Une nouvelle Université à Bombay

Revue internationale de l’enseignement, volume 37, juin 1899, Texte établi par François PicavetSociété de l’enseignement supérieur37 (p. 128-129).

UNE NOUVELLE UNIVERSITÉ À BOMBAY

Le mouvement universitaire continue à s’étendre et à se propager. Après avoir transformé les écoles d’Europe et d’Amérique, il gagne aujourd’hui l’Asie. Après Java où les magnifiques installations et le superbe Jardin d’essai de l’Institut de Buitenzorg sont un objet d’étonnement pour les touristes et les savants, le voilà qui atteint l’Inde anglaise et y provoque d’intéressantes manifestations.

Frappés des résultats que les Hollandais ont obtenus dans leurs laboratoires de recherches tant au point de vue scientifique qu’au point de vue économique, quelques habitants de Bombay ont résolu de doter leur pays d’institutions analogues.

C’est un riche marchand Parsi, M. Tata, qui a pris la tête du mouvement. Il a donné un premier capital de plusieurs millions de francs et a fait appel à toutes les bonnes volontés pour constituer un comité d’action. Placé sous la présidence du vice-chancelier de l’Université actuelle, ce comité s’est chargé de recueillir les fonds qui seront encore nécessaires pour donner à l’entreprise toute l’ampleur voulue, et créer une école de haut enseignement qui ne le cède à aucune autre. L’Inde a bien aujourd’hui quatre Universités, et quelques laboratoires ; mais ces Universités, créées depuis 1857, à Allahabad, à Calcutta, à Bombay, à Madras, sur le modèle de celle de Londres, ne sont point des centres d’enseignement. Il n’y existe ni professeurs, ni élèves. Ce ne sont que des jurys d’examens. Quant aux laboratoires de chimie agricole ou de bactériologie, ils sont disséminés au hasard des circonstances, sans liens et sans rapports entre eux, sur toute la surface du pays. Il y a donc une lacune à combler, et on espère y réussir en groupant sur un point unique, assez de laboratoires et assez de musées, pour que, sous la direction d’hommes éminents empruntés à la France, à l’Angleterre et à l’Allemagne, les étudiants puissent pousser toujours plus loin leurs études et faire des recherches personnelles. La nouvelle Université ne fera donc point concurrence aux collèges qui existent déjà et dont l’objectif est de conduire les jeunes gens jusqu’au seuil de la salle ou l’on confère les grades. Elle sera autre chose. Elle sera une école de hautes études, où l’enseignement se donnera comme il se donne dans nos conférences, dans les séminaires allemands, où les researches classes d’Amérique. Organisée en vue de ceux qui ont à cœur de faire progresser la science, la nouvelle Université ouvrira surtout ses portes aux diplômés et à ceux qui, après avoir passé plusieurs années en Europe, voudront continuer leurs travaux. L’Inde est un merveilleux champ d’exploration, qui appelle l’historien, le linguiste, le philologue, le naturaliste, et il est à présumer que son sol vierge fournira aux travailleurs de belles moissons. Mais ce n’est pas tout. L’Inde est aussi un pays de population très dense ; et quand on songe aux conséquences heureuses que peut avoir pour le bien ètre, le progrès matériel et moral de tant de millions d’individus, la moindre découverte scientifique, on comprend la séduction irrésistible qu’a exercée sur des esprit généreux la perspective d’apporter peut-être quelque soulagement à d’affreuses misères. Aussi, la presse aidant, le projet a-t-il rallié dans une pensée commune de progrès et de relèvement national, des hommes de tous les partis, des {findous, des Parsis et des Mahométans, des adhérents de toutes les sectes et de toutes les croyances religieuses.

Quant au personnel enseignant que les promoteurs de l’œuvre comptent demander à la France, à l’Angleterre, à l’Allemagne, rien ne sera épargné pour l’attirer et le fixer. Une mission a été déjà envoyée à cet effet en Europe et l’année passée on a pu voir à Paris un jeune et intelligent Parsi venu pour s’informer des conditions auxquelles il serait possible de recruter les professeurs de la future Université. Il parlait d’émoluments élevés, de congés fréquents, permettant de longs séjours en Europe, de facilités de toutes sortes accordées là-bas à ceux que tenteraient l’attrait de la recherche dans des terrains inexplorés et l’espoir de découvertes nouvelles.

Il faut donc espérer que nos jeunes docteurs entendront l’appel qui leur sera un jour adressé. L’amour de la science et le souci de nos traditions les plus chères leur en font un devoir, car, par la part qu’ils prendront aux travaux de la nouvelle école, ils ajouteront au trésor de nos connaissances, ils agrandiront le rayonnement intellectuel de notre pays, et ils contribueront à donner à ces grandes races des rives de l’Indus et du Gange une conscience toujours plus haute de leurs destinées ; toutes choses qui sont bien dans les données du génie français.

P. Melon.