout corps au repos renferme une quantité fabuleuse d’énergie latente. Un kilogramme de charbon, par exemple, renferme 23 milliards de calories. On pourrait avec l’énergie correspondante faire marcher un réseau de chemins de fer métrique de 200 kilomètres pendant deux ans : avec un kilogramme de charbon ! Et cela, en conservant à nos locomotives leur déplorable rendement actuel ! Or, nos procédés barbares ne savent retirer de ce trésor qu’est, nous venons de l’apprendre, un kilogramme de houille, que l’infime partie : 7 000 calories ! Et alors, au lieu d’un kilogramme, il nous en faut 4 millions. Quel gaspillage ! L’excuse des ingénieurs est que les physiciens leur ont fait croire qu’il n’y avait pas plus de 7 000 calories dans un kilogramme de houille. Maintenant qu’ils sont avertis, ils chercheront ce moyen de désintégrer la molécule d’où viendra une source illimitée d’énergie.

Qu’on songe aux conséquences prodigieuses de l’acte de foi einsteinien dans l’existence du temps relatif ! Qu’on suppose le secret de la libération de l’énergie trouvé, — et on le trouvera, car il n’est que de savoir où réside l’énergie, et Einstein nous l’apprend, — un travail infime nous fournit toute l’énergie dont nous avons besoin. Voilà le domaine de la machine indéfiniment étendu, les prix des objets manufacturés réduits dans des proportions incalculables, le nombre des heures d’usine diminué, toute la vie transformée, le bien-être accru. Seule, éternelle et indifférente, toujours semblable à elle-même, la terre nourricière exigera de l’homme le même effort patient : mais qui empêcherait le citadin inutile aux mines et aux fabriques de retourner aux champs ?

Nous pouvons seulement, des lois énoncées et de nos anticipations, conclure avec certitude :

Les découvertes einsteiniennes ne détruisent pas l’édifice des sciences de l’ingénieur, mais ouvrent à celui-ci des voies illimitées.



Je rassure le lecteur indécis qui dans l’ivresse de son imagination se demande tout à coup s’il n’est pas le jouet d’un rêve et si on va lui fournir un semblant de preuve sur quoi on puisse étayer tant d’hypothèses.

Il y a jusqu’à ce jour des preuves de deux sortes.

Les premières sont la parfaite convenance des explications einsteiniennes aux phénomènes de radiations lumineuses jusqu’à présent inexpliquées, telles que celles du radium.

Les deuxièmes sont les vérifications expérimentales des calculs d’Einstein appliquées aux corps se mouvant à des vitesses considérables telles que celles des corpuscules cathodiques qui atteignent 250 000 kilomètres par seconde.

La valeur démonstrative de ces preuves n’est accessible qu’aux mathématiciens et je demande à mes lecteurs de vouloir bien m’en croire s’ils ne désirent pas être traînés sur les chemins étroits de l’analyse.


Nous ne nous sommes occupés que du mouvement uniforme, c’est-à-dire effectué à vitesse constante. Que se passe-t-il dans le cas d’un mouvement accéléré où la vitesse s’accroît à chaque instant ? Nous le savons par expérience : par suite de l’inertie, nous sommes projetés en avant au moment où la locomotive accroît brusquement son allure. Même dans la nacelle close et sans repères du dirigeable silencieux dont nous avons parlé, nous aurions conscience du mouvement accéléré. Donnons à cette nacelle un mouvement de descente ayant une accélération égale à celle qu’elle aurait en chute libre. L’observateur ne saura distinguer par un effet quelconque, mécanique ou autre, la différence entre ce mouvement accéléré artificiel et l’accélération de la pesanteur.

C’est ce qu’exprime le principe de l’équivalence qu’énonce Einstein :

L’effet qu’exerce la gravitation sur le cours des phénomènes observés par un observateur au repos ne diffère en rien de celui que cet observateur constaterait s’il se mouvait dans un espace libre de gravitation avec une accélération égale à celle de la pesanteur.

Partant de là, Einstein démontre la compatibilité de toutes les lois scientifiques avec les principes de la relativité. Il établit une loi universelle de gravitation qui englobe toutes les sciences et dont les lois de Newton et la mécanique newtonienne ne sont que des cas particuliers correspondant à des vitesses très inférieures à la vitesse de la lumière.

Reprenant la forme élégante de Minkowski qui avait exposé ses travaux mathématiques à l’aide d’un continu à quatre dimensions dont la quatrième est le temps, il utilise la géométrie non euclidienne de Riemann relative à l’espace courbe. D’après cette géométrie, l’espace n’aurait ni lignes droites ni plans. On sait qu’une sphère est une surface de courbure constante. On peut considérer la terre également comme ayant en gros une courbure constante mais néanmoins susceptible de variations à cause de son relief. De même l’espace serait un espace à courbure variable et variable surtout au voisinage des masses astrales. Il n’est pas possible de donner une image des conceptions auxquelles aboutissent les calculs et que seuls ils peuvent traduire. Cependant on peut dire que l’espace einsteinien a une caractéristique :

L’espace einsteinien est sans bornes mais n’est pas infini. On peut prendre une image, inexacte bien entendu, mais commode, pour représenter ce fait. Imaginons une boule et, sur elle, une circonférence. La fourmi qui parcourra cette circonférence toujours dans le même sens repassera sans s’en douter à son point de départ ; rien ne l’arrêtera : sa trajectoire est sans bornes ; et pourtant cette trajectoire a une longueur finie.

Les astres parcourent des trajectoires dans notre espace. Ces trajectoires sont, si l’on veut, un peu semblables à ces courbes de niveau qu’on voit sur les cartes ; la présence de masses d’autres astres les modifie ; mais l’espace n’existe que par rapport à eux. Ils suivent sur leur trajectoire ainsi régie leur pente naturelle (pour employer une expression inexacte mais qui rend assez bien l’idée du principe de l’équivalence). Quant à l’action à distance entre les astres, elle n’existe pas ; en effet elle suppose une propagation instantanée, c’est-à-dire une vitesse infinie. Or, nous savons qu’il n’est pas de vitesse supérieure à celle de la lumière.



On peut maintenant embrasser la marche audacieuse d’Einstein. D’après la mécanique newtonienne, la réalité de l’espace à trois dimensions tel que le concevait Euclide ne faisait aucun doute. L’espace était un réservoir où se mouvaient les corps suivant des lois où intervenait un temps qui existait bien en soi.

Le principe spécial de relativité remplace avec Minkowski cette conception par celle d’un temps-espace à quatre dimensions qui a tout de même le caractère d’un contenant.

Enfin la dernière théorie einsteinienne que nous venons d’exposer refuse à ce temps-espace le caractère d’un contenant. Pour elle, il n’existe qu’en vertu des choses. Sans la matière, il n’est pas d’espace-temps. Espace, temps, matière sont trois choses indissolublement liées que le physicien ne rencontre que réunies et que l’esprit humain ne se représente pas séparées.

La vitesse de la lumière n’est plus toujours constante, comme Einstein l’avait cru d’abord, mais seulement dans l’espace libre de gravitation. Dans le reste de l’espace, elle dépend de la courbure. Le temps relatif à la vitesse de la lumière varie quant à son écoulement, comme elle. Ainsi, emporté par un génie dans une partie de l’espace dont la courbure serait très différente de la nôtre, un homme retrouverait en retournant sur la terre ses enfants plus âgés que lui. Une femme encore belle, à cet instant si touchant et si douloureux d’une maturité adorable, quittant un matin, sur les ailes du bon génie, sa fille jeune épousée, retournerait vieillie de dix-huit minutes, toujours désirable et retrouverait des petits-enfants en cheveux blancs.

Exemples pittoresques qui feront rêver bien des lectrices. Mais qui connaît la demeure du bon génie ? Disons en terminant quelques mots sur les récentes découvertes, en des domaines très différents, qui confèrent aux théories d’Einstein un extraordinaire caractère de fécondité sinon de certitude :

1o On sait que les couleurs sont des oscillations lumineuses comparables à celles d’un chronomètre. Si le temps ne s’écoule pas de même sur la terre, par exemple, et sur le soleil, si les chronomètres ne peuvent avoir les mêmes durées d’oscillation, on peut dire que le même corps n’aura pas la même couleur sur la terre et sur le soleil. Einstein a calculé que le métal sodium par exemple devait donner sur la terre une flamme dont il a déduit exactement de ses théories les caractéristiques par rapport à celle que donne le même métal dont on a constaté la présence dans l’atmosphère du soleil. Ses prédictions ont été vérifiées,

2o Des mêmes théories et sans faire intervenir en quoi que ce soit une hypothèse spéciale, Einstein a pu tirer l’explication du mouvement du périhélie de la planète Mercure, c’est-à-dire d’une aberration d’une valeur de quarante-trois secondes dont la course de cette planète s’est déplacée dans l’espace d’un siècle. Cette aberration était jusqu’ici demeurée une énigme pour les savants.

3o Enfin Einstein avait démontré qu’un rayon lumineux qui traverse le champ de gravitation du soleil à une distance déterminée de celui-ci devrait subir une certaine déviation. C’est cette déduction qui, sous l’expression de pesanteur de la lumière, a le plus vivement frappé l’imagination du public. Mais comment mesurer la déviation d’un rayon lumineux au voisinage du soleil ? Celui-ci, en effet, ne fait-il pas disparaître toute autre lumière que la sienne ? On se rappela fort heureusement l’existence d’une étoile fixe proche du soleil. Einstein calcula la déviation qu’on devait observer et on attendit une éclipse du soleil qui devait se produire le 29 mai 1919 et devait permettre l’observation du phénomène. La moyenne des observations donna le chiffre annoncé par Einstein.

Nous devons toutefois faire remarquer à ce propos, pour qu’il n’y ait pas d’erreur dans l’esprit du lecteur, que l’interprétation correcte de la loi de Newton fait aussi prévoir une déviation. Mais celle-ci n’est que moitié de celle qu’annonçait Einstein et que l’événement a vérifiée.